RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE II. — LA NOBLESSE ET SA DÉCADENCE (suite).

CAUSES DE LA DÉCADENCE.

CHAPITRE II. - ACTION DU GOUVERNEMENT.

 

 

I

LE ROI PRODIGUE LA NOBLESSE. — Elle est livrée au pillage. — On est noble à prix d'argent. — Écuyer devient banal ; Monseigneur devient ordinaire. — Aucun contrôle, sauf dans un but fiscal. — Empiètement général des nobles les uns sur les autres ; les plus grands n'y échappent pas. — Confusion qui en résulte.

 

Anéantir l'aristocratie sous Louis XIII était difficile, la maintenir dans son ancienne forme était impossible ; la réformer eût été sage, la déconsidérer fut impolitique et dangereux. On peut différer d'opinion sur l'utilité d'une noblesse héréditaire, mais tout le monde conviendra que, tant qu'elle existe légalement dans l'État, tant qu'elle jouit de privilèges spéciaux, c'est une faute grave pour un gouvernement de la prodiguer et de la laisser envahir. En mettant la noblesse à la portée du premier venu, le souverain l'avilit, et en l'avilissant par insouciance ou par calcul, il porta préjudice à la monarchie elle-même, puisque cet ordre était censé y occuper la première place. Ceux qu'on y admit ne s'en trouvèrent plus honorés, ceux qu'on n'y admit pas s'en trouvèrent blessés. La masse de la nation l'estima moins, et la jalousa davantage.

Dans les projets de réforme du duc de-Bourgogne, — projets que la mort prématurée de ce prince empêcha de se réaliser, — les anoblissements étaient défendus, sauf les cas de service signalé rendu à l'État[1]. Tel avait toujours été le vœu légitime des états généraux, où les gentilshommes demandaient par la voix de leurs députés que les lettres de noblesse ne fussent accordées qu'aux plus dignes, et qu'aucun office ne pût de plein droit conférer de privilèges[2]. En somme, rien n'était plus sensé ; on fit tout le contraire. Loin de restreindre le chiffre des privilégiés, déjà beaucoup trop considérable, on l'augmenta sans aucune mesure. Jusqu'alors les officiers de justice obtenaient la noblesse après l'exercice d'une charge pendant trois générations. On la leur conféra d'emblée après un exercice personnel de vingt années. On récompensa ainsi par un honneur dont leur postérité devait profiter à jamais, et qui procurait exemption de la taille à tous les membres de leurs familles, des magistrats qui aujourd'hui recevraient simplement le ruban de la Légion d'honneur[3]. On alla jusqu'à conférer à plusieurs d'entre eux une noblesse de quatre degrés en arrière, allant chercher leurs aïeux dans leurs tombes pour les anoblir[4] ; et tandis que les Nicolaï, qui depuis la fin du quinzième siècle étaient de père en fils premiers présidents de la Chambre des comptes, obtenaient seulement après cent soixante ans d'exercice un marquisat, les propres fils des fermiers des aides se faisaient titrer haut la main. En faveur de l'avènement de Louis XIV à la couronne, on anoblissait moyennant finances deux personnes par généralité[5]. Durant son règne, Louis le Grand eut souvent recours à ce moyen de remplir ses coffres ; il vendit à bas prix les lettres de noblesse[6], et si l'acheteur faisait défaut, il obligeait à les acquérir le, bourgeois récalcitrants qu'il savait assez riches pour les payer ; — noblesse obligatoire, gentilshommes d'impôt : peut-il être rien de plus ridicule ?

On agit de même pour les distinctions aristocratiques ; écuyer était la seule qualité que les seigneurs ordinaires ajoutaient jusqu'alors à leur nom. On voit même des descendants de très-illustres maisons qui n'en prennent jamais d'autre ; ils n'avaient droit qu'à celle-là d'ailleurs à moins d'être pourvus de quelque charge considérable qui leur donnât le titre de chevalier[7]. Se dire écuyer c'était donc se dire de race noble. Louis XIII permet cependant pour quelques écus à ses valets de chambre, huissiers de chambre, portemanteaux et valets de garde-robe, de se qualifier et user du titre d'écuyer[8] ; il donne le même droit aux chevaliers du guet et à leurs lieutenants, — simples agents de police — aux gardes du corps français ou étrangers, aux commissaires des guerres, enfin à peu près à tous ceux qui peuvent le désirer[9]. Son successeur l'étendit libéralement jusqu'aux porte-malles de la cour[10] ; toujours, il est inutile de le dire, à la condition expresse de passer aux bureaux du Trésor, et d'y acquitter les droits.

Dès la régence de Marie de Médicis, la noblesse réclamait vivement contre l'abus de certains titres honorifiques que l'usage commençait à répandre dans toutes les classes. Messire, madame, jadis réservés aux gens de condition, se vulgarisaient. Bien loin d'y mettre obstacle, le gouvernement songeait à donner, pour de l'argent, la permission de porter chaperon de velours, de prendre le titre de dame et demoiselle à tous ceux qui n'étaient de la qualité requise, et ne laissaient d'en prendre l'habit et le nom[11]. Quand il n'en fait pas commerce, le souverain abandonne au pillage les attributs de la classe privilégiée. Chacun s'en empare selon sa fantaisie. Dès 1629 paraît un Mémoire sur l'abus des armoiries[12]. Les non nobles prennent et usurpent des armoiries timbrées, sommées, supportées, avec pennaches et lambrequins et autres différences singulières. Cette manie devint générale dans les années qui suivirent le règne de Louis VIII ; tout le monde en fut atteint, et le souverain ne parut pas y prendre garde[13]. Il n'exista plus de roture un peu heureuse et établie, à qui il manquât des armes, une devise, et peut-être le cri de guerre... ; quelques bourgeois n'allèrent pas chercher leur couronne fort loin, et la firent passer de leur enseigne à leur carrosse[14]. Si parfois le pouvoir s'inquiète de ces empiètements, et les interdit sévèrement par des lois qui ne sont pas exécutées, c'est à seule fin que ces gentilshommes improvisés proprio motu ne puissent se prévaloir de sa tolérance pour se dispenser du payement des tailles, ou de quelques autres impôts dont la noblesse est exempte. Ce sont de simples mesures conservatoires par lesquelles il interrompt la prescription ; et s'il trouble la possession tranquille des intrus, c'est dans un intérêt purement fiscal[15] — Les usurpateurs, au reste, n'ont-ils pas mauvaise grâce à s'attribuer gratis ce qu'on cherche à leur vendre si bon marché ? Il en coûte si peu pour être régulièrement anobli, qu'ils sont vraiment inexcusables de vouloir s'anoblir irrégulièrement.

Gaspillés comme à plaisir par le Roi, pillés impunément par les sujets vaniteux, les attributs nobles et la noblesse elle-même perdirent bientôt de leur valeur. Les anciens gentilshommes dédaignèrent les anciens titres auxquels ils avaient droit, mais qui ne les distinguaient plus de la foule, pour se parer de titres nouveaux qu'ils jugèrent plus honorables, mais qui ne leur appartenaient pas. Les gens de qualité ambitionnèrent les prérogatives jusque-là réservées aux grands seigneurs, les grands seigneurs s'approprièrent celles des princes ; ce fut ainsi du haut en bas de l'échelle une longue suite d'usurpations, où le déclassement volontaire de chacun excitait les rancunes d'un petit nombre, et n'assouvissait les ambitions de personne. Voyant que noble homme, sieur ou écuyer étaient devenus vulgaires, le gentilhomme se qualifia de messire, de seigneur, de chevalier ; quand ces appellations elles-mêmes tombèrent dans le commun, il se fit traiter de très-haut et très-puissant seigneur, sur ses terres et par ses gens[16]. La confusion fut telle vers la fin de l'ancien régime, les abus avaient poussé des racines si profondes, qu'il serait impossible de dire exactement quelles étaient alors les limites du droit légal, de la tolérance mondaine et de la fantaisie individuelle.

C'est du règne de Louis XIII que date ce luxe des belles et bien sonnantes appellations ; il n'arrive pas du premier coup à son apogée, mais il se développa dès cette époque avec un rare succès et une rapidité singulière. La liste des députés de la noblesse, aux États généraux de 1576, comprend soixante-douze gentilshommes, sur lesquels trois seulement portent des titres : le vicomte de Polignac, le seigneur de Narbonne, baron de Campandu, et noble François de Quincampoix, comte de Vignoris. A côté d'eux figurent, sans aucun titre, des personnages de la plus haute qualité, tels que les seigneurs de Senecey (Bauffremont), de Royan, de Thouars (La Trimoille), de Rochefort, de Saint-Géran (La Guiche), de Lieucourt, etc.[17] La même observation s'applique aux États de 1560 ; quatre ou cinq titres portés par des nobles ordinaires, tandis que des cadets de grande maison s'intitulent et signent simplement : le seigneur de Lévis.

Sous Louis XIII, Béthune, frère du duc de Sully, et Soubise, frère du duc de Rohan, s'appellent : le sieur de Béthune, le sieur de Soubise[18]. Déjà cependant le corps aristocratique sentait le besoin, pour mettre un frein aux velléités ambitieuses de quelques-uns de ses membres, d'avoir en chaque province un syndic élu, arbitre des doutes ou des litiges relatifs aux titres et aux blasons[19]. Le Roi ne jugea pas à propos d'intervenir en créant une institution de ce genre ; il était pour son compte si indifférent aux usurpations, que les seigneurs, en lui faisant foi et hommage de leurs fiefs, prenaient ouvertement des titres qu'ils n'avaient pas[20]. Seule, la Chambre des comptes, tribunal roturier, se montre gardienne sévère de la règle. Elle décide qu'il ne sera délibéré sur les replètes d'aucuns seigneurs prenant titre de ducs, comtes, marquis, qu'il n'apparaisse de leurs lettres d'érection registrées[21]. Elle refuse à Charles de Sévigné la qualité de marquis, et à deux membres de la famille de Rochechouart les titres de comtes de Maure et de marquis de Chandenier[22] Elle donne six mois à Bautru, comte de Nogent, pour faire apparoir des pièces justificatives de sa qualité de comte sans approbation d'icelle[23]. C'était un juste et dur contrôle, mais il atteignait seulement ceux qu'un procès ou une affaire administrative amenait à la barre de la Chambre ; ceux-là même demeuraient libres de prendre partout ailleurs le titre qui leur convenait. Nous vivons dans un temps, dit Scarron, où chacun se marquise de soymesure, je veux dire de son chef. Chavigny se fait marquis ; nos plénipotentiaires à Munster se font comtes de leur autorité privée ; Guébriant agit de même[24]. Et lorsque des gens si haut placés en usent ainsi, de plus modestes les imitent ; si bien qu'en peu de temps les titres de comtes et de marquis furent moins estimés en France que dans tout autre pays d'Europe[25].

Quand tout gentilhomme crut devoir se titrer en venant à la cour, les personnages de marque, pour conserver leur suprématie, cherchèrent quelque distinction nouvelle. De là, l'usage immodéré du monseigneur, jadis réservé au Roi, puis aux princes du sang et aux maréchaux de France ; que les cardinaux s'attribuèrent peu à peu, et qui se généralisa si bien qu'au milieu du dix-huitième siècle, les ministres, les ducs et pairs, les lieutenants généraux, les gouverneurs de province, les intendants, les ambassadeurs, les présidents de parlement, les évêques, enfin les membres de presque toutes les grandes familles, se faisaient traiter de monseigneur[26]. Sur quoi monseigneur n'étant plus aussi relevé, ceux qui jadis y avaient droit cherchèrent autre chose et prétendirent à l'altesse. Sous le ministère de Richelieu, l'altesse était fort rare ; les électeurs, le duc de Savoie, quelques princes souverains d'Italie étaient seuls à en jouir. Seul en France le duc d'Orléans, frère du Roi, la possédait[27]. Le Cardinal en gratifia le prince d'Orange, pour honorer les États de Hollande, nos alliés ; et les États l'en remercièrent solennellement. A la même époque, tous les princes français, à qui jusqu'alors un homme de qualité n'avait jamais dit que Monsieur, en leur adressant la parole[28], eurent droit au même honneur, et après eux, tous les seigneurs d'origine princière. Sous Louis XIV, chacun se piqua d'émulation ; les Rohan, les La Trimouille, les Bouillon, et plusieurs autres, se firent donner le même titre[29]. Il est vrai qu'en même temps, et par suite de la même marche ascendante, le duc d'Orléans, le duc de Savoie, le cardinal-infant (des Pays-Bas) passaient de l'altesse simple à l'altesse royale[30].

Ces remarques peuvent sembler puériles, elles ont leur importance pour un pays comme la France monarchique. De tout temps les hommes ont été sensibles aux distinctions honorifiques. Parures vaines des individus qui les obtiennent sans mérite, ou qui se les attribuent sans droit, ces distinctions deviennent nécessairement ridicules ; niais dignes récompenses dés services rendus et de la gloire acquise, elles seront toujours, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, honorables autant qu'honorées. Dans le premier cas, elles flattent une misérable vanité ; dans le second, elles satisfont un orgueil légitime. Le devoir et l'habileté du gouvernement royal consistaient à réprimer l'une et à contenter l'autre : il ne le comprit pas suffisamment.

 

II

LA NOBLESSE DE ROBE. — Les emplois civils. — Ce sont les plus utiles. —Les gentilshommes les dédaignent. — Privés de l'éducation préalable, ils ne peuvent gouverner. — Daine éternelle des deux noblesses l'une pour l'autre. — Méfiance des Rois envers la nouvelle aristocratie.

 

A un État moderne dont l'idéal doit être de vivre en paix, il faut des magistrats, des professeurs, des administrateurs, des financiers, des commerçants. Les principaux de ceux qui occupent ces emplois civils, qui s'adonnent à ces occupations pacifiques, sont vraiment les Grands — optimates — dans le sens logique de ce mot. Ils devront donc composer le patriciat politique, où les chefs de l'armée ne figureront qu'en minorité. Ce patriciat comprendra des personnages plus ou moins brillants : dans un état-major il n'y a pas que des généraux ; dans une assemblée délibérante il n'y a pas que des orateurs, et c'est justice. Aux chefs et aux leaders qui tiennent la tète et donnent le mot, il faut des lieutenants habiles et expérimentés. Au discours éloquent, le vote obscur et sage vient servir tantôt de sanction, tantôt de contrepoids. Chacun dans le corps aristocratique payera sa dette à la patrie selon ses facultés. C'est dire que tout noble ne sera pas tenu d'être une gloire nationale, mais qu'il pourra être une utilité locale.

Si la noblesse avait répondu à ce programme, elle existerait encore ; si elle fut détruite, c'est qu'elle n'y répondit pas. Sire, disaient ses représentants à Louis XIII, nous avons été privés de l'administration de la justice, des finances, et de vos conseils... La noblesse est au plus pitoyable état qu'elle fut jamais, et il nous serait malaisé de représenter sans larmes la pauvreté qui l'accable, l'oisiveté qui la rend vicieuse, et l'oppression qui l'a presque réduite au désespoir[31]. Ils demandaient que le tiers des nominations dans les compagnies souveraines fût réservé à la noblesse[32] ; que les baillis, sénéchaux, prévôts généraux, grands maîtres des eaux et forêts fussent pris exclusivement dans son sein ; ils désiraient que tous les trésoriers de  France fussent gentilshommes, ainsi que les maires et premiers consuls des villes, à peine de nullité de l'élection[33]. Le gouvernement ne donna suite à aucun de ces vœux ; y eût-il déféré, la noblesse n'aurait pas fourni de sujets pour remplir les places qu'elle faisait semblant d'ambitionner. En vent-on un exemple ? Les baillis étaient presque tous nobles, parce qu'à l'époque où les bailliages avaient été institués, la noblesse, encore toute-puissante, s'était attribué ces emplois. Mais ceux qui possédaient ce titre n'en firent pas les fonctions ; ils s'en abstinrent même si généralement, que l'usage — et comme on sait, un usage alors devenait une loi — leur interdit peu à peu de les remplir. L'autorité effective passa tout entière aux mains de leurs lieutenants généraux, qui furent les véritables magistrats. Ainsi les baillis se trouvaient sous Louis XIII dans la situation de présidents amateurs d'un tribunal qui était censé les avoir à sa tête, mais où ils n'avaient pas le droit de siéger[34].

Richelieu parle un instant de faire servir de sages gentilshommes par quartiers, dans les conseils royaux, parmi plusieurs de messieurs de robe longue, afin de former leur esprit aux affaires, et les rendre capables de servir dans de plus hauts emplois[35]. Il abandonna aussitôt ce projet. Cependant les gentilshommes manquaient surtout de cette éducation préalable, sans laquelle le mieux doué ne peut réussir dans le maniement des affaires publiques. On le vit bien à la mort de Louis XIII, durant ces premiers jours de réaction où la Régente, accablée sous le fardeau inopiné qui lui incombait, chercha tout d'abord un guide et un conseil parmi les ennemis du défunt cardinal. Pas un dans toute cette cabale de grands seigneurs n'avait l'étoffe d'un ministre. Tous se bornent à demander à la Reine de s'entourer de gens dont ils puissent espérer de l'amitié et de l'appuie, mais ils n'osent solliciter les places pour eux-mêmes, parce qu'ils ne se sentent pas capables d'en faire le travail[36]. Pendant que les grands se contentent d'être gourmets ou coteaux, d'aller chez Thaïs ou chez Phryné, de parler de la meute ou de la vieille meute, de dire combien il y a de postes de Paris à Besançon ou à Philipsbourg, des citoyens s'instruisent du dedans et du dehors d'un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, songent à se placer, se placent, deviennent puissants[37]. La haute noblesse ne prend part aux affaires que par le soin d'intérêts mercantiles et particuliers, c'est pour elle question d'honneurs ou question d'argent ; de droits politiques, elle n'en réclame pas. Ce qu'elle réclame, c'est l'exemption des tailles pour ses fermiers, afin d'affermer ses terres à meilleur compte ; c'est l'exemption du logement des gens de guerre, c'est l'interdiction aux roturiers de certains monastères nobles[38]... Quelle différence avec l'aristocratie anglaise, où l'on trouve toujours quelque homme d'un grand nom ou d'une grande existence, à la tête de tous les mouvements utiles, .de toutes les questions d'avenir ! Étroitement retranchée dans son individualisme, la noblesse française était condamnée à périr d'inanition et d'orgueil stérile[39].

Petit à petit les nobles sont évincés de partout ; la noblesse se trouve — comme ordre — sans objet dans l'État, par conséquent en dehors de l'État ; l'ordre entier eût pu se concerter au même moment pour abandonner tout service public, le pays n'en eût éprouvé aucun dérangement. On n'entend pas sans ironie le duc et pair prêter sous Louis XIV le serment traditionnel de bien et fidèlement servir le Roi dans ses très-hautes, très-grandes et très-importantes affaires, de rendre la justice au pauvre comme au riche, tenir les délibérations de la cour secrètes, garder fidélité au souverain. Politiquement parlant, ce duc et pair n'est rien de plus que le premier Français venu[40].

Il est vrai qu'une nouvelle aristocratie venait de naître, celle des fonctions civiles : la noblesse de robe. Elle enleva à l'ancienne le peu d'influence qui lui restait, mais ne parvint pas à tenir la place et à jouer le rôle qui convient à un corps dirigeant dans une grande nation. La haine de la noblesse d'épée, vaincue, mais non disparue, le despotisme niveleur du Roi, l'en empêchèrent toujours. Je ne sais, dit La Bruyère, d'où la robe et l'épée ont puisé de quoi se mépriser réciproquement[41]. Leur antipathie datait de loin, et leur séparation fut éternelle. On a vu que le seigneur quitta de bonne heure le Parlement, dédaigna le domaine du légiste, et lui ferma tant qu'il le put les portes de l'aristocratie ; le légiste, de son côté, prit le seigneur en aversion, lui suscita mille embarras, et quand il entra dans la caste privilégiée, loin de devenir le confrère de son ancien rival, il demeura son adversaire[42]. Les nouveaux venus ne prirent pas l'esprit traditionnel, les anciens ne prirent pas l'esprit logique. Les deux noblesses vécurent côte à côte, sans se mêler, sans se comprendre, chacune s'indignant des privilèges de l'autre. Les chefs de familles illustres de la féodalité parlementaire, même lorsqu'ils possédaient des titres égaux à ceux de la féodalité militaire, affectaient de porter leur nom patronymique, en le faisant précéder seulement de leur grade judiciaire[43]. Il semblé qu'ils tiennent à peine à ces vains ornements dont leurs prédécesseurs eussent été si flattés un siècle plus tôt. Un historien énumère avec joie les noms des ministres presque tous plébéiens de Louis XIV[44] ; avant Louis XIV, il y en avait eu bien d'autres aussi modestes d'extraction, mais jusqu'alors les secrétaires d'État ne pouvaient rien ou peu de chose, et à cette époque, ils pouvaient tout ou presque tout.

Aussi n'est-ce plus l'égalité qu'ils ambitionnent, mais la prééminence. Les nobles d'épée peuvent leur dire, selon le mot du duc d'Épernon : Vous autres, messieurs, vous montez, et nous descendons. Il n'y a plus seulement morgue d'une part et susceptibilité de l'autre, comme aux états de 1614, il y a lutte ouverte[45]. Les officiers des présidiaux s'émancipent tous les jours de précéder la noblesse aux assemblées ; rien ne leur parait plus juste, puisqu'ils ont juridiction sur elle. En effet, les gens de loi ont depuis longtemps dépouillé les nobles du droit d'être jugés par leurs pairs ; ils les ont amenés à leur barre, et se sont attribué à eux-mêmes cet ancien privilège. A leur tour, les magistrats ne comparaissent au criminel que devant leurs collègues, dans l'assemblée dont ils font partie[46].

Les ducs essayèrent vainement de disputer la préséance au chancelier : l'intérêt des robes longues, dit mélancoliquement l'un d'eux, l'emporta par-dessus les pairs de France[47]. Un peu plus tard, les présidents à mortier refusèrent aussi de céder le pas aux pairs ; ils le contestaient même aux princes du sang. On juge de ce que devenait la noblesse moyenne en face de ces parlements, qui ne voulaient reconnaître que le Roi au-dessus d'eux[48]. Les choses sont arrivées à ce point que le plus grand seigneur ne peut être bon à personne, et qu'en mille façons différentes il dépend du plus vil roturier[49]. Les agents du gouvernement, petits et grands, qui sont à Paris et en province le gouvernement lui-même, sont animés de l'esprit le plus malveillant vis-à-vis de celte aristocratie, privilégiée pourtant dans l'État. Celle-ci, il faut le dire, déteste profondément les magistrats de toute classe. Bassompierre conseille à Créqui, mécontent du Parlement de Grenoble, de tourmenter cette cour, et de se servir de son pouvoir pour la mettre à la raison ; il lui suggère l'idée de mille vexations odieuses que son autorité de gouverneur lui permettra de faire subir impunément aux conseillers[50]. A ces hommes de robe, les hommes c cour reprochent d'être sales, crasseux, d'avoir la mine basse ; nourris dans le palais, ils ne peuvent connaître que la chicane, et point du tout le monde[51]. Le peuple, lui, n'avait pas été long à prendre parti ; il aimait le Parlement pour son hostilité perpétuelle contre la noblesse. Celle-ci n'a pas su identifier sa cause avec celle du peuple, elle en porte la peine ; on la redoute, on n'en attend plus rien désormais. Nous n'avons que faire des querelles des grands, dit la petite bourgeoisie ; qu'ils s'accordent s'ils veulent, ou s'ils peuvent, mais qu'ils ne nous y mêlent point... Nous en avons mangé, du chien, du chat et du cheval, et nous ne sommes point d'avis d'y retourner pour le prix[52].

Il y aurait eu dans ces familles parlementaires les éléments d'une aristocratie solide, populaire, appropriée aux temps modernes. La robe comptait déjà des noms qui avaient plus d'un siècle de noblesse prouvée. Les Amelot, les Séguier, les Molé, les Brûlart, les Boschard, les d'Alligre, les Maupeou, sans parler de personnages moins en évidence, comme les Faucon, Bragelogne, Forget, Fayet, Paris, Sublet, etc., formaient un noyau compacte de maisons déjà puissantes[53], auquel venaient s'adjoindre chaque jour des races hier bourgeoises, aujourd'hui anoblies ; les Dreux, les Chaponnay, les Le Gras, les Grollier vers le commencement du dix-septième siècle ; les Sainctot, les Le Bret, les Ganay, les Beauharnais, les Le Tonnelier, vers le milieu du règne de Louis XIII[54]. Leurs arbres généalogiques, encore jeunes pour la plupart, se ramifiaient déjà dans toutes les branches de l'administration. De plus, ils étaient riches : le président de Mesmes jouissait de cent mille livres de rente en terres, presque autant que le duc de Rohan[55] ; son frère d'Avaux avait un hôtel dont le terrain seul valait deux cent cinquante mille livres ; les présidents Tambonneau, Le Jay et de Chevry avaient de splendides demeures, dont l'une devint le palais Mazarin[56]. On voit les fils d'un intendant ou d'un conseiller avoir leurs carrosses, leurs gens et leurs chasses, aussi souvent que les fils d'un grand seigneur.

Si le Roi avait su réunir les plus illustres de cette noblesse civile aux plus utiles de l'aristocratie militaire, leur conférer des droits en rapport avec leurs services ; protéger le corps ainsi constitué contre les empiétements d'autrui et contre les siens propres, le renforcer sans cesse par l'adjonction de tous les hommes de valeur, par l'exclusion de tous les hommes inutiles, il eût fondé un patriciat à la fois fidèle au trône, et dévoué au peuple. Dans les luttes formidables que suscite le mouvement de la civilisation, ce patriciat eût été à la hauteur de sa tâche. Louis XIII et ses successeurs ne le voulurent pas, parce qu'ils n'aimaient pas plus la nouvelle noblesse que l'ancienne, qu'ils n'affectionnaient pas plus la robe que l'épée. Véritables démocrates à la manière des Césars, ils n'aimaient aucune espèce d'aristocratie, parce qu'ils n'admettaient aucune sorte de supériorité sociale[57]. Louis XIV a pris soin de nous faire lui-même connaître les motifs de sa conduite. S'il emploie des hommes de petite naissance, c'est afin qu'ils lui doivent tout, et qu'ils dépendent entièrement de lui. Le contrôle nécessaire du pays, qu'un souverain modéré doit ambitionner par-dessus toute chose, est précisément ce qu'il redoute davantage. Louis XV professa les mêmes maximes ; aussi verra-t-on la noblesse de robe haïe du prince au dix-huitième siècle, autant que la noblesse d'épée avait pu l'être dans les siècles précédents ; tandis qu'au contraire le gentilhomme de cour semblera recouvrer les faveurs royales, en raison même de son impuissance politique.

 

III

CONCLUSION. — Il fallait renforcer les institutions. — Les grands jours de Poitiers, sans influence. — Le rasement des forteresses. — La noblesse logique et idéale. — La noblesse anglaise et la nôtre.

 

Avant de terminer cette longue étude, nous éprouvons le besoin de résumer notre pensée. — A la mort de Henri IV, les grands étaient mâtés ; ils ne pouvaient rien[58]. Vint la régence de Marie de Médicis ; elle fut faible, ils redevinrent forts, et l'on s'étonna de leur pouvoir. Une conclusion bien simple peut se tirer de cette comparaison entre deux époques : c'est que le Roi, pour peu qu'il fût dans la force de l'âge et suffisamment habile, était personnellement assez puissant pour dominer les nobles ; mais que les institutions gouvernementales n'étaient pas assez Fortes par elles-mêmes pour contrebalancer l'influence des seigneurs rebelles, si le Roi était enfant, s'il était fou, prisonnier, ou seulement trop maladroit. Ce n'était donc pas le pouvoir personnel du Roi, mais les institutions permanentes du pays qu'il fallait renforcer.

Transformer la noblesse guerrière eu noblesse civile, contenir l'esprit factieux, développer l'esprit public, discipliner sans détruire, réformer et non démolir, tel était le problème difficile que pouvait résoudre un ministre tout-puissant[59]. La destruction, en effet, se faisait toute seule ; Richelieu employa peu de moyens actifs contre la masse de la noblesse.

L'histoire a beaucoup parlé des grands jours de Poitiers, tenus en 1634. Elle a dit que par ce tribunal extraordinaire, où bon nombre de gentilshommes, — et des plus notables, — furent condamnés, le Cardinal imprima à l'aristocratie un salutaire respect de la loi. Il faut se souvenir que la Cour des grands jours n'avait d'autre ressort que celui du Parlement de Paris, auquel le Périgord fut ajouté pour la circonstance[60]. Les débuts de sa procédure furent, il est vrai, des plus pompeux. Ordre avait été donné aux magistrats d'instruire et de juger tous les procès le plus sommairement et brièvement que faire se pourrait, et de punir les contumaces par le rasement de leurs maisons. Le Roi s'était engagé à n'accorder aucune grâce, avait annulé les évocations au conseil, et déclaré que nul ne serait excepté, de quelque qualité et condition qu'il pût être. La Cour enjoignit aux évêques et aux curés de faire des monitoires en chaire, afin de contraindre toutes personnes venir à révélation sur les faits relatifs aux usurpations de bénéfices et de dixmes, à la fausse monnaie, aux corvées et devoirs non dus, aux levées illicites... Ils furent tenus d'envoyer les révélations qui leur seraient faites au substitut du procureur général du Roi, à peine de la saisie de leur temporel. Et, comme la justice ne serait qu'un vain mot si le gendarme ne venait pas assurer la prépondérance du juge, la Cour invita en même temps les sénéchaux, baillis, prévôts des maréchaux, à prendre tel nombre d'archers qu'ils jugeraient nécessaires pour faire les captures, et à faire mener le canon devant les places et châteaux de ceux qui tiendraient fort contre leur autorité[61].

Mais tout cet appareil n'aboutit à rien, ce beau zèle demeura sans résultat, et, de lassitude, la Cour se sépara quelques mois plus tard sans avoir rien fait de sérieux. Du reste, parmi les deux cents condamnations qu'elle prononça par défaut, il n'y en a pas un quart rendues contre des nobles, et, sur ces nobles, il en est à peine une douzaine jouissant d'une légère notoriété[62].

Il en fut de même d'une autre mesure dont nous avons déjà parlé : le rasement des forteresses privées. Depuis longtemps déjà les châteaux forts ne servaient plus, ni aux populations rurales qui jadis s'y réfugiaient en temps de guerre, ni aux propriétaires qui s'y défendaient contre les armées étrangères ou nationales[63]. L'opération ordonnée par le premier ministre se fit en général au moyen d'exempts commissionnés à cet effet, et investis du droit de requérir main-forte. On rasa non-seulement la plupart des maisons-fortes, mais aussi beaucoup d'habitations qui étaient en bonne assiette[64]. Quelques propriétaires, en fort petit nombre, reçurent des indemnités[65] ; la plupart réclamèrent en vain contre ces destructions. Ma maison ne fait mal à personne, disait le maréchal de La Force... ; c'est une grande conséquence que de s'attaquer aux maisons particulières. Celle-là n'est point une maison de guerre, et n'est que pour le plaisir[66]. Les forteresses disparaissaient une à une sous l'influence du goût nouveau et de l'architecture nouvelle ; si l'on en bâtissait quelques-unes, c'était en miniature, et par une fantaisie identique avec celle d'un amateur de moyen âge qui orne aujourd'hui son château de créneaux et de tourelles[67]. Depuis Richelieu jusqu'à la Révolution, le seigneur haut justicier conserva le droit de bâtir sur sa terre une citadelle sans lettres du Roi, et néanmoins on n'en connaît aucun qui ait usé de cette licence[68].

Il est vrai que les petites murailles de six pieds d'épais portaient ombrage à beaucoup de gens. Ces démolitions, comme tous les actes par lesquels Richelieu dépouilla la noblesse d'une force matérielle surannée, obtinrent l'assentiment de l'opinion publique. Le pouvoir fut en cela d'accord avec les mœurs : Toute la mauvaise humeur des gentilshommes se passera à l'avenir dans leur cabinet et contre leurs domestiques[69]. Mais l'opinion aussi aurait soutenu la royauté, dans une réorganisation qu'il ne plut pas à celle-ci d'entreprendre.

D'une part, l'absence de la noblesse des sphères gouvernementales créait un vide qu'il fallait combler ; d'autre part, son existence sans but causait un encombrement auquel il était urgent de porter remède. Puisqu'elle ne gouverne plus, à quoi sert-elle ? Et si elle ne sert à rien, pourquoi existe-t-elle ?

Ce sera en vain que., pendant un siècle et demi, l'aristocratie française continuera à prodiguer son sang sur tous les champs de bataille de l'Europe, que l'on verra des centaines, voire des milliers de familles illustres, vingt fois décimées par la guerre, s'éteindre sous le feu de l'ennemi ; que d'obscurs tuais héroïques gentilshommes de province, après une vie passée au service du Roi, rentreront dans leur manoir avec une fortune amoindrie, et une croix de Saint-Louis pour toute récompense ! La nation ne leur en saura aucun gré.

C'est qu'une noblesse militaire est absolument insuffisante dans l'État moderne. Logiquement, une noblesse doit contenir toutes les supériorités sociales, sans exception ; elle ne doit pas contenir autre chose[70]. Cependant, le plus féroce démocrate ne peut pas faire qu'un nom illustre ne soit pas un nom illustre, que ce qui est connu ne le soit pas, et qu'un ancêtre estimé ne procure à celui qui en descend une certaine dose de considération. D'un autre côté, nul ne peut voir sans mécontentement les héritiers d'un homme de valeur occuper de grands postes et jouir de grandes situations, lorsqu'ils ne les méritent pas. L'opinion est donc accueillante au descendant d'un personnage glorieux, prête à le favoriser s'il en est digne, mais prête aussi à le faire rentrer dans la foule s'il ne l'est pas. Telle était du moins la pensée de la France éclairée et progressiste, avant comme après le règne de Louis XIII. A mérite égal, elle préférait le gentilhomme au roturier ; c'était quelque chose[71]. I3 est certain que ni le génie, ni le talent, ni la vertu ne se transmettent forcément de père en fils ; doit-on, pour ce motif, proscrire toute aristocratie héréditaire ? Si la noblesse viagère exige plus de mérite dans l'individu, l'aristocratie héréditaire procure plus d'autorité au corps. Les fortifier, les corriger l'une par l'autre, est un impérieux-devoir des monarchies modernes.

Au dix-septième siècle, de semblables combinaisons ne pouvaient s'offrir à la pensée des hommes d'État. Ce qui devait les frapper, c'était le nombre immense des membres de la noblesse française[72] (des centaines de mille), tout à fait disproportionné avec les services qu'ils pouvaient rendre et les emplois qu'ils pouvaient occuper. Chez nos voisins d'outre-mer, la pairie, par un admirable mécanisme, refoulait dans le gros de la nation toutes ses branches collatérales, qui, à partir des petits-fils puînés d'un pair, demeuraient confondues avec le reste des citoyens, sans aucune, marque distinctive, sans aucun titre, et attirait en même temps à elle toutes les notabilités, sans souci de leur origine plus ou moins populaire. En France, au contraire, on, a vu comme l'organisation était défectueuse en elle-même, et comme les rois contribuaient à la relâcher encore et à l'affaiblis[73].

 

 

 



[1] Projets extraits des œuvres de Fénelon, t. XXII, p. 570.

[2] M. PICOT, États généraux, t. IV, p. 143. — Ils demandaient aussi, en 1614, qu'on annulât les anoblissements accordés depuis trente ans, sinon pour ceux qui par de grands, signalés et recommandables services aux armes, ont mérité cet honneur.

[3] En 1645.

[4] Édit de février 1635.

[5] Édit de mai 1643.

[6] Six mille livres en 1696.

[7] RAPINE, Recueil sur les États généraux, p. 40.

[8] Déclaration du 10 mars 1622.

[9] Édits d'octobre 1631 et de mai 1635.

[10] Édit de 1699.

[11] Ms. français, n° 18510, fol. 97. — Recueil de divers avis. On propose aussi de faire revente de toutes les terres vaines et vagues, en les érigeant en terres nobles et justices, pour en trouver un débit plus assumé.

[12] Par le sieur de Valles. (Bibliothèque nationale, pièce...)

[13] Cf. TALLEMANT, t. VI, p. 117.

[14] LA BRUYÈRE, De quelques usages (édition Lonandre, p. 344, 345).

[15] Édit de janvier 1636, et Ordonnance des Élus de Paris du 26 avril 1634.

[16] Cf. Ordonnance de janvier 1629, art. 189.

[17] On peut citer également les seigneurs de Blanchefort, de Moret, de Rubempré, de Beauregard, de Montravel, de Fontenilles, de Rochefort, de Menneville, de Chambrey.

[18] Philippe de Béthune, comte de Selles, diplomate souvent employé par Richelieu, négocia plusieurs traites importantes, mourut en 1649, à soixante-dix-huit ans. Il forma la magnifique collection des Mn Béthune, que son fils, le comte de Charost, légua à la Bibliothèque royale.

[19] M. PICOT, États généraux, t. IV, p. 142.

[20] La Chambre des comptes en fait la remarque ; arrêt du 6 juillet 1632.

[21] Plumitif, 16 novembre 1625, Mss Godefroy CXXX, 28 (Bibliothèque de l'Institut). Voyez plus haut : Hiérarchie nobiliaire.

[22] A. DE BOISLISLE, Chambre des comptes de Paris, pièces justificatives.

Dans sa Description de l'Europe (p. 112), François Ranchin, en 1643, compte pour la France 50 marquis réguliers, 44 comtes, 11 vicomtes. Il renonce à faire un dénombrement entier, qui serait ennuyeux et difficile, de tous ceux qui sont de maison ancienne, et qui prennent les titres, sans érection de leurs terres en dignité.

[23] Archives nationales, Plumitif, P. 2770, fol. 246. — Il parait que des lettres de noblesse lui avaient été expédiées par erreur. (Archives des affaires étrangères, France, vol 833, fol. 32.)

[24] TALLEMANT, t. X, p. 76.

[25] FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 55. — RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 351 ; t. III, p. 120. Il sembla prodigieux en Allemagne de voir l'Empereur faire vingt-six comtes en douze années. En Angleterre, il y avait une grande distance d'un titre à l'autre.

[26] RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 314. — PONTIS, p. 635. — CHOISY, p. 567. — TALLEMANT, t. IV, p. 221.

[27] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 205, 275, 287 ; t. VIII, p. 129. — TALLEMANT, t. II, p. 134 ; t. III, p. 208. — PONTIS, p. 588. — RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 657. — FONTENAY-MAREUIL, p. 53.

[28] BASSOMPIERRE, p. 76, 251, 320. — PONTIS, p. 573, 581. — BRIENNE, p. 45. — PUYSÉGUR, t. Ier, p. 181.

[29] Abbé ARNAUD, p. 543. — TALLEMANT, t. VI, p. 138.

[30] DUC D'ORLÉANS, Mémoires, p. 605. — Le duc de Lorraine, malgré ses efforts, n'obtint le titre d’Altesse Royale qu'en 1718, sous la Régence. (DUCLOS, Mémoires, p. 528.)

[31] Préambule du cahier de la noblesse, en 1627.

[32] L'ordonnance de janvier 11329 (art. 201) prescrivit la création de deux conseillers nobles de robe courte à chaque parlement, mais elle ne fut guère exécutée.

[33] M. PICOT, Etats généraux, t. IV, p. 150. — Quelle différence, remarque M. Picot, avec les seigneurs du douzième siècle, toujours en lutte avec leurs communes ! — Cf. RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 222.

[34] Les notables demandent en 1627 que les baillis puissent présider à l'audience, y avoir voix délibérative, et prononcer s'il leur plaît, à faute de quoi faire leurs lieutenants prononceront par ces mots : M. le bailli ordonne. Dès la fin du quinzième siècle, les baillis ne jugeaient plus ; en 1493, le Roi leur avait interdit de destituer leurs lieutenants.

[35] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 325. — Propositions faites aux notables en 1629.

[36] Cf. LA CHATRE, Mémoires, p. 278. — On fit l'expérience complète en 1715, la mort de Louis XIV, dans les conseils du régent, et elle fut déplorable.

[37] LA BRUYÈRE, Des Grands, chap. IX, p. 189.

[38] On lit dans les cahiers de la noblesse de Bresse, pour les États généraux projetés en 1649 : Combien que ce soit principalement au tiers état de se plaindre de l'excessivité des tailles et de la subsistance, toutefois, parce que la noblesse en souffre par réflexion en la personne de ses hommes, desquels elle ne peut tirer si facilement la prestation, ni le payement des redevances par eux ducs, Votre Majesté est suppliée, etc.

[39] MONTALEMBERT, Avenir politique de l'Angleterre.

[40] Presque toute la justice, toute l'administration, toute la police, chaque détail du gouvernement local ou général, toute initiative, collaboration ou contrôle en matière d'impôts, d'élections, de routes, de travaux et de charité, passera dans les mains de l'intendant ou du subdélégué, sous la direction suprême du conseil du Roi. (TAINE, Ancien Régime, p. 56.)

[41] Des Grands, p. 194.

[42] Alain le Grand, sire d'Albret, aïeul de Henri IV, criblé de démêlés avec le Roi et les parlements, obligé de suivre à la fois jusqu'à soixante-dix procès, d'entretenir des solliciteurs, des hommes d'affaires pour soigner ses intérêts, voyait ses revenus fondre en frais de justice, ses états diminuer et ses droits s'amoindrir. Aussi quelle terreur tous ces légistes inspirent-ils aux derniers princes féodaux ! (Cf. l'Histoire d'Alain le Grand, récemment publiée.)

[43] Tels les Séguier, les Molé, les de Mesmes, etc.

[44] Aug. THIERRY, Histoire du Tiers État, p. 239.

[45] Aug. THIERRY, Histoire du Tiers État, p. 145. — BOULAINVILLIERS, Ancien Gouvernement, t, III, p. 129.

[46] Toutefois, les nobles ne sont pas justiciables des tribunaux municipaux ; même pour fait de simple police, ils doivent être traduits devant le lieutenant général du bailli. (Arrêt du Parlement, 28 février 1643.)

[47] ROHAN, Mémoires, p. 514. — FONTENAY-MAREUIL, p. 127. — On fit remarquer que le Roi n'écrit point mon cousin au chancelier comme aux ducs, mais seulement Monsieur le chancelier.

[48] Lettres patentes du 21 janvier 1637. — Le Parlement de Dijon refuse la préséance au prince de Condé.

[49] SAINT-SIMON, Mémoires (édition Chéruel), t. XII, p. 265.

[50] BASSOMPIEBRE, Mémoires, p. 318.

[51] Rien de pareil ne se voit en Angleterre, où la Chambre des lords est de droit présidée par le chancelier, lequel est nécessairement un légiste, et toujours né hors des rangs de l'ancienne aristocratie.

[52] Journal manuscrit de LESTOILE, année 1610.

[53] Les Brûlart (Sillery, Léon, Puisieux) dataient du quinzième siècle ; Boschard de Champigny remontait à 1450 ; Alligre, à 1548 ; Faucon de Ris, premier président du Parlement de Rouen, à 1551 ; Bragelogne, à 1642 ; Force, à 1608 ; Sublet, à 1574 ; Paris, à 1395.

[54] Aux états de 1588 figurent dans le tiers état Jehan Vauquelin, échevin, pour Caen, et Nicolas Chapunnay pour Lyon. De même, aux états de 1593, Jacques Grollier, pour le plat pays de Lyonnais ; en 1614, Pierre Sainctot, conseiller de la ville de Paris, maitre Claude de Ganay, lieutenant au bailliage de Charolais, François de Beauharnais, président au bailliage d'Orléans.

[55] Potier-Blérancourt, cadet du comte de Tresmes, en avait 80.000.

[56] Celle de Chevry. (TALLEMANT, t. VI, p. 106, 108 ; t. IX, p. 155.) Le président Le Jay fit bâtir au quai de l'Isle sur un terrain que le Roi lui avait donné ; il empiétait même sur ses voisins, la chambre des comptes lui fit à ce sujet des observations. (Plumitif, P. 2759, fol. 36, 56.) Nicolas Le Jay, baron de Tilly, conseiller à Paris 1600, lieutenant civil 1609, procureur du Roi au Châtelet, président au Parlement 1613, président à mortier 1630, puis premier président. 1640. Il fut en 1636 garde des sceaux de l'ordre du Saint-Esprit, en remplacement de Bullion. En 1615, il était partisan de Condé, et fut emprisonné au château d'Amboise. Plus tard, il se rallia complètement à Richelieu. Il est question de lui dans la Milliade. — Le Jay était gendre du capitaine Marchant, qui mourut en 1610, en apprenant la mort de Henri IV.

[57] Cf. MONTESQUIEU, Esprit des lois, p. 197.

[58] ROHAN (Mémoires, p. 521) parle de la faiblesse, j'oserais dire de la gueuserie, où ce Roi avait laissé tous les princes. — On cite à ce sujet un mot quelque peu cynique de Henri IV. Apprenant que M. de Guise était amoureux de madame de Verneuil, il ne s'en tourmenta pas autrement et dit : Encore faut-il leur laisser le pain et les p... ; on leur a ôté tant d'autres choses. (TALLEMANT, t. I, p. 86.)

[59] L'esprit public est la base des États ; sans lui aucun ne peut durer. Il ne se décrète pas par autorité, il se forme lentement sous l'influence de la liberté, qui l'entretient et le stimule. Une nation vraiment douée de l'esprit public possède ou acquiert le gouvernement de son choix, le respecte, le défend contre toute atteinte d'en haut ou d'en bas, le guide, l'améliore, le sait modérer à propos, ou lui donner une impulsion utile.

[60] Lettres patentes du 10 septembre 1634.

[61] Arrêts de la cour des Grands Jours, 10, 11 et 26 septembre 1634. — Lettres patentes du 26 septembre 1634.

[62] Arrêt du 29 novembre 1634. On citerait : Boisrenard, vicomte des Poitevins ; Prévost, sieur de la Boutière ; de Chauvigné, Viau, sieur de Fougères ; d'Aoust, prêtre ; Gain, sieur de Montagnac ; B. de Langles, Aubert, sieur de Malteste ; mademoiselle Louise de Vivonne, de Cadon, de la Frappinnière, des Deffends. Ce qu'on peut faire valoir en faveur des Grands Jours, c'est qu'ils firent prendre l'air à bon nombre de personnes qui s'enfuirent. (Cf. Archives curieuses, 2e série, t. VI.)

[63] Mes amis, que faut-il faire pour se sauver ? demandait un évêque à des paysans, en les catéchisant. — Monseigneur, il faut se retirer dans le château, quand les gens d'armes venont. (Cf. Mercure français, année 1608, p. 289.)

[64] De là peut-être l'usage de bâtir dans les bas-fonds, comme on en voit de nombreux exemples depuis Louis XIII.

[65] Plumitif, P. 2759, fol. 245 (le comte de Saint-Paul pour Fronsac). RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 458.

[66] LA FORCE, Mémoires, t. III, p. 239, 292. — Ordonnance de janvier 1629, art. 171, 172, 173, 174. — PONTIS, Mémoires, p. 656. — Lettres et papiers d'État, t. II, p. 181, 393, 429.

[67] Tel était sous Louis XIII ce château de cartes que le duc de Montbazon construisait avec de petites plates-formes, des lanternes et des échauguettes de fantaisie. (Les échauguettes servaient à abriter les sentinelles.)

[68] RENAULDON, Dictionnaire des fiefs.

[69] BALZAC, le Prince.

[70] Lisez à ce sujet le chapitre de la Noblesse dans les Mémoires et Lettres du cardinal DE BERNIS (t. I, p. 126). Il contient un projet d'organisation curieux, si l'on songe à l'époque où il fut rédigé.

[71] BODIN, République, p. 1054. — C'est bien la raison que le gentilhomme, aussi excellent en armes et en lois comme le roturier, soit préféré aux états de judicature et de guerre. — Boileau dit la même chose, satire V, De la Noblesse.

[72] L'abbé Coyer (la Noblesse commerçante, 1786) l'évaluait à cette époque à 360.000.

[73] D'après les projets du duc de Bourgogne, on aurait attendu pour obtenir une place de duc qu'il y eût une vacance, et on n'eût été reçu que par les états généraux. Il y aurait eu des lettres pour les marquis, comtes, vicomtes et barons, comme pour les ducs. Des trente-neuf duchés existants, en 1643, seize seulement subsistaient encore en 1694, et en 1883 il n'en reste que cinq. Sur les soixante-neuf titres de ducs, régulièrement portés aujourd'hui, vingt-deux seulement sont antérieurs à 1789. On voit combien les extinctions sont rapides, quand les transmissions sont régulières. Voyez à l'Appendice.