SÉNÈQUE ET SAINT-PAUL

DEUXIÈME PARTIE. — DES ÉCRITS DE SÉNÈQUE ET DES ÉPITRES DE SAINT PAUL. SÉNÈQUE A-T-IL LU ET IMITÉ LES LIVRES DES CHRÉTIENS ?

CHAPITRE XI.

 

 

De l'Égalité, de la Fraternité et de la Charité.

La charité, c'est-à-dire, suivant le beau mot de Cicéron, l'amour du genre humain[1], est à bon droit regardée comme une vertu excellente, car elle suppose une infinité de mérites dont elle est la perfection ; elle s'appuie sur des principes moraux de l'ordre le plus élevé. En effet, avant d'aimer son semblable, il faut s'être habitué à le considérer comme un égal, comme un membre d'une seule et vaste famille ; il faut accorder peu d'importance à tout ce qui divise et sépare les hommes, aux inégalités de rang ou de fortune, à la diversité des races, des institutions et du langage, aux haines qui arment les peuples les uns contre les autres, aux distinctions injurieuses qui partagent la société humaine en nobles et en plébéiens, en citoyens et en barbares. De plus, le cœur qui est capable de contenir ce sentiment large et expansif, est par cela même doux, indulgent, miséricordieux, enclin à l'amitié, à la bienfaisance. Que de préjugés et de passions il faut vaincre pour atteindre à cette verni des belles âmes et des esprits éclairés ! Voyons s'il est vrai, comme on l'a souvent prétendu, que les anciens n'ont connu ni le nom ni la chose ; examinons quelle doctrine ils ont professée sur l'égalité naturelle des hommes, sur l'unité du genre humain, sur la fraternité, sur l'amitié, la bienfaisance, le pardon des injures, sur toutes ces vérités que les modernes, même chrétiens, n'acceptent pas toujours facilement et sans se révolter.

 

§ I. — L'ÉGALITÉ ET LA FRATERNITÉ.

De tous ces principes philosophiques, le plus ancien et le plus populaire, c'est celui de l'égalité naturelle. On arrive très-vite à comprendre qu'on est l'égal d'un grand, d'un roi ; que tous les hommes ont une mère commune, la nature, ou un même père, qui est Dieu ; et que toutes ces inégalités d'un jours œuvre capricieuse du hasard, s'effacent dans la suprême égalité du tombeau, C'est la philosophie de la multitude ; les tribuns rendent inutiles les moralistes. L'esprit même le plus, grossier avouera sans peine que la seule inégalité réelle est celle de l'intelligence et du mérite, et que l'homme vraiment supérieur est relui qui honore l'humanité ou sa patrie par ses sentiments et par ses actions. Nous n'avons pas à insister sur ce point, le chapitre précédent l'a suffisamment éclairci.

Si l'idée de l'égalité est née vite et a été promptement acceptée, on ne peut pas en dire autant de l'unité du genre humain et de la fraternité naturelle de tous les hommes. La première suppose l'amour de soi, et celles-ci l'amour du prochain, ce qui est presque contradictoire. Les Athéniens sentaient bien qu'un habitant du rivage valait un habitant des montagnes ; ils avaient d'ailleurs intérêt à ne pas mettre trop de différence entre un eupatride et un citoyen de la quatrième classe ; mais ils se persuadèrent très-tard qu'un habitant d'Argos ou de Thèbes allait de pair avec un autochtone de l'Attique, et surtout que les Barbares étaient des hommes comme les Grecs. Le progrès consista d'abord à appliquer le nom et l'idée de patrie, non plus à sa cité ; à sa bourgade, mais à toute la Grèce. Au temps de Socrate, les meilleurs esprits s'attachèrent à démontrer que les Grecs ne formaient qu'une seule nation, une même famille, et que les guerres qui les divisaient étaient des discordes civiles ; c'est le sentiment d'Aristophane, d'Euripide, de Platon, d'Aristote[2]. Il se répand et s'accrédite sons la génération suivante, gagne jusqu'à des Spartiates, qui s'affligent d'avoir battu les Corinthiens, et, grâce à Isocrate et à Phocion, contribue au succès de Philippe, à la réunion des Grecs sous un même chef.

Alexandre apprend aux Grecs à se défaire de leur antipathie dédaigneuse pour les Barbares ; la conquête de l'Asie a pour résultat d'égaler les vaincus aux vainqueurs, et de cimenter entre eux une alliance honorable par la communauté des lois et du langage : elle forme de cent nations diverses un seul grand corps, en mêlant dans la coupe de l'amitié les coutumes, les mœurs, les mariages, les lois ; elle accoutume les hommes à regarder le monde entier comme leur patrie, les bons comme des concitoyens et des frères, les méchants comme des étrangers[3]. Cet essai gigantesque de monarchie universelle ébauche dans les esprits l'idée, jusque-là inconnue, de l'unité du genre humain. Le stoïcisme la met en pleine lumière, l'empire romain la réalise.

Tout concourut, après Alexandre, à détruire les sentiments égoïstes qui avaient fait la force des petits États grecs, et entretenu la division parmi les peuples : la décadence de la Grèce, la corruption des villes indépendantes, le démembrement de l'empire macédonien, le mélange des peuples, produit par les guerres des successeurs et par les armes romaines, enfin les systèmes de philosophie sceptiques et matérialistes, inspirés par le désespoir, et dont l'effet fut de ruiner sans retour les principes conservateurs qui avaient soutenu les anciennes sociétés. Il n'y a plus de patrie pour Aristippe ; elle est partout où l'on vit bien[4]. Aux yeux des cyniques, la patrie, la famille, la société, la pudeur, autant d'illusions et de préjugés ! Ma patrie, disait Cratès, c'est le mépris de l'opinion, et je suis concitoyen de Diogène[5]. Le sceptique se détache si complètement des idées vulgaires et se rend si indifférent à tout, qu'il ne se soucie plus de savoir ce que font et disent les hommes, ni même en quel climat est la Grèce[6]. L'épicurien, moins exagéré, se contente de rire des guerriers et des politiques ; aussi repousse-t-il leurs idées exclusives, leurs haines aveugles ; dans la douce et large bienveillance que le bonheur lui inspire, il considère tous les étrangers comme autant de citoyens, il veut les mêler à sa nation, afin que la concorde règne entre tous les êtres doués de raison ; son unique regret c'est de ne pouvoir traiter les animaux avec la même équité et les mêmes égards[7]. Ce n'est point par le doute ou la raillerie, mais par une démonstration rigoureuse que Zénon fonde le dogme de l'unité du genre humain et de la parenté de tous les hommes : Tous les hommes, disent les stoïciens, possèdent la raison qui est une dans son principe ; donc ils sont tous capables de loi et de la même loi. C'est donc la raison qui établit entre eux l'égalité et la parenté ; la loi unique qui commande à tous est la volonté même de Jupiter, ou de l'ordonnateur du monde ; d'où il suit qu'il n'y a qu'un seul État, puisqu'il n'y a qu'une loi. Cet État c'est le monde, république des hommes et des dieux, car les dieux participent comme nous à la raison et obéissent à la même loi[8]. Cette vaste cité embrasse tous les êtres raisonnables, sans distinction de rang, de condition ou de nationalité. Zénon ajoutait : L'amour est le dieu qui opère le salut de la cité[9].

On peut voir l'application de ces principes dans les écoles mêmes des philosophes, où se pressait une foule d'étrangers de tout pays, des pauvres, des esclaves, à côté des savants et des riches. Antisthène était d'une race méprisée à Athènes, Zénon venait de Phénicie, il eut pour disciples le manœuvre Cléanthe et l'esclave Persée. Les historiens et les poètes se font l'écho des idées nouvelles. Quiconque est porté au bien par sa nature, est de race noble, dit Ménandre, qu'il soit Éthiopien ou Scythe. Anacharsis n'était-il pas un Scythe ?[10] Mais l'interprète le plus enthousiaste de la théorie du Portique c'est Cicéron, qui vivait dans un temps où Rome avait accompli le dessein d'Alexandre. Le dogme stoïcien est le fondement de ses Lois, l'âme de son Traité des Devoirs. Voici d'abord en quels termes il expose l'idée de la république universelle, composée des hommes et des dieux : Puisqu'il n'y a rien de meilleur et de plus divin que la raison qui est commune à l'homme et a Dieu, le premier lien pour l'homme est celui qui l'unit à Dieu... Les dieux obéissent comme nous aux lois qui régissent le monde, aussi le monde entier doit-il être considéré comme la république universelle des dieux et des hommes... Chacun de nous doit donc se regarder comme un citoyen du monde entier, Lorsque l'âme, contemplant l'immensité magnifique des choses, se dégagera des limites et des murailles d'un État particulier, lorsqu'elle ne verra plus dans l'univers qu'une ville où elle a droit de cité, grands dieux ! comme elle connaîtra sa valeur ! comme elle méprisera tout ce que le vulgaire admire ![11] Si nous abaissons maintenant nos regards vers la terre, si nous arrêtons notre pensée sur les rapports qui nous unissent aux autres hommes, nous verrons, dit encore Cicéron, qu'il y a plusieurs sortes de sociétés : la première, la plus étendue de toutes, comprend tous les hommes en particulier et tous les peuples en général... de celle-ci, qui est immense, passons à une autre qui est plus restreinte, celle où l'on forme une même nation, un même peuplé, où l'on parle la même langue ; une autre encore plus resserrée, c'est lorsqu'on est de la même cité... Enfin, les liens du sang sont les plus immédiats c'est la société ramenée de son immensité à un point[12]. Pour ceux qui disent qu'il faut tenir compte des citoyens, mais nullement des étrangers, ils détruisent la société universelle du genre humain, laquelle n'existant plus, il n'existe plus aussi ni bienfaisance, ni libéralité, ni bonté, ni justice. S'armer contre ces vertus, c'est se rendre coupable. d'impiété envers les dieux immortels[13]. Ce n'est pas assez de connaître ces principes, il faut y conformer nos sentiments ; notre affection, partant de la famille, doit rayonner de proche en proche, et embrasser l'humanité : Parmi nos devoirs, il n'en est point de plus noble ni d'une plus large application que celui qui établit un lien entre les hommes, une alliance et une relation d'intérêts, en un mot, l'amour du genre humain. Ce sentiment, né dans la famille, commence par les pères et les enfants ; il enveloppe dans son affection la femme et toute la race, puis il se répand au dehors, par les parentés, les alliances, par les amitiés et les voisinages ; en second lieu par les citoyens et par les amis politiques ; il finit par embrasser la grande famille humaine. Lorsque ce sentiment rend à chacun ce qui lui est dû, et maintient par l'équité la civilisation tout entière, il s'appelle la justice ; il faut y ajouter la bonté, la piété, la libéralité, la bienfaisance, la douceur et les vertus du mémo caractère[14].

Ainsi se trouve gradué et mesuré le sentiment cosmopolite appelé la philanthropie. Quant à la distinction des Grecs et des Barbares, Cicéron dit : Si, comme le prétendent les Grecs, il faut qu'on soit Grec ou Barbare, je crains bien que nous autres Romains nous ne soyons à ce compte que des Barbares ; mais si ce nom doit venir de la différence des mœurs, et non de celle des langues, je crains que les Grecs ne soient pas moins barbares que les Romains[15].

Rome offrait alors une image imposante de cette société universelle. Des étrangers y affluaient de tous les points du globe en nombre infini. C'est la patrie commune du genre humain, disait Sénèque. C'est aussi ce que semblent vouloir dire les pontes en affectant de rapprocher urbs et orbs, la ville et le monde :

Romanæ spatium est urbis et orbis idem[16].

Les expressions modernes, l'humanité, les lois de l'univers, le genre humain, deviennent d'un usage fréquent ; la plupart, comme mundi jura, fœdera mundi, ajoutent à leurs sens astronomique un sens moral ; réunion de sens qui atteste une origine stoïcienne. En même temps se développe un autre sentiment philosophique, auquel les circonstances et l'état de l'opinion donnaient faveur : c'est l'amour et l'estime de la paix, la haine de la guerre. En décrivant les lignes de César, Lucain se demande si tant de milliers de bras n'auraient pas été employés plus utilement à améliorer quelque contrée sauvage du globe, à faciliter la navigation le long des côtes périlleuses, à percer des isthmes, à ouvrir des passages aux flottes. Réflexions surprenantes de la part d'un ancien ! Le ponte forme un vœu qui ne manquerait pas de hardiesse même aujourd'hui : Puisse le genre humain déposer les armes et ne penser qu'à son bonheur ; que toutes les nations s'aiment les unes les autres.

Tunc genus humanum positis sibi consulat armis

Inque vicem gens omnis amet[17].

Les douceurs d'une paix prolongée, succédant à des guerres sans terme et sans mesure, l'intention bien arrêtée du gouvernement de renoncer à l'ambition des conquêtes, contribuaient sans doute à rendre ces idées populaires ; mais elles n'étaient pas nouvelles parmi les philosophes et nous les voyons exprimées dans Aristote, Isocrate, Épicure et Cicéron.

 

§ II. — LA BIENFAISANCE OU LA CHARITÉ.

De ces principes naissent des conséquences qu'il nous reste à examiner. Puisque les hommes sont égaux et unis entre eux par les liens d'une parenté naturelle, il suit de là qu'ils doivent éprouver les uns pour les autres une sympathie proportionnée, comme dit Cicéron, au degré d'affinité qui les unit. Cicéron revient très-souvent sûr ce point essentiel de la Morale, qu'il a si bien expliqué dans les passages qui précèdent : Nous avons un penchant naturel à aimer les hommes, et c'est le fondement du droit. — L'homme est créé pour l'homme, pour un échange de bons offices. — C'est une loi de la nature que l'homme porte intérêt à l'homme quel qu'il soit, par cela seul qu'il est homme. — Aucun homme ne doit être étranger à un autre homme, par cela seul qu'il est homme[18]. C'est le sens de la célèbre maxime du poète : Homo sana, nihil humani a me alienum puto. Socrate, Aristote et Platon voulaient que l'unité régnât entre tous les habitants d'une même. ville : sentiment qui ne diffère des maximes stoïciennes que par son caractère exclusif.

Le premier effet de cette sympathie c'est de nous inspirer de la pitié pour le malheur. Les stoïciens condamnaient cette tendresse d'âme qu'ils appelaient une infirmité morale, mais ils prescrivaient de faire tout ce qu'elle nous suggère[19]. Distinction bien difficile à observer, et qui n'existait, même pour eux, qu'en paroles. Aussi trouvons-nous dans les écrivains, surtout au premier siècle, de fréquentes exhortations à la pitié ; les déclamateurs contemporains de Sénèque le père en sont remplis : Laissez-vous toucher ; la fortune est inconstante, elle change les vaincus en vainqueurs et abandonne ceux qu'elle avait élevés... C'en serait fait de l'univers, si la compassion ne mettait fin à la colère... Croyez-moi, il n'y a pas de honte à s'attendrir... Quelle vive amitié naît de cette tendresse compatissante !... Je dois me montrer miséricordieux envers beaucoup, beaucoup l'ont été envers moi. Aussi, quiconque me représente en sa personne une image de mes infortunes, je le considère comme mon parent... Ne soyez donc pas inhumains envers celui que le malheur afflige. Combien ont pu témoigner de la compassion qui aujourd'hui l'implorent[20].

On peut nous répondre que ce sont des sentiments qui ont été exprimés de tout temps, parce qu'ils ont été de tout temps éprouvés. Loin d'y contredire, nous allons le démontrer : Ne vous réjouissez point du malheur des autres, on ne peut se flatter d'y échapper... Ne repoussez point d'un air dur celui qui souffre ; souvenez-vous que vous êtes homme... Je suis homme, si je restais insensible aux calamités humaines je ne ferais pas preuve de sagesse... Ne reprochez à personne sa pauvreté ; elle est aussi un don des dieux... Lequel choisiriez-vous, ou de faire du mal à vos amis et de procurer votre propre bien, ou de partager leurs chagrins ?... Combien il y a de cruauté à refuser des larmes à ceux qu'il faut plaindre ! Gardez-vous d'ajouter à la douleur du malheureux par votre insensibilité. Le méchant seul ne sait pas s'attendrir[21]. Ces maximes appartiennent à tous les poètes anciens, à Euripide, à Sophocle, à Hésiode, à Ménandre surtout, qui a respiré un air plus généreux.

Mais la pitié ne suffit pas, il faut que la main secoure ceux que le cœur a plaints. La bienfaisance est un devoir au jugement de ceux mêmes qui interdisent au sage la compassion. Le rhéteur Gallion, celui-là sans doute qui adopta le frère de Sénèque, développait ainsi cette maxime dans un plaidoyer : Il n'y pas de droit contre la loi naturelle... Quoi ! vous m'empêcherez de pleurer à la vue d'un homme dans le malheur I Quoi ! vous m'empêcherez de me ranger du parti d'un homme que sa noble conduite aura mis en péril ! Nos sentiments dépendent de nous et ne reconnaissent pas d'autre autorité. A personne on ne peut défendre la compassion. Il existe en effet des droits non écrits, mais plus certains que tous les écrits du monde. Oui, j'ai le droit de donner l'aumône au mendiant et d'ensevelir un mort sans sépulture. C'est un mal que de ne pas tendre la main à ceux qui sont tombés. Il y a là-dessus des droits communs au genre humain[22]. Un autre rhéteur, dans la même controverse, soutenait la thèse de Gallion avec un tour de phrase qui rappelle certains développements de Sénèque, et surtout le passage de la lettre xi. sur les esclaves : Cet accusé, disait-il, a renoncé aux douceurs de la maison paternelle pour vivre avec un mendiant. Connaissez donc son forfait : il a foulé aux pieds les lois pour témoigner sa compassion à des infortunés... Mais cet infortuné qu'il a secouru, c'est un homme : vous ne voulez pas qu'on nourrisse un homme ? C'est un citoyen : vous ne voulez pas qu'on nourrisse un citoyen ? C'est un ami : vous ne voulez pas qu'on nourrisse un ami ? C'est un proche : vous ne voulez pas nourrir un proche ?[23]

L'égoïsme est blâmé, le dévouement aux intérêts de tous est conseillé. Celui-là seul sait vivre qui ne vit pas pour lui seul[24]. Les stoïciens exprimaient plus grandement la même pensée : Il faut se croire né pour le monde et non pour soi[25]. Voici la théorie, et en quelque sorte le catéchisme de la bienfaisance, d'après Cicéron : Quels sont les devoirs du sage envers les hommes ? Il ne doit pas se contenter de rendre ces services vulgaires dont parle Ennius et qui sont passés en proverbe, tels que montrer le chemin à celui qui s'égare, lui laisser allumer son flambeau au nôtre, n'interdire à personne l'usage d'une eau courante, conseiller de bonne foi celui qui délibère... L'homme de bien, sagement libéral, rachète les captifs des mains des pirates, paye les dettes de ses amis, les aide à doter leurs filles, à amasser des biens ou à augmenter ceux qu'ils possèdent... User de sa libéralité sans se dépouiller de son patrimoine, voilà le plus digne usage qu'on puisse faire des richesses  L'hospitalité est encore une vertu qu'on a raison de louer... Il faut s'appliquer à se rendre utile à toutes sortes de personnes. Mais je regarde un bienfait comme mieux placé sur l'homme probe que sur le riche... Considérons l'homme et non sa fortune[26].

Plus d'un moraliste a tracé de tels préceptes : J'ai de grandes richesses, fait dire Horace à un débauché, elles suffiraient à trois rois. — Eh bien ! ne pourriez-vous pas faire un plus noble usage de votre superflu ? Pourquoi, malgré votre opulence, laissez-vous dans la misère tant de pauvres qui ne méritent pas de l'être ? Pourquoi laissez-vous en ruine tant de temples ? Et la patrie n'aura-t-elle rien de ces biens accumulés ?[27] Pour être une vertu, la bienfaisance doit être désintéressée. Si celui qui donne, disait Sénèque le rhéteur, n'agit pas seulement en vue d'être utile à l'obligé s'il en espère quelque prix pour lui-même, ce n'est plus un bienfait, mais un calcul : Quoi de plus honteux qu'une passion vénale ?[28] Le désintéressement ne suffit pas, il faut que la douceur et l'affabilité viennent par-dessus : Le plus petit présent devient grand s'il est accordé de bon cœur. Au contraire, vous détruisez tout le mérite d'une bonne action, si vous la reprochez. Vous aviez agi généreusement ; votre langage devient vil, et ruine ce que vous avez fait, si vous vous vantez à un ami du présent que vous lui avez accordé. Votre conduite avait été celle d'un roi, vos paroles sont d'un assassin... Reprocher à l'indigent le pain qu'on lui a donné, c'est tremper d'absinthe le miel attique... Si, voyant un pauvre nu, vous lui avez donné un vêtement, vous découvrez encore plus sa nudité en l'outrageant[29].

Autre caractère excellent de la bienfaisance : elle doit s'exercer envers tous ; gardons-nous de rendre le mal pour le mal. L'homme de bien est juste, dit Platon, et incapable de nuire à qui que ce soit... Si quelqu'un soutient que la justice consiste à rendre à chacun ce qu'on lui doit, et s'il entend par là que l'homme juste doit du mal à ses ennemis, comme il doit du bien à ses amis, ce langage n'est pas celui d'un sage, car il n'est pas conforme à la vérité : nous venons de voir que jamais il n'est juste de faire du mal à quelqu'un[30]. Supportons l'injustice avec douceur : c'est, dit à son tour Ménandre, la perfection de la vertu[31]. — Quoi ! répondra-t-on, je ne me vengerai pas de mes ennemis ! Le Ciel me refuse le spectacle de leurs larmes !... Malheureux ! tu blasphèmes... soumets-toi au Ciel[32]. Celui qu'il faut plaindre, ce n'est pas celui qui reçoit l'injustice, mais bien, selon Socrate, celui qui la commet[33]. Subir l'injustice vaut mieux que la commettre. N'écoutons pas les politiques qui autorisent les inimitiés, et les croient dignes d'un grand cœur. Rien au contraire n'est plus louable, rien ne caractérise mieux une âme grande et noble que la clémence et l'oubli des injures[34]. Les réprimandes les plus justes doivent être tempérées par la bienveillance, et le châtiment doit avoir pour but de corriger le coupable. L'État aura donc, suivant l'idée de Platon, des sophronistères où le prisonnier, avant de subir sa peine, entendra chaque jour la voix des magistrats et apprendra à détester son crime : ainsi transformé par la punition même, il sera rendu à la société. La raison de cette compassion pour les coupables, c'est que la plupart des fautes et des crimes se commettent avec légèreté, par ignorance, plutôt que par malice. Ô mon fils, dit chez Xénophon un philosophe, ne t'irrite pas contre ton père, parce qu'il m'a fait assassiner. Il a plus agi par ignorance que par méchanceté. Or, tout ce que les hommes font par ignorance je tiens qu'ils le font contre leur volonté[35].

Revenons à Sénèque, qui est à la fois le terme et le point de départ de cette revue des doctrines de l'antiquité star la question qui nous occupe. Nous affirmons que toutes les maximes de ce philosophe sur l'égalité, la fraternité, la bienfaisance, ou la charité, maximes qu'on nous donne comme autant d'imitations des livres saints, rentrent sans exception dans la foule des idées et des sentiments quo nous venons de citer, et en offrent, presque toujours, la reproduction littérale.

Quelle est, en effet, l'opinion de Sénèque sur l'unité du genre humain, sur l'égalité et la fraternité ? On cité de lui cette phrase : Cet ensemble que tu vois, où les choses divines et les choses humaines sont enfermées, ce n'est qu'un tout ; nous sommes les membres d'un vaste corps. La nature a fait de nous des parents, puisqu'elle nous a tirés dés mêmes éléments pour une même fin ; elle nous a inspiré une affection mutuelle et nous a faits capables de société ; elle a établi le droit et la justice ; en vertu de ses lois il est plus malheureux de nuire que de recevoir un dommage. Ce sont ses ordres qui mettent en mouvement les mains bienfaisantes. Ayons dans le cœur et sur les lèvres ce vers :

Rien de ce qui est de l'homme ne m'est étranger.

Oui, nous sommes nés pour vivre en commun. Notre société ressemble à une voûte ; elle tomberait si ses diverses parties ne se faisaient obstacle, et c'est ce qui la soutient[36].

Voilà en effet la charité expliquée au sens des stoïciens et d'après l'opinion panthéiste. Nous n'avons pas à le prouver, c'est l'évidence même, et beaucoup de passages semblables, cités ailleurs, en font foi. Quant aux expressions, il n'en est pas une seule, sauf peut-être la comparaison tirée d'une voûte, qui ne se rencontre dans Cicéron, Virgile, Manilius, dans les rhéteurs du siècle d'Auguste, en un mot, dans tous les écrivains qui ont exposé les idées stoïciennes. L'expression parent est, dit-on, bien voisine de l'appellation frère ; sans doute, mais ce n'est pas Sénèque qui a inventé cette expression. Ce qu'il faut remarquer, c'est que Cicéron, exprimant les mêmes idées, est bien supérieur à Sénèque, parce qu'il les dégage des erreurs dogmatiques dont elles portent ici l'empreinte. Il n'a pas besoin, pour y croire, de les rattacher à des principes panthéistes ; elles le persuadent par leur grandeur et par leur beauté même.

En recommandant l'amour du prochain, Sénèque ne fait que répéter les lieux communs de la morale, tout ce que nous avons lu dans Cicéron et dans Ménandre[37].

Sénèque dit aussi que les philosophes doivent se mêler au monde, pour le corriger doucement, sans orgueilleux mépris ; que la vraie sagesse, la seule qui soit utile aux hommes, n'affecte point un air hautain, ne heurte point les communs usages, et se garde de blâmer avec aigreur les mœurs qu'elle prétend réformer[38]. Cela revient à conseiller l'habileté et les tempéraments aux philosophes trop austères, la propreté et la décence à ceux- qui prennent un extérieur négligé pour le signe d'une belle âme. En effet, Sénèque se moque, dans cette épître, (les barbes incultes et des robes malpropres ; il désapprouve les mortifications, et la frugalité trop voisine de la misère ; il veut que le sage sacrifie aux Grâces. Ce passage est une leçon de bon goût et de bon sens donnée à quelques exagérés par un philosophe qui connaît le monde, et il n'y a rien là d'assez nouveau ni d'assez étrange pour qu'on y soupçonne une inspiration évangélique.

Voici les prescriptions de la charité, suivant Sénèque ; nous les transcrivons telles qu'on les cite : Qu'on partage son pain avec celui qui a faim. — Il faut porter secours d'une manière pleine de douceur. — La bienfaisance doit être discrète et surtout éviter l'orgueil. — Ce qui est semé pour être récolté n'est pas un bienfait. — Accordons nos bienfaits, ne les plaçons pas à intérêt. —L'ingratitude ne doit pas refroidir la bienfaisance.... Que d'hommes sont indignes de voir le jour, et cependant le soleil luit sur eux !Les dieux dispensent d'un cours égal leurs bienfaits sur les peuples, ils répandent en temps favorable les pluies fécondes sur la terre, ils déchaînent les vents sur la mer, ils indiquent la saison d'hiver par les révolutions des astres et ils tempèrent la chaleur de l'été par des souffles cléments[39]. Parmi ces préceptes, la plupart ont été cités par nous dans les pages qui précèdent, et n'appartiennent pas plus à Sénèque qu'à Cicéron[40], à Ménandre, à la philosophie et au cœur humain. Il en est quelques-uns que Sénèque lui-même, dans l'endroit où il les exprime, attribue aux stoïciens, et regarde comme des maximes banales : telle est cette recommandation, partager son pain avec celui qui a faim. Car il est à remarquer que la manière dont on cite ces passages est presque toujours inexacte ; Sénèque ne donne pas ces conseils en son propre nom, il dit au contraire qu'il regarde comme inutile de les donner, et il n'y voit que des formules générales.

La question de la bienfaisance était fréquemment agitée dans les écoles. Nous pouvons nous former une idée des principaux développements que ce sujet favori recevait des maîtres stoïciens, par cet endroit du Traité sur la clémence où Sénèque, pour disculper sa secte du reproche de dureté que la multitude lui adressait, explique le paradoxe qui interdisait au sage la pitié. S'apitoyer sur les malheurs d'autrui, en concevoir de la douleur, verser des larmes à la vue de l'infortuné qui gémit, est une faiblesse indigne du sage ; rien ne doit ébranler sa constance, ni altérer sa sérénité. Toutefois, il fera de grand cœur tout ce que la compassion peut inspirer aux âmes qui s'y abandonnent ; il tendra la main au naufragé, il donnera, l'hospitalité au banni, une obole à l'indigent. Il rendra à une mère désolée le fils qu'elle a perdu, il le retirera des fers ; pareil aux dieux, il regardera de près l'infortune, il secourra principalement ceux qui méritent son appui ; sa bonté même descendra sur ceux qui en grande partie ont mérité ce qu'ils souffrent ; mais il n'ira pas s'affliger ou s'attendrir à la vue de quelque pauvre effrayant de maigreur et couvert de haillons malpropres. Il n'y a que les yeux malades qui deviennent rouges et sensibles en regardant des yeux endoloris[41]. Voilà ce qui autorisait Sénèque à dire : Aucune secte n'est plus douce, plus bienveillante que celle des stoïciens ; aucune n'est plus animée de l'amour des hommes, plus attentive au bien commun : car elle a pour objet principal d'être utile et secourable à tous et à chacun en particulier[42].

Comme Cicéron[43], Sénèque veut qu'on se dépouille de toute arrogance, même envers un ennemi. Il va même plus loin que Cicéron, car il veut qu'on porte secours à un ennemi[44]. Mais ce précepte ne lui appartient pas en propre, c'est une maxime stoïcienne, et il le dit formellement : Les stoïciens soutiennent qu'il faut secourir ses ennemis mêmes d'une main pleine de douceur. Nous en conviendrons avec Sénèque : la secte stoïcienne, mieux que toute autre, a justifié les belles paroles de Platon, qui appelle le philosophe un médecin des âmes, et qui assigne à la philosophie le soin de guérir nos infirmités morales, de nous sauver de la maladie des vices[45]. Personne dans l'antiquité n'a mis plus de dévouement et plus de science dans l'accomplissement de ce ministère. Aussi les stoïciens ont-ils suivi et développé les maximes émises par Platon et répétées par Cicéron sur l'indulgence qu'il convient d'employer à l'égard des pécheurs, sur les ménagements à garder envers ceux qui s'égarent. Ce qu'il faut se proposer, disent-ils, c'est moins de punir que de corriger ; qu'on évite tout sentiment de vengeance, de haine ou de colère dans les réprimandes ; rappelons avec douceur ceux qui sont hors du droit chemin ; accablons de bienfaits ceux qui nous payent d'ingratitude : c'est l'infaillible effet de la vertu que de triompher du vice[46].

Sénèque, sur la question qui nous occupe, n'a donc émis aucune opinion nouvelle. Pour achever ce double parallèle, exposons en peu de mots les principes correspondants de la doctrine de saint Paul.

Le christianisme dit, comme la philosophie, que le genre humain ne forme qu'une seule famille, issue d'un même père, et sortie des mains du même auteur ; il ajoute un mot plus expressif, un sentiment plus affectueux, et déclare que tous les hommes sont frères. De plus, il donne à cette fraternité universelle une sanction religieuse : en effet, tous les hommes, enveloppés dans la même faute et punis du même châtiment, ont été rachetés du sang d'un Dieu.

Le christianisme ne recommande pas seulement des dispositions bienveillantes envers le prochain, de la sympathie, de la douceur ; il veut quelque chose de plus vif et de plus agissant, l'amour, et il en fait une loi : Aimez-vous les uns les autres, aidez-vous à porter vos fardeaux, soyez pleins de tendresse pour vos frères, aimez votre prochain comme vous-même, pour plaire à Dieu[47]. Comment les hommes ne s'aimeraient-ils pas entre eux lorsque Dieu a aimé les hommes jusqu'à mourir en croix pour leur salut ? Voilà tout à la fois et le précepte et la raison du précepte.

Il y a de grands rapports entre les prescriptions des livres saints au sujet de la charité, et celles que renferment les traités de morale philosophique. Rapprochez des passages cités de Cicéron, de Ménandre, de Philémon, des deux Sénèque, les préceptes si connus des Épîtres de saint Paul et des Évangélistes[48]. N'est-ce pas le même langage ? Voici en quoi l'Évangile et la philosophie diffèrent ; celle-ci dit : Faites le bien, la vertu trouve en soi sa récompense. L'Évangile dit : Faites le bien, en mémoire de celui qui a donné sa vie pour vous, et qui vous rendra au centuple ce que vous aurez abandonné aux pauvres ici-bas.

La philosophie défend de rendre le mal pour le mal, elle déteste la vengeance, recommande le calme, la dignité, la douceur même à l'égard d'un ennemi, et veut qu'on lui porte secours s'il est en péril. L'Évangile ordonne au chrétien d'aimer son ennemi et de prier pour ses persécuteurs. Ici reparaît une des différences essentielles, capitales, qui séparent le christianisme et la philosophie. Dans le chrétien, l'homme s'efface et s'anéantit ; Dieu est tout pour lui, sa loi, son modèle, l'objet de son amour. Le philosophe ne relève que de lui-même et de sa raison. De là un sentiment d'humilité, d'abaissement, d'abnégation complète qui est la base des vertus chrétiennes, et que la philosophie n'a point connu. La philosophie au contraire, qui est le plus noble exercice et le plus beau fruit de l'esprit humain, inspire à l'homme une haute opinion de sa puissance. Nulle part nous ne trouvons dans Sénèque ces pensées et ces expressions vraiment chrétiennes. C'est donc une erreur manifeste que de rapprocher la formule outrée des stoïciens, ne vous irritez pas, pardonnez-leur, car ils sont insensés, sed non est quod irascaris, ignosce illis, omnes insaniunt[49], des paroles de Jésus sur la croix : Pater, dimitte illis, non enim sciunt quod faciunt[50]. Le mot de Sénèque exprime un sentiment de dédain pour l'humanité, et les paroles de Jésus sont l'accomplissement du précepte : Aimez ceux qui vous persécutent, pardonnez à ceux qui vous font mourir.

Quelle est la conclusion de ce double parallèle, établi entre Sénèque et ses devanciers, entre le christianisme et Sénèque ? De quel côté sont les maîtres de ce philosophe ? Est-ce du côté des apôtres et de l'Évangile, dont il n'a ni les dogmes ni la morale, du moins quant à sa partie essentiellement chrétienne ? Est-ce du côté des philosophes anciens, dont il emprunte les idées, les serments et le langage ?

 

 

 



[1] Caritas generis humani.

[2] Lysistrate, v. 1130, 1360. — Euripide, Suppl. 530. — Platon, Rép., l. V.

[3] Plutarque, Vertu d'Alexandre, 1er discours, ch. VI.

[4] Diogène de Laërte, en parlant des disciples d'Aristippe : Ils ne trouvent pas raisonnable que le sage expose sa vie pour sa patrie, parce que ce serait sacrifier la sagesse aux intérêts des insensés, et que d'ailleurs la véritable patrie est le monde. (L. II, 8.)

[5] Id., l. VI, ch. II.

[6] Diogène Laërce, l. IX, ch. II.

[7] Porphyre, De abstin., I, ch. XII.

[8] Diogène, l. VII, ch. I. — Porphyre, De abstin., III, ch. XX. — Eusèbe, Prép. évang., XV, 15. — Cicéron, De leg., I, 7.

[9] Porphyre, De abstin., l. III, 20.

[10] Dans l'édition de Grotius, ces vers sont attribués à Épicharme.

[11] De off., I, 23.

[12] De off., III, 17.

[13] De off., III, 6.

[14] De finib., V, 23.

[15] De rep., I, 37.

[16] Ovide, Fastes, II, 684.

[17] Pharsale, VI, 54.

[18] De leg., I, 15, 13, 10. — De Off., I, 17. — III. — De finit., III.

[19] Sénèque, De clem., II, 6.

[20] Controverses, I, 1. — III, 19. — IV, 27. — Excerpta contr., VIII, 6.

[21] Stobée, Florilèges, l. XXXVII et CXIII.

[22] Controverses, I, 1.

[23] Controverses, I, 1.

[24] Controverses, I, 1, p. 78.

[25] Non sibi sed loti genitam se eredere mundo. (Lucain.)

[26] Cicéron, De offic., I, 15, 46. — II, 16, 18, 20.

[27] Cur eget indignus quisquam te divite ? etc. (Sat., l. II, s. 2, v. 99.)

[28] Contr., IV, 24, 8.

[29] Philém., Fragm., p. 121, 127, 128. — Ménandre, p. 71.

[30] Platon, République, l. I, p. 19 (édit. de M. Cousin). — Criton, p. 143.

[31] Stobée, Florilèges, tit. 5.

[32] Théognis.

[33] Gorgias.

[34] Cicéron, Tusc., V. — De off., I, 25.

[35] Cyropédie, l. III, ch. I.

[36] Ep. 95.

[37] De ira, I, 5. — III, 43. — Ep. XLVIII.

[38] Ep. V.

[39] De benef., IV, 14. — I, 8. — VII, 31. — II, 11. — De otio sap., 28.

[40] L'expression fœnerari beneficia est de Cicéron (De amic., IX, 31).

[41] L. II, ch. VI.

[42] De clement., II, 5.

[43] De officiis, I, 38. — Sénèque, De vit. beat., XX.

[44] Opem ferre etiam inimicis miti manu. (De otio Sap., XXIX.)

[45] Cicéron dit aussi : Il faut demander à la philosophie le remède contre nos vices et nos péchés. (Tusc., V.) De là l'emploi si fréquent de morbus, au sens moral, pour désigner le péché, le vice, le mal, et de l'expression salua, qui signifie la guérison de l'âme, le salut du coupable. — Voyez Horace, Ep. I, 135, — Ep. XVI, 41.

[46] De ira, XIV. — VII, 31. — Nous n'avons rien dit des maximes de Sénèque sur l'amitié, parce que sur ce point on ne cite de saint Paul aucun texte qui prête à un rapprochement. On peut lire l'épître ix et l'épître vi ; on y trouvera ]es principes et les sentiments des anciens, d'Épicure, de Métrodore, d'Hermachus, de Polyænus, d'Aristote, de Platon, de Socrate, de Cicéron. Nous nous bornerons à cette citation, tirée de l'épître IX : Dans quel but cherché je un ami ? Afin d'avoir quelqu'un pour qui je puisse mourir (pro quo mari passim), que je puisse suivre en exil, pour qui j'aille au-devant de la mort et je puisse me sacrifier (cujus morti me opponam et impendam). C'est le développement éloquent de la pensée antique : deux amis ne forment qu'une seule âme ; c'est la théorie du dévouement que l'amitié inspire aux nobles cœurs, et dont la poésie et l'histoire ont consacré les plus beaux traits. — Au sujet de ce passage, nous renouvellerons une remarque déjà faite, c'est qu'on rencontre parfois dans Sénèque le Philosophe des expressions, des tours de phrase qui semblent empruntés aux Controverses de Sénèque le Rhéteur. Comparez, en effet, le passage cité de l'épître IX avec la phrase suivante d'une controverse : Montanus Votiénus dit : Ne croyez pas qu'elle soit tombée victime de la colère d'un père. Elle est morte pour celui à qui elle avait consacré sa vie, elle s'est sacrifiée pour celui à qui elle s'était donnée (illi se, cui addixit, impendit). Vous savez qu'elle avait un mari, afin de pouvoir mourir pour lui (pro quo mori posset). (Contr., VI, 32.) — Certains critiques, examinant séparément le passage de l'épître IX, ont prétendu que l'emploi du verbe impendi avec le sens de se sacrifier, mourir, constituait dans le philosophe un néologisme chrétien. En effet, disent-ils, on rencontre ce terme dans la Vulgate : Ego autem libentissime impendam et superimpendar pro animabus vestris. (II Ep. aux Cor., XII, 15). Donc Sénèque a pris cette expression à saint Paul, c'est-à-dire à son traducteur. Pour corroborer cet argument, ils citent des passages de Tertullien où ce verbe se trouve : ce sont deux preuves de la même force. — Heureusement, le déclamateur Votiénus est venu à notre aide et nous a fourni le moyen de prouver que Sénèque n'avait pas eu besoin d'imiter saint Jérôme et Tertullien. Pour nous appuyer, nous aussi, sur deux témoignages, nous citerons Manilius :

Impendendus homo est, Deus esse ut possit in ipso. (IV, 407.)

[47] Ep. aux Gal., VI, 2.

[48] Ep. aux Ephés., IV, 32. — Ecclésiaste, XI, 1 ; IV, 2, 3. — Saint Matthieu, V, 45 ; VI, 7. — Saint Luc, VI, 34, 35.

[49] De benef., V, 17.

[50] Saint Luc, XXIII, 31.