RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE III. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE.

LES FINANCES.

CHAPITRE III. — CONTRIBUTIONS INDIRECTES. - LES AIDES ; LES GABELLES.

 

 

I

LES AIDES. — Elles sont peu élevées ; tout le monde y est soumis. — Leur assiette ; les douanes intérieures. — Cinq grosses fermes. — Grand nombre des fermiers. — Impôts généraux et péages particuliers. — Les contributions indirectes sont des taxes de circulation ; à ce titre elles semblent légères. — Influence des moyens de transport. — Impôts sur le vin. — Échec du sou pour livre. — Taxes nouvelles sur le tabac, sur les cartes. — Mauvaise confection des tarifs ; défauts du recouvrement par fermiers.

 

Les impôts indirects nous apparaissent dans les dernières années de Richelieu sous deux formes : droits sur toutes les marchandises (sauf le sel), 12 millions, — ce sont les aides ; droits sur le sel, 19 millions, — ce sont les gabelles. 12 millions, c'était un chiffre fort modéré pour des taxes frappant 4.000 objets divers. D'autant que là-dessus 2 millions représentent uniquement les droits sur le vin bu à Paris, et que par suite les contributions indirectes de toute la France ne rapportaient au Trésor que dix millions environ.

La modicité de la somme explique la faveur relative dont jouissaient les aides dans l'opinion publique ; car, il ne faut pas s'y tromper, l'impôt indirect, si décrié aujourd'hui par une certaine école, était populaire au dix-septième siècle. Ici, du moins, impossible d'être condamné à payer plus qu'on ne possède ; on peut toujours se soustraire à la charge en ne consommant pas. Une autre cause de cette popularité : l'égalité devant l'impôt. Pas de privilège, tout le monde paye. Les gens riches qui achètent et vendent sont les premiers visés, tandis que les tailles pèsent exclusivement sur les pauvres, qui, selon l'expression énergique du roi Louis XII, n'avaient et ne maniaient argent que celui qu'ils gagnaient en grattant la terre[1]. Aussi n'est-il pas un ouvrage financier du temps où l'on ne recommande au souverain d'augmenter les aides pour diminuer les tailles ; et n'est-il pas une ville qui, libre de s'administrer à sa guise, ne préfère établir des droits sur les marchandises, plutôt que des sous additionnels à l'impôt personnel.

En regardant de bien près, on aperçoit encore, il est vrai, quelques exemptions concédées ou vendues à des particuliers, à des corps ou à des villes : qui pour le vin, qui pour le blé, car les dispenses sont restreintes et partielles[2]. Comme toujours en pareil cas, l'abus ne se faisait pas attendre : par exemple, les archers de la Ville de Paris sont exempts depuis le moyen âge des taxes sur le vin, ainsi que les bedeaux de la cathédrale, et les messagers de l'Université ; or depuis longtemps ces messagers, ces bedeaux et ces archers ne sont autres que les principaux marchands-de la capitale, — bedeaux fictifs, archers honoraires,  — qui ont acheté ces charges pour jouir d'une exemption profitable à leur commerce[3]. Mais ce ne sont là que faits isolés ; prises dans leur ensemble, les aides pèsent d'une façon à peu près équitable sur toutes les classes de la société, et sur toutes les parties du territoire. Rien ne rappelle l'inégalité criante qui existe, pour les tailles, entre les pays d'élection qui payent presque tout, et les pays d'États qui ne payent presque rien. Tant bien que mal, une sorte d'équilibre s'est établi entre les diverses provinces. Celles qui avaient résisté à un premier édit avaient succombé sous un second ; celles qui avaient su échapper à une taxe avaient été forcées quelque temps après d'en subir une autre, souvent plus rude. Là où le fisc royal n'avait pu pénétrer d'assaut, il s'était imposé au peuple par le blocus. La contribution, repoussée sous une forme, s'était insinuée sous une autre. Parfois des impôts qu'il eût été impossible d'organiser en bloc et d'un seul coup avaient été introduits en détail, sous divers prétextes, avec une diplomatie savante, de façon à ne pas indisposer les masses, tout au moins à ne pas provoquer de révoltes ouvertes. Ainsi s'étaient lentement formées les contributions indirectes dans notre pays, semblables à un édifice bizarre, à la construction duquel auraient été employés, selon le hasard des circonstances, des matériaux hétéroclites.

En effet, si la répartition des aides sur toute la surface.de la France est assez bonne, la manière de les percevoir est bien mauvaise. Pour la comprendre, il faut se rappeler les conditions dans lesquelles ces impôts furent établis. En 1360, les États généraux avaient voté un droit de 5 pour 100 sur toutes les marchandises ; cette taxe, éminemment temporaire dans la pensée de ses créateurs, puisqu'elle était destinée à acquitter la rançon 'du Roi Jean, dura néanmoins quatre siècles. Il est vrai que, dès l'année 1361, les provinces du Sud refusèrent de la payer, plutôt par opiniâtreté, disait un édit royal, que pour autre sujet légitime[4]. En présence de ce refus, le pouvoir central ne s'obstina pas, il partagea la France en deux, traçant de l'est à l'ouest, — de Lyon à l'embouchure de la Loire, —une ligne de frontières entre les territoires soumis au droit et les territoires récalcitrants. Le tout n'était d'ailleurs qu'à titre provisoire, et en attendant que les habitants desdites provinces aient souffert l'établissement des taxes. On attendit ainsi jusqu'à la révolution de 1789. Au passage de la ligne dont nous parlons, les marchandises payèrent pour aller de Lyonnais en Dauphiné, de la Marche en Limousin, du Berry en Poitou, absolument comme si elles sortaient de France. Avec le temps, et le besoin d'argent aidant, on établit de nouvelles douanes qu'elles durent payer pour entrer, de sorte que sous Louis XIII, pour passer la ligne dans un sens ou dans l'autre, du nord au sud ou du sud au nord, pour entrer ou pour sortir, il fallut payer. La taxe de sortie n'avait pas le même nom que la taxe d'entrée, mais, sauf cela, elles étaient toutes deux identiques[5]. Il va de soi que les mêmes taxes se payaient aux vraies frontières françaises : du côté de la Franche-Comté, de la Lorraine ou de la Flandre. On sait que sous le ministère de Richelieu, notre pays contenait soixante-douze de ses départements actuels ; de ces départements, trente-six étaient en dehors du réseau des douanes du nord, — généralement appelées cinq grosses fermes, — trente-six y étaient renfermées. D'autres lignes de douane sillonnaient encore le territoire : chaque province dite étrangère forme, sous le rapport de l'impôt indirect, un petit État séparé ; à l'ouest la Bretagne, au sud la Guyenne, la Gascogne, le Languedoc et la Provence ont leur régime à part[6], sans parler de ces grands bureaux de transit, connus sous le nom de douane de Lyon et de Valence, par lesquels devaient légalement passer toutes les marchandises venant d'Espagne, d'Italie ou d'Allemagne[7].

Chaque impôt ayant son fermier particulier, on trouvait à chaque pas des administrations juxtaposées, toujours rivales, souvent hostiles.

Qu'on suppose aujourd'hui les douanes de certains départements du Nord exploitées par un particulier, celles des départements du Midi par un autre, celles des départements de l'Est par un autre encore ; qu'on imagine à l'intérieur une série de fonctionnaires percevant, chacun pour son compte, le premier l'impôt sur le vin, le second l'impôt sur les sucres, le troisième l'impôt sur les huiles, et l'on aura l'image exacte du recouvrement des taxes indirectes avant Colbert. C'est à Colbert en effet que revient l'honneur d'avoir débrouillé ce chaos, et donné un corps à ces perceptions éparpillées sur la surface du royaume.

Pour représenter avec quelque justesse l'idée des fermes, dit Mallet, il faudrait faire un volume. Ce volume, s'il était fait, — car il ne l'a pas été, —ne trouverait pas de lecteurs. Comment d'ailleurs formuler des règles générales et absolues ? Les édits ne sont pas d'accord avec les baux des fermes, les baux des fermes ne sont pas d'accord avec les tarifs ; ce qui a pu être vrai en théorie cesse de l'être en pratique. A peine pensions-nous pouvoir définir en une phrase tel ou tel droit général sur les marchandises, qu'aussitôt des exceptions apparaissaient, des distinctions multiples s'imposaient, des interprétations contradictoires nous donnaient à réfléchir, et tenaient notre plume en suspens.

Il faut reconnaître d'ailleurs que, depuis Henri IV jusqu'à Mazarin, de louables efforts furent faits par le gouvernement pour unir toutes les fermes en une seule. Déjà, sous Richelieu, on voit les principales taxes syndiquées — selon l'expression moderne — sous les titres d'aides de France, de cinq grosses fermes, de foraine de Languedoc[8]. Cependant, malgré les progrès accomplis, il reste encore beaucoup de petites fermes, indépendantes et locales[9]. Nous ne parlons pas ici de ces contributions extraordinaires, créées pour subvenir à des besoins passagers ; un vit ainsi ct des archers, des sergents et des gens de guerre faire payer à la fois vingt-deux sortes de levées différentes[10]. Mais, par exemple, en temps normal, aux portes de Paris il y a quinze fermiers de l'octroi : l'un pour la draperie, l'autre pour les bestiaux, un troisième pour le poisson, et ainsi de suite ; les divers droits sur le vin sont levés par six fermiers différents. Rien d'étonnant si les allées et venues qu'il faut faire d'un bureau à l'autre retardent la vente et en diminuent le prix[11].

Et ces impôts d'État qui frappaient tout, tout ce que les hommes peuvent vendre ou acheter, et qui le frappaient d'une manière si incommode, embrassant tantôt une moitié de la France, tantôt une province, ou même seulement quelques lieues carrées, couvrant le royaume de bureaux et de commis, n'étaient pas les seuls. Les fleuves et les routes étaient encombrés de péages locaux ; on en supprima 1.200 sous Louis XV en 1724, c'est dire ce qu'il pouvait en exister un siècle auparavant. Sur la Seine, sur la Loire, au passage de chaque pont se dressait un octroi ; les commerçants étaient contraints d'aborder, garer et arrêter leurs bateaux. Une marchandise venant du Havre à Paris payait des droits aux Andelys, Vernon, la Roche-Guyon, Mantes, Meulait, Poissy, Conflans, Maisons et Saint-Denis. Elle payait de plus à Rouen aux receveurs de la vicomté, et à Paris aux compteurs de rivière, aux contrôleurs du guichet et du banage[12]. Chacun des petits affluents avait de même ses perthuis et vannages qui ne s'ouvraient aux bateliers que moyennant finances[13]. La chose semblait toute naturelle, et l'évêque de Luçon, quand il conseillait la Reine mère, en 1617, de demander le gouvernement de Nantes, faisait valoir qu'on se procurerait aisément de l'argent en mettant un médiocre impôt sur la rivière de Loire[14]. Semblables taxes se percevaient sur les grandes routes, parfois même sur la mer, comme ce droit de Brescou que les Montmorency levaient sur les navires qui passaient le long des côtes de Languedoc[15]. Et à ces impôts autorisés, se joignaient les exactions commises par certains gouverneurs clans leur ville, par des gentilshommes sur leurs terres, barrant les fleuves qui les traversaient, pour forcer les marchands à leur payer sous le nom de péage une sorte de petite rançon ; ceux-là agissaient sans aucun titre, et s'exposaient à la rigueur des lois[16].

Ainsi organisée, la perception de l'impôt indirect fait l'effet à nos yeux modernes d'un véritable instrument de torture, dirigé contre le contribuable ; d'autant que les tarifs, par leur confection grossière, semblent grever plus particulièrement les objets de première nécessité. Ces tarifs consistent le plus souvent en une taxe uniforme du vingtième de la valeur, pour toutes les marchandises. Comment, dira-t-on, une vache, un sac de farine, une corde de bois ou un quintal de lard sont mis sur le même pied que des objets de luxe : une aune de dentelle, un panier d'oranges ou une pièce de soie ? L'abus n'est-il pas criant ? Cependant personne ne réclame, et en vérité il ne parait pas que personne ait souffert de cette uniformité choquante. Le fait peut surprendre, mais c'est un fait.

L'explication en est simple ; elle réside dans la nature même des droits. Une marchandise peut être atteinte par l'impôt de trois façons : chez le fabricant, chez le consommateur, ou à son passage du premier chez le second. Nous n'avons guère aujourd'hui à l'intérieur de la France que des droits de fabrication, et de consommation ; c'était le contraire sous Louis XIII, il n'existait (sauf pour le vin) que des droits de circulation. On ne tombait sous le coup des aides qu'au passage des lignes de douane ; de là cette conséquence naturelle que les marchandises d'un usage indispensable et journalier, qui ne circulaient pas de province à province, mais qui étaient produites et consommées sur place, ne payaient rien à l'État ; de fait, elles se trouvaient exemptes, ce qui était fort juste[17]. Au contraire, les objets de luxe, apportés de pays lointains, du moins de provinces éloignées, devaient la taxe autant de fois qu'ils franchissaient un bureau de fermes ; et comme ils avaient chance d'en franchir d'autant plus qu'ils venaient de plus loin, une boite de gants parfumés d'Espagne se trouvait avoir payé 15 ou 20 pour 100 de son prix avant de pénétrer à Paris, tandis que le bourgeois de l'Ile-de-France se trouve consommer, sans avoir rien à démêler avec le fisc, la farine et les moutons du village voisin[18].

Mais, dira-t-on, c'est l'impôt de circulation lui-même qui empêchait par son incommodité ces denrées si nécessaires d'aller d'un bout à l'autre de la France pour affluer là où le besoin s'en faisait sentir, et procurer ainsi au vendeur le juste prix de sa peine, à l'acheteur le confortable de la vie à bon marché[19]. Erreur ! Ce qui entravait le commerce de ce temps, ce n'était pas l'impôt, c'était le prix des transports. Qu'un paralysé soit ou non chargé de chaînes, il n'en est ni plus ni moins incapable de se mouvoir ; des droits de circulation sont peu sensibles là où les marchandises ne peuvent guère circuler[20]. Ces droits, en eux-mêmes, étaient fort défectueux, mais les moyens de transport étant presque nuls, on ne s'en apercevait pas. Cent livres de sel qui coûtaient deux sous aux environs de la Rochelle, revenaient à 12 rendues à Rouen, et à 25 logées en magasin à Paris ; le tout sans aucun impôt[21]. Pour faire venir un baril de morue de la côte normande à Paris, il fallait dépenser 7 livres, ou 42 francs de notre monnaie actuelle, c'est-à-dire la moitié de sa valeur. Qu'importe dans ces conditions de payer le sou pour livre à l'État[22] ?

Dans un pays comme la France de 1880, qui compte 27.000 kilomètres de chemin de fer, 10.000 de rivières et de canaux, et 640.000 de routes diverses, à une époque comme la nôtre où le commerce extérieur seul atteint chaque année le chiffre de 10 milliards, où il n'est pas d'individu, si modeste que soit sa position sociale, qui n'use journellement, pour se nourrir ou s'habiller, d'objets venus de toutes les parties du monde, dans un pareil pays et à une pareille époque, des droits de circulation intérieure seraient infiniment vexatoires ; les droits de circulation à la frontière (douanes) tendent eux-mêmes sans cesse à diminuer et à disparaître. Mais dans un pays comme la France de 1640, où les grandes routes sont peu nombreuses — mal entretenues d'ailleurs — et les petites à peu près nulles, où le principal commerce se fait sur les rivières, fort longuement, au fil de l'eau, pour qu'une marchandise se transporte à grande distance, il faut que son prix soit fort élevé, afin d'indemniser le commerçant. On ne déplace dans ces conditions que des objets d'une certaine valeur. — Supprimez les chemins de fer et les bateaux à vapeur, le libre échange deviendrait aussitôt sans intérêt. — La multiplication des moyens de transport, qui a changé la face du monde, a eu chez nous cette conséquence économique de rendre les taxes de circulation lourdes, et les taxes de consommation relativement légères, tandis qu'autrefois le contraire existait. La preuve, c'est que plus les-routes et les canaux se multiplièrent, plus les aides semblèrent dures sous l'ancien régime, et à mesure que le transport devenait plus facile, le même impôt était jugé plus pesant.

Une autre preuve de ce fait, c'est la façon dont les peuples supportaient le seul impôt de consommation : l'impôt sur le vin, demeuré soumis à la taxe de 5 pour 100 du quatorzième siècle. Le vin, du reste, est à cette époque la marchandise la plus grevée de toutes. Avant de pénétrer dans certaines villes, dans Paris surtout, le vin que les gens aisés faisaient venir des pays vignobles, pour leur usage personnel, déjà doublé de prix par suite des frais de port, port, était encore augmenté de moitié par les impôts[23]. Ajoutez à cela la taxe des marchands de vin et le droit de détail pour les boissons vendues à pot et en assiette dans les cabarets[24], et vous verrez qu'une pièce de vin de 288 litres (muid de Paris), valant en moyenne 14 livres au départ, avait rapporté au fisc une somme bien supérieure à son prix d'achat, avant d'arriver sur la table du petit consommateur[25].

Il est Fort probable qu'ici l'exagération des taxes diminuait la vente et paralysait le commerce. Ainsi, malgré le prix bien modique du vin en ce temps-là, comparé à son prix actuel, le Parisien eu buvait moins il y a deux siècles qu'il n'en boit de nos jours. D'après des statistiques comparées, que nous avons lieu de croire exactes, il en consomme aujourd'hui en moyenne 224 litres par personne et par an, tandis qu'en 1637 il se contentait de 161 litres[26]. — Un autre criterium de la lourdeur de l'impôt, c'est le mécontentement qu'il excitait : les pauvres taverniers ne se contentaient pas seulement de murmurer ; ils exprimaient en certains cas leur opinion d'une manière très-significative. Lorsqu'il voulut (en 1631) doubler le droit de détail et le porter à 25 pour 100, le gouvernement souleva une redoutable émeute, ce qu'on nommait en langage bénin une émotion populaire. La sédition devint assez inquiétante pour faire reculer le pouvoir[27]. Après avoir affirmé, dans un édit du mois de février, que cet impôt, payé seulement par ceux qui hantent les cabarets, était un des plus doux moyens qui se pouvaient trouver pour obtenir de l'argent[28], le Roi déclara dans un édit du mois de mars avoir appris qu'il serait à grande charge à son pauvre peuple, et pourrait causer la ruine des marchands[29], ce pourquoi il renonçait à l'établir.

Un autre fait qui démontre jusqu'à l'évidence combien les impôts de consommation semblaient plus durs alors que les impôts de circulation, c'est la tentative infructueuse du recouvrement du sou pour livre, sur la vente de toutes les marchandises, dans les grandes villes comme dans les campagnes. Le surintendant des finances et son entourage n'y songèrent que dans les dernières années, du ministère de Richelieu, dans ces années difficiles de la guerre de Trente ans où la France, pour battre monnaie, n'avait plus le choix des moyens.

Nous ne prétendons pas que, même en temps ordinaire, les agents des fermiers fussent extrêmement sympathiques aux contribuables ; quand une surtaxe faisait rumeur, la foule se soulageait en maltraitant un gabelou. Tantôt c'est le parlement de Bordeaux qui fait pendre un commis plus ou moins régulièrement[30] ; tantôt c'est le peuple de Marseille qui force pendant la nuit les bureaux de la traite foraine, et égorge les malheureux qui lui tombent sous la main[31]. Mais les désordres de ce genre sont très-rares et promptement réprimés. Au contraire, contre le sou pour livre de 1640, la révolte fut terrible ; la population, qui supportait paisiblement les anciens impôts, repoussa le nouveau avec une véritable fureur[32]. A Yssoire, écrit l'intendant d'Auvergne, ils ont jeté les commis dans une chaudière pleine de chaux vive. Une sédition s'en est suivie ; le mal empire dans les élections de Brioude et Aurillac. On fait des rebellions de toutes parts, en Champagne et en Picardie, en Languedoc et en Bourgogne[33]. J'ai su, écrivait Richelieu, l'émotion arrivée à Grenoble, au sujet de l'établissement de la subvention dans la ville, dont j'ai eu beaucoup de déplaisir[34]. Un sursis fut d'abord accordé aux provinces qui criaient le plus fort. Mais, disait Bouthillier, les autres prétendront la même chose ; et le cardinal lui répondait : Si on ôte l'impôt de Languedoc et Bourgogne, il le faut ôter de toute la France[35]. Jusqu'aux portes de Paris, le sol pour livre rencontrait de violentes résistances[36]. Le moment était critique ; un rien pouvait suffire à soulever le pays. Le comte de Soissons, révolté, tenait en échec nos armées de Champagne ; il perdit la vie dans sa victoire de la Marfée, mais, écrivait au cardinal un de ses espions, si ce prince n'eût succombé, toute la France se fût jointe à lui à cause du sol pour livre, et autres vexations[37]... Si messieurs du Conseil continuent, disait à son tour le premier ministre, certainement il arrivera quelque désordre à la France, pareil à ceux d'Espagne. En voulant trop avoir, on réduira les affaires à ne rien avoir du tout... Et Richelieu concluait en se déchargeant sur ses subalternes des malheurs qui pouvaient arriver ; ce fut toujours son système en fait de finances. Tant que l'argent ne manquait pas pour ses vastes entreprises, il n'en demandait pas davantage.

Les réclamations cette fois furent si vives contre l'impôt du vingtième, qu'au bout d'un an on fut contraint de l'abolir[38].

On fut plus heureux dans la création de deux autres impôts, qui subsistent encore aujourd'hui : sur le tabac, sur les cartes à jouer. Avis nous a été donné, disait le Roi en 1629, que depuis peu de temps on fait venir des pays étrangers quantité de petun (nom que portait alors le tabac) sans paver aucun droit d'entrée, sous prétexte qu'il n'a pas été compris dans les anciens tarifs et pancartes[39] ; de sorte que nos sujets, à cause du bon marché, en prennent à toutes heures ; dont ils reçoivent grand préjudice et altération dans leur santé[40]... Par ces motifs, on frappait le tabac d'un droit de 30 sols la livre, — il coûtait 12 francs, — bien minime si on le compare au monopole actuel. L'usage du tabac d'ailleurs était peu répandu ; fumer était une habitude ignoble, un goût crapuleux. On parlait d'un fumeur avec plus de mépris qu'on ne parlerait aujourd'hui d'un ivrogne[41]. D'après les calculs officiels d'alors, il se serait consommé en France deux millions de livres de petun par an, dont la moitié entrant en fraude[42]. Le produit de cet impôt, qui de fait ne figure pas dans les états de finances, devait servir à l'entretien des galères, concurremment avec une taxe sur le sucre, elle-même peu onéreuse au public[43].

Sur les cartes à jouer, l'État prélevait à la fin du règne de Henri IV un droit de trois sous par jeu ; sous Richelieu, la vente des cartes et tarots devint un monopole ; les jeux de cartes, dont la plupart venaient jusque-là de Thiers en Auvergne, durent tous être fabriqués à Paris, dans les ateliers du concessionnaire, et nul ouvrier n'eut le droit de travailler ailleurs[44]. Cet impôt rapporta au Trésor 30.000 livres par an, somme modeste, si l'on songe qu'il figure aujourd'hui pour 2 millions dans notre budget. Le jeu de boule et le tir à l'arquebuse ou papegai furent aussi imposés[45] ; et l'on songea à frapper d'un droit de deux sous et demi chaque partie de jeu de paume qui se jouerait dans le royaume. Ces impôts sur la jouissance n'étaient pas bien pénibles ; et nous ne nous expliquons pas les plaintes amères qu'ils ont provoquées jadis, nous qui supportons maintenant l'impôt des billards et le monopole des allumettes[46].

Sous le ministère de Richelieu, où l'imagination des chercheurs d'impôts était pourtant si fertile, on ne créa pas d'autres contributions indirectes, sauf le droit de Massicault[47], surtaxe douanière à l'embouchure de certains fleuves, et aux ports les moins grevés du royaume. Nous touchons ici au côté le plus défectueux des aides : les tarifs. C'est par la mauvaise confection des tarifs qu'elles sont surtout à charge au public commerçant. Les droits varient à l'infini d'une province à l'autre, et dans la même province, à une distance de deux ou trois lieues[48]. A la frontière même, tel objet payait à son entrée par Lyon moitié plus qu'à son entrée par la Rochelle ; on ne songeait pas à unifier les taxes vis-à-vis de l'étranger[49]. Ici le tonneau de vin paye pour entrer, là pour sortir ; la barrique d'eau-de-vie doit 4 livres ici, 8 livres là, et 6 livres ailleurs. Cette bigarrure est parfois voulue, elle sert un intérêt économique[50] ; le plus souvent elle est l'effet du hasard. Chaque bureau s'est fait un tableau à son usage exclusif, sans se concerter avec les autres.

Joignez à cela la confusion des poids et mesures indifféremment employés. Afferme-t-on les cendres de Paris, il y a trois objets et trois bases de perception différentes[51]. A la douane de Lyon, les marchandises étrangères sont pesées à la livre de seize onces, les marchandises françaises à la livre de douze onces, plus légère d'un quart ; c'était de la protection à rebours. Les tarifs sont à la fois minutieux et vagues. On y trouve vingt-quatre sortes de peaux, et sept sortes de plumes[52]. Et à côté de ces classifications savantes de la qualité, la quantité est point ou mal déterminée. La voie, la balle, la caisse, le sac, le panier, la charretée, sont autant de termes généraux qui fournissent matière à d'amples discussions[53]. Et les abus étaient nombreux. Les fermiers des contributions étaient sans cesse condamnés à restituer des sommes qu'ils avaient perçues indûment, Un arrêt du Conseil constate qu'ils font payer souvent dix fois plus que les taxes légales[54]. Tantôt sur un objet, tantôt sur l'autre, la lutte s'engage entre le commerce et le fisc ; elle se prolonge souvent, avec des chances diverses et des arrêts contradictoires, pendant vingt-cinq ans, au bout desquels un édit termine le différend en établissant en tant que besoin est, la taxe en litige[55].

Cette ardeur dans le recouvrement, cette tendance à la concussion, sont assez ordinaires dans les pays où les impôts sont affermés ; ce n'est pas un fait particulier à la France du dix-septième siècle, c'est un vice inhérent au système. Le fermier, dit A. Smith, n'a pas d'entrailles pour des contribuables qui ne sont pas ses sujets, et qui pourraient tous faire banqueroute le lendemain de l'expiration du bail, sans que son intérêt en souffrit le moins du monde[56]. Il est d'autant plus dur que les amendes, en cas de contravention, lui appartiennent de plein droit, et viennent grossir ses bénéfices ; or ces amendes sont énormes[57]. Au service de cette avidité professionnelle, le fermier met une puissance illimitée. Il prend ses commis où il veut, et les révoque à sa guise ; par un brevet de lui, ses employés de tous grades sont investis du droit de porter des armes à feu et autres, sur terre et sur mer. Il délivre des contraintes pour le payement de ses droits, et les fait exécuter par provision[58].

Qu'ils soient officiellement à ses gages, ou que secrètement ils reçoivent ses pots-de-vin, tous les fonctionnaires, directeurs et receveurs des aides, copistes et commis de ville ou de campagne, dépendent étroitement de lui. Les plus importants d'ailleurs n'ont-ils pas le droit d'être ses associés[59] ? Par conséquent aucun contrôle possible ; ceux qui avaient à se plaindre des agissements d'un fermier devaient plaider ; et les procès coûtaient cher aux contribuables, tandis qu'ils ne coûtaient rien à l'administration de la ferme, toujours abonnée avec les tribunaux pour les frais de justice. Pour garantir les populations contre les abus de pouvoirs des traitants et pour s'éclairer lui-même, l'État institua des contrôleurs-visiteurs des fermes[60] ; mais comme ces charges s'acquéraient à prix d'argent, les fermiers en faisaient cadeau à quelques-unes de leurs créatures. De la sorte les contrôleurs et surveillants furent parfaitement soumis à ceux qu'ils devaient surveiller et contrôler.

Parmi les obligations qui incombaient à ces officiers, figure celle de connaître la valeur du revenu des fermes, et de tenir registre des marchandises entrées ou sorties. Comme ils ne l'ont pas remplie, nous ne connaissons pas le produit brut des impôts indirects sous Louis XIII[61]. Les chiffres des baux nous apprennent bien ce que le traitant payait au Roi, mais ils ne nous font pas connaître ce qu'il percevait lui-même sur le public. Cet écart, qui contient à la fois les frais de recouvrement des impôts indirects et les bénéfices du fermier, nous échappe, aussi bien pour les aides que pour les gabelles[62]. Les uns et les autres étaient considérables. Il est notoire que le bien du Roi n'est pas affermé à ce qu'il vaut. Bien que l'adjudication publique fût dès cette époque en vigueur, il n'y avait pas beaucoup de liberté dans les enchères, et souvent le surintendant était contraint, par de puissantes influences, d'accepter le moindre de deux partis qui se présentaient[63]. Ces abus sont de tous les temps ; le nôtre même n'en est pas exempt. Ce qui les rend plus saillants sous Richelieu, c'est qu'ils s'appliquent à l'ensemble des revenus publics.

Les mêmes fermes adjugées en 1604 pour 500.000 livres, l'étaient en 1617 pour 1.400.000, en 1623 pour 2.700.000, en 1632 pour 3.400.000, en 1639 pour 4.000.000 environ[64]. On voit que d'immenses progrès avaient été réalisés en ce genre, si l'on songe que les tarifs étaient restés stationnaires depuis un quart de siècle. Les plus notables furent accomplis dans la suite — toujours sans augmenter la quotité des droits — puisqu'en 1666, sous Colbert, les fermes générales s'élèvent à plus de 44 millions, et qu'elles n'atteignaient pas le quart de cette somme en 1640.

Les financiers connaissaient trop bien le profit qu'on faisait en ce genre d'affaires, pour se laisser rebuter par des augmentations de loyers, si énormes qu'elles paraissent. Rocher Portail, qui savait à une pinte près ce qu'on buvait de vin et de cidre dans les évêchés de Rennes, Saint-Malo et Nantes, y eut la ferme des aides vingt-quatre ans de suite, au bout desquels un y mit 600.000 livres d'enchères, qu'il souffrit sans la quitter[65]. Ils risquent peu de chose d'ailleurs, puisqu'ils n'ont pas de peine, en cas d'accidents ou de dépenses fortuites, à se faire indemniser et remettre par l'État une partie de la dette qu'ils avaient contractée envers lui[66].

 

II

LES GABELLES. — Le sel et son exportation. — Exemptions personnelles très-rares ; illégalités territoriales ; un tiers de la France à peu près exempt. — Recouvrement ; combien l'impôt est dur ; le prix du sel. — Malversations des fermiers et des employés. — Comment le public cherche à se soustraire à l'impôt ; ruses des contribuables. — Le Faux-Saulnage. — Revenu que l'impôt des gabelles procure à l'État ; ce qu'il coûte à la population. — Quantités de sel consommées alors et aujourd'hui.

Les droits sur les marchandises s'élevaient en général à 5 pour 100 de leur valeur ; les droits sur le sel atteignaient dans les campagnes environ 3.000 pour 100 (trois mille pour cent) du prix de cette denrée. Tout le secret de la juste impopularité des gabelles est là.

Le sel était au dix-septième siècle un des principaux objets de notre commerce extérieur ; un intérêt politique évident nous engageait à maintenir et à développer l'exportation de cet te marchandise de première nécessité. Au sud, nous avions conquis la clientèle exclusive de la Savoie et du Piémont, qui venaient s'approvisionner à nos marais salants de Peccais et d'Aigues-Mortes[67] ; nous cherchions, quoique avec moins de succès, à obtenir celle de la Suisse, et pour y parvenir nous lui offrions des rabais considérables[68] A l'est, il est vrai, nous étions nous-mêmes tributaires de la Franche-Comté ; les sources de Salins, de Lons-le-Saulnier alimentaient plusieurs provinces françaises. Mais à l'ouest, nos marais de la Charente, de Brouage surtout, vendaient annuellement presque tout le sel consommé par les Flandres. et par les nations septentrionales de l'Europe. Le gouvernement était très-attentif ne pas perdre ce monopole, que l'Espagne nous disputait ; bien loin de songer, comme on le proposa plus d'une fois, à recouvrer l'impôt de la gabelle dans la saline même d'où l'emporte l'étranger, il avait soin au contraire d'attirer sur nos côtes, par des conditions de vente avantageuses, les négociants de tout pays[69].

Ces considérations commerciales avaient déterminé l'assiette de l'impôt. Ne voulant pas grever la production, ne pouvant pas frapper la circulation, puisque la moitié de la France se serait par le fait trouvée exempte, on imposa le sel à la consommation. De là un système de recouvrement offrant dans le principe beaucoup d'analogie avec celui qui est maintenant usité pour les tabacs : l'État marchand de sel, l'achetant en gros au fabricant, le revendant au public avec bénéfice. Puis au lieu d'exploiter lui-même, l'État afferme l'impôt à plusieurs particuliers qui le recouvrent pour leur compte ; il se borne alors à surveiller leur gestion. Dans un cas comme dans l'autre, la charge eût été aisément acceptée par la population, si elle fût demeurée aussi douce que sous Philippe le Long (deux deniers pour livre), ou sous son successeur Philippe de Valois, qu'un jeu de mots historique du roi d'Angleterre Édouard III a signalé bien à tort à la haine des ennemis de la gabelle[70]. L'impôt salique n'atteignait pas à cette époque 2 et demi pour 100 de la valeur du sel ; or, à l'heure actuelle, nous supportons un droit de 100 pour 100 sur cette denrée, et nul ne songe à se plaindre. Mais l'inégalité dans la répartition, et l'élévation incroyable de la taxe, sans cesse augmentée depuis le moyen âge, avaient rendu les gabelles aussi odieuses que les tailles.

Il n'y a pas, ou pour mieux dire, il n'y a presque pas ici d'exemptions personnelles. A chaque surtaxe, le Roi ne manque pas de faire remarquer qu'il a approuvé d'autant plus volontiers cette imposition nouvelle, que toutes personnes, quelle que soit leur qualité, y contribuent[71]. Quelques couvents, des fonctionnaires privilégiés en petit nombre, avaient droit d'acheter leur sel au prix marchand ; seulement cette concession n'était pas excessive, puisqu'elle consistait à leur vendre le sel un peu moins de moitié de ce qu'il coûtait au public, mais encore treize fois plus cher qu'il ne coûtait réellement au fermier[72]. L'inégalité vraiment choquante, c'était celle des provinces entre elles. Deux catégories existent : dans la première, on paye peu ou point ; dans la seconde, on supporte une charge écrasante. Sont exemptes : la Bretagne, parce qu'elle est récemment annexée à la France ; l'Auvergne, parce qu'elle ne pourrait subsister, dit-on, sans la liberté du sel, dont elle a plus grand besoin qu'aucune autre[73]. Sont rédimés ou demi-exempts : le Poitou, la Guyenne et Gascogne, le Limousin, la Saintonge et l'Angoumois, le Boulenois, le comté de Foix et la Navarre[74]. Tous ces pays payaient une taxe de remplacement dérisoire, quelquefois un impôt local[75] ; en fait, ils méritaient bien le nom de Francs-Salés, sous lequel on les désignait. Inutile de dire qu'ils détendaient ardemment leur franchise : rien qu'en faisant courre le bruit que le Roi y veut établir là gabelle, les ennemis du gouvernement sont sûrs d'y faire soulever les peuples[76].

Un tiers de la France — cinq millions et demi d'habitants sur seize[77] — échappent à Cet impôt. Dans les deux tiers qui le payent, de menues faveurs, des dispenses traditionnelles viennent çà et là l'alléger et l'adoucir. On tempère le sel de Provence en laissant aux habitants leur ancienne mesure[78] ; on maintient l'exemption d'un canton ou d'une ville[79], au milieu d'une généralité tout entière imposée ; on respecte en basse Normandie l'usage du petit sel blanc qui s'y fabrique, bien que de mille façons les fermiers des gabelles s'appliquent à en restreindre la consommation[80]. Dans ce dernier cas, l'impôt consistait pour le contribuable à donner du sel à l'État, au lieu d'en acheter de lui ; le fermier prélevait un droit de 25 pour 100 sur la production (le quart-bouillon). Mais ces dispenses enviées dont jouissent quelques provinces ont rendu plus pénible l'impôt des provinces voisines. Ces deux territoires, l'un imposé, l'autre exempt, sont tellement enchevêtrés l'un dans l'autre, que la fraude y serait presque impossible à réprimer. Quoi de plus aisé pour le Normand qui paye peut-être son sel huit sous la livre, que d'aller l'acheter en Bretagne où il ne vaut sans doute pas trois deniers ? Ainsi l'administration financière fut amenée par une triste nécessité à créer une subdivision nouvelle dans les pays imposés : les pays de greniers d'impôt, précisément établis sur les frontières et dans le voisinage des privilégiés : on était ainsi d'autant plus chargé qu'on était plus près de ceux qui ne payaient rien. Par suite, d'indirecte, la gabelle devint contribution directe, assise comme la taille et recouvrée comme elle dans les territoires soumis au sel d'impôt. Là les habitants furent contraints de prendre tous les ans une certaine quantité de sel, proportionnée à leur famille, et s'ils ne le vont querir, on le porte chez eux, et on les contraint de le payer, même par emprisonnement de leurs personnes[81]. Là le sel est obligatoire, on n'a pas le droit de s'en priver, ni de l'économiser outre mesure ; le fisc sait ce qu'il vous faut, et ne vous fera pas grâce d'une once.

Ce mode de recouvrement, bien que vexatoire, n'était pas d'ailleurs ce dont on souffrait le plus. Ce qui rendait l'impôt du sel insupportable, c'était son exagération[82]. La taxe était tellement supérieure à la valeur marchande de cette denrée indispensable à la vie, qu'elle encourageait la contrebande sur la plus vaste échelle ; pour réprimer cette contrebande, on augmentait les rigueurs de la perception ; ces rigueurs provoquaient des révoltes périodiques. De tout cela naissait un état de guerre ouverte ou d'hostilité sourde qui ne cessa pas un instant jusqu'à la fin de l'ancienne monarchie ; on peut dire de la gabelle qu'elle eut toujours ce défaut, capital pour une contribution, d'être subie et non acceptée par la masse.

C'est donc le prix du sel qu'il faut connaître pour apprécier le poids redoutable de la gabelle : ce prix a naturellement beaucoup varié sous l'ancien régime selon les époques, et à la même époque il n'était pas identique dans toutes les provinces soumises à l'impôt[83]. En 1789, le sel valait 16 sous la livre[84], et par conséquent coûtait infiniment moins cher que sous Louis XIII et sous Louis XIV, si l'on tient compte du pouvoir de l'argent. A la mort de Louis XIII, il valait quatre fois plus que sous Henri IV,  et à la fin du dix-septième siècle, il valait déjà beaucoup moins qu'à la mort de Louis XIII[85]. Le sel qui se vendait aux greniers royaux 520 livres en 1625, coûtait en 1639 2.112 livres le muid[86], c'est-à-dire dix sous la livre environ, avec les droits[87]. — Or dix sous de 1649 font trois francs de notre monnaie actuelle ; et notre livre de sel même grevée du droit de 5 centimes, ne coûte pas aujourd'hui plus de 10 centimes au détail. — Si l'on ajoute à ce chiffre de dix sous le bénéfice des regratiers (marchands de sel à petites mesures)[88], soit 12 et demi pour 100, et les taxes additionnelles au sel, perçues au profit des provinces, des villes ou même des particuliers[89], on comprendra ces doléances des États de Normandie portant que le prix du sel est si excessif, qu'il coûte plus au peuple que le reste de sa nourriture[90].

Et ce qui augmentait encore la dureté de cet impôt, c'est l'abandon que l'État en faisait à des fermiers, qui l'ayant pris à bail pour une somme fixe, et se chargeant de le recouvrer, à leurs risques, périls et fortunes n, devaient y trouver, outre la redevance due au Trésor, le remboursement de frais qui étaient énormes, et des bénéfices qui ne l'étaient pas moins, ce qui s'explique par les mauvaises chances qu'il fallait courir. Les officiers royaux des greniers à sel : présidents, lieutenants généraux grenetiers, grenetiers secondaires, receveurs, contrôleurs, mesureurs et porte-cabas[91], n'étaient là que pour administrer platoniquement l'impôt, et juger les procès qu'il faisait naître[92]. Ils recevaient le sel de la main du fermier et l'argent de la main du public, puis versaient jour par jour leur recette dans la caisse de l'adjudicataire. Leur rôle se bornait là[93]. C'était au fermier qu'incombait le soin de s'approvisionner aux salines, de remplir les greniers[94] ; c'était à lui également qu'appartenait le droit d'activer la consommation, de rechercher ceux qui n'avaient pas pris suffisamment de sel, afin de payer le juste prix à proportion de ce que chacun pouvait en avoir usé[95]. L'inquisition était ordinaire, et les abus de pouvoir fréquents. Le prévôt du sel et ses archers vexent, désolent et ruinent plus de familles en un mois, que la fureur du soldat n'a pu faire en plusieurs... Ils fouillent injurieusement en plein marché dans les habits de chacun sans épargner ni âge, ni sexe, ni condition[96]. Heureux s'ils ne réclament que leur dû, mais ils ont mille ruses pour doubler et tripler l'impôt. Tantôt ils font les mesures fortes ou faibles selon qu'ils en tirent du profit ; tantôt, pour augmenter les droits de port, ils taxent une paroisse située à deux lieues du grenier, comme si elle était à huit ou neuf[97]. Il y a vingt arrêts du Conseil d'État qui constatent le droit des contribuables de saler leur lard du sel qui leur est attribué par impôt, et défendent aux grenetiers de les en empêcher à peine de concussion ; cependant les fermiers prétendent toujours que ce sel n'est que pour pot et salière seulement, et n'admettent pas que les paysans l'emploient en leurs grosses salaisons[98]. Une des fraudes habituelles des fermiers consistait à fournir les greniers de sel frais, n'ayant pas eu le temps de sécher, parce que ce sel nouveau salant beaucoup moins, on était forcé d'en employer beaucoup plus[99]. Si les archers des gabelles, disent les cahiers de la noblesse en 1614, trouvent du sel dans une maison, ils diront qu'il est faux, jetteront dans quelque lieu secret du logis un sachet plein de faux sel, et feront là-dessus procès-verbal, pour faire payer aux pauvres gens une grosse amende.... D'autres pendards empruntent une casaque d'archer, et sans commission ni mandement vont fourrager et voler cent paroisses ; lesquels seront avoués des grenetiers et des commis parce qu'ils en tirent profit[100].

Par contre, la contrebande sur le sel atteignait des proportions inimaginables ; les faux-saulniers étaient, malgré des répressions terribles, aussi nombreux qu'estimés. Cela se comprend quand un objet de première nécessité qui vaut au plus 16 livres dans le lieu de production, et 70 livres au milieu du royaume — y compris le port et le bénéfice des intermédiaires[101] — arrive à être vendu 2.112 livres par le gouvernement, la différence est trop forte, l'appât du gain est trop grand pour ne pas tenter un nombre infini de personnes. Celles-là même qui ne font pas directement la contrebande ont intérêt à ce qu'elle réussisse, et la favorisent de toutes leurs forces ; si bien que tout conspire contre le Trésor ; tout le monde se ligue pour battre eu brèche le recouvrement de l'impôt.

Sur les frontières des provinces rédimées on faisait de grands amas de sel que l'on revendait aux contribuables des pays de gabelles. Le fisc prétendait-il tenter des recherches dans les provinces exemptes, les parlements et présidiaux enjoignaient au peuple, par arrêts, de courir sus aux commis, capitaines, gardes, archers, préposés de toute sorte ; ils ordonnaient de les appréhender morts ou vifs comme perturbateurs du repos public[102]. Dans les pays de grandes gabelles, des bandes armées, à cheval, —de plus de cinquante hommes parfois, — entreprenaient ouvertement le faux-saulnage ; on chassait les officiers du sel des villes et bourgs où ils résidaient, on les empêchait d'y rentrer, on leur refusait des vivres. Des gouverneurs de place faisaient cause commune avec les fraudeurs, les meuniers et pontonniers les aidaient à passer les rivières ; il y avait des bateaux qui ne servaient pas à antre chose[103]. Tous les édits étaient impuissants ; en vain on infligea aux détenteurs de faux sel des peines à peu près aussi rigoureuses que s'ils avaient fait usage de fausse monnaie[104] ; en vain on édicta contre les faux-saulniers la peine de mort, les mettant de fait hors la loi, puisqu'on défendait aux cours souveraines de les recevoir en appel des premiers jugements. Ce qui rendait la contrebande plus hardie, c'est que les gentilshommes et les gens d'église s'en mêlaient, donnaient retraite, aide et confort aux faux-saulniers[105] ; c'était dans les châteaux, dans les abbayes, que le faux-sel était principalement déposé. Nos soldats, qui n'étaient pas trop bien payés, augmentaient leur solde par le commerce du sel non estampillé, et entre deux batailles livrées à l'ennemi, ils en livraient une aux archers de la gabelle[106].

On voit des provinces se soulever en masse contre l'impôt. Sept à huit mille séditieux, dont trois ou quatre mille armés, sont réunis en Angoumois, et leur fureur est venue à tel point qu'ils ont mis en pièces un pauvre chirurgien, le prenant pour un gabeleur ; il fallut de vieilles troupes pour en avoir raison[107]. Le nom de gabelle est si odieux, écrivait Richelieu aux membres du conseil, à la nouvelle d'un soulèvement de ce genre, provoqué par une surtaxe maladroite, toutes fois et quantes on en usera ainsy, on rappellera dans la mémoire des peuples tout ce qui les blesse[108]....

De ces révoltes armées et passagères le pouvoir avait facilement raison ; ce qu'il lui était moins aisé de réprimer, c'était la fraude secrète et permanente, qui revêtait cent formes ingénieuses : les barils de morue salée, les pots de beurre salé, dont la partie supérieure était seule occupée par le beurre ou la morue, et dont les trois autres quarts ne contenaient que du sel[109]. Ordre d'ouvrir les barils à la douane, et ce qu'il y aura de sel inutile sera jeté dans l'eau, comme immonde. Les pauvres gens, dans le voisinage des côtes, allaient querir de l'eau de mer, et s'en servaient pour saler leur potage, au risque de contracter des maladies. Ordre aux agents de casser les cruches, seilles, pots et autres vases qui contiendraient de l'eau de mer, laquelle est assimilée au faux sel. L'introduction .même en pays de gabelle d'une chair quelconque salée en pays exempt, est un empiétement coupable, une contrebande défendue. Ceux-là même qui étaient officiellement chargés de contrôler la perception de l'impôt profitaient de leur situation pour le frauder. Depuis les officiers des greniers et les trésoriers de France, qui prenaient une part dans les bénéfices du faux-saulnage, jusqu'aux collecteurs ruraux ou aux voituriers par eau, qui feignaient de faux naufrages, après lesquels les bateaux échoués pleins de sels ne se retrouvaient jamais que vides[110], trop de gens étaient attirés par l'espérance de s'enrichir, et garantis par une impunité relative, pour ne pas céder à la tentation. D'ailleurs, il y a danger pour l'État à recouvrer trop exactement la contribution, surtout à la frontière : les commis, quand ils pensent recevoir les deniers qui leur sont dus, ne trouvent plus d'habitants ; en certaines paroisses, ils ont emporté leurs meubles, abandonné leurs maisons, et viennent seulement, en cachette, exploiter leurs terres.

Maintenant si l'on veut savoir ce que les gabelles rapportaient à l'État, et ce qu'elles coûtaient aux contribuables, on verra que les chiffres des baux, additionnés, donnent un total de plus de 19 millions[111], payés par les fermiers, en 1639. A cette somme il faut joindre les bénéfices réalisés par ces mêmes fermiers dans leur entreprise, qui ne sont pas moindres de 25 pour 100, et les dépenses qu'ils devaient faire pour le recouvrement de l'impôt qui s'élèvent à 15 pour 100 environ[112] ; soit une somme de près de 7 millions et demi. Elle n'est nullement exagérée, si l'on songe aux difficultés de la perception, et aux fortunes colossales faites en si peu de temps par les Moisset[113], les Feydeau, les Choisy, et autres financiers qui eurent un pied dans la gabelle[114]. La part contributive d'un Français de 1639 soumis à l'impôt du sel est ainsi de 2 livres 7 sols, soit 14 francs de notre monnaie, tandis qu'elle n'est en 1882 que de 90 centimes environ[115].

Au contraire, les 16 millions de Français d'alors ne payaient en moyenne pour les autres contributions indirectes qu'une somme correspondante à 6 francs actuels ; tandis que la quote-part d'un Français d'aujourd'hui est de 33 francs[116] ; ceci prouve que le poids plus ou moins grand de l'impôt sur les particuliers ne tient pas autant au chiffre qu'il produit qu'à la nature de l'objet qu'il frappe et à la manière dont il est recouvré.

Il est certain que l'impôt des gabelles avait sur la consommation du sel, et par conséquent sur le bien-être de la population, une influence très-profonde, puisqu'on se contentait sous le règne de Louis XIII de 5 livres de sel par tête et par an, augmentées, il est vrai, par la contrebande, tandis qu'aujourd'hui on en mange 18[117].

 

 

 



[1] Dans le bail La Fosse (cinq grosses fermes), 3 février 1633, le Roi même est soumis au payement des aides.

[2] Le détail en serait long et sans intérêt. — Le clergé, les nobles, les officiers commensaux du Roi étaient exempts des droits, mais seulement pour le vin de leur cru. (Arrêts du Conseil d'État et de la Cour des aides, 11 mars 1634. Édit de septembre 1642.) Quelques-uns devaient seulement le droit de gros, d'autres le droit de détail, et pendant la moitié de l'année. — Le duc de Bouillon pouvait faire venir de France, en franchise, 200 muids de blé (à 1.728 litres le muid) et 800 muids de vin (à 288 litres le muid). — Les chevaliers de Malte ne payaient pas de douane pour les marchandises allant de chez nous dans leur île. — Les capitaines des galères étaient exempts des taxes sur le blé, pour la nourriture des forçats. — Quatre Suisses de la compagnie des Cent-Suisses peuvent faire entrer gratis 50 muids de vin chacun. — Le Parlement jouit du même privilège pour sa buvette ; les Chambres des comptes, Cour des aides et chancellerie peuvent approvisionner leur buvette dans les mêmes conditions jusqu'à 30 muids. (Arr. Cons. d'État, 4 août 1635.)  Les marchands privilégiés suivant la cour font entrer à Paris 10.000 muids francs et exempts. (Ar. Cons. d'État, 6 juillet 1634.) —Tours, Angers, Clermont et d'antres villes sont exemptes du droit de subvention sur les marchandises. (Plumitif, Chambre des comptes, P. 2757, 14.) Cf. Lettres patentes de juin 1624. — Édit de juin 1633, arrêt du Cons. d'État, 6 juillet 1641 ; de la Cour des aides, 13 décembre 1630, etc.

[3] Cette exemption fut abolie par l'édit de février 1624 ; mais en enregistrant l'édit, la Cour des aides biffa cette disposition, et maintint le privilège dans son intégrité.

[4] Déclaration du 30 janvier 1621.

[5] C'est là un fait positif, bien qu'il ait fourni matière à contestation entre plusieurs écrivains. Les uns prétendent que les droits dits de Traite foraine, Resve et Haut-Passage étaient seulement payables à la sortie ; les autres affirment qu'ils étaient dus à l'entrée en France comme à la sortie. Les premiers peuvent avoir raison dans le principe, bien qu'un édit de François Ier, en 1540, ordonne de payer ces droits à l'entrée et à la sortie, que le Guidon Général (les finances (éd. de 1644, p. 207) dise la même chose, ainsi que plusieurs baux des fermes et arrêts du Conseil. (Arrêt du Cons. d'État, 13 octobre 1639, bail Bailly, 1623, Plumitif de la Ch. des comptes, P. 2756, 343.) — Seulement nous ne voyons là qu'une dispute de mots, d'abord parce que (et c'est là le principal) il y a des droits d'entrée, épiceries, drogueries, etc., à payer pour introduire les marchandises dans l'intérieur des cinq grosses fermes ; ensuite parce qu'habituellement, dans les baux des fermes, dans les actes publics, ou entend par ce mot : la Foraine, l'ensemble des impôts, soit d'entrée, soit de sortie.

[6] La Bretagne ne payait d'impôt indirect que pour les vins, cidres, toiles et serges. (Cf. lettres patentes de mars 1626, et arrêt de la Cour des aides, 30 août 1630.)

[7] La douane de Lyon, dit Forbonnais, intéresse les deux tiers de notre commerce extérieur. Créée en 1563, elle était sous Louis XIII comprise dans le bail des cinq grosses fermes. — La douane de Valence était affermée séparément 210.000 livres (14 juillet 1629). Les marchandises qui entraient ou sortaient payaient deux fois, à Valence et à Lyon. Pour la commodité des marchands venant du Languedoc, celles qui ne passaient pas par Valence payaient à Lyon les deux douanes en même temps.

[8] Les aides de France comprenaient tous les droits de gros et de détail sur les boissons. (Cf. bail Bullot, 4 décembre 1641.) — Les cinq grosses fermes étaient les lignes de douanes générales, sauf le Midi. (Cf. le bail de Noël de Pars.) La Foraine du Languedoc était une ligne de douane circulaire autour du Languedoc et de la Provence.

Sous le nom générique de Foraine se cumulaient des taxes diverses, Rêve, Haut-Passage, Traite domaniale, Traite foraine proprement dite. Ainsi en Provence la Traite foraine exige d'un cheval 7 livres 10 sols, et d'un bœuf 2 livres 10 sols, taudis que la Domaniale perçoit sur le premier 1 livre 10 sols seulement, mais sur le second 4 livres. On voit qu'elles n'ont aucun rapport de proportionnalité.

[9] Telles étaient le denier Saint-André en Vivarais, les 45 sols de Peccais, la coutume de Bayonne, la traite d'Arzac (Gascogne), la ferme des ports de Bretagne, celle d'In3rande (sur la Loire, près d'Angers), celle de Brouage (près de Marennes), la douane de Calais, les impositions de Charente, la ferme de Picardie, etc., etc.

[10] Savoir : 1° et 2° l'emprunt et les rejets de l'emprunt ; 3° les subsistances ; 4° les droits d'amortissement ; 5° de notifications ; 6° de franc-aleu ; 7° décharge de l'arrière-ban ; 8° et 9° des aisés et sous-aisés ; 10° la subvention ; 11° les taxes du fonds des boutiques ; 12° les taxes des suppléments pour le bien engagé des ecclésiastiques ; 13° celle du clergé ; 14° celle des biens communaux ; 15° les levées des chevaux ; 16° des charrettes ; 17° des soldats ; 18° des fournitures d'avoine ; 19° des farines ; 20° du pain de munition ; 21° des étapes pour le passage des gens de guerre ; 22° des garnisons pendant les quartiers d'hiver. (Remontrances des trésoriers généraux de France à Paris, en 1643. — Mss. Joly de Fleury.)

[11] Arrêt du Conseil d'État, 30 août 1630. — A Paris, on remédia à cet inconvénient eu forçant les divers fermiers à faire recouvrer leurs droits par les mêmes commis ; autrement il y aurait eu à chaque porte15 bureaux d'octroi les uns à côté des autres. En pratique, les contrôleurs et receveurs des portes de Paris (au nombre de 36) étaient pavés simultanément par tous les fermiers, qui leur donnaient chacun l5 livres par mois. Les marchandises ne pouvaient entrer que par 13 bureaux : trois sur la Seine et dix aux portes. (Arrêt du Conseil d'État du 28 juin 1625 ; arrêt de la Cour des aides du 27 novembre 1631, édit de janvier 1635.) Les bureaux des fermes appartenaient souvent an foi, à la charge par le fermier de les entretenir.

[12] Mss. français, Bibliothèque nationale, 18510, fol. 193. — Ces péages étaient d'un bon rapport ; celui de Mantes était vendu, en 1551, 25.200 livres ; celui, de Meulan, en 1610, 125.900 livres. (Mss. Godefroy, 163.) Le dernier, uni à ceux de Montereau, Melun et Pont-sur-Yonne, était affermé 160.000 livres par an en 1630.

[13] Déclaration du 12 janvier 1633 (pour la Seine) ; déclaration d'octobre 1635 (pour la Charente et autres).

[14] Lettres et papiers d'État, t. I, p. 591. — Il y avait sur la Loire grand nombre de péages : celui du comte de Sancerre (M. de Bueil), dit Commanderie de l'ours (arrêt du Parlement, ter juillet 1628) ; celui des marchands, dit droit de Guètes, à Nevers, à Moulins, etc., si impopulaire qu'il fallut plusieurs arrêts pour obtenir de le percevoir malgré les municipalités. (Arrêt du Conseil d'État, 28 février 1631.)

[15] Ce droit passa aux Condé après l'exécution du dernier duc. Il était de 2 %. (Arrêt du Conseil d'État, 3 mars 1633.) Pour les droits sur les routes, cf. la déclaration du 1er février 1640, l'arrêt du Conseil du 12 février 1639.

[16] Arrêts du Parlement des 13 mars et 7 septembre 1620. TALLEMANT, Historiettes, t. III, p. 149, 157. — Arrêt de la amiable du trésor du palais de Paris, 14 décembre 1620.

[17] Montesquieu indique ainsi les bases d'une bonne imposition : Le nécessaire ne doit pas être taxé, l'utile doit l'être, le superflu doit l'être aussi, mais moins que l'utile, parce que la grandeur de la taxe empêche le superflu. (Esprit des lois, p. 293, édition Didot.)

[18] C'est pour cela qu'il n'est pas possible de déterminer d'une manière générale la quotité des tarifs, et de dire : les bestiaux payaient tant pour cent, les liquides tant, les tissus tant ; pour dire ce qu'une marchandise doit au fisc, il faut savoir non ce qu'elle est, mais d'où elle vient et où elle va, afin de calculer les lignes de douane et les péages qui séparent le vendeur de l'acheteur.

[19] Par une singulière bizarrerie, on avait établi des droits assez lourds sur l'entrée à Paris des bestiaux achetés dans un rayon de plus de vingt lieues, tandis que les animaux provenant de la zone la plus rapprochée de la capitale n'étaient soumis qu'au sou pour livre.

[20] C'est de cette absence de circulation qu'il faut surtout tenir compte. Ainsi, sur certaines routes, le fermier avait négligé d'entretenir des bureaux, u estimant que la dépense de perception excéderait la recette (Déclaration du 30 juin 1621.)

[21] DU PLESSIS DE LAUNAY, Mémoire sur les finances, présenté Louis XIV.

[22] Mss. français 18510, fol. 193. — Vers 1643, ces droits augmentèrent jusqu'à 4 sols 10 deniers pour livre, et excitèrent des plaintes. Il est vrai que les vendeurs jurés de poisson, fonctionnaires de l'État, allaient attendre cette denrée à Saint-Denis, et en vendaient une partie extra muros, au préjudice des droits du Roi, qu'ils étaient chargés de maintenir.

[23] Une pipe de quatre cents litres, venant des Charentes, coûtait dix-sept écus rendue en cave à Paris ; or le propriétaire ne l'avait sans doute pas vendue plus de six écus. (Lettres et papiers d'État, t. I, p. 53.)

[24] Déclaration du 1er août 1642 ; arrêt de la Cour des aides, 16 mars 1623 ; bail Bryois, avril 1628. Les aubergistes avaient droit à six litres par jour pour leur consommation ; tout le surplus payait le droit de détail.

[25] La taxe était établie comme aujourd’hui, sur la contenance, sans égard pour la valeur, et sans distinction de cru. Les contemporains se plaignaient déjà de cette inégalité, préjudiciable à ceux qui n'ont moyen acheter des vins excellents. — Les droits d'octroi étaient de 5 livres 10 sols à Paris, plus la traite foraine, les péages, etc. (Cf. État des finances, Mss. 4487, Bibliothèque de l'Arsenal, et collection Rondonneau, Lettres patentes du 2 novembre 1626, du 13 novembre 1637 : arrêt du 6 janvier 1638)

[26] Cf. Annuaire statistique de la France pour 1881 (ministère du commerce), p. 557. — Mss. 1428, fonds Joly de Fleury, Bibliothèque nationale, fol. 1 à 4. La population de Paris en 1637 serait de 400.000 âmes environ, la consommation en vin de 248.000 muids. Ce chiffre concorde avec les recettes des aides, où l'impôt de 10 sols est affermé 115.000 livres.

[27] Voyez le récit de cette émeute à l'Appendice.

[28] Édit du 10 mars 1631, révoquant le précédent.

[29] Édit du 10 mars 1631, révoquant le précédent.

[30] Il était préposé à la recette d'un droit sur les vins dit Convoi de Bordeaux. (Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 201 ; t. V, p. 567. — Arrêt du Conseil du 2 juillet 1631.)

[31] PONCHARTRAIN, Mémoires, p. 343.

[32] Louis XIII s'engageait pourtant ?t supprimer toutes les contributions directes nouvellement établies, rien n'y fit. — Il est vrai que les mêmes marchandises devaient payer la taxe autant de fois qu'elles étaient vendues, revendues et échangées. (Édit de novembre 1640.)

[33] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 858.

[34] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 856.

[35] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 883, 897. — Octobre 1641.

[36] D'autant plus que les marchands, pressurés par le fermier, pressuraient à leur tour le consommateur, et haussaient le prix de toutes choses. La main de papier valait 5 sols, avec le droit elle devait se vendre 5 sols 6 deniers, les marchands la vendirent 6 et 7 sols. (FORBONNAIS, Recherches.) Ce qui se vendait auparavant 50 sous, et qui aurait dû se vendre 52 sous et demi avec le droit, était subitement haussé jusqu'à 75 sous, témoin la toile de soie, les souliers et les bottes. (Lettres et papiers d'État, t. V, p. 428.)

[37] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 99, 822, 830. Les habitants, dit Richelieu lui-même, perdent le cœur et l'affection pour le Roi, le tout pour la satisfaction d'un partisan quelconque.

[38] Arrêt du Conseil d'État, 25 février 1643. — On le transforma en impôt direct : l'Équivalent. On fit payer aux villes, de ce chef, une bomme de 1.500.000 livres. (Voyez le chapitre précédent.) — Dans son Histoire des impôts sur la propriété et le revenu (p. 264), M. de Parieu parle de l'existence, en 1642, d'un impôt appelé 25e denier des revenus des biens du royaume, produisant 23.600.000 livres, mentionné dans un Ms. de 1740, appartenant aux Archives du ministère des finances, et donnant une carte abrégée des recettes de 1642. Comme le fait très-bien remarquer M. de l'arien, il y a sans doute une distraction du copiste, mais nous ne croyons pas que ce 25e denier puisse s'entendre de la subvention du 20e établie en 1640. Nous sommes fondé à croire qu'il s'agit plutôt de quelque avis de finance, comme on en trouve sans cesse dans les Mss. de l'époque, avec des évaluations plus ou moins sérieuses d'impôts projetés.

[39] La pancarte était le tableau affiché dans les bureaux de douane, contenant la nomenclature des objets soumis aux droits et le chiffre de leur taxe.

[40] Déclaration du 17 novembre 1629. — Le tabac de Saint-Christophe et de la Barbade était exempt.

[41] MONIER, Notes de l'Histoire des Français, t. VIII, p. 435. — FURETIÈRE (Roman bourgeois, t. II, p. 41) dit d'un homme que sa langue essuyait tous les jours la vapeur de six pipes de tabac.

[42] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 166. Chiffre probablement exagéré. Aujourd'hui, le produit des tabacs est porté au budget pour 322 millions.

[43] D'un sou par livre, et le bon sucre se vendait alors aux environs de 20 sous la livre. — A l'heure actuelle où le sucre ne coûte que 55 centimes la livre, l'impôt est de 20 centimes environ depuis 1880, et avant 1880, il était de 34 centimes, soit plus de 100 %.

[44] Déclaration du 12 octobre 1635. — Le droit fut alors réduit à 15 deniers par jeu. (TALLEMANT, t. X, p. 42.) En 1629, un sieur de Valles s'était rendu adjudicataire de cet impôt. — En 1638, d'après les Mémoires du président BIGOT DE MONVILLE, on donna les droits des cartes à la duchesse de Croy pour la rembourser d'un prêt qu'elle avait fait à l'État.

[45] MSS. français, 18510, fol. 195, Bibliothèque nationale. — Ce papegai ou papegault était un oiseau de bois ou de carton, servant de cible aux tireurs à l'arquebuse, à l'arc ou à l'arbalète. — A la Flèche et à Bennes, les Pères Jésuites, qui étaient adjudicataires de ce droit pour les élèves de leurs collèges, l'avaient payé 10.000 livres.

[46] J'ai peur, écrit Guy Patin en 1637, qu'enfin on ne mette de nouveaux impôts sur les gueux qui se chaufferont au soleil, et sur ceux qui p  dans la rue, comme fit Vespasien. (Lettres, t. I, p. 43.) Sous la régence d'Anne d'Autriche, fut établi le papier timbré (déjà connu en Espagne et en Hollande depuis 1636). Il y avait 9 valeurs différentes, de 1 sou à 10 livres pour les actes de 10 livres à 2.000 livres et au-dessus. Les marques du papier devaient dans le principe être renouvelées tous les ans. — Mss. français, 18510, fol. 179.

[47] Du nom de son second fermier. Le premier était un sieur Fournier, qui en donna 150.000 en 1638. Ces taxes furent englobées ensuite dans les cinq grosses fermes. — Il faut mentionner aussi le droit de 10 sous par cent livres de fer, et par cinquante livres d'acier. Il était assez lourd pour que les maîtres de forges fussent tentés de vendre en secret ces marchandises aux voituriers qui les venaient querir de nuit. Les commis du fermier étaient si souvent battus qu'ils ne voulaient plus retourner aux forges . On décida que l'impôt serait perçu sur la matière première.

[48] Le quart de muid d'eau-de-vie paye 6 livres à Rouen, 5 livres 5 sols à Conflans, 4 livres 10 sols à Paris. (Édit du 12 janvier 1633.)

[49] Les soies, qui payaient pour entrer en France 52 livres la balle, n'en payaient que 33 dans le comtat Venaissin. — Vers 1650, la traite foraine était de 16 deniers pour livre en Normandie, 20 en Bourgogne 23 en Champagne.

[50] En 1623, on affranchit le pastel des droits de sortie de Languedoc et Provence, pour favoriser la grande exportation de ces provinces.

[51] Déclaration du 31 août 1634.

[52] On y distingue les plumes d'autruche d'Orient, qui payent un droit, des plumes d'autruche d'Alexandrie, qui en payent un antre. (Cf. les tarifs de la douane de Lyon, 16 février 1633.)

[53] Cf. Mss. français, 18510, fol. 152. Les marchandises entrant à dos de mulet payaient à raison de trois quintaux par charge.

[54] Du 21 avril 1621. — On voit Jean de la Grange, adjudicataire des cinq grosses fermes, contraindre, sous le nom supposé de Claude du Jardin, et grâce à de faux huissiers, les habitants des campagnes au payement de certaines aides qu'ils ne devaient point. (Arrêt de la Cour des aides, 14 nov. 1620.) — Le fermier général de Provence et Languedoc fait lever à main armée et à discrétion toutes sortes de prétendus droits forains sur les marchandises. (Arrêt de la Chambre des comptes de Montpellier, 28 août 1639.) — Les commis imposent de leur propre autorité un droit d'entrée en France de 2 % sur les pierreries, et veulent obliger les marchands à le payer pour tous les bijoux qu'ils ont introduits pendant les sept années précédentes. (Arrêt de la Cour des aides, 24 nov. 1627. — Autres arrêts du Parlement, 15 avril 1631, et de la Cour des aides, 21 février 1620. Cf. aussi la Dîme royale de Vauban, pour la fin du dix-septième siècle.)

[55] Arrêt du Conseil d'État, 6 mars 1630. — Cf. FORBONNAIS, Recherches et Considérations.

[56] Richesse des nations, liv. V, chap. II. — En Italie, presque toutes les contributions indirectes sont encore affermées.

[57] Faute de déclaration du vin : confiscation, et 100 livres d'amende. (Règlement de la Cour des aides, 18 janvier 1620. — Régie des aides de Lagny.)

[58] Guidon général des finances, et Bail de François Chandonnay, 1er octobre 1634. — Les commis des fermiers étaient de vrais agents d'État. Nous voyons les gardes de la Foraine arrêter près de Narbonne un capitaine espagnol qui reconnaissait le pays sous un déguisement. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 573.)

[59] Tous les baux constatent ce droit. — (Bail du 5 juin 1627, bail Chandonnay du 1er octobre 1634, etc.) Les trésoriers de France et les élus étaient seuls exceptés.

[60] Édits de décembre 1632, décembre 1633 et mai 1625.

[61] Au dix-huitième siècle, les fermiers payaient une somme fixe pour le bail, le surplus des bénéfices était partagé entre le gouvernement et la ferme, déduction faite des frais de régie, déterminés à l'avance d'un commun accord.

[62] Les États au vrai, ou comptes de clerc à maître, selon l'expression alors usitée, sont extrêmement rares à cette époque. (Arrêt du conseil d'État, 18 février 1624.) Les fermiers ne demandaient à compter avec le Trésor que dans le cas où ils n'avaient pas gagné tout ce qu'ils espéraient.

[63] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 211. — Édit de mai 1635. Mss. français, 18510, fol. 9. Traité des aides, tailles, de DU CROS ; Bail Bailly, du 11 mars 1623. Les ducs de Longueville et de Bouillon étaient propriétaires de certaines aides par engagement. La comtesse de Soissons en avait aussi plusieurs ; si l'on cherchait à les rembourser, ils s'écriaient qu'on voulait les déposséder. (Arrêt de la Cour des aides, 16 octobre 1630.)

[64] Les cinq grosses fermes rapportent 995.000 livres en 1611 ; 2.600.000 livres en 1635 ; 3.100.000 livres en 1639.

[65] TALLEMANT, t. II, p. 36. — Les fermiers sous-louaient à d'autres avec bénéfice une portion de l'impôt dont ils s'étaient rendus adjudicataires. Bryois cède le choit de 5 pour 100 sus la draperie à Paris, pour 20.000 livres par an (septembre 1628) ; le même à Soissons pour 2.500 livres (1er octobre 1628) ; les aides des élections de Falaise, Caen, Bayeux, pour 87.000 livres (20 novembre 1628).

[66] En 1638, le Roi avait accordé depuis le commencement de la guerre plus de 4 millions de remises au fermier. (Déclaration du 24 avril 1638.) — Feydeau obtint en 1621 une diminution de 300.000 livres sur sa ferme. (Chambre des comptes, Plumitif, P. 2,757, 160.) — En 1639, le Roi fait mettre les scellés chez un fermier défunt pour sûretés des grandes sommes du deniers dont il était débiteur envers lui. — Arrêt du conseil d'État, 5 janvier 1640. — Cf. les arrêts, E 784, janvier 1624, et suiv.

[67] Ils se fournissaient auparavant aux salins d'Evice. (Arrêt du conseil d'État, 4 avril 1637.) Les villes d'Aigues-Mortes et de Peccais, importantes par ce trafic, appartenaient au maréchal de Chatillon, qui les vendit au Roi en 1622. (BRIENNE, Mémoires, p. 25.)

[68] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 447. Nous aurions pu payer aux cantons suisses leur pension, en sel, ce qui eût évité de laisser sortir notre argent.

[69] RICHELIEU, Mémoires, t. I p. 439, 447 ; Lettres et papiers d'État, t. II, p. 490. — Il parait que le sel d'Espagne était trop acre et consommait les chairs ; celui de France ne l'était pas assez, et ne suffisait pas dans les voyages de long cours pour empêcher les viandes de se corrompre, mais l'un et l'autre mêlés ensemble sont tels qu'on les peut désirer. Aujourd'hui encore, notre exportation atteint 120 à 150 millions de kilos. L'industrie du sel a d'ailleurs été modifiée sensiblement par la découverte des mines de sel gemme qui fournissent à la moitié de la consommation.

[70] On disait à l'origine les gabelles sur le sel, on finit par dire les gabelles tout court. En Italie, gabella signifie encore douane, impôt ; gabellare, payer les impôts. — Il y avait au dix-septième siècle en plusieurs pays d'Europe des gabelles sur le sel.

[71] Édit de juin 1627. Ordonnance de janvier 1639. Une déclaration du 6 mai 1633 réduisit encore les privilèges existants.

[72] Arrêt du conseil d'Etat des 21 septembre 1630 et 26 février 1632. — Déclaration du 2 mars t633. — Lettres patentes de juin 1621. — Ce droit consistait en un minot de sel (48 litres), vendu seulement 16 livres. Quelques officiers des greniers à sel avaient la même quantité en franc-salé, c'est-à-dire pour rien.

[73] Mss. Godefroy, CXXXVI, 14.8. Affranchie par Lettres patentes de 1557, moyennant un impôt annuel de 14,400 livres, appelé l'équivalent du sel. En 1641, on voulut astreindre au sel d'impôt une partie de l'Auvergne. Un mémoire du temps affirme que les provinces exemptes de à gabelle payent le double de tailles de leurs voisines, sujettes au sel, se pouvant vérifier, dit-il, que de deux villages, égaux en moyens, l'un du Bourbonnais et l'antre d'Auvergne, celui du Bourbonnais porte de taille 1.000 livres, celui d'Auvergne en porte 2.000 livres, voire plus haut Cette assertion ne nous a paru nullement justifiée.

[74] Tous se sont rachetés par un versement unique fait en 1553, sous Henri II.

[75] Témoin celui que la Reine Marguerite avait en Guyenne, et qu'elle abandonna en 1614. Elle disait à ce propos qu'elle serait toujours dessalée en semblables sujets qui concernaient l'intérêt du peuple, mais qu'elle serait salée contre ceux qui entreprendraient sur l'autorité du Roy. (RAPINE, Relation des États généraux, p. 186.)

[76] Déclaration du 17 mars 1627, et Lettres et papiers d'État, t. I V, p.191.

[77] Des 72 départements compris dans la France de 1640, on en compte 23 où la gabelle n'existait pas.

[78] Lettres et papiers d'État, p. 638. Afin, dit le ministre, qu'ils n'aient pas sujets d'être si mécontents qu'ils sont.

[79] A Montreuil en Picardie, dans le duché de Châtellerault, règlement 12 janvier 1645. Pour y acheter du sel, il fallait être porteur d'un certificat de domicile, délivré par son curé.

[80] Règlement du 21 octobre 1624. — Dans les vicomtés de Coutances, Saint-Lô, Avranches, Vire. (Cf. DE BEAUREPAIRE, États de Normandie, t. I, p. 161 ; t. III, p. 31.)

[81] Des 287 greniers existant en France, 95 étaient de sel d'impôt, 192 de vente volontaire.

[82] L'ambassadeur de Venise approuve le système des greniers d'impôts, qui, dit-il, ben sarebbe da imitarsi, e darebbe grande utile.... ; mais il ajoute : Si sono grossamente accresciute le imposte del sale, senza riguardo allo stridore del popolo, incapace di sopportare l'aggravio. (Relazionni, Francia, t. II, p. 343.) En 1638.

[83] Mallet dit : Il est presque aussi inégal qu'il y a de provinces dans le royaume. La déclaration de décembre 1630 porte que les impôts levés dans les greniers du ressort de la Cour des aides de Paris étaient bien plus grands qu'aux autres provinces.

[84] H. TAINE, la Révolution, p. 356. — Procès-verbaux de l'Assemblée nationale, 24 octobre 1789.

[85] Ms. 4060, Bibliothèque de l'Arsenal. — La Quintessence en forme d'abrégé de toutes les finances évalue le sel à 2,160 livres le muid. D'après Leber, le muid aurait valu 2.016 livres vers l'année 1691. Mais il faut tenir compte de l'abaissement du poids de la livre-monnaie depuis 1639.

[86] Le muid de sel était une mesure de capacité idéale, contenant 2.304 livres et pesant 4.600 livres environ. Le muid se subdivisait en 12 setiers, 48 mines et 192 boisseaux, dont chacun contenait 12 de nos litres actuels.

[87] Lettre d'un gentilhomme vendômois en 1624 (plaquette ; Bibliothèque nationale). En 1630, le muid coûtait 825 livres ; d'après l'édit de septembre 1634, il aurait coûté 1.182 livres à Paris, mais le même édit constate formellement qu'il valait dès cette époque 1.728 livres dans les campagnes. Un règlement du 12 mars 1636 ordonne de ne pas vendre la livre de sel au grenier de Paris plus de 5 sols 10 deniers ; mais une déclaration de décembre 1636 l'augmenta de 4 livres par minot, et un édit d'avril 1638 de 4 nouvelles livres par minot, ce qui le porte à la somme donnée plus haut.

[88] Supprimés et rétablis aussitôt en février 1648. — Ils avaient le demi-parisis du prix de la vente, et le peuple était bien forcé de s'adresser à eux, puisque les greniers à sel ne vendaient pas moins d'un boisseau ou 24 livres de sel à la fois.

[89] Arrêt de la Cour des comptes de Normandie, 4 septembre 1632. (BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 230.)

[90] R. DE BEAUREPAIRE, États de Normandie, t. I, p. 150. Il existe encore en quelques vieux châteaux des fauteuils dont le siège cache une caisse, où le propriétaire mettait sa provision de sel ; fauteuil où il s'asseyait habituellement, sûr ainsi qu'on ne lui déroberait pas ce précieux condiment.

[91] Édit de juin 1622 ; les receveurs des gabelles avaient 600 livres de gages ; les contrôleurs, 300 ; les grainetiers, 250 ; les palayeurs, mesureurs et porte-cabas, 40 ; les gardes particuliers, 20. — Mais ils y joignaient des droits considérables, pour mesurer et porter le sel, tendre le sac où sera mis le sel, le tirer hors du grenier, et le délivrer à l'acheteur. (Édits du 15 janvier 1622, de mai 1635 ; arrêts de la Cour des aides, 17 sept. 1620, 25 janvier 1634, Mss. Godefroy, CXXX, 393.)

[92] Simple arbitrage au début, le grenier à sel était devenu tribunal véritable, avec avocats, procureurs et greffiers pour la justice. (Cf. édit d'avril 1630.)

[93] Arrêts du Conseil d'État des 4, février 1623 et 24 octobre 1626.

[94] Il était tenu de se servir exclusivement de matelots français pour le transport du sel, et comme notre fret était plus cher, il recevait une indemnité de l'État. — Il arrivait assez souvent que les greniers éloignés de la nier manquaient de sel. Les villes situées sur le passage des bateaux l'accaparaient pour leur consommation. (Arrêt du Conseil d'État. 8 juin 1629.)

[95] RAPINE, Relation des États de 1614, p. 103.

[96] Cahiers des États de Normandie, t. I, p. 184.

[97] Édits de janvier 1622 et de septembre 1634. On fraudait aussi sur les mesures. (Édit de déc. 1633.)

[98] Arrêts du Conseil d'État des 20 avril 1634, 22 septembre 1625, etc. — Cette question du pot et salière remplit pendant deux siècles les annales des tribunaux financiers.

[99] Mss. Godefroy, CCLXXX, 67. — Remontrances de la Bresse (1649). Le sel aurait dû être déposé dans les greniers six mois avant d'être mis en vente. (Arrêt du Conseil d'État, 22 avril 1623.)

[100] LA LOURCÉ et DUVAL, Recueil sur les États généraux, t. XVI, p. 247.

[101] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 738. (En 1627.) — En 1691, un mémoire sur les finances présenté à Louis XIV donne des chiffres qui concordent avec ceux de Richelieu. (Cf. Appréciation de la fortune privée au moyen âge, par LEDER, p. 283.)

[102] Ordonnance de janvier 1639.

[103] Arrêt du Conseil d'État, 9 mars 1623.

[104] Le bannissement, la flétrissure, le fouet, sans parler d'une amende de 100 à 1.000 livres ; à la récidive, les galères.

[105] Et s'intéressaient, dit l'Ordonnance de janvier 1630, dans ce trafic sordide, déshonnête et indigne de leur condition.

[106] PONTIS, Mémoires, p. 601. Le Roi en rit avec Pontis et dit : Je ne les empêcherai pas d'être faux-saulniers ; mais s'ils sont pris par la justice, je ne les empêcherai pas aussi d'être pendus.

[107] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 485.

[108] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 405. — Cf. Archives des affaires étrangères, 834, fol. 16 et 41. Lettres de Séguier et Bullion. — Il est étrange que dans ces conditions, Richelieu ait conseillé dans son Testament politique l'augmentation des gabelles.

[109] Le sel coûtait bien plus cher que la morue ou le beurre.

[110] Arrêts du Conseil d'État, 13 février 1633, 17 décembre 1636, décembre 1637. Ord. de janvier 1639.

[111] 19.267.000 livres, dont 14.077.000 pour les généralités de Paris, Rouen, Caen, Alençon, Orléans, Toms, Moulins, Bourges, Soissons, Amiens, Chatons et Dijon ; — 3.600.000 livres pour Lyon, Montpellier, Toulouse ; 1.590.000 livres pour Aix et Grenoble. (Déduction faite de la douane de Valence.)

[112] Ce sont là des évaluations approximatives, car personne ne savait exactement ce que gagnaient les fermiers sous Louis XIII. (Seulement les remises, quand elles étaient spécifiées à l'avance, étaient de 25 010 au minimum.) Le Roi chercha vainement à se rendre compte de la quantité de sel vendue annuellement en ses greniers ; les officiers refusaient d'envoyer les états de la vente, ou envoyaient des états informes. (Arrêts du Conseil d'État des 6 octobre 1627, 21 septembre 1630, 9 mars 1633. — Attache des trésoriers de France, 4 septembre 1620.) On garantissait à Flamel, fermier des grandes gabelles, la vente de 10,225 muids par an, qui, à 2.112 livres le muid, feraient plus de 25 millions ; or il n'en payait guère plus de 14 ; mais on sait que le muid de sel ne se vendait pas au même prix partout.

Letrosne avance, au dix-huitième siècle, que pour 30 millions que l'État retire des aides, le peuple en paye 60 millions ; il ajoute que le préjudice causé an développement de la richesse nationale est de 80 millions ; cela ne nous semble pas sérieux, surtout à l'époque où Letrosne écrivait. Les fermiers généraux comptaient alors de clerc à maître avec le Roi.

[113] Jean de Moisset, dit Montauban, célèbre partisan. (Cf. TALLEMANT, t. I, p. 204.) Sous le maréchal d'Ancre, Moisset eut un procès pour avoir voulu faire un miroir enchanté propre à donner de l'amour. (Mémoires de d'Estrées et de Pontchartrain, p. 462.) Il fut mis à la conciergerie et délivré à l'avènement de Luynes. Le Roi lui cria en l'apercevant au Louvre : Moisset, Moisset, on ne fera plus ton procès. Moisset avait commencé par être tailleur ; Richelieu l'appelle dans ses Mémoires un homme fort déréglé en ses lubricités, mais ces accusations ne sont nullement prouvées. Ce fut Moisset qui bâtit le château de Ruel. Il fut l'amant, dit-on, de la duchesse de Villars. Nous voyons en 1627, dans le Plumitif de la Chambre des comptes, qu'il fait légitimer un fils naturel nommé Jean comme lui.

[114] Un des fermiers des gabelles fit bâtir un palais au Marais ; on l'appelait l'hôtel salé ; Jodclet, l'acteur, lui dit qu'il ne devait pas oublier de mettre parmi les statues de sa galerie celle de la femme de Loth. (TALLEMANT, t. IV, p. 229.)

[115] En 1639, 26 millions de livres, divisés par 11 millions d'âmes, donnent 2 livres 7 sous X 6 = 14 fr. 10 cent. — En 1882, 33 millions de francs divisés par 37 millions d'âmes donnent 0,89 cent.

[116] 12 millions environ, plus 40 % de frais et bénéfices, = 16.800.000 livres, soit 1 livre par tête, x par 6. — Aujourd'hui, 1.227.000.000 de francs (pour les douanes et les contributions indirectes, moins le sel) divisés par 37 millions d'âmes.

[117] Le maréchal d'Effiat donne en 1626 le chiffre de 12.500 muids. Nous savons d'autre part que les grandes gabelles montent à 10.225 muids, que les gabelles de Lyonnais et Languedoc sont comptées pour 1332 ; il resterait un millier de muids pour la Provence et le Dauphiné, ce qui parait vraisemblable. Donc 12.500 muids x 4.600 livres de poids = 57.530.000 à diviser par 11 millions. (Nous ne savons ce qui se consommait dans les pays exempts.) — En 1882, 333 millions de kilos de sel destinés à l'alimentation ont payé l'impôt.