CARTHAGE ROMAINE

 

LIVRE PREMIER. — HISTOIRE DE CARTHAGE ROMAINE

CHAPITRE IV. — L'ASSERVISSEMENT (430-533).

 

 

I

Retracer la vie de Carthage de 439 à 533, c'est raconter un siècle de l'histoire des Vandales. Certes leur domination s'étendit bien au-delà de son enceinte ; elle n'était que la capitale de leur royaume. Mais ce seul titre, en lui assurant la prépondérance sur toutes les autres cités, lui donnait déjà un lustre particulier. De plus, s'ils se sont parfois éloignés d'elle, Genséric et ses successeurs y sont toujours revenus au bout de peu de temps ; elle fut bien le centre principal et presque continuel de leur activité.

Appelés parle compte Boniface, les Vandales s'étaient empressés de franchir le détroit de Gibraltar (429) ; et, pendant cinq ans, malgré la résistance acharnée de certaines places[1], comme Hippone, et les efforts des armées impériales[2], ils avaient tout détruit par le fer et le feu. Le 11 février 435, un accord intervint entre Valentinien III et Genséric[3]. Dès qu'il se sentit assez solide, le barbare rompit le pacte, se révolta contre l'empereur et prétendit parler en maitre à l'Afrique entière. La prise de Carthage fut l'acte le plus décisif de cette rébellion.

Elle eut un retentissement considérable dans le monde romain. Tous les historiens et chroniqueurs contemporains ou de la période suivante y font allusion et souvent, y insistent pour la déplorer. Carthage aux mains des Vandales, c'était en effet une portion, et non des moins belles, de l'empire d'Occident qui échappait aux Romains et à la civilisation ; c'était aussi l'alimentation de Rome ou de Ravenne compromise. Où irait-on chercher le blé nécessaire à l'Italie ? Reverrait-on ces flottes si longtemps attendues. dont l'arrivée réjouissait le peuple affamé, dont le retard lui laissait redouter la disette et tous les maux qu'elle entrante ? Ainsi, chacun envisageant cet événement de son point de vue, l'empereur y sentant une diminution de son pouvoir, le peuple une menace de famine, la perte de Carthage dut, ce me semble, produire sur les Romains d'alors une impression assez analogue à celle que ressentit la chrétienté lors de la chute de Constantinople, sous les coups des Turcs, en 1453.

Genséric y entra le quatorzième jour avant les calendes de novembre (19 octobre) de l'année 439[4]. Aucun écrivain ne nous renseigne sur les circonstances on se produisit la catastrophe. S'était-il ménagé des intelligences dans la place ? j'inclinerais à le croire. Carthage, récemment close d'une enceinte, ne pouvait guère être enlevée d'un coup de main ; et pourtant les termes dont se servent les auteurs prouvent, à mon avis, que la lutte, s'il y en eut une, ne fut pas longue, ou plutôt que la prise de possession se fit par ruse, en pleine paix[5]. Dès qu'il se fut établi dans la ville, le roi, qui la savait riche, voulut s'approprier les trésors qu'elle renfermait. Il publie un. ordre pour se faire apporter par chaque citoyen tout ce qu'il possède, d'or, d'argent, de pierreries et de vêtements précieux. Quiconque se dérobe, on le met à la torture pour lui faire avouer où il a caché ses biens. On pille les églises, on les dépouille de leurs vases sacrés ; on en retire l'administration aux prêtres, et elles sont arrachées au culte pour devenir la demeure des conquérants[6]. Cruel envers tout ce peuple captif, Genséric manifesta une haine spéciale contre l'aristocratie et la religion, si bien, dit Prosper, qu'on ne discernait point s'il était plus l'ennemi des hommes que de Dieu.

Le biographe de saint Fulgence, évêque de Ruspe, nous fait comprendre par un exemple quel sort éprouvèrent les personnages importants. Fulgence, écrit-il[7], était issu d'une noble famille, et ses parents comptaient parmi les sénateurs de Carthage. Gordien, son aïeul, y habitait au moment où Genséric y pénétra en vainqueur. Ce dernier, après avoir dépouillé de leur fortune tous les sénateurs, les contraignit de s'embarquer pour l'Italie. Gordien fut du nombre des expulsés... A sa mort, deux de ses fils, dans l'espoir de recouvrer son héritage, se mirent en route pour l'Afrique. Il ne leur fut pas possible de rester à Carthage, leur propre maison ayant été livrée aux Ariens. Cependant le roi leur fit remettre une partie des sommes qui leur avaient été ravies, et ils allèrent s'établir en Byzacène. Les plaintes de Victor de Vita sont donc justifiées, lorsqu'il s'écrie : A cette antique et fière liberté dont jouissait Carthage, il fit succéder la servitude[8]. Tous ceux qui étaient spoliés, prêtres ou nobles laïques, avaient le choix entre l'exil et l'esclavage ; s'ils tardaient à se décider, on les condamnait à l'esclavage perpétuel. J'ai connu, ajoute le même historien, bon nombre d'évêques et d'illustres citoyens devenus ainsi esclaves des Vandales.

Les places dont Genséric n'avait point entrepris la conquête, sans doute en souvenir du siège si long d'Hippone, se rendirent sans tarder[9], de même qu'en 146 av. J.-C. la chute de Carthage amena la soumission de toute la contrée[10]. Les Vandales ne se méprirent pas sur l'importance de cet événement ; ils le considérèrent comme le principe d'un nouvel ordre de choses. L'habitude s'établit parmi eux de compter une ère spéciale à partir de ce moment[11] ; le 19 octobre 439 en fut la date initiale. Il v avait 585 ans que Carthage était tombée dans la sujétion de Rome.

Les débuts du règne de Genséric furent très agités. Expéditions soudaines sur mer, descentes le long des côtes et pillage des habitants surpris, voilà par quels exploits se signalait le vainqueur de l'Afrique. En même temps, il pousse Attila contre l'empire, parvient ainsi à détourner de soi l'attention, et peut à son aise, en dépit du traité passé avec Valentinien III[12], arrondir son domaine maritime. Après la mort de l'empereur (455) il eut tôt fait de réunir sous sa loi tout ce qu'il ne possédait pas encore en Afrique, plus la Sardaigne, la Sicile, la Corse et les Baléares[13].

Pour se livrer à la piraterie, Genséric avait dû se créer une marine. Les vaisseaux des armateurs carthaginois en formèrent le noyau, autour duquel il groupa les navires que les arsenaux purent lui construire rapidement et en grand nombre. Le port offrait un lieu de refuge très sûr ; et, s'il ne présentait plus l'activité de rage punique ou des IIe et IIIe siècles de l'ère chrétienne, la déchéance était loin d'être complète.

Les Vandales n'avaient qu'a jouir paisiblement du fruit de leurs victoires ; l'empire n'était pas de force à les en empêcher. Tous ceux qui auraient dû le défendre ne s'occupaient que de leurs mesquines rivalités, quand ils n'allaient pas jusqu'à pactiser avec l'ennemi. Tel fut le cas du comte Sébastien, gendre de Boniface, et, comme lui, en hutte à la haine d'Aetius. C'était un vaillant homme de guerre, à qui l'on avait confié, lors de la descente de Genséric en Sicile (440)[14], le commandement d'une armée. Il semble avoir ménagé le barbare[15]. Aussi, lorsque les intrigues de ses ennemis l'eurent contraint d'abandonner tour à tour Constantinople et la cour du roi des Visigoths, c'est à Carthage qu'il alla demander asile[16]. Genséric faisait grand cas de Sébastien et volontiers écoutait ses avis ; pourtant il redoutait de le voir quelque jour, comme jadis son beau-père, se retourner vers l'empire. Il prit donc prétexte de sa foi religieuse pour se débarrasser de lui. Le comte, qui était catholique, ayant refusé de se convertir à l'arianisme professé par les Vandales, paya de sa vie cette courageuse attitude[17].

Genséric n'avait point hésité, pour asseoir sa puissance, à sacrifier la veuve et les enfants de son frère Gundéric ; ces meurtres appelaient la vengeance. Ce petit homme, boiteux par suite d'une chute de cheval, colère, avide, taciturne, ennemi des plaisirs, qui s'était imposé à ses égaux par la profondeur de son génie et son adresse sans pareille à former des intrigues et à diviser les nations qu'il voulait soumettre[18], avait d'ailleurs trop bien réussi pour ne pas exciter la jalousie de ses compagnons d'armes. Ce qui les irrita surtout, c'est l'orgueil dont il fit preuve à la suite de ses continuels succès[19]. Un complot s'ourdit entre quelques-uns des plus nobles de la nation afin de le mettre à mort ; ils furent découverts, et Genséric les fit périr dans les supplices. Dans la crainte qu'ils n'eussent des imitateurs. il infligea le même sort à tous ceux qu'il soupçonnait de ne point l'aimer. Carthage fut inondée de sang. Par ces massacres, dit Prosper, les Vandales perdirent plus de forces que dans une défaite.

Il leur en restait assez pour répondre à l'appel d'Eudoxie, veuve de Valentinien III, et pour s'emparer de Rome (15 juin 455)[20]. Pendant quatorze jours, ils s'y livrèrent au pillage avec fureur et dépouillèrent la ville de toutes ses richesses. Puis ils remirent à la voile, emmenant à Carthage des milliers de captifs, entre autres Eudoxie, ses deux filles. Eudocie et Placidie, et Gaudence, fils d'Aetius[21]. On avait entassé dans les vaisseaux, dit Procope[22], une quantité d'objets d'or et d'argent et tout le mobilier impérial. La moitié du toit du temple de Jupiter Capitolin, qui était d'un bronze très fin, recouvert d'une couche d'or épaisse. faisait partie du butin. Genséric s'était emparé aussi des vases sacrés des Juifs et des autres dépouilles du temple de Jérusalem, que Titus avait transportées jadis à Rome. Ces trésors demeurèrent à Carthage pendant toute la durée de l'occupation vandale. A l'exception d'un vaisseau chargé de statues, qui sombra en mer, la flotte rentra sans encombre.

Les prisonniers étaient si nombreux qu'on ne savait où les abriter. Le manque de soins et le pénible voyage qu'ils venaient d'effectuer avaient affaibli beaucoup d'entre eux. C'était pitié de voir cette foule d'hommes, de femmes et d'enfants, libres hier encore, maintenant réduits au plus dur esclavage. Il se trouva heureusement un cœur qui eut compassion de leur sort et s'employa pour l'adoucir. Deogratias, évêque de Carthage, disposa deux grandes églises, la basilica Fausti et la basilica Novarum, avec des lits et des couches de feuillages pour y recevoir ces malheureux. Tous ses efforts tendaient. à empêcher qu'on ne vendit à part mari, femme et enfants. Les malades étaient l'objet de sa sollicitude particulière ; on le voyait, suivi de médecins, se pencher à leur chevet, examiner leur état, et leur donner remèdes et aliments. Lorsqu'il mourut, ajoute Victor de Vita, à qui j'emprunte ces détails[23], les captifs pleurèrent amèrement ; car ils se croyaient désormais abandonnés sans secours entre les mains des barbares.

Les princesses, au rebours de la multitude, furent traitées avec honneur. Eudocie épousa même, peut-être à vrai dire sans empressement, Hunéric, l'aisé des fils de Genséric ; sa sœur Placidie, fiancée au sénateur Olybrius, plus tard empereur d'Occident, fut rendue à la liberté, puis envoyée à Byzance, sur la demande de l'empereur d'Orient, Léon[24].

La suite du règne de Genséric est remplie par des guerres ou menaces de guerre contre les empereurs Majorien, Sévère Anthemius, Léon, et des pillages sur les côtes d'Italie ou d'Espagne ; on en lira le détail dans Procope[25], que Tillemont[26] a suivi en le contrôlant. Malgré de fréquents succès au cours de ces luttes, Genséric n'était point sans inquiétude sur la sécurité de sa capitale, contre laquelle se tournaient les forces des deux empires d'Occident et d'Orient. Il redoutait en outre les partisans du régime antérieur. Pour les empêcher de se mettre à l'abri, s'ils tentaient quelque révolte, il fit raser les murailles de toutes les cités d'Afrique[27]. Du même coup, il enlevait aux généraux que l'Europe pourrait lancer contre lui l'espérance de se retrancher dans une forteresse et d'y loger une garnison en vue de harceler les Vandales. Seule Carthage ne subit pas le sort commun. Les motifs de cette exception, encore que Procope ne nous les fournisse pas, se devinent d'eux-mêmes. Cette ville on le roi résidait avec l'élite de ses guerriers était le boulevard et la suprême ressource des barbares : ils avaient donc, intérêt à ne pas la démanteler. Cependant ce privilège fut plus apparent que réel. L'enceinte ne tomba pas sous la pioche des démolisseurs ; mais on n'y apporta aucune attention, tandis qu'elle allait se détériorant ; on omit de procéder aux réparations les plus urgentes. Et la ruine, plus lente qu'ailleurs, n'en fut pas moins profonde.

Lorsque l'empereur Léon, pour tirer vengeance des déprédations des Vandales en Grèce et dans les lies, lança contre eux une armée considérable, Carthage était encore fortifiée. Elle put soutenir un siège de quelque durée[28]. Léon avait partagé ses troupes en trois corps. Le premier, aux ordres du patrice Marcellianus ou Marcellinus[29], devait tout d'abord reconquérir la Sardaigne, ce qu'il fit sans trop de peine ; Héraclius, qui commandait le second, pénétra en Tripolitaine et battit l'ennemi. La flotte enfin, sous la conduite de Basiliscus, beau-frère de l'empereur, visa droit à Carthage, où les deux autres forces devaient la rejoindre. Si ce projet s'exécutait, c'en était fait de la puissance vandale. Il faillit réussir. Au moment décisif, la trahison de Basiliscus perdit tout.

Il atterrit au promontoire de Mercure (Cap Bon). Mais, au lieu de marcher aussitôt sur la capitale, il commença par perdre du temps. L'adversaire, qui avait eu grand peur, se remet peu à peu de son premier effroi et se prépare à la résistance. Basiliscus pénètre dans le golfe et s'approche de la ville ; Jordanès[30] rapporte même qu'il l'attaqua à mainte reprise du côté de la mer. Quoi qu'il en soit, le siège traîna en longueur, quand tout aurait pu se terminer en quelques jours. Genséric, qui connaissait l'avarice de l'amiral ennemi, lui fit passer une somme importante pour le corrompre ; du moins Procope, Malalas et Jordanès le racontent. En même temps, il lui demandait cinq jours de trêve afin d'étudier à quelles conditions la paix pourrait être conclue ; Basiliscus les accorda. Le vent ayant sauté pendant cette armistice, les Vandales se sentent en mesure d'attaquer la flotte impériale, placée dès lors dans une situation très défavorable. Ils jettent contre elle une quantité de brûlots, qui allument des incendies de toutes parts, tant les vaisseaux étaient pressés ; puis ils sa lancent à l'abordage. Surpris par cette brusque attaque, affolés par les flammes, les marins de Basiliscus et la plupart des chefs n'en résistèrent pas moins avec ardeur. Malgré leur vaillance, cette bataille navale fut un désastre. Il fallut fuir en désordre vers Constantinople, où l'empereur, sur les instances de sa femme Verina, sœur de Basiliscus, pardonna au général infidèle.

Heraclius, trop faible pour se mesurer seul avec l'ennemi, se replia lui aussi vers l'Orient ; tandis que Marcellinus tombait assassiné par quelques rivaux jaloux de ses succès (août 468)[31]. Cette lamentable expédition ne servit qu'a affermir à la fois la puissance et l'orgueil de Genséric.

A partir de ce moment le vieux roi ne fut plus guère attaqué et poursuivit en toute quiétude ses incursions sur les côtes de la Méditerranée. Un traité avec Odoacre (476), par lequel ce chef, déjà maitre de l'Italie, obtenait la Sicile, moyennant tribut annuel[32], un autre, un peu antérieur, avec l'empereur d'Orient Zénon[33] ; voilà tout ce que l'histoire nous a transmis d'important pour la fin de son règne.

Zénon avait choisi comme représentant auprès du Vandale un homme d'une parfaite droiture, le patrice Sévère[34]. Genséric lui offrit une grande somme d'argent et des présents proportionnés à sa qualité ; Sévère refusa tout et répondit que le seul cadeau qu'il accepterait, c'était la liberté des sujets de l'empire en captivité chez les Vandales. Cette réponse plut tellement à Genséric que, sur-le-champ, il mit à la disposition de l'ambassadeur tous les prisonniers qui lui appartenaient, ainsi qu'a ses fils ; il l'autorisa en outre à racheter les autres. Aussitôt Sévère vend ses meubles, son argenterie, et délivre le plus grand nombre possible d'esclaves. Emu d'une conduite si généreuse, le barbare n'hésita pas à conclure avec l'empereur une paix perpétuelle. Et cette alliance, ni lui ni ses successeurs, jusqu'au temps de Justinien, n'y portèrent atteinte. Il fit plus ; malgré son arianisme farouche, il permit aux catholiques de Carthage de rouvrir leur basilique fermée depuis plusieurs années ; aux évêques et aux prêtres bannis, de rentrer dans la ville. La mission de Sévère avait donc réussi au-delà de toute espérance, en raison de sa complète honnêteté (475)[35].

Genséric mourut bientôt après (janvier 477), dans la capitale qu'il s'était conquise près de trente-huit ans plus tôt[36]. Son habileté politique, son génie militaire, expliquent ses succès ; Carthage en éprouva les heureux effets. Malgré la servitude où elle gémissait, malgré les mœurs brutales et l'esprit grossier de ses maîtres actuels, cette première partie de la domination vandale ne fut pas funeste à son développement intérieur. Enrichie des dépouilles de Rome, défendue contre les atteintes des Impériaux, elle connut du moins la prospérité matérielle, si elle avait perdu la libre disposition d'elle-même.

Avant de disparaître, Genséric établit qu'après lui le sceptre reviendrait non pas à son fils aîné, mais au plus âgé des mâles de sa famille, et ainsi de suite à la mort de chacun de ses successeurs[37]. Jordanès admire cette prévoyance ; pourtant elle ne les empêcha guère de se déchirer, comme les autres peuples, dans des querelles intestines, et assurément ne suffit pas à maintenir leur puissance au point on l'avait portée leur premier roi africain. Cette grandeur est l'œuvre personnelle de Genséric : elle ne lui survivra pas.

 

II

Son fils et successeur, Hunéric, dont le règne ne dura que sept ans, fut le fléau de l'Afrique, en particulier de Carthage, où il fit couler le sang des catholiques. En dehors de cette persécution, nous n'avons guère à glaner pour l'histoire politique de ce triste règne que l'ambassade d'Alexandre. Zénon l'avait envoyé auprès d'Hunéric (480)[38] pour examiner d'abord les griefs du roi, qui se plaignait de n'avoir pas reçu la dot de sa femme Eudocie, fille de Valentinien III, puis les réclamations des marchands carthaginois à qui plusieurs vaisseaux avaient été saisis pendant les dernières guerres. Hunéric ne souhaitait, comme Zénon, que la paix au dehors ; on n'eut donc pas de peine à s'entendre. S'il faut accepter le témoignage de Malchus[39], plutôt que de se brouiller avec l'empire, le Vandale renonça de lui-même à la dot de sa femme, à l'indemnité pour les armateurs de Carthage, à tout enfin, et ne fut satisfait qu'après avoir contracté avec Zénon une amitié inviolable[40].

Dissensions intérieures, persécutions, lutte contre les Maures du désert ou de la montagne, à qui la mollesse des rois avait rendu toute leur audace d'autrefois, tels sont, pendant les vingt dernières années du Ve siècle et les trente premières du VIe, les traits les plus saillants de l'histoire des Vandales. Au milieu de ces difficultés, l'ordre de succession que Genséric avait établi, complété par le traité de paix conclu avec l'empire, maintenait cependant une certaine stabilité. Le jour où ces sages dispositions furent violées, les Vandales étaient à la veille de leur ruine. C'est ce qui se produisit sous le règne d'Hildéric, quand Gélimer, exploitant le mécontentement général, usurpa le pouvoir[41]. A peine proclamé roi par ses troupes, il va droit à Carthage, s'en empare, fait jeter en prison Hildéric et ses neveux, Hoamer et Euagis, et se saisit de la puissance souveraine (531). Le chroniqueur Victor de Tonnenna ajoute que beaucoup d'autres nobles personnages périrent dans la capitale[42].

Les résultats de cette révolution sont dans toutes les mémoires[43]. Heureux d'avoir enfin un prétexte pour intervenir dans les affaires d'outre-mer, Justinien se déclare le défenseur du roi déchu et pour le soutenir prépare des forces imposantes. Dix mille fantassins, cinq mille cavaliers, cinq cents vaisseaux de transport, quatre-vingt-douze armés en guerre, sont mis à la disposition de Bélisaire, désigné comme chef de l'expédition (533). Les Vandales s'attendaient si peu à une attaque qu'ils n'avaient pris aucune mesure pour la repousser. Leurs meilleurs soldats étaient occupés à réduire la Sardaigne, qui avait secoué le joug. Gélimer, éloigné de sa capitale, l'avait laissée sans défense ; point de préparatifs dans les autres villes, ni sur le littoral ; le pays était ouvert. Débarqué à Caput Vada (Ras Kabondia)[44]. Bélisaire s'avança vers le nord sans rencontrer d'obstacle, bien accueilli au contraire par les populations romaines opprimées.

En apprenant son arrivée en Afrique, Gélimer pensa d'abord à se venger de ceux qui, selon lui, l'avaient provoquée. Il manda donc à son frère Ammatas, demeuré à Carthage, de mettre à mort Hildéric et tous les membres de sa famille qui se trouvaient en prison. Se préoccupant ensuite de sa capitale, il ordonne à Amniatas d'attendre Bélisaire, avec les troupes qu'il avait sous la main, près de Ad Decimum (Sidi Fathalla)[45]. Son plan était d'enserrer l'ennemi, comme dans un étau, entre les forces venues de Carthage et celles que lui-même amenait du sud. La précipitation d'Ammatas, l'indiscipline des soldats, l'incapacité du roi l'empêchèrent de réussir. Les Byzantins, profitant des erreurs de l'adversaire, le mirent en pleine déroute (13 septembre). Dès le lendemain ils se diri2eaient, vers Carthage.

On y arriva sur le soir, dit Procope[46], et l'on campa pour la nuit hors des murs, bien que personne ne tendit de nous en interdire l'accès. Les Carthaginois en avaient laissé les portes ouvertes ; les rues étaient illuminées ; pendant toute la nuit la ville fut brillamment éclairée. Ce qui restait de Vandales se prosternaient dans les églises, comme des suppliants. Mais Bélisaire, redoutant quelque piège et voulant éviter que les soldats pussent se livrer au pillage à la faveur de l'obscurité, empêcha ses troupes d'entrer ce jour-là.

Le même jour, la flotte, poussée par un vent favorable, atteignait le promontoire de Mercure (Cap Bon). Dès que les Carthaginois l'aperçurent, ils ôtèrent les chaînes de fer qui barraient l'entrée du port, qu'on appelle Mandracium, afin de permettre aux vaisseaux de s'y mettre à l'abri... Lorsqu'on eut appris à bord la victoire remportée par l'armée de terre, on tint conseil. Les chefs résolurent de se conformer aux instructions de Bélisaire, qui avait défendu de débarquer à Carthage en son absence ; d'ailleurs ils se figuraient que les chaînes de fer étaient encore tendues ; enfin le port était trop petit pour contenir une flotte telle que la leur. Le lac, au contraire, offrait beaucoup d'avantages ; il était à 48 stades de la ville[47] ; on y pénétrait sans obstacle, la flotte entière y serait en sûreté... L'amiral Calonymus, sans tenir compte des décisions de l'assemblée, prit avec lui un petit nombre de marins et cingla en cachette vers le Mandracium. Personne n'osa lui résister ; il put à son aise piller les établissements des marchands, tant étrangers que Carthaginois, qui avoisinaient la mer.

Le lendemain, Bélisaire fait débarquer les matelots et dispose ses troupes en ordre de bataille, de peur de quelque surprise clos ennemis ; puis il se met en marche vers la ville. Avant d'y entrer, il fit faire halte et exhorta longuement ses soldats à conserver la discipline, surtout à Carthage. Les populations de ce pays, toutes romaines, avaient subi très à contrecœur le joug des Vandales et reçu d'eux les plus durs traitements. C'est pour ce motif que l'empereur y avait envoyé son armée. Comment donc pourrait-elle agir en ennemie coutre ceux qu'elle venait délivrer ?

Après cette harangue, Bélisaire pénètre dans Carthage, et, n'y remarquant aucune apparence hostile, il monte au palais, où il s'assied sur le trône de Gélimer. Cependant les marchands et autres habitants qui avaient leurs demeures au bord de la mer se présentent en troupe et avec de grands cris devant Bélisaire pour se plaindre d'avoir été pillés par les marins, la nuit précédente. Le général appela Caldnymus et l'obligea de jurer qu'il rapporterait exactement tout ce qui avait été pris. Il fit le serment, mais n'en retint pas moins le plus possible. Rien ne ternit en ce jour la gloire de Bélisaire. Il sut si bien maintenir ses hommes dans le devoir qu'on n'entendit proférer ni une injure, ni une menace. Le commerce continua à s'exercer librement. Dans cette ville prise par les troupes, où s'accomplissait une révolution profonde et qui changeait de maître et de régime, les boutiques demeurèrent ouvertes. Les officiers fourriers distribuèrent les logements aux soldats, qui se retirèrent chacun dans la demeure qu'on lui assignait, après avoir acheté des vivres à qui voulait en vendre. Aux Vandales qui avaient cherché un asile dans les églises, Bélisaire promit toute sécurité. Puis il se mit à restaurer les murailles. On en avait pris si peu de soin, depuis Genséric, qu'en plus d'un endroit des brèches s'étaient produites ; une bonne partie même des remparts était écroulée. On les releva, et un fossé muni d'une solide palissade fut creusé tout autour.

Quand il se vit maitre de la situation et solidement établi contre un retour offensif de l'ennemi, Bélisaire dépêcha vers l'empereur un de ses principaux officiers, Solomon, pour lui faire part de l'heureux succès de ses armes et de la prise de Carthage, qui redevenait romaine après avoir cessé de l'être pendant, 95 ans (19 octobre 439-15 septembre 533)[48]. La crédulité populaire voulut voir résumée la destinée des Vandales en Afrique dans un dicton que les enfants répétaient habituellement dans leurs jeux : Le G chassera le B, mais à son tour le B chassera le G. Personne ne comprenait le sens de cette énigme, jusqu'au jour où Bélisaire se fut emparé de la ville. On la traduisit, aussitôt en ces termes : Genséric chassera Boniface, mais Bélisaire chassera Gélimer.

Gélimer cependant ne s'avouait pas vaincu sans retour. Dans les plaines de Bulla Regia (Hammam Darradji)[49] il recrutait une petite armée de Vandales et de Maures. Bientôt, avec le concours de son frère Tzazon accouru de Sardaigne en tonte hôte, il se crut en état de reprendre l'offensive et marcha sur Carthage[50]. Son premier soin fut de priver d'eau la population en coupant l'aqueduc qui versait les sources du Zaghouan dans les citernes de La Malga. Puis, ayant réparti ses soldats sur les diverses routes qui aboutissaient aux portes, afin d'empêcher toute communication avec le dehors, il s'abstint, en vue de gagner la faveur des gens du pays, de dévaster les campagnes environnantes. Il comptait surtout, à vrai dire, sur la trahison. Les Carthaginois, mais plus encore les soldats ariens de l'armée romaine, devaient, pensait-il, lui être favorables. Enfin il avait alléché par des promesses les Huns qui servaient parmi les Impériaux et supportaient impatiemment les ordres de Bélisaire. Instruit de ces tentatives, le général ne voulut pas néanmoins agir contre Gélimer tant que les travaux de réfection des murailles ne seraient pas finis. Cependant il redoubla de vigilance et de sévérité et fit pendre sur une colline, devant la ville, un citoyen convaincu d'avoir communiqué avec l'ennemi. Cet exemple fut salutaire, tous les traîtres laissèrent là leurs mauvais desseins ; les Huns eux-mêmes confessèrent leur faute et jurèrent de combattre en loyaux sujets.

Au milieu de décembre, trois mois après son entrée à Carthage, Bélisaire se décida enfin à se mesurer avec Gélimer. La rencontre eut lieu à sept lieues environ de la capitale, aux environs de Tricamarum ; et tout se borna, comme dans l'affaire de Ad Decimum, à un engagement de cavalerie. Les Romains perdirent seulement cinquante des leurs, au dire de Procope, et les Vandales huit cents. Vers le soir, quand survint l'infanterie, on se porta contre le camp que Gélimer abandonna précipitamment avec son entourage. On tua une foule d'ennemis ; les femmes, les enfants furent emmenés en esclavage ; on fit main basse sur les trésors des vaincus. La puissance des Vandales venait de recevoir le coup mortel.

Après ce désastre. Gélimer s'était réfugié à l'extrémité de la Numidie, où le mont Pappua (Djebel Nador ?)[51] lui offrait une retraite inaccessible. Dans l'impossibilité d'emporter d'assaut cette position, Bélisaire avait laissé un de ses lieutenants pour tenir le roi en échec et le réduire par la famine. Après trois mois d'un siège très rigoureux, épuisé de fatigues et de privations, perdant courage, le Vandale résolut de se remettre à la discrétion du vainqueur. On lui assura la vie sauve, à lui et à tous les siens, avec un traitement honorable et ce qui lui serait nécessaire pour sa subsistance. A ces conditions il se rendit et fut sur-le-champ conduit dans son ancienne capitale, où Bélisaire, qui avait établi sa résidence dans le faubourg d'Aclas, le reçut avec courtoisie (mars 534).

Moins de soixante ans après la mort de Genséric, son fondateur, le royaume des Vandales gisait, anéanti en six mois par cinq mille cavaliers. Vraiment Procope n'exagère pas lorsqu'il dit que cette aventure tenait du prodige. Et l'on peut douter avec lui ce qu'il faut admirer le plus, ou du courage tic Bélisaire, ou de la fortune qui l'avait si bien servi. Justinien, pour témoigner sa gratitude au général qui lui rendait une partie important e de son empire, renouvela en sa faveur un usage de l'ancienne Rome et lui décerna les honneurs du triomphe. On vit se dérouler à travers les rues de Byzance une pompe magnifique. Sièges d'or, chars de la reine, vêtements enrichis de pierreries, coupes et vaisselle de prix, monceaux d'argent, en un mot tout le mobilier et les richesses de Gélimer, tout ce que Genséric avait enlevé à Rome en 455, défila devant les yeux ébahis des Grecs. Dans le nombre figuraient les vases et objets sacrés des Juifs, pris à Jérusalem par Titus et transportés à Carthage après le sac de Rome[52]. Le cortège, où avaient pris place Gélimer, sa famille et les principaux chefs vandales, partit de la demeure de Bélisaire et s'achemina vers le cirque, où Justinien reçut les hommages, les adorations du vainqueur et du vaincu. Et ce fut un spectacle inoubliable de voir le fier barbare prosterné devant l'Icône impériale. On pouvait alors croire à la toute-puissance de l'empereur ; et il semblait que l'Afrique lui fût dorénavant soumise sans conteste. Nous verrons bientôt quelles luttes il lui fallut soutenir pour la conserver sous sa dépendance.

Avant' de raconter cette dernière période de l'histoire de Carthage, arrêtons-nous un instant, et regardons ce que cette ville est devenue sous les Vandales. On se rappelle la description pessimiste que Salvien nous en a laissée au commencement du Ve siècle. A l'entendre, rien n'eût été plus corrompu que son peuple ; l'attrait des plaisirs s'exerçait sur lui si fortement qu'il, le rendait insouciant du danger prochain. Aux portes de Cirta et de Carthage retentit le fracas des armes, et cependant les chrétiens de Carthage s'amusent dans le cirque, se débauchent au théâtre. On se tue hors des murs, on se prostitue au dedans..... Les cris des mourants se mêlent aux cris de fête et aux clameurs du cirque..... Oui, ce peuple a bien voulu sa perte[53].

Après ces violentes invectives contre les Romains d'Afrique et les indigènes assimilés aux Romains, on doit s'attendre à une grande indulgence pour leurs adversaires. De fait, la peinture que nous offre Salvien des mœurs des Vandales est très séduisante ; il les juge avec une sympathie non déguisée. Il ne saurait nier cependant que les barbares soient orgueilleux et comme enflés de leur victoire ; mais c'est au contact des Africains qu'ils ont perdu quelque chose de leurs qualités natives. Pouvait-il en être autrement dans un pays si dépravé ? Néanmoins ils réprouvent les excès ordinaires aux Carthaginois ; par leurs soins, la débauche s'atténue ; des ordonnances sévères répriment la licence et assurent l'intégrité des mœurs. Rougissons donc, s'écrie en terminant Salvien, et soyons couverts de confusion...  Tout est pur sous la domination vandale, excepté les Romains[54].

Procope[55] nous trace un tableau bien différent. De toutes les nations que je connais, la plus efféminée est celle des Vandales. Ce ne sont tous les jours que bains et repas somptueux, où figurent les produits les plus exquis de la terre et de la mer. Couverts d'ornements d'or, de vêtements de soie orientaux, ils passent leur temps aux spectacles, aux jeux du cirque, à tous les amusements ; la chasse surtout les passionne. Les danses, les mimes, la musique, tous les plaisirs des veux et des oreilles leur agréent. Ils aiment à placer leurs maisons au milieu de vergers, bien irrigués, où croissent des arbres en abondance. Enfin, très amis de la terre, ils se livrent aussi sans-réserve aux occupations de l'amour. Ce passage, écrit avec l'impartialité de l'histoire, ou du moins exempt des antithèses et du parti pris qui éclatent à chaque ligne dans Salvien, nous donne sans doute des maitres momentanés de l'Afrique une idée assez vraie. Quand bien même on voudrait admettre qu'ils étaient au début tels que nous les décrit le moraliste chrétien, on ne saurait douter qu'ils soient devenus dans la suite tels que l'historien grec nous les représente. Au lieu de réagir contre la perversité de Carthage, ils subirent assez vite la contagion, et d'autant plus qu'ils étaient plus haut situés ; loin de donner à la ville un salutaire exemple, la cour, de Genséric jusqu'à Gélimer, ne fit qu'aider à la démoralisation générale. Il serait donc faux de prétendre que le régime établi par les Vandales, s'il fut la juste punition des excès antérieurs, inaugura une ère de vertu. Salvien a peut-être pu le croire parce qu'il n'assista qu'aux premiers jours de la conquête. S'il eu avait contemplé la suite, il aurait certes trouvé pour flétrir les Vandales amollis des accents aussi énergiques que pour vouer au mépris la Carthage dissolue d'avant 439.

Et surtout de quelle voix indignée il aurait dénoncé les persécutions que Genséric, Hunéric et Thrasamund infligèrent aux catholiques ! Victor de Vita nous a raconté en détail leurs cruautés. Le sang répandu, l'exil, les supplices ou vexations de tout genre ne déplaisaient point à ces ariens farouches, lorsqu'ils voulaient assouvir leur haine contre les orthodoxes[56]. Ces mauvais traitements expliquent la joie et les illuminations de la capitale quand Bélisaire vainqueur parut sous ses murs. C'est que les violences des rois ne l'avaient pas moins épuisée que ne l'avaient énervée leurs déportements. Lorsqu'on réfléchit aux souffrances de Carthage durant ces cent années, on souscrit sans peine aux paroles de Justinien dans son rescrit à Archélaüs[57]. En tête de ce document officiel, qui institue la charge de préfet du prétoire d'Afrique, l'empereur rappelle tous les maux que la province a subis depuis qu'elle tomba au pouvoir des Vandales, et il conclut : Que l'Afrique tout entière reconnaisse donc la miséricorde du Dieu tout-puissant. Et que ses habitants comprennent combien dur était l'esclavage, combien barbare le joug dont ils sont délivrés ; combien grande au contraire la liberté dont ils peuvent jouir sous notre bienheureuse autorité. Avec un peu d'emphase peut-être, ces mots résument la vie de Carthage entre 439 et 533 et la transformation qu'elle subit à la suite de la glorieuse campagne de Bélisaire.

 

 

 



[1] Procope, Bell. Vand., I, 3 ; Possidius, Vita S. Augustini, 28 (P. L., XXXII) ; Tillemont, Hist., VI, p. 204.

[2] Procope, ibid. Carthage reçut à cette époque une visite importante. Aspar, venant à l'aide de Boniface, dut y débarquer et, y faire au moins un rapide séjour ; car l'auteur du Liber de promissionibus et prædictionibus Dei, IV, 6, 9-11 (P. L., LI). rapporte un prodige effrayant qui se passa dans cette ville pendant qu'il s'y trouvait, Mais il se trompe de date quand il indique l'année 434 : Aspar porta secours à Boniface vers la fin du siège d'Hippone, qui se termine dès l'été de 431.

[3] Prosper Tiro, Chron. (Chron. min, I. p. 474, n° 1321). Procope nous a conservé quelques clauses du traité (op. cit., I, 4) ; Genséric s'engageait à payer à l'empereur un tribut annuel et pour gage de sa fidélité, livrait son fils Hunéric ; en retour, une grande partie de l'Afrique resta aux Vandales. Ce traité fut signé à Hippone par le successeur de Boniface, Trigetius.

[4] Prosper Tiro, Chron. (Chron. min., I, p. 477, n° 1339), avec les Additam. Afric., p. 486, et l'Épitomé Carthag. (ibid., p. 497 ; Idace, Chron. (ibid., II, p. 23, n° 115 et 118) Cassiodore, Chron. (ibid., p. 156, n° 1233). Le comte Marcellin, Chron. (ibid., p. 80), fixe la prise de Carthage au 10 des calendes de novembre (23 oct.). Par une erreur plus grande encore, les Chronica de 551, (Chron. min., I, p. 661. n° 598) indiquent la date de 438, et celles de 452 (ibid., p. 660, n. 129) la date de 445.

[5] Carthaginem dolo pacis invadit, écrit Prosper Tiro ; et Idace, Carthagine fraude decepta ; Carthaginem occupavit, dit le comte Marcellin ; Carthago capta, lit-on dans les Chronica Gallica de 452 et de 511 ; Carthaginem Geisericus tenuit et intravit, ajoute Victor de Vita, I, 12.

[6] Vict. Vit., I, 8.

[7] S. Fulgentii episcopi Ruspensis vita, I, col. 119 (P. L., LXV).

[8] Vict. Vit., I, 12 et 14.

[9] Idace, loc. cit. ; Marcell. Comes, loc. cit. ; Chron. Gall. a. 452, loc. cit.

[10] Victor de Vita (I, 13) signale la répartition faite par le roi, peut-être en 442, des provinces récemment subjuguées. La Byzacène, l'Abaritane (d'Avezac, l'Univers pittoresque : Afrique II ; Afrique ancienne, p. 241, note, suppose qu'il faut lire Sabratana ou Sabaratana au lieu d'Abaritana, et qu'il s'agit de la Tripolitaine), le pays des Gétules et une partie de la Numidie furent retenus dans son lot. Il partagea entre ses troupes la Zeugitane ou Proconsulaire (sur l'identité des deux termes à cette époque, voir les textes cités par Tissot, G., II, p. 37 ; outre le passage de Victor de Vita qui nous occupe, on peut encore rappeler cette phrase d'Orose, I, 2, 92 : Byzacium ubi Hadrumetus civitas, Zeugis ubi Carthago magna.) Le reste demeura entre les mains de Valentinien III, mais plutôt à titre de possession embarrassante, qu'il fallait défendre sans cesse, que comme un territoire dont on retirait de réels avantages.

[11] Mommsen croit (Chron. min., I, p. 154, n. 2 ; cf. Krusch, p. 143) que le mot aera (ère) fut introduit en Afrique par les Vandales. Ce peuple comptait encore les années à partir du début de chaque règne ; cf. C. I. L., VIII, 2013, 10516.

[12] Prosper Tiro, Chron., p. 478, n° 1344 et p. 479, n° 1347 ; Cassiodore, Chron., p. 156, n° 1237 et 1240 ; cf. Théophane, Chron., 87 (P. G., CVIII).

[13] Vict. Vit., I, 13.

[14] Prosper Tiro, Chron., p. 478, n° 1342 ; Cassiodore, Chron., p. 156, n° 1235 ; Idace, Chron., p. 24, n° 131, cite encore une incursion en Espagne en 445.

[15] Prosper Tiro, ibid.

[16] Idace, Chron., p. 24, n. 132, rapporte ce fait à l'année 445. Il est probable, quoique le texte d'Idace ne soit pas très clair è. cet endroit, que Sébastien fit un séjour assez long en Afrique ; du moins sa mort n'advint, suivant le même chroniqueur, qu'en 450 (ibid., p. 25, n. 144).

[17] Vict. Vit., I, 19-21.

[18] Tel est le portrait que nous a laissé de lui Jordanès, Getica (XXXIII, 168).

[19] Prosper Tiro, Chron., p. 479, n° 13-15.

[20] Procope, Bell. Vand., I, 4. : Vict. Vit., I, 24 ; Victorde Tonnenna, Chron. (Chron. min., II. p. 186 ; cf. Till., Hist., VI, p. 261. Jaffé (I, p. 72) indique comme date le 2 juin.

[21] Vict. Tonn., ibid. ; Prosper Tiro, Chron., p. 484, n° 1315 et Additam, p. 490, n° 29 : Idace, Chron., p. 21 sq. ; Marcell. Comes, Chron., p. 86 ; Cassiodore, Chron., p. 151. n. 1263 ; Jean Malalas, Chron., XIV, 23-26 (Byz.) ; Théophane, Chron., p. 93, place par erreur cet événement en 447 : Anastase, Hist. ecclés., col. 1233 D, 1234 A (P. G., CVIII), en 445 ; les dates de ces deux derniers chroniqueurs sont en général sujettes à caution.

[22] Bell. Vand., I, 5.

[23] I, 25-27.

[24] Procope, loc. cit. ; Idace, Chron., p. 32, n° 216 ; Théoph., Chron., 94.

[25] Bell. Vand., I, 5-7. Il dit en propres termes (5) : Άνὰ πᾶν ἔτος ἦρι ἀρχομένῳ ἔς τε Σικελίαν καὶ Ἰταλίαν ἐσβολὰς ἐποιεῖτο...

[26] Hist., VI, p. 321 sq., 331 sq. De tous ces faits je ne reproduirai qu'un seul, parce qu'il se passe, ou plutôt qu'il est dit se passer à Carthage ; car il s'agit d'une légende racontée par l'historien grec à propos de Majorien. En 460, l'empereur fit de grands préparatifs contre les Vandales ; lui-même devait prendre le commandement des troupes. Avant d'engager la lutte, voulant se rendre compte des forces de son adversaire, il se déguise en ambassadeur, prend un nom d'emprunt, se teint la chevelure et se rend auprès de Genséric. Le barbare le reçut amicalement, puis, sous couleur de politesse, en réalité afin de l'effrayer, il le conduisit dans l'arsenal qui contenait une quantité d'armes de toute sorte. Aussitôt ces armes commencèrent à se remuer et s'entrechoquèrent avec un grand bruit, et la terre se mit à trembler. L'inspection terminée, il s'informa de la cause du phénomène ; personne ne l'avait perçu. Après le départ de Majorien, Genséric apprit le nom de son visiteur. Plein de crainte à l'idée qu'il s'était livré lui-même à un chef si valeureux, il se prépara sans repos à le combattre. Il parvint par trahison à détruire la [lotte réunie sur les côtes d'Espagne pour transporter les Romains en Afrique. Et le péril fut une fois encore détourné de Carthage (Idace, Chron., p. 31, n° 200).

[27] Procope, Bell. Vand., I, 5 ; De ædif., VI, 5.

[28] Procope, Bell. Vand., I, 6 ; Jean Malalas, Chron., XIV, 29 ; Suidas, Lexicon, s. v. χειρίζω ; Till., Hist., VI, p. 396-101.

[29] Marcell. Comes, Chron., p. 90.

[30] Romana, 331.

[31] Procope, loc. cit. ; Marcell. Comes, loc. cit. ; Fasti Vindobonenses priores (Chron. min., I, p. 305, n° 601). Idace, Chron. (p. 33, n° 221) et les Consularia Constantinop. (Chron. min., I, p. 241). indiquent à tort la date de 464. Théophane (Chron., p. 100) prétend que Basiliscus avait d'abord pris Carthage et qu'il l'abandonna ensuite, cédant aux présents de Genséric.

[32] Vict. Vit., I, 14.

[33] Procope, loc. cit., 7.

[34] Malchus, Excerpta de legationibus Romanorum ad gentes, 3 (Byz.) ; Till., Hist., VI, p. 419 sq.

[35] Vict. Vit., I, 51 ; Till., Hist., VI, p. 480 et 669 ; Mém., XVI, p. 537 sq.

[36] Procope (loc. cit.) dit qu'il régna trente-neuf ans ; Victor de Vita (I, 51) est plus près de la vérité quand il lui assigne trente-sept ans et trois mois. Victor de Tonnenna (p. 187), brouillant toute cette chronologie, fixe sa mort à 464, dans la quarantième année de son règne ; cf. Till., Mém., XVI, p. 795-797.

[37] Procope, loc. cit. ; cependant les termes dont se sert Jordanès (Getica, XXXIII, 169) semblent ne se rapporter qu'aux fils de Genséric.

[38] Tillemont, Hist., VI, p. 502.

[39] Excerpta de legationibus gentium ad Romanos, 5 (Byz.). Victor de Vita (II, 3) indique aussi un autre résultat de la mission d'Alexandre ; grâce à son intervention, Carthage, privée d'évêque depuis la mort de Deogratias (au plus tôt à la fin de 455, Till., Hist., VI, p. 502, plus probablement en 451, Till., Mém., XVI, p. 527), put lui élire un successeur en 480 ou 481 (ibid., XVI, p. 541).

[40] On mentionne encore un autre représentant de Zénon, appelé Reginus, qui se trouvait à Carthage en 483. Mais on peut croire, d'après tes expressions que les auteurs emploient en parlant de lui, qu'il était venu seulement pour examiner les difficultés religieuses suscitées par Hunéric et pour essayer de lui faire prendre une attitude moins farouche à l'égard des catholiques. Vict. Vit., II, 38 ; Till., Hist., VI, p. 506.

[41] Procope, Bell. Vand., I, 9 ; Diehl, Afr., p. 5-6, 8-15.

[42] Vict. Tonn., p. 198.

[43] On peut lire toute la suite de cette histoire dans Procope, Bell. Vand., I, 9 sqq. ; cf. Corippus, Johan., I, 366-391 ; III, v. 14-22, 263-2S0 ; Diehl, Afr., p. 3-33.

[44] Corippus, Johan., I, v. 366-391 ; Tissot, G., I, p. 181, pl. X.

[45] Tissot, G., II, p. 124 ; Atlas, II, Tunis, 73.

[46] Bell. Vand., I, 20-25.

[47] Un peu moins de 2 lieues, exactement 7.309m,20.

[48] Cet événement fut le point de départ d'une ère nouvelle ; C. I. L., VIII, 5262 : Sabatier, I. p. 190, n. 1.

[49] Tissot, G., I, p. 62 ; II, p. 259, 264 ; pl. XVIII.

[50] Pour la suite de ce récit, voir Procope (op. cit., II, 1-9), qui fournit tous les détails sur la conquête définitive de l'Afrique. La plupart des écrivains ou chroniqueurs n'ont fait que résumer plus ou moins brièvement ces faits considérables : cf. Vict. Tonn., p. 198 ; Marius Aventicensis (Chron. min., II, p. 235 ) Jean Malalas, Chron., XVIII, 68 et 77 ; Marcell. Comes, p. 103 : Jordanès, Getica, XXXIII, 171-172, et Romana, 366 ; Cod. Just., I, 27, début ; Corippus, Johan., 14-22 : Paul Diacre, Hist. rom., XVI, 14. Anastase (col. 1255-1259) donne un abrégé assez complet de Procope ou plutôt de Théophane (Chron., p. 158 sqq.) : il introduit pourtant une variante : Noctu enim ad urbem accedentes, et una cum intrœuntibus plaustris rusticorum ingredientes, obtinuerunt ; et cum dies factus fuisset, tam sacerdotem quam hujus primos captantes, ad prætorem destinaverunt. Théophane, qui suit Procope dans son récit de la conquête de l'Afrique, a écrit cette phrase à propos de l'entrée de Bélisaire à Sullectum ; Anastase l'a transcrite de telle sorte qu'elle semble s'appliquer à Carthage.

[51] Tissot, G., I, p. 36-39. pl. XXI ; Mgr Toulotte verrait plutôt cette montagne à l'ouest de Mita, sur les confins de la Numidie et de la Maurétanie, dans le massif de Zouaglia ou dans celui du Ferdjioua ; cf. C. R. Inscr., 1891, p. 421 ; C. R. Hipp., 1892, p. XXVIII sq. ; Gsell, 1891, p. 23 ; 1892, p. 81.

[52] On dit que Justinien, dans la crainte d'attirer sur son peuple des maux pareils à ceux qu'avaient soufferts Rome et Carthage, ne voulut point conserver ces trésors. Il les fit rendre tous aux églises de Palestine.

[53] De gubern. Dei, VI, 12, 69 et 71.

[54] De gubern. Dei, VII, 20, 83-81 ; 21, 89 ; 22, 94-99 ; 23, 107.

[55] Bell. Vand., II, 6.

[56] Sur l'exactitude de Victor de Vita, cf. Ferrère, Vict., p. 31-67.

[57] Cod. Just., I, 21, début.