CARTHAGE ROMAINE

 

LIVRE QUATRIÈME. — LE PAGANISME

 

 

Les Romains, en accomplissant la conquête du monde, suivirent d'ordinaire à l'égard des peuples qu'ils soumettaient la même ligne de conduite. Satisfaits de les avoir vaincus, ils respectaient toutes celles de leurs institutions qui pouvaient se concilier avec la politique de Rome, et laissaient au temps le soin de produire une lente et pacifique fusion entre les nouveaux sujets et leurs maitres. Cette attitude prudente, ils l'observèrent surtout à l'égard de la religion. Nulle part on ne surprend leurs généraux, ni leurs administrateurs, occupés à la modifier dans les contrées où on les envoie. Ils acceptent le culte du pays et, sans le pratiquer eux-mêmes, en tolèrent le libre exercice. Nous allons constater la mise en œuvre de ce système à Carthage.

Pareille assertion étonnera peut-être tout d'abord. Dérogeant pour une fois à ses habitudes, le sénat s'était montré implacable envers la rivale de Rome. Il avait voulu, trop fidèle exécuteur du programme de Caton, effacer de la terre le peuple carthaginois. Que restait-il donc, après la tourmente de 146, que Rome pût s'assimiler ? Quand C. Gracchus, puis César et Auguste vinrent rendre la vie à ce sol, n'était-ce pas sur un terrain vierge qu'ils établissaient leurs colons ? Et ne pouvaient-ils pas y importer le culte de la métropole sans craindre de blesser aucune susceptibilité religieuse ? Oui, la ville était détruite, mais ses habitants n'avaient pas tous disparu. Les 50.000 défenseurs de Byrsa que Scipion fit sortir sains et saufs[1] s'étaient répandus dans les cités d'alentour, elles-mêmes d'origine et de race phéniciennes. Tout le nord de la Tunisie actuelle avait appartenu à Carthage ; elle l'avait imprégné de son génie et de ses idées, on y parlait sa langue, on y vénérait ses dieux. Si l'anéantissement de la capitale porta un coup terrible aux Phéniciens d'Afrique, on exagérerait donc beaucoup en admettant qu'elle les entraina tous dans sa ruine. Ils persistèrent, au contraire, longtemps après sa chute ; ils sont encore vivaces à l'époque de saint Augustin. Ainsi la situation de cette région, lorsque les Romains s'y fixèrent, ne diffère pas, dans l'ensemble, de celle des autres provinces. Ils furent conduits, par conséquent, à y suivre leur tactique coutumière.

 

 

 



[1] Appien, Puniques, 130.