CAMPAGNES DE L'ARMÉE D'AFRIQUE

1835-1840

 

LA PAIX. — 1837-1839

 

 

LES PORTES DE FER.

OCTOBRE 1889.

 

L'exécution du traité de paix signé avec l'émir, mais non encore appliqué ; la conquête de la vaste province de Constantine, héritage d'Achmed dont la France devait se saisir avant qu'il fût recueilli par Abd-el-Kader, jusqu'alors seul héritier de toutes les successions ouvertes par nos armes : telle fut la double tâche que se proposa le nouveau général en chef.

Il commença par l'occupation du territoire que le traité avait réservé à la France.

A l'ouest, les troupes françaises n'avaient qu'à se resserrer dans les places de la côte ; mais la mesure qu'Abd-el-Kader avait déjà donnée de lui-même, les avantages de sa position, et la certitude que la paix ne serait pour lui qu'un moyen de se forger des armes nouvelles, obligèrent le maréchal Valée à maintenir à Oran une division de neuf mille hommes.

La terne et monotone vie de garnison que ces troupes menèrent pendant deux ans ne fut interrompue que par la construction d'une route magnifique, taillée en corniche et en galerie, sur une longueur de six mille mètres, depuis Oran jusqu'au fort de Mers-el-Kébir.

Dans la province d'Alger, l'émir élevait des difficultés sur la souveraineté des territoires qui s'étendent de l'Oued-Kaddara jusqu'au beylick de Constantine, et cherchait, dans la lettre assez obscure du traité, un prétexte pour séparer, en s'interposant entre elles, les possessions françaises d'Alger et de Constantine. L'admission de cette dangereuse prétention eût conduit au morcellement et à la ruine de la domination française dans les deux provinces. Le droit et la nécessité de la contiguïté des établissements d'Alger et de Constantine furent reconnus par le Gouvernement, qui ordonna au maréchal Valée de les assurer, fût-ce par les armes.

Ce principe fut consacré dans une convention signée le 4 juillet 1838 par Ben-Aratch, revêtu des pleins pouvoirs de l'émir son maitre. La soi-disant route royale d'Alger à Constantine, par Hamza, servit de ligne de partage aux pays contestés, dont la partie sud, jusqu'aux limites de Tittery, fut abandonnée à l'émir, tandis que la partie nord demeurait à la France.

Le maréchal Valée, pressé de prendre des garanties contre l'active ambition d'Abd-el-Kader, n'avait pas attendu cette solution pour commencer l'occupation de la portion de la province d'Alger que la mauvaise foi du sultan des Arabes ne nous disputait point. Ce territoire, borné au sud par l'Atlas, à l'ouest par la Chiffa, à l'est par l'Oued-Kaddara, n'avait pas été défini dans une pensée militaire. Il était ouvert aux incursions des Hadjoutes que le traité n'avait ni éloignés ni soumis, et accessible par l'Atlas, dont les passages appartenaient tous à l'ennemi. Il ne pouvait être garanti que par un obstacle artificiel continu ; mais, dans la situation modeste occupée par la France, ce mode de protection eût porté avec lui un caractère de timidité et de restriction qui répugnait à l'esprit hardi et envahissant du maréchal Valée. Aussi le système qu'il adopta fut-il bien plus offensif que défensif.

Les villes de Blidah et de Coléah, ainsi que le marché forain ou fondouk du Khamis, formaient les angles sud, ouest et est d'un trapèze dont Alger était l'angle nord.

Ces trois points principaux, où le maréchal chercha plutôt des têtes d'invasion contre l'intérieur du pays que des barrières contre l'agression des Arabes, durent être occupés très-fortement, reliés avec Alger au moyen de routes directes et carrossables, et rattachés entre eux par un chemin de ceinture passant par les camps retranchés intermédiaires de l'Arba, de l'Arrach et de l'Oued-el-Alleg, mis eux-mêmes en communication, par des embranchements de routes, avec Bouffarik.

Ce poste central, l'une des stations de la voie militaire qui, d'Alger à Blidah, conduirait plus tard dans la province de Tittery, dut être accru et fortifié. Les anciennes lignes du Sahel étaient conservées en arrière, comme réduit définitif.

Si cette conception, plus efficace contre la stratégie européenne que contre le brigandage arabe, prêtait sous divers rapports à la critique, personne du moins ne put se refuser à y reconnaître la pensée d'un établissement permanent et définitif. C'était la guerre déclarée au provisoire, ce seul pouvoir éternel en France, guerre hardie, difficile et meurtrière. Le maréchal Valée la conduisit avec cette forte impulsion, cette volonté arrêtée et persévérante, et cet esprit d'ordre et de méthode qui sont le cachet distinctif de ce chef éminent.

Le travail était considérable, les bras peu nombreux, et le maréchal très-pressé.

Pour construire cent lieues de route, dessécher plusieurs lieues de marais, élever et garder onze camps retranchés, dont chacun devait pouvoir se suffire à lui-même, avec fortifications, hôpitaux, casernes, magasins, manutention, arsenal, toutes choses pour lesquelles les matériaux eux-mêmes étaient à créer, la division d'Alger, déduction faite des indisponibles, des armes spéciales et des troupes absorbées par des postes trop multipliés, ne pouvait fournir, y compris le service des escortes, des convois, et la coupe des foins, que sept mille hommes environ.

Le maréchal voulut cependant, avec ce faible effectif, avoir terminé son œuvre en deux campagnes, soit qu'il obéît, à son insu, à cette hâte de jouir qui est une des plaies de l'époque, soit crainte de l'instabilité des résolutions, soit pressentiment de la fin prochaine d'une trêve qui devait cesser le jour où l'un des deux champions aurait gagné de l'avance sur son adversaire. Le zèle infatigable des troupes lui permit de réaliser son plan.

L'exécution en commença, dès les premiers jours du printemps de 1838, par la création des établissements principaux du Fondouk, de Coléah et de Blidah. Ces deux villes, difficiles à garder à cause des jardins boisés qui les entourent, furent saisies par une casbah et par des camps extérieurs. La position de Blidah surtout, étendue par l'obligation que s'imposa le maréchal de respecter les forêts d'orangers et les bois d'oliviers séculaires de ce délicieux Éden, fut préparée pour devenir le lieu de dépôt et de départ d'une armée agressive. L'entrée des gorges qui commandent la ville, et par lesquelles l'Oued-el-Kébir s'échappe de l'Atlas, fut gardée par deux forts détachés, reliés, par des blockhaus intermédiaires, avec la casbah et avec les deux camps retranchés qui enveloppaient l'oasis et Blidah. Ce mode d'occupation, dont il sera plus tard parlé en détail, à l'occasion des événements de la guerre, était l'application, à un point isolé, du système mis en pratique pour l'ensemble de la Métidja.

La construction et l'empierrement des lignes principales aboutissant à Alger eut lieu ensuite ; puis l'achèvement des camps secondaires, du chemin de ceinture et des embranchements aboutissant à Bouffarik, compléta la transformation de la plaine en une vaste place d'armes, disposée de manière que des sorties pussent toujours s'opérer à travers les trois portes qui faisaient face à Constantine, Tittery et Oran. Par la facilité des communications, ce réseau de camps et de routes rapprochait les points de départ des expéditions futures des établissements de l'ennemi, et, en même temps, de la place de dépôt dont tout était tiré.

Le travail n'avait été interrompu que pendant une partie de l'hiver de 1838 à 1839. Le maréchal avait voulu profiter de ce moment pour compléter l'exécution du traité de la Tafna et de la convention du à juillet, en allant occuper le fort de Hamza et communiquer avec la division de Constantine ; mais une tempête affreuse menaça d'engloutir les troupes réunies à Kara-Mustapha, poste avancé au delà du Fondouck, et força à ajourner cette entreprise nécessaire. Des hommes et des mulets périrent dans cet affreux cataclysme, qui eût amené un désastre s'il eût éclaté après que la colonne, tramant avec elle du canon de siège, se fut engagée dans les défilés inextricables situés au delà de l'Oued-Kaddara, ce Rubicon de l'Algérie.

Au mois de juillet 1839, l'œuvre était terminée. Le soldat avait fait tous les métiers, par tous les temps et toutes les saisons, sans autre salaire qu'une augmentation momentanée de nourriture, qui était une aumône accordée à la faim, bien plus que la récompense de pénibles labeurs. Sans ostentation, sans chercher à obtenir de la France une attention cependant bien méritée, cette armée de pionniers avait résolu par des faits éclatants le grand problème de l'application des troupes aux travaux publics. Ici, des bataillons entiers hissent sur leur dos et d'un seul coup des blockhaus complets au sommet des montagnes. Ailleurs, on fabrique les outils d'abord, puis on ouvre des carrières, d'où l'on extrait les matériaux ; et, par les merveilles du travail en commun, cette pierre philosophale de la science économique, les régiments font à l'envi sortir de terre des casernes monumentales en pierre de taille. Tous reprennent ensuite la pioche pour les terrassements de ces fossés et de ces remparts, derrière lesquels le soldat est enfermé, sans distraction et sans ombre, à côté des délicieux ombrages et des plaisirs faciles des villes dont l'entrée lui est interdite. Ce camp n'est d'abord qu'une prison ; ce sera bientôt un tombeau ! On admire la patience du moine qui, déjà mort pour la société à laquelle il a volontairement renoncé, creuse chaque jour une fosse souvent recommencée avant qu'elle se referme sur lui ; mais il est bien plus beau le courage du pauvre soldat africain, qui, enlevé à sa famille pour le service d'une patrie que peut-être il ne reverra plus, ouvre lui-même, sans hésitation ni murmure, sans consolation ni regret, le tombeau où il risque d'être enterré le lendemain ! Car chaque coup de pioche qu'il donne d'une main ferme et assurée est un pas vers la mort, vers la mort sans gloire ; chaque coup de pioche dans cette terre, dont le sein, depuis des milliers d'années, n'a pas été pénétré par les rayons du soleil, en dégage des miasmes mortels, et la résignation avec laquelle le soldat, comme les anciens philosophes, absorbe ce poison qui le tue, rappelle l'héroïsme des trépas antiques, moins la solennité théâtrale.

Ainsi fut détruit le 11e de ligne, empoisonné par les desséchements de Bouffarik ; ainsi périrent les garnisons des camps de l'Arrach et de l'Arba, qui, sans en excepter un seul homme, passèrent tout entières par l'hôpital et n'en sortirent guère que pour le cimetière.

Telle est la loi de la génération dans le monde : l'armée n'avait assuré la vie des autres qu'en dépensant la sienne, et s'était épuisée, par une création aussi soudaine et par des efforts tout à fait disproportionnés, sinon avec son dévouement, du moins avec ses forces réelles.

Dans les deux campagnes de 1838 et 1839, l'armée d'Afrique, que la sagesse du Gouvernement avait maintenue à l'effectif atteint lors de l'expédition de Constantine, et dont le chiffre varia de quarante-huit à quarante mille hommes, l'armée d'Afrique avait eu six mille morts. Au mois d'août 1839, la division d'Alger comptait deux mille hommes hors d'état de faire le service, et mille convalescents ; la division de Constantine était plus maltraitée encore : c'était aussi celle qui avait le plus souffert pendant ces deux rudes années.

Tout le beylick de Constantine avait reconnu ja main de Dieu dans la chute d'Achmed, et avait accepté tacitement une victoire dont l'éclat frappait l'imagination des peuples ; mais, après le premier, moment de stupeur, aucune autorité n'ayant remplacé le pouvoir déchu dans les régions éloignées de la capitale, l'indépendance des tribus, d'abord douce et régulière, devait dégénérer promptement en anarchie. L'anarchie, c'était l'avant-courrière d'Abd-el-Kader ; c'était la transition par laquelle son joug paraissait une délivrance et son gouvernement un bienfait. Le maréchal Valée n'était pas homme à laisser s'accomplir, sur cette terre sans maître, ce qui s'était, produit dans le reste de la Régence, et il se prépara à remplir, autant que ses ressources le lui, permettaient, l'obligation imposée à la France de conquérir toute la province de Constantine.

Cette province, depuis les frontières de Tunis jusqu'aux Portes-de-Fer, situées au milieu du massif de hautes montagnes qui borde la province d'Alger, a une longueur de plus de cent lieues ; sa profondeur, en partant de la mer, est, pour ainsi dire, illimitée ; car, du côté du désert, ses frontières ont été vagues, changeantes et nomades, comme la fortune des maîtres de la Numidie.

La partie la plus accessible, comme la plus profitable aux conquérants, forme un large plateau nu, élevé et accidenté, courant de l'est b. l'ouest, entre deux chaînes de montagnes à peu près parallèles, dont l'une est baignée au nord par la Méditerranée, et dont l'autre sépare, au sud, le Tell, ou pays de blé, du Djérid, ou pays des dattes. Cette contrée intermédiaire, fertile, riche et peuplée, va s'élevant depuis Constantine jusqu'à Sétif ; d'un côté, par la pente douce de la grande plaine des Abd-el-Nour ; de l'autre, par plusieurs ressauts qui sont moins des cols de montagne que les degrés successifs d'un escalier, car le sommet de chacun de ces escarpements se prolonge presque de niveau jusqu'à la montagne suivante.

Ce vaste plateau a servi de lit à toutes les invasions dont le flot envahissant a rejeté les populations aborigènes dans le désert et dans les montagnes de la côte. C'est par cette large voie que les Romains, venant de l'est, ont poussé leurs aigles jusqu'aux confins du Maroc. C'est par ce grand chemin de la guerre que les Vandales de l'Ouest ont passé sur la Numidie comma un ouragan furieux. Dès que le grand Bélisaire leur eut enlevé cette précieuse artère, le sol sembla manquer sous leurs pieds, et ces anges exterminateurs, dont la puissance de destruction avait surpassé jusqu'au génie créateur des Romains, périrent misérablement. Les Arabes suivirent aussi la même route pour soumettre le Moghrab, non pas seulement en s'ouvrant un sillon au milieu de ces populations, mais en les prenant à revers par le sud et en les chassant vers la mer, de manière à faire la conquête, an moins religieuse, des nations que leurs prédécesseurs n'avaient que traversées et refoulées. Les Turcs, venant ensuite, s'étaient incrustés dans le moule encore bien conservé de la domination romaine.

Ce fut la trace commune de ces peuples vraiment dominateurs que le maréchal Valée se proposa de suivre lorsqu'il entreprit l'occupation de la province de Constantine. L'action des siècles avait respecté les vestiges de la domination romaine. Ce magnifique squelette — grandia ossa — était encore entier, et ses débris servirent de conducteurs dans ce labyrinthe.

Les Romains, en partant de Carthage, avaient coupé le pays par trois lignes parallèles, unies par des voies perpendiculaires qui divisaient toute la contrée. en autant de cases d'échiquier.

La première voie se prolongeait sur toute la côte comme un quai, au bord de cette Méditerranée que le peuple roi eut seul droit d'appeler son lac ; la seconde, allant de Carthage à Césarée (de Tunis à Cherchell) par Saillis (Sétif), suivait la dernière crête de la montagne sur les confins de la plaine, de manière à dominer l'une et l'autre ; la troisième ligne parallèle côtoyait le désert, et n'était qu'une frontière militaire, une chaîne de postes pour faire la guerre aux populations situées sur la limite de l'autorité régulière des proconsuls. Quatre voies reliaient les colonies de la côte avec celles de l'intérieur, et complétaient la camisole de force dans laquelle la Numidie était enserrée et maintenue.

Le maréchal Valée, sachant mesurer sagement son œuvre à ses moyens, ne tenta point de relever en entier cet édifice colossal qui avait coûté des siècles de travail à une puissance sans bornes ; il se contenta d'entreprendre le rétablissement de la ligne centrale qui unissait Constantine et Alger, ainsi que les embranchements destinés à la soutenir, et qui se dirigent vers la mer ; car elle était trop longue pour être alimentée par les deux bouts seulement.

Cette ligne, bien préférable à celle de la côte, que l'hostilité des populations kabyles eût rendue impraticable, préparait la défense de l'Algérie contre une attaque maritime, défense qu'assureraient seules de faciles communications par terre, à travers le grenier de l'Afrique, entre Alger, capitale de la colonie, et Constantine, devenu le pivot et le réduit de la résistance française.

Dans l'ordre d'urgence des diverses phases de cette grande opération, le premier soin devait être incontestablement de relier Constantine à la mer par une route plus courte que celle de Bône, par la voie de Cirta à Rusicada et Stora ; c'était déjà plus que ne pouvait, au printemps de 1838, la division de Constantine. Le général de Négrier, qui avait succédé au colonel Bernelle, avait employé l'hiver à préparer les troupes, à resserrer les liens de la discipline, toujours relâchée après une action violente ; il avait ouvert les rangs de l'armée française aux miliciens turcs, habitués à vivre de leur fusil, et n'ayant d'autre alternative que celle de se faire gendarmes ou voleurs. Il avait, en outre, accru sa division d'autres troupes indigènes, plus indispensables encore pour prendre racine sur le sol que pour combattre ; car, en Afrique, s'il faut des Français pour passer partout, il faut aussi des musulmans pour voir, pour vivre et pour rester quelque part.

Malgré cette organisation mixte, bien entendue pour un corps destiné à conquérir, par la discipline et par le séjour, le champ qu'il s'était ouvert par sa valeur, la division de Constantine, usée par les longs, fréquents et pénibles convois de Bône, énervée par les maladies, qui, suspendues pendant le combat, s'étaient développées sous l'influence de la lassitude succédant à un effort excessif, la division de Constantine n'était pas en état d'étendre la zone de son occupation.

Le général de Négrier ne sut pas se résigner à attendre ; il fit une reconnaissance là où rien ne devait précéder ni remplacer une prise de possession permanente. A son retour de Stora, le 10 avril, la colonne de seize cents hommes, dont près de moitié de troupes indigènes, avec laquelle il avait été visiter ce point important, fut attaquée par trois mille Kabyles. Ceux-ci pressèrent vivement l'arrière-garde dans des rochers parsemés de chênes lièges ; mais ils furent culbutés par un retour offensif des troupes indigènes à pied et à cheval. Les Turcs à pied, combattant pour la première fois sous le drapeau français, abordèrent les Kabyles à la baïonnette avec le sentiment de la supériorité de leur race, et le succès de la journée fut dû à l'élan d'une bravoure que nos soldais connaissaient déjà pour leur avoir été plus d'une fois funeste. Malgré l'échec des Kabyles. ce mouvement d'hostilité se communiqua rapidement aux populations montagnardes de la côte : Bougie fut attaquée. La garnison de Medjez-Amar, ayant tenté une course dans le pays, opéra difficilement, et avec quelques pertes, sa retraite sur son camp et jusqu'auprès de la Calle. Une insurrection fournit aux spahis de Bône, employés à faire rentrer l'impôt, l'occasion de plusieurs charges brillantes, dans l'une desquelles le capitaine de Lacheise[1] enleva le drapeau de la bande[2]. Mais l'hostilité des Kabyles cessa quand les Français s'éloignèrent, car les Kabyles, qui sont une négation de toutes les conquêtes, n'étendent point leurs attaques au delà de leurs montagnes. Après cette reconnaissance, l'opération sur Stora fut reprise et conduite méthodiquement ; l'on marcha pas à pas depuis Constantine, construisant successivement une grande route carrossable. Lorsque ce travail difficile et considérable, surtout au passage du col de Kentour, eut été poussé jusqu'à l'Arrouch, ancien prœsidium romain, l'une des trois stations stratégiques principales de la province, un camp retranché y fut établi, et le maréchal Valée vint en personne présider à l'achèvement de cette œuvre qui devait assurer la conservation de Constantine et en accroître l'importance. Il amenait avec lui des renforts, ce moyen uniforme par lequel les chefs réparent toujours les fautes et les malheurs de leurs subordonnés ou de leurs prédécesseurs ; et, le 7 octobre 1838, la colonne du général de Galbois[3], qui avait succédé au général de Négrier dans le commandement de la division, occupait toutes les hauteurs qui dominent Stora et Rusicada. Les bras des soldats, toujours infatigables, ouvrirent le tombeau dans lequel étaient ensevelies ces deux sœurs jumelles, et préparèrent en quelques jours, par d'étonnants travaux, la résurrection du bel ensemble d'établissements que formaient autour du golfe deux cités puissantes par le commerce intérieur et maritime. Une belle route, longue de cinq mille mètres, unit Stora, qui offre, sinon un port, du moins la possibilité d'en faire un, avec Rusicada, que le maréchal Valée releva et rétablit sous le nom de Philippeville ; et aujourd'hui, au quatrième anniversaire de la fondation de cette ville, dont le nom rattache le nom du roi aux conquêtes africaines et offre à la France, sur cette terre ouverte à son génie, une consolation pour les mutilations qu'elle a subies, une cité de plus de cinq mille âmes, commerçante et active s'élève sur ce rocher désert depuis tant de siècles. La défense générale de la position fut assurée par une chaîne de blockhaus croisant leurs feux et unis par un chemin de ronde couvert. Ce système avait pour réduits quatre forts détachés construits en pierre et entourant Philippeville. On le voit, en grand ou en petit, le maréchal Valée oppose toujours le même mode de fortifications aux Arabes. Le style, a-t-on dit, c'est l'homme. On peut dire aussi : la solidité et la multiplicité de ces ouvrages sont l'emblème et la révélation du général, écrivant partout son nom dans un style image de son caractère, mais ne voulant l'écrire que sur un monument dont il pût dire : Exegi monumentum ære perennius[4].

Pour les communications, le maréchal préféra, peut-être à tort, le système de beaucoup de camps avec de petites colonnes mobiles, à celui de grosses colonnes avec peu de camps ; et il sema, entre Constantine et Philippeville, les quatre camps retranchés du Smendou, des Toumiet, d'Ed-Dis et de l'Arrouch ; ce qui faisait, y compris les deux points de départ, six postes fortifiés, et, par conséquent, six garnisons permanentes pour une ligne de vingt lieues. Un exemple eût pu cependant l'avertir du danger de ce mode d'occupation, qui, en cas d'insurrection de la province, eût livré les Français à de nouvelles vêpres siciliennes.

Pendant que les troupes, guidées par le maréchal, travaillaient sans relâche aux établissements de Stora et de Philippeville, les Kabyles enlevèrent un convoi dont l'escorte, par suite de cette sécurité à laquelle les officiers français s'abandonnent toujours trop promptement, était composée seulement de deux compagnies indigènes. Enflés par ce succès, les Kabyles se ruèrent de nuit contre le camp de l'Arrouch, qui n'avait aussi qu'une faible garnison turque ; mais l'énergie du capitaine Mollière qui la commandait, arrêta court cet acte de pillage isolé.

L'établissement de la ligne de Sétif et d'Alger devait, comme celle de Philippeville, se faire pas à pas. Ainsi l'exigeait l'effectif de la division qui n'eût pu forger à la fois tous les anneaux de la chaîne. Les divisions d'Alger et de Constantine durent marcher l'une vers l'autre, de manière que l'intervalle non occupé fût au centre de la ligne déjà amorcée par les deux extrémités.

On a déjà vu que le mauvais temps arrêta les troupes d'Alger ; celles de Constantine, n'ayant pu recevoir contre-ordre, partirent de Milah, qu'elles avaient pris comme base d'opération, au milieu de la pluie, de la grêle et de la neige, gravissant avec difficulté les passages si tourmentés et si élevés de Beni-Aïcha et de Mons. Elles arrivèrent sans coup férir, le 15 décembre, à Sétif.

Le général de Galbois avait senti la nécessité de s'échelonner dans cette contrée inconnue, mais il ne sut pas se mettre assez empiétement au-dessus de la crainte de paraître timide, préjugé fatal et trop commun auquel il ne faut jamais céder à la guerre ; et il n'avait laissé sur la ligne d'opération qu'un demi-bataillon dans les ruines romaines de Djemilah. Ce détachement était insuffisant pour maintenir les communications et même pour se défendre. Ce ne pouvait être qu'un appât pour les Kabyles, et autant de moins dans les rangs pour opérer la retraite obligée de Sétif. Le général de Galbois ne pouvait en effet se maintenir à trente lieues de Constantine, au cœur de l'hiver, dans une position où tout était à créer, et où il n'y avait ni abri, ni vivres, ni bois. Cette tentative trop précoce devait même, comme tous les efforts prématurés, devenir un obstacle pour l'avenir. Le premier pas rétrograde fut le signal du combat. Lorsque la colonne, fort allongée et assez en désordre, fut entièrement engagée dans le défilé de Mons, long sentier où l'on ne peut marcher que par un, dominé par des hauteurs, sur lesquelles les Romains avaient élevé une ville importante et une chaîne de postes militaires, les Kabyles attaquèrent vivement l'arrière-garde formée par le 17e léger et le 3e de chasseurs. Ce régiment s'empara aussitôt des crêtes et contint l'ennemi jusqu'à ce que la colonne fût sortie de ce mauvais pas, où elle était compromise.

Pour ne pas paraître reculer devant les ennemis jusqu'à son point de départ, le général de Galbois, en regagnant Constantine, laissa à Djemilah le 3e bataillon d'Afrique avec deux obusiers de montagne, quelques tentes et quelques vivres, sous le commandement du chef de bataillon Chadeysson[5], avec ordre de créer sur ce point un poste permanent, destiné à devenir l'anneau intermédiaire entre Milah et Sétif. Djemilah, l'ancienne Cuiculum Colonia, n'est plus qu'une réunion de grandes et belles ruines, situées comme au fond d'un artichaut dont les différents plans de montagnes simuleraient les feuilles. Le climat y est excessif, très-chaud et sans eau ni ombre en été, très-froid et sans bois en hiver.

Telle est la difficulté des approches de Djemilah, que Bélisaire, vainqueur des Vandales et maitre de toute la Numidie, ne put se frayer un chemin jusqu'à ce poste. On ne pourrait comprendre même ce qui a déterminé les Romains, ordinairement si bons juges du choix des positions militaires, à placer une de leurs grandes villes dans un entonnoir dont l'entrée et la sortie sont également difficiles, si l'on ne savait que la difficulté à vaincre était quelquefois pour les Romains un argument et un attrait.

Les Kabyles, certains que, dans la mauvaise saison, ce camp, encore à l'état de simple bivouac, serait impossible à ravitailler sans forces très-considérables, conçurent l'espoir d'enlever ou de détruire les six cents Français qui n'avaient pas eu le temps de s'y retrancher. Trois mille hommes vinrent le 18 décembre occuper toutes les positions qui dominent circulairement à quatre cents mètres le mamelon déprimé formant le centre de cet entonnoir. Ils n'attaquèrent point avec leur fureur ordinaire, se croyant certains de réduire la garnison par d'autres moyens plus efficaces quoique plus lents. Ils établirent la plus grande partie de leurs forces sur la crête d'un ravin, au fond duquel coule la seule eau que fournisse le pays ; puis, ayant gardé des réserves prèles à se porter sur les points où la garnison pourrait tenter des sorties, une chaîne circulaire de tirailleurs entretint de jour et de nuit une fusillade continue sur le camp français, dont pas un seul point n'était défilé de leurs balles. Le commandant Chadeysson fit coucher ses hommes derrière les parapets ébauchés, qu'ils relevèrent en creusant à l'intérieur ; et, de part et d'autre, on tira sur tout ce qui se montrait. Les Français devaient s'user les premiers, car ils n'avaient ni sommeil, ni eau, ni espérance. Si économes qu'ils fussent de leurs munitions, ils les voyaient diminuer rapidement par la nécessité d'éloigner à coups de fusil, surtout la nuit, les Kabyles qui s'approchaient en rampant dans les fissures du terrain. Il n'y avait aucun moyen de faire connaître cette situation à Constantine. Avec beaucoup d'hommes blessés par le feu de l'ennemi, et des malades dont le mauvais temps et les fatigues augmentaient chaque jour le nombre, il eût été matériellement impossible de rejoindre le poste français de Milah. Il n'y avait pas de chance de lasser l'ennemi ; les tentatives faites pour se procurer de l'eau avaient échoué ; on eût versé plus de sang qu'on n'eût rapporté d'eau. Le ruisseau coulait à une portée de pistolet d'une crête escarpée et garnie comme un rempart d'une ligne serrée de Kabyles. Ni le canon, ni les sorties ne pouvaient éloigner les Kabyles, car ils n'offraient d'autre prise aux boulets que la tête des hommes isolés, embusqués sur les hauteurs, et seulement encore pendant qu'ils tiraient. Ils cédaient aux sorties des Français un terrain que ceux-ci étaient trop faibles pour conserver, le reprenant aussitôt après leur avoir fait éprouver des pertes pour cette possession éphémère. Cette lutte d'un caractère si étrange durait depuis six jours et six nuits. La tempête accroissait les souffrances du bataillon, diminuait ses espérances en grossissant les rivières et couvrant de neige les montagnes qui conduisent à Constantine, lorsque la délivrance vint d'où on l'attendait le moins. Les chefs des Kabyles se disputèrent entre eux, et vendirent la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Cette querelle dispersa le rassemblement des montagnards. Aucune entreprise de quelque durée ne peut réussir sans un commandement unique. On peut s'unir momentanément pour un coup de collier rapide : on ne traîne pas longtemps d'accord un même char sans un frein commun.

L'ennemi s'était retiré ; mais il restait encore la famine, le froid, l'incertitude de l'avenir. Cette situation fut supportée par les zéphyrs avec cette ferme et courageuse insouciance qui est le fond de leur caractère. Le douzième jour, le colonel d'Arbouville[6], envoyé par le général de Galbois justement inquiet de la garnison de Djemilah, pour lui porter des vivres et des moyens d'établissement, prit sur lui d'évacuer ce poste inutile qu'il eût été impossible de ravitailler régulièrement, dans l'état de pénurie et avec les forces de la division.

L'évacuation de Djemilah constatait encore une tentative avortée. Le maréchal Valée, pressé d'en effacer l'impression, prépara au milieu de l'hiver les moyens d'occuper, dès les premiers beaux jours, toute la ligne intérieure jusqu'à Sétif, et sur la côte Djidjelli, qui est le point correspondant à Milah.

Cette dernière ville, si toutefois on peut donner ce nom à un cloaque entouré d'une muraille romaine, devint la base des opérations futures. Ce n'est pas une position militaire, mais c'est un lieu où il y a des arbres, de l'eau, des bâtiments en pierre et des habitants, toutes choses que l'armée était dispensée par là de chercher et de créer. Une route carrossable depuis Constantine fut arrangée, en suivant autant que possible l'ancienne voie romaine. Mais, les Romains ne faisant pas de transports en voitures, et perçant en ligne droite d'un point à un autre sans se soumettre aux caprices du terrain, leur route, expression de leur volonté inflexible, offrit presque partout des pentes trop raides pour les charrois de l'armée.

L'hiver fut rempli par une succession de courses contre les tribus récalcitrantes qu'il fallait soumettre avant d'étendre le rayon de l'occupation, et par des convois multipliés sur Milah. Pour préparer une marche de trente lieues dans la belle saison, il faut en faire faire deux cents aux troupes et dans la mauvaise saison, et c'est ainsi que la nécessité de tout créer, sur ce sol où l'on ne trouve que des besoins, épuise avant l'action la force qu'on y destine.

La campagne de 1839 s'ouvrit au mois de mai par l'occupation de Djidjelli, qui devait devenir le port de Milah. Le maréchal Valée avait disposé un mouvement combiné par mer et par terre pour prendre les Kabyles entre deux feux ; mais la nécessité de se reporter rapidement vers la Medjana, où arrivaient les lieutenants d'Abd-el-Kader, détermina le général de Galbois à ne pas s'engager dans le difficile pays de Ferdjouia, et à marcher sur Sétif, tandis que le chef d'escadron d'état-major de Salles débarquait le 13 mai à Djidjelli, avec un bataillon de la légion étrangère et des détachements du génie et de l'artillerie venant d'Alger. Les habitants, surpris, abandonnèrent, sans la défendre, la presqu'île couverte de masures mauresques, où s'élève Djidjelli sur les ruines d'Igilgilis Colonia. Le chef d'escadron de Salles se porta rapidement au delà des murailles romaines à la porte Sarrasine qui enveloppent cette bourgade, et évita l'inconvénient dont on avait tant souffert à Bougie, celui de devoir successivement agrandir le cercle de la défense, en prenant immédiatement une position suffisamment étendue, sur un rideau qui ferme l'isthme parallèlement aux murailles de la ville. L'attaque des Kabyles parcourut en effet les mêmes phases qu'à Bougie, et, dès le lendemain, ayant déjà eu le temps de se réunir, ils attaquèrent, au nombre de deux mille cinq cents, les soldats occupés, le fusil d'une main et la pioche de l'autre, à retrancher un champ de bataille que le commandant de Salles se félicita d'avoir promptement et heureusement choisi. Les Kabyles furent repoussés par les soldats de la légion étrangère ; mais, trois jours après, ayant reçu des renforts des tribus de Bougie et de Collo, maintenues jusqu'alors, grâce aux diversions tentées par les garnisons de Philippeville et de Bougie, ils se ruèrent sur la ligne des postes français, culbutèrent les tirailleurs, et ne cédèrent qu'à une charge générale à la baïonnette, dans laquelle périt le brave commandant Horain, dont la perte fut vivement sentie par l'armée.

La marche des travaux, qui consistaient dans l'érection d'une ligne avancée de blockhaus soutenus en arrière par des forts en pierre élevés sur le tracé des fortifications qu'avaient établies le duc de Beaufort et Duquesne, lorsque, en 1661, les régiments de Picardie et Royal emportèrent Djidjelli sur ces mêmes tribus kabyles ; la marche des travaux continua à être harcelée et interrompue par l'ennemi ; après quoi vinrent, comme à Bougie, les attaques de nuit. Deux nuits de suite, les 3 et 4 juin, les avant-postes sont chargés ; les Kabyles pénètrent, à travers la ligne des blockhaus, jusque vers la ville, et ce n'est encore qu'à l'arme blanche que la légion étrangère repousse ces ennemis qu'il était si difficile de convaincre de leur impuissance. Si les troupes valent d'autant plus qu'il faut en tuer davantage avant de les faire reculer, l'infanterie kabyle peut marcher de pair avec la plupart des infanteries de l'Europe. Elle se lassa cependant, et des escarmouches partielles vinrent seules encore troubler l'occupation de Djidjelli, qui avait coûté quatre-vingts hommes mis hors de combat.

La communication avec Milah n'était pas même entamée ; cette nouvelle possession, loin d'être une base de ravitaillement et une facilité pour l'occupation, était un point de plus à ravitailler et à garder ; par conséquent, un fardeau et un affaiblissement de plus pour l'armée, privée du concours et chargée de l'entretien de la garnison renfermée dans cette bicoque, qui n'avait que la valeur des présides espagnoles.

En même temps. la division de Constantine, forte de trois bataillons, de quatre escadrons, de deux obusiers de montagne et d'une compagnie du génie. avait marché sur Sétif, semant sur son passage des camps dans lesquels elle s'égrenait, traçant une route, créant tous les établissements, mais laissant tout en germe, faute de bras et de temps. La première station en partant de Milah avait été à Mahalla — l'ancienne Fons Camerata —, où un camp retranché avait été singulièrement établi au bord d'un marais et en espalier contre une montagne. On avait ensuite laissé garnison à Djemilah ; puis on avait, non pas occupé Sétif. car on n'occupe que ce qui existe, mais on avait posé les bases d'un établissement militaire dans les ruines de la citadelle de Sitifis, relevée par Bélisaire avec les débris de la colonie sitifense.

Sétif est situé au milieu du vaste et fertile plateau de la Medjana, élevé de plus de onze cents mètres au-dessus du niveau de la mer, point de partage, non-seulement des eaux, mais aussi des montagnes.

Ces plaines, qui dominent les sources des rivières et la tête des vallées, comme les plateaux de Kandahar dans l'Afghanistan, de la Perse centrale, de Madrid, de Mexico, jouent dans la guerre stratégique le rôle que les crêtes jouent dans la tactique du combat.

Pendant que l'infanterie, qui avait trouvé des matériaux et de l'eau, y jetait les éléments d'un établissement destiné à devenir un des centres d'action de la puissance française, l'un des boulevards et l'une des clefs de l'Algérie, après avoir été la tête de la digue opposée à Abd-el-Kader dans la province de Constantine, la cavalerie accomplissait une charge fantastique qui ne paraîtrait pas croyable si elle n'avait eu autant de témoins. Une colonne de mille cavaliers indigènes, conduits par El-Mokrani, et de trois cents chasseurs du 3e régiment, sous les ordres du colonel Lanneau[7], lancée à la poursuite du lieutenant de l'émir, qui, au mépris des traités, avait envahi la Medjana, lui donna la chasse à vue dans ces dunes de blé, où l'on ne rencontre ni un buisson ni une pierre ; et, après avoir parcouru, presque toujours au galop, trente-huit lieues en vingt-neuf heures, à travers les horizons les plus bizarres, sur ce terrain écorché, les Français forcèrent et prirent une partie des cavaliers et tous les mulets de leur adversaire.

Un autre lieutenant de l'émir, Ben-Azzoun, traversait le désert et envahissait la province de Constantine par le sud. Les seules troupes indigènes à la solde de la France, commandées par Ben-Gana, khalifa du Djerid, rejetèrent l'ennemi dans Biscara et affranchirent le sol de la province de cette seconde invasion.

La conquête fut complétée par le retour de la division qui rentra de Sétif à Constantine, en suivant, à travers la plaine des Abd-el-Nour, la véritable route militaire, la route par laquelle Bélisaire reconquit la Numidie et la Mauritanie sitifense.

Dans l'été de 1839, l'armée avait soumis tout le vaste pays qui s'étend des frontières de Tunis au Djurdjura. Les plus importants des chefs indigènes s'étaient ralliés autour des vainqueurs de Constantine et marchaient dans nos rangs : c'étaient Ben-Aïssa, l'intrépide défenseur de Constantine ; Ben-Gana, le descendant des chérifs du désert ; Ben-Damelaouï, à l'adhésion duquel sa réputation de finesse et de prévoyance donnait un grand poids ; El-Mokrani, le plus noble parmi les nobles arabes ; Kaïd-Ali, soldat parvenu, qui disait, en montrant sa croix d'honneur, teinte du sang des ennemis de la France : Je suis noble aussi, moi ; voilà ma généalogie ! Ces chefs commandaient des troupes indigènes nombreuses, dévouées, ayant confiance en elles-mêmes et dans leur cause, et gouvernaient au nom de la France, que l'administration paternelle du général de Galbois faisait chérir des populations heureuses et paisibles.

C'était là une bonne base pour la fondation d'un empire ; mais, pour comprendre au prix de quelles souffrances ces résultats prospères avaient été obtenus, il faut connaître ce pays si difficile, et où l'on se découvre une foule de besoins jusqu'alors inconnus, parce qu'en Europe, si malheureux qu'on soit, on n'éprouve jamais un doute sur la possibilité de les satisfaire.

Dans ce climat excessif, où l'homme, privé des charmes de l'ombrage et des joies du feu, n'a, pour se rafraîchir, l'été, que des eaux salines, et pour se chauffer, l'hiver, que des chardons en guise de bois de futaie, et des silos de crottes de chameaux ou des tas de sauterelles et d'insectes morts, comme charbon de terre, le soldat, exposé aux alternatives d'un soleil tropical et d'une neige alpestre, ne s'est ni couché sur un matelas, ni même déshabillé, pendant près de trois années ! Tantôt suivant la cavalerie à la course dans les razzias, tantôt pliant sous le poids de son bagage, jour et nuit en route et au travail, tour à tour employé ou comme bête de somme ou comme terrassier, le fantassin, mal nourri, avec des vêtements usés, passe, dans toutes les saisons, des rivières à gué, monte toutes ses gardes au bivouac, et, vu la multiplicité des postes, est de garde toutes les nuits !

La discipline, cette pierre de touche des armées bien constituées, résiste à tant de dissolvants et demeure admirable. Pas un vol, pas une violence ne souille ces troupes qui souffrent sans essayer d'appliquer à leurs besoins les ressources dont elles pourraient s'emparer et faire usage. La viande, les bonnes tentes de poil de chameau, la laine pour les matelas sont là dans ces douars traversés journellement par le soldat qui a faim et froid ; mais le vainqueur protège l'abondance des vaincus, sans songer à son propre bien-être, et, dans le partage qui se fait entre les deux races, le Français laisse au musulman les jouissances avec la servitude, et ne se réserve que le commandement, ennobli par la misère et le travail.

Tant de privations et de fatigues épuisent à la longue les corps les plus robustes : le soldat, en tombant malade, s'aperçut que sa condition pouvait encore empirer. Dans ce chapelet de camps que l'armée vient de construire, dans ces villes qu'elle a occupées ou relevées, elle a songé à la sécurité des autres, elle s'est oubliée elle-même : il n'y a ni casernes ni hôpitaux nulle part.

Mille malades entassés sous quelques baraques en planches mal jointes, ou sous de vieilles tentes trop minces et par conséquent trop chaudes ou trop froides, gisent tout habillés sur la terre humide, sans paille, sans air, sans eau, car les ustensiles manquent pour leur donner à boire ; sans médicaments et presque sans médecins, car les officiers de santé, trop peu nombreux, succombent eux-mêmes, victimes de fatigues au-dessus de leurs forces.

Dans ces affreux charniers, les malades sont livrés à de soi-disant infirmiers qui, voilant sous une hypocrite apparence de philanthropie leur refus de combattre ou de travailler, exploitent et dépouillent ceux qu'ils devraient assister et soulager.

Le soin des malades fut de tout temps un sacerdoce : en campagne, il ne peut être confié, comme en France, à ces admirables sœurs de charité, sublime institution, bien digne du pays qui éleva toujours la femme par le culte qu'il lui a rendu ; mais ne devrait-on pas créer, pour remplir cette sainte mission pendant la guerre, quelque confrérie religieuse d'hommes, qui trouveraient dans la foi du christianisme et dans la tradition des anciens hospitaliers la charité et la vocation nécessaires ?

Ils sont bien dignes d'être aimés et soignés, ces soldats qui meurent sans une plainte, sans un murmure ! Combien d'autres armées accusent de la moindre privation leurs chefs, que les masses sont toujours disposées à rendre responsables de leurs maux, tandis que les soldats français d'Afrique attribuent aux seules nécessités de la guerre la cause de leurs souffrances.

Mais que pouvez-vous donc faire ici ? demandait un général, en entrant dans un de ces antres infects qu'il ne pouvait prendre pour un hôpital. — Nous mourons, mon général, répondirent les malades, avec cette calme naïveté de l'homme qui ne soupçonne pas son héroïsme. Ils disaient vrai. L'encombrement, résultat des maladies, devenait une nouvelle cause de leur propagation et de leur intensité. Des congestions cérébrales foudroyantes, produites par l'insolation, enlevaient ceux que n'avaient point empoisonnés la terre fraîchement remuée ou les eaux salines.

La division de Constantine, usée par l'abus du travail et de la marche, décimée par la maladie, obligée d'entretenir constamment la correspondance et la circulation entre tous les points sur lesquels elle s'était éparpillée, la division de Constantine put reprendre haleine pendant l'été de 1839. Elle avait d'ailleurs beaucoup fait.

Mais Abd-el-Kader avait fait plus encore. Sa puissance avait pris un développement alarmant. Il avait étendu et consolidé dans ce nouvel entr'acte l'empire arabe, si habilement ébauché pendant une première trêve.

Avant d'édifier, il lit table rase ; car il est plus facile au génie de créer que de corriger. L'émir se débarrassa d'abord, par une persécution générale, des restes encore nombreux de la race turque à Tlemcen, Miliana, Médéah et Oued-Zeïtoun. Les braves couloughlis, sentinelles isolées qui attendaient la France et veillaient pour elle au milieu des flots du peuple arabe, disparurent noyés dans leur sang. Ces derniers fils des Turcs, égorgés traîtreusement sous les yeux et quelquefois par la main même de l'émir, moururent avec la courageuse fierté des maîtres assassinés par un esclave révolté.

Débarrassé des Turcs par le crime, le fondateur de la nationalité arabe rompit ensuite avec les traditions du régime déchu. Pressé d'opposer aux chrétiens, en un faisceau compact, les éléments que la politique des Turcs avait neutralisés en les divisant, il substitua au makhzen, aux divisions des tribus, à l'inégalité de leur condition, cette égalité fraternelle qui, dans d'autres temps, avait fait la grandeur de l'islamisme.

Par le seul instinct de son génie, cet homme extraordinaire trouva du premier coup, dans une société informe, la solution d'un problème poursuivi sans succès chez les nations modernes, à travers bien des révolutions : l'équilibre des influences aristocratiques et des traditions héréditaires avec l'élément électif et les existences nées de par la faveur populaire.

L'art de juger et de choisir les hommes, cette faculté surnaturelle que Dieu n'accorde qu'à ses élus, cette seconde vue dont Abd-el-Kader est doué à un si haut degré, ajouta encore à la force d'un gouvernement qui était puissant parce qu'il était le gouvernement de toutes les traditions, de tous les intérêts, de toutes les espérances.

C'était le Coran mis en action, c'était l'organisation de la guerre sainte. Ce fut selon cette pensée exclusive et passionnée qu'Abd-el-Kader, qui servait pour ainsi dire de moule à la nation arabe, constitua le pouvoir d'abord, puis le peuple, puis le sol lui-même. Un État nouveau, que l'on organise radicalement pour un but prévu et unique, acquiert une puissance spéciale à laquelle il ne pourrait atteindre, si, comme les vieilles nations, il était depuis longtemps constitué d'après des tendances diverses et en vue d'éventualités contraires. L'émir développa simultanément l'élément moral et les conditions matérielles de cette puissance. Il la maniait facilement par la réunion de l'autorité religieuse, politique et militaire à tous les échelons d'une hiérarchie simple qu'il résumait tout entière dans son triple caractère de prophète, de prince et de général. Tout en stimulant l'enthousiasme antichrétien, en donnant un rapide essor au fanatisme, il se mettait en mesure de se passer de ces capricieux auxiliaires. Son armée régulière fut accrue et perfectionnée ; elle devint un moyen d'administration ; elle servit de cadre à la landwehr des tribus, et fut le ciment d'une coalition dont il fallait désormais briser jusqu'au dernier chaînon sous peine de n'avoir rien vaincu. Chaque musulman reçut ou acheta un fusil et un cheval. En même temps que l'émir multipliait ainsi les soldats, dépeuplait les villes et rasait les maisons, le peuple arabe, réarmé, remonté et rendu plus nomade, devint indivisible et insaisissable. L'émir régularisait ainsi systématiquement ce qu'il avait essayé par instinct pendant la guerre. Il ajoutait aux moyens de combattre et diminuait la prise offerte à l'ennemi.

Dans la prospérité, il prévit le malheur et se servit, pour l'éviter, des leçons de l'expérience : il se choisit une seconde ligne de défense, à quarante lieues sud de la première chaîne de l'Atlas, au centre de montagnes impraticables. Là dans ces lieux inaccessibles, et situés au delà de la limite à laquelle il supposait que pourraient atteindre les colonnes françaises, il plaça, moins sous la protection des fortifications que sous la sauvegarde de leur éloignement des camps chrétiens, son trésor, ses dépôts, ses fabriques, ses arsenaux, toutes les ressources enfin accumulées par sa prévoyance pour une guerre où la victoire devait rester au plus persévérant.

On ne peut s'imaginer ce que la fondation de ces établissements, si loin de toutes ressources, lui coûta de persévérance et d'efforts personnels. Ce prince, qui régnait en maître absolu sur de vastes États, fut parfois obligé de mettre lui-même la main à l'érection des forteresses de cette nouvelle ligne de défense, dont les pierres et le bois étaient apportés de la côte.

Tour à tour législateur et bourreau, général et soldat, roi et ouvrier, le fils de Mahiddin subit, comme le czar Pierre, l'obligation imposée à chaque fondateur d'empire d'être à la fois sublime et trivial, et de redescendre momentanément aux derniers échelons d'une société qu'il dominait de si haut.

La grandeur des travaux qu'exigeait la transformation en société régulière d'un troupeau de sauvages ne suffisait cependant pas à sa dévorante ambition. Les lauriers de Constantine l'empêchaient de dormir ; il prétendit effacer l'éclat de ce fait d'armes.

Il avait déjà soumis, de Tunis au Maroc, presque tout ce pays, peuplé sur certains points, mais stérile en céréales et dépourvu d'eau, qu'on appelle le désert. Une seule ville, et, ce qui l'offusquait encore plus, un seul homme bravait son autorité : c'était la forteresse d'Aïn-Mâdy, où commandait Tedjini le mulâtre, marabout très-vénéré. Abd-el-Kader, qui savait deviner et étouffer ses rivaux avant qu'ils eussent même conscience de leur hostilité vis-à-vis de lui, quitta tout pour chercher, dans la conquête d'Ain-Mâdy, de la gloire pour ses armes, avec un réduit inexpugnable contre les chrétiens.

Autour de puits d'une eau pure, ces mines d'or du désert, la ville et les jardins d'Ain-Mâdy forment, à soixante-dix-sept lieues au sud de Mascara, une oasis, isolée, par une muraille assez mince, de la plaine aride et desséchée qui l'entoure à perte de vue. En arrière de cette première enceinte, plusieurs murs intérieurs partagent irrégulièrement les jardins en compartiments dont chacun est susceptible d'être défendu séparément. La ville proprement dite, bâtie sur un rocher, au centre des jardins, composée de trois cents maisons en pierre, est entourée d'une chemise crénelée très-forte, épaisse de quatre mètres et haute de neuf, en pierre de taille enduite de béton, et flanquée de tours carrées. Les deux seules portes de cette forteresse, construites par un Tunisien au commencement de ce siècle, sont masquées par des ouvrages extérieurs du même relief. La multiplicité de ces défenses indique l'importance de cette station obligée des caravanes. C'est là véritablement un point stratégique dans l'acception la plus large du mot, car on est contraint d'y passer, puisque là seulement on peut boire.

Le ruisseau qui arrose les jardins fut (l'abord coupé par les troupes amenées devant Aïn-Mâdy par l'émir ; puis quatre colonnes d'infanterie, avec chacune une pièce de canon pour ouvrir le mur extérieur de l'oasis, emportèrent bravement les dehors de la ville, après un combat acharné qui leur coûta des pertes cruelles. Mais huit cents boulets de trop petit calibre, tirés de derrière une grossière batterie élevée dans les jardins, ne purent faire brèche au corps de la place ; le feu des remparts et les sorties nocturnes des assiégés décimaient les troupes de l'émir. Cependant, il sentait que l'accroissement ou le déclin de sa fortune allaient dépendre de l'issue de cette entreprise. Il demeura cloué sous les murs d'Ain-Mâdy, où son armée vivait seulement au moyen de caravanes qui lui apportaient ses vivres à travers le désert. Il fit venir des mortiers et cent cinquante bombes. qu'il tira encore inutilement sur des maisons incombustibles ; puis, son orgueil s'abaissant à mesure que ses ressources s'épuisaient, il s'adressa, pour établir des mines, seul moyen qui lui restât pour ouvrir ces remparts, à un jeune Français, nommé Roche[8], dont il avait fait son secrétaire sous le nom d'Omar. Roche se mit à l'ouvrage ; mais il se trouvait dans la place un renégat, déserteur du génie, qui, plus versé dans l'art des mines, contremina Roche. La guerre souterraine, dont les grands événements militaires des cinquante dernières années n'avaient presque plus offert d'exemple, était ainsi renouvelée, au milieu du désert de l'Afrique, par deux aventuriers français, reflet lointain jeté par la science européenne sur la barbarie.

Les mineurs se rencontrent dans la galerie, s'abordent, se battent, puis se retranchent de part et d'autre ; et Abd-el-Kader fait commencer ailleurs de nouvelles mines. Mais les assiégés n'en attendent pas l'effet. L'angoisse où les jette l'appréhension continuelle d'une explosion toujours menaçante leur fait désirer une capitulation, qu'Abd-el-Kader, au bout de ses ressources, et ayant sacrifié à l'accomplissement de sa volonté et à la satisfaction de sa vanité tous les moyens et jusqu'au gouvernement de ses États, est heureux de leur accorder.

Au mois de décembre, après six mois de siège et de blocus, la place est momentanément évacuée par Tedjini ; huit mines, chargées chacune de cent vingt livres de poudre, font sauter un pan des remparts, et Abd-el-Kader, obligé de se contenter. d'une victoire stérile, mais la préférant à une transaction, même avantageuse, s'éloigne en janvier 1839 de cette ville démantelée où Tedjini rentre aussitôt, et devant laquelle l'émir avait usé des ressources dont il aurait dû se montrer plus économe.

Toutefois, son orgueil était satisfait. Le récit du romanesque siège d'Ain-Mâdy, grossi par le merveilleux, ajouta un nouvel éclat à l'auréole qui entourait le sultan. Son ambition ne connut plus de bornes. Après s'être emparé de toutes les contrées qui n'étaient pas occupées par les Français, il déborda en dehors des limites où l'on avait prétendu le contenir. Ses lieutenants se répandent par le sud et par l'ouest dans la province de Constantine. Son bey de Sébaou administre le territoire français à l'est du Kaddara ; lui-même, dévoré par le besoin de pousser tous les musulmans à la guerre sainte, viole en personne un traité qu'au reste il n'a jamais observé, en courant jusqu'à Bougie pour fanatiser les Kabyles. Changeant de cheval dans toutes les tribus, il parcourt des distances énormes avec une rapidité inouïe, se montrant presque à la fois sur des points éloignés. Ses apparitions tiennent du merveilleux, et le burnous violet du nouvel Haroun-al-Raschid produit sur les Arabes l'effet de la capote grise de Napoléon sur les Français. Partout il souffle.la guerre. La gloire d'un civilisateur et les grandeurs de la paix ne sauraient le distraire de sa haine sauvage, de son fanatique apostolat. Il n'a plus à prendre qu'aux Français, et il se croit assez fort pour les pousser dans le réseau aux mille mailles qu'il leur a tendu, et où il espère les étouffer.

D'une part, il ouvre les portes de la côte à un commerce illicite qui lui procure les moyens de faire la guerre ; de l'autre, il interdit, sous peine de mort, la vente des chevaux dont les Français ont besoin. Il appelle à lui les musulmans restés sur le sol et dans les rangs français, en leur faisant un devoir religieux de la désertion ou de nouvelles vêpres siciliennes. Il semble qu'une pompe fasse le vide autour de nous. Tous les musulmans se groupent derrière le prophète, qui, jetant le masque, fait faire en son nom la prière, faite jusqu'alors pour l'empereur de Maroc.

Les Hadjoutes, dont la tribu était devenue un asile pour tous les brigands auxquels la sévère justice d'Abd-el-Kader interdit le pillage entre mahométans, s'infiltrent, dès le mois de juillet 1839, dans la plaine de la Métidja, comme ces biseaux de mauvais augure, avant-coureurs des tempêtes. Une suite d'escarmouches avec les braves colons de la plaine, parmi lesquels on remarque MM. de Saint-Guilhem, de Tonnac et de Montagu, engage une sorte de guerre non officielle, où chacun s'applique la loi du talion, et, comme l'Américain, ne reconnaît d'autre juge que le juge Lynch.

En même temps, nos troupes indigènes se rencontraient, dans la province de Constantine, avec les khalifas de l'émir, Ben-Azzoun et Ben-Salem.

Une telle situation, qui n'était déjà plus la paix, commandait au maréchal Valée de préparer ses bases d'opérations pour une guerre qu'il ne voulait ni provoquer par une agression, ni retarder par une faiblesse. Il avait hâte de tenter un dernier essai, en opposant à l'empire toujours plus étendu de l'émir une barrière compacte, formée par la réunion du réduit de la province d'Alger avec le beylik de Constantine. C'était son intérêt, son droit et son devoir. Pour ne pas différer davantage la réunion de ces deux possessions qu'Abd-el-Kader avait isolées l'une de l'autre, le maréchal ajourna le plan de relier Sétif avec le port de Bougie, tout en se préparant à opérer cette fois par Constantine, où l'état moral des populations dévouées facilitait son entreprise.

L'arrivée de trois régiments, les 15e léger, 22e et 24e de ligne, envoyés en Afrique pour combler les vides ouverts par la maladie, permit au maréchal Valée de former un corps d'opérations, qu'il conduisit en personne, et qui se composa de trois petites divisions, dont deux se réunirent dans la province de Constantine, et la troisième dans la province d'Alger.

La première division, commandée par le duc d'Orléans, et composée de six faibles bataillons des 2e et 17e légers, 233 de ligne, quatre escadrons des 1er et 3e chasseurs et des spahis de Constantine, avec un détachement de sapeurs et quatre obusiers de montagne, partit de Philippeville pour se porter de Constantine jusqu'à Alger, en passant à Sétif, aux Portes de Fer et à Hamza, par une marche de cent vingt lieues, dont plus de moitié à travers les, hasards d'un pays inconnu et impénétrable[9].

La deuxième division, sous les ordres du lieutenant général de Galbois, dut appuyer ce mouvement jusqu'aux limites de la province de Constantine, qu'il eût été imprudent de trop dégarnir. Elle était formée par quatre petits bataillons des 17e léger, 22e de ligne, troisième bataillon d'Afrique et Turcs à pied, avec trois escadrons de chasseurs, deux obusiers de montagne et une compagnie de sapeurs.

La troisième division, commandée par le lieutenant-général Rulhières, et forte de cinq bataillons des 48e, 62e, zouaves et légions étrangères, avec huit escadrons des 1er de chasseurs et spahis d'Alger, une batterie de campagne et une compagnie du génie, reçut l'ordre de paraître sur l'Oued-Kaddara quand la division du duc d'Orléans s'approcherait d'Alger, afin de pouvoir la soutenir, en se portant à sa rencontre, lorsque la vision de Galbois serait trop éloignée pour l'appuyer.

L'opération commença à la mi-octobre 1839.

Un concours unique de circonstances toutes favorables, l'habileté du maréchal commandant en chef, et la bonté des troupes, assurèrent un succès complet et éclatant à cette entreprise aventureuse, qui, quelle qu'en ait été l'issue, ne paraîtra toujours qu'une heureuse témérité, c'est-à-dire un exemple bon à citer, mais jamais à imiter.

Jusqu'à Sétif, dont la colonne expéditionnaire compléta l'établissement, la marche fut une facile ovation au milieu des musulmans, qui, pour la première fois, recevaient en triomphe un prince chrétien ; mais là commençaient les difficultés.

Les obstacles naturels étaient immenses ; il était impossible de suivre la voie romaine de Sitifis à Césarée, qui, passant au sud des Portes de Fer, traversait les États de l'émir. Il fallait cheminer à vol d'oiseau de Sétif à Alger, à travers des montagnes inconnues, inaccessibles, coupées par de nombreuses rivières, que les pluies pouvaient grossir en une nuit et qu'on n'avait aucun moyen de franchir, et habitées par une population nombreuse et indépendante de Kabyles qui s'y étaient réfugiés.

On était à la fin d'octobre, à l'époque où les chaleurs sont encore fortes et les pluies déjà fréquentes. La division du duc d'Orléans ne comptait que deux mille cinq cents baïonnettes et deux cent cinquante sabres pour vaincre une résistance dont la probabilité s'augmentait en proportion de la faiblesse de la colonne, et pour escorter un convoi qui devait suffire à tous ses besoins, depuis Sétif jusqu'à Alger.

Mais cette poignée de soldats endurcis, conduite par des officiers d'élite, était pleine d'enthousiasme, et se sentait entraînée par les difficultés mêmes vers une entreprise qui avait le charme de l'inconnu et du romanesque. Pour rehausser encore l'utilité de la leçon que le maréchal Valée voulait donner à Abd-el-Kader, le convoi, qui assurait dix jours de vivres, avait été organisé uniquement avec des mulets, de manière à passer partout. Le troupeau, conduit par des nègres du Sahara, avait été choisi de manière à pouvoir suivre les marches les plus rapides. L'état-major, habilement dirigé par le lieutenant-colonel de Salles, n'est éclairé ni par des reconnaissances, ni par des cartes, ni par des récits. Il se guide d'abord sur l'itinéraire d'Antonin, puis sur les souvenirs d'un vieux Turc, doué comme les sauvages d'une admirable mémoire locale, et enfin sur la boussole et l'application au terrain des notions générales de la topographie.

La division d'Orléans, composée aussi légèrement que possible, franchit en neuf jours les soixante-huit lieues qui séparent Sétif d'Alger, malgré deux combats, quinze passages de rivière à gué, un convoi de neuf cents animaux très-chargés, des montagnes affreuses sans chemin ; et, non-seulement elle n'y laisse ni un mulet, ni un homme en arrière, quoique l'infanterie porte six jours de vivres et soixante cartouches, mais elle enlève à l'ennemi des prisonniers et des chevaux.

Le maréchal Valée a senti que le succès de l'expédition serait en proportion de la célérité de la marche, qui diminuerait les chances de la saison et rendrait trop tardive l'action de l'ennemi. En partant de Sétif, il fait faire aux deux divisions d'Orléans et de Galbois, vingt-quatre lieues en trois jours, à la boussole, à travers pays, chassant devant lui le lieutenant d'Abd-el-Kader ; et cette course au clocher assure la réussite de l'expédition, en dérobant à l'ennemi le passage féerique des Bibans ou Portes de Fer.

Ce défilé célèbre, et plus difficile encore que la renommée ne l'avait dit, est la seule entrée donnant accès, vers l'est, dans l'agglomération confuse de montagnes sauvages et amorphes dont le Djurdjura est le pic principal, et qui couvre près de douze cents lieues carrées de pays entre Bougie, Ouennougha et l'Oued-Kaddara.

Un phénomène géologique extraordinaire a relevé verticalement, sur une vaste surface, les couches horizontales des roches calcaires dont cette partie de l'Atlas est formée. L'action des siècles a détruit les couches plus friables qui remplissaient les intervalles de ces stratifications parallèles, en sorte qu'aujourd'hui ces murailles naturelles, distantes de quinze à trente mètres, se succèdent pendant près d'une lieue, s'élevant jusqu'à une hauteur de cent à deux cents mètres.

La seule brèche pratiquée à travers ce feuilleté de montagnes grandioses a été frayée par l'Oued-Biban ou Bou-Kton, torrent salé dont le lit, encombré de cailloux roulés et de débris de toute espèce, n'a parfois qu'un mètre ou deux mètres de large. Il n'a point sillonné en ligne droite les faces verticales des rochers qui le surplombent, et il n'y a pas un recoin de ce sombre défilé où l'on ne soit à la fois vu de plusieurs de ces remparts, qui se donnent ainsi un flanquement mutuel, et dont le sommet, dentelé par une incroyable bizarrerie de la nature, est percé d'ouvertures ovales disposées comme des meurtrières.

La pluie ou la moindre résistance rendent le passage impossible. Les eaux, arrêtées par les rétrécissements auxquels on a donné le nom de Portes de Fer, à cause de leur couleur noire, s'élèvent quelquefois jusqu'à trente pieds au-dessus du sol, puis s'échappent avec violence dans une étroite vallée qu'elles inondent entièrement ; et telle est la disposition, unique sur le globe, de cette forteresse naturelle, que quelques hommes avec des pierres suffiraient pour y arrêter une armée, car celle-ci ne pourrait ni les voir ni leur répondre. Les crêtes ne peuvent être ni couronnées régulièrement, étant toutes parallèles et isolées entre elles en même temps que perpendiculaires à la direction du lit du torrent, ni tournées, car les ressauts de ces déchirements étranges se prolongent fort au loin jusqu'à un pêle-mêle de rochers anguleux, de maquis épineux et de précipices infranchissables.

Aussi le duc d'Orléans renonça-t-il aux précautions militaires d'usage, dont l'essai infructueux eût pris plusieurs jours et exigé dix mille hommes. Il lance à toute course les compagnies de voltigeurs commandées par le lieutenant-colonel Drolenvaux[10], qui traversent le défilé, en occupent l'issue et reviennent par les hauteurs, aussi loin que possible, au-devant de la colonne ; celle-ci, forte de moins de trois mille hommes, mit quatre heures à défiler, par un, dans cet effroyable coupe-gorge.

A peine l'arrière-garde en était-elle sortie, à peine les Cheikhs, les Beni-Abbès, retenus dans le passage comme guides et comme otages, étaient-ils rendus à leurs tribus, que quelques coups de fusil et un orage violent rendirent évident pour le dernier soldat le bonheur particulier qui avait protégé cette téméraire entreprise.

Le maréchal Valée, justement fier d'avoir dirigé les soldats français dans cet enfer respecté par les Romains eux-mêmes, y puisa la conviction que cette fantastique combinaison de bouleversements impossibles à décrire n'a jamais été et ne sera jamais une route militaire, et qu'il fallait chercher ailleurs la communication régulière et habituelle d'Alger avec Constantine.

Au delà des Portes de Fer, la colonne se trouva aux prises avec de nouvelles difficultés ; ce fut d'abord le manque d'eau potable : la division qui, pendant cinquante-deux heures, côtoya les eaux magnésifères de l'Oued-Bou-Kton, endura le cruel supplice de la soif en présence d'un liquide n'ayant de l'eau que l'apparence, et que les animaux eux-mêmes refusaient avec dégoût. Calme dans les privations, infatigable dans les marches, la division, qui n'avait ni trainards ni malades, surprit ensuite par une marche de nuit le fort d'Hamza, carré étoilé, avec muraille de dix mètres de haut et onze pièces de canon sans affût. Ben-Salem, bey de Sébaou pour Abd-el-Kader, ne défendit pas ce poste, important cependant par la belle position militaire qu'il occupe sur une sorte de table commandant la réunion de trois vallées qui mènent à Alger, à Bougie et aux Portes de Fer, et au pied d'un col déprimé conduisant à Médéah. Mais, lorsque les Français furent engagés dans les montagnes affreuses qui séparent Hamm du Fondouk, et où le chemin, fréquemment coupé par les rivières qu'il faut passer à gué, est tantôt un escalier de rochers roulants encaissés sous une voûte de broussailles, tantôt un sentier en saillie sur des précipices, Ben-Salem protesta par les armes.

Après deux affaires d'arrière-garde à Beni-Djaad et à Ben-Hini, où l'ennemi fut rudement repoussé, Ben-Salem s'éloigna, et, le 2 novembre 1839, la division d'Orléans terminait par une entrée triomphale à Alger une longue et périlleuse opération, dont les connaisseurs seuls apprécièrent le mérite, mais dont le côté romanesque frappa l'imagination du public, souvent injuste pour la prudence, mais toujours séduit par la témérité heureuse.

L'armée d'Afrique grandit en France, bien moins par ce fait d'armes que par l'attention qu'elle attira ainsi sur des travaux jusqu'alors trop dédaignés ; cette fois encore, cette armée subissait la condition qui lui est faite dans ce jeu terrible où elle rend des points à ses adversaires.

Les résultats obtenus n'étaient point en proportion de ces efforts ni des dangers surmontés ; car, si le pays avait été soumis et organisé jusqu'à Hamza, la route militaire n'était pas établie et ne pouvait l'être que par le territoire cédé à Abd-el-Kader. Cependant, la France était grandie en Afrique, l'émir craignit de descendre : il n'avait plus rien à demander à la paix, il fit la guerre.

 

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Cette guerre, qui dura neuf ans, fut la lutte suprême au milieu de laquelle notre domination sur l'Algérie s'établit d'une manière définitive. Le duc d'Orléans n'en put voir que les premiers incidents ; mais, dès le début, il en avait bien jugé le caractère : il avait vu que désormais, sur le sol de l'Algérie, il n'y avait plus place à la fois pour la France et pour l'empire arabe d'Abd-el-Kader. Aussi ce début marquait-il pour lui le commencement d'une nouvelle période dans l'histoire de l'armée d'Afrique, une nouvelle et grande section de l'ouvrage qu'il avait entrepris. Il se proposait de mener le récit des différentes phases de cette guerre jusqu'au jour où il offrirait à l'armée le monument qu'il travaillait à élever en son honneur.

Mais il n'eut pas même le temps de mettre en ordre les notes qu'il avait prises sur la campagne de 1840. Son manuscrit, brusquement arrêté au moment où l'historien semble prendre un nouvel essor pour parler des faits d'armes auxquels il avait eu une part importante, est comme une triste image de cette vie si pleine d'espérances et de promesses, interrompue soudain par un coup si terrible.

Ce n'est pas à nous qu'il appartient, nous l'avons dit dans l'Avant-propos, de compléter ces pages inachevées. Il faudrait, pour raconter la fin de la guerre d'Algérie, une plume autorisée par l'expérience personnelle ; mais ne peut-on pas espérer qu'une entreprise aussi patriotique tentera quelqu'un des anciens compagnons du duc d'Orléans ? Peut-être un jour ses frères, qui Continuèrent son œuvre en Afrique, donneront-ils à ces récits une suite digne de l'auteur, digne d'un pareil sujet. En tout cas, nous souhaitons que l'un des anciens Algériens, comme les appelait le duc d'Orléans, termine une histoire si propre à perpétuer chez nous la tradition de ces vertus militaires qui sont l'honneur et le premier devoir d'une armée vraiment nationale.

 

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Dans les notes contenant les effectifs, les noms suivants ont été cités et ne se retrouvent pas ailleurs dans le texte :

 

Colonel MENNE. — Commande le 2e léger dans l'expédition de Mascara. — Maréchal de camp en 1839. — Retraité en 1888.

Commandant SECOURGEON. — Commandant du 1er bataillon d'Afrique. — Lieutenant-colonel en 1836. — Retraité en 1838. — Mort en 1866.

Colonel DE VILMORIN (LÉVÊQUE). — Général de division en 1888. — Passe à la réserve. — Mort à Tours, en 1862.

Commandant LEBLOND. — Lieutenant-colonel, du 15 mars 1838, au 48e de ligne. — Colonel le 21 juin 1848. — Tué en Afrique, en 1842.

Lieutenant-colonel DE BEAUFORT. — Lieutenant-colonel au 47e de ligne. — Colonel le 14 novembre 1837. — Commandant de place à Oran. — Retraité en 1848. — Mort en 1852.

CORRÉARD. — Campagne d'Essling et de Wagram. — Lieutenant en Espagne. — Capitaine en 1815. — Chef d'escadron en 1821. — Lieutenant-colonel en 1832. — Colonel aux deux expéditions de Constantine. — Maréchal de camp en 1847. — Réserve en 1852.

Colonel LEVESQUE. — Colonel du 62e. — A commandé la place de 1re classe de Lyon. — Mort en 1850, à Brest.

Colonel PETIT D'HAUTERIVE. — Maréchal de camp en 1843. — Mort en 1855.

Général LAMY. — Commandant en second du génie à Constantine. — Mort le 5 novembre 1839.

Capitaine DE MIRBECK (Pierre). — Colonel du 3e régiment de chasseurs d'Afrique le 28 août 1846. — Général de brigade le 16 juillet 1852. — Cadre de réserve.

Capitaine GUIGNARD. — Tué à l'assaut de Constantine en 1837.

Commandant RIBAN (L.-C.-Aug.). — Colonel du 74e en 1840. — Maréchal de camp le 20 août 1845. — Mort le 29 novembre 1863, à Senlis.

Commandant ALLOUVEAU DE MONTRÉAL. — Colonel du 75e de ligne en 1840. — Général de brigade en 1848. — Général de division le 10 mai 1852. — De 1853 à 1856, a commandé l'armée d'occupation de Rome. — Sénateur le 9 mars 1857. — Réserve.

Lieutenant-colonel GRÉGOIRE. — Colonel le 23 décembre 1846. — Directeur des parcs à Vernon.

Commandant DUBERN. — Général de division le 14 août 1860. — Réserve 1867.

LECLERC. — Chef de bataillon de 1830. — Lieutenant-colonel le 26 octobre 1843.

Colonel baron DE GUESWILLER (Philippe-Antoine). — Élève de l'École militaire de Fontainebleau en 1810. — Cité au combat des Arapiles. — Épaule fracassée à Leipsick. — Chef de bataillon au 38e de ligne en 1822. — Colonel du 23e de ligne en 1836. — Maréchal de camp en 1840. — Commande une brigade à l'armée des Alpes. — Général de division en juin 1848. — Sénateur en 1852. — Mort le 5 novembre 1865.

Lieutenant-colonel MILTGEN. — Lieutenant-colonel le 8 janvier 1837. — Tué en Algérie le 27 avril 1840.

Capitaine JARRY (Charles). — Capitaine du 25 avril 1855. — Retraité le 3 septembre 1851.

Capitaine DEVAUX. — Capitaine du génie le 1er octobre 1832. — Chef de bataillon le 5 juin 1842, à la Martinique.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Capitaine LACHEISE (A.). — Spahis. — Action d'éclat à Aïn-Khiziad. — Général de brigade le 1er janvier 1852. — Mort le 1er juin 1869.

[2] Des combats, même heureux, étaient fâcheux ; car on ne devait que recueillir et protéger les tribus qui se donnaient spontanément, et non pas dompter, malgré elle, une population nombreuse et décidée à résister.

[3] DE GALBOIS (Mathurin). — Lieutenant-général le 21 octobre 1838. — Pair de France. — Mort le 10 décembre 1850.

[4] J'ai élevé un monument plus durable que l'airain.

[5] Commandant DE CHADEYSSON (Isidore). — Général de brigade le 12 juin 1848. — Mort le 19 février 1868.

[6] Colonel LOYSE D'ARBOUVILLE (F.). — Lieutenant-général le 3 novembre 1887. — Retraité en 1856.

[7] Colonel LANNEAU (Félix). — Colonel de la 3e légion de gendarmerie, le 31 décembre 1836.

[8] ROCHE. — Interprète général de l'armée d'Afrique. — Consul de France au Maroc. — Ministre de France au Japon.

[9] Cette division était ainsi composée :

Trois bataillons, 2e léger, colonel Changarnier ;

Un bataillon, 47e léger, colonel Corbin ;

Deux bataillons, 23e de ligne, colonel de Gueswiller ;

Quatre escadrons, lieutenant-colonel Miltgen ;

Quatre obusiers, capitaine Jarry ;

Trente sapeurs, capitaine Devaux.

[10] DROLENVAUX. — Colonel du 2e léger, à Metz, en 1844. — Maréchal de camp le 28 décembre 1846. — Retraité en 1848. — Mort le 28 août 1863. — Nombreuses citations.