LES CHRÉTIENS DANS L’EMPIRE ROMAIN

 

CHAPITRE XI — Le christianisme dans l’empire, de la mort de Maximin à celle de Philippe (238-249).

 

 

Après la mort violente des deux Gordien en Afrique (juin 237), le sénat avait eu comme un regain d’autorité et d’influence. Maxime et Balbin, ses élus, furent un instant l’espoir des honnêtes gens. Maximin, déclaré ennemi public, avait été tué devant Aquilée, ainsi que son fils (avril 238). La liberté semblait rendue au monde. On rêva un instant le renouvellement de l’âge des Antonins. Ce rêve dura peu. Quelques mois plus tard, les soldats prenaient leur revanche : les deux empereurs du sénat étaient massacrés par les prétoriens (mai 238), et Gordien III, déjà César, reconnu seul empereur. Livré d’abord en proie aux détestables conseils des eunuques qui remplissaient son palais, celui-ci trouva plus tard dans la personne de Timésithéus, son beau-père, un sage ministre, un vigilant administrateur et un bon général. Philippe l’Arabe, jaloux de sa puissance et dévoré d’ambition, le fit, dit-on, empoisonner, puis fit tuer Gordien et se mit à sa place, acclamé par les soldats.

Dans l’empire, livré aux violents caprices de la soldatesque, l’Église semble seule l’image de l’ordre civil ; seule elle représente le respect de la règle et la supériorité de l’esprit sur la force. Dans sa milice pacifique» qui grandit incessamment et où les meilleurs se désintéressent à l’excès de la cité terrestre, Tiennent se ranger les dégoûtés du monde et des sanglantes tragédies qui s’y jouent, les amis de la paix intérieure et de l’union des âmes. Partout ailleurs le désarroi. Rien de favorable, du reste, pour une société naissante, comme l’inconsistance du pouvoir, l’affaiblissement du règne des lois, les troubles qui empêchent de penser à elle, la décomposition de l’ancienne société dont elle s’assimile les meilleurs éléments. A ce moment même, les fossoyeurs chrétiens creusent ou prolongent les galeries de leurs cimetières souterrains. La semence de l’avenir est là.

En janvier 256, Fabien avait été élu évêque de l’Eglise de Rome, grâce a une indication céleste, selon une tradition recueillie par Eusèbe[1]. Cette tradition peut signifier que le moment étant critique et les candidatures rares, le collège presbytéral, pour imposer son choix, invoqua une circonstance fortuite, quelque chose comme un vol d’oiseau, très significatif comme on sait, dans le rituel païen, circonstance acceptée docilement comme un signe d’en haut.

Il est à croire que les fidèles de Rome, et surtout leurs chefs hiérarchiques, se montrèrent prudents dans leurs allures et leurs démarches pendant le règne de Maximin. La guerre civile qui s’engagea dès 237 élargit leur liberté ; la chute’ du tyran et la réaction qui suivit la confirmèrent. Un fait prouve jusqu’où elle allait : c’est l’exhumation et le transport à Rome des restes de Pontien et d’Hippolyte, morts et ensevelis dans l’île de Sardaigne. Cela se fit, sinon avec solennité, au moins d’une façon peu clandestine. Le vieux chroniqueur rapporte que l’évêque Fabien, avec son clergé, se rendit à cet effet en Sardaigne, accompagna sur le vaisseau les corps des martyrs et les déposa aux ides du mois d’août (13 août), le corps de Pontien dans le cimetière de Calliste, celui d’Hippolyte dans un cimetière de la voie Tiburtine[2].

En tout état de cause, il fallait une autorisation du collège des pontifes pour déterrer un corps enseveli et le déplacer. Quand il s’agissait de corps d’hommes condamnés à l’exil ou à la déportation, on devait en référer à la chancellerie impériale, qui accordait ou refusait cette licence ; car la peine ne finissait pas avec la mort, ainsi qu’il est dit dans un texte du Digeste, et le droit d’enlever le corps d’un condamné était comme une grâce que le pouvoir souverain pouvait seul accorder[3].

Il est peu vraisemblable que le chef de l’Église romaine et son conseil aient songé à demander cette autorisation à Maximin en 236, d’abord parce qu’il n’est pas sûr qu’en juillet de cette année Pontien et Hippolyte fussent morts tous deux, et ensuite parce qu’une pareille demande adressée au prince qui les avait condamnés et qui menaçait encore l’Église eût ressemblé à une bravade ou h un défi. Mais elle put être demandée en 237 à Maxime et Balbin, salués empereurs par le sénat, opposés à Maximin encore vivant, mais déclaré ennemi public. Dès l’avènement des deux empereurs du sénat, l’esprit de réaction devait être assez vif contre le tyran et ses actes, et l’autorisation sollicitée avait incontestablement une couleur de réparation. Le fait aussi put avoir lieu un peu plus tard, soit sous le règne de Gordien III, soit au commencement de celui de Philippe. Quelle qu’en soit la date, qui flotte entre les années 237 et 244 ou 245, ce fait mérite d’être remarqué. Il implique, en effet, la reconnaissance de la société chrétienne, au moins en tant que collège funéraire, si l’on admet que l’autorisation fut accordée à Fabien, agissant non comme personne privée, mais comme représentant attitré et, suivant l’expression légale, comme actor ou syndicus du corps des chrétiens. Et il n’y a pas lieu d’alléguer ici les lois contre les collèges illicites en général, ni les édits particuliers contre les chrétiens. Les lois contre les collèges non autorisés, avec l’affaiblissement de la vieille discipline, étaient peu à peu tombées en désuétude. Septime Sévère avait commencé à les relâcher. Elles se relâchèrent bien davantage sous les princes syriens, ses successeurs, si peu soucieux des traditions proprement romaines. Un grand laisser-aller et une large tolérance de fait avaient succédé à une surveillance déjà fort intermittente dans le passé. Et quant aux édits particuliers contre les chrétiens, c’était chose d’ancien régime et lettre plus qu’à demi-morte. Vainement Ulpien les avait-il recueillis. En dépit de rescrits hostiles, actes personnels et décrets de souverains plutôt que lois bien définies et d’application constante, desquels, du reste, nous ne connaissons que les quelques lignes de la lettre de Trajan à Pline, le texte moins sûr de la réponse de Marc-Aurèle au légat de la Lyonnaise et l’indication que l’Histoire Auguste nous donne sur un édit de Septime Sévère, les chrétiens, sous Caracalla, Macrin, Élagabal et Alexandre Sévère, avaient été laissés en repos. Alexandre Sévère, en plusieurs circonstances, avait implicitement reconnu leur existence. Maximin lui-même, en ne s’attaquant qu’aux chois des Églises, — et il ne paraît pas que cette attaque ait été poussée nulle part a fond, — avouait aussi l’existence de la société chrétienne, et bien plus, semblait reconnaître que contre elle le pouvoir était sans armes efficaces.

Ainsi, les chrétiens osaient se produire librement et agir en qualité de communauté. C’est a titre collectif qu’ils possédaient le cimetière dont Zéphyrin avait naguère confié l’administration à Calliste. C’est an même titre qu’ils avaient soutenu et gagné devant Alexandre Sévère le procès qui leur était intenté au sujet d’un emplacement dont on leur disputait la propriété et qu’ils avaient consacré à leurs dévotions. C’est a titre de société que le même empereur les avait tolérés, et au même titre que Fabien, leur mandataire élu, demandait et obtenait le droit d’exhumer et de transférer a Rome, sur les terrains consacrés de la communauté, les corps des deux transportés de Sardaigne.

Cette reconnaissance de fait, non écrite ni légale, mais née de la force des choses, et aussi de la bonne volonté ou de l’indifférence des princes syriens, n’empêchait point certaines violences locales ou domestiques. Ainsi, dans les Actes de Pionius il est parlé d’une chrétienne nommée Sabine, arrêtée avec lui. 0 est dit que cette femme, esclave d’une païenne, avait été, sous le règne de Gordien, reléguée à la campagne et enfermée dans un ergastule a cause de son obstination à ne pas abandonner sa foi. Elle était parvenue à s’échopper et à changer de nom. Les faits de cette nature, même pendant la pleine paix de l’Église, ne devaient point être fort rares, quand les maîtres étaient durs et les esclaves peu discrets ou imprudents ; mais on n’a point à en tenir compte, et d’ailleurs on les ignore, car l’histoire ne les a point relevés.

A la mort de Gordien III (244), l’Église depuis un tiers de siècle jouissait d’une paix profonde, que les ordres ou mal donnés ou mal exécutés de Maximin avaient à peine interrompue à Rome et dans quelques provinces d’Orient. On dit qu’elle eut alors la rare fortune de voir un chrétien occuper le trône des Antonins pendant près de six ans, dans la personne de Marcus Julius Philippus, le préfet du prétoire qui succéda au jeune Gordien[4].

Si cette tradition est fondée, l’Église n’aurait pas lieu de s’enorgueillir beaucoup d’une pareille conquête, car le peu qu’on sait de l’empereur Philippe n’est pas fort beau. Il était de sang arabe, natif de la colonie de Bostra. On le donne comme fils d’un chef de brigands ; il faut entendre, sans doute d’un cheik d’une tribu de Bédouins nomades et pillards. On ignore sa carrière et par quels échelons il monta à la charge de préfet du prétoire. Pour y parvenir, il avait, dit-on, lait donner du poison à Timésithée, beau-père et bras droit de Gordien. Ensuite, par d’odieuses manœuvres, il provoqua une sédition parmi les troupes, se fit proclamer empereur, puis fit déposer et tuer Gordien III. Capitolin mêle aux derniers moments du jeune prince des détails nui ne relèvent ni l’usurpateur, ni la victime. Après cela, Philippe se hâta de conclure la paix avec les Perses.

On peut tirer de là qu’il était ambitieux, perfide et sans scrupules, c’est-à-dire qu’il ne réalisait guère l’idéal évangélique. Mais c’est raisonner en l’air que d’alléguer ces laits pour en conclure qu’il ne pouvait pas être chrétien.

Tertullien, Origène et Cyprien nous font assez connaître par maint endroit de leurs écrits qu’il y avait de leur temps des chrétiens tout de surface, peu sévères pour eux-mêmes, dont le baptême n’avait ni purifié les mœurs, ni modifié les habitudes. La foi détourne plus souvent les passions qu’elle ne les éteint, et change rarement les caractères. Ceux qu’elle transforme a fond, dont elle tourne la sécheresse d’âme en douceur, la perfidie sournoise en droiture et en loyauté, la pusillanimité en courage, l’égoïsme en abnégation, sont en tout temps et furent assurément au IIIe siècle même de rares exceptions.

Donc, de cela seul que l’empereur Philippe commit pour arriver à l’empire des actes pour lesquels la morale humaine est justement sévère, on ne saurait conclure qu’il ne fut pas chrétien, ni que, s’il l’a été, il ne le devint qu’un peu plus tard, trois ou quatre ans après son usurpation. Cette prétendue conversion de Philippe, de sa femme Otacilia Sévéra et de son fils, qu’il associa a l’empire dès la seconde année de son pouvoir, est un détour inventé ou adopté pour résoudre une difficulté chimérique. Cette conversion dont nul auteur ancien ne témoigne est tort peu vraisemblable. Si Philippe fut chrétien de fait, il l’était quand il arracha la couronne à Gordien ; il l’était tacitement, sans en faire grand bruit et sans qu’on sache depuis combien de temps, ni comment et par les soins de quel docteur. Mais était-il chrétien en effet ? La question est fort difficile à résoudre, et peut-être même ne comporte-t-elle pas de solution certaine. En tout cas, elle ne peut en recevoir qu’en s’appuyant sur des témoignages.

La tradition qui nous donné Philippe pour chrétien est ancienne et sérieuse. Le fait seul de cette tradition, de la part d’écrivains ecclésiastiques qui savaient combien peu d’honneur un pareil prosélyte faisait à l’Église, est chose qui nous frappe. En général l’es-, prit de parti est plus clairvoyant et plus facilement dégoûté, et répudie plus adroitement les alliés compromettants. Eusèbe, si indulgent pour Constantin, a-t-il pensé que la pourpre couvrait tout ? Au reste, on doit le dire, à part les voies obliques et criminelles que prit Philippe pour arriver au pouvoir, le règne de ce prince est assez pâle et de ceux dont on ne peut dire ni bien ni mal. Voyons donc les témoignages anciens.

Denis, évoque d’Alexandrie à cette époque, atteste au moins l’opinion courante sur le christianisme de Philippe, lorsque, dans une lettre citée par Eusèbe, il rapporte que l’empereur Valérien, au commencement de son règne, se montra très favorable aux chrétiens : Les empereurs que l’on croit avoir été manifestement chrétiens, dit-il, ne les ont pas traités avec autant d’humanité et de douceur[5].

Ce passage, où Philippe n’est pas nommé, où l’on parle d’empereurs au pluriel, et où il semble être question de Sévère Alexandre en même temps que de Philippe, où Denis d’Alexandrie relate seulement un on dit, n’est pas fort explicite, il est vrai. Il vaut cependant qu’on le relève.

Eusèbe écrit : Gordien, après avoir gouverné six ans entiers l’empire romain, mourut et eut pour successeur Philippe, qui s’associa son fils, de même nom que lui. On raconte que ce prince voulut, en qualité de chrétien, assister avec le peuple aux prières qui se faisaient dans l’église, la veille de la fête de Pâques, mais que l’évêque ne lui en permit pas l’accès jusqu’à ce qu’il se fût confessé de ses crimes et qu’il en eût fait pénitence avec ceux qui n’étaient pas purs. L’évêque, qui savait ses crimes, ne le pouvait admettre absolument qu’à cette condition. On ajoute que l’empereur se soumit de bonne grâce et fit voir, en agissant de la sorte, qu’il était pénétré de la crainte de Dieu[6]. On remarquera qu’Eusèbe se fait ici l’interprète d’une tradition, κατέχει λόγος, mais que cette tradition porte sur l’aventure qu’il raconte et non sur la profession de christianisme de Philippe. En ceci, en effet, l’auteur semble énoncer non un on dit, mais un fait.

Pour ce qui est de cette aventure, Eusèbe ne nous dit pas où elle s’est passée, non plus que le nom de l’évêque courageux qui osa arrêter l’empereur au seuil de l’église et lui interdire de participer aux prières communes. Saint Chrysostome[7] rapporte la même histoire, sans nommer l’empereur qui y figura, mais donne le nom de la ville où elle eut lieu, Antioche, et de l’évêque qui y joua le rôle marqué par Eusèbe, saint Babylas, indication de grande valeur, comme l’abbé Greppo l’a remarqué déjà[8], car Chrysostome était né à Antioche, avait fait partie du clergé de cette ville, était mieux placé que personne pour connaître les particularités de l’histoire de cette Église et les détails de la vie de saint Babylas, qui en était l’honneur et dont il fit plusieurs fois l’éloge. Pour ces raisons, il n’y a pas lieu d’alléguer que le second témoignage n’est que la répétition du premier. L’auteur de la Chronique d’Alexandrie[9] rapporte le même fait sur l’autorité de Léontius, évêque d’Antioche sous le règne de l’empereur Constance, successeur de Constantin. On lit même dans cette Chronique que l’acte de l’évêque d’Antioche Babylas fut le motif pour lequel plus tard l’empereur Decius le fit mettre à mort. On y trouve aussi quelques détails nouveaux, peut-être parasites et de fantaisie, comme il arrive si souvent dans la répétition des histoires sacrées, par exemple qu’Otacilia Sévéra, femme de l’empereur Philippe, fut soumise par l’évoque d’Antioche à la même pénitence que son mari.

L’histoire est-elle vraie ? Nous ne trouvons nulle raison sérieuse de la mettre en doute. Et il n’entre guère dans notre esprit qu’Eusèbe, saint Chrysostome et l’auteur de la Chronique d’Alexandrie aient pu l’inventer de toutes pièces. Qu’on dise en effet dans quel but. Pour relever la mémoire de Babylas, évêque d’Antioche ? Mais Eusèbe ne le nomme pas. Pour montrer la puissance du christianisme ? Mais, au moment où les témoignages cités se produisaient, il était en quelque sorte religion d’État. Qu’est-ce que l’accession d’une famille obscure qui n’était pas née pour le trône et que le hasard des circonstances, aidé par une habileté criminelle, y avait portée, ajoutait a la puissance de l’Église ou à son honneur ? D’autant plus qu’il ne s’agit nullement de la conversion solennelle de Philippe se faisant chrétien après être devenu empereur[10]. Ceci sans doute eût paru étrange et eût laissé dans l’histoire plus de trace. L’affaire d’Antioche dut se passer au commencement du règne, vers le milieu d’avril 244. Nous savons que, lapais faite hâtivement avec les Perses, Philippe ramena son armée en Syrie. Gordien régnait encore à la un de février 244. Nous avons de lui au Digeste une loi donnée sous le consulat de Pérégrinus et d’Émilianus, datée du 7 des kalendes de mars, et une autre de Philippe, sous les mêmes consuls, datée de la veille des kalendes d’avril (31 mars)[11]. Donc Philippe, salué empereur en mars 244, pouvait bien se trouver en avril à Antioche pour les fêtes de Pâques.

Si l’histoire racontée par Eusèbe, saint Chrysostome et l’auteur de la Chronique d’Alexandrie est véritable, et nous ne voyons, encore une fois, nulle raison pour rejeter ce triple témoignage, le fait du christianisme de Philippe est établi. Mais on peut s’appuyer encore sur d’autres documents. Nous citerons d’abord la Chronique d’Eusèbe. On y lit à la première année du règne de Decius : Decius mit à mort Philippe avec son fils, et par haine pour ce prince entreprit de persécuter notre religion, qui était aussi la sienne. Ces derniers mots que nous soulignons ne sont pas expressément dans le texte ; ils y sont implicitement : ejusdemque (Philippi) odio religionem quoque nostram insectari aggressus est[12].

Saint Jérôme, dans sa Chronique, atteste plus précisément le même fait, et dans son livre Des hommes illustres il le constate deux fois : d’abord, en parlant de lettres adressées par le grand docteur d’Alexandrie à Philippe, il dit que celui-ci fut le premier des empereurs qui embrassa le christianisme : qui primus de regibus Romanis christianus fuit. Et plus loin : Il est superflu, dit-il, de parler de la cruelle persécution que Decius déchaîna contre les chrétiens en haine de la religion de Philippe qu’il mit à mort eo quod in religionem Philippi desœviret[13].

Orose et Vincent de Lérins fournissent des assertions tout aussi positives : Celui-ci, dit Orose en parlant de Philippe, fut le premier chrétien des empereurs romains, et la troisième année de son règne coïncida avec le millième anniversaire de la fondation de Rome. Cette année, la plus auguste de toutes, vit des jeux magnifiques célébrés par un empereur chrétien[14]. Et Vincent de Lérins, rappelant les lettres qu’Origène, avec l’autorité d’un maître, adressa a Philippe, ajoute : le premier des princes romains qui ait embrassé la foi chrétienne[15].

Nous laissons de côté les témoignages postérieurs. Il nous semble que ceux que nous avons cités, et qui appartiennent au IVe et au Ve siècle, forment un ensemble imposant, et que, contre des affirmations aussi positives, nul raisonnement ne saurait prévaloir.

Les historiens païens nous manquent ici pour les contrôler. Dion Cassius était mort avant l’avènement de Philippe ; l’Histoire romaine d’Hérodien finit à la mort de Maxime et Balbin ; l’Histoire Auguste a une grande lacune qui commence justement à la mort de Gordien III et va jusqu’à Valérien. Nous n’imaginons pas, du reste, qu’on eût rien trouvé chez ces écrivains qui fût de nature à confirmer ou à infirmer très précisément le fait que nous étudions. Par dédain réel ou simulé, ils se taisent en général sur tout ce qui regarde les chrétiens et mentionnent à peine leur existence, qu’ils ne pouvaient cependant ignorer. On dirait, a les lire, que les chrétiens appartiennent à des bas-fonds où l’histoire ne descend pas. Et d’autre part le christianisme de Philippe et de sa famille était, ce nous semble, chose intime et domestique, et sans caractère officiel. Le prince était chrétien comme homme, non comme empereur, et ne prétendait nullement engager l’État dans les voies où, longtemps auparavant sans doute, il était entré. Il s’était fait chrétien, d’ailleurs, sans renoncer nullement à son avenir, et au contraire en gardant la pensée, de se pousser dans la carrière des honneurs aussi haut qu’il pourrait monter.

C’est par là même que nous nous expliquons les faits qu’on oppose aux témoignages si formels que nous avons cités. On dit en effet que sa conduite fut celle d’un traître et d’un ambitieux sans vergogne. Cela veut dire qu’il ne fut pas le modèle des chrétiens. On peut le dire aussi de Constantin et de plusieurs autres. Ce premier argument, qu’on emploie communément pour contester le christianisme de Philippe, est donc lâche et sans force. Passés au crible de l’idéal évangélique, tous les saints mêmes ne seraient pas dans le petit nombre des élus.

On ne peut nier l’antique tradition du christianisme de Philippe en tant que tradition, puisqu’elle est rapportée par plusieurs graves écrivains du IIIe, du IVe et du Ve siècle. Le P. Theiner, dans les savantes notes dont il a enrichi la dernière édition des Annales ecclésiastiques de Baronius, allègue que les nombreux témoignages qui l’attestent, soit dans les temps anciens, soit dans les temps modernes, ne sont que la répétition de l’unique témoignage d’Eusèbe. Il entend que saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, Paul Orose et Vincent de Lérins, sans parler des écrivains postérieurs, n’ont fait que copier Eusèbe et lui emprunter ce qu’il a dit[16]. Ce n’est pas exact. D’abord saint Denis d’Alexandrie est antérieur à Eusèbe. Ensuite le texte de saint Jérôme est plus explicite que celui de la Chronique d’Eusèbe. Ni saint Jérôme, ni Orose, ni Vincent de Lérins ne rapportent l’aventure d’Antioche racontée par Eusèbe. Saint Chrysostome l’a donnée seul, avec des détails non mentionnés par Eusèbe, et qu’il n’a pu par conséquent lui prendre. Ce n’est pas chez Eusèbe qu’il a trouvé que la scène s’était passée à Antioche, que l’évêque qui y avait joué un rôle était Babylas. Et d’où vient qu’il ne nomme pas et paraît ignorer le nom de l’empereur Philippe, désigné par Eusèbe, si c’est à lui qu’il a emprunté cette histoire ? La différence des détails donnés implique la diversité des sources d’information.

Le même critique rapporte que Lactance, Sulpice Sévère, Théodoret, l’auteur anonyme de la vie de saint Pacôme, et plusieurs autres après eux, ont écrit unanimement que Constantin le Grand fut le premier des empereurs chrétiens, ce qui indirectement est la négation du christianisme prétendu de l’empereur Philippe. Nous ne prendrons pas la peine de réduire aussi cette pluralité de témoignages a l’unité en affirmant, comme il est si facile, que ces divers écrivains ont répété Lactance.

Cette raison est de peu de prix pour qui n’accepte pas les yeux fermés le ridicule adage : Testis unus testis nullus. Nous admettons très volontiers qu’on ait pu dire au IVe siècle et qu’on puisse dire encore’ aujourd’hui que Constantin est le premier qui ait fait monter le christianisme sur le trône impérial. On entendait et on entend par là que Constantin, quels que fussent ses sentiments intimes, fut sur le trône le bouclier de la foi chrétienne, qu’il s’en porta le gardien et le défenseur officiel.

La religion de Philippe, à part la tolérance tacite qu’il assura à la société chrétienne, fut stérile pour celle-ci, tandis que le christianisme équivoque et quelque peu souillé de crimes domestiques de Constantin eut pour l’Église les plus grands effets. La religion de Philippe ne fut pas déclarée, avouée, attestée par des actes et des édits : c’est comme une foi honteuse d’elle-même, qui ne dépasse pas l’homme intérieur, qui ne va pas jusqu’au chef d’État et ne dirige pas sa politique ; elle ne transforma pas l’empereur en patron impérieux vis-à-vis des chrétiens, en surveillant défiant et obliquement hostile vis-à-vis des païens. Philippe ne songea jamais à faire de son christianisme une institution d’État, pas même a promulguer officiellement la tolérance, ni a accorder aux chrétiens par une loi le droit de pratiquer leur culte. Les temps n’étaient pas mûrs en 244 pour un édit de Milan. Le christianisme alors n’était pas assez puissant, pour qu’un prince, d’autorité mal assise et sans prestige, pût établir et consacrer la dualité religieuse dans l’empire romain, à savoir non seulement émanciper officiellement la religion nouvelle et lui donner droit de cité, mais l’introniser dans l’État. Soixante-dix ans plus tard, les conditions étaient tout autres ; Le christianisme numériquement était plus fort ; sa vitalité supérieure était prouvée, l’autorité de Constantin solide et son prestige sans égal. Le vainqueur de Maxence pouvait ce qu’il voulait, et il était à la fois équitable et politique qu’il voulût consacrer lès faits, c’est-à-dire garantir aux chrétiens la pleine liberté de leur culte. Constantin est donc le premier prince chrétien, en ce sens que le premier il porta sur le trône l’étendard du christianisme et le planta résolument dans l’empire ; plus chrétien peut-être comme chef d’État que comme homme, et qui n’eût pas, croyons-nous, accepté docilement l’humiliation de la pénitence à laquelle on nous dit que Philippe se plia sans murmurer. Qu’est-ce donc auprès que le christianisme de Philippe ? Une opinion individuelle, discrètement voilée comme inconvenante ou excentrique à la place où la fortune avait mis ce prince, assez forte peut-être, jointe à des remords possibles, pour le pousser à s’associer de nuit aux prières de la fête de Pâques, trop peu sûre d’elle-même et du mouvant terrain où elle germait pour qu’il en fît éclat, l’étalât aux yeux, compromît pour elle une autorité mal acquise et précaire. De la des actes équivoques qu’il fît ou laissa faire, et auxquels on attribue plus de portée qu’ils n’en ont. Ainsi Capitolin nous dit qu’en s’adressant aux soldats il ne manquait jamais d’appeler Gordien divus. C’est un mot d’étiquette, que l’usage avait établi, qui demeura encore employé au IVe siècle et qu’on trouve, suivant la remarque de Tillemont[17], dans les rescrits de Constantin et de ses successeurs. De même, plusieurs monuments épigraphiques[18] ont mis hors de doute, en dépit de l’autorité d’Eckhel, que les médailles qui représentent au droit un personnage inconnu posé sur un aigle aux ailes éployées, entouré de la légende ΘΕΩ ΜΑΡΙΝΩ, au dieu Marinus, et au revers le type de Rome assise et les lettres S. C. (Senatus Consulta), se rapportent au père de Philippe Marcus, Julius Marinus, et rappellent son apothéose. Cela veut dire que Philippe accepta pour son père un honneur en quelque sorte officiel. Or, de ce qu’il accepta cette flatterie réputée délicate, on ne saurait rien conclure contre ses croyances intimes.

De même on cite nombre de pièces de monnaie ou de médailles au nom de Philippe ou marquées de la triple effigie de Philippe, d’Otacilia Sévéra, sa femme, et du jeune Philippe, son fils, qui portent des figures, des représentations ou des légendes païennes. Par exemple, sur celles où on lit Sal. Aug., la figure de la Santé présente à manger a un serpent ; celles où on lit Sœculum novum représentent un temple à six ou huit colonnes, et au milieu la statue de Jupiter. Dans d’autres, on voit l’empereur sacrifiant sur un trépied. Sur celles marquées des mots Félicitas populorum, les deux Philippe sacrifient sur deux autels devant un temple, en présence de deux prêtres. Une autre porte d’un côté Concordia Augustorum avec les bustes affrontés de Philippe père et d’Otacilia, et en face le buste du jeune Philippe, et au revers les mots Ex oraculo Apollinis et la représentation d’un temple rond à quatre colonnes, avec la statue d’Apollon dans l’intérieur.

Les légendes païennes Jovi Statori, et sur les médailles d’Otacilia Juno Conservatrix, Juno Lucina, se lisent assez couramment[19]. Il n’y a rien à conclure de cela, si ce n’est que l’empereur ne fit pas plus de révolution dans la monnaie que dans les institutions et coutumes de l’empire. Il laissa faire les monétaires impériaux, et ceux-ci, sauf pour les bustes et les noms des princes, se servirent des coins et types en usage. Le scrupule eût sans doute été excessif de rejeter comme des emblèmes et des inscriptions idolâtriques les images usitées de Rome, de l’Abondance, du Salut, de la Libéralité, de l’Équité, de la Concorde, de la Bonne Foi, de la Sécurité, de la Paix, et d’autres innocentes abstractions. Les monnaies portant le nom de Jupiter et celui de Junon sont relativement rares, comparées à celles qui représentent ces figures traditionnelles. Mais Philippe estima peut-être que, comme prince, son image ne lui appartenait pas. Peut-être était-il de ces fidèles dont parle Origène, qui prétendaient que les noms ne signifient rien, et par la pensée il changeait peut-être Jovi Statori ou Conservatori en Jesu Servatori.

Il serait puéril de blâmer ces concessions à l’usage. On sait que Constantin, bien plus sûr de lui et des autres, plus libre et plus fort, toléra aussi sur ses monnaies et sur ses médailles, non pas seulement jusqu’à l’époque de sa victoire sur Maxence et de i’édit de Milan, mais bien au-delà, et jusqu’à l’année 529, les emblèmes, les images et les inscriptions païennes. Les légendes Marti Victori, Marti Patri Propugnatori, Herculi Victori, Herculi Conservatori, Jovi Conservatori, Soli invicto, Soli invicto comiti, Soli invido œterno, abondent sur les monuments numismatiques du règne de Constantin[20].

Le même prince n’a-t-il pas laissé inscrire sur l’arc de triomphe que le sénat lui décerna après sa victoire de l’an 312 l’expression instinctu divinitatis, laquelle, si elle ne trahit et ne renie pas la foi chrétienne, la déguisait au moins, puisqu’elle était acceptable aux païens ? Or, ne serait-il pas étrange, en fait de transactions, d’être plus sévère pour Philippe en 248 que pour Constantin en 329 ?

L’apothéose décernée aux deux Philippe après leur mort[21] ne saurait, bien entendu, être misé a leur charge et ne prouve rien non plus contre leur profession de foi chrétienne. C’était un honneur inséparable en quelque sorte de la sépulture, quand il s’agissait des empereurs. Tout au plus prouverait-il, dans ce cas particulier, que le christianisme de Philippe était latent et inavoué, ce qui était vrai selon nous, et qu’il se conciliait aisément arec le respect de la religion de la majorité.

De même Philippe, pendant son troisième consulat, en 248, célébra très magnifiquement les jeux séculaires et le millième anniversaire de la fondation de Rome[22]. En cela il fit sa fonction d’empereur, et il put la faire en réservant sa conscience. On tire de là une objection contre le christianisme de Philippe. Il ne nous paraît pas qu’elle soit très forte. Ces fêtes sans doute furent environnées d’un grand éclat, précédées des processions habituelles, accompagnées de toute la pompe des sacrifices solennels et des banquets sacrés. Philippe, en sa double qualité de consul et de grand pontife, ne put se dispenser d’y présider. On sait déjà par une ancienne anecdote qu’il assista aux jeux et y prit grand plaisir[23]. Était-ce là la conduite d’un vrai chrétien ? — Orose va au-devant de cette objection quand il déclare indubitable que le prince rapporta au Christ et à l’Église la gloire de ces solennités. Le même auteur note, ce qui est plus sérieux, qu’aucun historien n’a marqué que Philippe, monta au Capitole et prit part à l’immolation des victimes. Mais quand ce témoignage d’Orose et cet appel au silence des historiens, en des détails qu’ils ne prennent que rarement la peine de noter, paraîtrait sans valeur, ne peut-on pas dire que l’empereur en ces circonstances fit comme tant de chrétiens, soldats ou simples particuliers, marchant sans scrupule derrière des aigles surmontées d’emblèmes qu’ils détestaient, assistant immobiles aux sacrifices, prenant part à quantité de fêtes publiques ou privées que des cérémonies religieuses consacraient, par consigne, par devoir, par convenance mondaine ou par simple curiosité ? Les uns et les autres, et Philippe, avec eux peut-être, se disaient qu’un esclandre serait absurde, indécent ou périlleux ; que ces cérémonies étaient de vaines parades, puisque les démons ne sont rien ; qu’on peut assister a ces spectacles comme aux autres, en gardant sa foi. A tous les degrés de l’échelle sociale la prudence s’imposait aux chrétiens, et avec elle mille servitudes professionnelles, sociales ou mondaines, d’autant plus lourdes qu’on était plus haut. Les fanatiques et les cerveaux brûlés rompaient seuls en visière aux usages et aux convenances. Les autres s’y pliaient. C’est ce que fît Philippe. Il lut empereur pour tous, et chrétien pour lui seul. Il n’avait pas une main assez ferme, ni peut-être un zèle assez passionné pour essayer une révolution dans l’État, et, nous l’avons dit, les temps n’étaient pas mûrs pour qu’elle pût alors réussir sans secousses. Il ne croyait pas a la vertu de la vieille religion romaine : il avait une foi qui l’excluait. Il ne laissa pas de présider aux sacrifices et aux cérémonies traditionnelles, jouant en cela le rôle attaché à sa fonction avec la gravité décente que tant d’autres y apportaient, sans que leur conscience y fût intéressée plus que la sienne.

On n’a nul moyen de descendre dans l’âme de Philippe et de saisir directement ses croyances intimes ; mais dans cette question de savoir s’il était ou non chrétien, nous trouvons d’un côté un ensemble de témoignages presque contemporains qui attestent au moins que, dans le sein de l’Église, on a cru qu’il l’était ; et de l’autre côté nous ne trouvons que des raisonnements de valeur contestable et qui prouvent tout au plus qu’il ne le fut pas ostensiblement, révolutionnairement ; qu’il se laissa aller, pour parvenir, à des actes odieux et, après qu’il fut parvenu, à de lâches ou molles transactions. Nous estimons, avec le judicieux Tillemont, que les raisonnements ne peuvent détruire la force et l’autorité des témoignages, et que, dans ce délicat problème où il s’agit de quelque chose d’insaisissable en soi, la thèse affirmative est plus probable. Saint Denis d’Alexandrie, Eusèbe, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, saint Vincent de Lérins ont cru et dit que l’empereur Philippe était chrétien. Les faits et témoignages allégués à rencontre établissent qu’il le fut mal ou incomplètement. C’est une autre affaire. Épictète demandait de son temps qu’on lui fit voir un stoïcien achevé et même l’ébauche d’un stoïcien. Il n’est pas plus facile de trouver dans l’histoire le type du chrétien parfait, et certainement Philippe ne le fut pas. On en tombe d’accord, et cela même ne saurait être discuté, ni pour lui ni pour aucun autre, ou le serait vainement.

Nous n’avons point parlé des lettres qu’Origène aurait, dit-on, écrites à l’empereur Philippe, avec l’autorité d’un maître et d’un docteur chrétien, christiani magisterii auctoritate[24]. Ces derniers mots, pour le dire en passant, pourraient marquer des rapports de maître à disciple. Mais nous ne voulons pas les presser outre mesure, et nous accorderons que la correspondance d’Origène avec Philippe et avec Marcia Otacilia, sa femme, correspondance perdue d’ailleurs, mais qui existait encore au temps de saint Jérôme, ne prouvé pas plus qu’ils aient été chrétiens que l’entrevue et les conférences du même docteur alexandrin, avec Mammée, mère d’Alexandre Sévère, vers 230, ne prouvent que celle-ci ait été chrétienne.

Nous nous abstenons aussi de rien induire, dans le même ordre d’idées, de la visible animosité qui perce dans le petit nombre de pages que Zosime a consacrées au règne de Philippe, de relever le reproche de laisser-aller et de nonchalance qu’il lui fait[25], et an sujet duquel on pourrait rappeler que c’était an grief fréquemment opposé aux chrétiens.

Nous sommes un peu plus frappé de .la loi par laquelle Philippe interdit la débauche contre nature, c’est-à-dire sans doute fit fermer les maisons de prostitution virile autorisées et payant impôt[26]. Non que le souci des bonnes mœurs fût étranger aux législateurs païens, ni que le christianisme eut inventé la chasteté et la pudeur. Lampride rapporte qu’Alexandre Sévère avait songe à purifier Rome de la même infamie[27]. Mais dans la société chrétienne la règle et l’opinion étaient assurément plus délicates et plus exigeantes pour ces vertus. La virginité y était particulièrement recommandée comme l’état le plus parfait. Les païens paraissent même parfois s’en être émus. La plupart des histoires des jeunes filles martyres, Domitilla, Agnès, Cécile, Théodora, sont comme des poèmes qui célèbrent et glorifient la chasteté absolue, et le supplice le plus odieux et le plus atroce que les juges, dans ces pièces, croient pouvoir ordonner contre les jeunes chrétiennes, c’est de les livrer au leno.

Cette loi de Philippe a donc particulièrement une couleur chrétienne, si l’on peut dire. Pris isolément, ce petit fait ne contiendrait pas sans doute à lui seul une aussi grosse conclusion que le christianisme de l’empereur Philippe ; mais il forme faisceau avec les autres, et s’adapte bien aux témoignages, seuls capables de fournir ici quelque clarté.

Il convient assurément de se garder avec soin de la tendance qui consiste à voir et a mettre le christianisme partout dès le commencement de l’empire, dans les écrits des lettrés, dans les effusions des moralistes, dans le sénat, dans les plus grandes maisons et dans les familles des empereurs. Les auteurs d’Actes de martyrs ont ouvert cette voie. Les historiens n’y doivent point entrer a la légère. Cependant pour ce qui est de Philippe, de sa femme et de leur fils, sans prétendre définir ni mesurer leur foi, décider s’ils étaient baptisés ou catéchumènes, ni de quelle manière et par quel initiateur ils étaient venus à la religion nouvelle, ni comment ils l’entendaient et la pratiquaient, il nous semble que la thèse affirmative au sujet de leur christianisme est bien fondée, et qu’on n’a que des raisons sans valeur à opposer aux formels témoignages qui l’attestent.

Ce qui n’est pas contestable, c’est la paix et la tolérance dont jouit l’Église sous ce règne ; c’est sa croissance heureuse a l’ombre de cette tolérance. C’est le temps de Théodore, disciple et ami d’Origène, qui prit le nom de Grégoire et qui porte le surnom de Thaumaturge, auquel on attribua, avec quantité d’étonnants prodiges, de nombreuses conversions dans le Pont et particulièrement à Néo-Césarée. C’est l’époque aussi où Cyprien embrassa la foi chrétienne (vers 245) et mit au service de l’Église, avec son éloquence un peu artificielle, une rare fermeté de sens pratique, une activité infatigable et de précieuses qualités de gouvernement.

Cependant on lit dans les Bollandistes, à la date du 28 mai, les Actes en grec d’Héliconis, qui aurait subi le martyre à Corinthe en 244, Consulibus Gordiano et Philippo Augustis, comme on lit à la première ligne, par les ordres des proconsuls successifs, Périnius ou Pérennius et Justinus[28]. Cette pièce est étrange. Les deux personnages, Lucianus et Paulus, qui l’ont écrite et se donnent pour témoins oculaires des faits, ont mis a leur récit une suscription qui est un pastiche mêlé des adresses des épîtres de saint Paul et de celles des Églises de Lyon et de Vienne[29].

Il est dit qu’une persécution cruelle sévissait en Achaïe, en Macédoine et dans le monde entier. On cite même, en forme de lettre aux adorateurs et aux défenseurs des dieux, l’édit prétendu de Gordien et de Philippe[30].

C’est à la suite de cet édit, affiché ou proclamé à Corinthe, qu’Heliconis, enflammée de zèle, sortit sur la place publique, et fit un discours où elle préconisait le culte du vrai Dieu et attaquait la vanité de l’idolâtrie. Arrêtée par les citoyens indignés, elle fut conduite au tribunal du proconsul Périnius. Là, après un interrogatoire — qu’on souhaiterait de meilleur goût et plus exempt de pointes et d’antithèses, — comme elle refusait de sacrifier, le proconsul la fit attacher a un joug de bœufs et frapper sur la plante des pieds, puis jeter dans une cuve pleine de bitume et de poix bouillante. Mais un ange du Seigneur -la rafraîchissait d’une douce rosée.

Ensuite ou lui arracha les cheveux, on lui brûla les lianes et les seins avec des lampes ardentes. Et le juge lui promettait, si elle consentait à sacrifier, de la faire prêtresse de Diane, de lui élever une colonne dorée au milieu de la ville, de la faire honorer par les empereurs comme la mère du monde — velut mater totius orbis.

Cependant Héliconis paraît céder : Allons au temple, dit-elle, afin que je rende à Vénus, à Minerve, à Jupiter et à Esculape les honneurs qui leur sont dus. On l’y conduit en triomphe. Elle y entre, fait retirer les prêtres derrière les portes fermées, puis brise en trois morceaux la statue de Vénus, met en poussière celle de Minerve, traîne, renverse et casse à coups de poings et de pieds celle d’Esculape, en fait autant de celle de Jupiter. Les prêtres, rentrant après une longue attente, s’arrachent les cheveux à la vue de ces sacrilèges et furieusement traînent Héliconis au proconsul, le priant de punir cette magicienne comme elle le méritait. Le proconsul lui fait couper les seins, puis l’envoie en prison. Cinq jours après, Justinus, qui avait succédé à Périnius, la fait comparaître devant lui. L’échange d’adjurations, de menaces et de fières insolences reprend.

De nouveau Héliconis est plongée dans une cuve de poix brûlante ; mais elle est préservée, et le feu, qui ne la touche pas, atteint les païens qui applaudissent à son supplice, et en brûle soixante-dix. On l’étend sur un gril de fer ardent ; mais de son corps sort un flot de sang qui éteint le feu.

Ramenée en prison, elle y voit Jésus, avec les anges Michel et Gabriel qui la guérissent et l’encouragent. Nouvelle comparution, nouvelles vaines instances du proconsul pour la fléchir.

On l’exposera aux bêtes. Il y a deux lions terribles et qu’on a laissés trois jours sans manger. On leur expose la sainte ; ils viennent lui lécher les pieds, et tout le peuple criant : A mort la maudite ! à mort la magicienne ! les lions s’élancent sur la foule et dévorent ou tuent cent vingt personnes.

Enfin, dans une dernière séance, le proconsul prononce la sentence : Heliconidem veneficam quœ deos nostros immortales comminuit et legibus imperatorum récusat parere, sententia nostra capite minuendam tradimus.

Elle est décapitée d’un seul coup, et de son corps mutilé du lait coule au lieu de sang.

Voilà l’histoire. Nous ne disons pas que c’est une pure fable. Nous en retiendrions volontiers plusieurs traits, soit dans l’édit, soit dans le fait de statues mutilées, soit dans la sentence capitale, où l’auteur a encore inséré un jeu de mots choquant. Mais ce martyre, s’il eut lieu, n’est pas de ce temps. Gordien et Philippe n’ont jamais été empereurs et consuls ensemble. Volontiers nous transporterions cette histoire en 257, sous le consulat des empereurs Gallien et Valérien. Par une erreur des compilateurs ou des copistes, l’expression consulibus Gallieno et Valeriano se serait transformée en consulibus Gordiano et Philippo. De pareilles erreurs sont fréquentes dans les pièces de cette sorte. Nul ne parle d’édit de persécution sous Gordien III ni sous Philippe. Il y en eut au contraire sous Gallien et Valérien, et plusieurs condamnations prononcées.

Sous le règne de Philippe pourtant, le sang des chrétiens coula à Alexandrie, non par les ordres du prince, mais par suite et au milieu d’une longue et violente émeute qui paraît avoir eu lieu a la fin de l’année 248 ou au commencement de la suivante.

On sait combien, à Alexandrie, les esprits étaient mobiles, crédules, faciles à émouvoir et à enflammer. Nulle part les rixes n’étaient aussi fréquentes que parmi cette population mêlée de gens de toute race, de tout métier et de toute religion. Grecs et Juifs étaient venus aux mains bien des fois. Voici comme un contemporain, Denis d’Alexandrie, raconte les faits :

Un méchant devin de carrefour, demi-poète et demi-charlatan, s’avisa d’ameuter la foule contre les chrétiens. Il leur persuada qu’ils feraient œuvre pie et agréable aux dieux s’ils les exterminaient. Il n’en fallut pas plus pour qu’on passât des paroles aux actes. On se jeta sur un vieillard nommé Métras, et on voulut le forcer à blasphémer, et comme il s’y refusait, on le frappa à coups de bâton ; on lui larda le visage et les yeux avec des roseaux pointus, et on finit par l’entraîner dans les faubourgs, où on le lapida. Puis on attrapa une chrétienne nommé Quinta ; on la traîna au temple pour qu’elle adorât l’idole. Elle refusa avec

[il manque ici la page 493 du livre]

pas peu. La discorde et la guerre civile firent ensuite diversion, et nous pûmes respirer[31].

Nous avons apparemment, dans ce récit de Denis d’Alexandrie, une image de ce qui s’était passé treize ans auparavant en Cappadoce, la première année du règne de Maximin, lors des tremblements de terre qui avaient désolé le pays. De pareilles scènes ne furent pas très rares sans doute dans les grandes villes. Les autorités n’y étaient pour rien, étaient tout aussi désarmées en face des tumultes populaires que devant les convulsions du sol et les coups de la peste. Philippe, en apprenant ce qui se passait à Alexandrie, dut lever les bras au ciel et gémir sur les tribulations de ses amis secrets. Ces explosions de fanatisme prouvaient bien que l’hostilité, les défiances et les haines continuaient à subsister parmi les masses contre les chrétiens ; que l’heure n’était pas venue pour un pouvoir sympathique de se déclarer et de couvrir de la protection de la loi une société contre laquelle l’opinion était si facile à soulever. Le mieux était d’attendre de l’avenir, des progrès du christianisme, de l’affaiblissement des croyances païennes et de l’adoucissement des mœurs, la paix des âmes, que nul édit à cette heure n’était capable d’opérer.

Il fallait peut-être aussi que le christianisme traversât encore plusieurs périodes de combat, non plus seulement contre la multitude déchaînée, mais contre le pouvoir même, pour que l’apaisement général se fit, que la pitié se substituât à la haine, l’estime au mépris même chez les indifférents, et qu’on vît bien que la force est impuissante pour étouffer la foi coalisée. On peut croire que le ferme espoir que le temps justifierait à la fin la religion nouvelle, et tôt ou tard assurerait son triomphe, consolait les frères éprouvés d’Alexandrie et l’empereur qui ne pouvait que les plaindre, et n’osait mettre son autorité à leur service. Cette autorité était d’ailleurs singulièrement précaire. On le vit quelques mois plus tard. Decius, que Philippe avait envoyé pour en finir avec une révolte dont il s’était troublé à l’excès, prit la pourpre. Philippe périt en soldat dans les plaines de Vérone, battu par l’usurpateur, et le jeune Philippe, qui n’avait pas treize ans, fut égorgé à Rome par les prétoriens, comme don de joyeux avènement au nouvel élu de la fortune.

Nous avons parcouru deux tiers de siècle depuis la mort de Marc-Aurèle jusqu’à la mort de Philippe l’Arabe, et étudié pendant cette longue période les rapports de l’Église et de l’État. A part les années de Septime Sévère, où, par fortune, l’empire trouva un homme, ce temps est pour le monde proprement romain un âge de fer. La décadence commence partout et se précipite. C’est le temps des grands jurisconsultes ; mais il semble que leur vraie mission serait d’écrire le testament et d’illustrer les funérailles de l’ordre civil. Les saines traditions du gouvernement suivies par les Antonins sont mises en oubli. Le sénat a perdu le reste de son prestige et de son autorité. Ce n’est plus que l’ombre d’un grand nom, un conseil qui tourne au vent des événements qu’il ne conduit plus, qui enregistre passivement les caprices des princes ou consacre les fantaisies des soldats. L’autorité s’est déplacée : elle est la où est la force brutale. Les prétoriens font et défont les empereurs. Le pouvoir souverain est à leur merci, à tel point qu’un beau jour ils le mettent aux enchères. Les plus étranges personnages défilent sur le trône : un prêtre syrien, un ancien berger de la Thrace, le fils d’un chef de brigands arabes. Tous les règnes se terminent en tragédies. Sur dix-huit empereurs, dix-sept périssent de mort violente. L’armée, la seule force restée debout et qui impose la crainte, sinon le respect, l’année voit tous les jours s’appauvrir dans ses rangs ce qui faisait son nerf : le sang romain, le sentiment du devoir et le patriotisme ; elle se recrute dans la lie des populations provinciales achetées ou pressées, s’emplit de barbares et d’officiers de fortune, ambitieux vulgaires, sans patrimoine et sans nom, plus soucieux de travailler pour eux-mêmes que pour l’État. Cependant les barbares pèsent sur toutes les frontières, se massent et s’organisent pour les rompre. L’indépendance administrative décroît dans les provinces ; les liens de la centralisation se tendent de plus en plus. Les honneurs municipaux, liés désormais à de lourdes obligations civiles et militaires, deviennent d’intolérables servitudes auxquelles on tente de se soustraire par tous les moyens.

Par contre, cet âge de fer pour l’État est un âge d’or pour l’Église, non que le naïf enthousiasme, le complet détachement et la divine pureté des sentiments y règnent comme dans ce premier âge, où les fidèles vivaient entre ciel et terre dans une atmosphère idéale. L’Eglise ne s’est que trop mondanisée. C’est une société dès lors assise, constituée, armée de tous les organes qui assurent un établissement définitif. L’ancien et pur esprit des premiers jours est devenu suspect à la majorité des frères et à ses chefs, est réputé nouveauté et esprit sectaire. Les aigres disputes ont commencé ; la lettre étouffe l’esprit ; la guerre des mots, le conflit des formules, la logomachie religieuse qui fleurira au IVe siècle est inaugurée : ce sont choses inhérentes à une société qui s’organise ; ce ne sont pas des fruits d’âge d’or. Mais pendant ces soixante-dix ans, la paix extérieure est l’état normal de l’Église. Malgré les préventions, qui déjà d’ailleurs vont s’affaiblissant, malgré les lois existantes qu’on laisse en général sommeiller, la communauté chrétienne n’est pas ou n’est qu’accidentellement et qu’exceptionnellement combattue par l’autorité publique. Sous Commode, si près qu’on y regarde, on ne trouve guère de condamnations judiciaires ni de violences foraines contre les fidèles. Le pouvoir amnistie même un groupe de déportés, ce qui, dans l’espèce, indique de la part du prince bonne volonté ou facile indifférence. Sous Septime Sévère, on parle d’une loi hostile promulguée contre les chrétiens, loi équivoque, d’un caractère plus préventif que répressif, et qui ne parait pas avoir été appliquée partout. La où elle est appliquée avec une certaine rigueur, comme en Afrique, la persécution est hésitante, coupée de longues trêves, procède par des exemples, et non par des poursuites poussées à fond et à des exécutions en masse.

Après Sévère, la tolérance est complète. Les princes syriens s’occupent de plaisirs, de guerre ou de règlements intérieurs. Élagabal accepterait bien le Dieu des chrétiens parmi les satellites de son dieu soleil. Il n’a nulle raison de vouloir du mal à des nouveautés religieuses, moins nouvelles à Rome que les siennes. Alexandre Sévère, par suite du courant d’idées ou des influences maternelles qu’il subit, est manifestement sympathique à l’Église et s’en cache à peine. Sous Maximin, une tentative de réaction se produit ; mais l’impopularité du nouveau prince l’énervé. L’Église est en fait plus menacée que sérieusement maltraitée. Avec Gordien III et Philippe, ce nuage se dissipe tout à fait. L’Église retrouve la pleine sécurité et peut-être la faveur sous un prince qui, sans l’avouer, est de cœur avec elle.

Pendant ces soixante-dix ans de tranquillité presque continue, l’Église a pris position partout. Elle est assez puissante, maintenant, dans un empire à demi-disloqué, changeant si fréquemment de mains, et que le malheur des temps va forcer a regarder surtout aux frontières, pour être a l’abri des coups de force et se croire désormais invincible, quoi qu’il arrive.

 

FIN

 

 

 



[1] Pendant que le clergé et les fidèles délibéraient, une colombe vint se poser, dit-on, sur la tête de Fabien, et ce prodige réunit tous les suffrages (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 20).

[2] Quem (Pontiunum) Fabianus adduxit cum clero per navim et sepelivit in cœmeterio Callisti via Appia. — Liber Pontificalis, dans Schelstrate, Antiq. ecclés. illust., t. I, p. 422. Cf. de Rossi, Rom. sotterranea, t. II, p. 73-80.

[3] Si quis in insulam deportatus vel relegalus fuerit pœna etiam post mortem manet, nec licet eum inde transferre alicubi et sepelire inconsulto principe, ut sœpissime Severus et Antoninus rescripserunt et multis petentibus hoc ipsum indulserunt. (Digeste, XLVIII, 24, 2.)

[4] Les pages suivantes, sous le titre : Le christianisme de l’empereur Philippe, ont paru dans la Revue archéologique, numéro de septembre 1880. On y trouvera ici quelques modifications.

[5] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 10.

[6] Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 34.

[7] De S. Babyla adv. Jul. et Gent., S. Chrys., Op., t. II, p. 470.

[8] Trois mémoires relatifs à l’histoire ecclésiastique des premiers siècles, in-8°, 1840, p. 286 et suiv.

[9] Chronique Pasc., édit. reg., p. 270.

[10] C’est sans aucune bonne raison que Baronius (Ann. ecclés., ann. 244) suppose que Philippe se fit chrétien après la célébration des jeux séculaires.

[11] G. Haenel, Corp. leg. ab imp. Rom. ante Justin. latarum ; Index legum, p. 14, à l’année 244. Cod. J., De collat., 8, 20, dat. VII kal. mart., dern. loi de Gordien. C. J., De transact., 4 prid. kal. april., première loi indiquée sous le nom de Philippe.

[12] Eusèbe, Chr. canon., lib. II, éd. Ang. Mai, et J. Zohrab, p. 391.

[13] S. Jérôme, De vir. illustrib., art. Origène ; id., Chronique, éd. Seal, pages 174-175.

[14] Orose, Hist., cap. XX.

[15] Vincent. Lirin., Common., éd. Baluz., p. 343.

[16] Quam opinionem de conversione Philippi ad fidem nostram ab Eusebio hauserant Paulus Orosius et Vincentius Lirinensis, et ante illos divus Hieronymus. (Ann. ecclés., t. II, p. 620.)

[17] Tillemont, Hist. des empereurs, t. III, p. 644.

[18] Tôchon d’Annecy, Mémoires sur les médailles de Marinus frappées à Philippopolis, in-4°. Paris, 1817. Cf. Waddington, Mémoire sur les médailles de Marin et de Pacatien, dans la Revue numismatique, nouv. sér., t. X, année 1865, p. 59-64.

[19] Cohen, Dictionnaire des monnaies de l’empire romain, t. IV, pp. 175 et suiv.

[20] Voir Cohen, Descript. des monn. de l’emp., t. VI, pages 94 et suiv. Cf. Cavedoni, Ricerche critiche intorno aile medaglio de Costantino Magno, Modène, 1858.

[21] Ambo deinde ab exercitu interfecti sunt ; senior Philippus, Veronœ, Romœ junior. Inter divos tamen relati sunt. (Eutrope, Breviar. hist. Rom., IX, 3.)

[22] His imperantibus (Philippis duobus), millesimus annus Romœ urbis ingenti ludorum apparatu spectaculorumque celebratus est. (Eutrope, Breviar. hist. Rom., IX, 3.)

[23] Adeo severi et tristis animi (Philippus junior), ut jam tum a quinquennii ætate nullo prorsus cujusquam commenta ad ridendum solvi potuerit ; patremque ludis sœcularibus petulantius cachinnantem, quanquam adhuc tener, vultu notaverit aversato. (Aur. Victor., Epitomé, 28.)

[24] Vincent. Lirin., Commonit., loc. cit.

[25] Διά τήν Φιλίππου περί πάντα έκμελείαν. Zosime, Hist. nov., I, éd. d’Oxf., p. 22.

[26] Usum virilis scorti removendum honestissime contultavit. (Aurelius Victor, De Cæsar, 28.)

[27] Habuit in animo (Alex. Severus) ut exoletos vetaret, quod postea Philippus fecit. (Larnpride, Alex. Severus, 24. Cf. ibid., 39.)

[28] Baronius, dans ses Ann. ecclés., met le martyre d’Héliconis, qu’il appelle Helconis, en 241, sous Gordien III, sans donner de raison du choix de cette époque.

[29] Lucianus et Paulus qui sunt in Asia et Phrygia Ponto et Pamphylia ejusdem nobiscum fidei agentibus vocatis fratribus salutem. (Boll., Mai, t. VI, p. 738.)

[30] Voici cet édit en forme de lettre : Pii ac semper propugnatores Augusti terrœ marisque domini Philippus et Gordianus imperatores omnibus deorum cultoribus et defensoribus gratiam et salutem. Quoniam nonnulli reperiuntur qui terram universam quo’ nostra potenti dextera velut avium nidus continetur, factionibus commovent, eam ob rem, nostra hoc mandat Majestas ut generis istius hominibus, nec terra nec mare ullas latebras prœbeat, sed ad splendidissimum supremumque imperii nostri thronum adducantur manifesti et convenientem pertinaciœ suœ pœnam tandem persolvant. Valcte amantissimi et genuini œternorum et immortalium deorum cultores. (Boll., Act. Sanct., Mai, t. VI, p. 738.)

[31] Denis d’Alexandrie, cité par Eusèbe. (Hist. ecclés., VI, 41.)