RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE III. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE.

LES FINANCES.

CHAPITRE PREMIER. — LA VALEUR MONÉTAIRE ET LE POUVOIR DE L'ARGENT.

 

 

I

Opinion des hommes d'État sur la monnaie, au dix-septième siècle. — On lui croit une valeur absolue. — Rapport de l'or avec l'argent. — La livre-monnaie. — Les monnaies étrangères circulant en France ; il y en a quarante. — La fausse monnaie, industrie très-répandue. — La pierre philosophale ; idées de l'époque à ce sujet. — La fabrication régulière, ses défauts ; tolérances de titres et de poids. — Le rognage des monnaies. — Création du louis d'or.

 

A l'histoire des finances, l'étude de la monnaie sert d'introduction naturelle. Un chiffre du temps passé n'a d'intérêt pour nous qu'autant que nous connaissons sa valeur correspondante dans le temps présent[1].

Tout le monde est aujourd'hui d'accord pour reconnaître que la monnaie n'est qu'une marchandise plus portative qu'une autre, estimée moins sujette aux variations, et que l'on fractionne par petites portions, chacune d'un prix fixe et déterminé. Cela tend à faciliter les transactions, puisque la valeur de toutes les autres marchandises est évaluée comparativement à celle-là, et qu'une marchandise est plus ou moins chère, selon qu'elle correspond à une quantité plus ou moins grande de marchandise-monnaie. La valeur des métaux précieux (or et argent) est donc relative aux autres marchandises. Quand cette valeur baisse, ou dit que l'ensemble des marchandises augmente, c'est-à-dire que la même quantité d'or ou d'argent ne procure plus qu'une quantité moindre de marchandises ; quand cette valeur augmente par rapport à une marchandise, on dit que cette marchandise diminue.

Le prix de la vie devrait donc diminuer quand les métaux précieux augmentent et renchérir quand ils diminuent, puisque le gramme d'or ou d'argent n'équivaut plus, dans ce second cas, qu'à une quantité de marchandises moindre qu'auparavant.

Il n'en est pas ainsi cependant  En effet, si nous comparons les chiffres du début du dix-septième siècle avec ceux de 1640, nous constatons une augmentation simultanée de l'or, de l'argent et de toutes les autres marchandises. Nous voyous qu'en 1602, par exemple, le marc d'or (245 grammes) était à 240 livres, et le marc d'argent à 20 livres 5 sols ; tandis qu'en 1636 le marc d'or s'est élevé à 384 livres, et le marc d'argent à 26 livres 10 sols ; soit pour l'or une augmentation de 60 pour 100, et pour l'argent une plus-value de près de 33 pour 100 pour une période de trente-quatre ans environ. Cependant les autres marchandises n'ont pas cessé d'augmenter de prix durant cet espace de temps et pendant les années suivantes dans des proportions moindres peut-être que celles de l'or, mais certainement plus élevées que celles de l'argent.

Ce phénomène semble donner tort à la théorie que nous exposions plus haut, puisque le prix des métaux précieux augmentait en même temps que leur pouvoir baissait ; l'explication en est fort simple[2].

Quand la valeur nominale des métaux, or ou argent, vient à changer, c'est toujours par rapport l'un à l'autre, jamais par rapport aux marchandises. Quand l'argent baisse de prix en francs, c'est par rapport à l'or ; quand le même poids d'or se négocie pour un chiffre de francs plus élevé, c'est uniquement par rapport à l'argent. D'où l'on est amené à conclure que si tous les pays du monde adoptaient l'étalon unique d'or, l'or ne varierait plus et demeurerait éternellement stationnaire comme prix, même si l'on venait à découvrir des mines nouvelles et abondantes. Il n'aurait plus la même valeur commerciale par rapport aux autres marchandises, et ce serait tout. Quand au prix du kilogramme d’or, il serait éternellement le même en francs et en centime

La connaissance de la valeur relative des métaux précieux est encore assez nouvelle dans notre pays. Nul ne doutait, à l'époque dont nous nous occupons, que l'or et l'argent n'eussent une valeur absolue l'un et l'autre et l'un par rapport à l'autre ; que cette valeur et ce rapport ne pussent être fixés par un acte de la puissance royale, et que le Roi ne fût le maitre de la monnaie et de la valeur monétaire comme d'une portion de son domaine. Montesquieu allait jusqu'à prétendre que l'or et l'argent étaient une richesse de fiction on de signe... que l'argent était le signe des marchandises, comme le papier était le signe de la valeur de l'argent[3]. Non content de dénier à l'or et à l'argent leur caractère de marchandises, il essayait de déterminer le rapport d'un métal à l'autre par une mesure législative.

C'est à ce dernier objet que se réduisent les préoccupations monétaires du gouvernement de Louis XIII. Il se regardait comme intéressé à maintenir un certain rapport entre l'or et l'argent ; il tenta de prescrire la baisse et de ramener le métal à son cours ancien, et se voyant impuissant contre le mouvement commercial, qu'il traitait de coupable et de factieux, il crut atteindre sou but eu élevant le cours de l'argent, de manière à rétablir entre les deux métaux le rapport qui lui paraissait nécessaire, ou, comme on le disait non sans naïveté, le juste rapport[4].

L'or seul augmentait naturellement par rapport à l'argent et aux marchandises. Eu faisant une hausse artificielle de l'argent, le gouvernement n'obtint d'autre résultat que de provoquer une hausse de toutes les autres marchandises, parce que le commerce s'obstina à estimer, en 1640, le rapport de l'or à l'argent, non plus à 11.85 comme en 1615, ou à 12.80 comme en 1630, mais à 14.76, et qu'il continua à donner la même quantité de marchandises pour le même poids d'or, tandis qu'il exigeait un poids d'argent plus considérable, ou, si l'on veut, un plus grand nombre de livres.

Pour l'intelligence du système monétaire de l'ancien régime, il faut se souvenir qu'il n'y avait pas, à proprement parler, d'unité monétaire dans le sens que nous attachons à ce mot ; qu'il n'existait rien d'analogue à ce que nous voyons aujourd'hui, où cinq grammes d'argent, au titre de 9/10e, constituent l'unité monétaire sous le nom de franc.

La livre était, à la vérité, la monnaie de compte ; mais une livre ne correspondait pas à un poids d'argent fixe et immuable, si bien que la livre de Charlemagne, qui a sans doute pesé 490 grammes, en était venue, au moment de la Révolution, à ne plus peser que la 87e partie de son poids primitif[5].

Frappé des variations constantes de la livre pal, suite du nombre de plus en plus grand que les rois en taillaient dans un marc d'argent, Henri III avait voulu retirer à cette monnaie le privilège dont elle avait joui jusqu'alors, de servir de base aux évaluations et aux calculs en numéraire[6].

Il fit frapper l'écu sol, et ordonna qu'on ne compterait plus que par écu. Mais au lieu de définir le nouvel écu : une pièce d'or pesant 2 deniers 15 grains (3 grammes 33 centigrammes), il la définit : une pièce d'or valant trois livres d'argent. Or, s'il est au pouvoir d'un gouvernement de décider qu'une pièce de monnaie aura toujours le même poids, il ne lui est pas donné de prescrire qu'elle aura toujours la même valeur, surtout quand on évalue en monnaie d'argent la valeur d'une pièce de monnaie d'or.

Si l'ordonnance eût été exécutée, on eût dit désormais de la livre qu'elle valait un tiers, un quart, un cinquième d'écu, ou plutôt ou n'eût plus parlé de livres ; mais l'usage persista de s'en servir, et de dire : l'écu vaut 3 livres 10 sols, 4 livres, ou 4 livres 10 sols, évaluant ainsi les écus en livres, et non les livres en écus.

Ce système vicieux eut les conséquences qu'on en devait attendre. L'écu d'or valait encore 3 livres en 1602, parce que, à cette époque, le nombre de grammes d'or dont il était composé équivalait à 3 livres d'argent ; mais l'augmentation de l'or eut pour conséquence naturelle de déranger l'équilibre. Eu 1636, l'écu d'or, qui s'était successivement élevé avec le prix du marc d'or, valait 4 livres 14 sols, soit une augmentation de plus de moitié. Il est vrai que, pendant le même temps, le marc à argent s'était élevé de 20 à 26 livres 10 sols ; mais cette augmentation était tout à fait factice, parce que la livre diminuait de poids à mesure que le mare augmentait de prix.

Ainsi, l'augmentation du marc d'or et de l'écu d'or était réelle, parce qu'il y avait toujours 72 écus ½ au marc, comme au siècle précédent ; tandis que l'augmentation du marc d'argent n'était qu'apparente, parce que la meule quantité d'argent représentait 25 et 26 livres ½, au lieu de 20.

Le renchérissement de l'argent et celui des autres marchandises sont donc la suite du changement du rapport de l'or à l'argent, par l'augmentation de l'or[7].

Décrire les causes multiples de ce dernier fait nous entraînerait hors du cadre de ce travail. Michel Chevalier a très-bien montré comment, à la fin du quinzième siècle, l'Europe ne possédait plus qu'une petite fraction de la masse d'or et d'argent qu'elle avait eue sous les Romains[8]. Aussitôt après la découverte de l'Amérique, les mines d'or furent exploitées en grande abondance et avec un succès prodigieux. Il en résulta une baisse énorme de ce métal. Ce ne fut qu'en 1545 que furent découvertes les proverbiales mines d'argent du Potosi. On se fera une idée de la quantité de métaux qui en firent extraits, lorsqu'on saura que, trente ans plus tard, ces mines donnaient annuellement 300.000 kilos d'argent, production plus de dix fois supérieure à celle de l'Europe entière. L'argent baissa à son tour, ou plutôt l'or prit un mouvement ascensionnel de plus en plus marqué, au début du dix-septième siècle.

Le développement de la civilisation, la généralisation du luxe, les besoins métalliques de contrées nouvellement policées, telles que la Russie et le nord de l'Allemagne, contribuèrent à cette augmentation. Il convient également de tenir compte du besoin de monnaie, grandissant chaque jour pour les mêmes transactions, puisque l'ancienne quantité de métaux devenait insuffisante, à mesure que leur valeur diminuait.

Cette diminution de pouvoir de l'argent, ainsi qu'on appelle la valeur commerciale des métaux précieux, n'était pas ce qui préoccupait le plus les ministres de Louis XIII ; s'ils s'en inquiétaient, c'était pour maintenir ce rapport tant cherché entre les deux métaux, que du reste ils ne trouvèrent pas, par cette bonne raison qu'il n'existait pas plus alors qu'aujourd'hui.

Le règne de Louis XIII se passe ainsi en tâtonnements infructueux et en essais malheureux pour empêcher l'or de monter. Cette hausse semble illégale au souverain ; il est étonné, et ne comprend pas comment son peuple se ligue pour lui désobéir. Les ordonnances se succèdent, se contredisent ; les parlements, les cours des monnaies s'en mêlent ; tout le monde légifère à la fois, et la confusion augmente[9]. Les marchands sont obligés de frauder les lois pour suivre le cours des métaux, que le Roi appelle un cours abusif. Il y a en même temps un cours légal et un cours commercial, seul véritable, différents l'un de l'autre. Puis le Trésor se reconnaît impuissant, il change de lactique ; il avait essayé de faire des bénéfices en imposant le cours légal, il espère en faire encore en acceptant le cours commercial. Il échoue dans ces deux tentatives.

Les difficultés monétaires ne provenaient pas seulement du prix des métaux précieux et de leur rapport entre eux ; outre les monnaies françaises frappées à l'effigie du Roi, on voyait circuler dans le royaume un grand nombre de monnaies étrangères, jouissant du cours légal depuis le règne de Henri IV. La principale était la pistole d'Espagne, qui ne cessa d'avoir cours en France qu'en 1689. Sous Louis XIII, on se servait aussi couramment de pistoles que d'écus. L'usage même de ce terme s'est conservé jusqu'à nos jours, et bien qu'il n'y ait jamais eu de pistoles françaises, on voit encore certaines provinces, comme la Normandie, où les campagnards dans leurs marchés ne comptent encore que par pistoles.

A côté de la pistole d'Espagne figuraient d'autres pistoles, d'un titre et d'un poids inférieurs, frappées par les princes d'Italie à Parme, Milan, Florence, Gènes, Venise et Lucques ; celles de Liège, celles du duc de Savoie et du duc de Lorraine[10]. On se servait aussi des doubles ducats de Portugal ou d'Espagne, des albertus et des royaux d'or de Flandre, des riddes des Provinces-Unies. L'Angleterre nous envoyait ses nobles à la rose, ses angelots et ses jacobus. Il n'était pas jusqu'aux ducats de Bohème, de Hongrie ou de Pologne, qui ne figurassent dans un payement de quelque importance. Il en était de même des pièces d'argent, et l'édit du mois de mars 1636 énumère jusqu'à trente-huit monnaies étrangères, ayant cours de fait ou de droit.

Nos propres monnaies n'étaient pas identiques dans tout le royaume. Les rois, quand ils prenaient possession d'une nouvelle province, n'y introduisaient pas tout d'abord Imre espèces ordinaires. Ils en faisaient fabriquer de spéciales pour leur nouvelle conquête ; c'était une façon d'affirmer leur autorité. Louis XIII agit ainsi en Catalogne, où il fit frapper en 1640 des pièces à son effigie, avec le titre de comte de Barcelone[11].

Pour certains petits princes nos voisins, l'émission de la monnaie était une source de revenu plus ou moins honnête, à laquelle ils avaient sans cesse recours. Dans la principauté de Dombes[12], où l'on battait monnaie au nom de mademoiselle de Montpensier, on se livrait sans mesure à la fabrication du billon, parce qu'elle procurait un énorme bénéfice. Ces sols et ces doubles inondaient le royaume, et la cour dés monnaies essaya plusieurs fois d'en prohiber la circulation[13].

Il en était de même dans les principautés de Sedan (au duc de Bouillon), d'Henrichemont (au duc de Sully), d'Orange (au comte de Nassau), et dans le comtat d'Avignon, qui relevait du Pape. Ces souverainetés minuscules, dont le territoire infime ne pouvait absorber qu'une très-petite quantité de métal, servaient de prétexte à leurs possesseurs pour la confection d'une véritable fausse monnaie. Les doubles et les deniers qui provenaient de ces diverses principautés furent décriés en 1636 à cause de leur trop grand nombre.

Si ces fabriques, disait-on, continuent de travailler comme par le passé, il est sans aucun doute que les provinces de ce royaume s'en trouveront remplies, pour plus grande somme qu'il ne se trouve en icelles de monnaie d'argent. Ce billon, qui ressemblait par la forme à la monnaie du Roi, était du reste si défectueux, que la Cour des monnaies attribuait le surhaussement de l'or et de l'argent au désir que l'on avait de se délivrer de la trop grande quantité de ces doubles[14].

On juge si la multiplicité de monnaies assez grossières en général, de provenance, de titre, de poids variant à l'infini, était favorable à la fraude. Des pièces de même nom différaient de valeur selon leur pays d'origine[15]. Le rapport de toutes ces pièces entre elles et avec les pièces françaises était difficile à établir. Il fallait, pour n'être point dupe dans un marché, opérer avec une balance d'une main, et un tableau comparatif de l'autre. De plus, ces diverses monnaies augmentant sans cesse dans la même proportion que l'or, on devait renouveler constamment des calculs longs et compliqués, sous peine de s'exposer à des pertes notables[16].

Dans ces conditions, l'altération de la monnaie offrait trop de bénéfices, et se pratiquait avec trop de sécurité, pour ne pas trouver un grand nombre d'amateurs. Aussi la fausse monnaie devint-elle le passe-temps ordinaire de beaucoup de gens considérables et besogneux, qui cherchaient un bon alliage, un bon tiercelet, selon le mot du temps. Celui que vous pensez qui s'en soit fuy au désert, dit Balzac, pour vacquer à la contemplation avec moins de divertissement, y est allé peut-être pour faire la fausse monnaie avec plus de sûreté[17].

On dit assez couramment de tel ou tel seigneur, sous Louis XIII, qu'il fait de la fausse monnaie dans ses terres, comme on dirait à présent qu'il y améliore l'espèce bovine.

Le Roi demanda un jour au duc d'Angoulême combien il gagnait par an à la fausse monnaie : Je ne sais pas, Sire, répondit-il, ce que c'est que tout cela. Mais je loue une chambre à Gros-Bois (c'était le nom de son château), dont Merlin me donne 4.000 écus par an. Je ne m'informe pas de ce qu'il y fait[18]. Quand la justice voulut arrêter Merlin, son obligeant propriétaire eut soin de le faire évader. Un peu avant de mourir, le même prince montra bon nombre de faux louis d'or qu'il confrontait à de bons louis, pour en comparer la fabrication.

M. de la Vieuville, surintendant des finances, prenait part à ce travail lucratif. Il y était passé maitre, si l'on en croit le cardinal de Richelieu. En 1623, ce surintendant s'était procuré un moulin propre à faciliter la fabrication de la fausse monnaie[19]. Un conseiller à la Cour des aides, M. de Machault, est convaincu du crime de fausse monnaie[20]. La Lanne, président au Parlement de Bordeaux, et trois conseillers, prennent la fuite, sous le coup d'un arrêt infamant prononcé contre eux au même titre[21]. Le duc de Roannez est condamné à mort comme faux monnayeur ; l'année suivante, le président de Baron-ville est décapité en Grève, pour un motif identique[22]. Deux demoiselles nobles subissent le même sort au carrefour Saint-Pol, et le courage qu'elles font voir en la faiblesse de leur sexe ravit en admiration toute l'assistance. Il est certain que, malgré ces répressions sévères, ce crime n'inspire aucune horreur[23].

Les idées mystérieuses du moyen âge sur l'or, sur sa confection artificielle et ses propriétés merveilleuses, étaient encore en faveur. L'or liquide, par exemple, était regardé comme un remède souverain[24].

La pierre philosophale n'avait plus guère d'adeptes sérieux ; elle ne tentait plus, comme dans les siècles précédents, les chercheurs de bonne foi, mais elle servait à des intrigants habiles pour faire des dupes nombreuses. Déageant, secrétaire d'État sous le ministère de Luynes[25], eut la naïveté d'entretenir quelque temps des escrocs, dans une maison de la place Royale, pour y étudier secrètement les moyens de faire de l'or. Cette fantaisie lui coûta 10.000 écus. Un nommé Dubois, protégé par le P. Joseph, s'était présenté à Richelieu comme savant dans le grand œuvre et dans l'alchimie. On espéra un moment que cet aventurier remplirait les caisses. Il y eut au Louvre une épreuve solennelle. Dubois mit dans son creuset deux ou trois balles de mousquet, avec la substance merveilleuse. Au signal donné, le Roi lui-même chassa la cendre du creuset, et découvrit, au grand ébahissement de la cour, un lingot de l'or le plus pur. Depuis, Dubois continua, demanda du temps au Cardinal, souffla longtemps, et ne produisit rien. Ennuyé de ce manège, et reconnaissant qu'on s'était moqué de lui, Richelieu fit pendre l'imposteur sous une accusation supposée de magie[26].

Tout le secret des gens qui prétendaient avoir le pouvoir de faire de l'or consistait le plus souvent dans la fabrication de la fausse monnaie. Tantôt les voleurs usaient d'une délicatesse relative, et se contentaient de doubler l'alliage des espèces qu'ils émettaient[27] ; tantôt ils ne craignaient pas de lancer dans la circulation de simples pièces de cuivre blanchi[28].

On juge du chaos où se débattait l'administration, et de la situation précaire du public. La fonte régulière des monnaies royales donnait lieu à d'autres abus. Les hôtels des monnaies étaient au nombre de dix[29], ayant chacun à leur tête des directeurs et des fabricants, absolument indépendants les uns des autres, et travaillant à leurs risques et périls. Tous, il est vrai, étaient censés justiciables de la Cour des monnaies[30]. Mais ce tribunal, unique en France, joignait à ses attributions administratives d'immenses attributions judiciaires, qui s'étendaient non-seulement sur le personnel spécial[31], mais encore sur tous ceux que leur profession mettait en rapport avec les métaux précieux, comme les mineurs qui en faisaient l'extraction, et les orfèvres qui les façonnaient pour la vente[32]. Une surveillance qui devait s'exercer sur tant de gens et sur tant de choses était déjà fort difficile ; le système de vérification des monnaies la rendait à peu près illusoire. Quelques pièces prises au hasard au moment de la fabrication, étaient, il est vrai, mises dans une boite affectée à cet usage, et enfermées sous triple cadenas, pour être examinées par la Cour des monnaies[33]. Seulement les hôtels des monnaies n'envoyant ces boites à Paris qu'à la fin de chaque année, le jugement était rendu trop tard pour sauvegarder les intérêts du public. Le maître d'une monnaie qui avait excédé la tolérance, pouvait être condamné à l'amende, mais les pièces qui faisaient l'objet du délit étaient émises, et circulaient depuis longtemps[34]. La tolérance légale était à peu près la même qu'aujourd'hui, pour le poids des espèces ; pour le titre, elle était neuf fois supérieure à la nôtre, 18/1000e environ, et les fabricants la dépassaient souvent[35].

Ce n'était pas tout encore ; les monnaies, fabriquées au marteau, n'étaient que très-imparfaitement rondes ; elles ne possédaient pas encore la tranche, usitée seulement vingt ans plus tard[36]. Il était donc facile de rogner les monnaies, c'est-à-dire de retirer, au moyen de dissolvants chimiques ou d'instruments spéciaux, quelques parcelles de numéraire, et de les remettre ensuite en circulation. L'industrie du rognage des pièces fut pratiquée dans tout le royaume, sur la plus vaste échelle. Au moyen d'esprits et d'essence de soufre, d'alun, de vitriol, de salpêtre et de sel ammoniac, on dissolvait, on altérait l'or et l'argent ; on se servait principalement, pour diminuer les monnaies d'or, d'une certaine eau de régalle, qui parvenait à les affaiblir de poids, d'un quart ou d'un cinquième, plus ou moins, sans altérer l'effigie[37]. Au bout de quelques années, le mal avait pris de telles proportions, et les monnaies avaient été tellement rognées, que, dans les généralités de Lyon, Riom et Moulins, par exemple, elles étaient toutes affaiblies du tiers ou de la moitié[38]. Les rogneurs devinrent si nombreux, que toute la corde du royaume n'eût pas suffi pour les pendre.

Pour se garantir de cette ingénieuse soustraction, les particuliers n'avaient d'autre ressource que de peser les pièces avant de les recevoir. En 1639, on 'ne recevait, plus les monnaies qu'au poids ; les fortes pièces faisaient prime, tandis que les faibles n'étaient plus acceptées sous leur valeur nominale. Sous ce régime, les banquiers et les changeurs eurent deux poids, l'un pour faire leur recette, qui était fort ; l'autre pour faire leurs payements, qui était faible, en sorte que les pièces paraissaient lourdes ou légères, selon qu'on les pesait à l'un ou à l'autre[39].

Les officiers de finance se rendaient eux-mêmes complices des rogneurs ; ils achetaient au rabais des' espèces qu'ils savaient réduites, pour faire leurs payements au Roi, et gardaient les pièces fortes qu'ils recevaient des contribuables, pour en tirer profit à l'occasion[40].

L'intendant Cornuel persuada au conseil que l'on réaliserait un gros bénéfice en ordonnant de recevoir les monnaies dans le commerce, pour leur prix légal, sans les peser[41]. Ce fut le contraire qui arriva ; les pièces fortes émigrèrent, et l'on vit affluer aux caisses de l'État des monnaies dépréciées de moitié, que l'on fut tenu d'y recevoir pour le double de leur vraie valeur. Les étrangers, alléchés par l'appât du gain, nous apportèrent leurs espèces de mauvais aloi, et rognèrent les bonnes, tout exprès pour les envoyer à notre Épargne[42].

Cependant l'opinion était très-surexcitée ; le gouvernement, effrayé de l'agitation entretenue sur la question monétaire, et ne sachant comment sortir d'une situation qu'il avait lui-même empirée par sa maladresse, alla jusqu'à traduire devant les tribunaux, et punir de peines sévères, ceux qui semaient divers bruits touchant le prix des monnaies[43].

La crise était à son paroxysme, quand le Roi y mit fin par un coup d'État. Un délai de trois mois fut donné aux particuliers, pour se défaire de leurs espèces légères, et pour les porter aux hôtels des monnaies, où elles seraient converties en pièces de poids fixe. Cette nouvelle monnaie fut le louis d'or, en usage jusqu'à la révolution de 1789[44]. Le louis fut fabriqué au titre de 22 carats, soit environ 916/1.000e au lieu de 958/1.000e, titre auquel nos écus se fabriquaient auparavant. On épargnera ainsi au commerce, dit la déclaration royale, des frais considérables d'affinage. Telle fut la raison officielle que l'on donna au public[45]. En réalité, l'opération consista tout simplement, en diminuant le titre des monnaies, à recueillir le bénéfice d'une économie d'environ 4 % de métal précieux[46]. Aussi le Roi eut-il soin de défendre la frappe des louis pour le compte des particuliers, afin de se réserver à lui seul la plus-value que d'autres auraient cherché à se procurer. L'opinion déjoua cette naïve combinaison ; les anciens écus montèrent, par rapport au louis, d'un chiffre égal à la différence de leur titre.

 

II

EN QUOI CONSISTE LE POUVOIR DE L'ARGENT. — Le prix du blé aujourd'hui par rapport à ce qu'il était sous Louis XIII. — Le froment pur est alors une denrée de luxe. — Conséquences économiques du changement de prix de presque toutes les marchandises. — Prix de la nourriture, de l'habillement, du chauffage, des transports, des gages et salaires. — Valeur des terres et des maisons.

 

La comparaison des monnaies de deux époques ne fait pas connaître le pouvoir de l'argent à ces deux époques. C'est une erreur dans laquelle sont tombés beaucoup d'auteurs. Le poids moyen de la livre, entre 1610 et 1643, est d'environ dix grammes ; mais si la livre sous Louis XIII pèse dix grammes, tandis que notre franc actuel ne pèse que cinq grammes, cela veut dire seulement que cette livre vaut au poids deux francs, et non pas qu'elle n'ait qu'un pouvoir double de celui du franc.

Le pouvoir est la différence entre les quantités de marchandises que procurent dix grammes d'argent en 1640, et dix grammes d'argent en 1883. Il faut donc, pour l'apprécier exactement, savoir le prix dé presque tous les objets nécessaires, ou simplement utiles et agréables à la vie, à l'époque que l'on veut étudier[47]. Il ne suffit pas, pour arriver à une conclusion sérieuse, de grouper quelques chiffres isolés, et d'indiquer le prix de quelques marchandises. Pour mériter quelque créance, il faut être à peu près complet, ne rien négliger, tenir compte de tous les éléments de l'existence des diverses classes de la société. Citer une poignée de chiffres pour déterminer le pouvoir de l'argent pendant tout un siècle, c'est procéder par hypothèse, et par conséquent rester dans le domaine des probabilités[48].

Il y a, par exemple, des marchandises qui ont diminué de prix depuis Louis XIII, ou qui n'ont augmenté que dans une faible proportion, par suite de nouveaux procédés de fabrication, et de conditions nouvelles des transports par terre ou par mer. Considérés isolément, les prix de ces objets ne nous feront pas connaître le véritable pouvoir de l'argent : tel est le cours du blé, qui a souvent servi de base aux calculs. C'est ici le cas de dire que l'homme ne vit pas seulement de pain ; il use de bien d'autres comestibles, il boit, il se chauffe, il s'éclaire ; il lui faut des vêtements, des meubles, des bêles de somme, qu'il doit acheter et nourrir, et nous ne parlons ici que des plus pauvres. Les classes moyennes et riches ont bien d'autres besoins, d'autres intérêts, d'autres dépenses.

D'un autre côté, des causes multiples et spéciales ont influé sur le prix du blé depuis Louis XIII jusqu'à nos jours. L'amélioration des cultures, l'augmentation des terres cultivées, la facilité des transports, la liberté des échanges, ont entravé heureusement la hausse de cette denrée. La preuve est aisée à faire.

Nous avons relevé les mercuriales de Paris, année par année, depuis 1615 jusqu'à 1643 inclusivement, la moyenne de ces vingt-neuf années est de 13 livres 40/100e pour le setier de 144 litres, pesant 110 kilogrammes. La livre-monnaie de ce temps pesant le double du franc, cette somme équivaut au poids de 26 fr. 80 c. Or, en l'année 1876, la plus chère de la dernière période décennale, le même poids de froment (1re qualité) ne se vendit pas sur le marché de Paris plus de 38 francs. (En 1878, 144 litres du même blé ne valaient pas aux Halles plus de 30 fr. 49 c.) Le blé n'a donc augmenté depuis 1640, par rapport aux métaux précieux, que de 50 % au plus, si nous prenons pour base l'année 1876. Est-ce à dire que le pouvoir de l'argent n'ait diminué que de 50 %, que 10 grammes d'argent sous Louis XIII correspondent à 15 grammes aujourd'hui ; que 15.000 francs de rente procurent à leur possesseur la même existence eu 1883 que 10.000 francs lui auraient procuré en 1640 ? Ce serait une absurdité ; ce serait pourtant la conséquence logique d'un calcul reposant uniquement sur le blé[49]. Si la livre de pain coûtait en moyenne au cultivateur de cette époque les deux tiers de ce qu'elle lui coûte aujourd'hui, comment aurait-il pu vivre avec un salaire journalier équivalent à 60 ou 75 centimes de notre monnaie actuelle pour les hommes, et à 30 centimes pour les femmes ? Il est incontestable qu'il serait mort de faim s'il avait prétendu consommer ce froment à 13 livres 8 sous le setier ; il dut se contenter d'autres grains. Vauban écrivait dans ses Oisivetés, à la fin du règne de Louis XIV : Tout ce qui s'appelle bas peuple ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlés, dont ils n'ôtent pas même le son ; ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est mêlé. C'est avec ce pain-là que le pauvre soutenait son existence. Il ne lui coûtait pas cher : en 1634, le plus beau pain de méteil se vend 7 deniers la livre. Dans une année de disette, en 1631, où le setier de froment monta à 21 livres aux Halles, le pain bis ne s'éleva pas à plus de 10 deniers. En moyenne, le pain de cette espèce peut être évalué pendant cette période à 7 ou 8 deniers[50]. Aujourd'hui, le pain blanc ordinaire ne descend pas clans les campagnes au-dessous de 18 à 20 centimes, prix à peine supérieur de 50 % à celui du pain de même qualité en 1640, mais supérieur de 30000 au prix du pain noir que mangeaient alors les paysans. Cela tient uniquement à ce que les salaires ayant augmenté dans une proportion beaucoup plus forte que le froment, celui-ci est devenu accessible à tous. C'est un admirable progrès des temps modernes, mais ce n'est pas l'abaissement du pouvoir de l'argent sur le blé qui a conduit à ce résultat. Au contraire, le pouvoir de l'argent sur le blé a augmenté, le blé est infiniment moins cher en ce siècle qu'il n'était autrefois, puisque tout, comme on va le voir, a augmenté de 300 %, tandis que le blé n'a augmenté que de 50 %.

Sous Louis XIII, le froment pur était une denrée de luxe, par le rapport de son prix avec les moyens d'existence du plus grand nombre ; aussi ceux même qui le produisaient n'étaient pas assez riches pour le consommer. Aucune nation n'exportait alors autant de blé que la France. Tous les auteurs du temps signalent le blé comme une des denrées dont elle fournit principalement ses voisins. Si notre pays est maintenant plus peuplé qu'au dix-septième siècle, le nombre des terres cultivées est aussi bien plus considérable, et la proportion entre les hectares ensemencés et le chiffre des habitants est certainement en notre faveur[51]. Pourtant, au lieu d'exporter, nous importons depuis cinquante ans (sans parler de l'Amérique) des blés étrangers pour suppléer à notre déficit. Qu'en conclure, sinon que l'on mange aujourd'hui plus de blé en France que sous Louis XIII ?

Il y avait à Paris, vers 1630, cinq espèces de pain, deux de pain blanc, deux de pain noir, et une de pain bis. On peut se figurer ce que pouvait être ce pain bis, venant après deux degrés de pains noirs[52].

Les diverses classes de la société ont donc changé de pain. Le pain de chapitre, nec plus ultra de nos aïeux, serait trouvé sans doute aujourd'hui bien médiocre, sur la table d'un homme du monde habitué au pain anglais et au pain riche ; les classes moyennes ne se contenteraient plus de ce pain moyennement blanc que l'on nommait le pain bourgeois ; enfin le plus modeste paysan refuserait de se nourrir du pain bis, dont les laboureurs sous Louis XIII se trouvaient heureux encore de pouvoir manger à discrétion, durant les bonnes années[53].

La production du froment et la circulation du froment produit s'étant développées dans une mesure à peu près aussi vaste que sa consommation, il n'a pu renchérir ; mais les consommateurs de pain d'avoine de 1640 en mangeraient encore à l'heure actuelle si leur salaire n'avait pas augmenté, si, la demande s'étant accrue sur toutes les marchandises sans que l'offre se multipliât, il n'avait pas fallu une plus grande quantité d'argent pour les acquérir. Parmi les objets servant à l'alimentation, nous voyons que 288 litres de vin se vendent sous Louis XIII de 12 à 20 livres ; que la même quantité de cidre se vend 5 livres, qu'au détail le vin coûte de 1 à 2 sous ½ le litre. Un bœuf se vend de 20 à 40 livres, un veau ou un mouton 5 livres, un porc 12 livres, un poulet 10 sous, la livre de bœuf de 1 à 2 sous, la livre de mouton de 2 à 3 sous, le beurre est estimé 2 sous la livre, l'huile à manger de 2 à 10 sous, le lard 3 sous.

La nourriture d'un fantassin coûtait à l'État 3 sous 3 deniers par jour. Il en est de même pour le combustible : un mètre cube de bois à brûler, à Paris, de 4 à 9 livres, l'hectolitre de charbon de bois de 1 à 2 livres, l'huile à brûler de 1 à 2 sous la livre, la chandelle de 3 à 7 sous. Pour l'habillement : un chapeau de feutre 30 sous, une paire de souliers 12 sous ½, une paire de bottes 3 livres 6 sous. Pour les bêtes de somme : un cheval de labour de 15 à 25 livres, un âne 9 livres, un cheval de selle ordinaire de 30 à 50 livres ; 50 kilogrammes de foin de 1 à 2 livres. (Nous ne parlons pas, bien entendu, des chevaux de luxe, qui atteignaient des prix élevés.)

Une meule de moulin coûtait 50 livres, une livre de savon de Marseille 1 sou ½. Nous craignons de citer trop de chiffres de peur de fatiguer le lecteur, préférant le renvoyer aux tableaux, où ils sont contenus[54].

Les gages des officiers nous fournissent aussi un élément d'appréciation : un conseiller au parlement de Paris, correspondant pour l'importance à notre cour de cassation, touche 2.000 livres, un maître à la chambre des comptes de Paris 1800, à la cour des aides 1500, à la cour des monnaies 1000 ; un président de siège présidial (première juridiction au-dessous du Parlement) 600, et un conseiller 100 livres, un docteur régent de l'Université de 200 à 700.

Six portraits de l'illustre François Porbus, représentant des membres de la famille royale, lui sont payés en 1616 1635 livres ; en 1623, le Guide, dans tout l'éclat de sa gloire, estime 100 écus chaque tête qu'il fait ; une visite de médecin se paie 15 sous ; Guy Patin reçoit un écu de 3 francs pour une consultation faite chez un gentilhomme, et se loue de sa générosité. C'était honnêtement payer un valet que de lui donner par an 60 livres de gages ; un laboureur gagne de 20 à 50 livres par an ; une servante de basse-cour, 36 livres ; la journée de travail variait à la campagne entre 6 et 9 sous (pour les hommes), et Richelieu nous apprend que 100 francs par an sont une somme bien suffisante à un travailleur pour vivre et se défrayer de tout[55].

En doublant tous ces chiffres pour avoir, au poids du métal, leur quantité correspondante en francs, on voit l'énorme différence qui existe encore entre eux et les prix actuels des marchandises et des salaires. Nous ne croyons pas être taxé d'exagération en affirmant que, sous Louis XIII, le pouvoir de l'argent était le triple de ce qu'il est aujourd'hui.

Il existe à la vérité un certain nombre d'objets qui n'ont pas augmenté, mais il en est de ceux-là comme du froment ; leur prix ancien en faisait des objets de luxe, tandis que leur prix actuel en a fait des objets de consommation générale. Ils ont changé de destination. C'étaient pour la plupart des marchandises apportées de loin, ou difficiles à produire, dont l'usage était fort restreint ; la masse s'en abstenait quand ils ne répondaient pas à un besoin absolu, ou les remplaçait par d'autres moins avantageux, mais moins chers. Telle est la cire, qui valait de 10 à 18 sous la livre ; le pétrole, qui valait 12 sous ; le sucre brut, qui se vendait 10 ou 12 sous. Le lecteur s'en convaincra par une courte statistique. Richelieu dit qu'en 1625, il se consomme en France 25 millions de livres de sucre par an[56]. En 1880, il s'en consomme 285 millions de kilogrammes, soit 570 millions de livres, et la population n'a pas plus que doublé. Le Français de 1625 consommait donc une livre et demie de sucre par tête et par an. Le Français de 1880 en consomme près de 16 livres par tête. Le velours, qui se vendait de 9 à 24 livres l'aune (1m,20), le satin 12 livres, le taffetas 4 livres 10, le drap fin de Hollande 33 livres, la toile du même pays 6 livres, la batiste fine 16 livres, étaient réservés aux financiers et aux grands seigneurs. Peu de gens portaient des bas de soie à 25 livres la paire ; quand les bas de coton coûtaient 23 livres 13 sous la douzaine, il n'y avait que les riches qui pussent aborder ce luxe ; les classes moyennes portaient des bas d'étame, et les autres n'en portaient pas. Un chapeau de castor à 20 livres était inaccessible aux petites bourses, mais on portait des bonnets ; l'achat d'un grand matelas de laine à 36 livres eût dérangé l'équilibre d'un budget modeste, aussi se servait-on de paillasses. Donner 3 sous pour le port d'une lettre de Paris à Bordeaux, à Lyon, à Toulouse, eût été dur ; mais on écrivait peu. Donner 12 livres pour aller à Tours, et 19 livres pour aller à Lyon, eût été ruineux, mais on ne voyageait pas ; ou bien on louait un cheval pour quelques sous par jour, ou l'on allait à pied.

Ces prix élevés ne prouvent pas que le pouvoir de l'argent soit demeuré stationnaire depuis deux siècles ; ils montrent seulement qu'il y avait un grand nombre de dépenses inabordables alors pour la majorité, qui sont aujourd'hui à sa portée ; que le pauvre est de moins en moins pauvre, ou de moins en moins malheureux. Si ces prix avaient augmenté comme les autres, à quoi servirait au travailleur l'augmentation de son salaire, et comment pourrait-on parler des bienfaits de la civilisation

Les salaires s'étant élevés, la vie dans son ensemble étant devenue plus chère, le chiffre des fortunes et la valeur des biens se sont aussi accrus proportionnellement. Madame de Maintenon établit[57] en 1678, dans une lettre bien connue, le budget d'un ménage de douze personnes : monsieur, madame, trois femmes, quatre laquais, deux cochers, un valet de chambre. La dépense de bouche se monte à 6.000 livres, les habits de madame à 1.000, le loyer à 1.000, les gages et habits des gens à 1.000, l'Opéra, les habits et les magnificences de monsieur à 3.000 ; total, 12.000 livres par an. Personne ne contestera qu'avec une somme six fois plus forte, on ne pourrait aujourd'hui mener la même existence. Cette même somme de 12.000 livres, Richelieu l'estimait suffisante à sa nièce de Pont- Courlay pour vivre, en 1636, avec ses deux filles et seize domestiques. Son neveu de Pont-Courlay (le général des galères) ayant excédé ses revenus, le cardinal prend soin de régler lui-même sa dépense annuelle[58]. On détermine son train, et on le borne à trois gentilshommes, deux secrétaires, trois valets de chambre, deux pages, quatre ou cinq laquais, un pourvoyeur, un cuisinier, un sommelier, ayant chacun leurs aides, cochers, palefreniers, muletiers, charretiers et suisse. Sa maison se compose ainsi de vingt-huit personnes. Il avait 4.000 livres à dépenser par mois : Il doit, dit Richelieu, consacrer 3.000 livres à sa table, la nourriture de ses chevaux et l'entretien de sa maison. Il lui reste 1.000 livres, qui sera suffisant pour s'entretenir d'habillements et payer les gages de ses domestiques. On le croira aisément, quand on voit Furetière parler d'un homme qui, avec 80.000 livres de bien en capital, avait un carrosse entretenu, deux laquais et un valet de chambre.

Les fortunes du temps, qui excitaient l'étonnement des contemporains, nous paraissent médiocres aujourd'hui. L'apanage de Gaston, duc d'Orléans, frère unique du Roi, était de 100.000 livres de rente. Le duc et la duchesse de Rohan, dont la fortune était considérable, avaient 110.000 livres de rente en fonds de terre, outre 50.000 écus[59]. On citait un nommé Le Clerc de Lesseville, ancien tanneur, qui avait 60.000 livres de rente[60]. Lambert était surnommé Lambert le riche, parce qu'il avait 100.000 livres de rente. Il se tua, dit Tallemant, à amasser du bien, et gagna une prodigieuse fortune. Au début du règne, Zamet, le Rothschild de l'époque, qui joua un rôle, grâce à son argent, se qualifiait seigneur de 1.800.000 écus, soit, à l'époque, moins de 6 millions de livres.

Le prince de Condé, au moment de son mariage, n'avait en fonds de terre que 10.000 livres de rente ; il ne devint riche que plus tard, lors de la confiscation de Montmorency, qui lui fut donnée après l'exécution du maréchal en 1633. Le connétable de Montmorency lui-même, le plus riche gentilhomme de France, n'avait donné en dot à sa fille que 100.000 écus[61]. Dans ces conditions, un gentilhomme comme le marquis de Sourdis, qui avait 30.000 livres de rente en terre, passait pour un des plus riches de son temps[62].

Tallemant, parlant du mariage de la fille unique du président Jeannin vers la fin du seizième siècle, ajoute : Le plus gros mariage de Paris, en ce temps-là, était 60.000 livres de dot[63]. Marion de Lorme, qui avait, sous Louis XIII, 25.000 écus de dot, était considérée comme un bon parti, et se fût facilement mariée si elle l'eût voulu[64]. Mademoiselle de Montmorency, fille du comte de Bouteville, et sœur du maréchal de Luxembourg, qui devint elle-même plus tard duchesse de Châtillon, n'eut que 50.000 écus de dot[65]. La célèbre marquise de Rambouillet, dont nous avons parlé dans le livre précédent, qui fit bâtir un superbe hôtel et eut grand train toute sa vie, eut 10.000 écus de rente de sa famille après la mort de ses parents[66]. La vicomtesse de l'Isle, dit encore Tallemant, a eu beaucoup de bien ; c'était une héritière de 20.000 livres de rente[67].

Enfin Furetière, dans le Roman bourgeois, nous fait connaitre en quelque sorte le chiffre des fortunes de son temps (1666) par le tarif ou évaluation des partis sortables pour faire facilement les mariages[68].

Les dots commencent à 2.000 livres et vont jusqu'à 200.000 écus. Une fille qui a de 2.000 à 6.000 livres de dot peut épouser un marchand du Palais, — c'étaient les plus riches marchands de Paris. — Une fille de 12.000 à 20.000 livres peut épouser un procureur au Parlement, huissier, notaire ou greffier. Un trésorier de France ou auditeur des comptes à Paris ne peut pas prétendre à plus de 30.000 à 45.000 livres. Enfin, un duc et pair, qui tient le haut de l'échelle, ne saurait trouver plus de 200.000 écus.

Il faut remarquer que ces chiffres sont postérieurs de près d'un quart de siècle à la fin du règne de Louis XIII, et que le pouvoir de l'argent était déjà bien diminué. En effet, la dot de la reine Henriette-Marie, femme de Charles Ier, ne fut, en 1625, que de 200.000 écus[69].

Guy Patin écrit, en 1659[70] : Il est mort ici un vieux conseiller d'État, nommé M. Turgot, qui avait 50.000 écus de rente et 70.000 livres d'argent comptant dans ses coffres, et un comédien, nommé Béjart, qui avait 24.000 écus en or. Ne diriez-vous pas que le Pérou n'est plus en Amérique ?

Si des fortunes privées nous passons à la fortune publique, il est certain que la quantité de numéraire circulant eu France à celte époque n'était pas comparable à celle que-nous y voyons aujourd'hui. En 1635, dit Fontenay-Mareuil, ceux qui avaient le plus de connaissance des finances et du commerce tenaient pour certain qu'il n'y avait que 13 ou 14 millions d'or qui eussent cours dans le royaume beaucoup de gens trouveront étrange et impossible qu'on ait eu cette idée, niais pourtant c'était tellement l'opinion commune de ces temps-là qu'on n'en parlait point autrement[71]. Ce renseignement ne peut être pris un instant au sérieux, et nous ne pouvons, en l'absence d'une base possible, indiquer un chiffre même approximatif. Nous savons seulement qu'en 1641 on fabriqua à la Monnaie pour 80 millions de louis d'or, en refondant les anciens écus. Nous ne croyons pas qu'il y en ait eu en France plus de 400 millions ; si l'on admet une quantité double d'argent,. on arrivera au chiffre de un milliard 200 millions de numéraire, qui ne doit pas être beaucoup au-dessous de la vérité[72]. La valeur des biens était minime, si on la compare à ce qu'elle est aujourd'hui. Anne d'Autriche paya 36.000 livres le terrain nécessaire pour établir l'abbaye du Val-de-Grâce[73]. La reine Marie de Médicis donna à M. le prince l'hôtel de Gondi, qu'elle acheta 120.000 livres[74].

Deux maisons sises à Paris, l'une rue Mauconseil, l'autre rue de la Tonnellerie, c'est-à-dire en plein quartier du commerce, sont vendues, en 1639, 43.200 livres[75]. Une maison dans la place Royale, quartier aristocratique par excellence, venant de la succession du financier Pierre Payen, se vendit à la même époque[76] 13.000 livres.

Une autre, située à la porte Saint-Jacques, avec étaux de bouchers, y compris tous les droits de bourgeois, ne s'éleva pas à plus de 3.033 livres[77]. Dans la banlieue, on acquérait un immeuble pour un prix aujourd'hui dérisoire. Une maison, à Saint-Mandé, est vendue 154 livres[78].

Les locaux servant au commerce se louaient dans les mêmes proportions. Les boutiques autour du cimetière de la Sainte-Chapelle, quartier populeux et achalandé à cause de sa proximité du Palais, se vendaient de 800 à 5.100 livres (celles-ci ayant douze pieds de large), ce qui donnait, pour l'intérêt du prix d'acquisition, 255 livres au denier 20, et 12 livres de cens annuel ; soit, en totalité, 267 livres de loyer. Tel était le prix des meilleures boutiques[79].

Quant aux autres loyers, il nous a été difficile d'avoir des renseignements précis à cet égard. Nous savons seulement qu'il y eut un renchérissement très-sensible vers l'époque de la Fronde, et dans les vingt premières années du règne de Louis XIV, de 1650 à 1660. Tallemant dit que ce fut madame de Coislin qui fit renchérir les maisons au point où on les a vues ; elle payait 2.000 écus pour l'hôtel d'Estrées, rue Barbette[80]. En 1621, lord Herbert Cherbury, ambassadeur d'Angleterre, avait loué un hôtel rue de Tournon, faubourg Saint-Germain, au prix de 200 livres sterling (2.000 livres françaises)[81].

Un manuscrit qui parait remonter aux premières années du règne de Louis XIV[82] s'exprime ainsi sur le domaine royal : Il y a deux siècles, on accensait toutes les terres labourables à un sol par arpent pour deniers d'entrée (c'est-à-dire comme prix principal une fois payé)...  Sous François Ier et Henri III, on donnait des terres vaines et vagues, et des places inutiles à qui en voulait, et à très-vil prix. Les places dans les meilleurs quartiers se donnèrent à 4 et 5 livres la toise (20 à 25 sous le mètre carré), et souvent à moins. Les hôtels et maisons bâties se donnaient encore à moindre prix à proportion, parce qu'on faisait une estimation telle qu'il plaisait à l'acquéreur. On a de nombreux exemples de ces aliénations à vil prix, et en même temps du renchérissement qui se produisit sous le règne de Louis XIIL Le domaine de Conflans, vendu en 1555 à M. Dodien, évêque de Rennes, 480 livres, revendu en 1634 au premier président Le Jay 1.855 livres, et est 1642, à. M. de Bercy, 31,855 livres[83]

Le comté de Beaumont-sur-Oise, donné en 1526 par François Ier à Madeleine de Savoye, femme du connétable de Montmorency, pour une valeur de 24.000 écus, revendu en 1578 pour le même prix au seigneur de Marchaumont, puis en 1621 à la marquise de Guercheville pour 105.000 liv., ce qui constituait une augmentation de 33.000 livres. Ce même comté fut revendu vingt et un ans plus tard, en 1642, à Roger du Plessis, sieur de Liancourt (fils de la marquise de Guercheville), pour 150.000 livres ; enfin, en 1654, le maréchal Philippe de la Mothe-Houdancourt en fit l'acquisition pour 155.500 livres[84].

L'hôtel et la ferme de Saint-Ouen, consistant en 24 arpents de terre, avaient été vendus, en 1601, au sieur Boulier de Beaumarchais pour 2.244 livres ; ce même lot fut revendu en 1621 2.684 livres, et en 1641 8.684 livres à Séraphin Mauroy (intendant des finances)[85].

La terre d'Ivry, avec tous ses droits utiles, fut successivement vendue : en 1519, 100 livres ; en 1521, 500 livres ; en 1578, 700 livres ; en 1620, 1.415 livres ; en 1645, 8.415 livres. La châtellenie, terre et seigneurie de Tournant fut vendue 4.520 livres en 1553 ; 9.420 livres, en 1574 ; au sieur de Villegagnon ; 23.385 livres, en 1600, à Duval, sieur de Fontenay (père de Fontenay-Mareuil) ; puis, en 1641, le duc d'Épernon l'acquit pour 872 livres de plus, et enfin, en 1659, H. de Beringhem, premier écuyer, la paya 69.837 livres.

La terre de Montlhéry, qu'Anne de Birague, le chancelier, avait eue en 1574 pour 1.200 livres, fut payée 24.850 livres par le cardinal de Richelieu en 1623[86].

En général, le cens variait de 12 à 18 deniers par arpent, pour les terres baillées à nouveau à cette époque ; autrement dit, un fermier devait payer de 1 à 2 sous pour jouir et exploiter à son profit un arpent de terres labourables[87].

Il est vrai qu'à ce prix s'ajoutait la somme une fois payée, qui était due au propriétaire ou bailleur à cens par le fermier et acquéreur. Nous voyons, par les mêmes documents, que 1,297 arpents de bois, dans la forêt d'Hallate (près de Compiègne), ont été vendus en 1638 pour 202,400 livres, soit sur le pied de 156 livres l'arpent[88].

Mais ce prix paraît s'élever bien au-dessus de la moyenne, puisque la ferme de Bonavis, dans le bailliage de Dreux, c'est-à-dire en pleine Beauce, comprenant 160 arpents de terres labourables et 46 de pâturages, fut acquise en 1653 par Nicolas l'Advocat, maître des comptes, pour une somme totale de 8,200 livres, ce qui donne environ 40 livres 11 sols par arpent[89].

Les moulins se vendaient beaucoup plus cher ; ceux qui étaient annexés à la ferme de Bonavis furent adjugés à 18,200 livres ; mais ils ne peuvent servir de terme de comparaison, parce que les moulins de cette époque jouissaient en général d'un monopole féodal qui n'a plus d'analogue aujourd'hui, et ne saurait être apprécié exactement.

La différence du pouvoir de l'argent est également frappante dans le taux de l'intérêt, plus élevé alors qu'il ne l'est maintenant. En Angleterre, dit M. Leroy-Beaulieu[90], le même capital qui rapportait, du temps de Walpole, 12.000 francs de rente, n'en rapporte plus aujourd'hui que 6.000. L'observation s'applique à fortiori au taux de l'intérêt dans la première partie du dix-septième siècle. A cette époque, l'intérêt de la terre est généralement de 5 pour 100 au minimum, souvent davantage. Richelieu, en 1638, fait donner à des gentilshommes savoyards trois terres : l'une de 6.000 livres de revenu, évaluée 100.000 liv. ; l'autre de 2.000 livres, évaluée 32.000 livres ; la troisième de 1.000 livres, évaluée 16.000 livres[91]. Le Cardinal, achetant en 1635 une terre de 100.000 écus, reconnaît qu'on peut, en attendant le payement, en payer la rente au denier 20[92].

Ce taux diminua par la suite. La terre de Maintenon fut vendue, quarante ans plus tard, 250.000 livres. Elle ne rapportait que 11.000 livres, soit environ 4,40 pour 100. Quand les rentes mobilières parurent vers le milieu du seizième siècle, elles jouirent tout d'abord d'une vogue immense, parce qu'elles donnaient un intérêt beaucoup plus considérable que celui des biens-fonds. Elles sont funestes, dit Bodin (1580), parce que le noble vend ses héritages pour tirer 400 ou 500 livres de rentes constituées, au lieu de 100 livres de rente foncière, et puis la rente constituée s'éteint, et l'argent s'envole en fumée[93]. La banque de Lyon, établie par François Ier en 1543, empruntait à 8 pour 100 de qui voulait y déposer de l'argent. Les Vénitiens, si entendus en affaires, empruntaient aussi à un taux très-élevé. L'Empereur, le roi de France Henri II, empruntaient des Caponi, Albicci et autres à 10, 12 et 16 pour 100. Le roi d'Angleterre empruntait à 12 pour 100[94].

Le taux de 8 pour 100 était encore l'intérêt normal des biens mobiliers au dix-septième siècle, et la proportion entre le revenu des biens et celui de la terre se trouvait ainsi la même que de nos jours. Nous ne parlons pas, bien entendu, de l'intérêt exigé des emprunteurs en temps de guerre, ou sous l'influence de causes passagères. Dans ce cas, il n'y avait pas de limites[95].

La rente, nominalement émise au denier 16 (6,25 pour 100), ne l'était effectivement qu'au denier 12 (8,33) et 10. Les charges et les offices, à l'exception d'un très-petit nombre qui procuraient des droits honorifiques et.une certaine situation sociale, ne se capitalisaient guère qu'au denier 10, ou 12, c'est-à-dire à 10, et 8,33 pour 100 au minimum ; ou, si l'on veut, un particulier qui achetait un office recevait, à titre de gages, 8, 9 et 10 pour 100 de son argent. Les prêts se faisaient aux mêmes taux. On comprend donc qu'une terre rapportant 1.000 livres, et se vendant 22.000 et 23.000 livres, ne donnât encore qu'un intérêt bien inférieur aux autres placements[96].

Le clergé, ayant accordé au Roi une rente de 300.000 liv., fut autorisé à la racheter au denier 12, en fournissant un capital une fois payé, douze fois supérieur ; la rente était donc de 8,33 %[97]. C'est au même taux que le gouvernement engageait les droits sur les aides ; aussi lorsqu'il voulut rentrer en possession de la totalité des impôts dont il avait aliéné le produit, il dut servir aux engagistes un intérêt de 8,33 % de la somme qu'ils avaient versée pour jouir de ces droits[98]. Il en fut à peu près de même pour les autres impôts ; ainsi les droits sur les tailles et sur les gabelles, vendus aux particuliers, leur ayant été retirés peu après, les propriétaires reçurent l'intérêt de l'argent qu'ils avaient déboursé, à raison de 7,14 %[99].

Ces faits prouvent surabondamment combien était illusoire l'édit de mars 1634 sur le taux de l'intérêt. Cet édit défendait de faire dorénavant aucune constitution de rente excédant le denier 18, et le denier 16 pour le commerce (5,55 et 6,25 %). Il interdisait cc à tous notaires et tabellions de passer aucun contrat qu'à ladite raison, sous peine de la perte des sommes principales pour les créanciers.

Le motif invoqué par l'édit était que le profit excessif que tiraient les particuliers des ventes et constitutions de rente faisait négliger le commerce. On espérait que ceux qui pouvaient le rétablir ne seront plus retenus dans l'oisiveté par l'avantage qu'ils tirent desdites constitutions de rentes.

Cet édit, pas plus que celui de juillet 1601, par lequel Henri IV avait fixé au denier 16 le maximum d'intérêt des rentes particulières, ne fut jamais appliqué ; mais il sert à prouver qu'à cette époque les particuliers plaçaient aisément de l'argent à un taux supérieur à 6 ½. Il fut violé par le gouvernement même, qui, en 1644, émettait encore 15 millions de rentes à 8,33 %[100].

Les observations qui précèdent, ainsi que les chiffres contenus dans les tableaux annexés à ce chapitre, semblent démontrer que le pouvoir de l'argent est aujourd'hui trois fois plus faible que sous Louis XIII, pour l'ensemble des marchandises, et que toute somme exprimée en livres doit être multipliée par six, pour donner une somme équivalente en francs. Une autre conclusion se dégage de ces détails ; elle est fournie par la valeur relativement modique de certaines marchandises, dont le bas prix sert à prouver les résultats des découvertes scientifiques, et les principes d'une sage économie[101].

 

 

 



[1] De plus, l'histoire de la valeur monétaire se rattache à l'histoire générale de l'économie politique, et sous Louis XIII, elle touche plus particulièrement à la question du double étalon, actuellement agitée dans notre pays.

[2] Le système dont nous parlons peut être vrai dans un pays d'étalon unique, où il ne se trouve jamais que deux vrilles dans l'équation : l'or d'une part, si cet étalon est d'or, et les marchandises de l'antre. Mais, dans les pays à double étalon, il y en a trois : l'or, l'argent, et le reste des marchandises. Dans les pays qui font servir concurremment les deux métaux à la fabrication de la monnaie, il se produit, ou du moins il peut se produire des crises de trois espèces : premièrement, augmentation ou diminution des marchandises, var rapport à l'or et à l'argent ; deuxièmement, augmentation ou diminution de l'argent, par rapport à l'or et aux autres marchandises ; troisièmement, augmentation ou diminution de l'or, par rapport aux marchandises et au métal argent.

[3] Voltaire a donc raison de dire que Montesquieu n'a aucune connaissance des principes politiques relatifs à la richesse, aux finances, au commerce. Ces idées étaient en effet autant d'erreurs grossières, sur lesquelles il n'est pas besoin d'insister, et qui nous montrent que depuis le dernier quart du seizième siècle, la question n'avait pas fait un pas, puisque dans une ordonnance de Henri III, on fait dire à ce prince que rien n'est si nécessaire que d'observer justice en la proportion et correspondance d'entre les deux métaux, or et argent . (Ordonnance de septembre 1577, sur le fait des monnaies.)

Dans son Traité des Monnaies, publié en 1764, Abot de Bazinghem, qui reproduit du reste intégralement, sans le citer, l'Esprit des lois (livre XXII, chap. x), dit : que l'argent a, comme monnaie, une valeur que le prince peut fixer dans quelques rapports... que si l'argent n'était qu'une simple marchandise, il ne faut pas douter qu'il ne perdit beaucoup de son prix... que, le prince établit une proportion entre une quantité d'argent comme métal, et la même quantité comme monnaie... qu'il fixe celle qui est entre les divers métaux employés à la monnaie... enfin, qu'il donne à chaque pièce une valeur idéale. (Dictionnaire des Monnaies, t. I, p. 135.) Un conseiller d'État, Le Bret, affirmait en 1632 qu'il sera toujours en la puissance du prince de hausser et de baisser de prix (la monnaie) quand ses affaires le désireront. (Souveraineté du Roy, p. 249.)

[4] Ce rapport de l'or à l'argent descendit jusqu'à 9, et s'éleva jusqu'à 17, dans l'antiquité. — On sait qu'il est aujourd'hui de 15 ½. Cf. l'Appendice à la fin de ce volume. — Bodin, dans sa République, publiée en 1580, voulait qu'on fit des lois pour maintenir bien exactement la proportion de l'or à l'argent, de 1 à 12. (Page 917.)

D'après Forbonnais, dans ses Recherches sur les finances, cette proportion variait selon les États. Ainsi, vers 1630, elle était de 12 en Allemagne et en Italie, de 12,50 en Flandre, de 13,20 en Angleterre, de 13,30 en Espagne. (Cf. aussi le Traité des monnaies, par un conseiller d'État, publié en 1621 ; in-8°, p. 126.)

[5] Nous avons dû, pour la commodité de la discussion, parler de la livre, qui n'a jamais existé que dans le langage, qui, par conséquent, n'était qu'une monnaie fictive, comme s'il y avait eu réellement des livres d'argent, et supposer en quelque sorte que l'on taillait 26 livres idéales dans un marc d'argent, lorsque le marc valait 26 livres. On sait que la mine et le talent chez les Grecs, le sesterce chez les Romains, ne furent que des monnaies de compte. — Tels étaient aussi la guinée en Angleterre et le ducat en plusieurs Etats d'Italie.

[6] Ordonnance, citée plus haut, de septembre 1571.

[7] Voyez à l'Appendice : Détails de l'histoire monétaire. M. Clamageran ne parait pas avoir aperçu la cause véritable, quand il dit dans sa savante Histoire de l'Impôt (t. II, p. 512) : La valeur monétaire du marc d'argent continue à monter, et par suite, la valeur de la monnaie baisse.

[8] Il n'évalue pas les monnaies de l'Europe entière, à cette époque, à plus de 87.000 kilogrammes d'or, et 3.150.000 kilogrammes d'argent. L'enfouissement des métaux dans les guerres du moyen âge, le frai, le passage des monnaies en Orient, avaient causé cette disette.

[9] Non-seulement les édits étaient souvent interprétés contradictoirement par divers tribunaux, mais on vit des arrêts du conseil d'État cassant des arrêts de la cour des monnaies, lesquels n'avaient d'autre objet que de faire respecter des édits royaux.

[10] Voyez à l'Appendice le Tableau comparé des espèces d'or et d'argent françaises et étrangères (1636).

[11] LE BLANC (Traité historique des monnaies) en donne le modèle.

[12] Voyez le chapitre Hiérarchie nobiliaire, livre II.

[13] Arrêt du 2 décembre 1620.

[14] A Avignon, les pièces de cinq sols ne valaient que 21 livres le marc ; à Stenay, la monnaie du billon n'avait pas le poids réglementaire ; dans le Quercy, on frappait de faux liards, dits Pieds-Guailloux, du nom de leur fabricateur. Dans les patagons de Flandre, il n'y avait que 18 livres 1 s. d'argent fin au marc. (Arrêts de la cour des monnaies du 6 juin et du 24 avril 1637.)

Quelques villes, bien que directement soumises à l'autorité royale, avaient aussi conservé le droit de battre monnaie pour leur propre compte. A Mets, on se servit jusqu'à Louis XIV de la livre messine, spécialement faite pour les Trois-Évêchés. (Arrêt du conseil d'État du 22 octobre 1637.) Les huguenots fabriquèrent une monnaie aux armes du Roi, mais qui n'était pas au même titre. (BRIENNE, Mémoires, p. 6.)

[15] Cf. aux Pièces justificatives le tableau des monnaies. — L'Empereur fit en 1625 une nouvelle monnaie, où il entrait six parts de cuivre et une d'argent. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 542.) Les Anglais firent des difficultés pour le règlement de la dot d'Henriette-Marie ; ils prétendaient que l'argent de France n'était pas d'un si bon aloi que le leur. (BRIENNE, p. 39.) Marie de Médicis fit des observations identiques sur les monnaies italiennes. (Lettres et papiers d'État, I, 611.) Bodin, pour éviter toute falsification, conseillait de n'employer que des métaux simples. (République, 914.)

[16] Le gouvernement fit imprimer un cahier contenant l'image des pièces en circulation, avec leur poids. Les particuliers se crurent là-dessus autorisés à les refuser, si elles n'étaient pas dudit poids trébuchant. Un mois après, le conseil se vit contraint d'ordonner d'en user comme auparavant

[17] BALZAC, le Prince, p. 45. — Entre autres désordres, celui de la fausse monnaie se rendait si fréquent (1631), que ce crime, qui a toujours été en horreur, principalement aux personnes de qualité, s'était glissé même entre quelques-unes d'elles, et partant n'était plus puni selon la rigueur des lois. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 334.)

[18] TALLEMANT, Historiettes, t. I, p. 220.

[19] RICHELIEU, Mémoires, liv. I.

[20] 1630.

[21] Lettres et papiers d'État, t. V I, p. 673 (en 1640), et Archives des Affaires étrangères, vol. 834, fol. 163. — Un sieur Filhon, compromis dans cette affaire, fut exécuté. Il avait rogné 8.000 pistoles.

[22] Gazette, 12 novembre 1633. — Le duc de Roannez avait été condamné par la chambre de justice de l'Arsenal. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 408.)

[23] Elles se nommaient, l'une, Coquart de Mezières (de Champagne) ; l'autre, des Fontaines Siprelt (du Perche). (Gazette, ibid.)

[24] On disait que l'Empereur Rodolphe s'en servait, et qu'il se tint ainsi en santé de longues années. (TALLEMANT, t. X, p. 64.) — Brantôme lui attribue la conservation de la beauté de la duchesse de Valentinois (t. VII, p. 430). — Corbinelly déclare lui devoir le rétablissement de sa santé. (Lettre de madame de Sévigné à Bussy, du 13 octobre 1677.) — Molière fait dire à l'un de ses personnages, apprenant les résultats prodigieux d'un élixir qui ressuscite les morts : Il fallait que ce fût quelque goutte d'or potable. (Médecin malgré lui, acte Ier.)

[25] Guichard Déaegant (ou des Hagens) de Saint-Marcelin, 1610, secrétaire du Roy, premier commis du contrôleur général Barbin, fut mis à la Bastille en 1627, et mourut en 1639, premier président de la Chambre des comptes de Grenoble. Cf. sur lui ROHAN, p. 27, et ARNAUD D'ANDILLY, p. 427.)

[26] Tous les contemporains parlent de cette tentative. — Cf. Mémoires de Thomas DU FOSSÉ. — BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 348. — TALLEMANT, t. VI, p. 191. — Lettres et papiers d'État, t. V, p. 625. — Dubois, dont le vrai nom était Pigard, né à Coulomniers, capucin défroqué, échappé du couvent de la rue Saint-Honoré, avait précédemment passé en Allemagne, s'y était fait luthérien, et s'était marié. Il fut emprisonné à Vincennes, avant son exécution en 1637.

[27] Tels étaient les faux patagons de Flandre, où il entrait 333/1000e d'argent quand les vrais n'étaient eux-mêmes qu'au titre de 666/1000e. (Arrêt de la cour des monnaies, 27 juillet 1627.)

[28] Ce qui serait suffisant, dit la cour des monnaies, pour faire transporter tout le peu de bon or et argent, qui est en iceluy royaume.

[29] Mss. Godefroy, Bibliothèque de l'Institut, vol. 134, p. 398. — C'étaient ceux de Paris, Bayonne, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Saint-Lô, Angers, Limoges, Amiens, la Rochelle.

[30] Cf. le Traité de la cour des monnaies, CONSTANT, 1658, in-fol. C'est l'ouvrage le plus complet à cette époque.

[31] Depuis les généraux, provinciaux et gardes, jusqu'aux prévôts, essayeurs, contre-gardes, tailleurs, ouvriers monnayeurs, changeurs, affineurs, départeurs, batteurs, tireurs d'or et d'argent.

[32] Les horlogers pouvaient faire des montres d'or et d'argent, à condition d'acheter aux orfèvres la matière première.

[33] On les nommait deniers des bottes.

[34] Aujourd'hui, la vérification a lieu avant l'émission.

Cf. ABOT DE BAZINGHEM, Traité des Monnaies. — La tolérance de poids (ou, comme on la nommait, le remède de poids) était de 12 grains par marc, soit 1/384e, ce qui équivaut à peu près aux 3/1000e de notre tolérance actuelle pour l'argent, et dépassait d'un tiers notre tolérance pour l'or.

[35] La tolérance de titre se nommait remède de loi, elle était de 12/32e de carats. Les carats servaient à marquer le titre de l'or ; on supposait que l'or pur était à 24 carats, comme aujourd'hui à 1000/1000e (on disait d'une chose poussée à l'excès, qu'elle était à 24 carats). Ainsi de l'or à 22 carats était de l'or qui contenait 22 parties d'or, contre deux parties d'alliage. Le carat était lui-même divisé en demi, quart, 8e, 16e et 32e de carat. — 12/32e de carat valent ainsi 3/176e, soit un peu moins de 18/1000e. La tolérance actuelle est de 2/1000e.

[36] Cf. aux Pièces justificatives : Création du louis d'or.

[37] Statuts des distillateurs d'eau-forte du 5 avril 1639.

[38] Lettres patentes du 30 avril 1640. — Aujourd'hui, les États de l'Europe excluent les pièces diminuées par le frai de ½ % de leur valeur, si elles sont en or, et de 1 % si elles sont en argent, (Convention du 5 novembre 1878.)

[39] Arrêt de la cour des monnaies du 12 avril 1641. — Richelieu disait qu'il faudrait bannir les changes simulés et supposés, dont le gain injuste est si grand, qu'en moins de cinq ans, si on ne souffre point de banqueroutes, on double son bien, ce qui a fait quitter le commerce à plusieurs pour s'y employer ; aussi sont-ils défendus en Espagne, Portugal, Angleterre et Hollande. (Mémoires, t. I, p. 438.)

[40] Une gravure du temps représente un rogneur sur l'échafaud, à qui le bourreau tranche la tête. Au-dessous, on lit ces vers :

C'est bien raison que l'ou s'appreste

D'écourter ce rogneur sans foy,

Qui rognait de si près la teste

Aux images de notre Roy.

[41] FONTENAY-MAREIUL, p. 241, et TALLEMANT, t. II, p. 100, accusent Cornuel d'avoir agi uniquement dans le but de se débarrasser de 60.000 pistoles légères. (Arrêt de la cour des monnaies du 17 septembre 1639, et FORBONNAIS, Recherches sur les finances.)

[42] Les payeurs des rentes de l'hôtel de ville prétendaient effectuer leurs payements selon la valeur nominale des pièces ; les rentiers ne voulaient accepter les monnaies qu'au poids ; les deux parties avaient raison, toutes deux avaient en leur faveur des déclarations et des édits, qui se contredisaient sans s'annuler.

[43] Arrêt de la cour des monnaies, 29 décembre 1639. — Deux impôts frappaient les métaux précieux : l'un (droit de marque) sur ceux que l'on destinait au commerce — il était de 24 sous ; l'autre (droit de seigneuriage) sur ceux que l'on destinait à la monnaie — il était de 9 livres. L'augmentation de ce dernier était toute récente, mais on comprendra qu'il n'encourageât pas les détenteurs d'or ou d'argent à faire convertir leurs lingots en espèces, et qu'il paralysât par conséquent la fabrication. — Bodin demandait, en 1580, que l'impôt des monnaies et des ouvrages d'or et d'argent fût égal.

[44] Il était de 10 livres, et valait à peu près au poids notre pièce de vingt francs. (Voyez à ce sujet à l'Appendice la Création du louis d'or.)

[45] Elle est développée dans le préambule de l'édit du 31 mars 1640. Forbonnais, dans ses Recherches, l'a acceptée sans discussion.

[46] Le marc d'or monnayé, en pistoles d'Espagne valait 362 livres, en pistoles d'Italie 352 ; le marc d'or monnayé en écus français, 380 livres. C'était une fructueuse spéculation pour le gouvernement français, que d'acheter 352 et 362 livres des pistoles qu'il transformait en louis, et qu'il revendait sous cette nouvelle forme 380 livres. (Cf. un arrêt du Conseil d'État du 7 août 1641.)

[47] Outre l'intérêt qu'on trouve à approfondir ainsi les conditions matérielles de la vie de nos ancêtres, un semblable examen peut servir de hase à l'étude raisonnée des sciences sociales, par le rapport des prix de consommation avec le taux des salaires. Une des plus grandes lacunes que l'on rencontre, dit M. Leroy-Beaulieu, est celle d'une bonne et fidèle statistique des salaires. (Économiste français, 15 novembre 1879.) L'étude du pouvoir de l'argent permet en outre de connaître et d'apprécier les effets des découvertes modernes.

[48] Par suite du même principe, si l'on voulait déterminer le pouvoir de l'argent au dix-septième siècle, pour l'ensemble de l'Europe, il faudrait faire pour chaque pays séparément le travail que nous avons fait pour la France. Dans les temps modernes, les marchandises de toute sorte tendent à atteindre des prix uniformes chez tous les peuples ; il n'en était pas ainsi, à une époque où les communications étaient presque nulles. Lord Herbert Cherbury, venant d'Angleterre en France, constate qu'en arrivant à Calais, la dépense fut deux fois moins forte qu'à Douvres, et la chère deux fois meilleure. (Mémoires, p. 133.)

[49] Bailly, dans son Histoire financière de le France, publiée en 1839, évalue une livre de Louis XIII à trois francs trente-cinq centimes. Ce qui en effet ne donne pour l'argent qu'une moins-value de 50 % environ, Il est vrai que Bailly ne s'est appuyé que sur le blé, pour arriver à ce résultat, qui est inexact.

[50] Forbonnais, qui écrit en 1764, évalue le prix de la livre de pain à cette époque, dans les campagnes, à un sou. Le pain aurait donc diminué de 1630 à 1764, puisque 8 deniers de 1630 font 6 cent. 42 de notre monnaie, et qu'un sou de 1764 ne fait que 5 centimes.

[51] D'après Vauban, il y avait en 1700 20 ares de blé cultivé par habitant ; d'après la statistique contemporaine, il y en avait en 1876 19 ares. En considérant le chiffre de Vauban comme exact, le nombre des terres à blé aurait doublé, puisque la population est double de ce qu'elle était en 1700, et que la part de chaque habitant est restée à peu près la même. Mais le rendement sur la même surface est aujourd'hui le double de ce qu'il était alors. (Cf. le Journal officiel du 20 octobre 1881.)

[52] Voyez le tableau II (alimentation), à l'Appendice.

[53] Richelieu demande aux notables, en 1627, d'établir un ordre pour que les grains soient toujours à un prix si raisonnable, que le pauvre peuple puisse vivre sans les grandes incommodités qu'il a souffertes. (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 327.) Cf. pour la consommation du pain, en 1637, les Mss. Joly de Fleury à la Bibliothèque nationale, 1428 à 1431, particulièrement le Mss. 1428, fol. 5. — Nous étudierons les consommations au chapitre du Commerce.

[54] Appendice. — Il convient de remarquer que le prix de la vie est rarement stationnaire ; si l'on compare les chiffres de 1630 à ceux de 1700, on verra des différences notables.

[55] On ne travaillait guère que deux cents jours par an, à cause de l'abondance des fêtes chômées. Un salaire journalier de 6 à 9 sous donnait donc un produit annuel de 60 à 90 livres. — Les salaires suivirent une marche ascensionnelle assez prononcée dès la fin du dix-septième siècle, mais ils varient considérablement d'une province à l'autre.

[56] Lettres et papiers d'Etat, t. II, p. 166. — Au quatorzième siècle, le sucre valait 28 francs la livre. (Voyez LEBEN, Appréciation de la fortune privée.)

[57] Lettres, t. I. — Voltaire dit à propos de ce calcul de madame de Maintenon : Il faudrait à présent (vers 1770) quarante mille livres pour mener une telle vie dans Paris, et il n'en eût fallu que six mille du temps de Henri IV. (L'Homme aux quarante écus, édit. Didot, t. II, p. 97.) Voltaire estimait donc que le pouvoir de l'argent avait presque triplé de 1678 à 1770 ; car pendant ce laps de temps, le poids idéal de la livre-monnaie avait peu varié.

[58] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 504.

[59] TALLEMANT, Historiettes, t. V, p. 21.

[60] TALLEMANT, Historiettes, t. II, p. 33.

[61] TALLEMANT, Historiettes, t. I, p. 178.

[62] TALLEMANT, Historiettes, t. I, p. 176.

[63] TALLEMANT, Historiettes, t. IV, p. 109.

[64] TALLEMANT, Historiettes, t. V, p. 99.

[65] TALLEMANT, Historiettes, t. VII, p. 156.

[66] TALLEMANT, t. III, p. 211.

[67] TALLEMANT, t. IX, p. 208.

[68] Roman bourgeois, t. I, p. 31. Voyez plus haut.

[69] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 93.

[70] Lettres, t. III, p. 138 (édit. Réveillé-Parise).

[71] Mémoires, p. 241.

[72] Voltaire évalue la quantité de numéraire circulant dans le royaume-vers 1770 à 900 millions. (L'Homme aux quarante écus, édit. Didot, 1800, t. II, p. 104.)

Dans la séance de la Chambre du 7 décembre 1880, M. le ministre des finances dit : Depuis 1795, époque où a été établi en Franco le système décimal, jusques et y compris l'année 1879, la monnaie française a frappé. pour 8 milliards 645 millions d'or.

Je n'ai pas la prétention de dire qu'il existe en France 8 milliards 645 millions d'or. Il convient de reconnaître que l'on a usé, et que l'on use journellement, une certaine quantité d'or, soit en lingots, soit en barres. Je ne prétends même pas qu'il y en ait 6 milliards, j'estime qu'il y en a entre 5 et 6 milliards, et plus près de 5 que de 6. Le papier-monnaie sous toutes les formes, vient encore multiplier la marchandise-monnaie. — On voit sous Louis XIII un curieux exemple de valeur fiduciaire. Le maréchal de Toiras, assiégé dans Casai, ayant épuisé ses ressources pécuniaires, fit fondre une pièce de canon hors de service, et en convertit le bronze en pièces de monnaie pour une valeur fictive d'environ 10.000 livres. Un banquier s'obligeait à les rembourser en or ou en argent, à ceux qui les lui rapporteraient à la fin du siège. (Lettres et papiers d'État, t. III, p. 688.)

[73] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 24.

[74] BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 73.

[75] Arrêt du Parlement du 28 février 1643.

[76] Mss. Godefroy, Bibliothèque de l'Institut, vol. 131, fol. 167.

[77] Mss. Godefroy, Bibliothèque de l'Institut, vol. 131, fol. 97.

[78] Mss. Godefroy, Bibliothèque de l'Institut, vol. 133, fol. 124.

[79] Mss. Godefroy, Bibliothèque de l'Institut, vol. 135, fol. 3.

[80] Historiettes, t. VII, p. 68.

[81] Mémoires de lord Herbert Cherbury, p. 135.

[82] Mss. Godefroy, vol. 131, fol. 114. (Bibliothèque de l'Institut.)

[83] Mss. Godefroy, vol. 133, fol. 124.

[84] Mss. Godefroy, vol. 133, fol. 243.

[85] Ces chiffres ont un caractère d'authenticité incontestable, puisqu'ils ont été relevés par Godefroy, historiographe de France, dans les comptes même de l'Épargne, aujourd'hui détruits.

[86] Mss. Godefroy, fol. 124 et suiv.

[87] Voyez Godefroy, vol. 135, fol. 42.

[88] Godefroy, vol. 133, fol. 240.

[89] Godefroy, vol. 133, fol. 186.

[90] Répartition des richesses.

[91] Lettres et papiers d'État, t. VII, p. 786.

[92] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 185.

[93] République, p. 710.

[94] République, p. 893. — En 1522, un emprunt d'État, qui est regardé comme l'origine de la dette publique en France, se fit au taux de 8 %, et encore fallut-il user de contrainte envers les principaux bourgeois et notables. Semblançay et la surintendance des finances, par A. DE BOISLISLE (broch., p. 238).

[95] On demande au gouvernement, en 1627, 2.400 livres pour 12.000 ; Richelieu a beau dire que c'est là une usure manifeste, il n'a pas le choix des prêteurs.

[96] Le taux de l'intérêt de l'argent avait, du reste, baissé depuis les temps féodaux. Le taux minimum des Juifs, au moyen âge, était de 40 %, et un acte de Louis X le Hutin les autorise à prêter un sou pour livre par semaine, soit 260 %. Pourtant, dans l'Ordonnance du 13 juillet 1315, le même roi disait : Notre volonté n'est mie qu'ils puissent prêter à usure.

[97] Arrêt du conseil d'État, du 4 avril 1637.

[98] Édit de juillet 1634.

[99] Arrêt du conseil d'État, 17 juin 1634.

[100] Mémoires de O. TALON, p. 125.

[101] Les boissons, les viandes, ont plus que triplé, tandis que le blé est à peine moitié plus cher. Dans l'épicerie, quelques objets sont au-dessous de la proportion de 3 à 1 ; d'autres sont au-dessus. L'éclairage ne conte pas le double de ce qu'il coûtait, et le chauffage revient près de quatre fois plus cher. Il en est de même des chaussures, des chapeaux, des bêtes de somme, des fourrages. Au contraire, les étoffes, le linge, les transports, ont peu augmenté.