RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE II. — LA NOBLESSE ET SA DÉCADENCE.

ÉTAT ET RÔLE POLITIQUE.

CHAPITRE PREMIER. — LA NOBLESSE À L'AVÈNEMENT DE LOUIS XIII[1].

 

 

Le fief et le service du fief. — Comment la noblesse s'acquérait, s'augmentait ou se perdait. — Les anoblissements. — Rapports des nobles avec le Roi ; ton, attitude, manière d'agir ; nouveautés de l'étiquette ; alliances avec la famille royale, — Rapports des nobles avec les princes du sang. — Rapports des nobles entre eux. — Leurs rapports avec le tiers état elle peuple.

 

La seule puissance au moyen âge est la puissance militaire, celle de l'épée, et par conséquent de l'homme qui manie l'épée.

La société féodale représente une armée dont le Roi est le général, les grands seigneurs les lieutenants, les nobles ordinaires les soldats[2]. L'engagement qu'ils contractent est illimité, bien mieux héréditaire, les pères le transmettent à leurs enfants. Le droit à combattre est aussi pour eux le devoir de combattre ; droit et devoir sont inséparables l'un de l'autre. La solde de ces hommes n'est pas annuelle ni temporaire, mais perpétuelle comme le service promis. Elle ne consiste pas en argent, le général n'avait pas d'argent à sa disposition, il leur a donné la terre. La portion de terre dont ils jouissent est le payement de leur service : c'est le fief.

Ils en deviennent seigneurs, c'est-à-dire propriétaires à de certaines conditions[3]. Ces conditions remplies, ils y exercent les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, parce qu'en ce temps un propriétaire est toujours un souverain. La possession du sol emporte le gouvernement des hommes, l'un ne va pas sans l'autre. Ces hommes, à vrai dire, sont un peu plus que des esclaves, mais beaucoup moins que des sujets ordinaires : des serfs. Ce sont eux qui rendent productive la terre sur laquelle ils résident.

Entre eux et le seigneur intervient aussi un contrat, contrat civil, c'est-à-dire roturier, bien différent du contrat militaire ou noble. Dans le contrat noble, le vassal promet son sang ; dans le contrat roturier, le serf ou le bourgeois plus ou moins affranchi ne promet que sa bourse. Pour une société guerrière, il y a un abîme entre les deux. Dans le premier, la coutume exclut formellement toute intervention d'argent, car une redevance pécuniaire est contraire à la substance même du fief[4]. Le fief cesse d'être un fief s'il est question d'argent ; une concession de cette nature devient alors une convention d'une autre espèce, ce n'est plus un fief. Le service militaire des vassaux constituait seul la puissance et la fortune du seigneur ; chaque seigneur s'était réservé exclusivement dans le principe le service de ses hommes. La discipline de cette armée, son code, c'était le droit féodal.

Il réglait les rapports de vassaux à suzerain. Dans cette hiérarchie organisée par la coutume et sans cesse dérangée par la guerre, l'unique ambition de chacun était de tirer le plus possible de son inférieur, tout en rendant le moins possible à son supérieur. Les plus bas placés, qui n'avaient que des suzerains et point de vassaux, cherchaient à se soustraire à la domination souvent pesante de leur seigneur direct ; le plus haut placé, le Roi, qui n'avait que des vassaux et point de suzerain, tendait à supprimer ces intermédiaires tout-puissants interposés entre le trône et la petite noblesse. Peu à peu les fiefs particuliers quittèrent leurs fiefs dominants, pour aller porter directement leurs aveux et dénombrements au Roi. Les grandes seigneuries se trouvèrent ainsi dépouillées de tout leur vasselage. Toute la noblesse devint immédiate ; il n'y eut plus en France que des vassaux du Roi.

Mais cette évolution, accomplie d'abord à petit bruit, ne se fit qu'avec beaucoup de lenteur et de fréquents temps d'arrêt. Par ordonnance d'avril 1315, le Roi renonçait, par exemple, à acquérir dans les terres des barons, si ce n'était de leur consentement, et au cas qu'il lui vint, par quelque droit possible, des terres dans leur mouvance, se soumettait au service du fief, et promettait de bailler homme vivant, à peine de souffrir la réunion des terres au domaine du seigneur[5]. Philippe le Long, qui avait établi l'année suivante des capitaines royaux dans les villes, effrayé du mauvais effet produit par cette mesure sur les barons, écrit aussitôt à chacun d'eux, pour s'excuser et protester de la droiture de ses intentions, qui ne vont pas, dit-il, à empiéter sur les droits de ses nobles[6].

Longtemps le droit moderne ou droit royal vécut ainsi côte à côte avec le droit féodal, le minant sourdement, mais n'osant le proscrire. Il subsistait encore à la fin du seizième siècle. A cette époque, on pouvait être sujet naturel d'un prince, et homme lige d'un autre[7]. Or l'hommage lige contenait le serment de servir le seigneur envers et contre tous, même contre ses frères ou ses enfants, à plus forte raison contre le souverain. Sous Louis XIV, il fut interdit de faire ce genre d'hommage à d'autres qu'au Roi[8] En même temps on déclara que le Roi ne pourrait être tenu de faire hommage au seigneur dominant d'un fief qui lui écherait, parce que tous les fiefs, étant originairement mouvants du Roi, reprenaient leur première nature en revenant entre ses mains[9].

A l'origine, tout noble était soldat, mais aussi tout soldat devenait noble, par ce seul fait qu'il portait les armes. Tout le monde pouvait acquérir un fief, à la condition d'en rendre le service, de combattre soit seul, soit avec un certain nombre d'hommes, pendant un espace de temps variable. Mais celui qui ne pouvait rendre le service personnel, qui demandait des abrégements ou des diminutions de fief, était voué d'avance à des tribulations sans fin, qui le faisaient renoncer à la possession de la terre. Il obtenait à la vérité de son seigneur immédiat la permission de payer en argent les journées de guerre qu'il ne pouvait fournir en nature. C'était le droit d'affranchissement, une sorte de remplacement militaire, quelque chose d'analogue au rachat des prestations rurales d'aujourd'hui. Mais en traitant ainsi du service militaire de son vassal immédiat, le seigneur fraudait son suzerain, et le suzerain de son suzerain à l'infini. Tout se tenait en effet du haut eu bas de l'échelle féodale, et ce fief, en manquant désormais à l'appel, frustre quantité de droits respectables. Le jour où le seigneur dominant appellera au combat les nobles ses vassaux, l'un d'eux qui devait amener cinq ou six hommes d'armes n'en conduira plus que trois ou quatre. Le seigneur immédiat profite seul de l'argent que ce roturier lui paye pour ne point paraitre à la guerre, tandis que tous les seigneurs suzerains, jusqu'au Roi, eussent profité de sa présence effective sous le drapeau. Si la dispense s'était généralisée, c'en eût été fait de l'armée féodale. Les barons et les comtes, dont la puissance était menacée, le sentirent[10], et demandèrent chacun à leur tour, à ces arrière-vassaux qui ne servaient pas, une redevance pécuniaire. Dans ces conditions, le non-noble n'avait d'autre parti à prendre que d'abandonner un fief qui aurait fini par le ruiner.

Au contraire, les roturiers qui voulaient et pouvaient rendre le service militaire, qui possédaient le fief à service compétent, étaient à même de le conserver librement. Pourvu que le chiffre de ses hommes ne diminuât pas, et que tous fussent braves, nobles ou roturiers, peu importait au suzerain[11]. Toutes ces formalités, que les romans de chevalerie et l'histoire elle-même ont revêtues d'un caractère poétique et idéal, ces cérémonies, ces hommages, ces serments, ces aveux, étaient pour les hommes du moyen âge aussi prosaïques qu'un contrat signé aujourd'hui chez un notaire par un propriétaire et un fermier. La puissance féodale consistant, non dans la grande étendue des domaines, mais dans le grand nombre des vassaux, reposant non sur la terre, mais sur l'individu qui la détenait, un vassal qui refusait l'hommage ou qui manquait à la foi jurée, c'était bien pis qu'une maison incendiée ou une mauvaise récolte. Cet hommage était un billet à ordre que le chevalier paierait à échéance inconnue, en se rendant, lui et ses gens, à l'appel du seigneur, bien équipé, prêt à combattre. Si le suzerain avait donné les terres qui formaient le fief, c'était afin de rétribuer ce service personnel du vassal, qui assurait sa suprématie, et garantissait au besoin sa personne, sa famille, sa fortune, tout ce qu'il était en ce monde[12].

L'interdiction du commerce aux gentilshommes n'eut d'autre cause, en ces temps-là, que de les empêcher à tout prix de se laisser distraire du métier militaire par n'importe quelle autre occupation, surtout par une occupation qui, au lieu de leur faire rechercher la guerre, la leur eût fait redouter.

Le fait de conférer la noblesse comme une distinction ou une récompense à des gens qui ne se battaient pas, eût parut tout à fait anormal aux hommes des onzième et douzième siècles. Cela leur eût certainement produit le même effet que si un gouvernement moderne accordait à un ingénieur le grade de colonel ou de général pour prix d'une découverte utile. Le mot anoblissement n'aurait eu aucun sens. Tout vilain qui devenait homme de guerre devenait noble, ipso facto, et dans tout pays un brave pouvait être fait chevalier, quelle que fût son origine. Ce titre de chevalier était lui-même un grade à conquérir et non un héritage à recueillir. Nul n'échappait à cette règle, fut-il prince ou Roi de France. On ne naissait pas chevalier, il fallait, comme on disait, gagner ses éperons[13]. Les plus hautes fonctions civiles de ce temps, la charge même de chancelier de France, n'anoblissaient pas leur possesseur.

Puis l'essence de l'institution changea. En 1280, le Roi défendit au comte de Flandre de faire chevalier un vilain, ce qui prouve qu'on en avait fait jusqu'alors, et l'on sait qu'un chevalier en valait un autre, que chacun pouvait à son tour donner l'accolade et créer d'autres chevaliers[14]. La noblesse chevaleresque était donc éminemment ouverte et accessible, mais seulement aux guerriers. La chevalerie était la dignité utilitaire, comme le doctorat était la dignité littéraire ou médicale, comme la maîtrise était la dignité commerciale et ouvrière.

La royauté lui enleva ce caractère. Au moment où le Roi défendait à ses vassaux de faire chevalier un soldat sans naissance, il accordait lui-même la noblesse à des roturiers qui n'étaient pas soldats. Le premier anoblissement eut lieu sous Philippe le Hardi en 1270[15]. Dans la suite, les anoblissements par lettres patentes, par l'exercice de certaines magistratures, furent innombrables. En même temps, l'anoblissement par la possession des fiefs fut regardé comme usurpation de noblesse[16], et avec raison, puisque les nouveaux propriétaires n'en rendirent plus le service, tandis que la profession des armes continua à anoblir jusqu'au commencement du dix-septième siècle[17] ceux qui l'exercèrent, même sans posséder de terres nobles.

De charron soldat,

De soldat gentilhomme,

Et puis marquis,

Si fortune en dit...

disait un adage du siècle précédent. Malgré le changement des mœurs, noble resta tellement synonyme de guerrier, que jusqu'à la Révolution l'opinion publique continua à distinguer la noblesse d'épée de l'autre noblesse, comme Si la première eût été plus glorieuse, plus méritée, plus enviable[18].

Mais le service des fiefs étant aboli à la guerre, les fiefs perdirent leur ancienne utilité, les devoirs et les droits féodaux finirent par être regardés comme des pratiques abusives, illégales, tout au moins insignifiantes. Les rapports de la noblesse avec le Roi se modifièrent aussi sensiblement.

Il n'y a point de prince, dit Richelieu, qui prenne plaisir de voir dans son État une grande puissance qu'il pense n'avoir pas élevée, et qu'il croit être indépendante de la sienne[19]. C'est là le motif de cette guerre impitoyable que les Rois déclarèrent à l'aristocratie. L'opiniâtreté qu'ils y déployèrent servit à leur assurer la victoire, mais la disparition successive de leurs adversaires principaux la leur facilita singulièrement.

L'histoire s'est montrée sévère, parfois même injuste pour la noblesse. On s'étonne au premier abord de ce que depuis l'origine de la monarchie capétienne jusqu'à Louis XIV, ce corps n'ait cessé, sauf pendant de courts intervalles, de s'agiter factieusement contre le souverain, et l'on condamne volontiers cette caste, brusquement passée de la rébellion an servilisme. A examiner les faits sans parti pris, on voit que le Roi de la troisième race se trouvait vis-à-vis des grands seigneurs terriens dans une situation bien différente du Roi de la dynastie carolienne. Ce dernier avait, sur les ducs et les comtes auxquels il avait accordé leurs fiefs, l'avantage de l'ancienneté et du bienfait ; l'autre De l'avait pas. C'était un compagnon, un canes, devenu tout à coup un maitre. La maison de Hugues Capet n'étant ni d'origine plus illustre, ni de puissance territoriale plus grande que beaucoup de celles qui existaient alors, et s'étant proclamée suzeraine par un procédé voisin de l'usurpation, il n'y avait aucun motif pour que ces autres races se sont-Dissent complètement et sans discuter. Les ducs de Normandie ou d'Aquitaine, les comtes de Flandre, de Champagne ou de Toulouse, auraient pu, tout aussi bien que le duc de France, s'approprier la succession de Charlemagne, s'il s'était trouvé à la tête de l'une de ces familles un seigneur plus habile que Hugues Capet, qui l'était d'ailleurs à un très-haut point. Comment s'étonner ensuite qu'un duc de Normandie, héritier de Rollon, tenant son fief des Caroliens, tout aussi régulièrement que le duc de France, héritier de Robert le Fort, refusât de lui en faire hommage[20] ? Jusqu'à l'extinction de ces dynasties princières de la première période, le Roi capétien ne fut vraiment Roi que de nom. En 1444, le chef de la maison d'Armagnac s'intitulait encore comte par la grâce de Dieu, et le Roi avait beaucoup de peine à l'en empêcher, pour ne pas justifier l'indépendance qu'il affectait[21].

On ne saurait, à ce point de vue, comparer la noblesse anglaise à la nôtre. Les nobles anglais, tous Normands au début, étaient tous par conséquent vassaux de Guillaume le Conquérant. Il y avait donc, dès l'origine, une ligne de démarcation nettement tracée entre le souverain et la noblesse. Jamais aucun des nobles anglais n'avait été l'égal du Roi[22]. Tout autre est la situation de l'aristocratie française. On est mal venu à lui reprocher ses résistances, puisqu'en somme, si elle faisait valoir des prétentions mal fondées, les monarques, de leur côté, revendiquaient des droits imaginaires.

Il n'y eut pas un moment, en six siècles, où souverain et nobles fussent bien d'accord sur les limites de leurs droits respectifs, bien décidés à les défendre, mais à ne pas les dépasser. Ils cherchèrent sans cesse à se spolier mutuellement ; pour mettre fin à cet état d'hostilité, il fallait que l'un des deux rivaux anéantit l'autre[23]. Trois couches successives de grands vassaux s'éteignirent tour à tour, sans que le Roi parvint à marcher sans lisières. Après les maisons d'origine carolienne, dont nous parlons plus haut, vinrent les puissants cadets de la maison royale les ducs de Bourgogne, d'Alençon, de Bourbon, de Vendôme, les Rois de Navarre, les comtes de Valois et d'Artois ; après eux vinrent des gentilshommes qui, tenant toute leur grandeur des Rois, montèrent assez haut pour devenir redoutables à leur tour. Tels étaient, à l'avènement de Richelieu, les ducs de Guise, d'Elbeuf, de Chevreuse, de Nevers, de Nemours, de Longueville, de Bouillon, de Rohan, de Montmorency. Tous, à des degrés divers, étaient vraiment de grands et puissants seigneurs.

Quarante ans plus tard, sous Louis XIV, les ducs de Luxembourg, de Mortemart, de Créqui, de Noailles, sont des gentilshommes riches, de maisons anciennes, porteurs de beaux titres, mais sans pouvoir. Le grand Condé, que la froideur de Louis XIV, a près la bataille de Senef, suffit à déconcerter, est bien loin de son père, le remuant seigneur de la minorité de Louis XIII[24]. Avant Richelieu, le Roi demandait la fidélité ; après, il exigera la soumission ; il y a là une nuance importante.

Avant lui, les grands tenaient à rester dans leurs provinces et dans leurs châteaux. Quand ils voulaient manifester leur mécontentement, ils s'éloignaient de la cour. C'était une manière de déclaration d'hostilité ; sortir de la cour, c'était assez à un homme d'une certaine condition pour faire un parti[25]. Sous Louis XIV, c'est une disgrâce. une punition, que d'être éloigné de la cour. On est admis à y reparaître, au lieu d'être supplié d'y revenir.

Henri IV recommandait à la Reine, quelque temps avant sa mort, d'avoir soin de contenter les grands, de peur que quand ils verraient qu'il n'y aurait rien à espérer pour eux, il n'y eût beaucoup à craindre pour l'État. Malheureusement les grands n'étaient pas aisés à satisfaire. Toujours prêts à se révolter à la première piqûre de mouche, ces seigneurs faisaient leur paix avec la cour chaque fois qu'ils avaient besoin d'argent, quittes à reprendre la campagne à la première occasion[26]. Les gouverneurs étaient si forts dans leurs villes et dans leurs provinces, que le Roi n'aurait osé les en déposséder ouvertement. On vit en pleine paix le souverain chercher à faire révolter ses sujets contre leur gouverneur, afin de chasser celui-ci d'une place forte, et traiter avec des bourgeois influents pour surprendre une citadelle qu'on n'aurait sans doute pas rendue volontiers. Le plus étrange est que de semblables procédés étaient employés contre des gouverneurs qui n'avaient donné aucun sujet de plainte, mais qui ne paraissaient pas sûrs. Le personnage ainsi menacé appelait alors des gens de guerre, qui l'aidaient à défendre contre le Roi la cité que le Roi avait confiée à sa garde.

Mais sous le cardinal, quand le noble rebelle vint à être battu, le Roi ne signa plus un traité, il accorda une grâce. Le gentilhomme ne fut plus seulement en danger de perdre la vie sur le champ de bataille, mais encore sur la place de Grève s'il était pris. Il vit les bourreaux en même temps qu'il affronta les ennemis : la partie n'était plus égale.

Les rapports sociaux entre le Roi et l'aristocratie changèrent autant que les rapports politiques. Nos princes, disait-on au seizième siècle, ne naissent ni de l'Église ni du peuple, mais de la seule noblesse, de laquelle ils sont les premiers gentilshommes[27]. Les Rois, plus d'une fois, mirent quelque affectation à dire : Nous ne sommes pas davantage[28]. Cette parité originelle avec le souverain était ce qui tenait le plus au cœur de la noblesse[29]. Le souverain ne l'ignorait pas, et le Roi-Soleil lui-même n'aurait pas cru pouvoir battre un gentilhomme sans se faire tort. Mais c'était vraiment le seul privilège des nobles vis-à-vis de lui, qu'il ne se crût pas en droit de les rosser selon son plaisir.

Au moyen âge, les Rois épousaient les filles des seigneurs français, et en ce faisant, ils ne croyaient pas déchoir ; de même, les princesses du sang s'alliaient à des gentilshommes de qualité. Richelieu, à qui l'on reprochait de se targuer de descendre par les femmes de Louis le Gros, se bornait à répondre qu'il n'était pas le centième dans le royaume qui fût descendu par les femmes de la maison royale[30]. Plus tard, de semblables unions firent l'effet de mésalliances, parce que les anciennes races féodales s'étaient éteintes, que les nouvelles étaient bien inférieures à la maison de France, et que les Rois eux-mêmes, si petits au début, étaient devenus avec le temps les premiers princes de l'Europe. La grande Mademoiselle exprimait ce sentiment dans toute sa naïveté, quand elle disait, à qui lui parlait de sa grand'mère la duchesse de Guise : Elle est ma grand'maman de loin, elle n'est pas Reine[31]. Le Roi estimait faire grand honneur à l'archiduchesse de Toscane, en l'appelant dans une lettre : Ma tante. — Elle l'était pourtant — et Richelieu écrivait à notre ambassadeur à Florence : Vous le ferez valoir[32]. On vit bien, à la vérité, le père du grand Condé épouser une Montmorency[33], et d'autres princes s'allier avec des filles de maisons nobles ; mais une princesse n'aurait pu, sans froisser les idées reçues, se marier avec un simple gentilhomme, et l'indignation de Louis XIV contre Lauzun, lorsqu'il voulut épouser sa cousine, fait suffisamment connaître son opinion sur la matière. Ces termes : Mon cousin, dont le Roi usait avec les ducs, les cardinaux et les maréchaux de France, étaient un simple protocole sans importance, et ceux qui jouissaient de ce titre auraient été mal inspirés en cherchant à lui donner quelque réalité[34].

Il faut voir combien le ton des seigneurs, leur attitude, leur manière d'être avec le Roi et la famille royale, sont différents avant et après Louis XIII. Fontenay-Mareuil parle des vieilles coutumes qui subsistaient encore sous le ministère de Luynes, de cette ancienne manière de vivre des Rois avec leurs sujets, par laquelle ils paraissaient plutôt leurs pères que leurs maîtres, tant ils les traitaient bonnement et prenaient soin de leur faire du bien, ou de leur faire souffrir patiemment quand ils ne le faisaient pas[35].

Henri IV, qui voyageait et venait à Paris salis équipage, dînait chez un président au Parlement, soupait chez un prince, un seigneur, et autres gens de toutes professions dont il pouvait avoir affaire, seulement pour les honorer de sa visite, ce qui ne s'est point pratiqué depuis, et dont on ne s'est pas mieux trouvé[36]. On connaît la camaraderie de ce prince avec Bellegarde, avec le jeune Bassompierre, avec ses vieux compagnons Sully et d'Aubigné. Tout le monde lui parle familièrement. — Sire, lui dit du Haillan, en lui demandant un bénéfice, vous faites du bien à des traîtres, et pas à vos véritables serviteurs. — Pardieu, dit le Roi en colère, je fais du bien à qui me plaît. — Il est vrai, Sire, mais il doit vous plaire d'en faire à des gens comme moi[37]. Les anecdotes et les reparties de ce genre se comptent par centaines ; il faudrait plusieurs volumes pour contenir celles qui ont trait aux souverains du seizième siècle, Louis XII, François et leurs successeurs[38]. Tous, dans les cérémonies officielles, ôtaient le chapeau à tous les gentilshommes qui leur faisaient la révérence. Henri IV surtout prenait soin de contenter ceux des provinces, qui n'étaient pas pour revenir souvent à la cour[39].

Les nobles conservaient encore sous Louis XIII la liberté de langage dont ils usaient auparavant. Le duc d Épernon, à qui l'on ordonne de demeurer à Metz pour assurer les communications avec l'Allemagne, répond assez lestement qu'il ne se croyait pas si peu estimé de Sa Majesté, qu'elle voulût se servir de lui pour faire passer plus sûrement des paquets[40]. Bassompierre demande à Louis XIII, qui le recevait froidement : Sire, me faites-vous la mine à bon escient, ou si vous vous moquez de moi ?[41] — Et ce n'étaient pas seulement les grands seigneurs ou les gens de qualité qui en usaient ainsi, mais Pontis, Fabert, Puységur, d'obscurs capitaines, lieutenants ou mêmes anspades (caporaux) aux gardes[42].

Il en était de même avec la Reine. Anciennement la coutume était qu'elle baisât tous les officiers de la couronne[43] ; tout le monde au Louvre avait la liberté d'entrer dans sa chambre ; Louis XIII fut le premier qui le défendit[44]. Quelque temps avant la naissance du Dauphin, avant que la grossesse de la Reine fût déclarée, le ministre Loménie s'adresse en ces termes à Anne d'Autriche : Madame, une pensée que j'ai que vous seriez enceinte serait-elle vraie ?[45] Le duc de Bellegarde, en 1621, par manière de plaisanterie et pour faire peur à la Reine, s'avance derrière elle aux Tuileries, sans qu'elle sans doute, et laisse tomber dans les cheveux de Sa Majesté quelques menues dragées qu'il avait dans sa poche[46]. Ce fait, ajoute l'ambassadeur d'Angleterre, qui en fut témoin, lui parut curieux et étrange ; sans doute les spectateurs français n'en furent nullement surpris.

C'est qu'il n'y avait guère eu d'étiquette en France jusqu'alors, du moins celle qui existait était-elle moins sévère que chez nos voisins. En Angleterre, nul ne pouvait être assis en présence du Roi, que le chancelier et le garde des sceaux. En Espagne, personne, pas même le garde des sceaux, ne pouvait s'asseoir devant le souverain ; les députés et officiers aux États demeuraient debout près de son trône[47]. On sait au contraire qu'aux lits de justice des parlements français, tout le monde était assis et couvert ; qu'aux audiences des ambassadeurs, les princes du sang, les princes étrangers, quelques grands personnages, tels que le connétable, se couvraient devant le Roi, tandis qu'en Angleterre le prince de Galles assistait aux audiences solennelles tête nue, parce qu'il ne devait jamais se couvrir en présence du Roi son père[48].

Entre Louis XIII et Louis XIV, il y a à cet égard autant de différence qu'entre Napoléon premier consul ou empereur. Ces familiarités royales ne sont plus à la mode, dit Choisy, à la fin du grand règne, et je ne sais si les Rois ont bien fait de les abolir. On les craint, on les aimait[49].

A l'ancienne cour, les grands vassaux de la couronne passaient immédiatement après le Roi ; son fils aîné seul avait le pas sur eux, encore fallait-il qu'il fût sacré, ou revêtu d'une principauté qui le mit au pair des grands vaisseaux. Dans une ordonnance de Philippe-Auguste, tous les ducs de France, et même Guillaume de Ponthieu, sont nommés avant Robert de Dreux et Pierre de Bretagne, petits-fils de Louis le Gros. Plus tard, les seigneurs qui se trouvaient plus anciens pairs ont continué à précéder les princes de sang. Même en 1538, le duc de Guise précéda le duc de Montpensier. Henri III est le premier qui, par une ordonnance de 1576, ait donné la préséance aux princes du sang. Louis XIV décida plus tard que les princes du sang étaient pairs-nés, et donna à ses bâtards la préséance sur les autres ducs. Son père n'avait pas osé aller jusque-là. Il avait rendu tous les grands égaux, et n'avait reconnu entre eux d'autre prééminence que celle de l'âge[50].

Les membres de la famille royale ne participaient pas vis-à-vis de la noblesse à la suprématie du Roi. On vit plus d'une fois les princes du sang combattre sous les ordres des maréchaux de France[51]. Bassompierre, qui refusait la préséance au duc d'Angoulême, s'écriait en plein conseil que tous les princes qui ont été aux armées royales ont toujours reçu l'ordre et le commandement des maréchaux, et non pas seulement les princes étrangers ou bâtards, ce qui n'est pas grande merveille, mais les princes du sang[52].

Au commencement du siècle, on voit le connétable de Montmorency refuser de marier son fils avec mademoiselle de Verneuil, fille naturelle de Henri IV ; à la fin, on voit les enfants naturels de Louis XIV épouser le duc d'Orléans et le prince de Conti. Sous Louis XIII, M. le Prince ayant dit au cardinal de Sourdis qu'il avait la tète bien légère : Je n'irai pas chercher du plomb dans la vôtre, riposte le prélat[53]. Sous Louis XIV, le cardinal de Bouillon ayant fait dire à Monsieur qu'il ne pouvait plus être autant son serviteur que par le passé, Saint-Simon raconte qu'on passa outre, à cause de la grandeur du châtiment d'une pareille offense, si elle était prise comme elle le méritait !

La noblesse, qui se montrait si ombrageuse à l'égard du Roi, ne l'était pas moins vis-à-vis des princes de sa famille. Le comte de Soissons s'étant permis de battre le baron de Coppet, gentilhomme de son gouvernement, celui-ci envoie à toute l'aristocratie de la province une circulaire. Elle s'assemble et résout, puisque le rang de ce prince le met à l'abri du ressentiment, qu'elle s'empêcherait de le voir, et que celui qui contreviendrait à cette ordonnance serait réputé pour un homme plein de lâcheté. Il fallut des années au comte de Soissons pour se faire pardonner cette incartade. Avec les légitimés ou les princes étrangers, les simples gentilshommes montraient la même hauteur[54].

En revanche, un seigneur de quelque importance avait autour de lui une sorte de clientèle qu'il entretenait avec soin. Tout marquis veut avoir des pages, dit la Fontaine. Sous Louis XIII, les pages ne sont pas seulement une question de vanité, mais un moyen d'influence. Les pages d'un grand seigneur étaient pour sa maison une pépinière, non de courtisans, mais de créatures, de domestiques, comme on disait alors, ce qui était bien différent. Ces domestiques, le grand seigneur les poussait, les mariait, faisait leur fortune. En retour, ils le servaient aveuglément, étaient à lui avant tout. S'il se révoltait, ils le suivaient dans la révolte ; s'il faisait sa paix, il stipulait pour eux et les comprenait dans son traité : sous une forme adoucie et modernisée, c'était encore le vasselage d'autrefois. Des familles secondaires vivaient ainsi à l'ombre de races plus puissantes, apportant à l'association, les unes leur service, les autres leur protection. On appelait cela se donner à quelqu'un. Toiras, qui devint plus tard gouverneur d'Auvergne et maréchal de France, avait commencé, au sortir de page chez M. le Prince, par se donner au marquis de Courtenvaux, vivant de son pain, montant ses chevaux et faisant chasser ses chiens[55]. Ce fut le début des plus illustres fortunes.

Luynes ne commença pas autrement chez le comte du Lude[56]. Ce soin de la clientèle était la plus forte préoccupation des grands seigneurs. Un gouverneur de province s'attachait avant tout à faire donner les principales places à des capitaines à sa dévotion. Quelques-uns ne dédaignaient pas les petits moyens de popularité ; il était de tradition dans la maison de Guise de saluer beaucoup et sans distinction de personnes ; ils n'avaient pas oublié la Ligue.

Avec de pareilles tendances, on n'aurait eu garde de renier la moindre parenté. Les petits cousins pauvres, loin d'être une charge, devenaient une force ponde gentilhomme qui savait s'en servir. Il les accueillait avec une amabilité parfaite. Pontis, jeune cadet de Provence, fraîchement débarqué à Paris, va aussitôt saluer M. de Lesdiguières dont il a l'honneur d'être parent, et est reçu par lui avec beaucoup de bonté[57]. Les membres d'une même famille arrivaient, par suite de cet esprit de cohésion, à former une véritable armée. On voit en 1637 le marquis de Mirepoix et le seigneur de Monsollens tenir la campagne, chacun avec cinquante de leurs parents et amis[58]. Au siège de la Rochelle, le duc de la Rochefoucauld, alors gouverneur du Poitou, eut ordre d'assembler la noblesse de son gouvernement. En quatre jours il réunit quinze cents gentilshommes, et dit au Roi : Sire, il n'y en a pas un qui ne soit mon parent. Il est vrai que le cardinal, l'été suivant, lui fit ôter son gouvernement pour le donner à un homme moins puissant[59].

Ce respect des liens du sang, fondé sur l'usage et maintenu par l'intérêt commun, se retrouvait dans toutes les familles[60]. La supériorité de l'ainé y était établie sans conteste ; son autorité s'y exerçait même parfois avec despotisme, mais la constitution de la race, le maintien du nom étaient à ce prix. Il y avait sur les sujets graves des réunions de famille, où tous les parents délibéraient. Ils émettaient ce qu'on nommait un avis de parents. Ces avis étaient, de par la coutume, obligatoires pour celui ou ceux qui en étaient l'objet. On voit des avis de parents pour des arbitrages et accommodements ; on en voit pour contraindre un des membres de la famille à se marier, à se séparer, ou à se battre en duel.

La noblesse, qui supportait impatiemment la suprématie du Roi, voyait avec un égal déplaisir le tiers état chercher à s'égaler à elle. Elle allait s'isolant de plus en plus comme corps politique, entre le Roi qui, malgré elle, s'élevait si fort au-dessus d'elle, et le tiers état qui l'envahissait de toutes parts, mais qu'elle repoussait avec une énergie désespérée. Entre le tiers et l'aristocratie, il n'y eut pas, comme il arrive souvent entre le peuple conquérant et le peuple conquis, un état passager d'hostilité. Leur destinée fut de demeurer séparés. Il se forma dans les mœurs et dans tout l'esprit public une fermentation secrète et un état permanent de guerre.

Le baron du Pont-Saint-Pierre, aux états de 1614, portant la parole au nom de la noblesse, dit que les membres du tiers état s'en faisaient accroire sous couleur de quelques charges, mais que le Roi reconnaîtrait quelle différence il y avait entre les deux ordres[61]. Le président de Mesmes, parlant au nom du tiers état, déclara que la France était mère des trois ordres, que l'Église était rainée, la noblesse puînée, et le tiers état le cadet et le dernier ; mais qu'il se rencontrait quelquefois aux familles que tels derniers relevaient les maisons, que les aînés avaient ruinées. Le baron de Senecey se plaignit hautement au Roi de ce langage : Ils comparent votre État, dit-il, à une famille composée de trois frères... en quelle misérable condition sommes-nous tombés, si cette parole est véritable ! Eh quoi ! tant de services signalés rendus d'un temps immémorial, tant d'honneurs et de dignités auraient-ils, au lieu de l'élever, tellement rabaissé la noblesse, qu'elle fût avec le vulgaire en la plus étroite sorte de société qui soit parmi les hommes, qui est la fraternité ?[62]...

La distance n'existait pas seulement en matière politique, la société en offrait aussi le spectacle. La cour et la ville formaient deux mondes nettement tranchés ; les bourgeois, sauf de rares exceptions, ne pénétraient pas dans le monde, ou n'y pénétraient qu'avec une position inférieure, à moins d'agir comme madame Pilou, qui disait qu'on ne saurait être trop fier pour les grands seigneurs, en un lieu comme Paris[63]. La distance subsistait partout, même au bal, où le gentilhomme choisi par une bourgeoise craignait de compromettre son rang en dansant avec elle[64].

Un publiciste du seizième siècle disait que l'on doit donner courage et espoir aux gens de bas état, de parvenir par vertu et par industrie au plus haut degré[65]. La classe élevée oublia trop ce conseil, formulé par Montesquieu d'une manière si profonde : Les familles aristocratiques doivent être peuple autant qu'il est possible. Plus une aristocratie approchera de la démocratie, plus elle sera parfaite[66].

 

 

 



[1] Nous ne faisons pas ici une histoire, mais un tableau : celui de la noblesse à l'avènement de Louis XIII, pour mieux faire ressortir son effacement politique, son abaissement social sous les coups de Richelieu et sous l'influence des temps. Ceux qui désirent étudier la noblesse française dans le siècle suivant trouveront dans Saint-Simon l'exposé de son état à l'avènement de Louis XV, et dans l'Ancien Régime de M. Taine son portrait frappant de ressemblance, au moment de la Révolution.

[2] On sait que, dans les chartes, miles ne signifie autre chose que chevalier. — Noblesse, dit Taine, est une gendarmerie à demeure, où de père en fils on est gendarme. (Ancien Régime, p. 12.)

[3] Fief est un héritage tenu à foy et hommage, et à la charge de certains devoirs réglés par le titre d'inféodation ou la coutume II y avait, selon les aspects divers sous lesquels ces héritages étaient considérés, des fiefs de corps, de haubert, en pairie, en pariage, roturier, en nuesse, ferme, de corps, chevet, ameté, abrégés ou restreints, abonnés, vendables, de plejure, etc. Pour tous ces mots, voyez RENAULDON, Dictionnaire des fiefs. D'après le Secret des finances de FROUMENTEAU, on comptait en 1580, 70.000 fiefs ou arrière-fiefs.

[4] ARGENTRÉ, Coutume de Bretagne, p. 335.

[5] BOULAINVILLIERS, Ancien Gouvernement, t. II, p. 98. — Voyez aussi Ordonnances des Rois de France, mai 1315, Louis le Hutin. — RENAULDON, dans son Dictionnaire des fiefs, dit que cet usage fut aboli en 1302 par Philippe le Bel, qui convertit l'hommage en indemnité pécuniaire, mais il parait être dans l'erreur. (Voyez au mot DOMAINE.)

[6] En 1316. (Tab. de LAURIÈRE.)

[7] BODIN, République, p. 153. (En 1530.) A certains égards, le Roi était moins favorisé que les autres seigneurs.

[8] RENAULDON, Dictionnaire des fiefs, au mot Foy et hommage.

[9] RENAULDON, Dictionnaire des fiefs, au mot Foy et hommage.

[10] BEAUMANOIR, ch. XLV, Des adveux.

[11] V. ordonnance de Philippe le Hardi, noël 1275.

[12] C'était le système des Barbares. — Chez les Germains mêmes, il y avait des vassaux, bien qu'il n'y eût pas de fiefs. (Esprit des lois, p. 480.)

[13] Par contre, les nobles d'extraction voyaient leurs franchises et leurs privilèges suspendus tant qu'ils demeuraient sur une terre tenue en censive. (BEAUMANOIR, Coutume du Beauvoisis, p. 48.)

[14] Même dans l'armée ennemie. (Cf. DANIEL, Histoire de la milice française, t. I, p. 110.)

[15] Il y en eut cinq sous Philippe le Bel, deux sous Louis le Hutin et sept sous Philippe le Long ; de 1270 à 1317, pendant une période d'un demi-siècle environ, on n'en compte ainsi qu'une quinzaine.

[16] Cependant, les roturiers tenant fiefs prirent le titre d'écuyer, malgré toutes les ordonnances. (Ordonnance de Blois, 1579.) — L'anoblissement par lettres ne pouvait être conféré qu'à un Français. La Chambre des comptes refusa de vérifier sous Louis XIII des lettres de chevalerie accordées à un secrétaire d'État des Pays-Bas. (Plumitif, P. 2761, fol. 367.)

[17] Édit de Henri IV, en 1600, portant que la profession des armes n'anoblira plus. Sous Louis XII, tous les hommes d'armes étaient gentilshommes.

[18] L'abbé de Choisy raconte que sa mère, qui était de la maison de L'Hospital, lui disait souvent : Mon fils, songez que vous n'êtes qu'un bourgeois. Je sais bien que vos pères, que vos grands-pères ont été maîtres des requêtes, conseillers d'État, mais apprenez de moi qu'en France on ne reconnaît de noblesse que celle d'épée.

Il termine en disant : Elle me fit pratiquer ces leçons, et je ne vois pas un homme de robe, sauf mes parents. (Mémoires, édit. Michaud, p. 554.)

[19] Mémoires, p. 150.

[20] En 987, époque où Hugues Capet monte sur le trône, on voyait en France les héritiers de Rollon, ducs de Normandie depuis 912 ; d'Ingelger, comtes d'Anjou depuis 870 ; de Bernard, comtes d'Armagnac, Charolais, Fezensac, Bigorre, etc., depuis 960 ; de Blandin, comtes d'Auvergne depuis 760 ; les comtes de Provence régnaient depuis 948, les comtes de Toulouse depuis 852, les comtes de Champagne depuis 902, les comtes de Flandre depuis 863, les ducs d'Aquitaine depuis 845, les ducs de Bretagne depuis 825. Si l'on songe que Robert le Fort, aïeul de Hugues Capet, n'était devenu duc de France qu'en 866, on voit que toutes ces familles étaient à peu près égales.

[21] BOULAINVILLIERS, Ancien Gouvernement, t. III, p. 101. — Le vingt-deuxième comte mourut sans postérité en 1497, et vendit l'Armagnac au sire d'Albret.

[22] En Angleterre, du reste, il se trouva de bonne heure que les anciens barons, sous les règnes des rois Jean et Henri III, perdirent leurs prérogatives et furent remplacés par d'autres. (Archives nationales, KK, 624.)

[23] C'est une chose certaine, dit le duc de Rohan, qu'en tout royaume l'autorité du Roi diminue celle des grands, comme aussi l'accroissement d'iceux amoindrit le pouvoir royal ; c'est une balance qui ne peut demeurer égale, il faut toujours que l'on des deux côtés l'emporte. (Mémoires, p. 321, édit. Michaud.)

[24] En 1614, le prince Henri de Condé regardait comme un des griefs les plus sérieux contre la cour, que les princes du sang, ducs, pairs et officiers de la couronne n'eussent aucune part aux affaires. Se figure-t-on une pareille réclamation faite soixante ans plus tard sous Louis XIV ?

[25] Richelieu dit en 1624 : Permettre au connétable de Lesdiguières de s'en aller de la cour, c'était chose de telle conséquence qu'elle pouvait apporter la Guerre en France. (Mémoires, t. I, p. 300.)

[26] Duc de Rohan (1622) demande deux cent mille écus pour rendre Montpellier. (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 268. — Voyez ibid., p. 161 et 358.) On sait qu'en l'espace de cinq ans on donna aux grands dix-sept millions pour apaiser leurs révoltes.

[27] HURAULT, Discours, p. 29. (En 1691.)

[28] Le Roi Charles IX ayant su qu'un homme auquel, dans l'ardeur de la chasse, il avait donné un coup de poussine (l'autre s'étant mis mal à propos sur son chemin), était gentilhomme, dit Je ne suis que cela, et lui en fit satisfaction. (TALLEMANT, t. III,  p. 81.)

[29] Le comte de Tonnerre, sous Henri IV, voyant qu'on ne voulait point le laisser entrer au Louvre en carrosse (il avait eu un brevet de duc, mais non enregistré), ne fit faire à son château qu'une petite porte, au lieu d'une porte cochère, disant : Si le Roi ne veut pas que j'entre chez lui en carrosse, il n'entrera pas non plus en carrosse chez moi. (TALLEMANT, t. IV, p. 16.)

[30] Mémoires, t. II, p. 326.

[31] MONTPENSIER, Mémoires, t. III, p. 2.

[32] Lettres et papiers d'État, t. I, p. 773. — Louis XIII disait cependant à madame d'Angoulême, femme du bâtard de Charles IX : Ma tante. (PONTCHARTRAIN, p. 482.)

[33] Encore le connétable avait-il d'abord refusé d'avoir M. le Prince pour gendre, disant qu'il avait l'honneur d'être son grand-oncle, ce qui lui suffisait. (BASSOMPIERRE, p. 53.) Plus tard, on vit une madame de Montmorency dame d'atour d'une des bâtardes de Louis XIV.

[34] Le Roi le donnait aussi aux ducs étrangers, témoin Buckingham. (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 71.) Aux chevaliers des ordres, lieutenants généraux de provinces, etc., il disait : Nos chers et bien amés ; aux conseillers de parlement et autres magistrats : Nos amés et féaux. La Reine Marie écrivant au duc de Villars signait : Votre très-bonne cousine.

[35] Mémoires, p. 164.

[36] BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 21, et FONFENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 27. François Duval, chevalier, seigneur de Fontenay-Mareuil, obtint en 1639 l'érection de sa terre et de quelques autres en marquisat. Élevé à la cour avec le Dauphin qui fut Louis XIII, protégé du marquis de Souvré, il combattit en 1615 sous le maréchal de Bois-Dauphin ; nommé capitaine du Louvre, il céda cette charge à Luynes en 1616, et devint mestre de camp du régiment de Piémont (1616), maréchal de camp et conseiller d'État (1626), Ambassadeur à Rome (1644). Épousa Suzanne de Monceaux d'Auxy, et eut une fille mariée au duc de Tresmes.

[37] TALLEMANT, t. X, p. 185. — Bernard de Girard, seigneur du Haillan, historiographe de France.

[38] Que dire de Bassompierre, qui, avant même d'avoir été présenté à Henri IV, accepte d'aller danser à Monceaux, en présence du Roi, un ballet où l'on se moquait de Sa Majesté qui se faisait soigner une carnosité au pied (Mémoires, p. 19) ; de Henri IV écrivant à Harambure, le borgne, un de ses fidèles, et terminant sa lettre par : Bonsoir, borgne, votre meilleur maitre ?

[39] FONTENAY-MAREUIL, p. 23. — Les Espagnols s'étonnaient que le Roi ôtât son chapeau à ses sujets. Le Roi mon maître, disait l'un d'eux, tient bien mieux son rang ; il n'ôte son chapeau qu'au Saint Sacrement. (TALLEMANT, t. II, p. 105.)

[40] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 191. — Jean-Louis de Nogaret de la Vallette, duc d'Épernon, né en 1554, un des mignons de Henri III, amiral de France, colonel général de l'infanterie, gouverneur de Normandie, Metz et Boulonnais, fut fidèle à la cour pendant les troubles de la Régence. Sous Louis XIII, gouverneur de Guyenne, se montra l'adversaire de Richelieu. Père des ducs de la Vallette et de Caudale et du cardinal de la Vallette. Mort en 1642, à Loches, où il était relégué par ordre du Roi.

[41] Mémoires, p. 145.

[42] Le Roi avait promis à ce dernier une enseigne aux gardes et ne put la lui donner. Puységur, dit-il, je vois bien que cela vous facile, dis-je vrai ?Sire, répond-il, cela me surprend beaucoup, parce que je croyais les paroles des Rois inviolables, et qu'ils ne manquaient jamais à ce qu'ils avaient promis. (Mémoires de PUYSEGUR, t. I, p. 42.)

[43] FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 140.

[44] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 281.

[45] BRIENNE, Mémoires, p. 69.

[46] Mémoires de lord HERBERT CHERBURY, ambassadeur en France, traduits par le comte de Haillon, p. 132.

[47] BRIENNE, Mémoires, p. 39 et 18.

[48] BRIENNE, Mémoires, p. 32. — FONTENAY-MAREUIL, p. 52 et 75. — MONGLAT, p. 38. — RICHELIEU, t, III, p. 57.

[49] CHOISY, Mémoires, p. 584.

[50] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 299 ; t. II, p. 89.

[51] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 487.

[52] Mémoires, p. 264 (En 1627.)

[53] François d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, cardinal, 1579-1628. Sa mère était la maitresse du chancelier de Cheverny, et la tante de Gabrielle d'Estrées. Il le portait haut, dit Tallemant, mais réglait fort bien son diocèse. II dut son élévation précoce au crédit de sa cousine. Quoi qu'en dise le Gallia christiana, il jouissait à Rome d'une fort mauvaise réputation.

[54] Le comte d'Alais (fils du duc d'Angoulême) faisant le prince, fit présenter la chemise au chevalier de Valençay pour la lui passer. — J'en ai pris une blanche ce matin, je n'en ai que faire, dit celui-ci. (TALLEMANT, t. III, p. 197.) L'abbé de Retz fit bien pis encore chez le chevalier de Lorraine, il laissa tomber la chemise dans le feu. (Voy. Mémoires, t. I.)

[55] Jean de Caylar de Saint-Bonnet, seigneur de Toiras (ou Thoiras), né en 1585, page de M. le Prince 1609, l'espionnait pour le comte du Roi. (Lettres et papiers d'État, t. III, p. 23. — TALLEMANT, t. I, p. 180.) Lieutenant de la vénerie, 1619, capitaine de la volière des Tuileries ; 1620, achète une compagnie aux gardes, délivra l’île de Ré, 1627 ; gouverneur de Casal, 1630 ; maréchal de France, 1632 ; gouverneur d'Auvergne, 1633, mort en 1636.

[56] De Daillon, comte du Lude, mort en 1619, étant gouverneur du duc d'Orléans ; il eut pour successeur le maréchal d'Ornano. Son fils Gaspard, abbé des Chastelliers, était évêque d'Agen (1631). Son autre fils, Henri, fut grand maitre de la garde-robe. Le comte du Lude avait épousé Françoise de Schumberg, sœur du maréchal.

[57] PONTIS, Mémoires, p. 449. — Lesdiguières lui-même n'avait pas eu de débuts plus brillants. François de Bonne, seigneur de Lesdiguières, né en 1543, d'une maison noble et ancienne du Dauphiné, mais pauvre, se fit recevoir avocat au Parlement, puis, s'étant résolu à se faire homme de guerre, emprunta une jument à un hôtelier et partit sans donner de ses nouvelles. — II passa par toutes les charges militaires et devint maréchal, 1608 ; duc et pair, 1611 ; connétable, 1621 ; mort en 1626. Sa vie privée offre malheureusement le tableau de déplorables scandales. (TALLEMANT, t. I, p. 1-3. — PONTCHARTRAIN, p. 336. — Lettres et papiers d'État, t. II, p. 314, et ROHAN, p. 553.)

[58] Richelieu ne peut s'empêcher de rendre hommage à tous ces braves gens de la race de Monsollens et de Mirepoix. Le marquis d'Ambres conduisait une troupe de cent cinquante gentilshommes, de ses amis particuliers. (Mémoires, t. III, p. 215.) En 1632, le duc d'Épernon allait voir Richelieu avec deux cents gentilshommes qui l'accompagnaient jusqu'à la porte de sa chambre. (LA PORTE, Mémoires, p. 15.)

[59] TALLEMANT, t. II, p. 161. — François V, comte, puis duc de la Rochefoucauld, prince de Marsillac, père de l'auteur des Maximes, en 1610 maître de la garde-robe par la faveur du maréchal d'Ancre, 1614, lieutenant de Poitou ; 1616, ambassadeur en Espagne, fut l'un des dix-sept seigneurs. Jamais je ne vis, dit Balzac, homme plus persuadé que lui des vertus héroïques de M. le cardinal.

[60] Même dans les familles parlementaires. Le président de Mesmes ne daignait quasi ôter le chapeau à ses frères, et ne se levait pas par orgueil.

[61] G. PICOT, Etats généraux, t. III, p. 334. — Pierre de Roncherolles, baron du Pont-Saint-Pierre, conseiller-né du Parlement de Normandie.

[62] G. PICOT, États généraux, t. III, p. 345. — Henri de Bauffremont, baron de Senecey, président de la noblesse en 1614, gouverneur d'Auxonne, ambassadeur en Espagne, maréchal de camp, mort en 1622 d'une blessure reçue au siège de Royan.

[63] TALLEMANT, t. VI, p. 59. CF. son historiette. — Un simple gentilhomme reconduisant une bourgeoise dans son carrosse la fait asseoir à la portière et garde le fond pour lui-même. (Ibid., 66.)

[64] TALLEMANT, t. VII, p. 127.

[65] Seyssel.

[66] Esprit des lois, p. 196. Macaulay, dans son Histoire d'Angleterre, dit que son pays a toujours eu l'aristocratie la plus démocratique et la démocratie la plus aristocratique qui aient existé.