PRÊTRES, SOLDATS ET JUGES SOUS RICHELIEU

 

LES PROTESTANTS.

CHAPITRE II. — L'ÉGLISE PROTESTANTE APRÈS LA ROCHELLE. - SON ORGANISATION.

 

 

Le pouvoir royal prescrit la concorde et protège les réformés. — Charges et emplois auxquels ils sont admis. — Subvention de l'État au culte protestant ; elle égale ce qu'il reçoit de nos jours. — Souscriptions publiques pour les temples. — Dons et legs particuliers. — Traitement des pasteurs. — Consistoires, leur administration ; baptêmes, mariages, cimetières. — Colloques et synodes. — Obligations des ministres vis-à-vis de l'État. — Suppression des villes de sûreté ; l'exercice public du protestantisme. — Tentatives politiques et financières de Richelieu pour la conversion des dissidents.

 

Le même homme qui, à la Rochelle, poussait à la roue pour remettre le canon dans les embrasures, faisait dire au Roi qu'il voulait seulement ôter la faction du milieu de ses sujets ; le reste (la foi) étant un ouvrage qu'il faut attendre du ciel, sans y apporter aucune violence que celle de la bonne vie et du bon exemple. Là-dessus le cardinal n'a pas varié ; le langage qu'il tenait aux États généraux de 1614, à ses premiers pas dans la vie publique, il ne le démentira pas un instant jusqu'à sa mort. Aussi les historiens protestants n'essayent pas de faire remonter à son ministère le commencement de cette sourde persécution qui aboutit à la révocation de 1685. Jusqu'à la fin de la régence d'Anne d'Autriche, cet édit reçut du gouvernement son interprétation la plus favorable. L'ambassadeur d'Angleterre déclarait qu'il serait fâcheux qu'on abattit les protestants, en France, parce que les rois, n'ayant plus rien à craindre, pourraient devenir tyrans. Il n'en a rien été ; l'établissement définitif de la monarchie absolue est tout à fait indépendant de la disparition du protestantisme politique. Richelieu, qui ne manquait jamais, jusqu'en 1628, tout en proscrivant les huguenots rebelles, d'assurer des bonnes grâces de Sa Majesté ceux qui restaient dans leur devoir, devint plus tolérant encore après sa victoire.

Les catholiques étaient enclins à tout empêcher, les curés toujours prêts à se plaindre ; le premier ministre, quoique poussé, sollicité sans cesse contre les protestants, ne céda presque jamais. C'est en vain qu'on lui demande de supprimer tel prêche, d'interdire dans tel village le libre exercice de la Prétendue. Au conseil, il modère le zèle des secrétaires d'État ; il s'y fait l'avocat des réformés. Comme j'estime qu'il ne faut pas étendre ce qui est porté par l'édit, aussi ne doit-on pas retrancher les grâces qui y sont accordées... Ces procédés recevaient leur récompense, dès 1632, lors de la révolte du Languedoc, quand des consuls protestants chassaient de leur ville l'évêque qui tenait pour le duc d'Orléans, et conservaient la cité au Roi. Les huguenots, obligés de se dessaisir de leurs munitions, en furent indemnisés ; les gouverneurs de province ne souffrirent pas qu'on leur fit tort d'un sou. Dans les questions litigieuses, ils n'hésitent pas à reconnaître leur bon droit. Le respect de la religion dominante demeurait seul obligatoire pour les calvinistes ; ils avaient le droit de travailler les jours de fêtes chômées, mais seulement à des métiers dont le bruit ne pût être entendu du dehors. Ils sont dispensés de tendre leurs maisons à la Fête-Dieu, mais obligés de permettre à leurs voisins catholiques de se charger de ce soin. Les écoles catholiques sont ouvertes aux enfants des réformés, sans qu'ils puissent être induits à faire des exercices contraires à leur religion ; par contre on leur défend d'instruire dans des livres protestants, comme ils le font partout où ils peuvent, les enfants catholiques qu'on envoie à leurs écoles.

Les tribunaux défendent aux orthodoxes d'appeler les protestants hérétiques ou huguenots ; ils interdisent à ces derniers d'appeler les catholiques adversaires de l'Église, et de se qualifier eux-mêmes de religion catholique et apostolique. Ce n'est pas là l'égalité de traitement, ni la pleine liberté ; mais un modus vivendi très supérieur à tout ce qui existait alors sur la surface de la terre : le droit de vivre, laissé par l'État à l'opinion qu'il ne partage pas. Le pouvoir central était du reste plus tolérant que les pouvoirs locaux ; il est plus facile aux réformés de devenir conseillers de parlement que maîtres tailleurs ou contrôleurs des gabelles. Au présidial d'Alençon, sur treize officiers il y en a huit protestants, sans parler de deux conseillers honoraires. Le Roi fait des huguenots maréchaux de France, les assemblées rurales ne veulent pas même en faire des procureurs fiscaux ; les villes où ils sont en minorité ne leur accordent dans le consulat ou l'échevinage qu'une représentation dérisoire, ou la leur refusent tout à fait. C'est le cas en Dauphiné, en Provence. Les réformés, qui trouvent mille difficultés dans les moyens ordinaires, se jettent avec empressement sur les lettres de maîtrises extraordinaires, vendues par le Roi. Singulier contraste ; ici l'absolutisme protège la liberté commerciale. Plus tard, sous Louis XIV, c'est le gouvernement qui prendra l'initiative des mesures restrictives ; il exigera des professions de foi catholique pour sacrer un huissier, ou ordonner un procureur. Sous Richelieu, au contraire, il prête à l'Église dissidente un appui moral et matériel, dans la limite fixée par les lois. Il défend, par exemple, de vendre des ouvrages de théologie protestante, s'ils ne sont approuvés par les délégués des synodes.

Non seulement les pasteurs étaient exempts de taille, comme les autres ecclésiastiques de France, mais l'État contribuait par une subvention annuelle de 200.000 livres au payement de leur traitement. En Languedoc, les catholiques étaient imposés pour l'entretien des ministres et des maîtres d'école protestants ; en Dauphiné, les réformés avaient beaucoup de biens d'église ; en Béarn, ils les avaient tous. Ces provinces, après avoir largement pourvu à tous leurs besoins, réparé leurs temples et payé les frais de leurs colloques, gagé leurs ministres, lecteurs et prédicateurs, pensionné leurs veuves et doté leurs filles, envoyaient leur superflu aux consistoires du reste de la France. Quand on reprit aux huguenots, sous Louis XIII, ces terres que Jeanne d'Albret avait confisquées pour eux sur les catholiques, ou dont ils s'étaient emparés durant les guerres religieuses, les revenus du domaine royal furent affectés, par lettres patentes, aux dépenses de la religion prétendue réformée jusqu'à concurrence de ceux dont elle jouissait auparavant. C'est le trésorier de l'Épargne, en Navarre, qui paye, selon les ordonnances du Roi, les sommes nécessaires à la construction des temples. On peut dire que les calvinistes français recevaient à peu près autant de l'État sous Richelieu que de nos jours, en tenant compte de la valeur de l'argent.

Les chambres de l'Édit, tribunaux composés de membres des deux cultes, faisaient respecter les legs et les donations innombrables dont les réformés gratifiaient les anciens de leur consistoire et qui, depuis les plus minimes oboles jusqu'aux opulentes successions, servaient à l'entretien des ministres de la parole de Dieu, des aspirants et proposants au saint ministère, à l'édification d'un temple, à l'achat d'un cimetière pour la sépulture de ceux de la religion.

Aux subventions officielles, aux dons et legs particuliers, s'ajoutaient le produit des collectes faites en Hollande, en Suisse et en Angleterre, et celui de l'impôt paroissial dont les consistoires dressaient des rôles, approuvés par les magistrats, et déclarés exécutoires comme pour les deniers royaux. Chaque église, en choisissant un pasteur, faisait avec lui un traité ; il n'y avait donc rien de fixe dans le chiffre du traitement, proportionné aux ressources du consistoire et aux demandes des ministres. Ceux-ci reçoivent de 300 à 800 livres ; quelques-uns sont en outre logés et même nourris dans les maisons des huguenots zélés et riches. Ils ont parfois des indemnités spéciales pour prêcher et administrer la Cène, aux grandes fêtes de l'année, dans les communes voisines de leur résidence. Situations modestes, mais non misérables ; il n'y a pas dans l'église réformée de postes à grands revenus, mais on n'y rencontre pas non plus de ministres à 50 livres par an, comme certains curés que nous avons vus, auxquels la dîme ne donne pas de quoi vivre. Autre procédé fort raisonnable : les provinces s'aidaient les unes les autres. Le colloque, ou le synode, exige des paroisses riches de quoi secourir les indigentes ; le synode général agit de même entre les provinces, et obtient ainsi une moyenne partout honorable. Cette communauté évangélique eût été bonne à imiter dans nos rangs. Elle permettait aux protestants d'avoir des séminaires et des écoles sacerdotales, alors que les catholiques n'en avaient pas encore.

On sait que cette personnalité civile, si chichement accordée par les gouvernements modernes aux associations, quelles qu'elles soient, était encore de droit commun au XVIIe siècle ; les protestants étaient les premiers à en profiter : leurs consistoires représentaient nos curés, leurs colloques nos évêques, les synodes généraux tenaient la place de Souverain Pontife, ordonnaient des jeûnes nationaux qui devaient être exécutés partout en même temps, et prononçaient des excommunications. Les laïques et les pasteurs administraient de concert. Les anciens, membres laïques du consistoire, étaient promus à cette charge avec une solennité qui ne différait pas beaucoup — y compris l'imposition des mains — de celle que l'on mettait à consacrer les pasteurs. Les pasteurs eux-mêmes n'étaient que les présidents et non les chefs des consistoires ; ils n'avaient, ni au temporel, ni au spirituel, une autorité plus grande que celle de leurs collègues, le calvinisme reposant principalement sur la discussion et l'égalité, comme le catholicisme sur l'autorité et la hiérarchie.

Les synodes nationaux siégeaient successivement dans chaque province. Cette assemblée choisit un modérateur (président), un adjoint, un pasteur et un scribe. A ses délibérations assiste un commissaire royal, de la religion réformée ; ce que les auteurs protestants considèrent à tort comme une mesure vexatoire, puisque le Roi est également représenté par un homme à lui, dans les réunions d'évêques députés par tout le clergé du royaume. Richelieu, tolérant en fait de doctrine, demeure despotique et un peu méfiant en fait d'administration ; il paye les frais du synode de Charenton (1631), ce qui ne s'était jamais fait encore, mais il indique les députés généraux qu'il désire voir nommer, au lieu d'en laisser le libre choix à la réunion. Il défend la communication des synodes entre eux, et interdit les consistoires fortifiés des chefs de famille. Chaque paroisse — ou comme disent les réformés : chaque église — est administrée par un consistoire. L'un des membres gère les deniers des pauvres, l'autre la subvention du ministère ; un troisième inscrit sur les registres les baptêmes, les mariages et les décès. Chaque consistoire a son livre des censures, où il consigne les blâmes infligés à quelques fidèles : ce ménage sera averti de hanter les prédications un peu plus qu'il ne fait. Un mari et une femme qui se sont séparés seront invités à se remettre ensemble. On députe deux anciens à une dame, pour tâcher de vaincre son cœur impénitent, et lui faire sentir ses fautes, la menaçant de la retrancher du corps de l'église, comme un membre pourri. Un tel est admonesté pour avoir assisté à un ballet, ou pour avoir dansé publiquement. Mlle de Montcamp est priée de se réconcilier avec Mme de Montcamp, sa belle-mère, ou de ne pas participer à la cène de l'église de Layrac, ni lieux circonvoisins qui sont prévenus. Les reproches sont plus vifs quand ils touchent aux matières religieuses : un coreligionnaire a-t-il épousé une papiste dans le temple des idoles ; a-t-il accompagné un parent à la sépulture des superstitieux ; a-t-il mis son fils au collège des Jésuites, il est menacé d'être retranché du corps des fidèles, traité d'apostat, et tenu de faire réparation publique pour témoigner son repentir.

Le culte extérieur des calvinistes français différait beaucoup, dès cette époque, de celui des protestants allemands, hollandais ou anglais. Ceux de France communiaient debout, pendant que l'on chantait des psaumes ; tous gardaient leur chapeau sur la tête durant le sermon et les lectures, ils l'ôtaient seulement pour les prières. La recherche de la simplicité était la préoccupation dominante ; les protestants, dans tous les testaments que nous avons eus sous les yeux, insèrent cette clause : qu'ils veulent être enterrés sans cérémonie, et le plus simplement que faire se pourra. On présentait même rarement les cercueils au temple. La question des cimetières fut cependant des plus difficiles à résoudre ; les huguenots prétendaient inhumer leurs morts dans le cimetière catholique, ce que les édits avaient formellement défendu, — le protestant défunt fût-il seigneur de la paroisse, — et les catholiques mettaient partout beaucoup de mauvaise grâce à fournir aux dissidents, selon la teneur des mêmes édits, un lieu convenable pour leurs inhumations. Les réformés, repoussés par les autorités locales, furent quelquefois forcés d'enterrer leurs parents dans les champs ; la masse des procès et des querelles à ce sujet montre que les défunts furent les derniers à profiter de la tolérance dont les vivants étaient parvenus à jouir.

Ce n'est pas, à vrai dire, que l'exercice du culte protestant se fit partout sans contestation. Avec la Rochelle avaient disparu les villes de sûreté, jusque-là occupées par des garnisons réformées. Une confession religieuse détenait, pour sa défense particulière, une portion de la force publique. Là où cette confession était dominante, comme en certains diocèses du Midi, — dans les Cévennes, les protestants étaient trois contre un, — elle devenait elle-même la force publique. Sur les deux cents villes de sûreté, d'otage ou de mariage, la moitié était située en Languedoc. Des sujets qui possèdent plus de villes que leur roi sont bien près de lui donner des lois ou, du moins, de ne plus recevoir lés siennes. Richelieu, en biffant de l'Édit de Nantes les concessions politiques, en respecta les concessions religieuses : tous les temples bâtis au XVIe siècle, plus deux temples nouveaux par bailliage. Mais il y avait des bailliages de 400.000 hectares, grands comme des départements, et d'autres plus petits que des cantons ; dans les premiers les huguenots étaient toujours en instance pour augmenter les lieux de réunion. Ils les multipliaient même sans permission. Selon les arrêts successifs, le temple est à peine démoli qu'on le reconstruit, et à peine reconstruit qu'on le démolit à nouveau, toujours par ordre du Roi. Pour établir la prescription, les protestants, en bâtissant un temple neuf, en faisaient souvent fondre la cloche avec une date antérieure de cent ans. Il est malaisé pour eux de bâtir un lieu de prière. — Pas ici, dit un moine, c'est en face d'une chapelle ruinée, et si nous voulions la reconstruire, votre temple la gênerait. — Pas là, reprend le vicaire d'un prieuré, ce terrain relève du couvent auquel il paye la censive. On construit enfin quelque part, mais alors une ordonnance de l'intendant vient parfois défendre l'exercice du culte.

La jurisprudence est si variable d'une année à l'autre et d'une province à sa voisine, qu'on a sous les yeux le pour et le contre, dans chaque cas particulier ; ce qui ressort d'un examen général, c'est que les petites justices sont plus exclusives que les grandes, les parlements moins impartiaux que le gouvernement, et que dans le gouvernement Richelieu est de tous le plus libéral. Sauf en un cas : vis à-vis des huguenots étrangers. On proscrivit les ministres qui n'étaient pas d'origine française. Les deux pasteurs de Charenton étaient l'un de Genève, l'autre de Sedan ; l'édit de Nantes avait laissé toute liberté là-dessus. Reste à savoir si cette restriction, qui fut la seule, était excusable, au moment où nous cherchions à développer l'esprit national chez nos compatriotes dissidents. En 1623, le Roi avait fait connaître au synode général ses intentions pour l'avenir : les droits acquis seraient respectés, les étrangers reçus ministres resteraient, mais il fut défendu d'en nommer d'autres. L'interdiction fut renouvelée plusieurs fois ; on y joignit la défense aux ministres français de sortir du royaume, aux consistoires de céder, même à titre temporaire, des ministres aux républiques et souverainetés étrangères, sans la permission royale. On a vu précédemment que Richelieu s'attribuait les mêmes droits sur le clergé catholique, que le Roi se jugeait libre de prohiber aussi bien l'importation que l'exportation des religieux ; l'extension de ces procédés aux huguenots était à ses yeux l'exercice de son absolue autorité sur le territoire.

Cette autorité même, le cardinal en usa peu avec les réformés. On trouverait bien quelques faits de pression destinés à procurer des pensionnaires à l’hôtel des nouvelles catholiques, dirigé par Mme de Combalet ; des enfants enlevés par l'ordre du Roi à un père protestant, qui veut les empêcher d'embrasser notre religion ; mais le plus souvent c'est par des cadeaux et des promesses qu'il tâche de les ramener. Un père Athanase, Capucin, convertit un M. le marquis de la Caze, moyennant pension, ordre du Saint-Esprit, lettres de surséance pour ses dettes, et autre adjutorium. Il lui donne absolution de l'hérésie dans un lieu secret après l'octroi d'une des faveurs ; et l'on espère l'entendre au sacrement de pénitence, lorsqu'il plaira à Son Éminence envoyer la suite. Qu'on dise après cela à Richelieu : Votre Grandeur est seule cause de cette conversion ; on sait à quoi s'en tenir.

Il est plus facile de ruiner les huguenots en gagnant les ministres, que par des armées, écrivait au cardinal un de ses affidés. Il ne négligea rien de ce côté : on fit un pont d'or à ceux qui voulurent abjurer. Une taxe annuelle fut établie sur tous les ecclésiastiques du royaume, pour l'entretien et pension des ministres convertis. Ces pensions furent, insaisissables, même pour dettes ; ce qui, dit un auteur protestant, ouvrait une belle porte à la friponnerie des endettés. C'était le cas dans le nord et le centre de la France ; dans le midi, les pasteurs sont gens riches, du moins aisés, beaucoup appartiennent à la noblesse : Un tel, seigneur de..., ministre, lit-on sans cesse en Béarn. Ailleurs ils sont tous plébéiens, de familles obscures, rarement bourgeoises. Après quelque stage comme lecteur et catéchiste, le jeune proposant obtenait vite un poste ; les sujets manquaient. Cependant, on ne signale guère de passages d'un culte à l'autre. Les convertis ou les apostats, comme on les nommait, selon le point de vue, sont loin de constituer une élite. Mauvais prêtres tentés par le mariage ; moines ignorants ou scandaleux qui n'ont que leur ventre en recommandation ; tous les récits des huguenots prouvent que ces recrues, dont on gardait comme des trophées les habits cléricaux, dans les chambres consistoriales, ne valaient pas cher. Parmi les réformés devenus catholiques, beaucoup — les documents officiels le constatent — revenaient au protestantisme, soit faute de prêtres pour leur administrer les sacrements, soit faute d'énergie au milieu d'une majorité hostile ; les huguenots ne se faisant faute de maltraiter ceux qui les avaient quittés.

Quant à ces conférences qui mettaient aux prises pendant huit et quinze jours de suite, sous la présidence de gens considérables — de maréchaux de France parfois, — les champions des deux cultes, elles ne produisaient pas grand'chose, à moins que les résultats n'en fussent négociés au préalable. Le cardinal, comme les grands manieurs d'hommes, croyait tout possible avec l'adresse et l'argent. Il rêva de mettre fin au schisme, en France, au moyen d'un congrès monstre, machiné par ses soins, où des ministres gagnés d'avance se seraient convertis en masse, paraissant se rendre à l'évidence des arguments dont plusieurs docteurs de Sorbonne les pénétreraient.

Il travailla au succès de cette combinaison, d'une part avec Lescot, son confesseur, — Saint-Cyran, qu'il avait voulut embaucher, répondit que ce n'était point la voie du Saint-Esprit mais plutôt celle de la chair et du sang, — d'autre part avec La Milletière, l'ancien confident du duc de Rohan, l'une des têtes du parti protestant. Ce dernier se dépensa en efforts de parole et de plume, sans convaincre personne que lui-même. Encore sa sincérité est-elle problématique, son abjuration lui ayant été payée fort bien.

La bonne foi de Richelieu est au contraire incontestable ; il ne se serait pas amusé à une jonglerie. Il tenta même de faire entrer le pape dans ses vues, et lui demanda des concessions sur certains points comme les indulgences et l'autorité des conciles. Cette attitude, quoique fort critiquée, ces espérances, naïves sans doute, n'en sont pas moins honorables pour l'homme qui avait pris la Rochelle.