RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE PREMIER. — LE ROI ET LA CONSTITUTION.

LA MONARCHIE TRADITIONNELLE.

CHAPITRE III. — LE POUVOIR LÉGISLATIF.

 

 

I

LOIS ET DROIT PUBLIC. — La tradition, son importance dans la loi. — Lois fondamentales ou constitutionnelles. — Les sources de la loi r Bible, droit romain, coutumes, droit canon, droit naturel. — Législation royale : ordonnances, édits, déclarations. — Vérification et enregistrement par les cours souveraines.

 

Les nations existent, dit M. Taine[1], mais ce n'est pas un législateur humain qui les a appelées à l'existence, et chacune d'elles a une constitution (en prenant ce mot dans son acception la plus large) par cela seul qu'elle existe. Rarement on voit, dans les annales du monde, un grand plan avec tous ses détails, toutes ses circonstances, conçu dans la tête d'un homme et porté de là sur la surface d'un vaste empire pour que tout s'y moule et s'y range. Les pays qui sont passés graduellement et par une marche insensible de la barbarie à la civilisation, ne se peuvent comparer à ceux où la civilisation a été apportée de l'étranger à son dernier point de perfection, ceux qui ont grandi sur leur propre terroir, et ceux qui sont arrivés à l'âge d'homme sur la terre d'autrui pour s'y établir. La constitution des uns ne peut ressembler à celle des autres.

Peut-on dire cependant que les états généraux de 1789 aient proféré une vaine parole lorsqu'ils déclarèrent leur volonté de donner une constitution à la France ? La France avait-elle une constitution en 1789 ? Nous ne le pensons pas. Peut-on dire qu'elle en eut une avant Richelieu et jusqu'à lui ? Nous le croyons fermement. Pour n'être pas écrite, cette constitution n'en était pas moins réelle. On ne voit nulle part, il est vrai, de charte ni de loi positive, mais on rencontre partout la preuve d'un contrat tacite, conclu entre le Roi et la nation. Le régime monarchique reposait sur l'usage, base aussi sérieuse et aussi solide que bien d'autres. Les lois civiles lui empruntèrent longtemps toute leur autorité, les lois politiques lui durent toute leur force. Si l'on admet que la tradition suffit à établir le droit du Roi, il faut admettre qu'elle doit suffire aussi à établir le droit du peuple. Elle ne peut valoir moins pour l'un que pour l'autre. Or, l'histoire nous apprend : et que le Roi avait le pouvoir de gouverner, et que son pouvoir devait s'exercer selon certaines règles et avec certaines restrictions. C'est ce que nous nommons la charte traditionnelle. A cette époque, où tant d'édits étaient promulgués sur les plus futiles matières, on n'éprouva jamais le besoin de rédiger des ordonnances sur les points les plus graves du droit  politique[2]. Rien ne réglait, par exemple, d'une façon positive la forme des élections aux états généraux, non plus que le nombre et la qualité des électeurs et des élus pour chaque ordre. Tout était déterminé par l'usage, que nul n'ignorait, tant que les états se réunissaient à des dates assez rapprochées. Mais en 1788, lorsque le gouvernement convoqua les derniers, il dut, en l'absence de texte légal, inviter les savants et personnes instruites du royaume à s'occuper de la recherche de tous les renseignements relatifs à ces élections[3].

Le Code Michaud, en 1629, parle des ordonnances non abrogées par usage contraire, reconnaissant ainsi explicitement l'usage comme une des formes d'abrogation de la loi. L'usage faisait et défaisait la loi écrite ; lui-même était loi. Ce terme tombé en désuétude avait jadis une signification plus étendue qu'aujourd'hui[4].

Nos pères avaient un sentiment bien plus vif que nous de la durée d'une institution. Une loi ancienne leur paraissait supérieure à une nouvelle, uniquement à cause de son ancienneté. Pour devenir respectable, un édit devait avoir été longtemps observé. L'esprit de suite, de conservation, était le trait distinctif des hommes d'État. Cette opinion a ses défauts : elle protège la routine ; mais elle a sa grandeur : elle engendre la stabilité. Il n'y a, dit Bodin, chose plus difficile à traiter, ni plus douteuse à réussir, ni plus périlleuse à manier, que d'introduire nouvelles ordonnances... tout changement de lois qui touche l'État est dangereux ; car de changer les coutumes et ordonnances concernant les successions, contrats ou servitudes de mal en bien, il est aucunement tolérable ; mais de changer les lois qui touchent l'État, il est aussi dangereux, comme de remuer les fondements ou pierres angulaires qui soutiennent le faix du bâtiment[5].

Bien que le Roi possédât le pouvoir législatif, s'il venait à changer par édit certaines dispositions anciennes ratifiées par l'opinion publique, on lui reprochait de violer les lois de son État, comme si la consécration du temps leur avait donné une force indestructible[6]. Cette estime de la tradition apparaît sans cesse dans les écrits, dans les discours politiques. On cite volontiers sous Louis XIII des actes, des chartes, des bulles, qui remontent aux premiers Capétiens et plus haut encore. Dans les livres, quand on traite une question, on la traite depuis les Grecs ou les Romains ; on remonte à la Bible, au déluge ; c'est la chaîne des temps. L'esprit moderne a perdu jusqu'à la notion de ce respect de l'antiquité. Des précédents cherchés trop loin dans le passé nous semblent ridicules, ou du moins peu concluants[7].

C'était le contraire au dix-septième siècle, et des révolutionnaires eux-mêmes subissaient cette influence de l'époque. En Angleterre, pendant la révolution de 1688, au plus fort de la crise, on vit la Convention tenir grand compte de ce qu'avait fait l'assemblée des prélats et des barons, présidée par Lanfranc en 1080, à la mort de Guillaume le Conquérant[8]. Quand la tradition était gênante, on cherchait à s'y soustraire en l'éludant, on ne voulait pas la mépriser ouvertement. Ainsi l'usage voulait que le premier président de la Chambre des comptes de Paris fût un clerc : c'était un vestige de l'influence religieuse. Pourtant, en 1619, cet office était déjà, depuis quatre générations, possédé par la famille Nicole, et les provisions qu'on leur en délivrait de père en fils portaient cette clause : Nonobstant que cet office ne puisse être exercé par homme lai et marié[9]. On préférait cette dispense individuelle renouvelée pendant plusieurs siècles, à une abrogation pure et simple.

Les lois fondamentales du royaume n'étaient autres que des usages légaux, qui s'imposaient aux monarques eux-mêmes. Écrites ou non écrites, soit qu'un Roi les ait jadis édictées, soit qu'une tradition constante les ait mises en vigueur, ces lois passaient pour inamovibles. Elles ont été gardées si longtemps, dit Seyssel, que les princes n'entreprennent point d'y déroger, et quand le voudraient faire, l'on n'obéit point à leurs commandements[10]. C'est de ces lois fondamentales que voulait parler le premier président du Parlement (1615), en disant qu'il y avait deux sortes de lois dans l'État : les unes momentanées, espèce de lois de police qui changeaient selon les occasions ; les autres fixes, certaines et immuables, sous l'autorité desquelles l'État était gouverné et la royauté subsistait[11].

Ces lois immuables n'étaient pour la plupart que des coutumes. Celle qui réglait la succession au trône, que l'on désignait sous le nom de loi salique, n'existait pas en tant que loi. Tout le monde s'accordait à reconnaître depuis plusieurs siècles que le fils aîné du Roi défunt, et, à défaut de fils, le mâle le plus proche, était appelé, à l'exclusion de toutes les femmes, à recueillir la totalité de son héritage ; mais aucune loi, à aucune époque, n'en avait décidé ainsi. C'était en vain qu'on citait un article de la législation des Francs saliens qui réglait le partage de leurs terres avant qu'ils aient quitté la Germanie[12], et portait que les mâles seuls pourraient succéder à la terre salique. Ce texte d'une loi civile, oubliée depuis près de mille ans lorsqu'on tenta de le faire revivre sous les derniers Capétiens directs, ne pouvait titre appliqué sérieusement à la transmission du trône de France. Il était, de plus, formellement contraire aux prétentions de ceux qui l'invoquèrent pour la première fois. Il admettait le partage du royaume entre tous les enfants du Roi, ce qui fut pratiqué très-exactement sous les deux premières races[13]. Il n'excluait les filles de la succession que dans le cas où elles étaient primées par leurs frères. Ainsi la fille succédait seule au préjudice du petit-fils. En ligne directe ou collatérale, une fille d'un degré plus proche était toujours préférée à un mâle d'un degré plus éloigné[14]. Si la loi salique avait été réellement observée, le Roi légitime de France, à la mort de Charles IV le Bel, n'eût pas été Philippe VI de Valois, mais le Roi d'Angleterre Édouard III[15]. On ne pouvait même pas prétendre que cette disposition imaginaire s'appliquât aux fiefs ou terres nobles, puisque tous les fiefs en France se transmettaient par les femmes. Artois, Guyenne, Poitou, Bretagne, Bourgogne, Navarre, furent tour à tour distraits, puis réunis par des femmes à la couronne[16]. Simple usage commencé par Philippe le Long, continué par son frère Charles le Bel, et perfectionné par Philippe de Valois, la soi-disant loi salique passa depuis pour un article incontestable de notre droit public. Ce fut presque un crime de la discuter et d'en scruter l'origine[17]. Si le pays ratifia si aisément l'usurpation de ces princes, c'est que le sentiment public était partisan du pouvoir exclusif des mâles.

Bodin fait dans sa République un long mémoire sur la gynécocratie, pour démontrer qu'un royaume ne peut être gouverné par une femme. Ce mémoire en lui-même ne prouve rien, puisqu'il y a eu de bonnes et de mauvaises Reines, comme de bons et de mauvais Rois. L'exclusion des femmes était d'ailleurs en Europe à l'état d'exception. On les voit admises à succéder depuis le moyen âge en Écosse, à Naples, en Norvège, en Danemark, en Hongrie, Pologne, Navarre, Autriche, Angleterre, Espagne, Suède et Russie ; mais il montre à quel point nos pères répugnaient à voir une femme sur le trône[18]. L'Opinion était le vrai fondement de la loi de transmission de la couronne, et de presque toutes les autres lois fondamentales. Quand le duc d'Orléans, en 1628, épousa Marguerite de Lorraine, Richelieu opposa à la validité de cette union la loi du royaume qui interdisait à un prince du sang de se marier sans le consentement du Roi. Montrésor fait observer avec raison que cette loi n'est inscrite nulle part, et il dit vrai ; mais il en conclut qu'elle est imaginaire, et il a tort[19]. Le vague de ces lois d'usage prêta aisément à l'abus, mais on doit reconnaître que la plupart avaient une autorité plus grande qu'aucune loi écrite.

D'autres éléments concouraient avec la tradition pure à former notre constitution. Le droit naturel, le droit canonique, le droit romain, le droit féodal, le droit coutumier, enfin le droit royal proprement dit, telles étaient ses origines multiples et contradictoires. De leur combinaison, de leur mélange plus ou moins heureux, était issu notre droit public[20]. Pour en faire l'analyse et l'histoire, il faut remonter à toutes ces sources ; toutes ont laissé leurs traces, et marqué leur empreinte dans nos lois[21]. Ainsi dans la législation qui régissait la France, une partie seulement était l'œuvre des Rois, l'autre était antérieure à leur dynastie, comme le droit romain, indépendante de leur autorité, comme le droit canon, éternelle comme le droit naturel[22].

Bien que supérieur à tout code humain, dont il doit être la règle unique, le droit naturel était cependant le moins en honneur, et le plus souvent violé. Les autres droits étaient ligués contre lui, et les ordonnances nouvelles étaient loin de se conformer à ses préceptes. Quelques publicistes de talent osaient à peine élever la voix en sa faveur[23]. L'un disait, par exemple, à propos de la confiscation, que de droit divin les enfants ne doivent porter la peine de leurs pères[24] ; mais la science du droit naturel comme celle du droit des gens était encore en enfance. Quand Grotius voulut prouver que l'empire des mers était libre pour tous les peuples et pour tous les individus, il trouva des adversaires qui regardèrent la liberté des mers non-seulement comme une erreur et un danger, mais comme une sorte de blasphème[25].

Au contraire, les enseignements contenus dans la Bible, les bulles et les décrétales des souverains pontifes, étaient regardés comme ayant une haute valeur législative. Dans son traité politique de la Souveraineté du Roi, un conseiller d'État[26] appuie ses raisonnements sur l'Écriture (Ancien et Nouveau Testament), les Épîtres de saint Pierre ou de saint Paul, et les ouvrages des Pères de l'Église[27]. Quand Richelieu fit une alliance avec la Hollande, elle fut critiquée comme impie par ses adversaires ; le gouvernement consulta en Sorbonne pour savoir si licitement Sa Majesté pouvait la conclure, et le garde des sceaux déclara au Conseil que le Roi en avait le droit, parce qu'il s'en était soigneusement enquis du sieur Duval, célèbre docteur en théologie[28]. En 1642, sur la question de savoir si le duc d'Orléans devait déposer comme témoin, verbalement ou par l'écrit, dans le procès de Cinq-Mars, O. Talon se fonde sur Josué qui condamna Acham, au sujet de la ville de Jéricho ; sur le livre des Rois, où David condamne un Amalécite ; enfin sur un canon de l'Église, et sur des observations de casuistes. Il est vrai qu'il se fonde aussi sur une Institute de Justinien, et mime sur un chapitre de Tacite, concernant les rapports de Tibère avec Séjan[29] En effet, si le droit canon et le droit romain joints ensemble ne paraissaient pas suffire à établir une thèse juridique, on ne craignait pas d'invoquer Aristote et les autres philosophes grecs, ainsi que des précédents tirés de Plutarque, de Josèphe ou de Cicéron. Et ceci non pas dans les plaidoiries ridicules de quelques avocats, ou les sermons baroques de quelques prédicateurs, mais bien dans les arrêts du Conseil, les préambules d'édits, les discours officiels prononcés par des magistrats éminents, comme Talon, une des lumières de son corps[30].

L'auteur d'un livre vraiment classique au dix-septième siècle, le Domaine de France[31], parlant des apanages des princes du sang, prétend en voir la loi chez les empereurs de Constantinople ; il cherche ses exemples dans le domaine des rois des Goths ou de Syrie, analyse la loi agraire de Pharaon, étudie le domaine des Perses, en vingt provinces ; celui des Égyptiens et des empereurs des Turcs, des Anglais, des Espagnols et des Éthiopiens. Il n'en omet aucun, et leur consacre le tiers de son ouvrage. Il agit de même quand il veut prouver toutes les autres lois qui ont trait au domaine de la couronne. Il s'appuie en même temps sur la loi salique et sur le roi David, sur la loi de succession chez les Juifs, chez les Anglais, et fait intervenir les Huns eux-mêmes. S'il parle de Philippe le Long, son exemple n'est pas destiné à convaincre davantage le lecteur, que celui d'un prince de Pologne ou de Portugal.

On juge si avec une semblable tendance à chercher des précédents dans les lois de tous les temps et dans l'histoire de tous les peuples, le droit romain devait être en faveur. On voit les professeurs d'université arguer avec succès devant la justice française pour justifier un privilège qu'ils réclamaient, de privilèges analogues accordés par les empereurs romains aux professeurs de jadis[32].

Quelque puissant qu'il fût d'ailleurs, le droit romain avait un redoutable adversaire dans le droit coutumier. Proscrites par les Barbares, et tenues en suspicion par leurs descendants, longtemps les lois romaines ne purent être alléguées contre les coutumes. Celles-ci, au nombre de près de cinq cents, sous Louis XIII, dataient des premiers siècles de la monarchie ; et les Rois qui se vantaient de leur avoir donné par leur approbation le caractère légal, n'avaient eu réellement qu'à les enregistrer[33]. Il en était de même du droit féodal, qui se dégage de plusieurs millions de chartes particulières, mais dont une rédaction officielle et générale ne fut jamais entreprise. Les intérêts réciproques y étaient prévus et marqués de la façon la plus nette, et les premiers Rois y furent soumis. La loi féodale était, pour ceux qu'elle concernait, loi civile et loi politique à la fois. Elle constituait pour la noblesse une véritable loi internationale. Il n'y a jamais eu dans l'Europe moderne, il n'y a pas encore aujourd'hui, de code aussi universellement observé que l'était ce droit chevaleresque, dans ce qu'on nommait alors la chrétienté[34].

La partie moderne de la constitution, celle qui émanait du pouvoir législatif français, formait sous les noms d'Ordonnances, d'Édits et de Déclarations, ce qu'on peut nommer le Droit royal. Ici encore nous retrouvons les traces de cette longue et habile usurpation, par laquelle les Rois sont parvenus à se réserver à eux seuls l'autorité qu'ils partageaient d'abord avec leurs peuples. Quel chemin parcouru de cette maxime ancienne : Lex fit consensu populi et constitutione regis, cet adage nouveau : Si veut le Roi, si veut la loi ! Ce dut être avec un profond étonnement qu'on l'entendit en France pour la première fois. Nos pères n'avaient jamais pensé, ni prononcé rien de semblable.

A l'origine de la monarchie capétienne nous voyons deux sortes d'actes bien distincts : les uns relatifs au domaine dans lesquels le Roi parle en son propre nom, les autres relatifs à la France entière, émanant à la fois du Roi et des barons, souvent même du peuple[35]. La confection des lois appartient donc au Roi, d'accord avec les principaux personnages de l'État, évêques et nobles. Leur avis, et surtout leur consentement, est indispensable ; on le mentionne dans l'acte, et s'il est unanime, on ne manque pas de le dire[36]. Les ordonnances se terminent ainsi : Fait à Paris par l'autorité publique[37], ou bien : Pro utilitate reipublicæ[38]. Ces mots : Pour l'utilité de la chose publique, ne sont-ils pas préférables à la formule moderne, pédante et sotte : Car tel est notre plaisir ? Les seigneurs n'étaient pas seulement des conseillers, ils étaient des législateurs. La grande ordonnance de Philippe-Auguste sur les fiefs commence ainsi : Philippe, Roi des Français ; O., duc de Bourgogne ; Her., comte de Nivernais ; Regnault, comte de Boulogne ; G., comte de Saint-Paul, et plusieurs autres grands du royaume de France, à l'unanimité sont convenus et ont ratifié par l'assentiment public, qu'il en soit ainsi[39], etc. Saint Louis s'exprime toujours en ces termes : Nous et nos barons pensons... Ni nous, ni nos barons ne ferons. Les barons sont des souverains de second ordre, au nom desquels parle le Roi, premier baron. On a beaucoup admiré la modestie de Godefroy de Bouillon, refusant le titre de Roi à Jérusalem, pour prendre celui de premier baron chrétien ; mais aux yeux des contemporains, il y avait entre les deux titres très-peu de différence. Bien plus, celui de premier baron chrétien était presque supérieur à celui de Roi[40].

Quand les historiens nous disent que le Roi secoua le joug du clergé et de la noblesse, cela veut dire qu'il leur imposa le sien ; à cette époque, il respectait encore la hiérarchie féodale, ne donnait pas d'ordres directs aux sujets des grands vassaux, mais priait les grands vassaux de faire obéir leurs sujets[41]. Les successeurs de Hugues Capet s'intitulent pendant trois siècles Rois des Français, et non Rois de France[42] ; la nuance est importante à saisir, d'autant plus que ses pairs s'appelaient ducs de Bourgogne, et non ducs des Bourguignons ; ducs de Normandie, et non ducs des Normands.

Les souverains se disent d'abord : Rois par la clémence, par la miséricorde de Dieu. Les évêques, électifs comme les Rois ; employaient aussi cette formule, que, du reste, ils ont conservés[43]. Le faible pouvoir royal s'étaye de la religion. Le prince édicte la loi : Au nom du Christ, au nom de la sainte et indivisible Trinité, et ajoute modestement : Nous faisons connaître..., quelquefois : Nous avons établi... Un des édits de Philippe-Auguste (1190) débute en ces termes : Le devoir royal consiste à pourvoir de toutes les manières aux intérêts des sujets, et à mettre l'utilité publique avant la sienne... On ne saurait mieux dire, et ces préambules font l'éloge de la monarchie primitive. Malheureusement elle ne les conserva pas toujours. Sous Charles VI (1366) apparaissent ces termes de notre pleine puissance, grâce spéciale et autorité royale... ; puis cette clause de notre propre mouvement, inventée à Rome, et depuis adoptée dans toute l'Europe[44], et enfin sous François Ier, le mot final : Car tel est notre plaisir. La royauté avait cinq siècles d'existence quand elle l'inventa.

Depuis lors elle multiplia dans les édits ces affirmations banales de son autorité. Notre certaine science..., ordonnons, voulons, statuons et nous plaît... Il est important à notre service... contenir nos sujets dans l'obéissance qu'ils nous doivent... nos sujets nous suppliant d'avoir agréable de leur permettre..., etc. Cette phraséologie hautaine fait dire à Montesquieu que les préambules des édits de Louis XIV furent plus insupportables aux peuples que les édits mêmes[45].

Les actes législatifs, avons-nous dit, se divisaient, selon leur importance, en Ordonnances, Édits ou Déclarations. Les Ordonnances correspondaient en principe à nos lois organiques, les Édits à nos lois simples, les Déclarations aux décrets interprétatifs des lois, véritables règlements d'administration publique. Les grandes ordonnances de Moulins, d'Orléans, et autres rendues au seizième siècle, sur la demande formelle et selon les cahiers des états généraux, furent en vigueur jusqu'à Colbert, qui leur fit de nombreux emprunts. Elles embrassaient un grand nombre de matières, sans aucun lien entre elles. La juridiction ecclésiastique, la police militaire, les règlements financiers, l'administration de la justice, s'y trouvaient pêle-mêle ; ou ne prenait pas même soin de réunir chaque sujet sous un titre spécial. Le code Michaud, ainsi nommé du garde des sceaux Michel de Marillac[46], son rédacteur, offre un modèle de cette confusion[47]. Cette ordonnance, le seul monument législatif du règne de Louis XIII, méritait de figurer à côté des précédentes ; mais le cardinal de Richelieu, par haine de l'auteur, son adversaire dans le cabinet, ne fit rien pour en obtenir l'enregistrement au Parlement. La seule loi faite sous ce ministère demeura donc lettre morte, et ne fut pas appliquée.

Les Ordonnances, les Édits et les Déclarations, tous issus de l'initiative royale, et rendus dans les mêmes formes, se confondirent bientôt, et les distinctions dont nous parlons plus haut s'effacèrent. Ou donna indifféremment aux lois l'un de ces trois noms ; elles ne différaient entre elles que par ce nom, par la façon dont on les datait, et par la couleur de la cire dont elles étaient scellées[48]. Avant d'être obligatoires pour la nation, les Édits du prince subissaient une série de formalités relatives d'abord à leur rédaction par le Roi et ses collaborateurs, ensuite à leur vérification par les cours souveraines. Le projet soumis au conseil y était discuté, amendé et approuvé. Ce premier examen eut sa valeur, tant que les conseillers par leur haute situation eurent assez d'indépendance pour ne pas craindre de donner leur avis. Il était ensuite signé du souverain et, quel que fût son objet, contresigné par le secrétaire d'État de la maison du Roi. La contexture des Édits était invariable ; après ces mots : Louis, par la grâce de Dieu..., venaient les considérants. Le Roi sentait le besoin d'expliquer la loi nouvelle, d'en justifier la nécessité ; il cherchait à se concilier l'opinion. Ces considérants tenaient lieu des exposés de motifs et de la discussion actuelle des Chambres. A ces causes, disait ensuite Louis XIII, de l'avis de notre Conseil où était la Reine, notre très-honorée dame et mère, le duc d'Orléans, notre frère unique, aucuns princes de notre sang et plusieurs officiers de notre couronne et autres grands et notables personnages, avons ordonné[49]..., etc. Le nom de Richelieu ne figure dans aucun Édit. Si l'on s'en tenait aux documents officiels, on pourrait ignorer, sinon son existence, du moins la part qu'il prenait au gouvernement. Parmi plus de cinq mille pièces que comprend la collection Rondonneau, sur les dix-huit ans de son ministère, on ne trouve de lui que quelques règlements maritimes, et un privilège pour la vente des missels, réformés d'après le concile de Trente[50].

La rédaction de l'Édit étant parfaite et authentique par l'apposition du sceau de France et l'enregistrement à la chancellerie[51], il devait être vérifié par le Parlement de Paris et parfois par la Chambre des comptes et la Cour des aides de la capitale : Quand il n'intéressait qu'une province, les parlements locaux suffisaient[52].

Le droit de vérification, que les Rois contestèrent et qu'ils finirent par nier afin de l'anéantir, appartenait aussi légitimement au Parlement par tradition que la couronne appartenait au Roi. En Angleterre, dit M. Guizot, le parti de la réforme légale au dix-septième siècle croyait que la souveraineté royale, absolue en principe, était tenue de s'exercer suivant certaines règles, certaines formes, qu'elle ne pouvait dépasser certaines limites[53]. Il en était de même en France. L'Angleterre distinguait les Édits publiés du seul mouvement du Prince, et non à la requête de son Parlement, lequel était partie formelle et nécessaire pour qu'ils tinssent lieu de loi de l'État[54]. La situation était à peu près identique dans notre pays, sauf que le Parlement anglais avait un droit de proposition, tandis que le Parlement français n'avait qu'un droit de contrôle et de correction. Il n'y a rien, disait un jurisconsulte, qui plus autorise les lois et mandements d'un prince que de les faire passer par l'avis d'un sage conseil, d'un sénat, d'une cour... S'ils passent contre les résolutions (de cette cour), les sujets sont induits à les mépriser, et du mépris des lois vient la rébellion ouverte contre les princes, qui tire après soi la subversion des États[55]. Ces paroles prophétiques ne visent-elles pas, à la fin du seizième siècle, la monarchie absolue qui s'établira soixante ans plus tard ? Il faut, disent les états généraux de 1576, que les Édits soient vérifiés et contrôlés ès cours de parlement devant qu'ils obligent d'y obéir. Les États de 1588 allèrent plus loin : ils déclarèrent vouloir procéder par résolution et non par supplication, et attribuèrent aux seuls Édits faits avec leur concours le titre de lois fondamentales. Ils demandèrent aussi que les cours souveraines ne fussent jamais forcées de vérifier un Édit, et qu'elles ne pussent en vérifier aucun sans qu'auparavant il ait été communiqué à des procureurs-syndics élus par les états provinciaux, dans les pays d'États, et directement dans les autres provinces[56]. C'était le germe d'une représentation nationale permanente venant renforcer les parlements. Les États généraux étaient l'interprète de l'opinion publique en proclamant seuls justes et souverains les actes faits par le Roi, de concert avec la nation. Quant à ceux que le Roi faisait seul, ou avec l'avis de conseillers dépendants de lui, les cours devaient, en les enregistrant, leur donner une sanction définitive[57]. Les panégyristes de Louis XIII et de ses successeurs affirment tous que le Parlement s'arrogeait le droit de remontrance et transformait en vérification un simple enregistrement. Il semble ainsi que ce soit les cours qui empiètent sur le pouvoir royal, tandis que ce furent les rois qui dépouillèrent les cours et ne leur laissèrent de souveraines que le nom. S'il est un malheur dans notre histoire, c'est que la France n'ait pas fait preuve alors de cet esprit politique qui honore nos voisins d'Outre-Manche, et arrêtant ses Rois dans la voie funeste où ils étaient engagés, ne les ait maintenus de gré ou de force dans l'ancienne forme traditionnelle, développant et fortifiant encore la représentation du pays. L'illustre Talon rappelait, dans un discours au Roi, cette observation du chancelier de l'Hôpital : que si tout le monde (jusqu'aux moindres officiers) est couvert et assis dans un lit de justice, c'est parce que tous doivent non-seulement avoir la liberté de leurs suffrages, mais encore concourir avec leur maitre à la confection de la loi ; et il ajoutait tristement : Cependant, Sire, la fonction de tous ces Messieurs qui sont assis et couverts, comme s'ils étaient appelés pour délibérer, se trouvera tantôt inutile, parce que Votre Majesté ne les visite pas pour les consulter, comme ont fait autrefois les Rois vos prédécesseurs[58]. Ces plaintes douloureuses au cœur de tout bon Français, ces cris de la liberté mourante ne furent pas entendus par les princes.

Louis XIII et son ministre avaient des moyens détournés de frauder la justice. Pour éviter le contrôle du Parlement, on abrogeait en totalité ou partiellement d'anciens édits, par de simples arrêts du conseil d'État[59] ; mais ces illégalités trouvaient des résistances. De plus, les édits non vérifiés au Parlement étaient considérés par les tribunaux inférieurs comme nuls et non avenus. On envoya en province les intendants qui les exécutèrent, et des intendants on appela au Conseil, s'il y avait lieu. On vit ainsi la justice irrégulière des intendants et du conseil fonctionner à côté de la juridiction ancienne des présidiaux et du Parlement[60].

Délibérer est le fait de plusieurs, dit-on avec raison ; agir est le fait d'un seul. Richelieu professait une opinion toute contraire : Les grandes compagnies, selon lui, sont bonnes à faire exécuter sévèrement ce qui est délibéré et résolu par peu... à faire observer une règle écrite, mais non pas à la faire[61]... Au fond, le Cardinal n'admettait pas davantage ce pouvoir exécutif des compagnies, qu'il ne tolérait leur pouvoir législatif.

Cette approbation du Parlement dont l'effet moral était si grand s'exprimait par une formule modeste. Quand la majorité de ce corps était favorable à l'enregistrement, le greffier écrivait au bas de l'acte : Lu, publié et registré, ouy ce requérant et consentant le procureur du Roy... A Paris, en Parlement (et la date). Par ces seuls mots, la loi était achevée.

Quand au contraire le Parlement repoussait le projet, il le faisait en ces termes : Vu par la cour de Parlement l'Édit (dont suivait un résumé succinct), tout considéré, la Cour dit qu'elle ne peut procéder à l'enregistrement dudit édit. Son refus n'était jamais motivé.

Une lutte s'engageait alors entre le Roi et le Parlement. Le Roi envoyait des Lettres de jussion, ordonnant l'obéissance ; la Cour décidait de faire des remontrances au souverain. Celui-ci prenait jour pour les entendre ; s'il s'y arrêtait, l'édit tombait de lui-même ; s'il les repoussait, il envoyait de nouvelles jussions ; à quoi la Cour ripostait par des observations nouvelles, ce qui durait jusqu'à ce que l'un des deux cédât, ou jusqu'à ce que le Roi, impatienté, interdit la Cour et la brisât[62]. Les lettres de jussion contenaient d'ailleurs des explications. Le Roi donnait un ordre, mais en même temps il en faisait connaître les motifs ; il commandait, mais sans renoncer à persuader, montrant à la Cour qu'il tenait à ce qu'elle obéit, mais à ce qu'elle obéit par conviction. Bien souvent, pour ne pas repousser un édit, celle-ci le corrigeait. Elle l'enregistrait, à la charge que...  (certaines modifications y seraient faites). Tantôt le Roi affectait d'ignorer ces amendements, et cédait ; tantôt il ordonnait l'enregistrement pur et simple, et il fallait obéir[63]. Il avait un autre moyen de contraindre le Parlement : les lits de justice. Il se rendait dans le sein de la Cour en grand appareil, faisait recueillir pour la forme les avis de chacun, et le chancelier requérait l'enregistrement, qui était fait séance tenante[64] ; mais ce moyen était peu sûr. Le Parlement estimait que le Roi ne pouvait faire de loi en lit de justice ; quelques édits bursaux, dit Talon, ont été vérifiés ainsi, mais non pas des établissements et des lois nouvelles qui concernent le bien, l'honneur et la vie des sujets du Roi. Il ne se trouverait point dans les trois tomes de nos ordonnances aucun établissement, tenant lieu de loi, vérifié de la sorte[65].

La Cour mettait ses maximes en pratique. L'ordonnance de Moulins avait réglé que les jugements par contumace ne seraient définitifs qu'au bout de cinq ans. Richelieu, qui aimait la justice expéditive, souffrait impatiemment ce délai. Pour atteindre plus sûrement ceux que poursuivaient ses commissaires, il fit abroger par édit cet article de l'ordonnance ancienne. L'édit porté et lu au Parlement, l'avocat général demanda qu'il fût mis au greffe de la Cour pour en être délibéré dans cinq ans. Le Cardinal, furieux, le fit enregistrer de force en lit de justice (1633) ; mais dix ans après, le Parlement, par un simple arrêt, remit en vigueur la procédure antérieure, et abrogea de son autorité un édit royal, parce qu'il avait été vérifié sous la pression du Roi[66]. Les autres cours souveraines, moins fières et plus faciles à réduire que le Parlement, défendaient aussi leur liberté avec énergie[67]. Le Roi ne s'y transportait pas en personne pour les faire obéir, il leur envoyait un prince du sang[68], accompagné de deux conseillers d'État, porteurs de ses ordres. Plus d'une fois, les compagnies, informées de leur venue, se dérobèrent, en levant leur séance, à ces ambassades qui violaient leur droit. Le plus souvent elles se contentaient de protester avec une admirable dignité par la bouche de leurs premiers présidents.

M. de Nicolaï[69] s'adressait ainsi à Monsieur, frère du Roi, chargé d'une mission de ce genre : Permettez-moi, s'il vous plait, Monsieur, de demander, au nom de la Chambre, jusques à quand nous serons serviteurs inutiles et sans fonctions, à la vérification des édits de Sa Majesté... par cette forme nouvellement introduite, et bien contraire à l'ancien établissement de cette monarchie... Les édits des Rois sont autant de contrats qu'ils passent avec leurs peuples, et les cours qui les vérifient après en avoir soigneusement examiné le mérite, sont les pièges (garants) envers eux de la parole du prince, lequel a établi et autorisé les juges à cette fin[70].

Les princes de leur côté s'excusaient de la mission qu'ils avaient à remplir : Je lis en vos visages, dit plus tard aux conseillers le prince de Condé, que le sujet qui m'amène en ce lieu ne vous est pas agréable ; aussi me suis-je par plusieurs fois excusé d'y venir, et supplié le Roi d'y envoyer Monsieur son frère... A quoi le premier président lui répondait : La Chambre ne doute pas que vous n'ayez regret de l'honorer si souvent de votre présence, pour nous clore la bouche à tous, de la part du Roi, en un temps où nous devrions l'avoir ouverte[71]. Nicolaï parlait encore de cette éclipse de l'ancienne liberté dont on souffrait maintenant ; il ne manquait pas une seule fois de se plaindre avec courage de ce que le Roi était conseillé de publier des édits de son autorité absolue, encore qu'ils nous soient adressés pour en délibérer à l'exemple de nos majeurs[72].

Une chose que les Rois despotes ne semblent pas prévoir, c'est la mort, qui donne à tout ce qu'ils créent un caractère éphémère. Le nouveau prince, étant aussi puissant que le défunt, est libre de tout conserver ou de tout détruire. L'absolutisme du feu Roi ne peut faire tort à l'absolutisme de son successeur. Plus le pouvoir de chacun est personnel, plus il est borné dans sa durée. Le souverain qui n'est pas lié par les lois de son prédécesseur ne peut se lier les mains à lui-même[73]. Il est aussi absolu aujourd'hui qu'hier ; il peut toujours défaire ce qu'il a fait : de là une grande instabilité. Les Rois le sentaient si bien, qu'ils éprouvaient le désir de se garder d'eux-mêmes ; et plus leur pouvoir s'étendait, plus ils prodiguaient dans leurs édits les mots de perpétuels et d'irrévocables. Peine inutile ; il n'en coûtait pour révoquer ce qu'on avait si bien déclaré irrévocable, que d'inventer des termes plus énergiques encore[74].

Nos lois étaient innombrables, et leur nombre, au lieu de préciser la règle, engendrait le désordre. Richelieu, quand il voulut faire condamner de Thou en 1643, n'eut qu'à demander à Séguier a de chercher dans l'abîme judiciaire dont les chanceliers sont toujours pourvus o, pour trouver une loi à sa convenance. Le tiers état avait demandé en 1560 la révision des anciennes ordonnances, et la réunion en un seul corps de celles qui seraient maintenues[75] ; mais cette législation diffuse ne déplaisant pas à un gouvernement despotique, les réclamations demeurèrent sans effet[76].

 

II

PARLEMENT. — Cour des pairs. — Le Parlement anglais. — Droits du Parlement français à l'avènement de Louis XIII. — Sa lutte contre Richelieu ; comment on le combat. — Règlement des régences. — Personnel du Parlement. — Son rang comme corps.

 

L'autorité du Parlement repose sur une équivoque : la confusion des parlements de barons avec les parlements de légistes. Reste à savoir si les hommes de robe qui succédèrent aux hommes d'épée n'étaient pas en droit, puisqu'ils tenaient leurs places, d'hériter de leur pouvoir.

Le Parlement, dit Le Laboureur, est la réunion des pairs et du Roi. Dans une acception plus large, il signifie la réunion des principaux du royaume, présidée par le Roi, pour ordonner des affaires publiques. Comme magistrats, les conseillers au Parlement rendaient sous Louis XIII la justice ordinaire ; comme pairs, ils avaient la décision des principales affaires de l'État[77]. Au début de la monarchie, le Parlement (ou cour des pairs) ne se composant que de seigneurs de premier ordre, les pairs étaient les seuls conseillers au Parlement. Au dix-septième siècle, les ducs qui seuls portaient le titre de pairs n'en faisaient plus la fonction, tandis que les conseillers qui n'avaient pas le titre jouissaient seuls des prérogatives qu'il conférait jadis[78]. En fait, la pairie était le fond même de la dignité du Parlement. Chacun sait qu'il y avait sous Hugues Capet douze pairs de France, dont six laïques, six ecclésiastiques[79]. Au sacre de Charles VI (1380), sur les six pairies laïques, quatre étaient déjà réunies à la couronne. Le comte de Flandre et le duc de Bourgogne subsistaient encore. Louis XI, un siècle après (1477), unit la Bourgogne à son domaine ; quant à la Flandre, elle lui échappa. Marie, fille de Charles le Téméraire, l'apporta à la même date à la maison d'Autriche. A la mort de Louis XI, il ne restait donc aucune ancienne pairie. Cette première génération de pairs, contemporaine de la monarchie, était éteinte ou passée à l'étranger. A mesure que l'un de ces seigneurs disparaissait, le Roi le remplaçait. En créant une pairie nouvelle, il expliquait que le nombre de douze n'était plus au complet ; s'il dépassait ce nombre, il s'en excusait et en donnait les motifs. Telles furent en 1297 les érections en pairies de l'Anjou, de l'Artois et de la Bretagne[80]. Ce fut un grand fait politique que la première érection de pairie par la seule puissance du Roi. Ceux qui devaient au prince leur dignité ne pouvaient se comparer à ceux qui la possédaient avant la dynastie elle-même. Mais, sauf l'infériorité où les plaçait l'investiture royale, ces nouveaux pairs, seigneurs de grandes provinces, valaient à peu près les anciens. Ils avaient le pas sur les princes du sang, et le Roi ne pouvait faire plus pour ses enfants et pour ses proches que de les mettre au rang des pairs de France[81].

Deux fois par an, le Roi tenait avec les pairs, les évêques et quelques seigneurs de marque, une assemblée nommée Parlement, dans laquelle se traitaient les grandes affaires de l'État et se jugeaient les procès d'importance. La composition de cette assemblée changea insensiblement. Le Roi cessa peu à peu de juger lui-même, et se fit remplacer par un de ses proches ; les pairs, les grands seigneurs et les évêques suivirent son exemple, et devinrent moins assidus aux réunions ; mais, comme le nombre des procès allait sans cesse augmentant, des hommes de robe, pour qui la connaissance et l'interprétation de la loi étaient un métier, prirent leur place, et au lieu de deux fois, se réunirent quatre fois par an[82]. Le Parlement avait continué à suivre le Roi. On se plaignait des déplacements perpétuels de ce tribunal. Philippe le Bel le rendit sédentaire à Paris (1308). Dès lors, les barons et les évêques n'y formèrent plus qu'une infime minorité, et finirent par disparaître tout à fait[83]. Un parlement de barons était nécessairement présidé par le Roi ou par un pair. Pour présider un parlement de légistes, un homme de robe suffit. Au comte de Bourgogne, prince du sang français, succédèrent un Jean de Poupaincourt qui n'était pas même chevalier, un Robert Mauger et un Philippe de Morvilliers, que l'on qualifiait non de messires, mais de maîtres, et dont les femmes n'auraient osé s'appeler madame[84].

Il est incontestable que le Parlement subit à cette époque une éclipse temporaire, en tant que corps politique[85]. Dans un temps où la noblesse était encore toute-puissante, une assemblée de roturiers ne pouvait prendre part au gouvernement. Cependant cette cour fut dès lors la représentation permanente de l'esprit d'unité et de l'esprit de liberté française[86]. Le Roi ne cessa de lui confier les procès faits par lui aux grands vassaux, procès qui n'avaient d'autre objet que de s'emparer de leurs fiefs sous des prétextes plus ou moins plausibles. II lui demandait en ces circonstances l'appui de son autorité. Cette autorité se tourna même une fois contre le Roi. En 1420, le Parlement, par arrêt solennel, déclara Charles VII déchu du royaume de France[87], faisant en plus grand ce que les Rois lui avaient demandé de faire maintes fois contre tel ou tel pair du royaume. II exerçait donc un très-grand pouvoir. Comme tous ceux qui exercent longtemps le pouvoir de fait arrivent tôt ou tard à l'exercer aussi de droit, le Parlement de robe hérita naturellement des attributions politiques du Parlement d'épée. Il le remplaça dans son rôle législatif, comme il l'avait remplacé dans son rôle judiciaire. D'autre part, les anciens pairs n'étaient plus, et les nouveaux créés, de moins en moins considérables chaque jour[88], durent s'adresser à ces conseillers roturiers pour obtenir la validation de leur titre. Les lettres patentes qui le leur conféraient n'avaient de valeur qu'autant qu'elles avaient été enregistrées au greffe de la Cour. Il leur fallait solliciter cet enregistrement par une démarche personnelle près de chacun des présidents. Le fier cardinal de Richelieu, dans tout l'éclat de sa puissance (1631), le sollicita par écrit, mais il s'en excusa ainsi auprès de Bellièvre[89] : Je sais bien, dit-il, que mon devoir m'obligeait de vous faire cette prière de vive voix. Ces formalités étaient imposées même au fils aîné d'un duc, qui lui succédait dans sa dignité. Il présentait requête à la Cour pour être admis à y prêter serment : une information était ordonnée, et c'était en vertu d'un arrêt de la grand'chambre que le nouveau pair était reçu en cette qualité[90].

La royauté, qui avait encouragé le Parlement tant qu'elle avait vu en lui un auxiliaire, le combattit dès qu'il devint un rival. Il ne devait pas, dit le Roi, entreprendre de lui commander, puisqu'il n'était établi que pour le faire obéir... L'autorité qu'il avait communiquée à son parlement n'était pas pour l'élever au-dessus de lui, mais pour se servir des officiers qui le composaient[91]. Les Rois nos prédécesseurs, disait encore Louis XIII, ont institué les parlements à cette seule fin[92]. Le Roi avait beau dire que le Parlement tenait de lui son autorité, ce corps se souvenait toujours qu'il avait, sans création nouvelle, sans changement de titre, pris la place des assemblées de pairs, et que son droit était par conséquent le même. Or Hugues Capet, après son élévation, n'avait-il pas dit à cette assemblée féodale qu'il voulait gouverner uniquement de l'avis des seigneurs et des barons ? On objectera que si le Parlement avait gardé son nom, ses membres avaient changé. Mais toutes les institutions n'avaient-elles pas changé en France, tout en conservant leur nom ! Le Roi et les pairs, dont le titre n'avait pas varié, étaient-ils les mêmes sous Louis XIII que sous Philippe-Auguste ? Que pouvaient avoir de commun le cadet Luynes, et autres gentilshommes de même acabit, avec un pair issu du sang royal, comme le duc de Bourgogne, ou d'une autre race qui ne lui cédait en rien, comme le duc de Normandie ?

Il est impossible, en étudiant l'histoire du Parlement, de fixer d'une manière précise le moment où il cessa d'être composé de barons, et où il commença à être composé de légistes. La transformation se fit graduellement. Avant de devenir sédentaire à Paris, il contenait déjà des hommes de robe, et continua encore longtemps après de compter des hommes d'épée. Ce mot même de Parlement, dont les Anglais n'ont pas cessé de se servir depuis le commencement du moyen âge, et qui signifie de nos jours l'ensemble des assemblées législatives, ce mot ne prouve-t-il pas que chez eux comme chez nous l'ancienne high court of Parliament a été le corps indiqué pour servir de contrepoids au pouvoir royal[93] ?

Partis du même point, les Parlements de France et d'Angleterre se trouvaient, en 1789, dans une situation bien différente ; mais sous Louis XIII, il y avait entre eux de frappantes analogies. En Angleterre, les barons ne cessèrent d'y prendre place (ils y siègent encore), mais ils s'adjoignirent les représentants du tiers état. En France, au contraire, le tiers état le remplit seul à l'exclusion de la noblesse. Cela tient à la différence de l'histoire politique des deux pays. En France, le Roi, uni au tiers, marche contre la noblesse ; en Angleterre, le tiers, ligué avec les barons, marche contre le Roi. En Angleterre, tout a demeuré en se modifiant : le Roi, le tiers et la noblesse. En France, tout a fini par succomber : la noblesse d'abord, puis le tiers état, enfin le Roi. Les partisans d'une vaste démocratie peuvent s'en réjouir ; mais les amis d'une aristocratie bien comprise ne peuvent qu'admirer le système de nos voisins[94].

En Angleterre, il y avait au début un très-grand nombre de vassaux immédiats du Roi, par conséquent un très-grand nombre de pairs. (On en comptait 250 en 1265, sous Henri III.) En France, il y en avait peu. On voyait des pairs de Champagne, de Vermandois, de Boulenois, et de chaque province ; mais ils n'étaient pas pairs de France, et ne siégeaient pas au Parlement[95]. Ce nom de Parlement signifiait si bien dans l'ancienne France une assemblée d'État, qu'on désignait ainsi dans certaines contrées la réunion des membres d'une commune délibérant souverainement sur les affaires d'intérêt local[96].

Tout en contestant en principe l'autorité politique du Parlement, quand il leur opposait une trop grande résistance, les prédécesseurs de Louis XIII avaient respecté son pouvoir. Ils supportaient péniblement son contrôle, ils ne songeaient point à l'abolir. Ils pouvaient compter dans les moments critiques sur une fidélité qui avait fait ses preuves. Soit par affection, soit par crainte, ils préféraient négocier et transiger avec lui[97]. Henri IV, tout en repoussant sa tutelle, n'eut pas d'autre conduite avec cette assemblée. On connaît la verve entrainante, la rondeur, la familiarité diplomatique dont il usait avec elle[98]. S'il désespérait de la vaincre, il cédait volontiers. Les seules défaites qu'il essuya lui furent infligées par des magistrats pacifiques ; il s'en consola, et elles font sa gloire. Ce que Henri IV faisait par politique, on le fit au commencement du règne suivant par nécessité. Le gouvernement cherchait à gagner du temps, il s'armait de patience, il n'entamait jamais une lutte ouverte[99]. Richelieu, à son arrivée aux affaires, persévéra quelque temps dans ce système. J'espère, disait-il en 1626, qu'on viendra à bout que le Parlement vérifié les Édits de soi-même, ou en la présence du Roi avec éloge, ce qui ne sera pas peu, ces grandes et souveraines compagnies étant les premiers motifs des contentement ou mécontentement des peuples[100].

L'année précédente, à propos de la guerre de la Valteline, le Cardinal conseillait au Roi de prendre l'avis des principaux de son royaume... les grandes compagnies, disait-il, connaissant les justes raisons de Votre Majesté, se porteront plus volontiers à vous servir[101]. La Reine Anne, en 1643, tenait solennellement à la cour le langage suivant : En toutes sortes d'occasions, je serai bien aise de me servir de vos conseils, que je vous prie de me donner, au Roi monsieur mon fils et à moi, tels que vous jugerez en vos consciences pour le bien de l'État.

Nous ne pouvons résister au plaisir de faire connaître les sentiments que Richelieu eut à cet égard, tant qu'il fut dans l'opposition. Il parle ainsi de la cour souveraine sous le ministère de Luynes : Le Roi, dit-il, se porte en personne au Parlement, pour lever les difficultés que ce grand sénat voulait apporter aux Édits. Le Parlement, quoiqu'il doive une entière obéissance aux volontés du Roi, néanmoins la devant raisonnable, et reconnaissant le tort qu'il faisait à son autorité, conçoit une juste douleur de ce procédé, en parle librement à Sa Majesté, supplie Dieu de lui inspirer la connaissance de la perversité de ses conseils... au lieu de profiter de ces avis, on porte le Roi à en improuver et bafouer les auteurs. Le premier président et les gens du Roi sont reçus au Louvre avec aigreur[102]...

Richelieu qui parlait ainsi en 1620, avant son arrivée au pouvoir, faisait dire en 1636 au Parlement par l'organe du Chancelier : Vous n'avez autre autorité que celle que le Roi vous a donnée, ni de puissance que celle qu'il vous a communiquée, et il semble que vous vouliez trouver à redire au gouvernement de son État[103].

Quand le Cardinal est encore parmi les mécontents, il déclare : que l'espérance commença à renaître aux gens de bien, quand on considéra le mécontentement du Parlement de Paris, qui avait parlé avec courage[104]. Étant au ministère, il écrivait à Chavigny (1638)[105] : Quant au Parlement, il ne faut que fermeté, et ne point faire de négociations avec eux[106]. Un an avant d'entrer au Conseil (1623), il disait encore : Les affaires étaient dans un si honteux abaissement que le Parlement crut être obligé par le devoir de sa charge d'en dire son sentiment au Roi... Lorsque les gens de Parlement se sont mêlés, non de combattre les volontés des Rois, mais de faire voir comme on abusait de leur nom, non-seulement ils n'ont jamais été repris de l'avoir fait, mais plutôt blâmés de ne l'avoir pas assez souvent entrepris... Les Compagnies souveraines et réglées, ajoutait-il, ne sont pas satisfaites de ce que les affaires vont dans un aussi grand désordre que jamais[107]. Quand la compagnie souveraine et réglée ne fut pas satisfaite sous Richelieu, et qu'elle osa le dire, on sait comment elle fut traitée. Pour une déclaration qu'ils refusent de vérifier, en 1637, le Roi menace les officiers de sa colère, il veut leur faire leur procès, déclarant qu'ils ont outrepassé leur pouvoir, qu'ils n'ont droit d'administrer la justice qu'entre le tiers et le quart, non de se mêler des affaires d'État[108].

La Reine mère, en 1619, se plaignait hautement au Parlement des actes de Luynes ; elle faisait un traité avec le Roi, et voulait que ce corps en fût garant et dépositaire, qu'il eût charge de faire ce qu'il estimerait raisonnable au cas qu'on contrevint aux paroles données[109]. Et Richelieu, qui conseillait ces actes, les jugeait naturellement fort légitimes. Mais douze ans plus tard, quand la Reine mère, ou le duc d'Orléans, devenus ennemis de Richelieu, faisant contre lui ce qu'il avait fait faire contre Luynes, prirent le Parlement pour arbitre, le tout-puissant ministre supprima leur requête, avec défense de la présentera aucune cour, auxquelles par les lois du royaume il n'était permis, dit-il, de prendre connaissance de ce qui concernait l'administration et honneur des ministres de Sa Majesté[110].

Quand le Parlement est contraire au Cardinal, c'est une assemblée de factieux ; quand il est dans ses intérêts, c'est un grand Sénat, il ne faut pas violer son autorité, qui en beaucoup d'occasions importantes est nécessaire à la manutention de l'État[111].

Il n'était pas lé premier à agir ainsi. Quand cette immense autorité royale était menacée, quand ce colosse tremblait et cherchait autour de lui qui pourrait l'aider ou le défendre, c'était au Parlement qu'il s'adressait toujours. Le danger passé, le calme revenu, l'arrêt rendu, le Roi éprouvait d'abord quelque gêne vis-à-vis de ces gens de robe, à qui il avait dû demander un arrêt qui était aussi un service, puis il recommençait à les traiter de haut comme auparavant.

François Ier se servit ainsi du Parlement en plus d'une circonstance, notamment après la pais de Cambrai, et ses successeurs l'imitèrent. Il proclama bien haut qu'un traité avec une puissance étrangère, même consenti et signé par le Roi, n'était valable qu'autant qu'il avait été enregistré au Parlement. Les Rois voulaient l'élever ou l'abaisser à leur gré ; tantôt le plaçaient au-dessus d'eux-mêmes, disant qu'ils ne pouvaient rien sur lui, tantôt prétendaient qu'il était le très-humble serviteur du pouvoir -royal. Les monarchies absolues sentent à certaines heures le vide qui les entoure, et voudraient créer pour un instant des barrières qu'elles renverseraient ensuite.

On en voit des exemples curieux dans les pays voisins. Ainsi la cour d'Espagne prétendit, au dix-septième siècle, que l'aliénation des Flandres faite par Philippe II en faveur de l'infante Isabelle était nulle, parce qu'elle avait été faite sans le consentement des Flamands. Ce droit des peuples à ratifier les cessions de territoire, qui n'était même pas admis en 1815, et qui depuis a été souvent violé, fut mis par la monarchie la plus despotique au service de ses intérêts, il y a deux siècles[112]. Richelieu, qui ne se serait pas fait faute d'invoquer la garantie du Parlement, en fait de traités publics, s'il l'avait trouvée avantageuse à ses vues, déclare brutalement, parce que son contrôle lui semble gênant[113], qu'il n'a autre chose à faire qu'à enregistrer ce qu'on lui envoie.

Il était pour l'autorité parlementaire un domaine plus vaste encore, plus directement politique : le règlement du pouvoir souverain à la mort des Rois. Le Parlement avait réformé les volontés dernières de Henri IV, et déclaré la Reine Marie régente en 1610[114]. Même après Richelieu, même après Louis XIV, sans que personne le trouvât mauvais, il ordonna de la régence avec un droit souverain, et cassa le testament des Rois comme il aurait cassé le testament d'un citoyen, qui n'eût pas été fait selon les lois. Si le Parlement, comme on l'a dit, tenait son pouvoir du Roi, il devait être dissous par la mort de son auteur. Une assemblée dissoute et incapable d'exister eût donc fait le plus grand acte de puissance royale ; dans ce cas, la régence qu'elle accordait eût été illégale[115] ; telle n'était pas l'opinion des contemporains, meilleurs juges que nous. En 1643, on représente à la Reine que sa régence n'aurait pas l'éclat ni l'autorité nécessaires, si le Parlement ne la lui confirmait sans restriction[116]. Elle-même fait dire à Talon qu'elle espère que le Parlement ne ferait pas difficulté de lui conserver son autorité tout entière[117].

Le Parlement était si bien l'institution fondamentale et permanente, que le présider en séance solennelle, en lit de justice, était pour un prince la première marque de la royauté, la prise de possession du trône. Louis XIII meurt le 14 mai, et le 18 du même mois, Louis XIV est porté par le grand chambellan à son lit de justice.

Ce contrôle politique du Parlement une fois admis en principe, comment s'exerçait-il ? jusqu'où allait-il ? C'est là un point très-délicat. Les historiens l'ont examiné trop exclusivement sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, et comme il parait alors fort restreint, ils en concluent qu'il n'existait pas, ou qu'il se bornait à peu de chose. Quand il avait refusé, dit Augustin Thierry, l'enregistrement d'un édit, et conservé une attitude libre et fière malgré l'exil ou l'emprisonnement de ses membres, son rôle était fini, à moins qu'il ne fit alliance avec les princes du sang ou les factieux de la cour[118]. Est-ce à dire que cette situation fût régulière ? Assurément non. Les rois, en le contraignant, ne violaient-ils pas le pacte traditionnel ? En l'exilant, punissaient-ils un coupable, ou commettaient-ils un abus ? De quel côté était le droit ? Là est toute la question. On a vu de nos jours plus d'une assemblée délibérante dispersée violemment pas le peuple qui l'avait élue, ou par le prince qui devait la faire respecter. Ces actes arbitraires ne prouvent rien ; les violences de Richelieu envers le Parlement ne prouvent pas davantage. On a vu sur cette question[119] l'opinion du pays librement exprimée ; celle des hommes d'État et des publicistes ; celle de Richelieu lui-même, alors que, spectateur désintéressé, il la formule sans passion. On a vu que le Parlement ratifie les traités ; qu'il décerne la Régence. Voici comme ses membres comprenaient eux-mêmes leur rôle : Ils ne voulaient, dit Richelieu, tenir pour ordonnance ou volonté du Roi que ce qu'ils auraient approuvé, et combattaient à l'extrémité pour cela... Ils n'admettaient nulle contrainte, ni restriction de leur autorité, laquelle ils disaient être celle du Roi, mais ne voulaient pas que Sa Majesté en eût une plus grande qui la bornât[120]. Ils voulaient, dit Fontenay-Mareuil, pouvoir réformer le gouvernement toutes les fois qu'il s'y faisait quelque chose qui leur déplaisait ; faisant pour cela des assemblées, y prenant des résolutions contraires aux volontés du Roi[121]. Aucun texte, il est vrai, n'avait attribué ce droit au Parlement. Mais d'un côté il prenait sa source dans l'usage, de l'autre il était d'accord avec le sentiment national. C'en était assez pour qu'il fût légitime.

Or ce droit était immense. Il permettait à ceux qui en jouissaient d'opposer un veto absolu aux lois édictées par le souverain. Richelieu, qui le jugeait insupportable, n'osa pourtant le détruire d'un seul coup. De ce veto absolu, il fit un veto relatif et temporaire : le droit de remontrances[122]. Je prendrai toujours en bonne part, dit Louis XIII, les remontrances que (Messieurs du Parlement) auront à me faire ; mais d'eux à moi, je ne puis approuver d'autres voyes[123]. Il était réservé à son successeur de supprimer ce dernier vestige d'indépendance[124]. Toutefois, à la mort de Richelieu, les politiques étrangers en faisaient eux-mêmes la remarque, le droit ancien du Parlement était détruit[125]. Le ministre avait réalisé ce mot mis par lui dans la bombe de son maître. Aucune autorité, en quelque manière qu'elle soit, ne peut avoir force ni substance qu'en la mienne. Le Cardinal, qui dans les premières années de son ministère envoyait au Parlement les Édits, pour les passer s'il les estimait utiles, ou les supprimer s'il le trouvait meilleur[126], ne lui laissa pas longtemps cette alternative. Ce fut par l'interdiction des charges, par l'exil, par la prison, qu'il le fit obéir[127]. Chaque année se renouvellent ces mesures tyranniques. Heureux encore les conseillers récalcitrants, quand on se contente de leur faire vendre leurs offices, ou de les soumettre à quelques-unes de ces humiliations bizarres, auxquelles Louis XIII trouve un étrange plaisir[128] !

Cependant la loi, quand son autorité personnelle est impuissante, continue à demander secours au Parlement. C'est à lui qu'il s'adresse pour faire casser le mariage du duc d'Orléans avec la princesse Marguerite[129]. C'est par lui qu'il fait confisquer le duché de Bar sur le duc de Lorraine. Il se fait engager par arrêt de la cour à user de la voie des armes contre ce vassal rebelle. Mais quand, deux ans après, la compagnie veut surveiller le bon emploi des deniers publics spécialement affectés à la guerre, il le lui interdit sévèrement[130].

Corps législatif et judicaire, le Parlement n'a aucune analogie ni avec les assemblées qui font aujourd'hui les lois, ni avec les tribunaux qui les appliquent[131]. Il se composait d'environ cent cinquante membres, répartis entre la grand'chambre, les cinq chambres des enquêtes et les deux des requêtes. Chaque chambre avait à sa tête un président. La grand'chambre en avait six : les présidents à mortier ; deux avocats généraux et un procureur général complétaient le personnel de la Cour. Ceux-ci, bien qu'on les nommât gens du Roi, n'étaient nullement à la dévotion du pouvoir[132]. Inamovibles et propriétaires comme les conseillers, ils ont donné au seizième siècle et dans la première partie du dix-septième, depuis du Faur de Pibrac jusqu'à Bignon et Talon[133], des modèles de vertu civique. Dans la hiérarchie parlementaire, un conseiller à la grand'chambre était très-supérieur à un conseiller aux enquêtes ; un président aux enquêtes s'estimait heureux de devenir avocat général[134] ; un avocat ou un procureur général, de devenir président à mortier. Au-dessus de tous était le premier président nommé à vie par le Roi, seul officier qui exerçât par commission, c'est-à-dire qui parvint à sa charge sans bourse délier comme un fonctionnaire de nos jours[135]. Cette absurde invention de la vénalité des charges, qui de nos jours a trouvé des panégyristes, mais qui à cette époque, introduite depuis un demi-siècle, était vivement critiquée, ne put réussir à désorganiser une institution aussi puissante que le Parlement. Il fallait de la fortune pour parvenir à un office, mais la fortune ne suffisait pas. Tous ne pouvaient indistinctement acheter une charge, surtout une charge d'importance. Il y avait un avancement véritable réglé, non par les ordonnances, car elles furent souvent violées, mais par l'usage. Ce n'étaient pas les provisions de l'office délivrées moyennant finances qui faisaient le conseiller, c'était sa réception par la compagnie. Le conseiller pourvu, mais non reçu, ne pouvait contraindre ses futurs confrères à l'admettre ; le Roi même y eût été impuissant[136]. Muni de ses titres de propriété, le suppliant (on le nommait ainsi) s'adressait au procureur général, qui ordonnait une information sur sa vie et ses mœurs. Cette formalité remplie, il était admis à être interrogé et examiné. L'examen pour les simples conseillers n'était pas très-redoutable. On leur indiquait d'avance un texte sur lequel ils devaient répondre. S'ils étaient reconnus suffisants et capables, on les invitait à prêter serment[137]. De conseiller pour devenir président, il ne suffisait pas de vendre la première charge et d'acheter la seconde, il fallait en principe dix ans de service comme conseiller et trente ans d'âge[138] ; il n'était pas rare de voir des candidats dispensés de ces conditions, mais cette dispense était toujours motivée par la valeur personnelle du candidat ou par l'éclat des services de sa famille. Nous n'en donnerons d'autre preuve que l'occupation constante des grands offices parlementaires par des hommes dont la mémoire est à bon droit honorée dans notre pays.

Le représentant de l'autorité royale au Parlement était le premier président, placé à peu près dans la situation d'un président de Corps législatif nommé par le gouvernement. Les chambres des requêtes demeuraient inféodées au pouvoir ; la grand'chambre était le centre conservateur, les enquêtes, le parti avancé et progressiste. Ce sont elles qui proposent presque toujours les mesures libérales, elles constituent l'opposition[139]. Les enquêtes, dit Talon, sont composées parties de personnes dans le moyen âge et parties de jeunes gens qui sont conduits par leur président[140]... Tout le mal dans votre compagnie, dit le Roi à la cour, vient de quelques-uns des enquêtes. Ces chambres qui refusaient absolument de reconnaître l'autorité du Conseil réclamaient pour le Parlement le droit de se réunir quand il lui plaisait en assemblée plénière, parce que les voix s'y comptant par tête, elles étaient toujours assurées de la majorité[141].

La Cour ne voyait personne en France au-dessus d'elle que le Roi. Le premier président ne cédait pas sa place aux princes du sang, et dans les cérémonies, ces derniers, même s'ils représentaient la personne royale, passaient après le Parlement tout entier[142]. C'est dire que les conseillers se considéraient en corps comme supérieurs à l'ordre de la noblesse, sur laquelle ils avaient juridiction souveraine[143]. Dans leur pensée, le chancelier n'était que le premier d'entre eux ; c'est seulement à titre de chef suprême du Parlement qu'ils admettaient sa préséance. Ils réclamèrent énergiquement contre celle que le Roi fit donner aux ducs et pairs sur les présidents à mortier. D'ailleurs, les ducs, les grands officiers de la couronne, les maréchaux, qui ne prenaient séance qu'en de rares occasions, étaient alors leurs collègues, et composaient, avec les conseillers et les présidents, ce qu'on nommait jadis la cour des pairs[144].

Bien qu'il eût dans la monarchie cette situation prépondérante, c'était pourtant dans les classes roturières que le Parlement se recrutait. Ces magistrats, dont les noms aujourd'hui classiques étaient déjà célèbres au dix-huitième siècle, sortaient à peine au dix-septième des rangs de la bourgeoisie. On voit, il est vrai, parmi ses membres M. de Foix, plus tard archevêque de Toulouse et allié à plusieurs maisons souveraines de l'Europe, et le cardinal de Richelieu, qui voulut, plusieurs années avant d'être fait duc, y être reçu comme conseiller. Mais c'étaient là des conseillers d'honneur, à côté des conseillers actifs, comme Bizet, Boucher, Pidoux, Portail, Crespin et autres inconnus. Quelques-uns ont laissé des descendants notables : Amelot, Mandat, de Villoutreys, Perrochel, Catinat, de Bérulle ; d'autres, comme Lamoignon ou d'Aguesseau, se sont illustrés eux-mêmes, mais la plupart ne s'anoblirent, que par leurs charges[145]. Les premiers présidents et les présidents à mortier étaient d'une noblesse récente ou obscure. Les Molé, les Séguier, les de Mesme, les Pottier, les de Nesmond n'avaient pas beaucoup plus d'un siècle d'existence prouvée[146]. C'est au moment où leur rôle va devenir plus borné en politique, qu'ils prennent une place sociale plus considérable, par suite de la chute de l'ancienne noblesse.

 

III

ÉTATS GÉNÉRAUX. — Rôle et vœux des-états, en particulier des états de 1614. — Nomination des députés, leur nombre. — Vérifications des pouvoirs, séances, forme du vote. — Rapports des trois ordres entre eux et avec le gouvernement. — Rédaction et présentation des cahiers.

 

Les états généraux étaient la forme solennelle de consultation du pays par le Roi. Au moyen des états, le monarque se mettait en communication directe avec la nation. L'élection était leur base, ils tiraient d'elle toute leur force, et se trouvaient par ce principe supérieurs au Parlement[147]. Ces deux institutions se complétaient l'une l'autre. Par les cahiers, les états avaient l'initiative de la loi ; par l'enregistrement, le Parlement en avait la sanction. Les premiers pouvaient l'inspirer ; le second pouvait l'empêcher. Le Pouvoir législatif des états, pas plus que celui du Parlement, n'était déterminé par aucune règle précise ; c'est dans l'histoire qu'il faut l'étudier. On y voit que son droit en matière d'impôts était incontesté ; que les grandes ordonnances du seizième siècle ne sont que la traduction des vœux formulés dans ses cahiers[148]. Il y a dans le recueil des doléances et dans les discussions des états un tel trésor d'idées, tant de bon sens et tant d'éclat, tant d'éloquence et de suite, à travers les événements les plus différents, qu'on s'explique l'ardeur avec laquelle le sentiment public réclamait leur convocation dans les moments difficiles. Les ordonnances dressées par eux, dit le Bret, sont reçues et observées par les peuples avec beaucoup plus d'obéissance et de respect que celles qui sont publiées en d'autres temps[149]. On estimait que leurs avis étaient des lois aussi obligatoires pour le Roi qui devait les promulguer, que pour le peuple qui était tenu de s'y soumettre[150]. Ce n'est pas que les états fussent au-dessus du Roi ; si le prince souverain est sujet, aux états, dit Bodin, il n'est ni prince ni souverain. Il faudrait donc alors que les édits et ordonnances fussent publiés au nom des états[151]. La vieille théorie française voulait que le Roi gouvernât la nation, mais avec le concours de la nation elle-même. Les rapports de Roi à peuple étaient bien ceux de supérieur à inférieur, mais d'un supérieur qui ne peut se passer de son inférieur. On ne considérait pas la volonté nationale comme bornant le pouvoir royal, mais comme le complétant. Le Roi ne semblait jamais plus vraiment Roi que lorsqu'il était soutenu du pays, tellement l'idée du despotisme était inconnue à nos aïeux. Tant s'en faut, disait-on, que l'assemblée des états affaiblisse ou diminue la puissance des Rois, au contraire elle l'autorise, elle la fortifie et la relève au plus haut point de sa splendeur et de sa gloire[152].

Les droits politiques des états furent toujours mal définis ; jamais, malheureusement, ils ne prirent une part régulière au gouvernement. Plusieurs fois, notamment en 1614, ils demandèrent de se réunir tous les dix ans ; on ne leur fit pas de réponse. Au lieu de dix ans, à partir de 1614, il y en eut cent soixante-quinze jusqu'à la session suivante. Il est vrai que la monarchie ne gagna rien à l'avoir retardée.

Quand ils se réunissaient, les états avaient souvent un double objet : le Roi leur présentait ses demandes, ils présentaient leurs cahiers au Roi. Les affaires royales avaient la priorité ; contribution à voter, jugement à- rendre, la besogne était facile[153]. Celle qui consistait à faire aboutir les vœux du pays l'était moins. Les députés échouèrent plus d'une fois dans leur mission. Le cahier remis, l'assemblée dissoute, ils retournaient dans leur province, et n'avaient Plus d'action sur la cour. Il en fut ainsi à la dernière assemblée. C'est que la France, au temps de Richelieu, manque totalement d'esprit politique, le souffle de la liberté ne l'anime plus, la race des grands citoyens est près de s'éteindre. Dans les guerres de religion, dans la Ligue, on voit la conviction ; dans la Fronde, on voit l'intrigue. En 1614, les trois ordres sont uniquement préoccupés de leurs intérêts particuliers, chacun d'eux défend ses prérogatives et ses avantages, et se contente de sacrifier sur l'autel du bien public les prérogatives et les avantages des deux autres. L'intérêt général est perdu de vue. Le clergé ne voit que l'indépendance de l'Église ; la noblesse, que les pensions et l'exemption des impôts ; le tiers, que l'hérédité des charges. L'opinion publique se désintéresse en même temps des états. Bassompierre en parle comme d'un fait divers. L'an 1615, dit-il, commença par la contestation de l'article du tiers état, qui fit un peu de rumeur dans les états ; enfin on le plâtra. L'affaire Saint-Germain suivit, puis le carême-prenant[154] auquel Monsieur le Prince fit un beau ballet, et le lendemain fut la conclusion des états[155]. Le duc de Rohan, ce grave politique, le chef du parti protestant, dit simplement : Il faut maintenant venir aux états, qui commencent à la fin d'octobre 1614, où toutes choses se passèrent au désir de la Reine, qui les fit séparer avant que leur répondre[156]. Les autres mémoires contemporains n'en parlent pas. Nous connaîtrions à peine cette assemblée par ses cahiers, si l'un des membres du tiers, Florimond Rapine, ne s'était chargé d'en écrire l'histoire[157].

La convocation des états généraux se faisait en même temps, pour les trois ordres, par lettres patentes mandant aux provinces de procéder à l'élection des députés. Les officiers de chaque bailliage envoyaient signifier la volonté de Sa Majesté à l'évêque du diocèse pour le clergé, au gouverneur pour la noblesse ; eux-mêmes se chargeaient du tiers état[158]. L'usage réglait les formes de l'élection. On invita en 1614 à faire ainsi qu'il avait été pratiqué ès états de Blois en 1588. Chaque province agissait à son gré. L'évêque fixait un jour pour le clergé, le bailli un autre pour la noblesse, et un autre pour le tiers. Nous voyons en Lyonnais le clergé élire ses députés le 10 juillet, tandis que la bourgeoisie ne nomme les siens que le 221. Le suffrage était universel pour le clergé et la noblesse ; la voix d'un curé de campagne valait celle d'un évêque ou d'un riche abbé, la voix d'un simple gentilhomme valait celle d'un duc et pair. Les femmes mêmes étaient admises à voter quand elles possédaient un fief en propre[159].

Le suffrage à deux degrés était usité pour le tiers état ; les communautés rurales paraissent nommer, à la pluralité des voix, deux délégués qui concourent avec les habitants des villes à la nomination du député[160]. Nous croyons que les électeurs, qui devaient tous être âgés de vingt-cinq ans, étaient indistinctement éligibles[161].

Le nombre des députés, qui varie pour chaque ordre à chaque session, ne fut jamais déterminé par aucun acte législatif. En 1560, le Roi demande au moins un député de chaque ordre par bailliage[162] ; il s'en réfère, du reste, à ce qui est accoutumé. Les chiffres furent toujours laissés à l'arbitraire des collèges électoraux du bailliage, qui envoyèrent à l'assemblée à peu près autant de membres qu'il leur plaisait. En général, ils en nommaient deux, mais quelquefois ils se bornaient à un seul, ou allaient jusqu'à quatre et cinq. Le tiers était toujours le plus nombreux, mais nulle proportion n'étant observée entre les trois ordres, la noblesse et le clergé formaient à eux deux l'immense majorité en 1614, tandis que le tiers état, en 1560, avait compté seul plus de membres que les deux autres[163].

La question avait en soi peu d'importance, puisque les états votaient par ordre, et que dans chaque ordre ils votaient par bailliage ou par gouvernement[164]. Le député avait ainsi très-peu d'individualité ; enfermé dans son ordre et clans sa province, sa personnalité ne s'accusait qu'en de rares circonstances. Le vote par gouvernement est défectueux, dit La Lourcé, parce qu'ils sont moins étendus, et composés d'un bien moindre nombre de bailliages les uns que les autres[165]. Le vote par bailliage n'était pas préférable, il y avait de grands et de petits bailliages ; tel était sous Louis XIII de l'étendue d'un de nos départements actuels, tel autre n'avait pour ressort que la superficie d'un de nos cantons. Les uns et les autres avant même voix, avaient aussi mêmes droits. Il arrivait qu'une décision prise à la pluralité apparente des opinions de bailliages ou de gouvernements passait à l'avis des moins importants par le nombre des électeurs représentés, et par conséquent contre l'avis de la majorité réelle de la nation, d'où il résultait que l'assemblée, loin d'exprimer véritablement le vœu général, pouvait exprimer par cette majorité factice le vœu précisément opposé[166].

Certains députés n'avaient qu'une voix pour deux, comme ceux de Bordeaux ; d'autres, une voix pour trois ; certains autres ; comme ceux de Paris, avaient chacun deux voix l'une pour la ville, l'autre pour le bailliage[167]. Ayant deux voix, ils avaient aussi deux mandats, et se trouvaient par cela même dans une situation difficile. Les deux mandats dont le même député était chargé, et qu'il avait acceptés tous deux, étaient souvent contraires. Ainsi les députés de Lyon étaient aussi députés du plat pays de Lyonnais, et portaient deux cahiers qui se contredisaient fréquemment, et qu'ils avaient dû promettre de faire réussir tous deux.

La période électorale était fort longue, et les brigues ne manquaient pas. g Chaque parti, dit Rohan, s'employa à faire nommer des députés dans les provinces à sa dévotion[168]. La candidature officielle et la pression gouvernementale étaient aussi déjà connues : M. le Prince reprochait à la cour d'avoir mandé en la plupart des lieux ce qu'on voulait qu'on mit dans les cahiers[169]. Le duc de Nevers en son duché envoya dans toutes les paroisses des personnes qui briguaient les voix des curés[170].

En 1614, le clergé ne comptait dans ses rangs qu'une vingtaine d'archevêques ou évêques ; en revanche, les membres de la noblesse appartenaient aux plus illustres familles[171]. Quant au tiers état, sa composition était fort curieuse : sur cent quatre-vingt-douze députés[172], cent cinquante-six sont des officiers de justice ou de finance, par conséquent des fonctionnaires publics ; plusieurs autres sont avocats, deux ou trois sont qualifiés de bourgeois ; le nom d'une dizaine est suivi du titre de sieur de quelque localité ; il n'y a pas plus de quinze maires ou échevins, et de trois marchands. On voit que le peuple proprement dit, c'est-à-dire le menu peuple, n'était guère représenté. Nous voyons en 1576 plusieurs députés qualifiés de laboureurs, mais le fait ne se renouvelle pas dans les états suivants[173]. Ces officiers royaux avaient donc à contrôler le Roi, dont ils dépendaient. Les cahiers de leurs commettants leur prescrivaient d'accomplir certaines réformes ; le président Jeannin leur rappelait qu'ils devaient avant tout s'étudier à l'obéissance et fidélité envers le Roi. Remplir un de ces devoirs avec zèle, c'était forcément manquer à l'autre.

Parmi les cent quatre-vingt-douze membres de l'État populaire, il n'y en a que soixante-seize qui paraissent appartenir à la pure roture, que soixante-seize dénués de toute qualité nobiliaire, c'est-à-dire dont le nom soit seulement précédé de ce mot : maitre. Tous les autres sont messires ou nobles hommes ; leur nom est suivi du titre d'écuyer, ou du nom du fief dont ils sont seigneurs[174]. Pour faire partie de l'ordre de la noblesse, il fallait nécessairement être gentilhomme ; mais pour être membre du tiers état, on n'était pas tenu d'être roturier. C'est d'ailleurs à tort que tiers état est considéré comme synonyme de peuple. Le tiers état était la haute roture ; la roture aisée ou instruite, les avocats, les médecins, les professeurs, les bourgeois, les marchands.

Lors des élections, le lieutenant général qui y présidait en dressait un procès-verbal qu'il remettait à l'élu, c'est ce qu'on nommait le pouvoir. Le député nommé faisait enregistrer cette pièce au greffe de la haute justice dont il dépendait, elle lui servait de titre régulier jusqu'à sa validation. Arrivé au lieu du rendez-vous, il n'avait encore aucune existence officielle, le gouvernement ne le connaissait pas. On ne convoquait pas individuellement les députés, on les informait en masse, par voie d'affiche, du jour de la réunion des états[175].

Rapine ne nous apprend rien sur la vérification des pouvoirs dans le clergé et la noblesse. Dans le tiers, ce ne fut qu'à la sixième séance qu'on parla de savoir qui était bien député, et qui ne l'était pas. Chaque gouvernement valida en son particulier l'élection de ses membres, et son vote fut définitif. Dans les contestations entre deux députés qui prétendaient être également élus, on décida plus d'une fois qu'ils resteraient tous deux en fonction, tantôt avec une voix pour chacun, tantôt avec une voix pour deux[176].

Les gouvernements correspondent, pour la division du travail, aux bureaux actuellement tirés au sort. On se réunissait, on délibérait par gouvernement, comme on délibère aujourd'hui par bureau. Chaque gouvernement élisait un président et un secrétaire-greffier[177]. Les députés se groupaient par province dans la salle des séances, ils ne pouvaient se placer selon leur convenance ou leurs idées. Ces hommes qui ne s'étaient jamais vus, et qui selon toute apparence ne devaient plus se revoir, dont les noms, les visages, l'esprit sont inconnus les uns aux autres, demeurent comme un docile troupeau, guidé par les plus anciens ou les plus considérables. Ils répondent à l'appel de leurs noms, comme des soldats ou des écoliers, et vont s'asseoir au banc qu'on leur désigne.

Les états de 161i se tenant à Paris, le lieutenant civil de la capitale croit pouvoir se mettre en évidence, et se regarder comme le futur président ; le prévôt des marchands arrive, et lui dispute la place. On nomme tout d'abord un greffier ou secrétaire du tiers état ; après le greffier, on choisit le président de l'ordre. Le prévôt l'emporte ; mais en lui donnant leurs voix, ses collègues tiennent à faire connaitre que cet honneur s'adresse à sa personne, et non à la ville de Paris, qui n'a sur les autres cités aucune prééminence[178]. On élit ensuite deux secrétaires adjoints[179]. Une fois élu, le président prête serment devant son ordre, debout et nu-tête ; les autres membres du bureau prêtent serment entre les mains du président. Les secrétaires rédigèrent les procès-verbaux de chaque séance, dont on décida de faire lecture au commencement de la séance suivante. Ces documents furent ensuite envoyés à l'Hôtel de ville[180]. Les séances, qui avaient lieu quatre fois par semaine, étaient secrètes, et le secret était même promis par serment. Les particuliers usent fréquemment du droit de pétition aux états. Le pétitionnaire, introduit dans la salle du tiers, dépose lui-même sa pétition[181] ; quelquefois on en fait la lecture immédiate, mais plus souvent on la met entre les mains de quelqu'un qui la verra. C'est le renvoi actuel à la commission.

Les états se tenaient à peu de frais. Le Roi faisait porter dans leur salle quelques tentures et quelques sièges, et les députés, en se séparant, donnaient chacun un écu à l'huissier de leur chambre[182]. Mais le voyage et le séjour à Paris les entraînaient à des dépenses que la plupart eussent été incapables de supporter. Ils recevaient, pour y faire face, une indemnité variant, selon les ordres et selon les individus, de 9 à 15 francs par jour[183].

En 1483, les ordres furent confondus, et il n'y eut qu'un orateur et qu'un cahier pour tous trois. L'usage contraire s'introduisit en 1560, et ce fut le tiers état qui le premier se refusa à la réunion, et voulut avoir un orateur et un cahier particulier. Chaque ordre traitait, ou du moins devait traiter séparément les questions qui le regardaient. En fait, ils empiétaient sans cesse les uns sut- les autres ; chacun avait surtout le désir de reformer ses deux confrères, mais le tiers se montra toujours le plus libéral, et, il faut le reconnaître, le plus juste. A de certains points de vue, tous les trois vivaient sur le pied de l'égalité. Ainsi, les députés du tiers étaient reçus par la noblesse et le clergé, à peu près avec les mêmes honneurs que les députés de la noblesse et du clergé  étaient reçus par le tiers. Les états se levaient en masse, et se découvraient à l'entrée de la députation d'un autre ordre, dans le lieu de leur séance. Dans un différend avec la noblesse, le tiers décide de lui dire des paroles douces, sans néanmoins ravaler la dignité de la compagnie[184].

Il n'en était pas de même vis-à-vis du Roi et du ministère. Le tiers avisa timidement de demander l'état des finances du Roi, afin de travailler pour le soulagement du peuple avec certitude[185]. Les directeurs des finances firent avertir l'assemblée de leur venue par un huissier. Ils furent reçus hors de la salle par une députation. Le président leur donna son fauteuil, et ils s'assirent au bureau, dont ils firent leur tribune. Dans la séance solennelle de clôture, l'orateur du tiers était le seul qui parlât au Roi à genoux. Cependant Savaron, qui porta un jour la parole, déclara hautement que le tiers état n'était pas venu dans le conseil en qualité de suppliant[186], et lorsqu'on voulut les amuser de vaines promesses, ses collègues menacèrent de mander aux provinces de n'attendre rien du bien qu'elles s'étaient promis[187].

Au moment de la convocation des trois ordres, il était fait commandement à tous, bourgeois, marchands, et tous autres, de quelque état et condition qu'ils fussent, d'apporter ou envoyer en toute liberté en l'Hôtel de ville de Paris les plaintes et remontrances que bon leur semblerait pour y être fait droit à la tenue des états[188]. Chaque village commençait, en même temps que la capitale, à dresser un recueil dé plaintes et de propositions de toutes sortes, qui prenait le nom de cahier ; les délégués des villages formaient ensuite au chef-lieu du bailliage un nouveau cahier de l'ensemble des doléances particulières. Le devoir étroit des députés était de consacrer leurs efforts au triomphe des idées contenues dans le cahier ; ils devaient le défendre en entier ; mandat rigoureusement impératif. La session ouverte, on procédait à la rédaction définitive du cahier de chaque ordre : Il fut arrêté, dit Rapine, que le cahier de Lyon, qui était le plus gros, et qui contenait plus d'articles, serait lu le premier, et que chacun de nous tiendrait son cahier en main pour voir et conférer les articles qui seraient conformes, et les croiser, ce qui fut fait[189]. Avant cette opéra-fion, qui se faisait en assemblée générale, il y avait une révision préliminaire dans le sein de chacun des douze gouvernements en particulier. On y faisait lecture des cahiers de chaque bailliage à tour de rôle. Si quelque proposition était rejetée par le gouvernement, elle ne pouvait être proposée de nouveau, en réunion plénière de l'ordre. Le gouvernement jouait ainsi par rapport aux bailliages qu'il contenait, le rôle actuel de la commission d'initiative parlementaire par rapport aux propositions d'un député. Seulement il prononçait définitivement le refus de prise en considération[190]. Dans la pensée de la cour, la présentation des cahiers mettait fin aux pouvoirs des députés ; d'où vient que le plus grand désir des ministres était toujours de hâter la remise des cahiers, et que le plus grand désir du député était au contraire de la retarder[191]. Les états demandèrent qu'on ne les séparât qu'après avoir répondu à leurs propositions ; qu'ils pussent seuls juger de leurs cahiers, ce qui revenait à faire seuls les réformes ; que tout au moins trois ou quatre des députés de chaque chambre fussent au conseil, lorsqu'il s'agirait de leurs affaires, ce qui établissait auprès de la personne du Roi une sorte de représentation nationale. On le leur refusa deux fois, et deux fois ils revinrent à la charge avec insistance. Le lendemain du jour où leurs cahiers furent déposés, on ferma malgré eux la porte de leur salle. Si, instruits par l'expérience de leurs devanciers, les états de 1789 firent le serment du Jeu de paume, c'est que les cahiers de 1614 attendaient encore à cette époque une réponse. Quelle comparaison pleine d'éloquents renseignements on pourrait faire entre les députés de 1789, d'une indépendance ombrageuse sinon hostile, dès le début, et les députés de 1614, humbles, honteux, brusquement dispersés, et demandant seulement à rentrer dans leurs provinces, puisqu'il leur est interdit de se réunir[192] !

IV

ASSEMBLÉES DES NOTABLES. — En 1617 sous Luynes, en 1616 sous Richelieu. — Elles ne signifient rien.

 

Nous ne parlons que pour mémoire des assemblées des notables. Dépourvues, en matière législative, d'initiative aussi bien que de sanction, elles n'étaient rien de plus qu'un comité consultatif auquel le gouvernement demandait des avis qu'il n'était pas obligé de suivre. Il y en eut deux sous Louis XIII : l'une pendant le ministère de Luynes en 1617, l'autre pendant celui de Richelieu en 1626[193]. Elles ne laissèrent aucune trace et ne donnèrent aucun résultat. Mais toutes les mesures étant prises pour qu'il en fût ainsi, on ne peut ni s'en étonner, ni en rejeter le blâme sur leurs membres. On y agita presque exclusivement des questions de finances, et comme on y appela bon nombre de prélats et de guerriers, on pouvait prévoir d'avance que leur conseil en cette matière ne serait pas très-précieux[194]. Ils s'abstinrent, du reste, d'en donner aucun. Richelieu, si clairvoyant dans ses critiques, apprécie en ces termes l'assemblée convoquée en 1617 par son prédécesseur : Il y fut fait beaucoup de belles propositions pour le bien de l'État ; mais comme ce n'était pas la fin pour laquelle se tenait l'assemblée, il n'en fut tiré aucun fruit, pour ce qu'on n'en avait pas le dessein ; joint que la façon de délibérer ne le souffrait pas, car on leur envoyait de la part du Roi en toutes les séances, lorsqu'ils s'assemblaient, les articles sur lesquels on voulait avoir leur avis ; de sorte qu'ils ne savaient pas le matin ce dont ils devaient délibérer l'après-dînée, ce qui n'était pas pour faire une sage et mare délibération[195]. Les mêmes observations s'appliquent à l'assemblée tenue en 1626, à l'instigation de Richelieu. Si les notables faisaient eux-mêmes des propositions an Roi, on s'écriait que ce serait renverser l'ordre de l'assemblée, qui était de répondre seulement aux propositions de Sa Majesté[196].

Richelieu blâme la composition de la réunion en 1617, où la plupart de ceux qui y étaient appelés furent personnes choisies par les ministres[197]. Mais lui-même, en 1626, au lieu de mander les gentilshommes et les prélats des provinces, comme l'avait fait Henri IV, à l'assemblée de Rouen, les prit parmi ceux qui résidaient à Paris, et qui dépendaient le plus directement du Roi[198]. Le Roi, messieurs, leur dit le cardinal (cherchant les moyens de donner ordre à ses finances), vous a assemblés pour les chercher, les trouver, les examiner et les résoudre avec vous[199]. Le programme était vaste, mais l'exécution n'y répondit pas. Les notables ne purent avoir communication, et encore avec peine, des états de l'épargne que pour les années 1608 et 1609[200]. Le premier président de Nicolay, et avec lui les officiers des chambres des comptes, repoussèrent les créations d'impôts nouveaux que l'on proposait : Ces moyens extraordinaires, dit-il au Roi, chargent tellement votre État, que si Votre Majesté n'y pourvoit, ou votre peuple secouera le joug (ce que Dieu ne veuille permettre), ou bien il fondra sous le faix de sa pauvreté[201]. Le premier ministre, qui ne s'attendait pas à un pareil langage, conseilla de licencier promptement les notables, et de trouver de l'argent sans eux. Il est vrai que ses opérations financières conduisaient à la banqueroute[202].

 

 

 



[1] Ancien Régime, Préface.

[2] On ne peut citer en ce genre que la Charte normande, fameuse, sinon par la fidélité de son exécution, du moins par l'attention singulière de toutes les ordonnances postérieures d'y déroger par clause expresse, tant on a redouté la force des ternies et des engagements qui y sont exprimés. (BOULAINVILLIERS, Ancien Gouvernement, t. II, p. 120.)

[3] Arrêt du conseil d'État du 5 juillet 1788. Il constate en même temps l'absence des lois écrites à cet égard.

[4] TALON, dans ses Mémoires (p. 18), parle des lois et usages ordinaires du royaume, assimilant ainsi les usages aux lois.

[5] République, p. 575. Le premier président du Parlement dit, cinquante ans plus tard, la même chose au Roi (TALON, Mémoires, p. 21) : qu'il était de grande conséquence de changer les lois d'un État, qui ont été longtemps observées et approuvées, et que, quoiqu'il y ait quelque utilité évidente aux lois nouvelles, néanmoins il était périlleux de faire de nouvelles introductions, en un État, lesquelles bien souvent aboutissaient à la subversion des monarchies.

[6] TALON, Mémoires, ibid. En 1633, à propos du délai de cinq ans accordé aux contumax.

[7] Richelieu écrit à ce propos à Savigny, en 1637 : On envoie à M. le Jeune un mémoire sur le mariage de Monsieur, qui ne commence pas dès la création de notre premier père Adam, mais qui satisfait ponctuellement à toutes les difficultés. (Lettres et papiers d'État, t. V, p. 1005.)

[8] MONTALEMBERT, Avertir politique de l'Angleterre, p. 359.

[9] Pièces justificatives pour servir à l'histoire des premiers présidents de la Chambre des comptes, par A. DE BOISLISLE. (31 janvier 1619.)

[10] Grande Monarchie de France, p. 15 (en 1541).

[11] TALON, Mémoires, p. 148. Montesquieu, dans l'Esprit des lois (édit. Didot, p. 193), distingue la monarchie où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies, du despotisme, où un seul, sans loi et sans règle, entraine tout par sa volonté et ses caprices. Si le monarque peut faire seul toutes les lois, ces lois ne sont que ses volontés ; par conséquent c'est un despote. Montesquieu, en parlant ainsi avait en vue l'ancienne monarchie traditionnelle, car sens Louis XV le monarque n'a plus de lois au-dessus de lui.

[12] C'est le sixième du titre LXII.

[13] Les bâtards mêmes succédaient, témoin un frère naturel de Charles le Simple.

[14] MONTESQUIEU, Esprit des lois, p. 333. — De même chez les Saxons, l'hérédité allait au fils au détriment de la fille ; mais s'il n'y avait que des filles, elles avaient toute l'hérédité.

[15] Le premier était petit-fils de Philippe III ; mais Édouard était par sa mère petit-fils de son successeur Philippe IV le Bel, et, étant plus proche d'un degré, devait avoir la préférence. Les Anglais disaient avec raison que ce que nous mettions en avant de la loi salique était une invention forgée du temps de Philippe le Bel.

[16] Ce fut assez tard que l'on s'avisa d'empêcher les filles de succéder aux apanages ; encore avait-on grand soin de stipuler chaque fois et très-expressément cette exclusion.

[17] Bodin dit pourtant (République, p. 995) qu'elle ne fut en vigueur que sous les successeurs de Hugues Capet. — Après la mort de Louis le Hutin, beaucoup des premiers princes de France soutinrent que la couronne appartenait à Jeanne, seule fille du dernier Roi. Vu le nombre de ceux qui étaient de cet avis, si la question avait été remise à l'arbitrage des pairs de France, elle aurait été évidemment décidée en sa faveur. (BOULAINVILLIERS, Ancien Gouvernement, t, II, p. 143.) Le plus curieux est que Philippe le Long, le premier qui invoqua l'exclusion des filles de la couronne, fit juger en 1318 qu'un apanage et une pairie peuvent passer aux filles l'exclusion des mâles. Il s'agissait de Mahaut d'Artois, sa belle-mère. On remarque que Louis le Gros datait ses ordonnances de son règne et dit règne de sa femme, ce qui prouve que la situation des Reines était bien plus grande alors qu'elle ne le fut dans la suite.

[18] Le Parlement regardait comme un titre de gloire d'avoir défendu la loi salique pendant l'emprisonnement des Rois Jean le Bon et François Ier, et durant les troubles de la Ligue.

[19] MONTRÉSOR, Mémoires, p. 200. — RICHELIEU (Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 702) dit que Puylaurens a inspiré à Monsieur un tel mépris de ces lois fondamentales, qu'il en parle comme si c'étaient des chansons.

[20] On a cru pendant longtemps que les Allemands étaient la seule nation qui eût un droit public, comme si partout où il y a des lois, il n'était pas possible d'en faire un corps de science. (DU BUAY, Origines ou ancien gouvernement de la France.)

[21] Montesquieu écrit en 1748 (Esprit des lois, p. 438) : J'ai pensé me tuer depuis trois mois, pour achever un livre, De l'origine et des révolutions de nos lois civiles. Il formera trois heures de lecture, mais je vous assure qu'il m'a coûté tant de travail, que mes cheveux en sont blanchis. C'est pourtant une des parties les plus faibles de l'ouvrage. Montesquieu a consciencieusement étudié les lois des Barbares, mais elles ne sont qu'un des moindres fondements des lois françaises.

[22] Grotius, en 1625, dans son livre De jure belli ac pacis (liv. I, chap. X, § 10), définit ainsi le droit naturel : Une règle que nous suggère la droite raison, qui nous fait connaitre qu'une action, suivant qu'elle est conforme à la nature, est bonne ou mauvaise, et que, par conséquent, Dieu, auteur de la nature, l'ordonne ou l'interdit.

[23] Voyez les remarquables travaux de M. FRANCK, Réformateurs et Publicistes. Ils contiennent l'étude la plus sérieuse et la plus complète des principes et des opinions en cette matière.

[24] République, p. 721. Il loue dans l'état populaire de réduire les constitutions civiles aux lois de nature. (p. 937.)

[25] SELDEN, dans son Mare clausum, en réponse au Mare liberum de GROTIUS.

[26] CARDIN LE BRET. Voyez plus haut.

[27] Dans son Traité de la puissance et autorité des Rois (p. 7), Claude GOUSTÉ écrit en 1561 : Par la Bible, il nous est enjoint de prendre et recevoir allègrement et sans contrainte toutes les ordonnances du Roi, fondées sur la loi... C'est de peur que les sujets nonchalants n'en tiennent compte, ou les curieux scrutateurs ne s'en enquièrent par trop, et ne tombent en confusion.

[28] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 54.

[29] TALON, Mémoires, p. 85.

[30] Pour prouver que les princes ne peuvent se marier sans le consentement du Roi, leur seigneur souverain (à propos de Gaston), Talon cite Plutarque en la Vie de Dion, où Philistus fut banni par le Roi Denys, pour avoir épousé la fille de Septime. Il cite Josèphe, qui raconte que le Roi Hérode disgracia Salomé, pour avoir traité de mariage à son insu, avec un nommé Silleas. Quand on discute la question de savoir si la duchesse d'Elbeuf peut être valablement privée de la libre disposition de ses biens, au profit de l'aîné de ses enfants, Talon cite d'abord un proverbe arabe qu'il développe, puis la Genèse, et la bénédiction de Jacob, et l'Épitre de saint Paul aux Ephésiens, puis Œcuménius et un texte grec, enfin le livre de Tobie, et conclut (Mémoires, p. 26 et 43.)

[31] De domanio Franciæ, par René CHOPPIN, en 1605.

[32] On voit les avocats, dans une affaire d'impôt, insister sur ce fait que les droits sur les marchandises ne sont pas une création de nos Rois, mais existent de droit romain, et en sont les formules décrites sous le titre De publicanis vectigalibus et commissis, etc. Arrêt de la Cour des aides du 27 février 1630.

[33] Déclaration du 24 juillet 1041 : Les coutumes n'ont établi des droits particuliers dans les provinces que par l'autorité des Rois, lesquels 'bar leur approbation leur ont donné le caractère de lois Montesquieu dit que sous la monarchie féodale on revint des luis écrites à des usages non écrits ; que par plusieurs monuments on voit qu'il y avait déjà dans la première et la deuxième race des coutumes locales. (Esprit des lois, p. 445.) Les usages particuliers de chaque seigneurie formaient le droit civil. (Ibid., p. 469.) Sons Louis XV, il y avait cinq cent quatre-vingt-treize coutumes.

[34] Le droit international est, du reste, à peu prés stationnaire depuis le moyen âge. La force continue et continuera à primer le droit en Europe, parce que les princes et les nations peuvent continuellement forcer ou être forcés. Selon le mot d'autrefois, la guerre sera longtemps le seul tribunal des peuples, et les victoires seront ses arrêts- Chacun sait que l'équilibre européen n'est qu'un mot ; il n'a peut-être pas existé pendant vingt ans, depuis trois siècles. Jusqu'à ce qu'il y ait un ou plusieurs juges auxquels les grandes puissances seront sennes de soumettre leurs différends, et dont elles accepteront les décisions sans murmurer, il y aura des conventions particulières plus on moins bien gardées, mais il n'y aura pas de droit international.

[35] Ainsi que l'entend Beaumanoir quand il parle de très-grand conseil. Montesquieu le dit également. (Esprit des lois, p. 460.) En remontant jusqu'à Charlemagne, nous verrions que les lois étaient faites par le peuple seul, et que les Capitulaires étaient faits par l'Empereur et les princes, d'accord avec le peuple. (Dict. de Trévoux.)

[36] Communi quidem episcoporum et procerum nostrum consilio et assensu, avec le conseil commun et l'assentiment des évêques et des grands, telle est la formule. Elle est quelquefois remplacée par celle-ci : Cum assensu dominum de quibus terre et feoda movent. Saint Louis dit encore : du grand conseil des nôtres et des sages, ou de communi consilio baronum nostrum.

[37] Actum Parisiis publice.

[38] Ou pro communi omnium utilitate. (Voyez Ordonnances des Rois de France, passim.)

[39] Ordonnance de Sens, 1209.

[40] Le Roi étant allé sans cesse en augmentant, et le baron en diminuant, la distance fut bientôt énorme entre eux, si bien que quelques siècles plus tard, il n'y avait plus de comparaison possible.

[41] Reguirentem prelatos, barones et subditos nostros quatenus eas faciant a subditis suis teneri finiter observari in terris suis. (23 mars 1302.)

[42] Ce n'est que sous Louis le Hutin que cette forme disparut (1315). Pourtant, nous voyons encore Philippe le Long s'appeler Roi des Français et de Navarre, ce qui indique combien son droit était différent sur ces deux royaumes.

[43] Louis le Gros, que ses contemporains nommaient Louis le Grand, employa aussi celle-ci : Ego, divisa in regmem Francorum clementia sublimatus ; et il disait de son fils : Filius meus in Regem designatus.

[44] BODIN, République, p. 425.

[45] Pensées. (Édit. Didot, p. 239.)

[46] Michel de Marillac (1563-1632) appartenait à une famille connue dans la robe. On voit en 1573 Guillaume Marillac conseiller an conseil privé, contrôleur général des finances. (Mss. fr. 1510, fol. 67.) Il fut successivement conseiller au Parlement, maître des requêtes et conseiller d'État. En 1624, il devint surintendant des finances avec Boschart de Champigny, fut garde des sceaux en 1626, pour sa réputation de probité et son ancienneté dans le Conseil, dit Richelieu. En 1630, ennemi du Cardinal, et compromis dans la cabale de la Reine mère, il fut enfermé dans une prison d'État, où il mourut. Brienne parle de son mérite et de sa probité. Talon dit des deux frères Marillac que c'étaient des personnages de grand esprit, et fort résolus. C'est à Marillac qu'on doit la traduction de l'Imitation de Jésus-Christ, réimprimée plus de cinquante fois. Son fils, Octavien de Marillac, capucin, fut nommé évêque de Saint-Malo, mais n'accepta pas la mitre.

[47] Il traite du droit de remontrance d parlements (art loi), de la juridiction des matières cléricales (art. 2 à 38), des mariages clandestins entre étrangers (39 et 40), de l'administration des hospices et de la police des mendiants (41 et 42), des Universités et règlements sur l'imprimerie (43 à 52), de l'administration de la justice (53 à 123), des substitutions, donations, successions, cessions, faillites (124 à 169), des armes prohibées, délits de chasse, associations illicites (170 à 343), des tailles, officiers comptables et rachat du domaine (344 à 429), de l'amirauté et de la marine (430 à 461).

[48] Les édits et ordonnances étaient datés seulement de l'année et du mois ; les déclarations contenaient de plus le jour. Les édits étaient scellés du grand sceau en cire verte, sur lacs de soie verte et rouge ; les déclarations, du grand sceau en cire jaune, sur une double queue de parchemin. (Doub'e queue se disait quand le sceau était pendant ; simp'e queue, quand il était attaché à un coin du parchemin, qu'on avait fendu exprès.) Les déclarations et arrêts rendus par le Roi comme Dauphin de Viennois étaient scellés de cire rouge. L'Empereur Auguste, dit BODIN (République, p. 217), appelait édits ce qui émanait de lui seul, et lois ce qui avait été fait par le corps entier de la République.

[49] Le nom de la Reine mère y fut ainsi inséré jusqu'en 1630, bien qu'elle ne prît depuis quelque temps aucune part aux affaires. La Reine régnante n'y ligure jamais. — Ils se terminaient ainsi : Si donnons en mandement à notre très-cher et féal X..., chancelier de France, que ces présentes il ait à faire lire et publier, le sceau tenant : car tel est notre plaisir.

[50] Richelieu dit dans ses Mémoires (t. I, p. 150), à propos du maréchal d'Ancre : Les sages, pour éviter l'envie, se contentent d'un pouvoir modéré, ou le cachent, s'il est extrême.

[51] On écrivait au bas de l'édit cette formule : Leu et publié le sceau tenant de l'ordonnance de Mgr..., chevalier, garde des sceaux de France, moy conseiller du Roy en ses conseils, et grand audiencier de France, présent, et registré, ès registres de l'audience de France, et la signature du secrétaire.

[52] En Bretagne, selon les privilèges de la province, aucun édit ne pouvait être vérifié an parlement de Bennes, que les états ne l'aient préalablement approuvé. La publication des édits se faisait par l'affichage, et par des colporteurs chargés de vendre les feuilles des actes publiés.

[53] Histoire de la civilisation, p. 363.

[54] RICHELIEU, Lettres et papiers d'Etat, t. II, p. 139. Instructions de notre ambassadeur, en 1625.

[55] BODIN, République, p. 343.

[56] Voyez Aug. THIERRY, Histoire du tiers état, p. 118.

[57] Les états généraux de 1614 firent la même réclamation : Que tous édits et lettres patentes pour l'exécution d'iceux soient vérifiés en cours souveraines, auxquelles la connaissance en appartient toutes chambres assemblées. Il faut remarquer que pendant les deux mois des vacations annuelles, aucun édit ne pouvait être vérifié, et que le Roi devait patiemment attendre la rentrée du Parlement.

[58] TALON, Mémoires, p. 157. Il disait encore : Les peuples sont amoureux des compagnies souveraines ; ils souffrent avec impatience l'établissement de toutes sortes de nouveautés qu'elles n'ont point vérifiées, lesquelles elles considèrent comme les erreurs des planètes, ou les excès de la matière qui ne produisent que des monstres ; et il ajoutait : Que Votre Majesté ne s'imagine pas que ce soit impuissance de modérer l'autorité de son pouvoir dans certaines bornes raisonnables... Ibid., p. 151.

[59] On remplaçait aussi par des arrêts du Conseil les édits qu'on craignait d'édicter. Bullion écrit en 1634 : On eût fait une déclaration, mais on eût perdu beaucoup de temps à la faire vérifier. (Lettres et papiers d'État de RICHELIEU, t. V, p. 580.)

[60] Le Parlement s'en irritait, et le chancelier Ségnier se bornait à lui dire qu'il fallait quelquefois fermer les yeux aux affaires extraordinaires, et dans les malheurs de la nécessité choisir les moindres maux. (TALON, Mémoires, p. 138.) Les partisans du pouvoir absolu déclaraient, du reste, qu'il n'appartenait qu'au Roy seul de faire des lois dans son royaume, de les changer, de les interpréter. (LE BRET.)

[61] Mémoires, t. I, p. 375 et 367. Il en est, ajoute-t-il, de la multitude des conseillers au respect d'un État, comme il est de celle des médecins au regard d'un malade, où le grand nombre est nuisible. Comme si une pareille comparaison était sensée !

[62] Du reste, à côté de la jussion officielle, le Roi adressait des lettres personnelles aux premiers présidents des cours, dans lesquelles il les priait, comme d'un service, d'user de leur influence sur leurs compagnies, pour obtenir l'enregistrement. Louis XIV supprimera toutes ces formalités. A la fin du règne de Louis XIII, les lettres de jussion étaient devenues dures et impératives : Nous vous commandons que sans vous arrêter à vos remontrances proposées, que nous tenons pour entendues, vous avez à procéder à l'enregistrement, sans y apporter aucune modification ni restriction... autrement vous nous obligeriez de nous faire obéir par des voies plus sûres que vous pouvez dès maintenant éviter en satisfaisant à notre volonté.

[63] Maintes fois il enregistre des créations de taxes nouvelles, à la charge que l'argent à en provenir sera employé pour l'entretenement des gens de guerre.

[64] On porta ainsi jusqu'à quarante-deux édits à la fois au Parlement, le 20 décembre 1635.

[65] Mémoires, p. 131.

[66] Les enregistrements se faisaient toutes chambres assemblées, à la majorité simple. En cas de partage, l'édit était repoussé. Par lettres du 8 mai 1640, le Roi ordonna que les présidents et conseillers de la grand'chambre, et le plus ancien président ou conseiller de chacune des chambres des enquêtes et requêtes, prendraient seuls part à l'examen des édits. (Archives nationales, Conseil secret du parlement, X1 a, 8387.) C'était réduire le nombre des votants de cent cinquante à trente environ.

[67] En refusant d'enregistrer, la Chambre des comptes employait la même formule que le Parlement, mais elle ajoutait : Et supplie très-humblement le Roi de l'en excuser.

[68] Pour mieux exciter les princes à aller, de la part du Roi, faire vérifier des édits fiscaux, on leur faisait un cadeau sur le produit qu'on en espérait tirer. (M. DE BOILISLE, Chambre des comptes de Paris, lettre d'avril 1621.) M. le Prince demanda un don de cent mille écus, pour faire vérifier un édit à la Chambre des comptes et cour des aides de Languedoc. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 27.) Il y alla ; mais voyant des difficultés à accomplir sa mission, il se contenta de recevoir vingt mille écus des états de Languedoc pour s'abstenir, et s'en retourna.

[69] Antoine Nicolaï, fils de Jean Nicolaï et de Marie de Billy, né 1590, mort en 1656 ; chevalier, marquis de Goussainville, seigneur de Presles et d'Yvor, conseiller au parlement de Bretagne, 1613 ; au parlement de Paris, 1615 ; premier président de la Chambre des comptes ; conseiller d'État, capitaine des chasses à la Verrière, Gamelles, etc., épousa Marie Amelot, fille de Jacques Amelot, seigneur de Gournay, belle-fille du garde des sceaux de Marillac. Il négligeait de se faire payer ses appointements. Tallemant ne peut s'empêcher de reconnaître (t. VI, p. 36) qu'il a passé pour homme de bien, et avec raison, car il ne se faisait point autrement de fête. Son frère fut guidon des gendarmes, puis premier écuyer de la grande écurie.

[70] A. DE BOISLISLE, Chambre des comptes de Paris, pièces justificatives. — Le 4 mai 1621.

[71] A. DE BOISLISLE, Chambre des comptes de Paris, pièces justificatives, 19 mars 1622.

[72] A. DE BOISLISLE, Chambre des comptes de Paris, pièces justificatives, 24 février 1620. Voyez passim, grand nombre de discours que leur étendue nous empêche de citer.

[73] BODIN, République, p. 132. Le prince est tenu aux lois du pays qu'il a juré de garder, parce qu'il y a ici convention avec ses sujets. Il est tenu à l'observation des conventions, en l'observation desquelles les sujets, en général ou en particulier, ont intérêt.

[74] Nonobstant, disait-on, toutes ordonnances à ce contraires, auxquelles et aux dérogatoires des dérogatoires y contenues, nous avons expressément dérogé et dérogeons. En supprimant la charge d'amiral, le Roi déclare qu'à l'avenir les brevets de cette charge, s'il en était expédié, seraient nuls et obtenus par surprise ; défend à qui que ce soit de lui en demander, sous peine d'encourir son indignation.

[75] A. THIERRY, Histoire du tiers état, p. 101.

[76] Richelieu disait : Il n'est pas besoin de beaucoup d'ordonnances, mais bien de réelles exécutions. (Lettres et papiers d'État, t. II, p. 303.)

[77] Archives nationales, KK, 624. Pour les pairies et les pairs, voyez le livre suivant, la Noblesse et sa décadence.

[78] Les présidents au mortier finirent, sous Louis XIV, par disputer la préséance aux pairs.

[79] Ducs de Normandie, de Bourgogne et de Guyenne ; comtes de Flandre, de Toulouse et de Champagne.

[80] Archives nationales, KK, 616.

[81] Archives nationales, KK, 624. Avec le temps, le titre prodigué sans mesure diminua, mais la dignité de pair ancien était encore supérieure à tontes les antres. Dans les cérémonies, au dix-septième siècle, on choisissait pour représenter les anciens pairs, les princes du sang et les princes étrangers (Lorraine ou Savoie). Le connétable de Montmorency, qui l'emportait comme connétable sur les pairs ordinaires, demanda comme une faveur de se trouver au sacre de Louis XIII, en qualité d'ancien pair du royaume, et non à cause de sa charge. (PONTCHARTRAIN, Mémoires, p. 305.)

[82] Pendant six semaines. Les membres du Parlement changeaient à chaque session.

[83] Tout porte à croire que les prélats de ce temps étaient députés par leurs confrères. (Ordonnance de Philippe le Long, 1320.)

[84] Le premier président ne fut chevalier que longtemps après. (Archives nationales, KK, 625, fol. 91 et 99.)

[85] Philippe le Bel, dit BODIN (République, p. 357), pour se défaire de la cour du Parlement, et lui ôter doucement la connaissance des affaires d'État, l'érigea en cour ordinaire, en lui attribuant juridiction et séance à Paris.

[86] On vit le Roi donner un comté à un seigneur, et le Parlement réunir ce fief au domaine de la couronne, malgré ce don plusieurs fois renouvelé.

[87] A cause du meurtre de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne. Il appela à lui succéder Henri V, Roi d'Angleterre, qui avait épousé une fille de Charles VI.

[88] Les ducs et pairs ayant refusé de faire la première visite au duc de Parme, lors de son voyage à Paris, Richelieu dit que c'était chose honteuse que des champignons voulussent disputer de profondeur de racines avec les vieux chênes ; faisant allusion à la faveur de Sa Majesté, qui seule avait élevé les ducs. (Mémoires, t. III, p. 36.)

[89] Nicolas de Bellièvre, conseiller au Parlement, 1602 ; procureur général, 1612 ; président au mortier, 1614 ; se démit en 1642, † 1650, à soixante-sept ans conseiller d'État et doyen des conseils. Il fut en 1639 ambassadeur en Angleterre. Il était gendre de Bullion, et fils du chancelier de Bellièvre. Dans le procès La Valette (1638), il osa, en présence de Richelieu, représenter an Roi qu'il était contraire aux plus simples notions de la justice de le voir présider un tribunal pour juger un de ses sujets.

[90] Les ducs-pairs prenaient séance au Parlement à vingt-cinq ans faits ; les princes du sang, à quinze ans commencés. (Cf. DUCLOS, Mémoires secrets, p. 468.)

[91] RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 72. (En 1636.)

[92] Déclaration de décembre 1639. Ils les ont honorés, ajoutait-t-il, des plus augustes marques de leur grandeur, et des ornements mêmes de la royauté...

[93] La dénomination française : Cour souveraine de Parlement, est identique. Le parlement d'Angleterre rend la justice et condamne seul les pairs, comme le parlement de Paris.

[94] Au début, le parlement d'Angleterre fut, comme le nôtre, le suprême conseil de la nation. Les communes n'y étaient pas représentées, mais le Roi ne pouvait empêcher ceux des barons qui voulaient y venir de s'y trouver en toute liberté. On n'y appela plus ensuite que les grands barons, puis certains des grands barons. (Archives nationales, KK, 624.)

[95] C'étaient les premiers barons des comtés et duchés. Ainsi il y avait en Boulenois quatre pairs et douze barons. (Coutumes du Boulenois, cartulaire général, p. 43.) Les conseillers de ville appartenant au tiers état se nommaient aussi pairs, on pairs bourgeois, témoin à la Rochelle.

[96] BABEAU, le Village sous l’ancien régime. On les nommait aussi des plaids. Il faut toujours distinguer, d'ailleurs, le parlement de Paris, incréé et contemporain de la monarchie, des parlements de province établis à diverses époques.

[97] Charles IX dit au Parlement, qui lui parlait avec trop de fermeté, que ses prédécesseurs le craignaient et ne l'aimaient pas ; que pour lui, il l'aimait et ne le craignait pas. (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 279.)

[98] Vous faites de beaux discours, et puis après vous allez vous chauffer, disait-il aux conseillers lors de la prise d'Amiens par les Espagnols.

[99] Archives nationales, KK, 1355, fol. 7. La Reine Anne écrit en 1620 au Roi, à propos du droit annuel : J'ai fait au premier président la promesse de vous écrire en leur faveur, qui est un tempérament qui nous a réussi jusques ici pour gagner temps, et leur laisser passer ce premier sentiment.

[100] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 197. Les droits du Parlement étaient sympathiques à la nation. (Cf. DUCLOS, Mémoires secrets, p. 551, 559, 571.)

[101] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 121. (En 1625.) Quand on voulut, deux ans plus tard, contraindre le Parlement, le prince de Condé, bien que dévoué au ministère, ne put s'empêcher de dire : Le Roi doit y prendre garde, c'est chose à éviter de faire en toutes rencontres effort de sa puissance. (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 439.)

[102] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 211.

[103] TALON, Mémoires, p. 49.

[104] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 212.

[105] Léon Bouthillier, comte de Chavigny et de Buzançais, né 1608, fils de Claude Bouthillier, fut marié fort jeune. Conseiller au Parlement (1627), conseiller d'État, 1630 ; envoyé en mission en Italie, secrétaire d'État des affaires étrangères, 1632-1643 ; capitaine da bois de Vincennes, 1633 ; mort presque oublié en 1652. Il acheta l'hôtel Saint-Paul. Tallemant raconte qu'il eut les faveurs de madame la Princesse, mère du grand Condé. Chavigny passa pour le fils de Richelieu, mais cette paternité parait peu vraisemblable. Richelieu était en 1607 à Rome, et avait vingt-deux ans ; de plus, Claude Bouthillier venait de se marier avec une jeune fille de seize ans. Dans les dernières années de Richelieu, Chavigny servait d'intermédiaire entre le ministre et le Roi. Il était chargé des messages confidentiels. On le nomme, dans les correspondances du temps, M. le Jeune, ou le Jeune tout court, en opposition à son père.

[106] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 113.

[107] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 274 et 279.

[108] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 324. Il exile en même temps les conseillers les plus récalcitrants.

[109] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 215.

[110] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 325. Nous cherchons exclusivement les preuves des critiques que nous formulons sur Richelieu, dans ses Mémoires, ses lettres, et dans les œuvres identiques de ses amis. Il a été trop décrié de son vivant et après sa mort, pour qu'il soit permis d'accueillir sans réserve tout ce que ses ennemis ont publié sur son compte.

[111] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 367. Ainsi, lorsque le Parlement refuse d'enregistrer le code Michaud, Richelieu, heureux de l'échec de son collègue Marillac, professe tout à coup un respect hypocrite pour ce corps. Il approuve su résistance, et dit de Marillac : Il voulait que cet ouvrage, qui était sien, passât contre toutes les formes. En fait de politique étrangère, il prend toujours parti pour le Parlement d'Angleterre conne Buckingham. Il est plein de vénération pour la liberté anglaise, pendant qu'il porte les plus rudes coups à la liberté française. (Voyez RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 351 et 587.)

[112] METEREY, Histoire des Pays-Bas, t. I, — 20, p. 428.

[113] Mémoires, t. II, p. 29. — BODIN, République ; CHOPIN, De domanio, et les anciens auteurs, sont d'accord pour reconnaître que nul acte des Rois n'est valable même pour leur domaine, s'il n'a été vérifié par les cours souveraines.

[114] L'arrêt est ainsi conçu : Sur ce que le procureur général a remontré... qu'il plût à la Cour déclarer la Reine régente... la matière mise en délibération, ladite Cour a déclaré et déclare ladite Reine mère du Roi, régente en France. PONTCHARTRAIN, Mémoires, p. 298.

[115] A la mort d'un prince, les membres de la cour prêtaient serment au nouveau souverain ; cela n'indique pas qu'ils recevaient une nouvelle investiture. En 1643, on voulut parler de confirmation de leurs charges, mais ils firent effacer ce mot des lettres patentes. (O. TALON, Mémoires, p. 89.)

[116] LE CHATRE, Mémoires, p. 282.

[117] TALON, Mémoires, p. 88.

[118] Histoire du tiers état, p. 173.

[119] Voyez le paragraphe précédent.

[120] Mémoires, p. 588 et 590 (en 1629).

[121] FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 84 et. 249. (En 1615 et en 1636.) Fontenay-Mareuil, en parlant ainsi, parait se scandaliser d'un état de choses qui était jugé au siècle précédent fort naturel. Les parlements, dit Seyssel en 1541, sont institués principalement pour cette cause et à cette fin de refréner la puissance absolue dont voudraient user les Bois. (Grande Monarchie de France, p. 14.)

[122] Encore les défendit-il par écrit, en 1631, (TALON, Mémoires, p. 10.)

[123] Lettres du Roi à Molé. — Lettres et papiers d'État, t. II, p. 720. L'ordonnance de 1629 leur permettait aussi de faire telles remontrances qu'ils verront bon être.

[124] Déclaration du 21 octobre 1632.

[125] L'ambassadeur vénitien Gorrer s'exprime ainsi en 1641 : L'autorità dei parlamenti e ora lacerata in guisa che dove anticatnente solevano approvare gli edditi del Re e prendere risoluzioni importanti, ora ridotti in servitu, essendo stati di fresco ammoniti severamente che non pungano negli affari di Stato, se non eccitati dagli espresi commandi del Re. (Relazioni, Francia, t. II, p. 341.)

[126] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 338.

[127] Le président Barillon, exilé, puis emprisonné ; le président Champrond les conseillers Thibœuf, Sevin, Salot, Scarron, arrêtés ; les présidents Charton, Gayant, et plusieurs conseillers, exilés. Interdiction du président Perrot ; ordre à d'autres conseillers de se défaire de leurs charges, etc., etc. On les fit plus d'une fois enlever par des soldats de leur domicile.

[128] Le Roi, mécontent du Parlement (1632), commande à cinq magistrats, qu'il fait venir en pleine campagne, de demeurer à la suite de l'armée. Richelieu demande leur grâce sans l'obtenir. Sa Majesté dit au cardinal qu'elle a plaisir à voir un peu promener ces cinq robes longues à la suite de la cour ; que plus on se relâche avec telle gens, plus ils eu abusent ; qu'il ne sera pas dit que ces robes longues lui désobéissent librement et hardiment, et gagnassent leur cause sous ombre qu'ils discutent le matin dans leurs buvettes, et sont trois heures assis sur ses fleurs de lys. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 372.)

[129] 5 septembre 1634.

[130] BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 339.

[131] Nous étudierons ses attributions judiciaires à l'Administration générale de la justice.

[132] Les avocats généraux ont sous Louis XIII même rang que le procureur général ; celui-ci a dans son domaine la plume, c'est-à dire les conclusions écrites ; les autres ont la parole, c'est-à-dire les discours.

[133] Jérôme Bignon, 1589 † 1655, avocat, puis, 1620, avocat général au grand conseil ; conseiller d'État, 1626 ; avocat général au Parlement, résigne sa charge, 1642, en faveur de son gendre, et devient bibliothécaire du Roi. Talon, son collègue, dit qu'il fut l'un des hommes les plus savants de son siècle, et universel dans ses connaissances, mais d'un naturel timide, scrupuleux, et craignant de faillir et offenser. — Mereau et Briquet, l'un beau-frère, l'autre gendre de M. Bignon, étaient, dit Tallemant (t. X, p. 182), appelés ses martyrs. Il leur fit prendre des charges au grand conseil et au Parlement, et ils se crevèrent tous deux à force de se tourmenter à étudier.

[134] Témoin M. Marion, qui quitte la première charge pour la seconde. Arnaud d'Andilly dit (Mémoires, p. 409) qu'il y a peu de charges plus considérables que celle d'avocat général.

[135] A partir de 1636, il y eut à la grand'chambre dix-huit conseillers laïques. (TALON, Mémoires, p. 56.) Les présidents à mortier ont seuls titre de présidents du Parlement. Les autres ont celui de présidents aux enquêtes, ou présidents au Parlement.

[136] Il demande, mais sans ordonner : Il y a, dit-il au Parlement, des conseillers qui ne peuvent se faire recevoir ; on y apporte beaucoup de difficultés. J'ai le fils de mon premier médecin, je vous prie, pour l'amour de moi, de le favoriser. (Archives nationales, Conseil secret, X1 a 8387, fol. 183.)

[137] (Du 7 février 1637.) Ce jour, M. Michel Particelli (c'est le fils du surintendant d'Émeri), pourvu d'un état et office de conseiller en la cour, devant mandé, lui a été donné comme texte de réponse : De la loi troisième (Si eum ipse mutuam pecuniam acciperes. Cod. ad senatusconsultum Velleianum). Il fut interrogé sur ce texte le 16 février, reconnu suffisant et capable, et prêta serment. (Cons secret, X1 a 8387, fol. 45.) Le conseil secret est un registre tenu par Jean du Tillet, greffier en chef, qui contient les délibérations prises dans la chambre du conseil sur des matières politiques ou administratives. Il commence le 12 novembre 1636.

[138] TALON (Mémoires, p. 177) nous apprend que M. de Thou, qui avait trente-six ans passés, avait traité en 1644 de la charge de président ans enquêtes, bien qu'il n'eût que deux ans et demi de service comme conseiller ; mais Particelli, fils da sieur d'Emery, n'ose se présenter, parce n'a que huit ans et demi de service. L'héritier d'en office, trop jeune pour s'y faire recevoir, le gardait jusqu'à ce qu'il eût atteint l'âge requis. (Lettres et papiers d'Etat, t. V, p. 586.) Marillac, en 1629, autorisa le père et le fils à posséder ensemble des charges.

[139] Les enquêtes, en 1615, voulurent faire l'assemblée de toutes les chambres malgré le Roi, disant que le Parlement n'avait accoutumé faire telles assemblées par les suffrages d'autrui. Elles se plaignaient à la même époque que deux ou trois ministres bouleversaient les règles et les lois de la monarchie. Voyez à l'Appendice.

[140] Ils s'échappent et s'emportent jusques à l'extrémité, et quoique d'ordinaire ce qu'ils désirent soit bon en soi et le plus légitime, néanmoins on l'impute à une espèce de sédition, et ils ne le pensent obtenir à cause de leur mauvaise manière de leur demander. (TALON, Mémoires, p. 58.)

[141] TALON, Mémoires, p. 60. Comme les voix se comptent, dit Fontenay-Mareuil, il faudrait que personne n'eût de voix pour les affaires publiques, qu'il n'ait été en charge dix ans entiers. (Mémoires, p. 250.)

[142] Le prince de Condé, lieutenant général du Roi à Paris en son absence, ne put obtenir la préséance sur le Parlement. (X1 a 8387, à la date du 7 mars 1642.) Au Parlement, et dans les autres compagnies souveraines, on traitait simplement les princes du sang de : Monsieur. Ou les saluait avant de parler, puis on leur parlait la tête couverte. Le Roi entrant au Parlement pour y tenir un lit de justice, ôtait son chapeau pour saluer la compagnie, puis le remettait ; et aussitôt tout le monde en faisait autant.

[143] A l'assemblée des notables de 1617, il y eut conflit entre le Parlement et la noblesse. On prit un terme moyen entre eux, mais de fait le Parlement gagna sa cause. (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 178.)

[144] Le Parlement refusait de reconnaître au garde des sceaux les mêmes droits qu'au chancelier, parce que, disait-il, il n'était pas du corps de la Cour. (TALON, Mémoires, p. 14.) Vers 1632, on commença à prendre l'avis des princes du sang, des cardinaux, des ducs, avant celui des présidents à mortier, qui devaient être consultés immédiatement ; après le Roi. Aux plaintes de ceux-ci, Séguier répondit : Le Roi Fait ce qu'il lui plaît. (Ibid., p. 13.)

[145] Annelet, † 1670, pour avoir pris une pilule d'un charlatan. Son frère était contrôleur général des rentes à Soissons. Famille anoblie en 1580. Ils venaient d'un marchand établi à Orléans, en 1502.

De Villoutreys, lieutenant civil d'Angoulême, puis lieutenant général à Blois. Nous voyons Bouthillier, en 1634, demander l'évêché d'Angoulême pour un Villontreys, et faire valoir son peu de fortune.

Perrochel, maitre à la chambre des comptes, puis conseiller au Parlement, † 1659.

Jean de Bérulle, fils de Claude de Bérulle, conseiller au Parlement, et de Louise Ségnier ; frère du cardinal de ce nom, fut maitre des requêtes, et intendant de justice en Anjou.

Antoine d'Aguesseau, anobli en 1612, lieutenant criminel au Châtelet, 1621 ; conseiller au Parlement, puis maitre des requêtes, † 1657, dit Guy Patin, du vin émétique de Béda. Son frère, Philippe d'Aguesseau, seigneur de Lormaison, receveur général des décimes du clergé, fut maitre de la garde-robe de la Reine en 1640.

[146] Mathieu Molé, fils d'Édouard Molé, président au Parlement, né en 1584 ; conseiller au Parlement, 1606 ; président, 1610 ; procureur général, 1614 ; fit déclarer illégale la commission qui jugea les deux Marillac, 1631 ; premier président, 1641 ; garde de sceaux, 1651. Talon dit de lui qu'il avait beaucoup d'intégrité, de générosité et d'expérience, mais qu'il commença à rabattre vers 1631 de son ancienne sévérité. Tallemant dit : Le procureur général que Richelieu fit premier président, parce qu'il ne passait pas pour un grand clerc, se trouva plus habile qu'on ne croyait.

Henri de Mesmes, seigneur de Boissy, conseiller d'État, 1630 ; était président à mortier lors du procès de Boutteville, 1650. Il épousa la veuve du marquis de Lansac. Sa fille épousa le duc de Vivonne. Il était frère aîné du comte d'Avaux, négociateur des traités de Westphalie.

André Potier, seigneur de Novion, quatrième fils du président Potier de Blancmesnil. Conseiller au Parlement de Bretagne, 1607 ; président, 1610 ; président au Parlement de Paris, 1616. Les Potier venaient d'un général des finances, qui à la bataille de Ravenne demanda une pique à Gaston de Foix, et se battit en homme de cœur. André Potier mourut en 1645 ; c'était le plus habile homme, et le plus hardi pour les affaires, et qui parlait pour le bien public tout autrement que tous les autres..

De Nesmond, fils du premier président du Parlement de Bordeaux, intendant des armées en Guyenne, 1630 ; maitre des requêtes, 1633. C'est, dit Patin, un Gascon sourcilleux, homme de bien et de grande réputation, et qui peut être appelé justement et méritoirement : integer vitæ scelerisgue purus. — Pour Séguier, voir plus loin.

[147] La prétention du Parlement de représenter les états généraux est sans fondement en apparence, dit-on en 1615, puisqu'ils ne sont pas élus comme eux de toutes les provinces. (FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 88.)

[148] Voyez à ce sujet l'excellent et remarquable ouvrage de M. PICOT, Histoire des états généraux.

[149] Souveraineté du Roi, p.655. Cette opinion sur le pouvoir de nos états était si fort enracinée, même à l'étranger, que durant la guerre de la succession d'Espagne, en 1712, les alliés exigèrent pendant longtemps que la renonciation du duc d'Anjou à La couronne de France, et des princes français à la couronne espagnole, fût sanctionnée par les états généraux de France. Ils trouvaient qu'une déclaration du Roi, même enregistrée au Parlement, était insuffisante ; ce qui étonna et révolta fort Louis XIV. Cf. DUCLOS, Mémoires secrets, p. 459.

[150] Advis des trois états étant conformes entre les trois ordres, on tient, pour maxime certaine devoir être émologués sous l'autorité et puissance du Roy, gardez et observez comme loi générale qui lie indispensablement tous les sujets du royaume. (Remontrance pour la réformation du conseil privé, p. 7. — En 1624.)

[151] BODIN, République, p. 136. — Il reconnait néanmoins que les états sont tout-puissants quand le Roi est captif ou en enfance ; que d'autre part les coutumes ne peuvent être changées, sans convoquer l'assemblée des trois états de France en général.

[152] C. LE BRET, Souveraineté du Roi, p. 641.

[153] Louis XI convoqua les états à Tours en 1468 pour être juges des différends qui étaient entre lui et Monsieur son frère. (LE BRET, Souveraineté du Roi, p. 643.) Quand Puylaurens soutint sous Louis XIII qu'une déclaration du Roi contre son frère ne pouvait se faire qu'en assemblée d'états, Richelieu répondit qu'il ne savait ce qu'il disait. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 413.) On voit qu'il y avait pourtant des précédents.

[154] Le carnaval.

[155] Mémoires, p. 96.

[156] Mémoires, p 504. — Richelieu consacre quelques pages au discours qu'il prononça au nom du clergé, et à son rôle personnel, Pontchartrain se contente de terminer le récit de l'année 1614 par ces mots : ... A quoi je pourrois ajouter qu'il se passoit beaucoup de brouilleries, monopoles et mouvements dans l'assemblée des états généraux, mais les particularités s'en verront dans leurs procès-verbaux. (Mémoires, p. 338.)

[157] Florimond Rapine, seigneur de Poncheraine et Lathenon, conseiller et premier avocat du Roi au bailliage et siège présidial de Saint-Pierre le Moustier. Son ouvrage a pour titre Recueil très-exact et curieux de tout ce qui s'est fait et passé de singulier en l'assemblée générale des états tenus à Paris en l'année 1614. On voit à Nevers, en 1640, un Henri Rapine, seigneur de Boisvert, homme d'armes du Roi. — Pour les cahiers, voir l'Administration générale.

[158] La publication des lettres patentes était faite par un huissier accompagné d'un trompette. L'envoi des ordonnances et des édits se faisait en général par bailliages et sénéchaussées. (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 588.)

[159] Les nobles et le clergé nommaient généralement par procuration ; ainsi au bailliage de Saint-Pierre le Moustier, il n'y eut que trois gentilshommes à comparaitre en l'auditoire royal.

[160] En 1789, il fallut justifier d'une capitation de six livres pour être admis dans l'assemblée du tiers état de son quartier. Au-dessous de ce chiffre, d'ailleurs minime, on n'avait point d'existence politique. (Voyez l'arrêt du Conseil d'État du 13 avril 1789.) La ville de Paris eut vingt députés du tiers, et la vicomté de Paris en eut six. Ils avaient été nommés par trois cents délégués, choisis eux-mêmes par l'assemblée des électeurs censitaires de leur ordre.

Les électeurs du second degré étaient choisis à raison d'un sur dix par la noblesse, d'un sur vingt par le clergé, d'un sur cent par le tiers état. — (Ordonnance du 28 mars 1789.)

[161] On voit en 1618, le fils d'un député nommé en même temps que son père, pour le remplacer, bien qu'il n'ait pas vingt-cinq ans, mais le fait est unique. (RAPINE, Recueil, p. 70.)

[162] Lettres du 31 août. — Les lettres du 13 mars 1320 fixaient à quatre le maximum des députés des bonnes villes.

[163] Voici le tableau des états dont on possède des listes à peu prés complètes. On peut consulter pour le détail la carte annexée à l'ouvrage de LA LOURCE et DUVAL, t. II.

 

1560

1576

1588

1614

Clergé

98

104

134

144

Noblesse

76

72

180

130

Tiers état

219

150

191

188

Total :

393

326

504

462

En 1789, on sait que le tiers avait alitant de voix que les deux autres ordres.

[164] Augustin THIERRY dit que le vote par tête aux états généraux de 1484 avait confondit le tiers état avec les deux autres ordres. (Histoire du tiers état, p. 101.) Rien, selon nous, n'autorise à penser que le vote ait eu lieu par tête en 1484. Les états n'eurent qu'un cahier, mais tout porte à croire qu'il fut rédigé par bailliage, selon la méthode constamment suivie.

[165] États généraux, recueil de pièces, t. I, p. 27.

[166] Cette critique adressée de nos jours aux arrondissements avait à cette époque bien plus de fondement. On comptait en France, en 1620, quatre-vingt-quatorze bailliages, sénéchaussées ou divisions équivalentes, réparties entre neuf grands gouvernements : Orléans en a 17 ; Languedoc, 7 ; Champagne. 8 ; Guyenne, 16 ; Lyon, S ; Normandie, 7 ; Bourgogne, 12 ; Picardie, 5 ; Ile-de-France, 11, Les trois gouvernements de Dauphiné, Bretagne et Provence ne contenaient aucune division de ce genre. Les députés y paraissent élus par l'ensemble de la province. En Bretagne, pourtant, les évêchés tenaient lieu de bailliages.

[167] RAPINE, Recueil, p. 63 et 70.

[168] Mémoires, p. 503.

[169] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 98. La Reine, dit d'Estrées, apporta tout le soin convenable pour faire élire des personnes agréables à Leurs Majestés, et M. le Prince, de son côté, ne négligea rien pour y faire nommer ceux de qui il pouvait s'assurer davantage. Mémoires, p. 404.

[170] RAPINE, Recueil, p. 2.

[171] On peut citer, outre le président Henri de Bauffremont, baron de Senecey, Louis de Mouy, S. de Boulainvilliers, Anquetil, Ch. de Durfort, H. de Pontbriant, François de Nouailles, Fr. de Sainte-Maure, Nompar de Caumont, Ant. de Gramont, H. de Bonneval, Ch. d'Amboise, Fr. de Cossé-Brissac, Th. de Guemadeuc, Jacques, François et Anne de l'Ilôpital, H. de Dodos, R. de Latour-Gouvernet, R. de Bouillé, Mar. du Bellay, II. de Balzac, Fust. de Conflans, II. de la Chastre, G. de Coligny, Ch-de Vivonne, G. de La Roche-Aymon, Ch. d'Angennes, L. de Montmorency, les comtes de La Marck et de Clermont Tonnerre, A. de Lenoncourt, de Saulx, de Castellane, etc.

[172] Ce chiffre est celui de la liste officielle que nous avons dépouillée ; il est peu supérieur à celui des tables de La Lourcé.

[173] Les listes antérieures 1614 contiennent trop imparfaitement les qualités des élus pour qu'il nous soit possible d'apprécier d'une manière certaine leur situation sociale.

[174] Encore y en a-t-il beaucoup dans ces soixante-seize dont les noms sont précédés des particules de, du, de la, des, ce qui en soi ne prouve nullement la noblesse, mais peut cependant faire supposer que quelques-uns étaient nobles.

[175] Voyez RAPINE, Recueil, p. 3. Quatre hérauts publiaient dans les rues le jour, l'heure et le lieu où Sa Majesté voulait et entendait faire l'ouverture des états généraux de son Royaume. A cet égard, un cardinal, membre de l'ordre du clergé, n'était pas autrement traité qu'un échevin de province membre de l'ordre du tiers.

[176] En 1614, la vérification des pouvoirs n'est pas attribuée au conseil Ce qui est attribué au conseil, c'est la question de savoir si les électeurs avaient été dûment convoqués, si un certain bailliage avait ou non le droit. de nommer un député ; autrement dit, si la circonscription électorale existait. Cette question appartiendrait encore aujourd'hui au pouvoir exécutif. On voit très-bien dans la vérification (RAPINE, p. 40 à 100) le double rôle des états et du conseil. — Voir aussi à ce sujet Mss. Godefroy, CCXC, fol. 53.

[177] RAPINE, Recueil, p. 81.

[178] RAPINE, Recueil, p. 15.

[179] On les nomma évangélistes, après avoir longtemps hésité sur le nom qu'on leur donnerait (assesseurs, contrôleurs ou secrétaires). On voit encore ce terme d'évangéliste désigner le secrétaire du conseil, dans le procès La Voilette, en 1638, mais il devient déjà rare. (TALON, Mémoires, p. 65.) Le duc de Savoie avait en Espagne des ambassadeurs qu'on nommait les quatre évangélistes. (RICHELIEU, Mémoires, p. 102.)

[180] RAPINE, Recueil, p. 15 et 37. Afin que chacun les y trouvât plus commodément et facilement, que si pour y avoir recours il rôt été forcé de les aller rechercher dans la ville de Rouen, où le secrétaire du tiers demeurait habituellement. On siégeait tous les jours, sauf le mardi et le samedi. Il y avait les autres jours deux séances, de huit heures à onze heures le matin, et de deux à quatre heures du soir. (Ibid., p. 68.)

[181] On sait que cet usage subsistait encore à la Constituante et à la Convention.

[182] Un autre écu aux Augustins, dans le cloître desquels ils avaient siégé, et un demi-écu pour les religieux missionnaires de l'Ordre. (RAPINE, Recueil, p. 409.)

[183] Équivalent de cinquante-quatre à quatre-vingt-dix francs de notre monnaie actuelle. (Voir Finances, le Pouvoir de l'argent.) Cette taxe était levée sur le sel, imposition supportée par les trois ordres. On voit en 1614 M. de Mesmes, député du tiers état, recevoir quinze livres par jour. Le clergé du gouvernement d'Orléans reçoit par jour les archevêques, vingt-sept livres ; les évêques, vingt-quatre livres ; les abbés et doyens, quinze livres ; les prieurs, douze livres ; les chanoines, dix livres. (États généraux, Recueil de pièces, t. XII, p. 329.)

[184] RAPINE, Recueil, p. 171.

[185] RAPINE, Recueil, p. 167.

[186] RAPINE, Recueil, p. 225.

[187] Ils disent une autre fois que s'ils n'obtiennent point ce qu'ils demandent, ils sont prêts à s'en retourner, ne servant de rien qu'à faire de la dépense au peuple.

[188] Ordonnance du 27 juin 1614.

[189] RAPINE, Recueil, p. 97 et suiv.

[190] On estima qu'agir autrement, cela consommerait trop de temps, d'autant qu'il ne se trouverait aucun bailliage qui n'eût quelque chose de particulier, qui néanmoins ne duit être considéré, quand il est question d'établir des lois générales. (RAPINE, Recueil, p. 97 et suiv.)

[191] Les états se faisaient communiquer une liste des conseillers d'État et récusaient ceux qu'ils croyaient n'erre portés au soulagement du peuple. (Ibid., p. 393.) Les états provinciaux avaient aussi le droit d'envoyer des remontrances et de rédiger des cahiers. (LE BRET, Souveraineté du Roi, p. 646.)

[192] Voyez RAPINE, Recueil, p. 479.

[193] Il y eut en 1625, à Fontainebleau, une assemblée de grands seigneurs, d'officiers de cour souveraine, et de grand nombre de prélats et de noblesse, convoqués par le Roi ; mais personne n'osa y ouvrir la bouche. Le chancelier prononça un discours, et invita, au nom du Roi, ceux qui auraient quelque chose à dire pour ou contre les projets du ministère, à faire connaître leur avis. Un grand silence suivit ce discours. Personne ne demandant la parole, le chancelier s'adressa au premier président du Parlement : Monsieur, lui dit-il, il semble que vous avez quelque chose à dire. Le premier président répondit, en faisant la révérence, qu'il n'avait rien à ajouter aux bons avis du cardinal et du chancelier. Le silence se faisant de nouveau, Richelieu prononça à son tour une harangue, et la séance fut levée. (Plumitif de la Chambre des comptes, 1er octobre 1625.)

[194] A l'assemblée des notables de 1626, sur cinquante-six membres, y compris trois vice-présidents, il y avait vingt-cinq archevêques, évêques, maréchaux et gentilshommes de cour.

[195] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 177. — Pontchartrain dit la même chose. (Mémoires, p. 396.)

[196] ARNAUD D'ANDILLY, Mémoires, p. 423.

[197] Mémoires, t. I, p. 176.

[198] On leur adressait individuellement une lettre de cachet, contresignée par un secrétaire d'État, pour fixer le jour et le lien de l'assemblée. Elle s'ouvrit le 2 décembre 1626, et fut close le 24 février 1627.

[199] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 303.

[200] Plumitif de la Chambre des comptes.

[201] Mercure français, t. XII, p. 762.

[202] Pour les discussions financières, voyez Administration générale ; les Finances.