HISTOIRE DE L’INQUISITION

 

CHAPITRE XXIII.

Conclusion.

 

 

Faut-il vraiment une conclusion à ce livre ?

Elle est écrite à chacune de ses pages, et le lecteur saura bien la tirer lui-même.

Pendant quatorze siècles, la société, mise en coupe réglée, a vu périr les meilleurs, les plus énergiques de ses enfants, — tous ces génies porte-flambeaux qui pouvaient la guider et l’éclairer, la mener au bonheur par le progrès, par la guerre contre le préjugé, la routine et l’ignorance.

Pendant quatorze siècles, tous ceux qui voulurent penser par eux-mêmes, tous ceux qui découvrirent une vérité nouvelle, tous ceux qui dressèrent un front orgueilleux au-dessus de la masse, tous ceux qui parlèrent, — à cette masse enchaînée, — de liberté, de droit, de justice, de dignité, tous ceux qui l’appelèrent à l’indépendance, réformateurs, philosophes, savants, lettrés, révolutionnaires de tous les temps, messies de la vérité humaine, — tous ceux-là furent mis à mort.

Pendant quatorze siècles, il ne resta de vivant que les lâches, les silencieux, les indifférents ou les abrutis. On est effrayé, on est saisi d’une immense douleur et d’une pitié profonde, quand on songe à tout ce sang héroïque versé, à toutes ces nobles paroles étouffées sous le bâillon, à toutes ces belles intelligences supprimées par la force, à tous ces grands génies fauchés sur l’ordre d’un clergé fanatique, donnant blanc-seing de violence et de meurtre aux brigands couronnés de l’Europe, tandis qu’il enseignait la soumission aux victimes et prêchait la résignation aux vaincus.

S’est-on demandé ce que serait devenu le monde, si tous ces sauveurs, si tous ces chefs par droit de génie de l’humanité avilie, étouffée, abâtardie, avaient pu jeter dans l’air le : Sursum corda ?

Et faut-il s’étonner de toutes ces défaillances, de tous ces tâtonnements qui nous affligent et nous font parfois douter de l’avenir, lorsqu’on se rappelle que tout ce qui fut noble, fier, grand, élevé par le cœur, élevé par le cerveau, a péri misérablement ?

A force de tuer les hommes, on tue les idées. Les dragonnades et les persécutions ont supprimé le protestantisme en France, en Espagne, eu Italie.

L’échafaud a tué la Révolution française le jour où, cessant de faucher seulement les ennemis de la Révolution, pour abattre à leur tour les têtes de ses meilleurs fils, il l’a livrée, — veuve de ses Girondins et de ses Montagnards, de ses Danton, de ses Robespierre, de ses Saint-Just, de tous ses géants, de tous ses voyants, — exsangue et sans vigueur désormais, — à la merci du premier soldat sans scrupule.

Nous pouvons conclure de la partie au tout, du petit au grand, et dire hardiment que les persécutions religieuses, les flots de sang versé par le fanatisme, ont abâtardi la race humaine entière, suspendu la marche de la civilisation, dévoyé pour plus de deux mille ans, — depuis le jour où s’est jouée la tragédie du Golgotha, — l’évolution logique et splendide de l’homme en possession de lui-même.

 

FIN DE L'OUVRAGE