RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE PREMIER. — LE ROI ET LA CONSTITUTION.

LA MONARCHIE TRADITIONNELLE.

CHAPITRE IV. — L'OPINION PUBLIQUE ET LA PRESSE.

 

 

Puissance de l'opinion, la monarchie repose sur elle. — Respect et amour du peuple pour le Roi. — Soin du Roi pour se concilier l'esprit public. — La presse politique sous le règne de Louis XIII. — Idées de Richelieu à ce sujet. — Officieux et pamphlétaires. — Législation et peines.

 

Le pouvoir royal, avons-nous dit, n'est pas défini par une charte, mais il est déterminé par des traditions ; or la tradition procède en pareil cas de l'opinion publique. La monarchie traditionnelle repose donc, comme tout autre gouvernement, sur l'opinion. A ce titre, l'ancienne royauté n'est pas, comme on l'a dit parfois, un privilège plus grand que les autres, mais bien un droit aussi sérieux, aussi respectable, que tout autre droit a été, et sera jamais en ce monde. Elle avait polir elle un plébiscite muet, mais perpétuel : l'amour du peuple qu'elle gouvernait.

Montesquieu dit avec quelque naïveté : Le gouvernement est comme toutes les choses du monde, pour le conserver il faut l'aimer. On n'a jamais ouï dire que les rois n'aimassent pas la monarchie, et que les despotes haïssent le despotisme[1]. Il ne suffit pas que les rois aiment la monarchie pour la conserver, il faut que la nation l'aime aussi : les monarchies, pas plus que les républiques, ne peuvent se passer de l'assentiment populaire. En aucun temps, en aucun pays, un gouvernement n'a pu se maintenir sans être soutenu, tout au moins accepté, par la majorité des gouvernés ; c'est dire que toujours et partout il y a une opinion publique, mobile ou stable, intelligente ou sotte, mais toute-puissante[2]. Si la dynastie capétienne a subsisté durant tant de siècles, a accompli tant de choses, a survécu à tant de vicissitudes, c'est qu'elle était appuyée par le sentiment national. C'est là le secret de sa force, et la Boétie le définit admirablement, en le critiquant, quand il l'appelle : Servitude volontaire, quand il dit que : Monarque ne peut demeurer monarque, que par l'assentiment tacite ou exprimé des sujets qu'il gouverne[3]. Il donne ainsi lui-même la meilleure réponse aux tirades indignées dans lesquelles il se demande : Comment il se peut faire que tant d'hommes, tarit de villes, tarit de nations, endurent un tyran qui n'a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a pouvoir de leur nuire, sinon de tant qu'ils ont vouloir de l'endurer, qui ne saurait leur faire aucun mal, sinon lorsqu'ils aiment mieux le souffrir... Soyez résolus de ne servir plus, dit-il, et vous voilà libres ![4] Jean-Jacques Rousseau, deux siècles après, ne dira pas autre chose, et sa voix aura un retentissement immense, tandis que celle de la Boétie était demeurée sans écho. Cela tient uniquement à ce que la France au seizième siècle aimait ses Rois, tandis qu'au dix-huitième elle ne les aimait plus guère ; et si l'on recherche les motifs de cette désaffection, on verra que ce n'est pas seulement la nation qui avait changé, mais que c'étaient aussi les princes.

Richelieu a pu donner plus de force matérielle, plus de développement extérieur au pouvoir du Roi, il ne lui a pas acquis plus d'autorité morale. Avant lui, la France était profondément monarchique ; l'amour du Roi, le respect de la royauté étaient au cœur de tout Français ; ils étaient ardents et sincères. Ces sentiments n'avaient rien du fétichisme des populations orientales pour leurs maitres, ils n'excluaient pas la dignité personnelle, ni l'attachement à la liberté. L'obéissance plus ou moins raisonnée n'avait rien de bas, la soumission à un chef ancien et nécessaire n'avait rien de blessant. Pendant près d'un an (en 1591), la France s'était gouvernée toute seule, on avait parlé de démocratie, de justice rendue au nom des peuples, on avait fait la cour aux bourgeois des villes. Cet état de choses avait cessé de lui-même, pareil à une agitation stérile. Hurault en faisait la remarque en disant que notre naturel est tel que sous un Roi déjà établi nous nous diviserons bien, nous ferons des guerres civiles, des remuements. Mais s'il n'y en avait point, s'il était question de pourvoir à la couronne, jamais nous n'en souffririons le démembrement[5]. Il semblait, même sous la Ligue, que ce fût un blasphème, un parricide, que de dire : Je ne suis point du parti du Roi[6]. Sous Louis XIII, dans les fréquentes révoltes que firent les mécontents, personne ne voulait être contre le Roi. Au combat de la Marfée, où il perdit la vie, le comte de Soissons avait mis dans ses enseignes : Pour le Roi contre le Cardinal[7]. Le maréchal de Gramont, parlant à Louis XIV de la Fronde, où il avait joué un rôle, indique bien cette tendance par ce mot : Sire, c'était du temps que nous servions Votre Majesté contre le cardinal Mazarin[8]. La puissance du nom et de la personne royale contre les soulèvements était telle, que tout ce qu'on entreprendrait contre son autorité, disait Barbin au prince de Condé, serait un feu de paille qui ne durerait point. Ce prince en fit l'expérience dans sa rébellion de 1615, il ne trouva quasi aucune place dans tout le royaume qui consentit à lui ouvrir ses portes. Les peuples s'armaient d'eux-mêmes pour lui résister ; les parlements décrétaient contre lui[9]. Quand le détenteur d'une place forte voulait faire cause commune avec les rebelles, il avait plus de peine à se défendre des habitants, qui refusaient de fermer leurs portes au Roi, qu'à lutter contre l'armée royale. Le duc d'Orléans se trouva, vingt ans plus tard, dans le même isolement[10]. Les villes chassèrent leurs gouverneurs quand elles les soupçonnèrent d'infidélité, et ce n'est qu'à force d'argent et avec les subsides de l'étranger qu'il parvint à lever quelques troupes. On avait pu constater, lorsque Condé fut arrêté par Concini, combien les masses populaires et la majorité de la noblesse elle-même restaient étrangères aux troubles entretenus par les seigneurs. Au contraire, après le désastre de Corbie, en 1636, quand la France était envahie par les Espagnols, il y eut un élan unanime de la nation ; à Paris, les sept corps de métiers vinrent trouver le Roi et lui firent offre de leurs personnes et de leurs biens, avec une si grande gaieté et affection que la plupart lui embrassaient et baisaient les genoux[11]. La bourgeoisie même se montrait fort susceptible, dans sa vénération pour la mémoire des Rois défunts. Aux états de 1614, un nommé La Barillière ayant vertement blâmé le Roi François Ier, excita à tel point l'indignation du tiers, que l'assemblée fut sut le point de lui faire son procès, et crut agir avec douceur en se contentant de le remettre aux mains du chancelier pour le punir comme il jugerait convenable[12]. Il en était ainsi dans les pays voisins, que l'on voit demeurer longtemps sous le même gouvernement. Les Lorrains avaient un tel amour pour leurs ducs, qu'en 1632, vaincus par Louis XIII, ils aimaient mieux perdre leurs charges, et même leurs biens, que de prêter serment à d'autres qu'à eux[13]. Les habitants de la Franche-Comté, satisfaits du Roi d'Espagne qui les traitait fort doucement, auraient mieux aimé perdre tout ce qu'ils avaient au monde, que de changer de domination[14].

La royauté française, de son côté, avait pour l'opinion publique des ménagements, nous pourrions dire des flatteries, qui seraient à peine déplacées dans la bouche des tribuns modernes : Nous désirons témoigner, dit Louis XIII, par de notables effets, la volonté constante et déterminée que nous avons, non-seulement de soulager (le peuple) de ses misères, mais de le faire jouir, moyennant la grâce de Dieu, d'une entière félicité[15]. Une autre fois, voulant rappeler le chêne de saint Louis, il écrivait : Nous voulons, à l'imitation du grand saint dont nous portons le nom, donner nous-même audience à nos sujets, les fêtes et dimanches, à l'issue de notre messe, dans notre salle, où estans assistés d'aucuns de notre conseil, tous nos sujets pourront nous faire leurs plaintes par écrit, et présenter telles requêtes qu'ils voudront[16]. Ces beaux projets demeuraient sur le papier ; mais ils marquent le désir de faire ce qu'on nommerait aujourd'hui de la popularité. Ces déclarations que le souverain publiait sans cesse, soit sur ses affaires de famille, soit sur les affaires d'État, prouvent le besoin qu'il avait de l'opinion. Il fallait éviter, dit Richelieu, après un fait considérable, que cette nouvelle ne surprit les peuples, les grands et les compagnies du royaume, et que la vérité et la sincérité des intentions du Roi ne leur fût déguisée[17]. Ces documents dont la couronne se servait pour répondre aux mécontents, n'avaient d'autre but que d'en appeler au pays, de le prendre pour juge. Ils discutaient les griefs et prétendaient les réfuter, donc ils en tenaient compte. Ils ne disaient pas : On se révolte, donc on est criminel ; mais on se révolte à tort, sans motif sérieux, et c'est là qu'était le crime. Quand le Roi se brouillait, ou se raccommodait avec son frère ou avec son cousin le comte de Soissons, il faisait une déclaration pour expliquer en détail les fautes qu'ils avaient commises, ou au, contraire les assurances de fidélité qu'ils lui avaient données. En 1626, il dit au Parlement, dans une lettre officielle. Je reviens en pleine santé, la Reine ma mère aussi, et mon frère, qui est fort bien avec moi[18]. En 1631, il raconte comment la Reine Marie est sortie du royaume, et ce qu'il a fait pour l'y retenir[19]. Frais ou faux, ces récits publics étaient un hommage à l'opinion[20]. Richelieu en rédigea souvent qu'il fit signer par le Roi, et qui contenaient l'éloge de sa propre conduite.

Dans les circonstances graves, le pouvoir central envoyait des circulaires aux gouverneurs de province, aux parlements, aux lieutenants généraux, les invitant à en porter le contenu à la connaissance des habitants de chaque province[21]. Ces invitations, adressées à toutes sortes de personnes, de proposer des moyens efficaces pour le relèvement des finances, avec promesse de les examiner et recevoir, pour en cas qu'ils soient justes et raisonnables, étaient de véritables appels au conseil de la nation. Le souverain n'avait pas contracté encore l'habitude de s'en passer. Quand Louis XIII renvoya le surintendant la Vieuville, et le fit arrêter en même temps, il en informa le Parlement en ces termes : Nous avons été contraint de démettre le marquis de La Vieuville de la charge de surintendant des finances, et de nous assurer de sa personne... Ce nous a été un extrême regret de n'avoir pu trouver autre voye que celle que nous avons prise, mais nous avons été réduits à cette nécessité par[22].... (Suivaient les charges pesant sur ce personnage.)

Le pouvoir croyait toujours essentiel d'avoir pour lui l'approbation publique. A l'ouverture de la guerre contre l'Espagne[23], le Roi reprenait de haut l'histoire des différends de ce pays avec le nôtre, exhalait ses plaintes, articulait ses griefs, et donnait à son peuple les raisons de sa conduite. A toute occasion il entrait en rapport avec ses sujets. Il veut se réjouir avec eux de la naissance de son fils, il leur fait part de ses espérances de paix, pour laquelle il présente journellement ses vœux au ciel, avec tous les plus vifs sentiments de compassion qui se peuvent concevoir, des misères que la guerre lui fait souffrir[24].

La royauté cherchait ainsi à se concilier l'opinion par les égards et par la persuasion. Elle tenait à convaincre le peuple, non à le faire taire.

Avant l'invention de l'imprimerie, il n'y avait qu'un moyen d'agir sur l'opinion : la parole. L'orateur seul pouvait se mettre en communication avec la foule, l'écrivain ne le pouvait pas. Pour devenir populaire, il fallait que le manuscrit, appris par cœur, parvint, par la bouche de plusieurs hommes, jusqu'aux oreilles de toute une nation. La création de la presse produisit rapidement une révolution immense. Plus retentissante qu'aucune voix humaine, elle s'entendit par les yeux. Son influence sur la pensée la fit souveraine du monde intellectuel ; elle fut le principal organe de l'opinion. Dans le domaine politique, les peuples s'en servirent pour être écoutés de leurs gouvernements ; les gouvernements, pour conquérir l'esprit des peuples. Il en fut ainsi en France jusqu'à Richelieu, qui, ennemi par principe de la discussion, jugea les manifestations de l'esprit public dangereuses, et confisqua la presse à son profit. D'un libre agent des idées générales il fit un instrument de son pouvoir particulier[25]. Il ne toléra que des journaux officiels et des livres officieux. Plus tard, ses successeurs, estimant que l'opinion n'existait plus parce qu'elle était silencieuse, ne chercheront même pas à la diriger. Louis XIV aurait cru s'abaisser en justifiant sa conduite devant elle ; il ne s'attendrit avec ses sujets qu'une fois en son règne, quand il vit son trône prêt à s'effondrer.

Nous ne prétendons pas, bien entendu, que la liberté de la presse, telle que les uns la souhaitent et que les autres la craignent aujourd'hui, existât avant Louis XIII. Il n'y avait pas, à proprement parler, de législation sur ce sujet. Mais il suffit de se rappeler les immortels écrits du seizième siècle et la situation de leurs auteurs, la hardiesse des idées, l'indépendance de langage dont ils font preuve, pour se rendre compte que si la liberté n'était pas inscrite dans les lois, elle était admise dans les mœurs. Rabelais, Montaigne, La Boétie, et d'innombrables publicistes politiques, abordant sans crainte toutes les questions, montrent jusqu'où allait la tolérance. L'Université avait un droit de police sur' la librairie et l'imprimerie, dont elle faisait un usage modéré[26]. Le Parlement et la Sorbonne avaient un droit de justice et de censure, qui allait jusqu'à brûler solennellement les livres, et qui n'atteignait pas, en général, bien sévèrement les écrivains. La matière religieuse était seule exceptée ; mais qui oserait s'étonner des rigueurs déployées par les tribunaux, en un temps où chacun voulait faire prévaloir sa foi par les armes, où la liberté de conscience était inconnue[27] ?

A ce point de vue même, d'énormes progrès avaient été faits dans les premières années du dix-septième siècle. En 1611, les protestants jouissaient pour la composition, l'impression, la vente et la distribution des ouvrages de leur doctrine, d'une latitude assez grande, bien que non illimitée[28].

En France, dit le Mercure, parlant du règne de Henri IV, on ne fit la guerre qu'en papier... telle était la liberté d'écrire en ce temps-là, les curieux s'en amusaient[29]. Chaque année amenait une polémique nouvelle, relative aux événements politiques du moment. D'un bout à l'autre du pays, les pamphlétaires se répondaient ; on faisait assaut de libelles, les esprits se passionnaient, chacun prenait partie. Un Gascon fait imprimer, en 1608, sur les bords de la Garonne, un petit livret intitulé : la Justice aux pieds du Roy. Sa plume, trop mal taillée, méritait d'être rognée ; on répondit par l'Injustice terrassée, à laquelle répliqua la Justice en son trône[30], etc. Les gouvernements avaient des libellistes à leurs gages, comme ils ont aujourd'hui des journaux subventionnés. A une brochure imprimée à Turin, par ordre du duc de Savoie, sous ce titre, l'Avertissement au Roi d'un bon et fidèle Français, Richelieu faisait faire une réponse qui découvrait ses artifices, et répondait à ses mauvaises raisons[31]. Le cardinal se plaisait lui-même à la dispute de plume, divertissement fort agréable lorsqu'on a de son côté la Bastille, le Châtelet et les lettres de cachet.

Grâce à ces arguments ad hominem, plus décisifs qu'aucuns autres, il parvint sinon à réduire le nombre de ses contradicteurs, du moins à les obliger à se cacher. Comme il arrive toujours en pareil cas, la discussion céda la place à la satire. En tuant la critique haute et modérée, le pouvoir créa sans le vouloir les pamphlets mordants et parfois injustes[32]. Bodin, dans la préface de sa République, s'exprimait ainsi : Pendant que le maitre de notre république avait le vent en poupe, on ne pensait qu'à jouir du repos ; mais depuis que l'orage impétueux a tourmenté le vaisseau avec telle violence, que le patron même et le pilote sont comme las d'un travail continuel, il faut bien que les passagers y prêtent la main[33]. Cette appréciation sage et raisonnée des penseurs, cette vox populi, qui est l'opinion, on ne sait où la prendre sous Louis XIII, entre la flatterie et l'injure, entre l'admiration gagée et le dénigrement systématique, entre la Gazette et le Mercure, d'une part, et de l'autre, les placards mystérieusement imprimés dans les caves de Paris ou envoyés en fraude de l'étranger : de Bruxelles, de Nancy, de Turin. Ces placards étaient jetés en secret aux offices du Louvre et autres grandes maisons, dans les boutiques du Palais, sur les barrières des sergents, dans les échoppes des halles et marchés publics. Tels furent la Milliade, l'Impiété sanglante, le Trésor des épitaphes, pour ne citer que les plus violents, que rédigeaient quelques mécontents, et que des milliers d'autres lisaient avidement à huis clos[34].

Peu de libelles parurent pourtant sous ce ministère. Loin de s'étonner du petit nombre des écrivains qui se firent remarquer par des essais de résistance, il faut s'étonner plutôt que ces essais aient pu se produire. Braver le martyre est toujours chose rare, quand on n'espère pas donner un fructueux exemple, jeter une semence d'imitateurs. Qui donc se fût avisé de risquer sa tête, ses biens, ou tout au moins sa liberté, pour dire ce qu'il pensait des affaires publiques ? Les adversaires du premier ministre avaient pour objectif des réalités saisissables ; ils ne cherchaient pas à le remplacer pour l'amour du bien public, mais dans leur intérêt privé. Or le libelliste passait aisément pour criminel, sous un homme qui relevait comme un délit l'accusation d'inconstance et de légèreté portée contre le Roi, à propos de la politique extérieure[35]. Au fond, le cardinal haïssait la manifestation d'une opinion quelconque ; il châtiait sévèrement la critique, mais l'approbation même ne lui plaisait pas. Le silence respectueux que le fidèle garde dans l'église, à l'audition d'un sermon, ou le soldat dans les rangs, à la lecture d'un ordre du jour, voilà ce qui lui plaisait[36]. Il l'écrivait en 1626 : Il serait à désirer que chacun se mêlât de ses affaires, et ceux qui sçavent s'ayder d'une plume comme les faiseurs de livres, serviraient grandement le Roi, et obligeraient bien fort ceux qui sont auprès de lui, s'ils ne se meslaient point de parler de leurs actions, ni en bien ni en mal, veu que souvent leurs louanges blessent autant que leurs médisances. Que tout autant de personnes que j'ay peu sçavoir qui voulaient faire des livres en faveur du gouvernement, je les ai priées de s'en abstenir[37]...

Richelieu se réservait le soin de se louer lui-même, pensant que personne n'en était plus capable que lui[38]. C'est dans ce but qu'il s'appropria le Mercure français, et qu'il encouragea la publication de la Gazette ; Renaudot, son créateur, en était le rédacteur en chef, et le cardinal, selon l'expression moderne, en fut le directeur politique.

Il est étrange que l'opinion ait été réduite au silence, précisément sous le règne qui vit naître la presse périodique ; que les journaux, naturelle expression de l'esprit public, aient été fondés au moment même où il était interdit à l'esprit public de s'exprimer. II en est ainsi cependant. La Gazette et le Mercure ne représentent pas plus l'opinion sous Louis XIII que le Journal officiel ne la représente aujourd'hui. Les numéros annuels du Mercure, les numéros hebdomadaires de la Gazette, donnent des détails curieux sur les événements, les mœurs, les cérémonies ; mais de jugement, point ; il n'y faut rien chercher de tel. Le Roi est grand, le cardinal est grand ; le journal avait à ne pas s'écarter de cette ligne, sous peine de mort.

Le Mercure fut publié pour la première fois en 1611, sous ce titre : le Mercure François, ou Suite de l'histoire de la paix à Paris, par Jean Bicher[39]. C'était un gros in-douze, trapu, de plus de cinq cents pages, qui comprend le récit de sept années (de 1604 à 1611). Il faisait lui-même suite au Septennaire de Cayet. Un numéro tous les sept ans, ce n'était pas une périodicité exagérée. Bicher, dans une préface au lecteur, s'exprime ainsi : Je te donne toutes les choses les plus remarquables advenues depuis l'an 1604, lesquelles mon messager (que j'appelle Mercure françois) m'a apportées des quatre parties du monde, en diverses langues, et que j'ay faites françoises à ma mode, le plus succinctement que j'ay peu. Je ne te donne point un panégvre éloquent au lieu d'une histoire, ny de grands discours philosophiques, enrichis aux bordages de tout ce que les autheurs grecs et latins ont écrit de, plus beau, ains seulement une simple narration... Bien ne faisait encore présager le journal. Cependant les années suivantes parurent séparément, sous le même titre, rédigées d'abord par Étienne Bicher, puis par Olivier de Varennes, jusqu'à ce qu’en 1638 le cardinal en confia le soin à Renaudot, qui depuis sept ans faisait paraitre la Gazette[40].

Théophraste Renaudot[41], grâce à ses consultations gratuites, à son Mont-de-piété, à son bureau d'adresses, où se faisaient des conférences, avait acquis une certaine notoriété. Avec la collaboration de d'Hozier, il fonda en 1631 la Gazette (devenue plus tard la Gazette de France), que Richelieu appuya, à condition de la dominer absolument. A peine parue, chacun veut y avoir place : Tel, s'il a porté un paquet en cour, ou mené une compagnie d'un village à l'autre sans perte d'homme, ou payé le quatrième denier de quelque médiocre office, se fâche si le Roi ne voit son nom dans la Gazette. Chacun veut aussi y voir traiter exclusivement les sujets qui l'intéressent : Le militaire, des sièges ; les avocats, des procès ; les dévots, des sermons[42]... La Gazette paraissait tous les huit jours, en une demi-feuille petit in-4°, de quatre pages, moins du quart d'un journal ordinaire de nos jours. A la marge, et en regard de chaque alinéa, on lisait le nom du pays auquel se rapportait la nouvelle contenue dans le texte, ainsi que sa date. Renaudot commençait toujours par les nouvelles des contrées méridionales, les plus éloignées, et terminait par celles de Paris. Il y joignit des Extraordinaires, c'est-à dire des suppléments. Le numéro régulier ressemble aux feuilles de l'agence Havas ; des informations incolores, jamais d'articles. Les suppléments contiennent les édits, les traités, des relations officielles de sièges, de batailles ou de négociations, émanant du cabinet de Richelieu, et souvent dues à la plume du Roi, qui s'amusait à en composer quelques-unes[43]. Le cardinal écrit au Roi, à propos d'un fait de guerre : Sa Majesté envoyera un mémoire à Renaudot, comme elle a accoutumé[44]. La Gazette fera son devoir, disait-il en une autre circonstance, ou Renaudot sera privé des pensions dont il a joui jusqu'à présent[45].

La Gazette ne représentant pas l'opinion de la nation, mais les idées du ministère, n'est qu'une apologie régulière de ses actes ; elle ne joue aucun rôle politique[46]. Les autres écrits périodiques, en fort petit nombre, qui sont parvenus jusqu'à nous, ne sont pas davantage le reflet des sentiments de la nation[47]. Quant aux gazettes à la main de cette époque, aujourd'hui disparues, tout fait présumer qu'elles rentraient dans la catégorie des pamphlets, c'est-à-dire qu'elles se composaient de cancans et de médisances, plus que de sérieux raisonnement. Toute pression provoque une réaction, tout gouvernement absolu vit entre l'encens qu'on lui offre en face et la boue qu'on lui jette par derrière. Il est voué d'avance à n'entendre jamais la vérité.

On avait édicté au seizième siècle, sous le règne de Charles IX, cinq lois terribles sur la presse ; et le fait en lui-même n'a rien d'étonnant de la part d'un prince qui fit la Saint-Barthélemy. Mais comme nous l'avons dit, il y avait deux espèces de lois en France : celles qu'on exécutait et celles qu'on n'exécutait pas[48]. Les lois sur la presse étaient de ces dernières. Depuis Louis XII, qui déclarait divine l'institution de l'imprimerie et permettait aux clercs du Parlement de s'amuser de sa personne et de sa cour, jusqu'à Catherine de Médicis elle-même, qui lisait volontiers les belles invectives qui se faisaient contre elle, dont elle se moquait et se riait sans s'altérer aucunement[49]. les princes, naturellement portés à favoriser le progrès des lumières, semblaient ne punir qu'à regret ceux qui en abusaient. La répression, d'ailleurs, c'est là le point important, ne portait que sur des libelles diffamatoires (d'une violence que le siècle actuel n'a jamais atteinte), et l'on aurait mauvaise grâce à reprocher aux monarques ou aux ministres de ce temps de n'être pas plus endurants que ceux du nôtre.

Richelieu inaugure un état de choses nouveau en deux points : le premier, en exécutant à la lettre des lois oubliées, en les renouvelant et les aggravant ; le second, en les étendant à toute espèce d'écrits politiques. Il en est des lois de presse comme des lois sur le duel. Bien avant le Cardinal, notamment par un édit de Henri IV, le duel était puni de mort. Richelieu innova non en droit, mais en fait. Cependant l'histoire met au nombre de ses titres de gloire l'honneur d'avoir aboli le duel ; elle peut y mettre également l'honneur d'avoir aboli la liberté de la pensée :

Il fit arrêter, par exemple, il nous l'apprend lui-même, un nommé Fancan pour lui faire expier une partie des crimes qu'il avait commis. De tout temps il s'était déclaré, plus ouvertement que ne pouvait un homme sage, ennemi du temps présent ; rien ne le contentait que des espérances imaginaires d'une république qu'il formait selon le dérèglement de ses imaginations. Il décriait le gouvernement, rendait la personne du prince contemptible, les conseils odieux, et cherchait de beaux prétextes pour troubler le repos de l'État[50]. Richelieu se vante d'avoir usé de modération en se contentant, à l'égard d'un pareil misérable, de l'emprisonnement perpétuel. Or, d'après le résumé qu'il en donne, l'ouvrage ne devait être qu'une critique assez modérée. A propos d'une Admonition par laquelle on démontre que la France fait honteusement une ligue impie, et qui parait être une brochure de polémique, comme les temps antérieurs en offrent mille exemples, le Cardinal s'exprime ainsi : Le dedans du livre était conforme à la calomnieuse et fausse inscription ; on y déduisait au long, avec un style envenimé, qu'assister les Hollandais contre Espagne, le Palatin contre Bavière, était faire directement la guerre contre les catholiques[51]... Richelieu la faisait, en effet, et peut-être avait-il raison ; mais il ne lui plaisait pas de l'entendre dire, et dès lors le dire était un crime de lèse-majesté.

C'était, selon lui, crime de lèse-majesté, et digne de mort, que de publier un livre, même sans en être l'auteur[52], si le livre pouvait être qualifié de libelle. C'en était un aussi qu'un discours imprimé ou à la main, concernant les affaires d'État, ou la personne du Roy, gouverneurs, magistrats, officiers, sans permission du grand sceau[53].

Avant 1630, la répression de la presse était abandonnée au Parlement et à la Sorbonne. La seconde était plus minutieuse, le premier était plus dur. Souvent un livre était à la fois brûlé par ordre du Parlement et censuré par la Sorbonne. La censure, d'ailleurs, n'appartenait pas exclusivement à celle-ci. Les évêques dans leurs diocèses, l'assemblée du clergé pour l'ensemble de la France, le conseil d'État lui-même, avaient droit de censure. Le grand nombre des censeurs engendrait l'anarchie de la censure. On voit, par exemple, un prélat faire la censure d'un livre, par ordre de l'assemblée du clergé, pendant qu'un certain nombre d'autres évêques s'assemblaient pour faire une nouvelle censure et désavouer la première[54]. Ces censures, qui parfois étaient absurdes, n'étaient jamais bien redoutables. Elles condamnaient l'ouvrage, elles ne frappaient pas l'auteur. De plus, elles étaient publiques, motivées, et ne pouvaient par là même faire bon marché de l'opinion, que la censure secrète et irresponsable se croit en droit de mépriser.

Cette dernière seulement convenait à Richelieu. De répressive, il la fit préventive. Aucun livre, depuis 1630, ne put être publié sans permission préalable, délivrée après avis de censeurs royaux[55]. L'Université, la Sorbonne, le clergé, le Parlement, furent du même coup dépouillés de leurs attributions[56]. Le chancelier qui délivrait cette permission, nommée un privilège, avait un pouvoir discrétionnaire et absolu. La presse politique émigra en Allemagne, en Hollande, en Angleterre. Des ordonnances du. Cardinal vient le nombre incalculable des livres imprimés à l'étranger pendant plus de cent cinquante ans. Le conseil d'État ne se contenta pas de poursuivre les ouvrages récents ; nous le voyons interdire, sous peine de mort, la vente d'un livre composé au milieu du treizième siècle, par Guillaume de Saint-Amour, et intitulé : les Périls des derniers temps[57]. Rien ne trouva grâce devant le grand ministre ; il réglementa jusqu'aux almanachs, sous prétexte que leurs rédacteurs, au lieu de demeurer dans les bornes du devoir, y employaient plusieurs choses inutiles et sans fondements certains, qui ne pouvaient servir qu'à embarrasser les esprits faibles qui y ont quelque croyance[58]...

Quant aux libelles véritablement dignes de ce nom, la Bastille, la potence et la hache furent chargées de combattre leurs auteurs, et de faire rentrer en eux-mêmes ceux qui rédigeraient à l'avenir quelques écrits mal digérés sur les affaires du temps[59].

 

 

 



[1] Esprit des lois, édit. Didot, p. 207.

[2] Au dix-septième siècle, dit M. Guizot, c'est Louis XIV et sa cour ; au dix-huitième, c'est la France et son opinion qui gouvernent les esprits et attirent les regards. (Hist. de la civilisation, p. 387.) Si l'opinion ne joue aucun rôle sous le règne de Louis XIV, ce n'est pas qu'elle ne soit pas encore née, c'est qu'elle est morte. Au dix-huitième siècle, elle ressuscite, elle reprend ses droits, mais son origine est bien antérieure. C'est tout à fait è tort qu'on la croirait aussi récente.

[3] Servitude volontaire, ou Contr'un. (p. 63, édition de 1835.)

[4] Servitude volontaire, ou Contr'un, p. 76. Il parle de l'amour de la liberté : Les bestes, dit-il, crient aux hommes : Vive liberté ; de l'égalité et des droits de nature, qui nous fait sujets è la raison et serfs de personne. Il dit au peuple : Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous que par vous-même ? Comment oserait-il vous courir sus s'il n'était d'intelligence avec vous ?

[5] Libre et excellent discours, p. 75.

[6] Libre et excellent discours, p. 12.

[7] TALLEMANT, Historiettes, t. II, p. 192.

[8] Antoine de Gramont, comte de Guiche et de Gramont, souverain de Bidache (créé duc en 1648), fils de Philibert de Gramont, marié en 1567 à Diane d'Andouins, surnommée la belle Corisandre, maîtresse de Henri IV. Il passait pour le fils de ce Roi, mais ne voulut jamais être reconnu. Il était bien fait, adroit, et d'une conversation fort agréable, dit Tallemant. — Gouverneur de Bayonne, vice-roi de Navarre, lieutenant général dans le Montferrat (1627) et en Normandie 1638 ; maréchal en 1641. Il avait épousé mademoiselle de Roquelaure. Ce fut lui qui alla demander Marie-Thérèse pour le Roi Louis XIV.

[9] Il voulut prendre Poitiers, mais ceux de la ville lui envoyèrent défendre d'approcher de la part de dix mille habitants armés et résolus, au péril de leur vie, de conserver la place en l'obéissance de Leurs Majestés. (PONCHARTRAIN, Mémoires, p. 332.)

[10] En 1632, quoique nous eussions traversé plus des deux tiers du royaume, nous n'avions encore vu ni ville, ni communauté, ni même aucun gentilhomme se déclarer pour Monsieur, ainsi que l'on s'était promis, dès lors qu'il serait entré, vu le grand nombre de mécontents qu'il y avait en France... Monsieur s'en plaignait hautement. (Mémoires du duc d'Orléans, attrib. à Algay de Martignac, p. 594.)

[11] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 70. Dans la campagne de Roussillon, en 1642, on fit des routes en Navarre, et on dépensa huit mille livres, mais on fit de l'ouvrage pour plus de cent mille livres, car les paysans, sachant que c'était pour le Roi, ne voulaient point prendre d'argent. (TALLEMANT, t. II, p. 213.) En Picardie, raconte Tallemant, le Roi vit pendant la guerre dey avoines fauchées en vert, et plusieurs paysans assemblés autour de ce dégât, mais qui, au lieu de se plaindre de ses chevau-légers qui venaient de faire ce bel exploit, se prosternaient devant lui, et le bénissaient. — Je suis bien fâché, leur dit-il, du dommage qu'on vous a fait là. — Cela n'est rien, Sire, lui dirent-ils, tout est à vous, pourvu que vous vous portiez bien, c'est assez. — Voilà un bon peuple, dit le Roi ; mais il ne leur fit rien donner, ni ne songea à les soulager des tailles. (Historiettes, t. III, p. 72.)

[12] RAPINE, Recueil, p. 407.

[13] MONGLAT, Mémoires, p. 30, et BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 62.

[14] MONGLAT, Mémoires, p. 40.

[15] Édit de janvier 1634.

[16] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 171. En 1625. Un des maîtres des requêtes devait les rendre le jour de l'audience suivante avec la réponse au pied d'icelles.

[17] Mémoires, t. II, p. 320.

[18] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 282.

[19] Déclaration du 12 août 1631.

[20] De 1610 à 1620, on en vit des exemples sans nombre. Le Roi déclarait certains princes ou seigneurs criminels de lèse-majesté, traitres à leur Roi, déserteurs de leur patrie, énumérait toutes les peines qui devaient leur être appliquées. Le mois suivant, une autre déclaration proclamait que jamais on n'avait douté de leur dévouement, que le Roi les tenait pour ses meilleurs et plus fidèles serviteurs, et que ceux qui lui en parleraient mal seraient eux-mêmes ses ennemis.

[21] Voyez Lettres et papiers d'État, t. II, p. 139.

[22] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 25. Lettre de cachet au Parlement.

[23] Déclaration du 6 juin 1635, enregistrée au Parlement.

[24] Lettre de cachet du 5 septembre 1638, adressée au prévôt des marchands et échevins de Paris.

[25] Le droit de plainte, de censure, de résistance morale, appartenait auparavant à quiconque savait écrire et voulait imprimer. (Ch. NODIER, De l'état réel de la presse avant Louis XIV.)

[26] L'Université se préoccupait surtout au moyen âge de surveiller l'exactitude des copies. Elle s'occupait de la forme extérieure du livre plus que du fond. Sans cette surveillance, nous aurions peut-être aujourd'hui bien peu de bons manuscrits, au point de vue de la correction des textes.

[27] Nodier émet à cet égard cette idée très-juste, que l'intolérance en matière religieuse venait plutôt des peuples que des Rois, de l'opinion que du pouvoir. Religieux, le peuple tue les hérétiques ; incrédule, il tue les prêtres.

[28] ROHAN, Mémoires, p. 494. On peut consulter : De l'état réel de la presse, par LEBER, 1834 ; De l'état de la presse avant Louis XIV, par Ch. NODIER ; Essai historique sur la liberté d'écrire, par Gabriel PEIGNOT.

[29] Mercure français, année 1605, p. 35.

[30] Mercure français, année 1608, p. 313.

[31] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 518.

[32] Entre un million de livres que nous voyons en toutes sciences, à peine s'il s'en trouve trois ou quatre de la République, dit Bodin, en 1580. (République, Préface.) Après Louis XIII, il n'y en aura plus.

[33] A propos des libelles de son temps, Malherbe disait : Il ne faut point se mêler de la conduite d'un vaisseau où l'on n'est que passager. (SÉGRAIS, Mémoires, p. 239.)

[34] La Milliade, satire de mille vers contre Richelieu et ses agents. Son titre véritable est : le Gouvernement présent, ou Éloge de Son Éminence. C'est l'écrit, dit Tallemant, qui a le plus fait enrager le Cardinal. Il fit emprisonner bien des gens pour cela. D'après Tallemant, elle vint de chez le cardinal de Retz ; d'après La Porte, elle serait de d'Estelan. M. Leber dit qu'on l'attribua au poète Ch. Beyis ; le Dictionnaire de Lalanne l'attribue à Favereau, conseiller à la cour des aides.

[35] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 552.

[36] Temps déplorable, dit Richelieu parlant du ministère de Luynes, où il y a égal péril à parler et à se taire. On ne châtie pas seulement les actions, on examine les paroles, on devine les pensées, on suppose des desseins. (Mémoires, t. I, p. 185.) Le cardinal, une fois au pouvoir, n'agit pas autrement.

[37] Lettre au chevalier du Guet. (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 256.)

[38] Il n'y manque pas dans ses Mémoires : Ô Roi trois fois heureux, s'écrie-t-il, de se servir d'un si grand ministre ! Ô grand ministre digne d'un si grand Roi ! (t. I, p. 396.) Ces parenthèses admiratives de lui-même sont fréquentes dans l'ouvrage. Il est juste, dit-il, de s'arrêter un peu ici, à considérer la prudence et le courage que le Cardinal a apportés en la conduite de cette affaire. (t. I, p. 365.) Trois pages plus haut, il s'exprimait ainsi : Tout cela fait voir manifestement quelle force et fermeté de courage il a fallu avoir pour... Ailleurs, parlant d'une instruction rédigée par lui pour un de nos agents à l'étranger, il dit que ce serait ravir un trésor au public, que de ne la pas exposer à la vue de tout le monde. (t. I, p. 342.)

[39] Rue Saint-Jean de Latran, à l'Arbre verdoyant, et en sa boutique, au Palais sur le perron Royal, vis-à-vis de la Galerie des Prisonniers.

[40] Pour la Gazette et l'Histoire des journaux sous Louis XIII, voyez Théophraste Renaudot, créateur du journalisme en France, par le Dr ROUBAUD, 1 vol. in-12°, 1856, et surtout la savante Histoire politique et littéraire de la presse en France, par M. Eugène HATIN, 1859.

[41] Médecin de Loudun, établi à Paris en 1623, s'attira l'inimitié de la Faculté de médecine de Paris pour avoir voulu introduire de nouveaux remèdes chimiques, auxquels ses confrères étaient fort opposés, et pour avoir donné des médicaments gratuits. G. Patin, en particulier, le poursuit d'une haine farouche : Cacophraste Renaudot, dit-il, ce vilain nez pourri de gazetier... a toujours fait quelque autre métier que celui de médecin, comme de mitre d'école, d'écrivain, de pédant, de surveillant dans le huguenotisme, d'usurier, de chimiste... s'il n'était soutenu de l'Éminence, nous lui ferions un procès criminel, au bout duquel il y aurait un tombereau, un bourreau, et tout au moins une amende honorable ; mais il faut obéir au temps. Il annonçait sa mort en ces termes en 1653 : Le vieux Théophraste Renaudot mourut ici le mois passé, gueux comme un peintre. C'est son fils, le conseiller des monnaies, qui fait aujourd'hui la Gazette.

[42] Préface du premier volume de la Gazette, par RENAUDOT.

[43] On voit encore le brouillon de plusieurs, dans le recueil des Mss. Béthune, que l'on retrouve imprimés dans la Gazette. Elles sont écrites de la main de Louis XIII, avec un grand nombre de ratures et de corrections.

[44] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 670. Il écrivait à Chavigny en 1630 : Mandez à Renaudot qu'il n'imprime rien de cette action jusqu'à ce que je lui envoie la relation. J'en ai vu une qui n'est pas bien.... (Ibid., t. VI, p. 176.)

[45] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 51. Sous Louis XIV, la Gazette cessa d'être officielle. Segrais écrit en 1700 : La Gazette de France est la meilleure de toutes ; on ne la lit pas à la cour. (Mémoires, p. 159.)

[46] Avant 1631, le Cardinal faisait imprimer de temps à autre le récit des événements mémorables qu'il répandait dans le public, et où il est naturellement glorifié. (Voyez RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 557.)

[47] Tallemant parle dans ses Historiettes d'un nommé Sauvage, qui rédigeait un journal à Bruxelles, en 1631. Il n'en donne pas le titre, mais la Bibliothèque nationale possède quelques numéros d'une Gazette de 1632 qui doit être son œuvre. (Voyez à l'Appendice.)

[48] M. Leber, dans l'ouvrage cité plus haut, reconnaît que jamais lois n'ont été plus enfreintes par la force des choses, ou plus adoucies par le pouvoir d'exécution. (p. 4.) Ord. de mai 1558 et de janvier 1561. Voyez aussi le Dictionnaire critique des livres condamnés au feu, supprimés ou censurés, par G. PEIGNOT, ouvrage rare, que l'on trouve à la réserve de la Bibliothèque nationale.

[49] BRANTÔME, Mémoires, t. I, p. 91 (édit. Delahaye).

[50] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 452.

[51] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 360.

[52] Richelieu fait à cet égard un mémoire qui serait plaisant, si les conclusions n'en étaient sinistres, sur la législation des libelles, depuis la loi des Douze Tables, jusqu'à un arrêt du Parlement, afin de prouver que l'éditeur doit payer de sa vie la publication d'un pamphlet. (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 552.)

[53] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 323.

[54] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 367.

[55] L'arrêt du conseil d'État du 2 novembre 1627 défendait déjà de composer, traiter, ni disputer des propositions concernant le pouvoir et l'autorité souveraine de Sa Majesté, et des autres rois et souverains, sans expresse permission du Roi, par ses lettres patentes, à peine d'être puni comme séditieux et perturbateur du repos public. (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 434.)

[56] On laissa aux agents généraux du clergé ou à la Sorbonne un droit de dénonciation, mais ce fut le Conseil qui appliqua les peines. Voyez arrêt du conseil privé du 24 avril 1634, pour les Entretiens curieux d'Hermodore et du voyageur inconnu. Les évêques demandèrent qu'il ne fût imprimé aucun livre sans la permission du diocésain, et qu'aucun livre étranger ne pût être introduit sans son visa. Le gouvernement exigea seulement l'examen de la faculté de Paris. (Règlement du 14 avril 1636.)

[57] Arrêt du conseil privé, 1633. Dans les Lettres et papiers d'État, t. VIII, p. 111.

[58] Déclaration du 20 janvier 1638 : Défense d'y mettre autre chose que les lunaisons, éclipses, et diverses disposition ; et tempérament de l'air.

[59] Nous citerons entre autres Rondin (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 552) et le Venant (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 408), qui eurent la tête tranchée. Les exécutions nocturnes et sommaires ordonnées par commissaires nous sont pour la plupart inconnues. Laffémas écrit au Cardinal, en 1626, découvre un grand nombre de libelles et de brocards : Je souhaiterais qu'il me fût permis de faire châtier ceux qui donnent cours à ces mauvais écrits. Il y a de bons remèdes pour cela... Je voudrais que Sa Majesté m'eût autorisé pour lui en faire raison, je les aurais bientôt mis en mauvaise posture. (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 256.)