RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

APPENDICES.

APPENDICES DU LIVRE III.

IV. — LE PRIX DE LA VIE EN FRANCE.

 

 

Sources des chiffres contenus dans les tableaux suivant.

Il était indispensable de ne donner que des chiffres ne pouvant être sujets à discussion, c'est pourquoi nous nous sommes borné aux documents officiels ; nous n'avons fait exception à cette règle que pour quelques prix extraits d'ouvrages de l'époque, et dont les auteurs, en semblable matière, ne peuvent être suspects. Tels sont les Mémoires du temps, les Historiettes de Tallemant, le Roman bourgeois de Furetière, et plusieurs antres, où nous avons puisé quelques renseignements. Mais l'immense majorité des chiffres qui vont suivre est tirée d'actes du gouvernement ou des pouvoirs publics, dont l'authenticité est incontestable. Pour les grains, nous avons eu recours aux mercuriales de Paris, conservées aux Archives nationales. Pour les autres marchandises, les prix que nous citons sont extraits d'arrêts du Parlement, d'ordonnances royales ou municipales de Paris ou de province, fixant un maximum des prix de vente de certaines denrées de première nécessité.

Divers arrêts du Conseil d'État, déclarations, édits, figurant presque tous dans la collection Rondonneau (Arch. nationales), ont été mis également à profit par nous. Les règlements pour le taux des vivres et des 'fourrages qui devaient être fournis aux gens de guerre nous ont été de quelque utilité ; enfin le plumitif de la Chambre des comptes et les registres du conseil secret du Parlement nous ont offert quelques renseignements. Mais les deux principales sources auxquelles nous avons eu recours sont les comptes de l'argenterie du Roi, et les tarifs du Conseil, pour les droits de Traite foraine et domaniale, et pour la subvention du vingtième. Sous la dénomination d'Argenterie étaient comprises un grand nombre de dépenses variées de la maison royale, ayant trait principalement à l'habillement et à l'ameublement ; presque tous les prix doivent être considérés comme légèrement exagérés, puisqu'il faut bien admettre que les princes de ce temps, ainsi que ceux du nôtre, payaient toutes choses un peu pins cher que leurs sujets[1].

Au contraire, les tarifs de traite et de subvention nous fournissent des chiffres plutôt inférieurs à la valeur marchande. On sait qu'à cette époque la plupart des droits indirects étaient des droits ad valorem, variant du vingtième au vingt-cinquième. II était donc nécessaire, pour asseoir la perception, de fixer la valeur légale des objets de toute nature compris au tarif ; c'est ce qu'un arrêt du conseil avait pour but de régler de temps à antre. Pour certains tarifs anciens, comme par exemple la douane de Lyon, on avait laissé subsister les anciens chiffres, mais en y joignant une réappréciation, c'est-à-dire l'augmentation du prix que les objets avaient subie depuis le dernier tarif.

Quelquefois, ces tarifs indiquaient le prix même des marchandises, et les commis devaient, pour faire payer les droits, diviser le chiffre porté sur la pancarte par vingt ou par vingt-cinq, selon qu'il s'agissait d'un impôt du vingtième ou du vingt-cinquième. Quelquefois ils portent seulement la quotité du droit, en indiquant qu'il est de 4 ou 5 pour 100 ; dans ce dernier cas, nous avons fait nous-même le calcul destiné à établir la valeur des objets.

Tous les chiffres que nous donnons, à deux ou trois exceptions près, se rapportent exclusivement au règne de Louis XIII, et les dates données en regard sont exactement celles des documents qui les contenaient. Nous nous sommes attaché à ne pas sortir de cette période de trente années, parce que là surtout est la difficulté et l'originalité de ce travail, s'il en a une. Il est clair que plus on a de latitude dans le temps, plus il est aisé de multiplier les chiffres, mais aussi moins il est juste d'en tirer des conclusions.

Nous avons indiqué pour chaque objet la quantité et la mesure de l'époque, niais nous y avons joint la quantité et la mesure actuelle correspondante ; cette précaution nous a semblé indispensable pour éviter des recherches fastidieuses. On sait que l'ancienne France jouissait à l'égard des poids et mesures d'une confusion que les gens de sens n'ont cessé de déplorer. Cette confusion était parfaitement légale, et au début du dix-septième siècle toutes ces mesures, de nom et de valeur divers, avaient droit de cité an même titre ; l'usage seul décidait. Le gouvernement ne tentait même pas d'y mettre ordre, et l'on voit dans la perception des impôts indirects des objets frappés d'un droit fixe par balle, par caisse, par ballot, par tas, et bien d'autres termes aussi vagues. Quant aux mesures véritables, on, comptait, pour les solides, le muid, le setier, le minot, la mine, le boisseau et ses subdivisions ; pour les liquides, le muid, le-tonneau, la barrique, la queue, le poinçon, la pinte, le pot, et bien d'autres, ne correspondant pas les unes avec les autres. Variant à l'infini selon les villes, selon les provinces, le même nom représentait deux quantités très-différentes, selon qu'on l'entendait de solides ou de liquides ; ainsi à Paris, un muid de blé contenait 1.728 de nos litres actuels, et un muid de vin n'en contenait que 288. Il en était de même pour les mesures. de longueur et de surface, comme le pied, l'aune, la toise, l'arpent, toutes les mesures agraires, et pour les manières différentes d'évaluer certaines marchandises : la voie, la charrette, le chariot, le quintal, la corde, la raine, la main, etc. Nous les avons ramenées aux mesures connues, autant qu'il était possible ; faute de pouvoir les évaluer de cette manière, nous les avons passées sous silence, puisqu'il n'est pas possible de savoir ce qu'on entendait exactement dans un tarif par une caisse ou un ballot.

Dans l'évaluation de ces mesures, nous n'avons considéré que celles de Paris ; en effet, les tarifs de douane, les arrêts du conseil ou autres, et les comptes de la maison royale avaient pour base l'aune, le muid, la toise, le setier de Paris.

Le setier était la mesure officielle des solides aux halles et marchés de Paris ; il est donc utile de donner sur lui quelques détails. Dans le principe, on entendait à Paris par setier une mesure de capacité équivalant à la douzième partie du muid, et contenant douze boisseaux. Or comme le boisseau de Paris contenait environ 12 de nos litres actuels, le setier contenait 144 litres. Dans la suite, le setier devint une mesure de poids, ou, pour mieux dire, on fixa le poids légal d'un setier de blé de 144 litres à 220 livres, ce qui, en effet, est le poids moyen du blé, puisque l'hectolitre pèse en général de 70 à 80 kilog. Immédiatement après, tous les autres grains ainsi que les farines se négocièrent au setier pesant 220 livres, et sans tenir compte de la capacité. Mais l'équation entre 144 litres et 220 livres pouvait être exacte pour le blé, elle ne l'était pas pour les autres grains, dont le poids spécifique était plus ou moins fort que celui du blé. Le setier pesant d'avoine, par exemple, eut une contenance de 242 litres environ, parce que l'avoine étant beaucoup plus légère que le blé, il en fallut beaucoup plus en contenance pour arriver au même poids.

Le setier, tout en gardant son nom de mesure de capacité, était donc devenu sons Louis XIII une mesure de poids pour les solides.

Pour la commodité du lecteur, nous avons dû, afin de mettre un certain ordre dans plus de 600 chiffres divers que nous publions, en dresser des tableaux séparés, selon la nature des objets auxquels ils se rapportent. Ce mode de procéder est peut-être un peu aride, mais il a l'inestimable avantage d'être le seul clair.

Nous donnons ainsi les neuf tableaux qui suivent :

1° Variations du prix des grains et des farines de 1615 à 1643 ; avec une annexe comprenant les variations du prix du blé dans le cours de l'année 1615.

2° Prix des objets servant à l'alimentation ; pains de diverses sortes, boissons et liquides, viandes et autres comestibles.

3° Prix des objets combustibles : chauffage et éclairage.

4° Prix des objets servant à l'habillement : costumes, coiffure et chaussure, linge, gants, bijoux et cosmétiques.

5° Prix des objets servant à l'ameublement.

6° Prix des transports, pour les personnes et pour les marchandises.

7° Prix des chevaux et bêtes de somme, et des fourrages. 80 Prix de divers objets et de dépenses de luxe.

9° Gages des fonctionnaires, honoraires des médecins et artistes, salaires des serviteurs et ouvriers.

Ces tableaux se complètent par une étude sur le chiffre des fortunes, la valeur des biens et l'intérêt de l'argent, insérée dans le corps de l'ouvrage.

 

TABLEAU I. — VARIATIONS DU PRIX DES GRAINS ET DES FARINES DE 1615 A 1643.

(D’après les Mercuriales de Paris. — Archives nationales, manuscrits K.K. 986 à 991)

 

 

TABLEAU I bis. — DES VARIATIONS DU PRIX DU BLÉ DANS LE COURS D'UNE ANNÉE (1615)

(Extrait des Mercuriales de Paris. (Archives nationales K.K. 987.)

 

 

NOTE DU TABLEAU I.

Le Gouvernement intervenait souvent dans le commerce du blé ; ainsi le plumitif de la Chambre des comptes nous apprend[2] que le blé s'étant vendu en 1626 jusqu'à 26 livres le setier, prix exorbitant, le prévôt des marchands et les échevins, pour provoquer la concurrence et empêcher le monopole, traitèrent avec plusieurs marchands qui s'engagèrent à faire venir du blé de l'étranger, en quantité suffisante, et à ne pas le vendre plus de 15 livres le setier ; le prévôt s'obligeait de son côté à les indemniser s'ils venaient à être forcés de le vendre à plus bas prix. Ce fut ce qui arriva, et le Roi, s'étant porté garant pour le prévôt, eut à payer de ce chef 75.000 livres.

Du reste, les prix que l'on vient de voir sont ceux de Paris, par conséquent ils ne peuvent servir au reste de la France. Les prix sur toute la surface de la France ne pourraient être connus exactement, parce qu'ils variaient énormément. Les grains, dit un arrêt de 1639, sont à bien meilleur marché, et prix plus modiques en aucunes provinces du royaume qu'en d'autres[3].

Il y avait de grandes différences d'une année à l'autre dans chaque province, et dans la même année entre toutes les provinces, parce que l'exportation des blés était interdite d'une province à l'autre. On voit, dit M. de Boislisle[4], le blé valoir, en 1693, 24 livres le setier à Paris, 11 à Nantes, et quelquefois 7 et 8 en d'autres villes. Nous voyons le setier de blé à Grenoble estimé 35 livres en 163G et 50 livres en 1642[5], tandis qu'à Paris il n'y a entre ces deux années qu'une différence de 1 livre. Il faut aussi tenir compte de ce fait, que le setier variant d'une ville à l'autre, le setier de Grenoble était beaucoup plus considérable que celui de Paris. On en voyait de 15, 20 et 21 boisseaux.

 

TABLEAU II. — DU PRIX DES OBJETS SERVANT A L'ALIMENTATION.

 

 

TABLEAU II (suite). — DU PRIX DES OBJETS SERVANT A L'ALIMENTATION.

 

 

TABLEAU II (suite). — DU PRIX DES OBJETS SERVANT A L'ALIMENTATION.

 

 

TABLEAU III. — DU PRIX DES OBJETS COMBUSTIBLES.

 

 

TABLEAU III (suite). — DU PRIX DES OBJETS COMBUSTIBLES.

 

 

TABLEAU IV. — DU PRIX DES OBJETS SERVANT A L'HABILLEMENT.

 

 

TABLEAU IV (suite). — DU PRIX DES OBJETS SERVANT A L'HABILLEMENT.

 

TABLEAU IV (suite). — DU PRIX DES OBJETS SERVANT A L'HABILLEMENT.

 

 

TABLEAU V. — DU PRIX DES OBJETS SERVANT A L'AMEUBLEMENT.

 

 

TABLEAU VI. — DU PRIX DES TRANSPORTS POUR LES PERSONNES ET POUR LES MARCHANDISES.

 

 

TABLEAU VI (suite). — DU PRIX DES TRANSPORTS POUR LES PERSONNES ET POUR LES MARCHANDISES.

 

 

TABLEAU VII. — DU PRIX DES CHEVAUX, BÊTES DE SOMME ET DES FOURRAGES.

 

 

TABLEAU VIII. — DU PRIX DE DIVERS OBJETS ET DE DÉPENSES DE LUXE.

 

 

TABLEAU VIII (suite). — DU PRIX DE DIVERS OBJETS ET DE DÉPENSES DE LUXE.

 

 

TABLEAU IX. — DES GAGES DE FONCTIONNAIRES, HONORAIRES DES MÉDECINS, ARTISTES ; SALAIRES DES SERVITEURS ET OUVRIERS.

 

 

TABLEAU IX (suite). — DES GAGES DE FONCTIONNAIRES, HONORAIRES DES MÉDECINS, ARTISTES ; SALAIRES DES SERVITEURS ET OUVRIERS.

 

 

VARIATIONS DU POUVOIR DE L'ARGENT.

Les prix des objets utiles ou agréables à la vie sont, on l'a vu, rarement stationnaires ; on a pu s'en convaincre en comparant par exemple les chiffres de 1629 avec ceux de 1640. Dans cette période, presque tous ont subi une augmentation plus ou moins sensible.

Si l'on compare ces chiffres avec ceux que donne Leber pour l'année 1601, époque où s'arrêtent ses tables de prix, la différence est plus grande encore. Ainsi à cette date un setier de blé valait 6 livres 18 sols ; un bœuf, 24 livres ; un mouton, 4 livres ; une corde de bois, 4 livres ; une pinte d'huile, 12 sous ; une livre de chandelle, 6 sous ; une livre de beurre, 4 sous[6].

Si au contraire on les rapproche de ceux de la fin du dix-septième siècle, on voit qu'ils ont considérablement monté. D'après une lettre de madame de Maintenon, en 1678, la livre de viande vaut 5 sous ; la livre de bougie, 22 sous ; la livre de sucre, 11 sous ; le vin pour les domestiques, trois ou quatre sous par jour, selon qu'on l'achète au détail ou qu'on en fait venir dans les caves. Le comte d'Hauterive, dans ses Observations sur la dépense d'une grande administration (p. 133), donne des prix : bien plus élevés pour l'année 1694 : la livre de riz de veau, 10 sous ; de jambon de Mayence ou Bayonne, 15 sous ; de beurre, 10 sous ; de beurre de Vanvres, 22 sous ; un agneau de lait, 3 livres ; un chapon gras, 22 sous ; un chapon de Bruges, 3 livres ; un canard, 1 livre ; un dindon, 22 sous ; un faisan, 4 livres ; les grives, quatre pour 20 sous ; un lièvre, 2 livres ; une oie Grasse, 2 livres ; trois poulets, 1 livre ; quatre pigeons, 1 livre ; la perdrix ou perdreau, 1 livre ; la sarcelle, 1 livre. — Ces prix, étant, il est vrai, ceux de la table de Louis XIV, peuvent être regardés comme très-forts[7].

Quant aux fagots qui se vendaient sur le pied de 3 livres 5 sous le cent, en 1629, et de 4 livres 5 sous en 1641, ils avaient encore augmenté du temps de Molière, puisque Sganarelle, dans le Médecin malgré lui, les vend 5 livres 10 sous. Il est vrai qu'il convient qu'il y a fagots et fagots, et qu'on en pourrait trouver à meilleur marché.

Pour certaines dépenses somptuaires, on voit des écarts bien différents. Leber estime par exemple, en 1609, une place au parterre à l'hôtel de Bourgogne 5 sous, une place aux loges 10 sous ; et Tallemant nous apprend qu'au même théâtre, vers 1657, c'est-à-dire moins de cinquante ans après, les loges étaient hors de prix, et qu'une chaise sur le théâtre (place élégante pour les hommes) variait de 4 à 5 livres[8].

 

 

 



[1] On peut néanmoins regretter le petit nombre de registres de cette nature, qui sont parvenus jusqu'à nous pour le rogne de Louis XIII, parce que leur autorité était irrécusable. Ce sont les comptes mêmes des trésoriers, dressés sur parchemin pour la Chambre des comptes. Les Archives n'en possèdent que trois ou quatre.

[2] Archives nationales. — P. 2759, fol. 79.

[3] Arrêt de la Chambre des amortissements, 3 octobre 1639.

[4] Correspondance des contrôleurs Généraux.

[5] Arrêts du Conseil d'État des 25 juin 1636 et 12 février 1624.

[6] L'ouvrage de Leber (Essai sur l'appréciation de la fortune privée au moyen âge) est aujourd'hui fort rare, et nous regrettons que le manque de place ne nous permette pas d'en citer quelques extraits. — Monteil, dans son Recueil des matériaux manuscrits (t. I, p. 7), parle de cinquante-six états ou pièces originales concernant le prix des denrées, des marchandises, du travail, aux treizième, quatorzième quinzième et dix-septième siècles. — Nous ne savons ce qu'ils sont devenus après sa vente.

[7] En 1770, les gages d'un laquais sont de 240 livres, les gages du maître d'hôtel d'un grand seigneur de 2.000 livres. (VOLTAIRE, l'Homme aux quarante écus, t. II, p. 104, édition Didot.)

[8] Voyez aussi, pour les prix comparatifs entre deux époques, DUTOT, Réflexions sur le commerce et les finances (Collect. des économistes), p. 950 et suiv.