PRÊTRES, SOLDATS ET JUGES SOUS RICHELIEU

 

LE CLERGÉ CATHOLIQUE.

CHAPITRE VI. — L'ÉGLISE OFFICIELLE. - ABUS INTRODUITS PAR L'ÉTAT.

 

 

Abbayes en commende, abbés commendataires ; ils ont le moins de religieux possible, et leur donnent b peine de quoi vivre. — Abbayes possédées par des laïques, par des enfants, par des protestants. — Pensions sur les bénéfices. — Bénéficiers non résidents, pluralité des bénéfices. — Ecclésiastiques militaires. — Prêtres coupables, scandaleux. — Évêques et cardinaux laïques, ou de mauvaise vie. — Les cardinaux princes. — Vœux monastiques, leurs conséquences ; âge où ils sont autorisés. — Dots exigées des religieuses. — Désordres dans certains couvents ; droits des abbesses et leur indépendance.

 

Une organisation aussi vaste que celle de l'Église n'est aisée ni à diriger, ni surtout à réformer, quand elle se dérange ; si, par son origine et sa fin, elle est immuable et divine, par sa vie matérielle et sa discipline, elle est changeante et corruptible, et, à cet égard, sujette à se déranger sans cesse. Il existait, dans l'Église du XVIe siècle, des désordres imputables, partie à l'Église elle-même, partie aux gouvernements. Ceux qui étaient imputables à l'Église furent réformés par le Concile de Trente et par l'élan religieux qui signale la première moitié du xvii0 siècle ; ceux qui étaient imputables à l'État furent légèrement atténués, mais subsistèrent. Ni la sainteté d'un Vincent de Paul, ni la science d'un Bossuet ne prévalurent contre des abus qui n'ont disparu qu'avec la monarchie ; preuve qu'ils n'étaient pas inhérents à l'Église, mais à l'État.

Une des injustices les plus flagrantes et les plus singulières de la monarchie absolue, c'étaient les abbayes en commende. Si un Persan ou un Indien venait en France, dit Montesquieu, il faudrait six mois pour lui faire comprendre ce que c'est qu'un abbé commendataire qui bat le pavé de Paris. Chef honoraire d'une abbaye où il ne réside pas, mais dont il perçoit les deux tiers au moins du revenu, le commendataire n'a qu'un but : celui de tirer le plus possible de cette sinécure ecclésiastique. S'il ne vend pas, comme on en a des exemples, le plomb ou l'ardoise de son église pour la recouvrir en tuiles et empocher la différence, il entretient le moins possible les bâtiments monacaux. Sourdis, obligé de dépenser 3.000 livres pour le dortoir de son abbaye de Royaumont qui tombe en ruine, fait tous ses efforts pour la troquer contre une autre, afin d'esquiver les réparations ; puis se répand en injures contre le prieur claustral, qu'il traite d'escroc, et qu'il accuse de lui jouer un tour de moine.

Ces prieurs claustraux étaient les abbés effectifs. Élus librement par les religieux, ou nommés par les généraux des Ordres, ils gouvernaient le monastère et faisaient, pour quelque 100 livres par an, la fonction dont le titulaire mondain se contentait de toucher la rente. Là où la règle est tout à fait austère, on construit au commendataire une maison, hors du cloître, où il descend lors de ses voyages, afin de ne pas troubler le bon ordre du couvent. Cet abbé n'est jamais plus heureux que si le nombre dés religieux diminue ; c'est autant de bouches de moins à nourrir. Il s'oppose de son mieux au recrutement. Tribunaux, conseils de ville ou États de province luttent sans cesse avec ces abbés, pour les obliger à recevoir gratuitement dans leurs monastères le chiffre de moines qui y doit être, suivant les fondations, pour le service divin. On les somme de repeupler leurs bénéfices dans de courts délais, sous peine de saisie du temporel. Malgré tout, bien des prieurés sont abandonnés et déserts ; dans un seul bailliage de Picardie on en citerait une douzaine, en 1610. Les constructions délabrées s'en vont par morceaux ; une seule est soigneusement entretenue : la grange, qui souvent n'est autre que l'ancienne chapelle, affectée désormais à cet usage.

Au personnel restreint qui habite le couvent, l'abbé, réformateur intéressé du temporel des moines, se charge de faire observer les vœux de pauvreté et d'abstinence ; c'est en cela qu'il se souvient d'avoir été institué par la Providence divine, comme il s'intitule dans ses arrêtés. L'abbé de Saint-Germain d'Auxerre (qui n'est autre que le prince de Conti, puis le cardinal Mazarin) passe un contrat avec ses religieux : Ceux qui sont élevés au sacerdoce recevront la pitance de trois sous et demi par jour, en chair ou poisson, deux pains et deux pintes de vin, plus trente livres par an pour le vestiaire. Les novices se contenteront d'un sou neuf deniers, d'une chopine de vin, et d'une robe de deux en deux ans ; plus une paire de souliers et une de sandales. C'est ce qu'on appelait la manse conventuelle ; elle est ici de 200 livres, — sur 15.000 peut-être ; — tout le reste est pour l'abbé. L'usage semblait si naturel qu'un vertueux prélat, comme le cardinal de la Rochefoucauld, commendataire de Sainte-Geneviève, permet aux religieux d'élire un abbé, mais garde pour lui le revenu.

Dans le principe, une abbaye ne devait pas être possédée en commende plus de six mois ; celles où ce système vicieux fut introduit y demeurèrent soumises pendant trois siècles. Or, ce système eut el double résultat de dépouiller l'Église et de la déconsidérer.

Il y a des choses qui, ramenées à leur première institution, sont étonnantes et incompréhensibles. Qui peut concevoir en effet, dit La Bruyère, que certains abbés, à qui il ne manque rien de l'ajustement, de la mollesse et de la vanité des sexes et des conditions, qui entrent auprès des femmes en concurrence avec le marquis et le financier, soient originairement, et dans l'étymologie de leurs noms, les pères et les chefs de saints moines, et qu'ils en devraient être l'exemple ?

Que l'on regarde comment et à qui les bénéfices sont distribués, que l'on écoute Mme de Pontchâteau, qui prie un de ses voisins de venir la voir pour résoudre avec elle si on fera son second fils d'église ou d'épée, que l'on suive le Roi à la foire Saint-Germain, où il gratifie un inconnu endormi d'un bon prieuré vacant, envié par plusieurs compétiteurs, afin qu'il puisse se vanter que le bien lui est venu en dormant, on s'étonnera du petit nombre des scandales.

Abbés en bas âge, abbés en nourrice, ne sont pas rares ; à plus forte raison les chanoines écoliers, à qui l'on donne pension sur la prébende qu'ils doivent desservir un jour.

L'évêché de Troyes n'est-il pas donné au petit Vignier, âgé de dix ans, dont la maman administre le temporel du diocèse ? On conteste au fils de la duchesse de Guise, jeune humaniste de dix-sept ans, la paisible possession de l'abbaye de Saint-Denis. Misérable chicane, dit son précepteur : Monseigneur de Saint-Denis jouit, comme vous savez, d'autres bénéfices plus importants ; par conséquent son habileté à posséder celui-ci ne peut être révoquée en doute. Son cousin de Lorraine, qui avait trouvé l'évêché de Verdun dans son berceau, le conservait quoiqu'il vécût en laïque, n'ayant pas seulement voulu prendre le degré de sous-diacre.

Les jeunes possesseurs d'abbayes, arrivés à l'âge requis par les conciles, étaient tenus ou d'entrer dans les ordres ou d'abandonner le bénéfice ; ces laïques, d'ailleurs, s'ingéniaient à conserver dans leur âge mûr, ces revenus religieux que la tendresse de leur famille avait obtenus à leur enfance. Beaucoup de gentilshommes ou de gens de cour jouissent du temporel des bénéfices par confidence ; ils les font mettre sous le nom d'un custodi nos ecclésiastique, gratifié par eux d'une pension et qui encaisse pour leur compte, comme un honnête régisseur.

La place de custodi nos de M. le comte de Soissons, détenteur de plus de 400.000 livres de rente d'Église, est tenue par un prieur, aux gages de. !.000 écus par an. Ce ne sont pas seulement les princes, Condé, Carignan et autres, qui en usent ainsi, mais les simples particuliers. De 1523 à 4680, les Grossoles-Flamarens possèdent le prieuré de Buzet ; la belle comtesse de Guiche, Corisande d'Andouins, tint jusqu'à sa mort l'abbaye de Châtillon. Sully a quatre abbayes, et il n'est pas le seul protestant dans ce cas ; telle famille réformée jouit pendant un siècle de Fontgombaut, en Berry ; tel huguenot, gouverneur d'une citadelle en Bresse, est commendataire d'une abbaye voisine. Tout cela ne choque pas trop.

Richelieu, qui plus tard récompensait le violon Maugars par le don d'un monastère, et payait d'autres artistes de sa musique de la même monnaie, ne se montra pas lui-même extrêmement scrupuleux. Peu à peu des revenus qui continuent de figurer à l'actif de l'Église cessent de lui appartenir en fait ; dans de grands chapitres, comme Saint-Martin de Tours, les maires et les prévôts sont toujours des laïques ; et parmi ces prévôtés il en est qui rapportent plus de 10.000 livres de rente.

A défaut du titre, on obtient des pensions payables sur les revenus. Ces pensions, enchevêtrées dans les bénéfices, sont accordées par le roi à qui il lui plaît. L'archevêque de Tours en a une sur les évêchés de Navarre ; des chevaliers de Malte, la Motte-Houdancourt, en ont sur l'évêché de Mende. Tout Français puissamment recommandé, tout étranger précieux pour la politique française, peuvent en recevoir. Leur chiffre était important : Luçon en devait pour 4.400 livres ; l'évêque de Pamiers demandait à être déchargé de celles qui foulaient ce pauvre et désolé évêché ; ses pensionnaires venaient le persécuter jusque dans les montagnes, où les violences des guerres l'ont relégué. Les prélats, par compensation, obtenaient, selon leur degré d'ambition ou de faveur, un lot de bénéfices qui leur rendait l'aisance ou la richesse ; les chanoines, à leur exemple, s'efforçaient d'arrondir leur budget par une cure rurale, par un prieuré de rapport. C'est dire que la pluralité des offices ecclésiastiques, abus toujours combattu par les décrétales des papes, florira désormais jusqu'à la fin. Contraindre les clercs à se contenter d'un seul bénéfice, quand il dépasse 600 livres, parait une raillerie de mauvais aloi : Il est de la bienséance, dit le clergé de Normandie, que les membres des hauts chapitres ne soient pas sordidement vêtus et indécemment accommodés. Les défenses que l'on fera dans ce but demeureront lettre morte, puisque l'État lui-même viole les ordonnances qu'il promulgue ; le cardinal de la Valette avait huit abbayes, et les autres à proportion. Un prêtre fort recommandable termine un petit billet au ministre en le suppliant de se souvenir qu'il lui a demandé une petite abbaye pour avoir un carrosse, et d'autres commodités qui deviennent des besoins en vieillissant. Qu'on ne se hâte pas de sourire ; on n'est sévère que pour les désordres du passé. Les contemporains finissent par s'habituer aux singularités de leur temps, au point de ne pas les apercevoir.

Le résultat direct de cet abus était de rendre la résidence impossible ; les trois quarts des bergeries et des troupeaux, disait à la fin du XVIe siècle l'évêque du Mans, sont dépourvus de vrais et légitimes pasteurs. On avait vivement discuté à Trente, mais sans rien conclure, ce point de savoir si la résidence était obligatoire de droit divin, ou seulement de droit ecclésiastique ; on se borna en pratique à exiger la résidence des titulaires de cures et autres postes ayant charge d'âmes, mais sans l'obtenir. L'exemple venait de si haut ! Quand un curé ne réside point, disait en chaire l'évêque de Belley, quand il ne veut point obéir, on a recours à Monseigneur son évêque ; on écrit à Monseigneur, à Paris, qu'un tel, etc. ; Monseigneur fulmine. Voilà qui est bien, voilà qui est selon les canons. Mais Monseigneur le prélat qui ne résidez point, que peut-on dire de vous ? Ces paroles étaient prononcées devant un grand nombre d'évêques, qui se trouvaient dans ce cas. L'obligation d'un séjour annuel et non interrompu de trois mois parait trop sévère ; il y a quelque cruauté à la maintenir. Quant au projet d'une résidence forcée de neuf mois sur douze, conçu par Richelieu dans la première ferveur du ministère, il n'a jamais vu le jour. Renvoyer des évêques dans leur diocèse pour les punir, disait Montchal, c'était jeter des poissons dans l'eau par dépit. Mais tous les évêques ne pensaient pas de même ; le cardinal de Richelieu ne pouvait oublier l'impression pénible qu'avait éprouvée l'évêque de Luçon quand le Roi lui écrivit, lors de la chute du maréchal d'Ancre : Allez à Luçon faire les devoirs de votre charge, et exhorter vos diocésains à se conformer aux commandements de Dieu et aux miens. Le caractère sacerdotal semblait fort compatible avec une foule de fonctions, que l'esprit moderne juge avec raison devoir lui demeurer tout à fait étrangères. Tels étaient les commandements militaires exercés par les cardinaux et les archevêques ; au blâme infligé par le Pape à ceux qui en étaient investis, Richelieu répondait que les cardinaux devaient contribuer au bien public, selon les talents que Dieu leur avait donnés et qu'il était impossible qu'ils ne fussent pas engagés dans les charges militaires, aussi bien que dans les autres. Il devait cependant tempérer la fougue de La Valette, et lui disait qu'avec sa dignité il pouvait bien faire le capitaine, mais non pas le carabin. On peut trouver médiocrement évangélique le mot du Père Joseph, en train de dire sa messe, lorsqu'un officier s'approche, et lui demande un supplément d'instruction : Mais, mon Père, si ces gens-là se défendent ?Qu'on tue tout, répond le Père. Et il continue sa messe sans s'embarrasser autrement. On peut voir avec étonnement l'abbé de Beauvau planter des pieux dans le canal de la Rochelle, et les évêques de Montpellier, Nîmes, Mende, Albi et autres conduire à la guerre contre les Espagnols les contingents de leur diocèse (1639). Ces mœurs n'avaient rien de spécial à la France ; au siège de Dole, en Franche-Comté, les religieux de la ville parurent sur les remparts armés de marteaux pointus, dont ils assommaient tout ce qu'ils rencontraient sous leurs mains ; un Cordelier y fit merveille ; un Capucin, le Père Eustache, l'un des meilleurs canonniers de son temps, dirigeait l'artillerie des Comtois.

Tout différents sont le désordre et la débauche où vivent ouvertement des clercs et des prêtres. Là, on touche du doigt le vice du nouveau système ; il vaut à l'Église bien des ministres dont la réputation est telle, qu'ils ne pourraient paraître à l'autel sans scandaliser les fidèles. Tel est ce Bois-Robert, chanoine de Saint-Ouen, accusé d'un vice ignoble, et ne s'en cachant pas ; tel Costar, curé de Niort ; tel l'abbé de Laffemas qui fait des chansons obscènes ; des Barreaux, l'amant de Marion de Lorme, qui prêche ouvertement l'athéisme ; l'abbé d'Armentières, qui vit avec une actrice de l'hôtel de Bourgogne, etc. La liste serait longue, depuis les élégants jusqu'aux crapuleux, depuis le jeune Paul de Gondi, abbé de Buzay, avec 18.000 livres de rente en bénéfices, jusqu'à Dulot, pauvre, mais ivrogne et adonné aux gourgandines ; la liste serait longue de ceux dont les vices défrayent les chroniques galantes. Quoi que nous puissions dire, nous n'irons jamais aussi loin que le vénérable Bourdoise, déclarant avec horreur que ce qui se fait de plus mal, parmi ses contemporains, est fait par les ecclésiastiques.

Si Richelieu avait retiré leurs bénéfices à tous ceux qui ne vivaient pas selon Dieu, comme il fit à l'abbé d'Effiat, cadet de Cinq-Mars, après la condamnation de son ainé, le tiers peut-être des biens d'église eût changé de maîtres ; mais il n'y songe pas. Lui qui rappelle les moines à l'étroite observance, ne semble pas frappé de cette anomalie qui maintient nominalement à la tête des couvents de si étranges chefs. On sévit de temps à autre contre un curé ignorant, un prieur dissolu ; mais on donne des évêchés à de Broc, connu pour ses mauvaises mœurs, à La Rivière, un roué déguisé en prélat, à d'Estampes, dont les escroqueries et le libertinage sont notoires ; à Lavardin, qui meurt en odeur d'irréligion, si bien que des prêtres ordonnés par lui, l'illustre Mascaron entre autres, durent l'être ensuite de nouveau sous condition. Quelques-uns, après avoir donné la farine de leur vie au monde, se décident à en donner le son à Dieu ; quelques-uns, comme l'évêque de Grasse, que l'on traite en gamin, après avoir trop longtemps joué le personnage de nain de la princesse Julie, abandonnent tout à coup les salons pour l'austérité du devoir pastoral ; mais comment l'histoire se contentera-t-elle de ce que nous dit Richelieu, que Sa Majesté, voyant dès longtemps la vie un peu libre de quelques-uns des évêques de son royaume, demanda un bref pour les juger selon la rigueur des canons ? Ne sait-on pas que ce bref lui fut envoyé, et que, ne l'estimant pas assez complet, il le déchira avec son canif, et le jeta au feu en présence du nonce, pour montrer qu'on s'était moqué de lui ? Cependant, le tout-puissant ministre se passe bien de la cour de Rome, quand il s'agit de vaincre la résistance de quelque prélat trop indépendant. Le respectable évêque de Léon fut traité, pour des motifs politiques, comme un infâme coquin, et privé de son évêché sans qu'on lui permit d'appeler de la sentence des commissaires, ce qui n'eût pas été refusé à un coupeur de bourses.

Il y avait bien à dire sur le recrutement du Sacré Collège : Je pense, avait dit au concile le saint archevêque de Grenade, que les très illustres cardinaux ont besoin d'une très illustre réforme... Une bonne moitié des princes de l'Église n'étaient pas appelés à la pourpre par extraordinaire mérite qui fût en eux, mais par la faveur de leurs alliances. Ces grands personnages ne prennent les ordres que comme un pis-aller ; s'ils trouvent mieux, ils renvoient leur chapeau à Rome, sans plus de façon que s'il s'agit d'une charge qui cesse de plaire. Le Pape est fréquemment obligé de leur permettre de prendre femme pro bono pacis, pour procurer la tranquillité des États, selon la formule. Le cardinal de Savoie épouse sa nièce et redevient le prince Maurice ; le cardinal Pamphilio se marie, le cardinal Casimir de Pologne aussi (il fut roi de Pologne après son frère) ; M. de Nemours, archevêque de Reims, épouse Mlle de Longueville ; le duc de Verneuil, évêque de Metz à l'âge de sept ans, jouit de ce diocèse pendant plus d'un demi-siècle, puis s'en démet pour épouser la veuve du duc de Sully. Le cardinal de Lorraine épouse sa cousine germaine, se donne à lui-même, comme évêque de Toul, la dispense de publications de bancs ; quant à celle de la parenté, dit que le Pape la lui donnera ; se marie en attendant en présence de quelques personnes de son entourage, et consomme son mariage le jour même. Croisilles, un pauvre diable de prieur, passera dix ans en prison pour s'être marié clandestinement, tandis que des gens bien appuyés, conseillers de Parlement, poètes en vogue, obtiennent, quoique sous-diacres, la bulle d'absolution qui leur permet de convoler en public, et tandis qu'un prince, comme l'archevêque duc de Guise, transporté, dit Richelieu, d'une passion plus convenable à son âge qu'à sa dignité, prend pour femme la comtesse de Romorantin, sans provoquer un blâme bien sévère. Un vertueux prélat parle de cette affaire avec un calme étonnant : On hésita quelque temps à donner son archevêché parce qu'on craignait qu'il revînt et qu'il fallût le lui rendre. D'autres estimaient que le premier ministre faisait maintenir cette union par pure malice, pour déposséder l'époux de ses revenus ecclésiastiques.

C'est tout un monde disparu, un état social et politique au milieu duquel il faut se plonger, pour mettre les objets dans leur optique ancienne. Quelle singulière chose, par exemple, que la constitution des couvents de femmes d'alors ! Que doit-on admirer le plus de ces pères et mères excellents qui cloîtrent pour jamais leurs filles à six ou sept ans, et les consacrent à Dieu, faute de pouvoir en tirer parti dans le siècle, ou de ces vierges, qui font si bien de nécessité vertu, ou du public qui tient ces usages pour très simples et naturels ? Le concile de Trente avait fixé à seize ans accompli l'âge auquel il était permis de faire profession religieuse, et avait imposé un an de noviciat ; le tiers état demandait que l'âge légal des vœux monastiques fût porté à vingt-cinq ans pour les hommes, et à vingt ans pour les femmes, et la législation française, par ses variations sur la matière, avait donné satisfaction tantôt au tiers et tantôt au clergé. Les lois ou les règlements importaient peu d'ailleurs ; on voit des enfants, voire des enfants de princes, revêtues de l'habit avant d'avoir atteint leur quatrième année, et élevées dans le couvent d'où elles ne doivent plus sortir. Puisque les filles pouvaient se marier à douze ans, il n'y avait rien d'exagéré à ce qu'elles pussent, à seize, se vouer au célibat ; mais, dans le prononcé du vœu de chasteté, autant que dans la réception du sacrement de mariage, la novice n'était pas plus libre que la fiancée. Il y a bien quelques arrêts de parlements, ordonnant que telle jeune postulante sera ouïe par le premier des conseillers, à l'effet de savoir de sa bouche si c'est bien librement qu'elle veut être religieuse ; qu'il est inhibé à qui que ce soit de la recevoir professe, jusqu'à ce que la cour en ait décidé autrement. Des jugements de ce genre sont parfois rendus au profit de collatéraux contre un couvent ; mais, quoique les conciles aient prononcé l'anathème contre ceux qui contraignent d'entrer en religion, l'enfant était sans défense contre la volonté de ses ascendants. Or les vœux, par leur caractère légal, avaient pour effet immédiat la mort civile de la professe ; on hérite d'elle, de son vivant, en vertu du testament qu'elle a dû faire, et elle ne pourra plus hériter de personne. La reconnaissance des vœux par l'État avait ceci d'avantageux pour les familles, qu'elle ne permettait pas aux religieux ou religieuses de disposer de tout ou partie de leurs biens. Même avant sa renonciation au monde, une fille majeure et maîtresse de sa fortune n'avait pas le droit de la léguer au couvent où elle se proposait d'entrer, tellement la législation était ombrageuse vis-à-vis de tout ce qui eût ressemblé à une captation. La dot, consistant en une somme de 2.000 à 6.000 livres, dont la novice ou ses parents faisaient cadeau à l'abbaye, et la pension viagère de 50 à 300 livres par an, étaient les seules générosités autorisées. Encore les tribunaux, représentants de l'esprit public, estimaient-ils que ces dons devaient être purement facultatifs ; qu'exiger des nouvelles venues des constitutions dotales était une vraie simonie ; que c'était mesurer la vocation plutôt au poids du métal qu'à celui du sanctuaire. La duchesse de Longueville donne à son écuyer 400 écus pour mettre une de ses filles en religion ; pour Mlle de la Porte, sa cousine, Richelieu dit qu'ils se contenteront au couvent de 100 écus de pension et de 400 écus d'entrée. Le maître des eaux et forêts d'Auxerre donne à sa fille, qui prend l'habit, 3.000 livres de dot et un trousseau. Il s'est trouvé des filles, a dit La Bruyère, qui avaient une bonne vocation, mais qui n'étaient pas assez riches pour faire, dans une riche abbaye, vœu de pauvreté. En ce cas, il fallait obtenir du Roi une place de religieuse dans le premier couvent où il y aurait des vacances ; ou bien se faire délivrer par son curé une attestation de pauvreté, pour être dispensé de fournir une dot. Si les décrets des souverains pontifes par lesquels il était interdit de rien exiger des postulantes ne furent pas observés, le pouvoir judiciaire sut maintenir les dots dans des limites modestes, et condamna parfois à restitution les couvents qui avaient accepté de trop grandes sommes.

Dans les monastères de femmes, comme dans les abbayes d'hommes, le scandale n'entre jamais qu'avec l'abbesse ou l'abbé nommé par le gouvernement. Heureusement, il n'y a pas d'abbesse commendataire ; filles de grande maison, princesses même, résident au milieu du groupe de sœurs qu'elles doivent guider. On n'a pas occasion de voir souvent des indépendantes, comme Diane de Rambouillet, abbesse d'Yères, qui vivait depuis trois ans à Paris, en chambre garnie, avec des novices, quand vint le bref de réforme du Saint-Père ; que l'on ne fit rentrer dans son cloître qu'à force d'arrêts du Parlement, et qui, une fois réintégrée, laissa presque mourir de faim les religieuses réformées qu'on lui envoya de Montmartre. Mais il n'est pas rare d'entendre, contre les supérieures improvisées par un ministre ou un courtisan, des plaintes en général trop fondées. Le sieur de Fontenilhes, marié à la nièce de l'abbesse, habite l'enclos du monastère de Sainte-Claire avec sa femme, ses enfants et leur nourrice ; ils usent des fruits et revenus comme de leur bien propre. Il faut de longues procédures pour les faire déloger. Les Dominicaines de Proville profitent d'une absence de leur prieure, Mme de Ventadour, qui est allée passer quelque temps dans sa famille, pour conjurer Richelieu de ne pas la laisser rentrer. Elle ne cherche, dit un mémoire portant cinquante-deux signatures de religieuses nobles, qu'à se repaître de nos chairs et revêtir de nos laines ; elle a toujours tenu grosse et grasse table, pendant que nous étions en peine bien souvent d'avoir même du pain. Quatre fois notre communauté a été contrainte de demeurer à jeun jusques sur les huit heures du soir, notre four étant occupé par elle aux pains de munition qu'elle fournissait aux ennemis du Roi. Elle nous a endettées de 7 à 8.000 livres qu'elle emboursait pour ses menus plaisirs ! Quand les choses allaient aussi loin, l'État se décidait à intervenir. Des arrêts du conseil d'État chargent quelque fonctionnaire d'informer, et de punir comme il jugera convenable les manquements trop saillants. Mais ce n'est qu'avec une extrême répugnance que le pouvoir civil se décide à remettre la liberté des élections dans les abbayes où il a droit de patronage. Il estime que c'est introduire les brigues et les cabales ; comme si un régime par lequel l'Église chrétienne même recrute son premier pontife, qui pour toutes les dignités séculières ou régulières avait duré une douzaine de siècles, dont les ordres religieux, dans notre pays, ont repris depuis plus de cent ans le paisible fonctionnement, pouvait être un régime mauvais. C'est à ces choix, au contraire, qu'on doit attribuer le relâchement de certaines règles. L'humble formule indigne abbesse de....  qui termine les lettres de cette Sœur, jure un peu avec l'inscription sur les registres de dépenses du monastère des gages annuels de ses laquais. On se divertissait trop dans quelques religions ; non pas de ces divertissements naïfs tels que celui qui était imposé aux Sœurs du Paraclet par les chartes du moyen âge et qui les obligeait, pour avoir droit aux dîmes, à danser au bal champêtre, la veille de l'Ascension, et à donner des bourses aux meilleures danseuses. On recevait trop d'étrangères dans les cloîtres, trop de filles ou de femmes que leurs pères ou leurs maris mettent là en dépôt, ou qui y cherchent un asile passager contre l'autorité de leur mari ou de leur père. Une administration municipale interdit aux fausses dévotes de porter l'habit de religieuses à peine d'en être honteusement dépouillées en place publique. Et cet habit, qu'on protège contre toute usurpation, quelques religieuses le réduisent à une petite guimpe fort claire et fort courte, ou l'ornent de gorgerettes et manchettes brodées et en guipure.

Les couvents féminins d'autrefois avaient la même autorité, les mêmes prérogatives que ceux du sexe fort. Bien des prieures nommaient les curés des paroisses de leur juridiction ; elles ont droit de justice, sauf celle du sang. L'abbesse des Clarisses de Mont-de-Marsan, suivie de toutes ses religieuses, prête serment de fidélité au Roi, à la Chambre des Comptes de Navarre, sur le carreau de velours à fleurs de lys, pour trente ou quarante fiefs. A Troyes, l'abbesse de Notre-Dame-aux-Nonnains prétend que l'évêque n'a pas le droit d'être installé ni d'entrer à la cathédrale sans avoir reçu de ses mains la crosse et la mitre, et sans avoir été présenté par elle au chapitre. L'abbesse de Fontevrault a pareil pouvoir sur les couvents d'hommes de son Ordre que sur ceux de filles. Elle reçoit les vœux des religieux, aussi bien que ceux des religieuses, établit, dépose les confesseurs, et dispense à son gré de leurs ordonnances. Que de semblables dames, haranguées par les magistrats à leur passage dans les villes, en relation de parenté souvent, d'amitié toujours, avec la famille royale et les premiers de la nation, n'aient guère eu le goût de l'obéissance au pasteur du diocèse, on le devine de reste ; ce qui surprend davantage, c'est de voir les évêques obligés de plaider indéfiniment avec les moindres monastères, pour les contraindre à réparer leur clôture ou à exhausser leurs murs.