PRÊTRES, SOLDATS ET JUGES SOUS RICHELIEU

 

LE CLERGÉ CATHOLIQUE.

CHAPITRE VIII. — RAPPORTS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT.

 

 

Rapports du gouvernement français avec la cour de Rome. — Libertés de l'Église gallicane. — Le patriarcat de Richelieu et la menace d'un schisme. — Le Sacré Collège et les cardinaux nominés par le Roi. — Immixtion du pouvoir civil dans la nationalité des supérieurs de couvents et des religieux ; injonctions aux prédicateurs. — Rôle de l'Université et de la Sorbonne. — Autorité et empiétements des parlements. — Appels comme d'abus. — Relations du pouvoir spirituel avec les tribunaux inférieurs. — Monitoires et publications Iniques en chaire. — Immixtion du clergé dans la politique : confesseurs du Roi ; côté civil des sacrements. — Les assemblées du clergé, et ce qui lui reste d'autonomie.

 

La séparation de l'Église et l'État, qui depuis hier est dans les lois, est depuis de longues années dans les mœurs. Elle date de la Révolution française. Le jour où la religion catholique a cessé d'être religion d'État, les rapports séculaires de l'État et de l'Église cessèrent d'exister, aussi bien sous la République que sous l'Empire, ou sous les monarchies qui l'ont suivi. L'exposé seul de ces anciens rapports, exhumés par l'histoire, choque au même degré les catholiques et les libres penseurs.

Ne regrettons pas l'ancien ordre de choses : l'État en a peu profité ; l'Église en a beaucoup souffert ; plus souffert même qu'elle n'en a joui depuis les derniers siècles. Ne vit-on pas, au milieu du concile de Trente, Henri II se brouillant avec le pape Jules III à cause de Parme et des Farnèse, défendre aux évêques français de prendre part au concile ? L'histoire ecclésiastique n'est pleine que des difficultés que suscita la protection autant que la persécution des rois. Quelle affaire que de perdre ou de mériter l'honneur de leurs bonnes grâces ! Mais quel malheur pour le bien de la religion que l'importance de ces bonnes grâces laïques ! On a remarqué que l'Église est même traitée avec moins de respect par les ecclésiastiques, quand ils gouvernent, que par les séculiers ; la vie de plusieurs cardinaux-ministres nous l'apprend, et prouve que l'indépendance est plus profitable au corps clérical que l'autorité même de ses membres.

Richelieu disait que la puissance spirituelle du Saint-Siège aurait d'autant plus de poids que son autorité temporelle serait plus considérable. Les événements modernes font voir combien il se trompait. Si, en qualité de pontife, la destruction des protestants et le triomphe de la maison d'Autriche devaient être son plus cher désir, il avait à s'applaudir, comme souverain, du succès des armes suédoises, qui mettaient les généraux de l'Empereur hors d'état de lui nuire. C'était la pensée de Gustave-Adolphe, quand il disait en riant au maréchal de Brézé : Sans moi, votre pape ne serait que le chapelain des Espagnols. Le Saint-Siège était en effet bien peu à son aise entre les rois, ses dévots fils, qui s'appliquaient tous à le dominer. Il pouvait bien défendre aux catholiques anglais de prêter serment à leurs monarques, par le motif que la formule officielle contenait cette profession de foi : que le Pape n'a pas le pouvoir de déposer le Roi, ni d'autoriser un prince étranger à envahir ses royaumes, ni de libérer, ses sujets de leur obéissance. C'était encore, à cette époque, la doctrine de la cour romaine que le Pape avait pouvoir de faire tout cela ; mais ce qu'on affirmait à Londres, on n'eût plus osé l'avouer à Paris : la simple publication d'un livre du Père Santarel, qui contenait ces théories, souleva en France une réprobation unanime. Le clergé, quand la question s'était une première fois posée, dix ans auparavant, avait été d'avis, selon les canons du concile de Constance, de déclarer abominables et hérétiques tous ceux qui croiraient permis d'attenter à la personne sacrée des rois. Il se montrait moins affirmatif en ce qui touchait le droit du Souverain Pontife de délier les sujets du serment. Mais l'opinion publique tout entière était avec le tiers (1614), avec la Sorbonne qui condamna l'ouvrage de Santarel (1625), et avec le Parlement qui fit brûler le livre par la main du bourreau. Elle était avec la Chambre des Comptes, qui obligeait les évêques à jurer fidélité, sans approbation des clauses contenues dans les bulles qui seraient contraires aux privilèges et libertés de l'Église gallicane. Or, ces libertés consistaient à conférer au prince les prérogatives que l'on enlevait au Pape ; on allégeait le fidèle, mais pour charger le sujet ; il ne s'agissait pas d'être libre, mais de savoir à qui l'on obéirait. A ce point de vue, les libertés gallicanes font partie intégrante de la monarchie absolue. Que l'on compare cet état avec l'état actuel, on en fera toute la différence.

L'esprit de Richelieu avec la cour de Rome peut se définir ainsi : Point de libertés gallicanes en théorie ; les libertés gallicanes en pratique. Le duc de Savoie, disait le cardinal, s'emparerait volontiers d'une portion des États du Pape, croyant que l'augmentation de la puissance d'un prince zélé au bien de la religion et de l'Église, comme lui, serait un assez grand avantage au Saint-Siège, pour qu'il souffrit volontairement quelque ruai pour un si grand bien. Ce que ce prince eût fait au temporel, le ministre français tenta de l'exécuter au spirituel. Il est des questions problématiques au sujet de l'autorité du Pape, écrivait-il à l'archevêque de Rouen, mais on ne peut révoquer en doute qu'il ne soit le vicaire général de Jésus-Christ sur terre. Devenir son vicaire particulier en deçà des Alpes, sous un titre quelconque, fut le but, nous allions dire le rêve de Richelieu. Vice-légat d'Avignon, légat temporaire du Saint-Siège, patriarche de France, il usa successivement, pour obtenir un de ces postes, toutes les ressources d'une diplomatie ingénieuse ; il employa aux négociations des personnages fort divers, sans oublier les cardinaux à pensions grandes et petites ; il échoua toujours, et en conçut contre Rome une vive irritation.

Dès lors commença une lutte sourde entre le palais Cardinal et le Vatican, que tout contribua à alimenter. Dans un livre publié sous l'inspiration du premier ministre, — le Nonce du pape français, — on parla de l'oppression que le pouvoir des papes faisait subir à la France. Puis on menaça de réduire le prix des bulles expédiées de Rome. Les informations de vie et mœurs faites sur les ecclésiastiques appelés à l'épiscopat furent une autre pomme de discorde. Le Souverain Pontife tint à ce que le nonce en fût seul chargé ; le Parlement rendit un arrêt qui en confiait le soin exclusif aux évêques diocésains. Le Pape se défendit, en refusant l'institution canonique à ceux dont les informations n'avaient pas été vues à la nonciature. Richelieu usa à, son tour de l'épouvantail ordinaire : il menaça de réunir un concile national. Le nonce Scoti répondit à Chavigny, — c'est ce dernier qui l'affirme, — qu'il s'en moquait ; que, quand on en viendrait aux extrémités, il Papa meterebbe il re sotto, et que les évêques de France seraient pour Sa Sainteté contre le Roi. On prit texte de cette bravade pour interdire à tout le clergé français de voir le nonce ou de communiquer avec lui. Aux prélats qui s'étonnent de cet ordre, Louis XIII répond qu'ils aient à se mêler de gouverner leurs moines, et non des affaires de son État.

Deux ans après (1641), le Parlement, soutenu par le ministère, défendait aux évêques, sous peine d'être criminels de lèse-majesté, de publier une constitution du Pape sur les droits du Saint-Siège, comme entreprenant sur le temporel des rois. Les rapports demeurèrent aussi tendus jusqu'à la mort de Richelieu, pour lequel le Souverain Pontife refusa même de faire célébrer, à Rome, le service d'usage, en disant qu'il était excommunié.

Les puissances chrétiennes ne laissaient guère à la cour de Rome plus de liberté en fait d'administration qu'en matière de doctrine. L'usage avait introduit un si grand nombre de cardinaux de droit, ou de convenance, que le Pape ne disposait que d'un très petit nombre de places entre Empire, France, Espagne, Venise et Pologne, sans parler de tous les petits potentats d'Italie, qui faisaient, en principe, leur frère ou leur neveu cardinal. Il fallait au Pape un extrême courage pour ne pas envoyer le chapeau à quelques-uns de ceux qu'il plaisait au Roi nommer au cardinalat, comme par exemple le président le Coigneux ou le Père Joseph. Je ne presse point S. M. de faire des chevaliers du Saint-Esprit, disait le Souverain Pontife, elle ne me doit point presser de faire des cardinaux contre mon gré. Mais le Roi n'admettait nullement l'assimilation ; il pensait au contraire pouvoir donner les chapeaux rouges comme les cordons bleus, à la condition de ne pas dépasser la quotité qui lui était réservée dans le Sacré Collège. Dans les lettres de remerciement que Richelieu adressa à bien des gens, lors de sa promotion, il ne prononce même pas le nom du Pape ; il parle seulement de la bonté du Roi, à qui il doit sa dignité ; et à la façon dont le nouveau prince de l'Église promet de se servir de cette dignité pour obéir aux commandements du Roi, on peut croire qu'il s'agit du titre de duc, ou de l'emploi de premier ministre. Des cardinaux purement romains recevaient aussi les ordres des divers cabinets catholiques, dont ils touchaient la solde, attachée aux titres de protecteurs et comprotecteurs. Ce sont eux qui offrent d'être, au conclave, auteurs et chefs de toutes les exclusions qu'on voudrait.

Si le pouvoir laïque s'immisçait de telle sorte, à Rome, dans la conduite générale de l'Église, on pense qu'à l'intérieur du royaume il pénétrait librement dans le domaine spirituel. L'État est fort attentif, pour des motifs de politique, ou simplement de nationalité, à enlever des moines d'un couvent frontière, pour les transporter à l'autre extrémité de la France, à interdire notre territoire aux généraux ou provinciaux suspects de partialité pour les ennemis du Roi. On agit ainsi en Provence contre des Minimes, à Corbie, à Saint-Honorat ; on chassa de Pignerol les Feuillants italiens pour y mettre des Feuillants français. C'était en somme le droit de la guerre ; des religieux même venaient parfois en aide à la police du cardinal, et lui dénonçaient les manœuvres suspectes de leurs frères ou de leurs supérieurs.

Les lois de l'Église étant lois de l'État, l'État se chargeait de les faire observer, tant par les clercs que par des laïques. Les magistrats civils entraient ainsi en partage d'attributions avec les pasteurs spirituels ; depuis le conseil royal jusqu'au plus humble des tribunaux de petite ville, tout juge était appelé à intervenir dans l'administration ecclésiastique. Pour assurer la compétence et garantir l'impartialité des juridictions supérieures, il était juste que le clergé y Mt représenté. C'était, ou plutôt ce devait être la mission des conseillers-clercs qui siégeaient de toute ancienneté dans les parlements ; mais comme on négligeait souvent de les remplacer, ou qu'on les remplaçait par des laïques, certaines cours n'en avaient plus un seul. Les parlements ne s'en érigeaient pas moins, à l'occasion, en conciles, pour trancher des matières de doctrine et de foi. Ils condamneront au besoin, comme hérétiques, des propositions soutenues par les Pères de l'Église. D'autres compagnies s'élèvent, il est vrai, contre cette prétention : la Sorbonne, l'Université ; la dernière, moins hardie ; l'autre, plus autorisée, mais livrée à des dissensions intérieures entre les théologiens séculiers et les religieux, docteurs au même titre, qui cherchent mutuellement à s'exclure. Toujours est-il qu'il existait trois corps, dont aucun n'avait reçu l'inspiration du Saint-Esprit, qui délibéraient officiellement sur la doctrine chrétienne, et contre lesquels les évêques devaient souvent entrer en lutte ouverte.

Ces assemblées mêmes du clergé, le parlement de Paris prétend les interdire à son gré, pour faire reconnaître aux ecclésiastiques la subjection qu'ils doivent à la justice royale. Méprise-t-on ses arrêts en pareille circonstance, cette cour décrète ajournement personnel contre les nommés de Trapes, archevêque d'Auch, et Miron, évêque d'Angers, et prononce la saisie de leur temporel, jusqu'à ce qu'ils aient comparu. Ces compagnies souveraines, qui enregistrent les brefs des papes comme les édits des rois, qui ne permettent pas à un évêque d'exécuter un jubilé, si elles ne l'approuvent dans leur ressort, qui protestent au nom des libertés de l'Église gallicane, lorsqu'on envoie faire juger un livre à Rome, en disant que cela est sans exemple, prennent connaissance de l'administration des sacrements comme du revenu des fabriques, jugent et annulent les vœux de religion, s'occupent de la forme, de l'heure et de l'ordre du service divin, des honoraires des prêtres pour la célébration des messes, et de la transgression des fêtes chômées. L'Église, déclarent au Roi les prélats, restera bientôt sans autorité ni juridiction, si V. M. n'y apporte remède ! C'est un arrêt du Parlement qui autorise l'archevêque de Paris à destituer le prieur de Saint-Victor, qui confirme les règlements des abbés pour la visite de leurs monastères, homologue les statuts des chapitres et règle au besoin la pitance de ceux qui prennent part aux fruits. La cour de Grenoble valide l'élection du général de l'ordre de Saint-Antoine ; la cour de Toulouse autorise le général des Franciscains à remédier aux divisions qui règnent dans tel couvent.

La même cour ordonne au cardinal de Sourdis de donner l'absolution à un gentilhomme excommunié par le concile provincial, pour refus de renvoyer une concubine. Le parlement de Paris prescrit au grand vicaire de Lyon d'absoudre un prêtre du diocèse d'Angers excommunié par son évêque, et le grand vicaire, sur le vu de cet arrêt, l'absout. Il va sans dire qu'on se dispute une cure devant les tribunaux, comme aujourd'hui un bien laïque quelconque. Tout est, ou doit être de la compétence de MM. les conseillers ; tout, jusqu'au logement des religieux en voyage, qui sont tenus de descendre en tels endroits et non ailleurs, jusqu'à la forme des sermons, à leur style, à leur publicité. On ne s'étonne pas de voir le Parlement interdire la chaire, pour six mois, à un Père Capucin qui a méconnu son autorité.

En un temps où il n'y a ni journaux ni tribune, le prédicateur est le principal, le seul orateur ; orateur populaire par la variété de sol public, respecté pour son caractère, — on l'avait bien vu sous la Ligue. Aussi le pouvoir ne le perd-il pas de vue. Non seulement toute allusion malveillante lui est défendue —Richelieu, lors de la brouille du Roi avec la Reine mère, menaça de la Bastille tous ceux qui parleraient du respect que les enfants devaient à leurs parents, —mais l'éloge du gouvernement est souvent obligatoire. Les prédicateurs, dit Pontchartrain, lors de l'assassinat du maréchal d'Ancre, firent leur devoir à animer le peuple à louer Dieu de ce que le Roi avait repris l'administration de ses affaires. Une ville refuse-t-elle de recevoir le prédicateur envoyé par l'évêque ? On plaide devant le parlement le plus proche, et le parlement se prononce entre ce prélat et ses ouailles. L'official de Tréguier est-il accusé d'avoir prêché une doctrine peu orthodoxe ? La cour de Rennes croit devoir en informer, et il faut un arrêt du Conseil privé pour renvoyer ce prêtre devant l'archevêque de Tours, son métropolitain.

C'est sous la forme d'appels comme d'abus que les instances religieuses sont généralement introduites devant la justice laïque. On les admit en cas de contravention aux ordonnances royales, puis en cas de contravention aux arrêts mêmes des parlements. Les appels comme d'abus, que Richelieu condamne dans son Testament politique, ainsi que beaucoup d'autres choses qu'il a pratiquées, étaient une de ces procédures à toutes fins, que les souverains employèrent ou désavouèrent, selon les besoins de la politique. L'État construit une citadelle à Verdun, sur un terrain que l'évêque, François de Lorraine, dit lui appartenir. Il excommunie les travailleurs. Le procureur du Roi appelle comme d'abus, de cette peine spirituelle, et le tribunal de Metz condamne le prélat à 100.000 livres d'amende, ordonne qu'il sera appréhendé au corps et amené à la Bastille. L'official de Rouen interdit aux curés de porter l'étole, lorsque le grand archidiacre fera sa visite ; les curés en appellent au parlement de Rouen, qui casse la sentence de l'official et rend aux curés le droit de se revêtir de cet ornement ; l'archidiacre à son tour en appelle du parlement au conseil, qui finit par s'avouer incompétent et renvoie les parties devant les juges ecclésiastiques. Mais cela ne se terminait pas toujours ainsi. Il y eut, dans le diocèse de Rennes, au sujet de la police des cimetières, que l'évêque et le parlement revendiquent chacun de leur côté, une histoire d'ifs qui dura de longues années, et qui semble purement plaisante. Les recteurs bretons, entre le prélat qui leur prescrivait d'abattre les ifs des cimetières, sous peine d'interdiction, d'excommunication même, et les officiers de justice qui leur défendaient d'y toucher, sous peine de saisie de leur revenu et de 500 livres d'amende, étaient dans la position la plus critique. L'évêque l'emporta au conseil ; il avait du reste fait couper les arbres litigieux par force et à main armée. De pareils débats n'étaient pas rares.

Les tribunaux inférieurs intervenaient de même. Une sentence, rendue à la requête de la fabrique, condamne un particulier à rendre le pain bénit ; le juge du bailliage de Maintenon condamne un bourgeois à aller à la messe à l'église Saint-Pierre, sa paroisse, et non à l'église Saint-Nicolas. Et comme un service en vaut un autre, les magistrats ont recours aux ministres de l'autel pour obtenir des révélations au moyen des monitoires qu'ils publient au prône. Les monitoires sont si commodes qu'on en abuse, et que le clergé réclame ; d'autant que ce ne sont pas les seuls documents qu'il lui faille publier à la grand'messe. Les officiers de finance font donner lecture par le curé du rôle des tailles ; les syndics, notaires et procureurs lui apportent mille annonces profanes : ventes, marchés, enchères et contrats.

Si le temporel empiétait de cette façon sur le spirituel, en revanche plusieurs des sacrements religieux sont des actes légaux ; l'Église à ce titre tient une place officielle dans la vie civile. Du plus petit au plus grand, tout le monde dépend d'elle et doit compter avec elle. Richelieu veut-il faire casser, en 1635, le mariage de Monsieur, il ne peut se dispenser de prendre l'avis des principaux ordres : Capucins, Feuillants, Jésuites, etc. Au conseil du prince, le clergé est presque toujours représenté par quelques-uns de ses membres ; lors même qu'il n'y siège pas ostensiblement, il a l'oreille privée du Roi par son confesseur. Le poste de confesseur du Roi est une sorte de fonction publique ; on écrit à celui qui l'exerce : Au Révérend Père X..., confesseur du Roi. Le Père Souffren donne sa démission en bonne et due forme, de cette charge dont S. M. a daigné l'honorer depuis quelques années. Le confesseur qui, on sait, était toujours un Jésuite, jouait dans l'ombre un rôle assez important pour embarrasser plus d'une fois un ministre aussi absolu que Richelieu. Le Roi, dit Son Éminence, avait mis sa conscience entre les mains de ces bons Pères, à l'exemple de Henri IV, bien que celui-ci eût pris le P. Coton plutôt pour un gage de leur foi. Le cardinal conçut le projet de mettre en cette place un bon Chartreux, ou quelque autre religieux dont les chefs d'Ordre résidassent en France ; il n'osa pas, mais exigea du confesseur que s'il trouvait quelque chose à redire à la conduite qui s'observait en l'État, il en demandât l'éclaircissement au conseil, et ne parlât point politique au souverain. Sans doute, il aimait mieux être ainsi confessé lui-même, à la place du Roi ; il prenait volontiers pour lui, par avance, les observations. Le P. Caussin, qu'il venait de faire renvoyer de la cour, écrivait peu de temps avant au Père Général : Pour les courtisans, le silence est souvent un devoir ; pour le confesseur, il serait un sacrilège.

Cette ingérence était-elle voulue par la Compagnie ? L'ordonnance rendue sur la matière par le P. Acquaviva (1602) était assez ambiguë : Le confesseur, y est-il dit, ne doit pas paraître à la cour sans y être appelé, à moins qu'une pieuse nécessité... il ne doit jamais se mêler d'affaires politiques, se charger d'obtenir quelques faveurs, ni solliciter... à moins que ce ne soit une œuvre de piété jugée nécessaire par le supérieur. Il ne devra recommander aucune affaire aux ministres, ni de vive voix, ni à plus forte raison par écrit... Il est du devoir du prince d'écouter volontiers tout ce que le confesseur se croira obligé en conscience de lui suggérer, non seulement pour ce qu'il lui fera connaître en qualité de pénitent, mais aussi pour les autres abus dignes de répression dont il entendrait parler.

Cette tendance du confesseur n'a rien qui doive surprendre ; l'Église ne cessera jamais d'enseigner que le bien de la religion doit être le but principal des États, comme le salut éternel le but unique des chrétiens. Si elle cessait de l'enseigner, elle cesserait d'être l'Église. Richelieu lui-même, quoiqu'il ait pratiqué une politique toute laïque, ne se révolte pas ouvertement contre l'immixtion de l'autorité ecclésiastique dans les choses temporelles. On vient de voir qu'il engage le confesseur royal à s'ouvrir à lui de ses scrupules sur « la conduite de l'État » ; il veut se réserver le soin de les calmer ; ce qu'il n'admet pas, c'est qu'on lui fasse de l'opposition. Dans toute manière où l'accroissement de l'autorité ecclésiastique ne lui porte pas ombrage, il donne volontiers les mains à cet accroissement. Ainsi il était partisan de la réception en France du Concile de Trente ; qui organisait pourtant, en plusieurs cas graves, l'introduction de l'Église dans l'État. Le Parlement, d'ailleurs, et les États généraux, tout en refusant de souscrire aux décrets du Concile sur la discipline, ne tenaient pas moins que Richelieu à maintenir l'étroite union de l'État avec l'Église. Au XVIIe siècle, on ne concevait pas la possibilité d'un autre système. Seulement, dans cette vie à deux, chaque associé, sans l'avouer, espérait asservir l'autre.

L'Église finit par avoir le dessous.... Les successeurs de ces puissants prélats féodaux, Révérends Pères en Dieu, le plus souvent sortis du peuple, qui faisaient trembler les barons et les princes, n'osent même plus, sous Louis XIII, s'assembler sans permission. Si messieurs du clergé contreviennent à ce règlement, le lieutenant civil a pouvoir de leur faire un procès. Ces réunions, qui avaient lieu tous les deux ans, ne sont plus autorisées que tous les cinq ans ; le Roi, par une forme assez ironique, dispense les ecclésiastiques de les tenir. C'est le gouvernement qui fixe le lieu du rendez-vous à sa guise, qui le change, s'il lui plan, au cours des délibérations. Une Assemblée, commencée à Poitiers, est transportée à Niort, malgré ses plaintes, et se termine à Paris. Richelieu, après s'être livré, en 1641, avec de Noyers, à une statistique conjecturale et avoir pratiqué largement la candidature officielle pour se procurer une majorité docile, parmi les trente membres qui devaient composer l'Assemblée, casse l'élection d'une province et nomme lui-même un autre député. Le résultat n'ayant pas répondu à son attente, il expulse, dès la seconde séance, ceux qui étaient hostiles à ses projets ; il les renvoie, dit-il, faire pénitence de leurs fautes. Il renouvela cette épuration quelques jours plus tard, en la personne de deux archevêques et de quatre évêques, auxquels il fit donner l'ordre de sortir de la ville, par des lettres royales qui se terminent en ces termes : Je prie Dieu, Monsieur l'archevêque, qu'il vous donne une meilleure conduite, et vous ait..., etc.

Un pareil langage, de pareils procédés scandaliseraient fort nos contemporains. Un prince chrétien n'oserait, sans inconvenance, les employer, ni un prince impie se les permettre sans passer pour persécuteur. Ce qui les faisait supporter autrefois, c'était l'affection mutuelle que l'Église et l'État avaient l'un pour l'autre. On pardonne beaucoup à ceux qu'on aime et dont on se sait aimé. Le fils aîné de l'Église voulait la dominer, mais non l'amoindrir ; le maintien, l'honneur de la foi catholique était aussi cher au gouvernement qu'à la nation. Ce Parlement, si pointilleux dans ses relations avec l'épiscopat, avec les Ordres monastiques, délibère que, lorsqu'on portera aux malades le Saint Sacrement, un conseiller de la première chambre l'accompagnera. Le prêtre se sent en sûreté avec ce magistrat qu'il a vu ce matin à la messe et à la dernière fête au confessionnal. Le fonctionnaire sait avec quelle sincérité l'officiant entonne le Te Deum pour les victoires du Roi, fait prier pour lui quand il est malade et s'afflige de ses revers. C'est dans ce double sentiment qu'il faut chercher le secret d'une intimité, parfois orageuse, mais toujours profonde, que l'esprit moderne a détruite sans retour.