PRÊTRES, SOLDATS ET JUGES SOUS RICHELIEU

 

LA JUSTICE.

CHAPITRE II. — PRÉSIDIAUX, SÉNÉCHAUSSÉES, JUSTICES ROYALES ET SEIGNEURIALES.

 

 

Nombre et répartition des présidiaux sur le territoire français. — Leur compétence. — Création de nouveaux sièges sous Louis XIII. — Les anciens bailliages et sénéchaussées ; leur maintien constitue un encombrement. — Composition de ces tribunaux ; sénéchaux gentilshommes ; trop de jures, cumul de plu- sieurs charges. — Les parquets, avocats du Roi. — Relations des présidiaux avec les parlements, les municipalités ; disputes intestines. — Prix des offices et leurs gages. — Le budget de la justice en 1640. — Juridictions subalternes ; justices communales. — Hautes justices des seigneurs ; nombreux inconvénients ; personnel médiocre. — Leurs rapports avec l'État. — Duchés-pairies. — Sièges royaux, prévôts, viguiers, vicomtes.

 

Le contemporain, habitué à l'uniformité de notre division judiciaire, a quelque peine à se reconnaître dans le dédale des juridictions d'il y a deux cents ans, si, quittant le sommet occupé par les parlements, il descend aux tribunaux de second et troisième ordre — présidiaux, bailliages et sénéchaussées, — surtout s'il s'enfonce dans l'obscurité des sièges subalternes que se partagent ou plutôt se disputent le Roi, les seigneurs, les villes, les abbayes. Quoique nous soyons volontiers disposés à traiter de désordre et même de chaos une organisation que ne régit aucune règle générale, mais seulement des lois particulières, des conventions spéciales et des usages locaux, il faut avouer sans parti pris que le mécanisme judiciaire fonctionnait fort péniblement, et la preuve c'est que les procès en règlement de juges étaient aussi nombreux à eux seuls que tous les autres. Selon l'esprit traditionnel du pays, tout ce qui existait avait par là même un titre suffisant à l'existence. Par suite l'extrême diversité des territoires, la profonde inégalité des gens, qui faisaient le fond légal de l'ancienne monarchie ont eu, et devaient avoir grand'peine à disparaître. Commencée avec les premiers Capétiens, la transformation de l'Administration judiciaire, poursuivie sans relâche, n'était pas encore terminée à la veille de la Révolution.

Nulle part comme dans la justice, le système féodal et le système royal ne nous apparaissent aussi inextricablement emmêlés. Cela vient de ce que, pendant six siècles, l'État créa de nouveaux tribunaux sans supprimer les anciens ; tout au plus les dépouilla-t-il d'une partie de leurs attributions. Mais l'armée des gens de robe voyait toujours grossir ses effectifs. C'est ainsi qu'au lieu de conférer aux bailliages et sénéchaussées, intermédiaires entre les sièges royaux et les parlements, un pouvoir plus étendu pour juger sans appel, on a créé (1551) un nouveau degré de juridiction : le présidial. Il prit rang immédiatement au-dessous des cours souveraines, qu'il inquiéta plus d'une fois par ses prétentions. A la mort de Louis XIII, il y avait quatre-vingt-huit présidiaux.

Sur les soixante-douze départements qui correspondent à la France d'alors, les uns comme l'Aisne, l'Oise ou Seine-et-Marne contenaient trois et quatre de ces tribunaux ; d'autres, au nombre de treize, n'en renfermaient pas un. Ces sièges, créés un par un sous des influences diverses, — Rodez, comme ville capitale et épiscopale ; Château-Gontier, à cause de son antiquité, beauté et commodité de son assiette sur une rivière navigable, — étaient donc assez inégalement répartis dans le royaume. Les présidiaux, grands ou petits, avaient cet inestimable avantage d'être égaux en compétence. C'était un pas vers l'unification : les cas fort nombreux où ils jugeaient en dernier ressort au criminel (au civil tous tranchaient sans appel jusqu'à 500 livres de capital), étaient les mêmes à Quimper ou à Montpellier, à Amiens et à Valence. C'eût été parfait si l'on avait transformé en présidiaux tous les anciens tribunaux. On n'y songea pas. Les cours présidiales, là même où il en fut créé, se confondirent rarement avec les cours sénéchales ; l'ancien tribunal subsista à côté du nouveau, causant dès lors plus d'encombrement qu'il ne rendait de services. De plus, la nouvelle juridiction était facultative pour bien des sièges subalternes, d'où les appels étaient indifféremment portés au présidial ou au parlement ; et les ressorts étaient si bizarrement découpés, que l'on voyait les quatre justices royales d'une même sénéchaussée dépendre de quatre présidiaux différents, et les sept ou huit villages d'un siège royal aller en appel en divers endroits.

A la tête du présidial est le plus souvent un homme d'épée, au nom duquel se rendent les sentences, mais qui n'a pas droit de siéger : Roger de Bauffremont est bailli de Châlons, le comte de Noailles est sénéchal de Rouergue, le maréchal de Thémines de Quercy, M. de Tréville de l'Angoumois, etc. Le président effectif est le lieutenant général, sous lequel sont le lieutenant criminel, le lieutenant particulier, l'assesseur, une quinzaine de conseillers, deux commissaires examinateurs et nombre d'officiers subalternes. Les membres du présidial devaient être au moins sept à l'audience pour que le jugement ftit valide. Cette profusion de magistrats, dont les offices n'avaient été créés que pour être vendus, était nuisible. Les sujets du Roi, dit Talon, sont plus travaillés par l'oppression des juges qui désirent profiter exactement de leurs charges qu'ils ne sont molestés par leurs adversaires mêmes. Le lieutenant général, qui distribuait les procès entre les conseillers, était tenu de prendre l'avis du lieutenant particulier, avec lequel, d'ailleurs, pour toutes sortes de motifs, il était généralement en querelle. — On compterait de 1620 à 1640 plus de 200 arrêts rendus en vue de pacifier le lieutenant général et le lieutenant particulier. — Celui-ci, à son tour, avait de fréquentes contestations soit avec les conseillers qu'il affectait de ne pas consulter, soit avec l'assesseur qui remplaçait en cas d'absence le lieutenant criminel.

Le lieutenant criminel remplissait les fonctions aujourd'hui dévolues aux juges d'instruction, substituts et magistrats de simple police. Selon la nature des affaires, il informait ou il décrétait. Était-il de robe courte ? il tenait même la campagne à cheval avec des archers. Un autre personnage, quoique n'appartenant pas au présidial, le prévôt, y tenait un rang supérieur dans les assemblées générales, et y avait souvent maille à partir avec les conseillers. Venaient enfin les commissaires examinateurs, ayant quelque analogie avec nos commissaires de police, et les procureurs qui remplaçaient au besoin les juges. Le parquet se composait d'un substitut du procureur général, et en sous-ordre d'un avocat du Roi dont la situation était singulière. Un édit de 1622 avait incorporé à son office, moyennant finances, la charge de conseiller. Cette union, contraire au bon sens, avait été imposée au ministère public. Les magistrats assis protestèrent. Les avocats-conseillers, auxquels le parlement défendait de juger les affaires où ils avaient requis, touchaient néanmoins leur part d'épices sans contribuer aucun labeur. Ce qui, dit le Roi, nourrit entre les officiers une perpétuelle discorde, et cause des procès où ils consomment le meilleur de leur âge. Ce cumul, que l'on dut supprimer peu après comme grandement préjudiciable à nous et au public, n'était pas le seul.

La vente des charges offrait au gouvernement une ressource permanente, à laquelle il recourait sans vergogne. En vain l'opinion se plaint-elle que cette division des emplois en tant de parties infimes étouffe la vigueur de la justice et abaisse le niveau de la magistrature ; que beaucoup de juges obtiennent des lettres de doctorat sans avoir jamais étudié, sans avoir seulement mis le pied dans les universités. L'offre dépassait la demande. Les places judiciaires devenaient si abondantes que plusieurs individus en achetaient tout un lot, et concentraient en leur seule personne un tribunal presque entier. Un sieur de Laliman est pourvu dans le même présidial des cinq offices de bailli, juge royal ordinaire, lieutenant principal et particulier, assesseur criminel et commissaire examinateur : les premiers magistrats des sénéchaussées tendaient à généraliser cette méthode ; devenant ainsi tout-puissants, ils s'attribuaient les meilleurs procès, et les taxaient à leur fantaisie.

Ces offices n'étaient pas chers ; ils ne dépassaient jamais 4 ou 5.000 livres. Si les emplois de greffier montent plus haut, à raison du revenu qu'ils procurent (celui d'un bailliage en Dauphiné se négocie près de 16.000 livres), par contre on devient à jamais huissier audiencier de Nogent-le-Rotrou, moyennant 250 livres. Comparés aux gages, ce sont des placements à 8 ou 10 pour cent. Toutefois les appointements fixes n'équivalent pas à la moitié des épices, dont nul ne peut savoir le chiffre précis.

La plupart des dépenses judiciaires étaient provinciales ou municipales. Les frais de la justice subalterne incombaient aux seigneurs propriétaires ; ils payaient les juges de leur poche. On ne peut donc établir qu'un rapport bien mince entre les 3.300.000 livres, formant le total des sommes que le pouvoir central versait à la magistrature, en 1640, — soit environ 16.500.000 francs actuels — et les 35 millions de francs qui constituent aujourd'hui le budget du ministère de la justice. Comme ces 3.300.000 livres représentent l'intérêt d'un capital encaissé par le Trésor, on peut dire que la justice ne coûtait presque rien au gouvernement, mais elle coûtait beaucoup plus aux intéressés : plaideurs ou accusés.

Les huit millions et demi que le Trésor reçoit chaque année du public, à titre de frais de justice ou d'amendes, étaient jadis le bénéfice privé des magistrats, et en tenant compte de la valeur de l'argent, ils étaient peut-être quatre ou cinq fois plus élevés. Un autre reproche à faire aux tribunaux secondaires, c'est leur personnel formidable. Les parlements peuvent, à cet égard, correspondre à nos cours d'appel ; mais les 88 présidiaux avaient à eux seuls autant de juges que nos 359 tribunaux de première instance, et l'on sait que la France de 1640 contenait 15 départements de moins, et la moitié seulement de sa population présente. Puis sous les présidiaux venaient, en grand nombre, les simples sénéchaussées et bailliages, dont aucun ne comptait moins de 7 magistrats ; les sièges royaux étaient aussi abondants que les justices de paix ; enfin, chaque bourg, chaque village avait ses juges locaux ; quarante mille personnes au moins collaboraient à divers titres à l'œuvre judiciaire.

Les superfétations de tribunaux augmentaient les degrés de cette échelle chicanière qui fait vivre les procès plus vieux que les hommes. Dans le comté de Dunois la justice ressort à Prépalteau, Prépalteau à Montigny, Montigny à Châteaudun, Châteaudun à Blois, et Blois au parlement de Paris, dont les arrêts peuvent être réformés par le conseil privé. Deux fois en dix ans on tenta d'établir de nouveaux présidiaux en Provence, et deux fois les États du pays les repoussèrent comme un fléau et payèrent au fisc une rançon pour s'en délivrer. Le présidial de Brioude est supprimé au bout d'un an, à condition que les magistrats de Riom acceptent des augmentations de gages ; on agit de même pour Montluçon, les échevins de Moulins ayant payé une forte indemnité à l'Épargne royale. N'était-ce pas avouer que ces innovations constituaient des impôts déguisés ? Un édit nous montre les habitants de Castellane ayant à faire une journée de marche pour aller à Draguignan, où ils ne peuvent se rendre qu'avec beaucoup de peine, incommodité et hasard de leurs vies, à cause de l'abondance des neiges et des inondations. Puis vient cette conclusion comme un arc-en-ciel après un orage : à quoi nous pourrions remédier en établissant une sénéchaussée en notre ville de Castellane. Or, cet établissement n'est que le prix d'un marché entre le parlement d'Aix et le ministère qui trouve là un produit égal à celui d'autres offices qu'il renonce à créer. Les peuples savent bien demander tout seuls ce qui leur est utile. Le désir de posséder un tribunal et de s'affranchir du même coup de la juridiction d'une cité voisine, suscite souvent de terribles rivalités de clocher : les officiers de Villefranche se rende-t coupables de graves abus contre les habitants de Rodez, à cause des démarches faites par ces derniers pour obtenir un présidial.

Le Tiers-État ne cessa de se montrer favorable en principe à ces érections ; il n'en fut pas de même des parlements, qui se voyaient dépouillés par là de quelques prérogatives. La supériorité des compagnies souveraines s'affirmait avec impatience. On les voit interdire de leurs charges, en masse, les membres d'un présidial qu'ils déclarent criminels de lèse-majesté du parlement, et déléguer des commissaires pour arracher des registres les sentences rendues au ce mépris de leur autorité. Le parlement fait déchirer en pleine rue, par ses huissiers, sur le dos du propriétaire, une robe de soie bleue, brodée d'argent, que porte indûment le lieutenant général.

Avec les municipalités, les relations de la sénéchaussée ne sont pas moins délicates ; c'est au château ou à l'hôtel commun que souvent les juges tiennent leurs audiences ; leur prison est celle de la ville. L'ordonnance de Moulins (1566), en supprimant la juridiction urbaine, au civil, l'avait maintenue, au criminel, aux magistrats communaux. Ici la justice est indivise entre les syndics et le seigneur, là consuls et syndics ne sont propriétaires que d'un douzième ; ailleurs, les capitouls n'ont que le droit d'instruire les procédures jusqu'à la décision.

C'est dans la toute première instance, dans la petite justice subalterne, que nous retrouvons encore intactes, ou peu s'en faut, les capricieuses combinaisons de la vie féodale. Il faut partir de ce principe que le droit de justice, étant une propriété, se vendait, s'échangeait, se morcelait et se disputait devant les tribunaux comme tout autre bien. Le Tiers demande, aux États de 1614, qu'il Mt défendu, en aliénant sa terre, de s'y réserver la justice ; nous ne croyons pas que ce vœu ait été exaucé ; toujours est-il que l'on continua à disposer librement de ce genre de valeurs, que l'on put céder soit le quart ou la moitié d'une paroisse, soit la copropriété, le pariage. Le Roi possédait ainsi, dans de très modestes villages, la justice en partage avec des seigneurs, des couvents, des chanoines, dont quelques-uns étrangers : le chapitre de Saint-Jean de Latran nomme le juge de Clairac, dans l'Agenais. Les co-suzerains ont, chacun leur part des confiscations et amendes, choisissent alternativement magistrats et consuls. Ils ne sont pas toujours égaux : l'évêque de Mende, quoique demi-justicier dans sa ville épiscopale, ne peut faire grâce ; le duc d'Uzès, seul maître à Saint-Bonnet, est en pariage avec le prieur dans les cas d'adultère. Les chanoines de Bourges pendant une semaine de mai — la seizaine — exercent au lieu et place des juges ordinaires toutes les juridictions royales. Le morcellement du sol, à ce point de vue, est inouï : des seigneurs dont le ressort ne s'étend pas au delà des communs de leur hôtel ont droit de haute justice sur les gens qui y logent. Paris fournissait de singuliers exemples de cet émiettement. Sauval, dans ses Antiquités, indique huit cents personnes qui revendiquaient le pouvoir judiciaire dans la capitale. Une vérification attentive des titres n'a pas de peine à réduire à néant la plupart de ces prétentions ; mais il subsiste encore une quarantaine de justices appartenant à l'évêque, au prévôt des marchands, à l'arsenal, au bailli du Temple, à l'abbé de Saint-Germain des Prés, aux chapitres, abbayes, hôpitaux et collèges. Presque toutes disparurent peu à peu dans les villes ; dans les campagnes, non seulement on ne pensa pas à exproprier les détenteurs, mais les souverains aliènent volontiers les hautes justices de leurs propres domaines. Louis XIV met en vente la prévôté de Dax ; les communes, afin de demeurer justiciables du Roi, l'achètent et s'imposent extraordinairement pour la payer.

Les justices particulières offrent, en effet, au XVIIe siècle, un fort pitoyable spectacle ; quoique les procureurs et les baillis fussent propriétaires de leurs offices — offices de 300 à 400 livres, — ils n'avaient guère d'instruction et jugeaient à l'aveuglette ; souvent plus pauvres que bien des paysans, instrumentant pour vivre, enclins à la friponnerie et, par suite, peu considérés.

De leur côté, les seigneurs auxquels la justice rendait peu, ne songeaient qu'à économiser sur la dépense. Quand le criminel condamné en première instance en appelait, les frais de procédure qu'il n'était pas en état de payer étaient mis à la charge des premiers juges ; ceux-ci, pour éviter semblable désagrément, ne faisaient faire aucune recherche des crimes les plus atroces, et fort souvent procuraient l'évasion des prévenus qu'on amenait dans leurs prisons. Il est très nécessaire, écrivait un intendant à Richelieu, que le sieur comte de Gramont ne continue à laisser pendre et étrangler les sujets du Roi, en la terre de Bidache, et qu'elle ne serve plus d'asile à tous les malfaiteurs des ressorts de Bordeaux et Navarre...

Le président de Champ-Rond, haut justicier à Olé, écrit à son bailli : Sire Bonnard, comme je m'aperçois que la sentence de condamnation du criminel appelant sera confirmée par Messieurs de la cour, et qu'il sera renvoyé exécuter sur le territoire de ma terre d'Olé, je vous fais ce mot pour vous avertir que j'ai vu un arbre vieux, sur son retour, près du cimetière de l'église, que je désire que vous fassiez émonder et abattre, et de cet arbre faire une potence pour l'exécution d'iceluy criminel, et serrer les émondures et les copeaux sous le hangar de ma basse cour. Si mes officiers n'eussent condamné ce pendard qu'au fouet, la sentence eût été infirmée, il aurait été pendu en Grève en meilleure compagnie, et il m'en aurait coûté bien moins cher. Il faut néanmoins ménager auprès de l'exécuteur de Chartres que vous verrez de ma part, et ferez marché avec lui au plus juste prix que vous pourrez. Il me semble que j'ai vu chez vous quelque corde et une échelle qui peuvent lui servir. M. de Champ-Rond, désireux d'épargner les frais de voyage du condamné, voulut le mener de Paris à Olé dans son carrosse et, pour ce, obtint qu'il fût sursis quelque temps à l'exécution.

Ce droit de glaive, pouvoir d'appliquer la peine de mort, le plus bel apanage des hautes justices, qui les distinguait des basses et des moyennes, était, on le voit, passablement onéreux et encombrant. Les seigneurs eussent-ils voulu ne condamner qu'aux galères, la loi ne le permettait pas, les galères étant chose qui ne peut appartenir qu'aux juges royaux. La lutte entre les sièges d'État, qui, au début, étaient des juridictions d'appel et les justices seigneuriales, dura six siècles. Ces dernières, dépouillées petit à petit de leur compétence, sont réduites déjà, sous Louis XIII, en quelques provinces, à ne plus connaître des contestations qui dépassent soixante sous. Partout les municipalités citadines combattent l'érection de duchés-pairies dans leur voisinage. Si, malgré leur opposition, le Roi a passé outre, comme c'est l'ordinaire, elles ne se tiennent pas pour vaincues, et le poteau qui fixe les limites respectives sera plus d'une fois, la nuit, déplacé ou démoli. Quoique les justices ducales soient les seuls tribunaux privés qui fassent encore figure, par le nombre des officiers et l'étendue du ressort — celui du duché de Châteauroux confinait au siège de Blois — les cas royaux ne leur en étaient pas moins interdits, et le présidial, en appel, cassait leurs sentences.

D'un bout à l'autre du royaume la juridiction de première instance varie, comme la coutume dont elle s'inspire et le nom sous lequel on la désigne : prévôté de l'Ile-de-France, vicomté de Normandie, bailliage de Bourgogne, doyenné de Picardie, viguerie de Provence et Languedoc, et jusqu'à ces cours des Chênes ou des Noyers du Béarn, où les potestats, seigneurs du pays, tiennent en plein air leurs patriarcales audiences, toutes ces jugeries sont les derniers vestiges d'autonomies disparues. Leur physionomie diffère selon les localités ; le viguier, jadis annuel, puis désigné par le Roi pour une période plus longue sur une liste dressée par l'assemblée communale, n'est pas seulement chef de magistrature, c'est aussi le gouverneur et capitaine de la cité et du district. Les viguiers de Provence n'ont au-dessus d'eux que la cour souveraine. Aussi la fonction est-elle briguée par gens considérables. Il en est autrement en Languedoc, où les capitouls leur disputent la prééminence. A quelques lieues de distance, la compétence des mêmes justices change ; on est étonné d'apprendre que celles d'Auvergne, jusqu'en 1628, ne peuvent connaître du crime d'usure réservé à la grand'chambre du Parlement.