LA NOBLESSE  FRANÇAISE SOUS RICHELIEU

 

CHAPITRE VI. — Les mariages et la filiation.

 

 

Personnalité de la femme. — Célébration des mariages ; peu de liberté des unions. — Contrat de fiançailles et promesses légales. — Désordres et abus ; mariages secrets, irréguliers ou nuls avant le concile de Trente. — Séparation, divorce ou démariage. — Législation et contentieux matrimonial. — Mariages in extremis prohibés. — Légitimation possible par faveur ; reconnaissance légale, n'existe pas. — Enfants bâtards et adultérins.

 

A côté de la vie politique, la vie civile. Il ne suffit pas d'exposer ce qu'était la noblesse dans l'État, ce qu'elle en recevait, ce qu'elle lui devait en retour, et de qui elle se composait. Il faut savoir encore comme le gentilhomme se mariait, comme il héritait, de quoi il vivait, quel emploi il faisait de son argent. Après avoir étudié l'homme public, il faut pénétrer l'homme privé ; s'initier aux secrets de son ménage, aux magnificences de son salon, à ses intérêts de famille ; s'asseoir à sa table, mettre la main dans sa bourse, afin de connaitre comment il s'enrichit, et plus souvent comme il se ruine.

Le mariage, sous Louis XIII, diffère dans ses effets, dans les garanties qui l'entourent, dans les formalités qui accompagnent sa célébration et sa cassation, du mariage actuel. Le gouvernement, les parents et les contractants eux-mêmes ne l'envisagent pas au XVIIIe siècle comme de nos jours. L'union matrimoniale paraît aujourd'hui la fusion de deux individus ; la législation et les mœurs tendent à lui imprimer ce caractère. À cette époque, elle est surtout l'alliance de deux maisons. De là cette conséquence nécessaire : qu'aujourd'hui l'intérêt des époux est ce qui préoccupe le plus, tandis qu'alors ce qui domine, c'est l'intérêt des familles.

Au point de vue des biens, au point de vue des personnes, l'union était donc moins profonde. Chacun gardait sa personnalité, la naissance conservait plus largement ses droits. Après comme avant son mariage, la femme signait simplement de son nom de fille, celui de son père. La duchesse de Bouillon signe Élisabeth de Nassau ; la marquise de La Force, Saveilles ; la duchesse de Châtillon, Isabelle-Angélique de Montmorency ; la duchesse de Chevreuse, Marie de Rohan. Usage si général, que la petite noblesse s'y conformait comme la grande (Mme Ferrier signait Isabeau de Guiraud), et si absolu que, le nom du mari fût-il plus illustre, l'épouse ne croyait pourtant pas devoir l'ajouter au sien propre, témoin les duchesses d'Epernon et de Mortemart, qui, dans des actes officiels, signent simplement Marie du Cambout et Diane de Grandsaigne.

La législation paraît se soucier bien plus de maintenir l'autorité du chef de famille que d'assurer la liberté des unions. Les fils jusqu'à trente ans — les filles jusqu'à vingt-cinq — avaient besoin, pour la validité de leur mariage, du consentement de leurs père et mère. Ils étaient tenus encore, au-dessus de trente ans, de requérir par écrit leur avis. En même temps, la puberté légale étant fixée à quatorze ans pour les hommes et à douze ans pour les femmes, ils étaient à cet âge — où leur discernement personnel est pourtant bien mince — réputés capables d'avoir des enfants et de consentir valablement à un mariage. Cet âge minimum de quatorze et de douze ans ne doit pas être considéré comme une limite extrême, rarement atteinte ; les mariées de douze ans sont nombreuses dans la société de l'époque. Catherine de Vivonne n'avait pas douze ans quand elle épousa le marquis de Rambouillet. Mlle du Plessis-Chivray fut mariée à douze ans à M. de Serrant, fils de Bautru, l'académicien. Mlle de La Guiche, fille du maréchal de Saint-Géran, épousa au même âge le baron de Chazeron, gouverneur du Bourbonnais. Tallemant des Réaux s'unit à Élisabeth Rambouillet, fille d'un secrétaire du roi, qui n'avait pas plus de onze ans et demi. Quand Rohan épousa Mlle de Sully, elle était si petite, qu'on la prit au col pour la faire passer plus doucement. Le ministre du Moulin ne put s'empêcher de demander à Charenton : Présentez-vous cette enfant pour être baptisée ?

Et comme si le terme de douze ans n'était pas assez prématuré, on pouvait se fiancer à l'âge de raison, c'est-à-dire à sept ans, du consentement des père et mère. La puberté accomplie, il était cependant libre aux parties d'accepter ou de refuser ; mais si elles avaient consommé le mariage, ou même seulement habité ensemble, ce mariage était par là validé, sans pouvoir être déclaré nul. Si l'on songe que l'enfant fiancé à sept ans devait se déclarer à douze ou quatorze d'une façon définitive, que du reste la simple cohabitation accomplissait le mariage, et que la cohabitation dépendait absolument des parents, on arrive à conclure que les père et mère pouvaient marier leurs rejetons à sept ans, ce qui revient à dire qu'ils disposaient d'eux à cet égard d'une façon absolue. En certains cas, ils n'attendaient même pas l'âge de raison. Le mariage contracté sous Henri IV entre le premier duc d'Orléans et Mlle de Montpensier, alors que les conjoints n'avaient pas plus de trois ou quatre ans, était réellement valable, et il eût fallu pour le rompre une véritable dissolution. A tout prendre, ces unions n'étaient pas plus bizarres que les mariages contractés par procureurs, par certains gentilshommes, avec des jeunes filles qu'ils n'avaient jamais vues.

Cette autorité du père de famille, exorbitante dans son étendue et funeste au lien conjugal, provoquait une réaction facile à prévoir : les rapts, les enlèvements et les subornations que nous nommons aujourd'hui détournements de mineurs. Ces détournements, favorisés par l'absence de formalités du mariage religieux, avant le concile de Trente, battaient en brèche le droit paternel, mais ruinaient bien davantage encore la liberté des alliances. Ainsi, une violence en créait une autre. Il n'y a rien, disait l'avocat général Bignon, si fréquent aujourd'hui que les rapts, enlèvements et subornations d'enfants de famille mineurs, non tant par amour, comme par avarice et par dessein de faire sa fortune ; telles voies vont à une destruction totale des bonnes mœurs. L'auteur de l'enlèvement mettait quelquefois sa belle en sûreté dans un château, les parents l'y assiégeaient ; il tenait tant qu'il avait des vivres, et parvenait généralement à se sauver. On se battait alors à coups de décrets et d'actes judiciaires. Dans le cas où les familles ne parvenaient pas à s'entendre, le conseil d'État ordonnait de mettre la jeune personne au couvent, pour y faire connaître en toute liberté si elle avait été enlevée de force ou de gré. Si elle déclarait vouloir pour mari son ravisseur, on les laissait aller tous deux.

Le plus souvent le séducteur allait droit à l'autel. On voyait des prêtres inconnus, arrivant d'une ville éloignée, célébrer dans des chapelles particulières des- mariages clandestins, sans contrat, sans proclamation de bans, sans assistance de père ni mère ou autres témoins. Certaines personnes furent ainsi mariées plusieurs fois, toujours avec nullité. Ce n'étaient pas seulement les jeunes filles que l'on enlevait, c'étaient aussi les jeunes gens. Les tribunaux avaient beau répéter que ces sortes de mariages étaient des actes purement vains, inutiles et imaginaires, ils étaient bien forcés de reconnaître que ces cérémonies contribuaient beaucoup à la séduction des filles et des femmes, qui croient que c'est quelque chose quand un prêtre y a passé, et qui se laissent ainsi porter plus facilement à passer outre à la consommation.

Dans un règlement solennel relatif à la célébration des mariages, le gouvernement parlait du désordre qui trouble le repos de tant de familles, et flétrit leur honneur par des alliances inégales, et souvent honteuses et infâmes.

Les promesses de mariage, avec le rôle qu'elles jouaient et l'importance quasi légale qu'on leur accordait, étaient aussi un obstacle sérieux à l'indépendance du contrat conjugal. Une promesse de mariage était, devant la justice, un engagement à peu près obligatoire. Arrachées à l'ignorance ou à la faiblesse, par des filles qui en faisaient une spéculation, afin d'obtenir plus tard des dommages-intérêts, ces promesses étaient, comme les fiançailles d'enfants en bas âge, un moyen de pression pour les uns, un piège pour les autres. Au lieu de les anéantir en les privant de tous effets civils, on consacra leur valeur, à la condition qu'elles seraient arrêtées en présence de quatre proches parents.

Les parents mêmes voyaient dans le mariage de leurs héritiers un moyen de parvenir, et les sacrifiaient à leurs ambitions ou à leurs intérêts, de la meilleure foi du monde. Le maréchal de Vitry, prisonnier à la Bastille, et désireux d'en sortir, fait dire à Richelieu qu'il donnera tant à sa fille en mariage, et le prie de lui faire l'honneur de lui choisir qui il voudra pour mari. Le cardinal partagea avec Séguier pour ses filles ; il en maria l'une à M. de Coislin, petit bossu, son parent, et lui laissa marier l'autre. Bardin, premier commis de l'épargne, adresse au ministre de comiques actions de grâces parce qu'il ne l'a pas obligé à marier sa fille contre son gré. De son côté, un bon courtisan se mariait non pas avec sa femme, mais avec les parents influents de sa femme. Le comte d'Harcourt proposait au cardinal d'épouser telle qu'il voudrait de ses parentes. Je vous avais promis Mlle de Pont-Château, dit Richelieu à Gramont, je suis bien fasché de ne pouvoir vous la donner, et vous prie de prendre en sa place Mlle du Plessis-Chivray. Celui-ci répondait que c'était Son Éminence qu'il épousait, et non ses parentes, et qu'il prendrait celle qu'on lui donnerait. Bien des modernes eu pareil cas pourraient penser de magne, ils n'auraient pas la naïveté de l'avouer ; la différence des temps est là.

D'autres font autoriser par une consécration clandestine un commerce qu'ils ne veulent pas divulguer. Non seulement des grands seigneurs, mais de modestes particuliers ont ainsi ce qu'on nomme des femmes de conscience. Ces mariages secrets, mais pourtant réels, non déclarés, mais bien contractés, étaient nombreux. La loi déclara incapables d'hériter les enfants issus d'unions qui sentent plutôt la honte d'un concubinage que la dignité d'un mariage. Elle ne parvint pas à faire cesser ces pseudo-mariages, incomplets et irresponsables.

Des alliances conclues dans de semblables conditions, tantôt avec si peu d'indépendance, tantôt avec si peu de règle, n'offraient aux contractants que de faibles chances de bonheur. Aussi voit-on les séparations et les divorces rompre sans cesse avec éclat des nœuds formés sans réflexion et condamnés à être sans avenir. Si l'on juge par les mariages le degré de moralité d'un peuple, la France de 1630 offre un spectacle fort peu édifiant.

tees séparations volontaires entre époux étaient, il est vrai, prohibées, comme contraires aux bonnes mœurs. Mais les séparations judiciaires étaient fréquentes, et qui plus est, les divorces étaient innombrables. Ce mot de divorce peut sembler impropre, puisque le mariage n'était envisagé par l'Etat que comme un acte religieux, et que l'Eglise, considérant cet acte comme irrévocable, n'en admettait d'autre dissolution que la mort. Mais s'il n'était pas permis par les canons de rompre un mariage existant, il était loisible à l'autorité ecclésiastique de l'annuler, en déclarant qu'il n'avait jamais existé. Par l'abus que l'on en faisait, la cassation devenait un véritable divorce. Sans que la répudiation fût autorisée de fait, lors même qu'elle était censée impossible selon les lois, on tirait un tel parti des cas de nullité, que bien des gens se démariaient et se remariaient. Il faut voir, écrivait le premier ministre à Bérulle, notre agent à Rome, si on ne peut apporter quelque ordre à l'abus des démariages, ce qu'on sait bien être très difficile. Un projet de règlement, qui sans doute n'eut pas de suite, nous apprend que pour casser les mariages, on fait alléguer par l'une des parties de faux faits et moyens de nullité, comme de contrainte, parenté, impuissance, et autres empêchements légitimes, que l'autre partie feint de contredire, mais en telle sorte que toutes les deux tendent en effet de faire déclarer le mariage nul.

Les unions sans enfants, cassées pour impuissance, étaient un divorce par consentement mutuel, toléré par la loi. Le droit canonique ordonnait seulement que les parties aient demeuré trois années ensemble depuis la célébration de l'hymen, à moins que l'impuissance ne fût évidente et manifeste. Ce moyen de divorce, malgré sa procédure bizarre : la visite juridique chez le lieutenant civil en présence d'une douzaine d'experts, et ce congrès, particulier ou judiciaire, sur lequel s'est tant égayée la verve de nos aïeux, n'était cependant pas le plus dédaigné. Supercherie ou réalité, bien des couples furent désunis de cette manière, et ce ne fut qu'au milieu du règne de Louis XIV qu'un arrêt du Parlement vint interdire aux tribunaux de tout ordre, même aux juges d'Église, d'admettre à l'avenir la preuve du congrès.

Le mari n'avait pas l'excuse légale d'aujourd'hui quand il tuait sa femme en flagrant délit d'adultère. Mais si la loi ne l'armait pas d'un droit exorbitant, strictement borné à un cas unique, elle l'autorisait à séquestrer son épouse dans un couvent sous des motifs futiles, et souvent même sans motif. Entre le mari et la femme commençait alors une succession de procès et une lutte d'influence où le plus fort avait toujours le dernier mot. Le contentieux matrimonial était d'ailleurs une des parties les plus confuses de notre ancien droit. Pour l'État, le mariage était ou un sacrement, et à ce titre il appartenait au curé, ou un contrat, et de ce chef il rentrait dans le domaine du notaire. Le contrat et le notaire étaient justiciables des tribunaux laïques ; le sacrement et le prêtre étaient sous la juridiction des tribunaux religieux. De là une séparation d'attributions toute naturelle. Mais le contrat n'associait que les biens, le sacrement seul unissait les personnes. On pourrait inférer de là que le juge ecclésiastique avait, en fait de mariage, le pouvoir le plus étendu sur les individus ; il n'en était pas ainsi, et des conflits perpétuels se produisaient à cet égard entre l'officialité et le Parlement. Pour rompre un mariage, la coutume était de procéder devant la justice civile pour l'action du rapt, et devant la justice ecclésiastique pour la nullité. En d'autres occasions, le contentieux appartenait à la première quand il y avait seulement promesse par écrit, et à la seconde quand il y avait contrat ou fiançailles. De plus, la jurisprudence n'était pas la même à l'archevêché ou au palais, sans parler des réformés qui en avaient une spéciale à leur usage. Par exemple : selon les lois civiles, le mariage contracté sans consentement était, bien que célébré, nul de plein droit ; selon le concile de Trente, il était illicite, mais valable.

Pour les empêchements de parenté, on suivait le droit canonique, qui les étendait bien davantage que notre Code civil ; en revanche, les fous, pourvu qu'ils eussent des intervalles lucides, et les imbéciles, pourvu qu'ils ne fussent pas tout à fait privés de raison, étaient admis à se marier. Les mourants ne jouissaient pas du même bénéfice ; la loi prohibait les mariages in extremis et les déclarait sans effets pour les enfants. En ce cas, la légitimation par mariage subséquent n'.avait pas lieu.

La légitimation, du reste, ne ressemble en rien à cette époque à ce qu'elle est aujourd'hui. On sait que sous le régime du Code Napoléon, il n'y a qu'une sorte de légitimation pour les fils et filles illégitimes : le mariage de leurs père et mère, combiné avec la reconnaissance légale. Tout enfant légitimé a donc nécessairement, comme l'enfant légitime, auquel il est en tout assimilé, un père et une mère authentiques. La loi actuelle a pris soin d'établir une distinction perpétuelle entre l'enfant légitimé et l'enfant naturel reconnu, issu forcément de personnes non mariées, puisque nul n'a le droit de reconnaître un bâtard adultérin.

Cette distinction n'existait pas sous Louis XIII. Légitimation ou reconnaissance sont alors des actes identiques, ou mieux la reconnaissance telle qu'elle se pratique aujourd'hui était inconnue. D'après le droit romain, la reconnaissance était une des formes de la légitimation ; d'après le vieux droit français, où la filiation dérivait uniquement du mariage, et où le mariage était chose sacramentelle, la reconnaissance était l'aveu d'une faute. Le prêtre l'eût reçu au confessionnal, il ne l'eût pas inscrit sur les registres de sa paroisse. Le pouvoir civil ne se crut pas tenu de l'enregistrer de plein droit ; il l'accorda au père comme une grâce. Cette reconnaissance de faveur, la seule possible, reçut le nom de légitimation, et fut ainsi placée sur la même ligne que la légitimation véritable par-mariage subséquent, confine si la proclamation de l'irrégularité équivalait à sa réparation.

A tout prendre, la légitimation était déjà un progrès sur la naïve immoralité des temps barbares, où tes bâtards étaient à peu de chose près dans la même situation que les enfants légitimes. S'ils éprouvaient le besoin de se faire réhabiliter, c'est qu'ils se sentaient socialement inférieurs. Or la considération dont jouissent les bâtards dans l'état social est en raison inverse du respect accordé au mariage. Simon de Luxembourg (1441), Robert de Lenoncourt (1500), A. de Pontac (1513), Antoine de Louvencourt (1586), Altorg de Senneterre (1605), — pour n'en citer que des plus marquants furent ainsi légitimés jusqu'à Louis XIII. La position des enfants naturels s'amoindrit encore au commencement du XVIIe siècle, par suite d'une déclaration de 1600, qui privait complètement de la noblesse les bâtards de gentilshommes. Ils durent, pour conquérir une place dans la classe privilégiée, être non seulement légitimés, mais encore anoblis par lettres patentes spéciales.

L'application de cette règle augmenta sensiblement le nombre des légitimations. Les plus grands seigneurs ne paraissent nullement embarrassés d'adjoindre à leurs maisons ces rameaux extraconjugaux ; et si l'on juge par le nombre de ceux qu'ils avouaient, du nombre de ceux qui demeuraient probablement dans l'obscurité, on doit reconnaître que les mœurs étaient charitables à ces écarts. De 1610 à 1643, nous voyons successivement légitimer et anoblir : Gabriel et Christophe de Chabannes, fils du marquis de Curton, Charles Gontaut de Biron (1614), François de Polignac (1643), Marie de Mouy, fille naturelle de Nicolas de Mouy, seigneur de Ruberpré (1627), Jean de Montalemberg, seigneur de Vaux, André de Mailly (1635), Annibal de La Trémoille, seigneur de Marcilly, fils illégitime de feu Claude de La Trémoille, duc de Thouars, Alain de Saint-Aulaire, Catherine de Canillac, Jean-Timoléon de Beaufort-Canillac, etc. Tantôt on nommait les père et mère naturels, tantôt on ne nommait que l'un d'eux. On ne peut donc considérer comme une nouveauté la légitimation des enfants royaux de Mme de Montespan, qui fut faite sans nommer la mère, puisque, bien avant Louis XIV, on en usait ainsi envers les fils naturels de personnes privées. La tolérance allait même, bien que le fait ait paru plus tard monstrueux, jusqu'à légitimer des bâtards adultérins. Les exemples ne manquent pas. En 1624, légitimation obtenue par Claude Boisgautier, écuyer, pour Jean Boisgautier, son fils naturel, et de Catherine Moreau, femme séparée d'avec Abel le Tonnelier. Quelques années plus tard, légitimation pour Charles Zamet, fils naturel de Jean-Antoine Zamet et de J. Mallaze, femme mariée, absente de son mari. L'indulgence du temps ne laisse pas de nous scandaliser, quand un Guy de Lusignan, seigneur de Saint-Gelais, se fait légitimer et anoblir comme fils d'Urbain de Lusignan, évêque de Comminges, et de Catherine de la Nazière.

Si, comme dit Molière, la polygamie était un cas pendable ; si celui qui était convaincu d'avoir épousé deux femmes devait être pendu ou étranglé pour réparation d'avoir abusé du sacrement de mariage, la loi était moins sévère à ceux qui perpétuaient leur lignée sans aucun mariage ou même en dehors de leur union légitime.

Les mariages sont si refroidis, disait d'ailleurs une gazette, depuis qu'on ne se démasque plus et qu'on ne cherche qu'à tromper son compagnon, qu'on aurait sujet d'avoir peur que le pays ne se dépeupla, si les filles du tiers état et les vigneronnes ne s'y opposaient à douzaines. Aimer la personne qu'on épouse est un sentiment assez particulier en ce temps-ci, et qui peut être traité de ridicule par ceux qui ne souhaitent que de l'argent. Quelle différence, remarque d'Andilly ; parlant de son union avec Mlle de La Boderie, avec les mariages ordinaires dans lesquels on ne cherche que du bien ! La corruption du siècle ayant introduit de marier un sac d'argent avec un autre sac d'argent, en mariant une fille avec un garçon, il fut fait un tarif pour l'évaluation des hommes et pour l'assortiment des partis. Le bureau d'adresses de Renaudot se chargeait d'accommoder des mariages. La sœur de Croisilles s'y fit écrire en qualité de femme jeune, de bon Age, et qui cherchait mari. Cela lui réussit, et pour trois sous elle fut mariée à un vieillard qui avait quelque chose. Les apparieuses tenaient des agences matrimoniales où des gens de condition — le fils d'un maître des requêtes — ne craignaient pas de s'adresser.

Des alliances indignes, par lesquelles un honnête homme se mettrait aujourd'hui au ban de l'opinion, sont acceptées sans difficulté par le monde. Un maréchal de France, de la maison de l'Hôpital, épouse sans vergogne Charlotte des Essarts, ancienne maîtresse de Henri IV, qui avait eu du cardinal de Guise plusieurs enfants déclarés bâtards par le Parlement. Lesdiguières ne se fit pas scrupule de prendre pour femme Marie Vignon, laquelle avait fait assassiner son mari, marchand drapier de Grenoble. Le connétable en avait eu deux enfants du vivant de ce drapier, et les légitima ensuite par son mariage, bien qu'ils fussent adultérins. Quelles que puissent être les mœurs actuelles, le mal est moins affiché, les apparences sont plus soigneusement gardées qu'à cette époque, et le soin des apparences n'est-il pas déjà un hommage rendu à la vertu ? Même à la cour de Louis XIII, ce roi si chaste, il fallait pour qu'on sévit, que l'esclandre fût public ; témoin cette Mme du Vernet, qui fut chassée à cause d'un accident qui lui arriva, sans avoir égard à l'honneur de la maison royale. On devine assez quel put être cet accident.

Ce n'est pas que les peines les plus sévères ne parussent sauvegarder la moralité sociale. L'inceste était puni de mort, le bûcher était réservé aux crimes contre nature. Mais il ne suffit pas que la répression soit dans les lois, il faut qu'elle soit aussi dans l'opinion. Les confidences de la littérature, depuis les satires de Régnier jusqu'aux libelles de Bussy-Rabutin, y compris les Historiettes du trop véridique Tallemant, suffisent à nous apprendre que les bonnes lois sont peu de chose sans les bonnes mœurs. Notre époque ne peut valoir beaucoup moins que celle où Ninon de l'Enclos et Marion de Lorme ont pu devenir des personnages historiques. Nous ne croyons pas d'ailleurs qu'elle vaille plus : en des matières aussi délicates et à si grande distance, les éléments de comparaison font défaut. Il est bon de se souvenir que le bien fait moins de bruit que le mal, et que la postérité qui sait avec détails les scandales d'un siècle n'en connaît guère les époux fidèles et les ménages heureux.