RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

LIVRE PREMIER. — LE ROI ET LA CONSTITUTION.

LA MONARCHIE TRADITIONNELLE.

 

 

Une constitution est, selon nous, l'ensemble des lois et des usages qui règlent les droits respectifs des pouvoirs publics entre eux et vis-à-vis des citoyens. C'est à dessein que nous comprenons les usages dans les éléments d'une constitution. L'usage, dans la France contemporaine où les lois écrites ne manquent pas, a cependant encore une grande valeur. En administration on l'appelle un précédent, en droit on le nomme jurisprudence, et dans la France ancienne l'usage n'est autre que la coutume, la tradition. Son rôle y est bien plus important qu'aujourd'hui, puisque tout repose sur lui, puisque la forme même du gouvernement, la Monarchie traditionnelle, n'est qu'un usage.

Dans ces conditions, un usage est vraiment légal, et les traditions deviennent des lois, par le consentement mutuel des gouvernants et des gouvernés. Si nous avons opposé la monarchie traditionnelle à la monarchie absolue, c'est que la première nous semble avoir respecté ces usages qui forment sa constitution, tandis que la seconde les a foulés aux pieds, et a substitué de sa propre autorité, à l'ancien système, un système nouveau. Ce qui subsistait par consentement mutuel a été détruit par la volonté d'une seule des parties, en attendant que l'autre détruise à son tour ce que l'on a fait sans elle.

De ce coup, la constitution fut anéantie, parce qu'une tradition ne subsiste qu'autant qu'on la respecte, et qu'elle tombe dès que l'on s'en écarte. Si donc la monarchie traditionnelle eut une constitution, la monarchie absolue n'en eut pas. Le despotisme comme l'anarchie suppose, d'ailleurs, l'absence de constitution ; c'est pourquoi le despotisme est une forme de l'anarchie. Dans la monarchie traditionnelle, le Roi est une puissance immense dans l'État ; dans la monarchie absolue, le Roi est à lui seul l'État. Il n'est plus une partie, la plus grande partie d'un tout, il est le tout. La Constitution, c'est lui-même, c'est-à-dire qu'il n'y en a plus.

A l'avènement de Richelieu, le Roi exerce en France le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Mais comme la t monarchie n'est pas plus le gouvernement d'un seul, que la république n'est celui de tous, il est entouré d'un certain nombre de collaborateurs plus ou moins imposés. De plus, ses pouvoirs ne sont pas illimités, et ne peuvent s'exercer que dans des conditions prévues à l'avance. Nous chercherons, pour être clair, à établir la division de l'exécutif et du législatif, bien qu'elle n'existe pas à cette époque, le même individu, le même corps étant souvent à la fois législateur, administrateur et juge. Le mélange est malheureusement trop complet pour que nous puissions obtenir une distinction aussi nette qu'il serait désirable.

 

CHAPITRE PREMIER. — LE ROI ET LA PERSONNE ROYALE.

 

Les prédécesseurs de Louis XIII. — Formation du pouvoir royal. — Le sacre, les pairs. — La monarchie française est représentative.

 

Il y a trois systèmes de gouvernements monarchiques : la monarchie absolue, où le Roi gouverne seul et sans contrôle d'aucune sorte de ses sujets ; la monarchie tempérée ou représentative, où le Roi gouverne avec le concours plus ou moins actif de ses sujets, de concert avec eux, mais où, en cas de désaccord entre le Roi et le peuple, le Roi l'emporte ; la monarchie constitutionnelle, où le Roi gouverne comme précédemment, mais où la constitution émane de la nation, et où le souverain pouvoir réside en elle. En cas de désaccord, dans ce troisième système, c'est la nation qui l'emporte.

La monarchie constitutionnelle était inconnue au dix-septième siècle. Les publicistes et les hommes d'État ne paraissent même pas en avoir eu la notion jusqu'à nos jours. Bodin ; Seyssel, du Haillan, La Boétie, au seizième siècle, ne la soupçonnent pas. Montesquieu et les encyclopédistes, au dix-huitième, ne lui consacrent aucune place dans leurs études sur le gouvernement. Mais s'ils n'ont pas conçu cette théorie heureuse, qui tient le milieu entre la république et la monarchie ; si, pour eux, un roi qui règne et ne gouverne pas n'est plus un roi, pour eux aussi, et pour eux tous, un roi qui règne et qui gouverne selon son bon plaisir est un tyran.

Telle était en France, au commencement du dix-septième siècle, l'opinion de presque tous les hommes éclairés et indépendants ; opinion fondée d'ailleurs sur l'histoire. La monarchie française, en effet, depuis son origine jusqu'à cette époque, possédait des institutions anciennes, issues comme elle du moyen âge, et qui n'avaient d'autre objet que de modérer, de borner le pouvoir des rois, et de garantir le droit des peuples, tant bien que mal. Ce sont là les caractères du régime représentatif.

Celui-ci était l'essence merle de la France, aussi bien que de l'Allemagne et de l'Angleterre. Quelle qu'en fût l'origine, on peut dire qu'il faisait partie de nos mœurs, de notre tempérament politique. Les Anglais, dit Montesquieu, ont tiré des Germains l'idée de leur gouvernement. Ce beau système a été trouvé dans les bois[1].

Il ne s'agit pas pour nous, du reste, de savoir si Clovis était absolu, si Dagobert était modéré, et jusqu'où allait le pouvoir de Charlemagne, mais ce que la dynastie féodale, dont Hugues Capet est l'auteur, était, devait, pouvait.

Peu importe que les Francs aient été ou non amis des Romains ou leurs ennemis[2], que les Gaulois aient eu avec les Romains ou les Francs tels ou tels rapports. Il suffit de remonter à l’an 1000, où il n'y a plus ni Francs, ni Gaulois, ni Romains, mais seulement des Français, où le mélange est déjà opéré entre les races diverses. Pour connaitre un droit traditionnel, il faut en savoir l'histoire, qui, seule, en explique l'usage. Ici, comme en plusieurs autres chapitres de ces études monarchiques, nous devrons recueillir le témoignage du passé.

Sous les deux premières races, des chefs particuliers ayant acquis une grande importance, des rois inutiles se trouvèrent auprès d'eux et n'en furent pas moins respectés. L'État marcha ainsi quelque temps avec une tête double ; à la fin, celle de ces têtes qui avait la véritable vie fit sécher et tomber l'autre. C'est ainsi qu'ont fini les deux premières dynasties. Quand Pépin fut couronné Roi, le titre de Roi fut uni au plus grand office ; quand Hugues Capet fut couronné, le titre de Roi fut uni au plus grand fief.

Tous deux furent des usurpateurs, c'est là un point incontestable[3] ; mais dans les dernières années de la dynastie carolienne[4], le trône est beaucoup moins recherché qu'on ne pourrait le croire, ce qui explique la facilité avec laquelle Hugues Capet put s'en emparer. On s'était divisé quarante ans avant lui entre deux princes, Hugues le Grand, fils du roi Robert, et Louis, fils de Charles le Simple. Ils refusèrent tous les deux, considérant l'autorité royale comme un danger pour eux-mêmes. En effet, sans prestige, sans revenu, le titre de Roi était tout au plus une dignité honorifique, comme celle d'Empereur.

Il y a au début analogie frappante entre les deux situations. Cette lutte contre les grands que les Rois soutinrent en France, les Empereurs la soutinrent en Allemagne, mais t avec des fortunes bien diverses. Où les Empereurs eurent le dessous, les Rois eurent le dessus. Dans le principe, les pairs étaient chez nous les électeurs de France, comme au delà du Rhin, les électeurs étaient les pairs d'Allemagne ; mais partis du même point, ils n'arrivèrent pas au même but. Au dix-septième siècle, l'Empereur jure toujours à l'archevêque de Cologne de garder les lois de l'Empire, la bulle d'Or, établir justice, obéir au Pape, conserver la foi catholique, défendre veuves, orphelins et pauvres. Au sacre de Reims, des pairs fictifs paraissent encore, avec l'habit royal et la couronne en tête, et font une fonction quasi souveraine, égale à celle des électeurs ; mais cette pompe et cette représentation sont en France imaginaires ; véritables rois de théâtre, une fois la pièce jouée, ils redeviennent simples sujets en rentrant chez eux.

Sous Hugues Capet, le sacre, qui dans les cérémonies et les prières s'appelle une élection[5], a toute sa valeur. La couronne, soutenue sur sa tête par les douze pairs du royaume, lui est vraiment conférée par eux. De plus, selon la coutume ancienne, les évêques de Laon et de Beauvais, soulevant le Roi de sa chaise, demandent au peuple présent s’il l'accepte pour Roi, et ayant reçu le consentement de toute l'assistance, l'archevêque de Reims reçoit son serment[6]. Ce serment, ces conditions de la royauté imposées au Roi, qu'il jure entre les mains des pairs, c'est le premier contrat monarchique ; car la monarchie repose à l'origine sur un contrat, et point sur autre chose. Ce contrat est la loi même de la monarchie.

Et ce qui distingue les rapports de Roi à sujet des rapports de seigneur à vassal, c'est que le Roi était le seul seigneur en France qui, à son avènement, fit un serment à ses vassaux. Aucun autre ne faisait serment à son vassal ; il recevait de lui foi et hommage, sans rien promettre. Cependant les obligations étaient mutuelles entre le seigneur et le vassal. Si le seigneur ne faisait pas de serment au vassal, tandis que le Roi, premier seigneur, faisait à son sacre serment aux pairs, c'est que le Roi reconnaissait tenir d'eux le royaume, tandis que le seigneur ordinaire ne tenait rien de son vassal[7].

Les souverains étaient donc électifs, et de peur que le choix des barons ne se portât sur une personne étrangère à sa famille, Hugues Capet convoqua une assemblée de grands de l'État dans laquelle Robert, son fils, fut associé à la couronne. Robert en usa de même envers Henri, Henri envers Philippe (l'histoire nous raconte en quels termes)[8].

Philippe demanda de même le consentement des barons pour Louis le Gros, Louis le Gros pour Louis le Jeune, Louis le Jeune pour Philippe-Auguste. Il est vrai que ce dernier ne le demanda pas pour son successeur. C'est que les grands fiefs qui étaient héréditaires étant venus successivement se réunir à la couronne, un Roi qui n'était qu'électif se vit tout à coup seigneur héréditaire de tous les fiefs de son royaume. Le Roi électif de France étant ainsi devenu seigneur héréditaire de toute la France, le droit d'élection n'a pu se conserver[9]. La royauté, qui était élective, et la seigneurie universelle, qui était héréditaire, se cumulant sur une même tête, l'une ne pouvait manquer de prendre le caractère et les droits de l'autre.

Pendant quatre siècles, dit Montlosier, on dirait qu'une suite de manœuvres habiles ait eu pour objet de bouleverser l'État de fond en comble[10]. La politique des Rois capétiens consista à mettre en bataille rangée les institutions anciennes et les institutions nouvelles, et à se présenter ensuite pour recueillir les fruits de la victoire. Cependant, comme ces institutions anciennes étaient fortes, et que pour les combattre on avait été obligé de donner une grande force aux institutions nouvelles, lorsque les premières se trouvèrent affaiblies, on songea à affaiblir les secondes.

Pour balancer la souveraineté des seigneuries, on avait été obligé d'instituer beaucoup d'autres souverainetés : des municipalités souveraines, des bailliages souverains, la souveraine cour de Parlement, et une université souveraine, au milieu d'une noblesse continuellement turbulente, tout cela composait une assez belle anarchie. On arriva à mettre les municipalités, aussi bien que les seigneuries, sous la dépendance des bailliages, et les bailliages sous celle des parlements, et ainsi commença à se former une sorte d'ordre et de hiérarchie.

En même temps, quand un droit était controversé, sujet à dispute, quand sur une matière il n'y avait pas de règle écrite, et généralement quand une question était douteuse, le Roi la préjugeait en principe en sa faveur, et il fallait produire des titres contraires aux prétentions du Roi pour qu'il les abandonnât. Il agit ainsi avec la noblesse en matière de domaine et de justice, avec le clergé pour le droit de régale. Il inventa des maximes et un droit spécial à son profit. On déclara, par exemple, qu'on ne prescrivait point contre le Roi, selon le vieux proverbe : Celui qui a mangé de l'oie du Roi, cent ans après en doit rendre la plume ![11]

Par ces moyens, le Roi était parvenu à détruire les pouvoirs rivaux du sien et à concentrer dans ses mains une puissance immense. Cette puissance était généralement admise par l'opinion, mais avec certaines réserves. Le célèbre Bodin, que l'on appellerait aujourd'hui un conservateur libéral, lisant dans Aristote que le Roi commande au désir de ses sujets, qu'il devient tyran pour peu qu'il commande contre le vouloir de ses sujets, s'indigne et dit : Dans ce cas, loin de donner loi, les Rois devraient alors la recevoir... pour le trancher court, le Roi ne serait qu'un simple magistrat[12]. Mais il ajoute aussitôt : La monarchie royale ou légitime est celle où les sujets obéissent aux lois du monarque, et le monarque aux lois de nature, demeurant la liberté naturelle et propriété des biens aux sujets[13]. Il n'explique pas ce qu'il entend par loi naturelle, mais il dit dans sa préface : La loi sacrée de nature veut que les, sceptres soient arrachés des mains des méchants, pour être baillés aux bons et vertueux princes. C'est le droit de la nation à reprendre à son chef le pouvoir qu'elle lui a donné. Ailleurs il s'exprime ainsi : Ne suffit pas de dire que l'État royal est plus excellent, si on ne montre aussi qu'il doit être tempéré par le gouvernement aristocratique et populaire... ainsi le gouvernement sera composé et tempéré[14].

D'autres allaient plus loin. D'après Hotman, dans sa Franco-Gallia, publiée à peu près à la même époque, 1574, le pouvoir de régir et d'administrer ne résidait pas dans tel ou tel homme, décoré du titre de Roi, mais dans l'assemblée de tous les ordres de la nation, où était le vrai et propre siée de la majesté royale. De ce livre, les idées de souveraineté nationale et de gouvernement par assemblée, auquel il donne les épithètes de saint et de sacré, passèrent dans l'opinion des amis de la liberté, et ces traditions, quoi qu'en ait dit Augustin Thierry, furent parfaitement celles de la Ligue, de la première Fronde, de tout ce que la France compta d'hommes libéraux pendant deux siècles. Il est vrai cependant, comme le remarque Thierry[15], qu'Hotman fait une démonstration factice et vicieuse, quand, rapprochant les états généraux des parlements de barons, des assemblées politico-ecclésiastiques de la seconde race, des plaids et des champs de mai de la première, il arrive à conclure que de tout temps en France, la souveraineté fut exercée par un grand conseil national.

Il n'en est rien ; Hotman se trompe, parce qu'il conclut trop absolument ; mais n'est-on pas en droit de dire tout au moins que jamais le pouvoir des rois n'avait été absolu et sans contrôle [16]? Vraie ou fausse, du reste, sa doctrine avait trouvé des adeptes ; vingt ans plus tard, un prédicateur de la Ligue s'écriait[17] : Les assemblées des États possèdent le pouvoir public et la majesté suprême, la souveraineté inaliénable ; le prince procède du peuple, non par nécessité et par violence, mais par élection libre. C'étaient là, si l'on veut, des opinions avancées, des clameurs sans écho ; il faut néanmoins en tenir compte, puisqu'elles se produisirent.

D'ailleurs, si le gouvernement général du pays échappait à la nation, si même elle ne se souciait pas d'y mettre la main, le gouvernement particulier des provinces et des villes lui appartenait en entier, et elle y tenait. On était à cet égard dans l'ancienne France très-parlementaire au sens moderne de ce mot. L'indépendance des pays d'états et des villes était extrême. Certaines cités avaient en quelque sorte à la fois deux conseils municipaux : des échevins et des conseillers de ville, fonctionnant séparément et se contrôlant les uns les autres. Toutes les charges étaient électives, même celles des sergents de ville, qui dans plusieurs endroits, jusqu'à Louis XIII, furent nommés par les habitants à la pluralité des voix[18]. Qui donc aujourd'hui oserait aller jusque-là ?

Les étrangers mêmes reconnaissaient la modération du pouvoir royal. Le royaume de France, dit Machiavel, est heureux et tranquille, parce que le Roi est soumis à une infinité de lois qui font la sûreté des peuples. Il dispose des armes et des trésors, mais pour le reste, il est soumis à l'empire des lois[19]. Il est vrai qu'au moment où Machiavel parlait ainsi, Louis XII régnait en France, et qu'un État se ressent toujours de l'esprit de son chef. Mais Seyssel écrivait sous François Ier, à propos de la constitution française, que l'autorité et puissance du Roi est réglée et refrénée en France par trois freins : la religion, la justice et la police[20]. Il les considérait comme la chose principale pour la conservation et augmentation d'icelle monarchie ; le chef et les membres sont réglés par si bon ordre qu'à grand'peine peuvent venir à grande dissension et dissonance ; aussi est-il nécessaire d'entretenir ces trois freins, par lesquels la puissance absolue est réglée.

Il y avait ainsi en France des lois souveraines qui primaient le pouvoir du Roi, et d'après lesquelles il devait se diriger dans sa vie politique ; dans sa vie privée, le prince redevenait simple citoyen devant ses propres tribunaux : Les Rois, dit Seyssel, ont toujours été sujets au parlement quant à la justice distributive ; entre les parties privées, leur autorité ne peut préjudicier au droit d'autrui[21].

En matière d'impôts, le droit royal était aussi singulièrement restreint. Les conditions de l'organisation féodale ayant été déterminées pour tous, nobles ou non-nobles, d'une manière définitive, il n'était au pouvoir de personne de modifier à son profit les conditions de cette organisation. Aussi les Rois usèrent-ils d'une prudente circonspection, et leurs usurpations à ce sujet ne se produisirent pas tout d'abord. Le prince qui ne percevait pas encore un seul impôt royal proprement dit, trois siècles après la constitution de la monarchie, ne perçut les premiers que d'accord avec les contribuables. Les états généraux non-seulement discutaient l'importance de l'aide, mais encore en déterminaient la forme, directe ou indirecte, tailles, fouages ou taxe sur les marchandises[22]. En 1338 et 1339, avant Pâques, il fut arrêté et conclu par-devant les trois états de France, présent le Roi Philippe VI de Valois, que l'on ne pourrait imposer ni lever taille en France sur le peuple, si urgente nécessité ne le requérait de l'octroi des gens des trois états[23]. L'ordonnance de 1356 reconnaît que le pouvoir des états est la loi fondamentale, à l'égard des impositions, de sorte que le Roi n'en pouvait faire aucune de sa seule autorité, et que dans les besoins les plus pressants, il était obligé de requérir le consentement des trois ordres, parce que deux d'entre eux ne pouvaient jamais engager le troisième[24].

Ce principe que les impôts ne sont légitimes qu'en vertu du consentement du peuple qui les paye fut violé plus d'une fois jusqu'à Louis XIII, mais il n'avait pas cessé d'être reconnu jusqu'à cette époque[25]. Telle était la doctrine de l'ancienne France. On sait ce qu'elle devint plus tard, mais personne alors n'aurait pu prévoir le taillable et corvéable à merci de Louis XIV.

 

II

Possession du royaume par le Roi. — Triple qualité de souverain, suzerain et propriétaire.

 

Il faut distinguer dans la personne royale la triple qualité de souverain, de suzerain et de propriétaire. A l'origine, le souverain n'a de sujets que les serfs de son propre domaine, du domaine qu'il possède par lui-même, qui n'est pas donné à fief, et dont il perçoit les redevances. Les serfs du moindre seigneur sont les sujets de ce seigneur, ce ne sont pas les sujets du Roi. Les sujets même que le Roi possède, il ne les possède pas comme Roi, mais comme seigneur immédiat d'un domaine. Ainsi le souverain pourrait se trouver, s'il donnait à fief la totalité de ses biens personnels, entièrement dépourvu de sujets. La souveraineté n'était qu'une primatie sur les autres ducs et les autres comtes.

A côté de ces dix ou douze grands vassaux, au-dessus desquels la souveraineté l'élevait, le Roi en avait d'autres, ses vassaux personnels, sur lesquels il exerçait un empire effectif. Ceux-ci tenaient leurs fiefs de lui ou de ses aïeux ; ils lui avaient l'obligation de leurs terres, et différaient par là essentiellement des premiers qui ne lui devaient rien.

Devenu seigneur féodal de la France, comme nous l'avons dit plus haut, le Roi confondit dans son administration les nouveaux grands fiefs qui lui échurent et les anciens qu'il possédait déjà[26]. Peu à peu l'usage de ce double droit royal et féodal amena le Roi à penser que la France était son bien, sa chose, dont il pouvait user et abuser, comme ses prédécesseurs auraient à peine pu le faire de l'Ile-de-France et de l'Orléanais ; il traita ses sujets français comme ses pères eussent traité leurs serfs de la chrétienté de Paris ; il crut avoir la même autorité sur tous, quels qu'ils fussent.

Non content d'être comme le général des premiers Francs, comme le Roi carolien, comme le prince élu des temps féodaux, un magistrat éminent en dignité, un chef civil et militaire, un suzerain universel, le Roi finit par s'imaginer qu'il était le propriétaire de la France ; ce que les barons de saint Louis n'eussent pas admis un seul instant. Puis, après s'être ainsi attribué le sol, il s'attribua les habitants d'une manière douce et engageante ; il se prit pour le père de ses sujets, comprenant la paternité selon le droit romain, et finit par croire de bonne foi qu'il avait sur eux les droits qu'un père avait sur ses enfants, au temps de Justinien.

Ces théories, qui entraînaient de graves conséquences, ne s'établirent pas aisément, et les bons esprits sentirent vite tout le danger qu'il y avait à laisser le Roi maitre de disposer de tout ou partie du royaume. La loi de succession au trône l'empêchait de le léguer par testament, comme on en vit ailleurs plus d'un exemple[27].

Mais on pouvait redouter les donations que ferait un prince de son vivant ; aussi l'inaliénabilité du territoire français était-elle réclamée par les progressistes, par les hommes politiques du temps. Les édits publics dans ce sens étaient reçus avec faveur par l'opinion, et enregistrés avec joie par le Parlement[28].

On distinguait le domaine de la couronne, que l'on appelait le domaine public, dont le prince n'était qu'usager[29], du patrimoine privé, qui lui appartenait en propre. Ce dernier mime, s'il avait été administré dix ans de suite par des officiers royaux, devenait, ipso facto, propriété de l'État.

C'est pourquoi les Rois ne se pressaient pas de réunir leurs fiefs personnels, quand ils en avaient, au domaine de la couronne. Henri IV laissa à la Navarre son autonomie, et nous voyons en 1623 les habitants de ce pays demander et obtenir des lettres de naturalisé pour jouir de la qualité de Français, comme eussent pu faire des Anglais ou des Espagnols[30].

La législation par laquelle un prince avait tant de peine à conserver sur le trône ses domaines privés, sans les réunir au domaine public, et à les en distraire, une fois qu'ils y étaient réunis, indique l'esprit de cette monarchie, où l'on pensait que c'était le Roi qui appartenait à la France, tandis que plus tard on dira que c'est la France qui est au Roi.

 

III

Situation du Coi dans l'État. — Son rite immense, ses prérogatives. —Hérédité et succession. — Régence et minorité. — La Reine et les parents du Roi.

 

A mesure que le pouvoir du prince s'était consolidé, sa situation dans l'État avait grandi, et tandis que ses devoirs et ses obligations s'étaient multipliés, la difficulté de les remplir avait proportionnellement augmenté pour lui. Son rôle personnel était immense, sa fonction gigantesque. Avec le ; grandes affaires que l'importance de son royaume au début du dix-septième siècle lui imposait, il avait gardé les petites, qui alimentaient les loisirs de ses prédécesseurs au moyen âge. La nomenclature des unes et des autres serait fastidieuse, et les empiètements journaliers de son administration tendaient sans cesse à accroître leur nombre. Il en résultait une responsabilité accablante pour le monarque, chaque jour plus incapable d'en supporter le poids avec un personnel de gouvernement fort restreint. Il est toujours périlleux pour un homme de n'avoir personne au-dessus de soi[31], surtout lorsqu'il commande à un peuple qui tient à le voir agir par lui-même[32].

Ceux qui acceptaient d'avoir un maitre voulaient au moins n'en avoir qu'un. Non-seulement tout devait se faire au nom du Roi, mais il devait paraître faire tout en personne. Les ministres n'ayant pas d'autorité propre, et personne n'en ayant en France que le Roi, il en résultait qu'il n'en avait plus réellement aucune, faute de pouvoir l'exercer efficacement[33].

C'eût été peu de chose encore, si le Roi avait eu connaissance des principales affaires, mais elles lui échappaient aisément. On le faisait parler comme on le faisait signer. Ah ! France, s'écrie Rapine, tu fais parler ton Roi lorsqu'il y songe le moins ; tout se fait par l'autorité de son nom, bien qu'il soit autant ou plus ignorant de ce qui se fait, que celuy qui n'en ouït jamais parler[34].

Avec cela, entouré d'une foule immense de courtisans et de domestiques qui ne l'entretenaient pas de ses affaires, mais des leurs. La chambre, le cabinet du Roi étaient fréquentés, comme une place publique, par le peuple choisi qui y avait accès[35]. Cet encombrement, c'était la gloire du monarque. Au baisemain du Roy d'Espagne et de l'Infante, dit Fontenay-Mareuil, il paraissait si peu de gens, que nous, qui estions accoutumés à ces confusions de France dans les moindres cérémonies, nous en trouvions surpris, cela ne répondant pas, ce nous semblait, à la grandeur d'un tel Roy[36].

La plus grande liberté régnait au Louvre, sauf pour le principal habitant, que l'on y gardait à vue. En toute chose, l'homme qui, de toute la France, avait le plus de peine à savoir la vérité, c'était son chef, dans les détails de la vie de famille comme dans l'ensemble des affaires d'État.

Son éducation première l'y préparait mal[37]. Dans les temps modernes pourtant, le Roi aurait dû s'instruire d'autant plus jeune, qu'il était censé gouverner dès l'instant de la mort de son père, fût-il encore en bas âge, comme Louis XIII ou Louis XIV.

On comprend, en effet, que plus les Rois accumulaient de forces entre leurs mains, plus leur mort créait un vide qu'on cherchait à combler sans aucun retard, l'interrègne entre un prince et un autre devenant difficile et périlleux. Dans les premiers temps, il y avait interrègne à la mort du Roi, il n'y avait plus de royauté, jusqu'à ce qu'un nouveau Roi ait été sacré. Les Rois anciens n'usaient pas de l'autorité royale avant leur sacre. Dans les anciennes minorités, le régent faisait toutes choses en son nom et sous son sceau. On rompait le sceau du Roi défunt, et on le jetait en l'inhumant dans sa sépulture[38].

Sous le règne de Charles V, en 1380, du consentement des pairs de France assemblés par lui pour donner ordre à la minorité de Charles VI, tout ce système fut remanié. On régla que toutes choses s'expédieraient sous le nom du Roi, quoique mineur[39].

A partir de cette époque, bien qu'il n'exerçât pas lui-même toute l'autorité, rien ne se fit pourtant qu'en vertu de son autorité et avec sa signature.

Ce système, qui diminua en apparence le pouvoir du régent, en changea seulement l'exercice. Au lieu de gouverner directement le royaume, il gouverna le Roi. Le régent fut ainsi, à l'égard du Roi, comme est aujourd'hui le premier ministre d'un monarque constitutionnel. Le Roi régna, le régent gouverna au nom du Roi. Mais le Roi devint responsable, et le régent cessa de l'être, système éminemment défectueux.

Le 18 juin 1643, nous voyons Louis XIV, âgé de quatre ans et huit mois, appuyer de son ordre personnel un règlement sur le fait des tailles, du 16 avril précédent, rendu sous le règne de son père, et qui n'avait pas encore été enregistré au Parlement[40]. Ces édits que l'on faisait signer par un Roi qui ne savait pas lire, ces lits de justice où le chancelier demandait à un enfant de cinq ans, porté dans les bras de son gouverneur, la permission d'opiner ou de prononcer un discours, étaient une comédie ; mais Cette comédie eût été justement la force de la monarchie, si l'on eût agi comme en Angleterre, où l'ou s'accorde à reconnaître le pouvoir héréditaire à un prince plus ou moins capable, pour la plus grande utilité de la nation, sous la réserve que ses ministres soient l'expression de la volonté nationale. Dans les conditions où elle se jouait, cette comédie soulevait de cives critiques. Il est sans exemple, dit Talon[41], qu'un Roi mineur, sous la régence de sa mère, puisse venir au Parlement faire vérifier des édits par autorité souveraine[42].

La régence, du reste, n'était, il faut le reconnaître, réglée par aucune loi écrite. Chaque prince en disposait à sa guise, en mourant, sauf à sa veuve ou à ses proches parents à faire changer, après sa mort, ses dispositions dernières.

Quand un Roi décédait, laissant un fils mineur, il fallait pourvoir au gouvernement du royaume et à l'éducation de l'enfant ; de là, deux fonctions : celle de tuteur du prince, celle de régent du pays. Elles devinrent inséparables depuis l'époque où le Dauphin fut Roi, à l'instant de la mort de son père, parce que la tutelle d'un prince régnant est une' véritable régence. Son tuteur légal (sa mère si elle vivait) fut le régent nécessaire. Une position de famille conféra ainsi un droit politique.

Ce système n'était pas incompatible avec le régime d'autrefois. Ceux qui touchaient de si près au souverain devaient nécessairement avoir une grande place dans la monarchie. Ainsi, les affaires particulières de la famille royale étaient les premières de l'État. Chacun se mêlait des rapports les plus intimes du Roi avec la Reine[43], et il n'en était pas ainsi seulement en France, mais dans tous les pays de l'Europe, tellement cela paraissait naturel dans les monarchies de ce temps[44].

Parmi les conseils que Richelieu donne au Roi pour le gouvernement de son royaume, figure en première ligne la conduite qu'il doit garder vis-à-vis de son frère. Nous voyons Louis XIII faire des déclarations publiques successivement pour ou contre Gaston d'Orléans, et l'accabler tour à tour des reproches les plus vifs et des témoignages de satisfaction les plus tendres ; donnant chaque fois à son peuple les motifs détaillés de ses éloges ou de ses blâmes[45].

 

IV

Titres et attributs royaux. — Les princes de l'Europe. — Préséance entre eut. — Traitement et rang de leurs ambassadeurs. — Langue diplomatique.

 

Les titres portés par le Roi avaient grandi avec sa puis-sauce. Au moyen âge, le monarque n'en avait pas d'autres que les simples gentilshommes. Comme eux, on l'appelait seigneur ou sire, ce qui dans le principe fut équivalent. — Quelques chevaliers sont plus connus historiquement sous cette dénomination de sire que sous celle de seigneur (le sire de Couci, le sire de Joinville), mais elle ne veut rien dire de plus. Seigneur et sire sont synonymes, comme monseigneur ou messire[46].

L'usage ayant cessé ensuite, pour les nobles, de se qualifier de sire, le Roi garda cette appellation, qui lui devint propre et le distingua. A la même époque, on lui disait Votre Excellence. Le titre d'excellence, au contraire du titre de sire, se vulgarisa ; le Roi prit celui d'altesse, et le garda fort longtemps. Les autres Bois s'en contentaient également[47].

Au seizième siècle, dit Richelieu, le titre de Majesté n'était pas en usage entre les Rois. On ne se servait que du titre de Sérénité, ou de Grandeur, depuis que l'Empire avait été joint à l'Espagne, et qu'on avait recherché des titres nouveaux. Depuis ce temps-là, le nom de Majesté, quine se donnait qu'à l'Empereur, par ses sujets seulement, fut usurpé par la maison d'Espagne. Les Rois, qui sont empereurs en France, s'en firent aussi appeler, et ensuite les autres Rois de la chrétienté, jusqu'aux moindres, en se parlant les uns aux autres[48].

L'Empereur rétablit la distance entre lui et eux, en se faisant appeler : Majesté sacrée, en quoi l'Espagne encore l'imita. On ne peut prévoir où cela se serait arrêté, si nos Rois ne s'étaient contentés de la Majesté simple[49].

Ils avaient mis la même émulation à conquérir les autres insignes qui les plaçaient hors de pair avec la noblesse. Telle était la couronne dont ils timbraient leur écu. Ce ne fut que par degrés qu'ils arrivèrent à l'ancienne couronne impériale (portée seulement depuis François Ier)[50].

Ces changements successifs avaient toujours pour but de s'élever au-dessus des grands seigneurs, qui, de leur côté, cherchaient d'une liait à se surpasser les uns les autres, de l'autre à s'égaler au Roi.

Dans les rapports avec les princes étrangers, le monarque n'est pas moins chatouilleux sur ses titres. Une négociation avec la Pologne est Suspendue quelque temps, en 1629, parce que Charnacé[51], notre ambassadeur, se plaint de ce qu'on ne donne pas à son maître le titre de très-puissant, comme le portait la lettre qu'il avait de Sa Majesté pour le Roi de Pologne[52].

Les Anglais prétendirent, en 1625, ne donner en français, à notre Roi, que le titre de Roi très-chrétien, bien qu'ils lui eussent toujours donné en latin celui de Francorum Rex. Pour faire insérer ces mots de Roi de France et de Navarre dans le traité de mariage de Henriette-Marie, il fallut des volumes de correspondance[53].

En général, sauf pour la France et l'Angleterre, les titres en Europe étaient conférés par l'Empereur, qui seul accordait même celui de Roi[54]. C'est l'Empereur qui avait fait presque tous les princes existants, depuis le Roi de Bohême (1092) jusqu'au duc de Florence, Médicis (1531). L'offre d'une couronne, par l'Empereur, à un prince indépendant, n'avait souvent d'autre but que de placer celui qui l'acceptait, dans une sorte de vassalité à son égard. L'Empereur Sigismond s'imagina faire Roi le duc de Lituanie et lui envoya la couronne royale, mais celui-ci la refusa.

Le pouvoir de faire des Rois, comme il créerait des comtes, était du reste vivement disputé à l'Empereur par le Pape, qui avait la prétention de les faire, aussi bien que celle de les défaire. C'est le Pape qui donna au duc de Pologne le titre royal ; il est vrai que l'Empereur s'empressa de lui envoyer en même temps la couronne[55].

Au sommet de la hiérarchie européenne, de ce qu'on nommerait aujourd'hui le concert européen, paraissent le Pape et l'Empereur, toujours prêts à entrer en conflit, jusqu'aux temps modernes. Ce dernier consentait pourtant à s'humilier devant le successeur de saint Pierre ; il lui rendait hommage de la façon la plus solennelle, par l'ambassade d'obédience que chaque nouvel élu devait envoyer à Rome[56].

De tous les souverains, l'Empereur était le premier en dignité, et le moins puissant en réalité. Seul, il portait ce titre de l'ancienne Rome, que le Pape, propriétaire de la cité d'Auguste, avait trouvé dans les dépouilles de César, et dont il avait fait cadeau à Charlemagne, en échange de quelques territoires. Il n'y avait au monde qu'un Empereur ; aussi le désignait-on seulement ainsi : l'Empereur. Bodin dit que le grand-duc de Moscovie Fe qualifie grand Empereur, bien qu'il ne soit appelé que duc par les autres. Ces seigneurs exotiques ne comptaient pas. Mais la dignité impériale, avec ses aigles, son globe terrestre et son manteau, ne rapportait pas un sou, ne procurait pas un village. Quand un prince se révoltait en Allemagne, l'Empereur n'avait d'autre arme contre lui que de rendre un décret et de mettre le sujet rebelle au ban de l'Empire[57].

Après l'Empereur, venait immédiatement le Roi de France, puis le Roi d'Espagne, le Roi d'Angleterre, et les autres souverains indépendants. Ils étaient peu nombreux. Il n'y avait pas longtemps que les premiers seigneurs des nations d'Europe avaient cessé d'être tous plus ou moins suzerains et vassaux à la fois les uns des autres, se devant mutuellement hommage pour quelques terres qu'ils possédaient ou avaient possédées jadis[58]. Peu à peu ces suzerainetés, devenant purement nominales, s'effacèrent, et il s'établit en principe qu'un prince souverain possédait souverainement tout ce qu'il possédait. Mais en 1620, il y avait dans la souveraineté bien des degrés, depuis le souverain absolu jusqu'au gentilhomme titré. Bodin en compte six principaux[59]. Presque tous les États d'Italie rentraient dans la catégorie des vassaux souverains. Milan, Mantoue, Modène, Florence, étaient vassaux de l'Empereur ; Sienne et Naples, de l'Espagne ; Ferrare et Parme, du Pape. Le titre de Roi n'excluait pas la dépendance. La Sardaigne était un fief de l'Église. Le titre de Roi de Sardaigne était donc une pure vanité, puisque celui qui possédait cette ile comme Roi, en rendait foi et hommage lige au Pape, et se trouvait, par conséquent, beaucoup moins souverain qu'un duc de Modène ou de Mantoue[60]. Quand le duc de Savoie cherchait à obtenir le nom de Roi, but de ses efforts pendant des siècles, Richelieu ne voulait lui concéder ce titre (Roi de la haute Ligurie) qu'à la condition de faire au Roi de France l'hommage de la Savoie, le constituant ainsi en meule temps Roi et vassal de Roi[61].

De toutes ces grandes maisons, demi-souveraines, qui entouraient la France et gravitaient autour de son monarque, les unes sont éteintes, les autres sont montées. Les petits princes d'alors ont fait souche de Rois puissants. Plusieurs sont aujourd'hui sur des trônes. Les fils du duc de Lorraine sont Empereurs d'Autriche ; ceux du duc de Savoie, Rois d'Italie ; ceux du prince d'Orange, Rois d'Angleterre et des Pays-Bas. Le duc de Moscovie est l'Empereur de toutes les Russies ; le marquis de Brandebourg est l'Empereur d'Allemagne, et le fils du Roi de France, qui les traitait tous de si haut, vit en simple particulier, hors de sa patrie. Des souverains de ce temps, pas un ne peut voir ses héritiers mâles sur son trône.

Nous avons dit que la France prétendait passer immédiatement après l'Empire. Ce rang lui fut longtemps contesté par l'Espagne. En plusieurs occasions, nous nous résignâmes à marcher de pair avec elle[62]. Les autres nations cédaient sans conteste le pas à celles-ci. Le Roi de Pologne donne de la Majesté au Roi de France, et non au Roi d'Angleterre. Il met le nom du Roi de France avant le sien, ce qu'il ne fait pas en écrivant au Roi d'Angleterre[63]. La Reine Marie de Médicis, même exilée, conservait sa distance avec la Reine bohème, qui la traitait de Majesté, et à qui elle ne répondait que : ma fille[64]. Le duc de Savoie, pour saluer le Roi de France, met le genou en terre[65]. Le prince palatin, le duc de Wurtemberg et les autres seigneurs d'Allemagne lui écrivent dans les mêmes termes que ses sujets français[66].

Les ambassadeurs, représentant la personne de leurs mitres, avaient entre eux le même rang. Celui de l'Empereur prenait le pas sur tous[67]. Tous étaient reçus dans les divers États avec des honneurs inconnus dé nos jours. La présentation actuelle des lettres de créance ne rappelle en rien ces cavalcades, ces successions de carrosses qui les accompagnaient à leur entrée. Ils y répondaient eux-mêmes par une représentation considérable. Leurs audiences ordinaires, qu'ils avaient au Louvre de quinze en quinze jours, étaient des cérémonies imposantes[68]. Les moindres détails en étaient réglés. Tous se couvraient devant les princes, et ce droit était si important, qu'on craignit, en 1629, de faire couvrir l'ambassadeur de Gênes, parce que c'eut été abdiquer la souveraineté que le Roi y prétendait[69]. Ces nuances entre eux variaient à l'infini, et changeaient selon la puissance du souverain qui les envoyait[70].

Nous paraissions loin encore en 1620 du moment où la langue française deviendrait la langue internationale de la diplomatie. Le latin commençait à n'être plus en vigueur et à se corrompre. L'italien s'était répandu, grâce à la mode, et l'espagnol, grâce aux victoires de Charles-Quint. L'Europe flottait indécise entre ces divers idiomes. A Ratisbonne, en 1630, les négociateurs allemands n'entendaient pas le français ; ils rédigèrent le traité en latin, en y mettant des locutions et élégances, qui retenaient du haut allemand[71]. L'ambassadeur de France à Vienne (1629) présente ses demandes à l'Empereur en langue italienne[72]. On dit à notre ambassadeur en Pologne que le Roi ne comprend pas le français, ni le chancelier non plus, et on lui demande de parler italien ou espagnol, puisqu'il savait ces deux langues[73]. Les princes même qui savaient le français refusaient de s'en servir officiellement. Le Roi d'Angleterre parle à notre ambassadeur par truchemen, façon non usitée par lui ni par son père et par la Reine Elisabeth, parce qu'ils parlaient tous trois très-bon français. Chez la Reine, au contraire, dans l'intimité, Charles Ier parle français à notre représentant. Pourtant il reprend l'usage abandonné depuis trente ans, d'écrire en latin au Roi de France[74].

 

 

 



[1] Esprit des lois, p. 270. (Édition Didot en un vol.) Voltaire, dans son Commentaire de Montesquieu, selon son habitude de voir les choses par le côté plaisant, le raille ainsi : Est-il possible qu'en effet la chambre des Pairs, celle des Communes, la cour d'Équité, celle de l'Amirauté, viennent de la forêt Noire !... Pourquoi n'avoir pas trouvé plutôt la Diète de Ratisbonne que le Parlement d'Angleterre, dans les forêts d'Allemagne ! Ratisbonne doit avoir profité plutôt que Londres d'un système trouvé en Germanie. Il n'y a qu'une réponse à faire à Voltaire : c'est que Ratisbonne a profité autant que Londres. On n'a pas trouvé seulement le Parlement d'Angleterre, on a trouvé aussi la Diète d'Allemagne dans la forêt Noire, et sans aucun doute les Plaids et les Champs de mai de la France, sous les deux premières races. Ces recherches, du reste, sont inutiles, et Voltaire est mieux inspiré quand il s'écrie : On n'a perdu que trop de temps à descendre dans ces abîmes de ruines.

[2] Tel était l'objet de la controverse historique soutenue avec beaucoup d'animosité au siècle dernier, par deux partis dont l'abbé Dubost et le comte de Boulainvilliers étaient chefs.

[3] Il semblerait, à la façon dont les historiens justifient l'action de Hugues Capet, qu'ils ont estimé qu'il reste encore aujourd'hui quelqu'un de la postérité masculine de Charlemagne auquel nus rois, en bonne justice, devraient céder leur royaume. (Comte DE BOULAINVILLIER, Ancien Gouvernement de la France, I, 189.)

[4] Qu'on nous permette ce néologisme, qui nous parait justifié par le bon sens. Puisqu'on a abandonné l'adjectif carlovingien pour le remplacer par celui de carolingien, il nous semble qu'on peut pousser jusqu'au bout la réforme, en supprimant le radical g comme on a supprimé le radical v, qui n'ont pas de raison d'être. On ne dit pas les Capévingiens. BODIN, dans sa République, appelle les rois caroliens : les Carlingues, ce qui n'est pas plus rationnel.

[5] Nom qu'il conserva toujours.

[6] Elle s'observait encore à la fin du seizième siècle. (BODIN, République, p. 984.) En Danemark, en 1559, on empêcha le sacre du Roi jusqu'à ce qu'il eût promis de maintenir les droits anciens du pays.

Ce fut pour la première fois, au sacre de Louis XV, qu'on dérogea à l'usage français, consistant à laisser entrer les bourgeois et les artisans au sacre de Reims, et à demander leur assentiment avant l'onction royale. (DUCLOS, Mém. secrets, 597.)

[7] Cette forme d'élection était à peu près la même dans toute l'Europe féodale. En Aragon, un personnage qu'on appelait la justice d'Aragon disait au Roi en le reconnaissant : Nous qui valons autant que vous, et pouvons plus que vous, nous vous élisons Roi, à telles et telles conditions. (BODIN, République, p. 130.) L'usage demeura en vigueur en Espagne, alors même qu'il n'était plus qu'une comédie, comme en France, et que celui qui la jouait était choisi et destitué à volonté par le Roi.

[8] Le Roi, dit Mézerai, ayant remontré les grands services que son fils avait rendus à l'État, les pria tous en général, et chacun d'eux en particulier, de reconnaître Philippe son fils ainé pour successeur, et de lui prêter serment, ce qu'ils firent tous d'une voix unanime.

[9] Les formules d'élections furent cependant conservées, et le droit héréditaire se montrant à côté d'elles, les unes et les autres réunies dans le même acte offraient l'assemblage le plus bizarre.

[10] La Monarchie française, par le comte DE MONTLOSIER (1820).

[11] BOURGOIN, Chasse aux larrons, publiée en 1624, p. 73. On disait, pour justifier cette théorie, que le Roi était dans une minorité perpétuelle quand il y allait de son intérêt. O. du 30 juin 1639. Mss. Godefroy, CXXX V, 30.

[12] République, p. 282 (publiée en 1580). C'est le système de la monarchie constitutionnelle, qui se trouve, comme on le voit, dans Aristote.

[13] République, p. 273 et 279.

[14] République, p. 1013.

[15] Considérations sur l'histoire du tiers état, p. 35.

[16] Notre chose publique, disait-il, a duré onze cents ans, dans son état primitif, et elle a prévalu, même à force ouverte, et par les armes, contre la puissance des tyrans.

[17] Sermon de J. Boucher, 1594. (Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue. — Labitte.)

[18] A Reims notamment. Édit de janvier 1636.

[19] Discours sur Tite-Live. (Discours I, n° 16.)

[20] La religion est frein, parce qu'il est loisible à chacun, prélat ou autre homme religieux bien vivant, de lui remontrer et increper, et à un simple pécheur, le reprendre et argüer publiquement et en sa barbe ; et le Roi ne l'oserait maltraiter pour cela, ni lui méfaire, encor qu'il en eut volonté, pour non provoquer la malveillance et indignation du peuple. Par la justice, Seyssel entend les parlements et leur autorité par la police, les ordonnances mêmes des Rois, qui ont été gardées par si longtemps, et conclut que cette modération et refrénation de la puissance absolue des Rois est à leur grand honneur et profit. (La Grant Monarchie de France, par messire Claude DE SEYSSEL, publ. en 1541, p. 12)

[21] Les preuves en abondent Arrêt de 1166, par lequel le Roi est condamné à payer à son curé la dixme des fruits de son jardin. Arrêt de 1419, qui déboute le Roi des lettres de restitution qu'il avait obtenues, pour couvrir les défauts acquis contre lui. Arrêt du Parlement contre Charles VII, par lequel il est condamné à souffrir qu'on coupât les bois qu'il avait près de la ville de Paris, pour l'usage public en Général et de chacun en particulier, et qui plus est, le prix lui fut taxé par l'arrêt. (BODIN, République, p. 153.) Le droit public était le même chez nos voisins. En Angleterre, en Espagne, les tribunaux jugeaient les différends entre le Roi et le peuple. (Ibid., p. 130.)

[22] Y a-t-il Roy ne seigneur sur terre, disait Philippe de Commines à la fin du quinzième siècle, qui ait pouvoir, outre son domaine, de mettre un denier sur ses sujets, sans octroy et consentement de ceux qui le doivent payer, sinon par tyrannie ou violence ?... Nostre Roy est le seigneur du monde qui moins a cause d'user de ce mot : j'ay privilège de lever sur mes sujets ce qui me plaît, car ny luy ny autre l'a, et ne luy font nul honneur ceux qui ainsi le dient pour le faire estimer plus grand, mais le font haïr et craindre aux voisins, qui pour rien ne voudraient estre sous sa seigneurie. (Mém. de Philippe de Commines, ann. 1477, édit. Michaud, p. 132 et 133.)

[23] BOULAINVILLIERS, Ancien Gouvernement, t. II, p. 185.

[24] On dit, remarque Bodin, que le Roi d'Angleterre ne peut lever subsides sans consentement du Parlement (1580) ; mais les autres Rois n'ont pas plus de puissance que lui. Il n'est en la puissance de prince du monde de lever impôt à son plaisir sur le peuple, non plus que de prendre le bien d'autrui, comme Philippe de Commines remontra sagement dans les Etats tenus à Tours, en 1485. (BODIN, République, p. 140.)

[25] Le président Labarre écrit en 1622 : Ne se peuvent faire levée de deniers sans convention des trois ordres qui y ont intérêt, et de leur consentement ; autrement les levées seraient exactions et soustractions de l'autruy, tenues à restitution, voires jusques ad ultimum quadrantem. (ROBILLIARD DE BEAUREPAIRE, Cahiers des États de Normandie, t. III, p. 10.)

[26] La distinction de la souveraineté et de la seigneurie se retrouvait encore dans le budget, partagé en revenus ordinaires, comprenant le domaine du Roi, et extraordinaires, comprenant tous les autres impôts. Et la démarcation entre les deux branches de recette était si entière, que par domaine on n'entendait pas seulement les bleus, meubles et immeubles, on entendait encore tous les droits seigneuriaux, ces droits que chaque seigneur avait autrefois sur sa terre, et que seul le Roi avait gardés par devers lui : droits de régale, de fabrication des monnaies, de resves, haut passage, aubaine, amortissement, franc-fief, etc.

[27] Sans parler du Roi d'Espagne, sous Louis XIV, on pourrait citer, sous Louis XIII, le duc de Poméranie, laissant par testament son pays à la couronne de Suède, qui s'en mit en possession, malgré les prétentions de l'électeur de Brandebourg, son plus proche parent. (Mémoires de Monglat, édit. Michaud, p. 52.)

[28] Le domaine de la couronne ne peut être aliéné qu'en deux cas, dit Charles IX... (pour apanage des Fils de France et pour rançon du Roi). Le domaine de notre couronne est entendu celui qui est expressément consacré, uni et incorporé à notre ronronne, ou qui a été tenu et administré par nos receveurs et officiers, pendant l'espace de dix ans, et est entré en ligne de compte. (Édit de février 1566, daté de Moulins.)

[29] BODIN, République, p. 760.

[30] Plumitif de la Chambre des comptes, p. 2756, fol. 333. Par une déclaration de 1585, Henri III ordonne expressément que la baronnie de Coucy et le comté de Soissons, possédés par lui avant son avènement à la couronne, n'y fassent pas retour, mais appartiennent à Claude de France, sa fille unique.

[31] Henri IV avait la notion de ce danger, lorsqu'un jour, faisant donner le fouet au Dauphin, la Reine lui dit : Ah ! vous ne traiteriez pas ainsi vos bâtards ! — Pour mes bâtards, répondit-il, il les pourra fouetter s'ils font les sots, mais lui, il n'aura personne qui le fouette. (TALLEMANT, Historiettes, t. I, p. 85.)

[32] En 1629, lorsque le Parlement refusa d'enregistrer l'ordonnance Michaud, un conseiller nommé Thélis, fils du procureur de la cour, dit qu'il ne fallait pas tirer conséquence du règne du feu Roi, à celui de Louis XIII, parce que le feu Roi savait ce qu'il commandait et le faisait de lui-même, qu'à présent il fallait faire tout ce qui plaisait au cardinal et eu garde des sceaux. (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 589, édit. Michaud.)

[33] Comme la moindre lettre patente, le moindre brevet devaient être signés de lui, sa journée se serait consommée en signatures, sans on ou plusieurs commis qui avaient ce qu'on nommait la plume ou la main du Roi, et qui signaient à sa place ce que présentaient les secrétaires d'État. En Espagne, à la même époque, le Roi commençait à ne plus signer lui-même ; une griffe nommée l'estampille, imitant exactement sa signature, était appliquée sur les actes publics par un secrétaire du cabinet.

[34] Florimond RAPINE, Relation des états généraux de 1614, p. 472.

[35] Il y avait souvent tant de monde, que dans les audiences du Parlement, le premier président et les députés ne pouvaient avancer qu'un à un, au milieu de la presse, vers la chaire du Roi. (Voyez Conseil secret du Parlement, X1 a, 8337, 1642.)

[36] FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, édit. Michaud, p. 53.

[37] La Porte (*) raconte dans ses Mémoires qu'on l'empêchait de lire l'histoire de France à Louis XIV enfant ; que le catéchisme royal de Godeau, évêque de Grasse, donné au prince, disparut aussitôt de sa chambre.

* Pierre de la Porte, né en 1603, d'une famille stable, dont un des membres avait dérogé. — 1621, porte-manteau de la Reine, éloigné (1624) après le voyage de Buckingham en France, fait la campagne d'Italie, dans la compagnie de gendarmes de la Reine mère (1631) ; rentre en charge, est mis à la Bastille (1637) pour l'affaire du Val-de-Grâce, et en sort au bout d'un an. Devint, en 1643, premier valet de chambre du Roi, par la protection d'Anne d'Autriche († 1680). Il avait épousé Françoise Cottignon de Chauvry. Son fils, Gabriel de la Porte, mourut doyen du Parlement de Paris.

[38] Archives nationales, Mss KK 6 4. Bodin dit la même chose : Dans les minorités jusqu'à Charles V, les édits, ordonnances et lettres patentes étaient signés des régents, en leur nom et sous leur scel. (République, p. 125.)

[39] L'ancien usage français, qui s'était conservé dans d'autres pays, nous donne la mesure du pouvoir d'un régent, avant les restrictions qu'on y mit. En Allemagne, par exemple, en 1614, l'électeur palatin étant mineur (au-dessous de dix-huit ans), son oncle le duc des Deux-Ponts était tuteur, ou mieux administrateur. Il gouvernait et faisait toutes choses comme s'il avait été électeur, marchant même devant l'électeur, quand ils se trouvaient ensemble, les lois lui donnant ce privilège tant que la tutelle dure. (FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 70.)

[40] Celui-ci, du reste, se sentit Roi dès le berceau. On le mena, après son baptême, dans la chambre de Louis XIII, qui lui demanda comme il avait nom. Il répondit : Louis XIV. Sur quoi, le Roi répliqua : Pas encore, pas encore. (MONGLAT, Mémoires, p. 136.)

[41] Mémoires, édit. Michaud, p. 129. — Omer Talon, né en 1595, d'une-ancienne famille de robe, originaire d'Irlande, fut avocat au Parlement, 1613, avocat général, 1631, premier avocat général, 1641. Il acheta en 1639 la terre de l'Estang, pris de Saint-Cloud, dont il fut exempté de payer les droits seigneuriaux. Tallemant dit que sa femme le faisait bien souvent enrager. Elle mourut, dit G. Patin (Lettres, t. III, p. 646), en 1667, laissant dans sa maison un grand procès, pour avoir fait un insigne avantage par son testament à une de ses filles, aux dépens des autres enfants. Orner Talon était mort en 1652, laissant un fils, Denis, né en 1628, qui fut président au mortier en 1690 († 1698). Il avait épousé mademoiselle Favier du Boulay.

[42] Le chancelier répliqua qu'il était important au bien de l'État que la Reine eût la même autorité que le Roi majeur, que les princes du sang y consentaient, et qu'il n'y avait personne ?i pouvoir s'y opposer. Ainsi l'on pensait que c'était une affaire de famille, où le pays n'avait rien à dire.

[43] Voyez le très-curieux ouvrage de M. A. BASCHET, le Roi chez la Reine.

[44] Voyez RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 411, sur l'intervention de Buckingham dans les rapports de Charles Ier avec Henriette-Marie.

[45] Le mariage des princes du sang était naturellement aussi une question politique. Henri III n'ayant point d'enfants, c'était une question du temps s'il devait laisser marier M. le duc d'Alençon, ou non.

[46] On voit souvent le titre de seigneur et de monseigneur donné aux Rois. Dans les actes publics, arrêts du Parlement et autres, on dit, en parlant du Roi : Ledit seigneur. Le Roi lui-même, parlant du Roi son père, disait : Notre très-honoré seigneur et père. C’est une ignorance ridicule, dit Le Laboureur, d'avoir voulu restreindre cette sirerie, et même de l'avoir distinguée de la seigneurie, sirerie et seigneurie n'étant qu'une même chose. (Archives nationales, registre KK, 624, fol. 200.)

[47] Au milieu du seizième siècle, le Roi d'Angleterre était encore traité d'Altesse. (Mémoires de lord Herbert CHERBURY, trad. Baillon, p. 8.)

[48] Sauf les électeurs de l'Empire, qui ne voulurent point changer avec le Roi cette formule : Votre royale dignité, Bavière seul donna au Roi de la Majesté. Quant à l'Empereur, il ne donnait à nos Rois que le titre de Sérénité. Ceux-ci refusèrent, par contre, de lui donner de la Majesté, jusqu'à ce qu'on les eût persuadés de le faire, par espérance d'une réciprocité qui ne vint pas. L'Empereur donnait pourtant le titre de Majesté aux ducs de Saxe et de Bavière, qui l'avaient extorqué de lui. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 85.) A la même époque, les Italiens nous apportèrent l'usage de demeurer la tête découverte.

Ce ne fut qu'au dix-huitième siècle, sous la régence du due d'Orléans, que le titre de Majesté fut reconnu par la Francs au Roi de Danemark. (DUCLOS, Mémoires, p. 528.)

[49] Il n'y avait en France que la Reine mère et la Reine qui pussent se dispenser de le traiter de Majesté. La première l'appelle simplement : Monsieur mon fils ; encore termine-t-elle ses lettres par cette formule : Votre très-humble et très-affectionnée mère et sujette. La seconde l'appelle : Monsieur, et se qualifie Votre très-humble et très-fidèle servante et sujette. Gaston, son frère, le traite de Monseigneur, de Votre Majesté, et se dit Son très-humble et très-obéissant serviteur et sujet. Les sœurs du Roi, fusent-elles Reines, ne croient pas pouvoir se dispenser de ces termes de Majesté. Quant à ses ours naturelles et aux autres Filles de France légitimées, elles lui écrivent comme ses sujets ordinaires. (Archives nationales, reg. KB, 1355, fol. 16 à 32.)

[50] Jusque vers 1350, et même sous le roi Jean, la couronne royale est, à peu de chose près, la couronne actuelle de marquis, à trois fleurons ou trois fleurs de lys, séparés par un intervalle vide. En 1520 environ, sous Charles VI, entre les trois fleurons se placent trois perles à peu près de mène hauteur. Vers la fin du quinzième siècle, on voit apparaitre la couronne à cinq fleurons, aujourd'hui couronne ducale. Louis XII porta souvent le bourrelet ou mortier sans couronne, et son successeur est le premier que l'on voit habituellement représenté avec la ronronne royale actuelle, fermée. On le constate dans les monnaies et les médailles. Du reste, les couronnes variaient à l'infini, mais se rapportaient à peu près à ce type. (Voyez LE BLANC, Traité historique des monnaies.) RENAULDON, Dictionnaire des fiefs, dit que Charles VII fut le premier Roi qui porta la couronne fermée, mais l'usage n'en fut pas adopté alors.

[51] Hercule-Girard, baron de Charnacé (ou Charnassé), d'une famille parlementaire de Bretagne. Gentilhomme de la maison de Richelieu, marié dans celle de Brézé. Diplomate éminent, dévoué au cardinal. Tué au siège de Breda, en 1637. Maréchal de camp.

[52] Mémoires, t. II, p. 71.

[53] Il n'en fallut pas moins pour empêcher, vers le même temps, le Roi d'Angleterre de prendre les titres de Roi d'Irlande et de Défenseur de la foi, titres portés aujourd'hui encore par la Reine d'Angleterre. On objectait, en France, que l'Irlande n'étant point un royaume, mais une simple seigneurie, on ne pouvait s'en qualifier que seigneur. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p.87 ; et BRIENNE, Mémoires, p. 33.)

[54] L'Empereur fait duc de Savoie le comte Amédée en 1416 ; duc de Clèves, A. de la Marck (1417) ; duc de Modène, Borso d'Este (1452). Le seigneur de Milan lui paya 100.000 livres en 1328, pour obtenir le titre de prince, et 100.000 florins en 1397, pour avoir celui de duc. Par lui, Frédéric de Gonzague fut fait (1433) prince du Saint-Empire, puis (1530) duc de Mantoue. Il créa princes les Nassau, en 1366, les Hohenzollern, en 1623.

[55] BODIN, République, p. 81. Cette prétention du Pape n'était pas reconnue partout. En France, par exemple, quand il déclara (1588) le Roi de Navarre incapable de la couronne, ou se demanda si c'était à lui de la donner ou de l'ôter (HUBAULT, Libre et excellent discours, p. 62.) Mais en Espagne, le Roi désirait que le titre de Monarque et Empereur des Indes lui fût donné par le Pape, espérant ainsi avoir préséance pardessus les autres Bois, et ôter la préséance au Roi de France Le gouvernement de Louis XIII montra beaucoup d'ardeur à faire échouer cette tentative. (Lettres et papiers d'État de Richelieu, t. II, p. 67.)

[56] L'ambassadeur tenait au Pape le langage suivant : X..., Empereur des Romains, m'envoie pour rendre à Voile Sainteté l'hommage d'obédience et d'humilité que ses prédécesseurs ont toujours rendu aux vôtres. Donc, prosterné aux pieds de Votre Sainteté, et les baisant humblement, j'offre et consacre à Votre Sainteté et au Saint-Siège apostolique le royaume, les biens et le pouvoir de mon invincible maitre. (RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 197.)

[57] Puis il chargeait plus spécialement tel ou tel d'exécuter le ban impérial. Ce pouvoir assez mesquin, ses rivaux cherchaient encore à le diminuer. Richelieu propose, en 1639, aulx électeurs, que les empereurs ne puissent employer les forces de l'Empire sans une diète, qu'ils ne puissent, sans une diète, mettre aucun prince au ban impérial, et le priver de son fief. (Lettres et papiers de Richelieu, t. VI, p. 461.)

[58] La Flandre et l'Artois, appartenant à l'Espagne, devaient l'hommage à la France ; l'Angleterre, l'Aragon, la Hongrie, le devaient au Pape, Le Roi de France, Charles VI, avait accepté le titre de Vicaire perpétuel de l'Empire, pour le Dauphiné et la Provence (titre porté par les électeurs) ; et les Impériaux prétendaient que ces provinces étaient tenues de l'Empire. Il est certain que Philippe le Hardi avait acheté de l'Empereur le royaume d'Arles pour 300.000 marcs d'argent, et que cette cession n'emportait pas la souveraineté.

[59] Le prince tributaire, protégé, c'est-à-dire sous la protection d'un autre ;souverain d'un pays, et néanmoins vassal d'un autre prince ;vassal simple, mais non sujet de son suzerain ;vassal lige, mais non sujet ;vassal et sujet naturel de son suzerain dont il est justiciable. Rien de semblable, on le voit, n'existe aujourd'hui, sauf pour la Serbie. Les princes sont tous indépendants les uns des autres. Il n'y a en Europe que des monarques et des sujets.

[60] RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 384. — En 1638, le duc de Modène refusa l'échange de son duché contre la Sardaigne.

[61] Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 671.

[62] En 1628, où la flotte d'Espagne dut se joindre à la nôtre contre les Rochelais, aucune des deux ne voulant céder à l'autre le commandement de la première semaine, Richelieu proposa de tirer au sort la préséance, à Madrid, entre le ministre Olivarès et notre ambassadeur du Fargis (*), ou plutôt de faire semblant de tirer au sort, mais de s'arranger de manière que le sort favorisât la France. Il n'y aura, écrivait-il, que vous deux dans le secret, et la postérité verra par là que le sort seul aura décidé de la préséance. (Lettres et papiers d'État, t. III, p. 15.)

* Charles d'Angennes, comte du Fargis, cousin germain du marquis de Rambouillet, ambassadeur en Espagne, 1626 à 1630 ; marié à Madeleine de Silly, dame de la Rochepot, plus tard emprisonné à la Bastille ; † 1640.

[63] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 72.

[64] RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 308.

[65] RICHELIEU, Mémoires, t. Ier, p. 167.

[66] Immédiatement après les têtes couronnées venait Venise, puis Gènes, Florence, Ferrare, Mantoue, etc.

[67] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 361. Une dépêche de ce temps nous apprend que la préséance du nonce sur-les autres ambassadeurs, aujourd'hui admise dans les capitales où il s'en trouve, n'était nullement reconnue alors, mais que le Pape cherchait à l'établir. (Lettres et papiers d'État, t. VII, p. 379.)

[68] PONTCHARTRAIN, Mémoires, p. 470.

[69] BASSOMPIERRE, Mémoires, p. 293, édit. Michaud.

[70] C'est ainsi qu'en 1617 on modifia la forme de réception des ambassadeurs des électeurs en la rendant plus conforme à leurs dignités. (Lettres et papiers d'État, t. VII, p. 918.) Les diplomates étrangers, résidant à l'ordinaire, étaient d'ailleurs peu nombreux. Le Roi de France n'avait pas de ministre en Pologne ni en Suède, et les Rois de Pologne et de Suède n'en entretenaient pas à Paris. Des missions temporaires suffisaient. D'ailleurs, le Roi de Suède avait un ambassadeur en Hollande, qui plus d'une fois traita en son nom avec nous. (RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 70, 76, 78.) Le Grand Seigneur, ainsi qu'on nommait le Sultan, ne nous en envoyait pas non plus, bien qu'il y mit près de Sa Hautesse un ambassadeur de France. (Ibid., t. II, p. 576.)

[71] Lettres et papiers d'État, t. III, p. 940.

[72] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 105.

[73] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 70.

[74] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 84. — On regarda comme un triomphe pour nous, en 1619, que le général espagnol ait consenti à rédiger un traité en français, contre l'ordinaire de sa nation. (Ibid., t. Ier, p. 611.)