Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle

CHAPITRE VIII — LA PERSÉCUTION DE DÈCE EN AFRIQUE.

 

 

I. — La promulgation de l’édit à Carthage.

Depuis la mort de Fabien jusqu’à l’élection de Corneille, la communauté chrétienne de Rome, bien que privée de chef, donna le spectacle de la discipline et de l’union. L’esprit modéré, pratique, le sens du gouvernement, si remarquable chez les papes de ce temps, avait, en quelque sorte, passé dans le collège presbytéral qui gérait pendant la vacance du siège les affaires religieuses, et les fidèles persécutés s’étaient montrés dociles à cette sage direction. Sans doute les chutes avaient été nombreuses, mais nombreux aussi furent les martyrs et les confesseurs, et ces derniers n’essayèrent pas d’empiéter sur le gouvernement des consciences, d’imposer leurs décisions au clergé : ils se montrèrent presque toujours modestes et ne furent point un embarras pour l’Église. Les païens de Rome semblent avoir assisté en curieux plutôt qu’en acteurs passionnés à la guerre déclarée par le gouvernement à la société chrétienne : les documents contemporains ne mentionnent aucune émotion populaire ni pour ni contre les fidèles : aux yeux de la population romaine, il y a là une affaire tout administrative, qui ne la touche pas, et dont elle n’a pas à se mêler.

Tout autre fut l’aspect de l’Église d’Afrique pendant la même période. On se tromperait beaucoup en assimilant aux Romains d’Europe les habitants les mieux romanisés de la province proconsulaire, de la Numidie ou de la Mauritanie. Le vieux fond berbère et punique, sensuel, subtil, sauvage, demeurait sous la couche uniforme de civilisation que Rome conquérante avait répandue le long des rivages africains[1]. Le peuple était resté grossier et sanguinaire, toujours prêt à se lever pour l’émeute. Le scepticisme poli de Rome ne l’avait pas atteint : il adorait ses dieux indigènes avec la naïveté d’autrefois ; il détestait les chrétiens, croyait aux calomnies débitées jadis sur leur compte et auxquelles personne n’ajoutait plus foi de l’autre côté de la ruer ; sa superstition leur imputait tous les fléaux, pestes, famines, invasions de sauterelles, qui trop souvent, dans ce climat de feu, ravageaient les campagnes ou dépeuplaient les villes. Les chrétiens eux-mêmes avaient leur physionomie particulière. Ils étaient sans cesse portés à se diviser : les Actes de sainte Perpétue montrent des dissensions existant dès le temps de Septime Sévère entre l’évêque de Carthage et une partie de son clergé, les fidèles se prononçant, et l’église transformée en une sorte de cirque, où des factions diverses se disputent le pouvoir[2]. Dans un tel milieu, les thèses excessives, le faux rigorisme, l’orgueil doctrinal toujours prêt à se séparer et à maudire, se développaient avec une facilité extraordinaire. Tertullien semble l’incarnation de cet esprit, mais d’autres lui ressembleront, et c’est d’Afrique que partira Novat. On comprend l’effet que dut produire sur tout ce monde agité la soudaine persécution de Dèce. Elle déchaîna les passions de la foule païenne, et suscita parmi les fidèles d’admirables héros ; mais en même temps elle amena des chutes innombrables, et favorisa chez beaucoup de ceux qui étaient restés debout, stantes, les sentiments d’orgueil, les idées d’indépendance. L’Église de la métropole africaine eût eu peine à surmonter cette crise si l’évêque Cyprien, héritier des traditions romaines, bien qu’originaire de Carthage, n’avait, du fond de sa retraite, dompté cette cavale rétive, qui, tenue par une main moins ferme, se serait peut-être jetée d’un bond dans l’apostasie ou la révolte.

La publication de l’édit de Dèce fit sur la population chrétienne de Carthage, amollie par une longue paix, l’effet d’un coup de foudre. Dans les précédentes persécutions, chacun pouvait conserver l’espoir d’échapper à l’obligation de confesser sa foi. Au deuxième siècle, une accusation privée était nécessaire pour qu’un chrétien fût déféré aux tribunaux ; sous Septime Sévère, puis sous Maximin, les poursuites furent dirigées par l’autorité publique, mais elles n’atteignirent en général que les plus en vue, et la masse obscure de la population, les humbles, les petits, ne furent qu’accidentellement traduits en justice, quand une circonstance particulière attirait sur eux les regards des magistrats. Sous Dèce, la persécution était vraiment universelle et prenait tous les chrétiens pour les détruire, comme d’un seul coup de filet. C’est en Afrique, et particulièrement à Carthage, qu’on peut le mieux s’en rendre compte, grâce aux écrits de saint Cyprien. Un délai avait été fixé, pendant lequel chacun était mis en demeure de déclarer sa foi[3]. A l’expiration de ce délai, tous ceux qui n’auraient pas fait acte de paganisme seraient considérés comme chrétiens et, en cette qualité, exposés aux poursuites[4]. Personne, semble-t-il, ne pouvait échapper ; la population entière était mise à l’épreuve ; c’était une sorte de dénombrement et de recensement universel, où l’administration comptait les âmes et, sur un registre tenu en partie double, inscrivait les consciences.

On ignore si le proconsul était présent à Carthage pendant cette première phase, cette sorte de préface de la persécution[5]. Sa présence, à la rigueur, n’était pas nécessaire : l’épreuve fut dirigée parles magistrats municipaux, duumviri, auxquels on adjoignit soit immédiatement, soit plus tard, quelques citoyens notables[6]. Il est probable que la population entière fut invitée à sacrifier pour le salut de l’Empire, à prendre part à quelque supplicatio solennelle. Le lieu du rendez-vous était le Capitole[7]. Carthage et plusieurs villes d’Afrique[8] possédaient, comme toutes les cités portant le titre de colonies romaines[9], un temple de ce nom, consacré au culte de Jupiter, de Junon et de Minerve, ordinairement situé sur une éminence dominant le forum. A Carthage, le temple s’élevait sur la colline de Byrsa[10], qui présentait de grandes analogies avec le mont Capitolin de Rome, et, dominant la mer, se dressait comme une acropole naturelle, que l’homme n’avait pas eu besoin de fortifier pour la rendre imprenable[11]. A ses pieds, le forum, incendié sous Antonin le Pieux[12], puis rebâti, étalait l’éclat de ses édifices et de ses colonnades, encore dans toute leur fraîcheur de constructions nouvelles[13]. Chaque matin, jusqu’à l’expiration du délai, sur la colline sacrée s’alluma le feu des sacrifices[14]. Les riches amenaient soit des chèvres ou des brebis (hostia), soit des bœufs (victima)[15]. Les pauvres se contentaient sans doute de jeter de l’encens sur l’autel[16]. Tous, portant sur la tête un voile et une couronne[17], prononçaient une formule de prière, dans laquelle le Christ était maudit[18]. L’après-midi, ceux qui avaient ainsi adoré les dieux participaient d’une autre manière au sacrifice : soit dans les grandes salles destinées aux repas et situées, avec les cuisines, dans les dépendances du temple, soit sous les vastes portiques qui l’entouraient, sur l’esplanade qui s’étendait devant lui, ou dans les espaces ouverts du forum, des tables étaient dressées, chargées de la viande des victimes immolées ; la coupe des libations passait de main en main[19]. Après cette communion païenne, le sacrilège était consommé : on avait mangé les viandes consacrées aux démons, peut-être parodié les rites eucharistiques ; il n’y avait plus de chrétien.

Le nombre des apostats fut immense. Jamais l’Église n’avait eu à pleurer sur tant de défections. Dans les persécutions précédentes, plus d’un chrétien avait renié sa foi, mais il avait apostasié en présence du tribunal, devant le magistrat menaçant, à la vue des instruments de supplice, ou même le corps déjà brisé par la torture[20]. Sa faiblesse était coupable, mais au moins elle avait été précédée d’un essai de résistance. Il n’en est plus ainsi. Avant tout procès, sur une simple invitation de l’autorité, les chrétiens se présentent en masse devant les autels des dieux[21]. La peur, l’ignoble peur, est maîtresse des âmes. Les magistrats païens sont étonnés d’une si prompte obéissance. On les voit remettre au lendemain des chrétiens trop pressés d’abjurer[22]. Ils semblent écœurés au spectacle des longues processions qui traversent le forum[23], montent les degrés du Capitole[24], avec des fleurs, des victimes, de l’encens : riches citoyens suivis d’esclaves, d’affranchis et de colons[25] ; parents amenant leurs petits enfants[26] ; maris traînant de force leur femme qui ne veut pas les suivre[27] ; tous s’exhortant, se poussant les uns les autres[28], comme si la lâcheté était moins grande quand elle était partagée, l’apostasie moins honteuse quand elle avait beaucoup de complices. On vit de navrants épisodes. Ici, c’est une famille divisée, le fils, le frère jetés en prison, la mère et la sœur allant sacrifier[29]. Ailleurs, c’est une femme menée au temple malgré elle : son mari, ses parents tiennent ses mains, lui font jeter de l’encens sur l’autel ; la malheureuse se débat en criant : Ce n’est pas moi, c’est vous qui l’avez fait[30]. Un jeune couple chrétien avait fui, laissant à la maison une petite fille : la nourrice la porte au temple, et, comme elle ne mangeait pas encore de viande, lui fait avaler un peu de pain trempé dans le vin consacré aux idoles[31]. Mais le plus triste fut de voir des membres du clergé mêlés aux apostats. A Carthage, il y eut beaucoup de prêtres parmi les lapsi[32]. A Saturnum, autre ville de la province proconsulaire, l’évêque Repostus conduisit lui-même au temple une partie de son peuple[33]. L’évêque d’Assur, Fortunatus[34], et deux autres prélats africains, Jovinus et Maxime, dont les sièges sont inconnus, eurent aussi la faiblesse de sacrifier[35].

Plus d’une fois les apostats furent terrifiés et les fidèles avertis par des signes éclatants de la colère divine. L’un, après avoir prononcé l’oraison sacrilège, était subitement frappé de mutisme[36]. Une femme qui avait renié le Christ était prise, au bain, de douleurs violentes, et, dans sa folie, mordait la langue qui avait touché les viandes profanes et injurié son Dieu : elle mourut bientôt dans d’horribles souffrances[37]. Beaucoup, bourrelés de remords, tombaient dans le désespoir, devenaient démoniaques ou fous[38]. Quelques-uns, croyant avoir échappé à l’attention de leurs coreligionnaires, essayaient de se glisser encore parmi eux après l’abjuration, prétendaient même participer aux sacrements. Une main invisible s’abattait sur eux. Une jeune fille qui a sacrifié expire après avoir reçu l’eucharistie[39]. Une renégate voit sortir du feu du coffre où elle conservait le saint Sacrement[40]. Un apostat reçoit, selon l’usage, le pain eucharistique dans sa main, et, au moment de le consommer, ne trouve plus qu’une poignée de cendres[41]. Même le pauvre petit enfant, dont une nourrice avait souillé les lèvres du vin idolâtrique, ne peut plus boire au calice sacramentel, et rejette avec des vomissements le sang du Sauveur[42]. Ces exemples, rapportés par le mieux informé des contemporains, l’évêque de Carthage lui-même[43], durent frapper de terreur les chrétiens, et peut-être arrêter au bout de quelque temps le cours des apostasies ; mais le nombre de celles-ci était déjà très grand : beaucoup de familles chrétiennes restaient en proie au remords, à la honte ; la cause de bien des divisions, de bien des déchirements était posée pour l’avenir.

Ces apostats du premier degré, sacrificati, thurificati[44], n’étaient pas les seuls dont l’Église eût à rougir. De faibles chrétiens essayèrent, au moyen d’une transaction, de se faire passer comme avant obéi aux ordres de l’empereur, tout en s’abstenant en réalité des sacrifices commandés. Soit par faveur, soit à prit d’argent, ils obtenaient d’être inscrits sur la liste de ceux qui avaient sacrifié et recevaient en échange un certificat, une sorte de billet de confession païenne, qui les mettait à l’abri des poursuites. Ordinairement ces libellatiques comme on les appela[45], s’étaient présentés en personne devant le magistrat, qui se contentait de leur déclaration, sans les obliger à faire un acte formel d’idolâtrie ; quelquefois même l’inscription était faite et le billet leur était remis sur leur demande, sans qu’ils eussent besoin de comparaître. Cette conduite était certainement répréhensible : comme le disait le clergé, de Rome dans une lettre à saint Cyprien, c’est être criminel que de se faire passer pour apostat, alors même qu’on n’a pas apostasié[46]. Cependant les libellatiques étaient moins coupables que les apostats proprement dits : avec la précision habituelle de son esprit, saint Cyprien savait distinguer entre les uns et les autres. Entre les apostats eux-mêmes, sa charité reconnaissait des nuances : il jugeait différemment celui qui, à la première injonction, vola au-devant d’un sacrifice impie, et celui qui n’accomplit un acte si funeste que par contrainte et après une longue résistance ; celui qui obligea sa famille, ses amis, ses colons à sacrifier, et celui qui sacrifia seul pour en dispenser les siens[47]. A plus forte raison mettait-il les libellatiques dans une catégorie à part. Puis donc que l’on doit distinguer entre ceux-là même qui ont sacrifié, il y aurait une dureté et une injustice révoltantes à confondre les libellatiques avec ces derniers. J’avais lu, vous dira celui qui a reçu l’un de ces billets, les instructions de l’évêque, elles m’avaient appris qu’il est défendu de sacrifier aux idoles, et qu’un serviteur de Dieu ne doit pas adorer des simulacres. Voilà pourquoi, afin de m’épargner un crime, et profitant d’une occasion que je n’aurais jamais cherchée, si elle ne s’était offerte, j’allai trouver le magistrat, et je lui déclarai moi-même ou par un intermédiaire que j’étais chrétien, qu’il ne m’était pas permis de sacrifier, que je ne pouvais pas me présenter devant les autels du démon, et que j’offrais de l’argent pour en être dispensé[48].

 

II. — Les martyrs, les bannis et les fugitifs.

Tel est le langage de saint Cyprien, raisonnable, modéré, humain ; mais probablement ne parla-t-il avec cette netteté que la crise finie, quand il s’agit d’établir et de peser toutes les responsabilités et de reconstituer les cadres à demi rompus de l’Église : tant que dura la période aiguë de la persécution, il se borna sans doute à conseiller uniformément ce qui était le devoir strict, la résistance. Celle-ci avait deux formes : on pouvait refuser de sacrifier, et attendre intrépidement chez soi le martyre ; on pouvait se dérober et au sacrifice et au martyre par la fuite. Le premier parti fut pris par un grand nombre d’héroïques chrétiens.

Dès le mois de janvier, des chrétiens qui ne s’étaient pas présentés au temple clans le délai fixé, ou qui avaient publiquement déclaré qu’ils ne se présenteraient pas, furent mis en prison. Le proconsul, nous l’avons dit, était peut-être absent ; mais l’autorité des officiers municipaux suffisait sans doute, aux termes de l’édit[49], pour ordonner l’incarcération provisoire. D’ailleurs, à leur défaut, le peuple impatient se serait chargé de le faire. A la suite d’une émeute, le vieux prêtre Rogatianus, et un laïque nommé Felicissimus, furent saisis et jetés en prison[50] ; beaucoup d’autres, clercs, laïques, femmes même et enfants, y furent envoyés à leur suite[51]. On sait ce qu’étaient les prisons romaines et la terreur qu’elles inspiraient aux natures délicates. Ténèbres, saleté, promiscuité de toute sorte[52], grossièreté des geôliers et des soldats, froid glacial ou chaleur insupportable, manque de nourriture, tous les tourments y étaient réunis. Celles de Carthage étaient depuis longtemps redoutées des chrétiens[53]. Une seule consolation restait aux captifs : ces lieux de souffrance s’ouvraient facilement, quand on y mettait le prix. Toute cette histoire donne une idée peu avantageuse des mœurs administratives des Romains. On a vu tout à l’heure des chrétiens peureux achetant des duumvirs des certificats constatant de fausses apostasies ; nous voyons maintenant — et ce n’est pas la première fois — les fidèles corrompant les geôliers et obtenant d’eux la permission de pénétrer près des captifs. Tantôt un prêtre vient, accompagné d’un diacre, célébrer le saint sacrifice dans la prison et distribuer aux martyrs le pain céleste[54] ; tantôt des personnes charitables leur portent la nourriture matérielle nécessaire pour soutenir leurs forces épuisées, ou les vêtements dont ils ont besoin[55]. Saint Cyprien est obligé de recommander aux visiteurs de ne pas venir en trop grande foule, afin de ne pas attirer les soupçons[56]. L’argent de la caisse ecclésiastique était employé à l’assistance des captifs ; c’était un de ses objets essentiels[57], et l’évêque de Carthage avait pris des mesures pour assurer les ressources suffisantes[58]. Malgré tant de soins, l’incarcération prolongée fut mortelle a quelques-uns : Fortunio, Victorinus, Victor, Herennius, Credula, Herena, Donatus, Firmus, Venustus, Fructus, Julia, Martial, Ariston périrent de faim en prison[59]. Nous les suivrons bientôt, ajoute l’auteur de la lettre qui nous apprend la fin glorieuse de ces détenus, car depuis huit jours nous venons d’être remis au cachot. Auparavant, on nous donnait tous les cinq jours un peu de pain et de l’eau à volonté[60]. Depuis huit jours les survivants étaient donc entièrement privés de nourriture. C’est d’une main sans doute défaillante que le confesseur Lucien écrivit ces nouvelles à son correspondant de Rome. Et cependant, à cette époque, la peine de l’emprisonnement avait été abolie, et le droit romain ne reconnaissait que la prison préventive[61] !

Au moment où se passaient les scènes que nous venons de rappeler, l’instruction criminelle, que les magistrats municipaux n’avaient pu commencer, se poursuivait parles soins du proconsul : on peut fixer au mois d’avril 250 le moment où les documents laissent apercevoir son intervention[62]. Depuis cette date jusqu’à la fin de l’année, les procès se succédèrent presque sans relâche, procès insidieux, où, à la suite d’une torture demeurée sans effet, le confesseur était ramené en prison, pour en être extrait de nouveau après quelque temps : on ne se hâtait pas d’arriver au dénouement, on le reculait au contraire le plus loin possible ; mais par les tourments, par les menaces, par la fatigue d’une instruction criminelle toujours continuée, jamais finie, par l’ennui, les dégoûts et les souffrances de la prison, par les rigueurs de la mise au secret, par une obsession continuelle, le proconsul se flattait d’user la résistance, et de faire tomber le chrétien avant le martyre, comme un voyageur à bout de force tombe sur la route au moment de toucher au terme. Plus d’une fois ce calcul réussit. Saint Cyprien, dont les jugements sont empreints de tant de mansuétude et de mesure, et donnent vraiment une grande idée de la casuistique de ce temps-là, plaint ceux qui succombèrent dans ces conditions, les distingue avec soin des lâches qui abjurèrent spontanément, et se montre facile à leur pardonner. Tel fut le cas de Ninus, de Clementianus et de Florus. Arrêtés au début de la persécution, ils avaient été amenés devant les duumvirs, et là, méprisant les menaces des magistrats, dédaignant la colère du peuple, ils avaient confessé le Christ[63]. Après une longue détention, ils furent enfin conduits au proconsul. Mis plusieurs fois à la torture, devant le représentant irrité de Rome, en présence du peuple furieux, ils finirent par céder[64]. Malgré leur ardent désir de la mort, on n’avait pas voulu les tuer, et, lentement, par des tourments sans cesse répétés, on n’avait point vaincu leur foi, demeurée invincible, on avait contraint leur chair infirme de succomber à la fatigue[65]. Heureux ceux dont la force d’âme résistait à une telle épreuve, et qui, comme le jeune Aurelius, après avoir une fois soutenu l’assaut des magistrats municipaux, bravaient dans une seconde comparution le proconsul en personne, supportaient les tortures, et, renvoyés en prison, voyaient la persécution finir, sans avoir faibli[66] ! Plus heureux encore ceux dont le corps débile ne pouvait résister à la question, et qui mouraient après l’avoir subie, comme Paul[67], Fortunio[68], Bassus[69], Mappalique et ses compagnons ! Quand ces derniers comparurent devant le proconsul, les tourments les plus raffinés furent mis en œuvre pour les contraindre à l’abjuration. On lacéra leur corps avec des ongles de fer, déchirant les entrailles, renouvelant les mêmes blessures, torturant non plus les membres, mais les plaies vives[70]. Le sang coulait à flots : la parole des martyrs n’en était pas moins libre, ni leur contenance moins fière[71]. S’adressant au proconsul : C’est demain, s’écria Mappalique, c’est demain que vous verrez le combat ![72] Le lendemain, en effet, eut lieu le combat suprême : les bourreaux redoublèrent leurs efforts, et les martyrs, expirant au milieu des tortures, reçurent la couronne céleste[73]. La foule elle-même, si hostile à Carthage aux disciples du Christ, avait plusieurs fois témoigné son admiration[74].

Qu’on le remarque bien, c’est à la suite de la torture que périrent ces martyrs : la sentence capitale n’avait pas été prononcée ; jusqu’à la fin le proconsul aurait espéré triompher du courage des saints, et leur arracher une parole d’apostasie. Telle était la politique de l’empereur et de ses agents. Aucune haine ne les animait contre les chrétiens : ils ne versaient pas le sang par fanatisme ou par colère, mais pour intimider les courages, triompher des volontés les plus fermes, et ravir des âmes au Christ. Plus d’une fois la foule s’irrita de lenteurs calculées de la répression, et, incapable de comprendre ce qu’elles avaient d’insidieux et de redoutable, devança les sentences des magistrats. Carthage fut un jour témoin d’une horrible scène. Le peuple se rua sur un groupe de fidèles, les sommant d’abjurer. Soutenus par les exhortations d’un d’entre eux, Numidicus, ils refusèrent courageusement. Le fanatisme populaire les condamna et les exécuta sur-le-champ. Les uns furent lapidés, les autres brûlés : atteint par les pierres, ses vêtements en feu, Numidicus continuait à prêcher la résistance, et, l’œil brillant d’une joie sublime, regardait sa femme brûlée vive à ses côtés. Laissé pour mort avec les autres, il fut ; le lendemain, retrouvé par sa fille sous les pierres et les cadavres il respirait encore ; on le ranima[75]. Quelque temps après, saint Cyprien annonçait au clergé et au peuple, par une lettre triomphante, l’élévation de ce héros au sacerdoce.

On vient de voir en action les sentiments haineux de la foule à l’égard des chrétiens. Pour que le tableau soit complet, il convient d’ajouter que, même à Carthage, la patience des martyrs produisait quelquefois sur les spectateurs une impression profonde : les esprits sérieux en restaient frappés et se demandaient quelle était cette religion qui apprenait aux hommes à surmonter les plus cruelles douleurs, les plus déchirantes séparations, et les soutenait par la certitude de récompenses éternelles. Quelquefois, autour du chevalet sur lequel un chrétien était étendu, pendant que crépitait sous les lames ardentes sa chair brûlée[76], d’étranges dialogues s’échangeaient entre les spectateurs. Un contemporain, témoin des scènes sanglantes de la persécution de Dèce, adressait de Carthage aux confesseurs de Rome Moise et Maxime un traité de la Gloire des martyrs. Je l’ai bien comprise, dit-il, un jour que des mains cruelles déchiraient le corps d’un chrétien et que le bourreau traçait de sanglants sillons sur ses membres lacérés. J’entendais les conversations des assistants. Les uns disaient : Il y a quelque chose, je ne sais quoi, de grand à ne point céder à la douleur, à surmonter les angoisses. D’autres ajoutaient : Je pense qu’il a des enfants. Une épouse est assise à son foyer. Et cependant ni l’amour paternel, ni l’amour conjugal n’ébranle sa volonté. Il y a là quelque chose à étudier, un courage qu’il faut scruter jusqu’au fond. On doit faire cas d’une croyance pour laquelle un homme souffre et accepte de mourir[77]. Les gens qui parlaient ainsi n’étaient plus de simples curieux : un travail se faisait dans leur âme et le sang du martyr, selon le mot de l’apologiste, semait en eux le chrétien.

Le proconsul ne prononçait pas seulement des sentences de mort ; un grand nombre de chrétiens furent condamnés au bannissement, ou, pour employer l’expression juridique, à la relegatio. Il y avait plusieurs sortes de relégations, mais l’une d’elles seulement pouvait être prononcée par un gouverneur. C’était l’interdiction de résider clans la province[78]. Ce châtiment n’était pas compté parmi les peines capitales entraînant la perte des droits de cité[79] ; il n’avait même pas, en règle générale, pour corollaire la confiscation des biens[80], et, dans les cas exceptionnels où cette aggravation accessoire était prononcée par la loi, la confiscation n’atteignait jamais la totalité de la fortune[81]. Mais, pour les chrétiens, les conséquences de la relégation avaient été considérablement étendues par l’édit de Dèce. Comme les peines capitales, elle entraînait la perte totale du patrimoine, dévolu au fisc. Les magistrats municipaux avaient même reçu le droit. de la prononcer ; une lettre déjà citée de saint Cyprien nous apprend que le confesseur Aurelius fut exilé par eux[82]. Il est question ailleurs des exilés chassés de la patrie et privés de tous leurs biens[83]. Un de ces groupes de bannis, au nombre de soixante-cinq (deux seulement sont connus, Statius et Severianus), vint d’Afrique à Rome ; des femmes chrétiennes de cette ville qui avaient eu le malheur de sacrifier coururent, pleines de repentir, les recevoir aux bouches du Tibre, et, depuis ce temps, ne cessèrent de les assister[84]. Deux autres exilés de Carthage sont connus : Sophronius et Repostus[85]. Enfin, on a les noms d’un prêtre de cette ville, Félix, de sa femme, Victoria, et d’un laïque, Lucius, qui, ayant d’abord failli, furent, nous ne savons pourquoi, soumis à une nouvelle épreuve, se rétractèrent courageusement et furent condamnés à la relégation ; le fisc s’empara de tous leurs biens[86]. Cette femme dont nous avons déjà parlé, Bona, que son mari et ses proches avaient contrainte à sacrifier, fut également punie de l’exil pour avoir protesté contre la violence qui lui était faite et déclaré qu’au fond du cœur elle n’avait pas consenti au sacrilège[87].

A côté de ces bannis par sentence, il y eut un grand nombre de bannis volontaires. Ceux-ci, à leur manière, confessaient le Christ, car la fuite d’un chrétien entraînait de droit la confiscation, aux termes de l’édit. Celui, dit saint Cyprien, qui, abandonnant ses biens, s’est retiré parce qu’il ne voulait pas renoncer Jésus-Christ, l’aurait sans doute confessé, s’il eût été pris comme les autres[88]. La situation des fugitifs était plus dure encore que celle des bannis. Ces derniers, protégés par la sentence même qui les condamnait, pouvaient s’éloigner librement et sans doute n’étaient pas traduits de nouveau devant les tribunaux, puisqu’une peine les avait déjà frappés : il y avait chose jugée à leur égard. Les autres vivaient dans des transes continuelles ; ils pouvaient à chaque instant être arrêtés ; ils avaient fui à la hâte, oubliant quelquefois dans leur maison ce qu’ils avaient de plus précieux[89]. Maintenant, ils erraient dans la solitude et les montagnes, à la merci des brigands, des bêtes féroces, exposés à la faim, à la soif, au froid[90], ou, pour mettre la mer entre eux et leurs persécuteurs, ils s’embarquaient au hasard, sur le premier navire venu[91]. Aussi ne s’étonne-t-on pas que saint Cyprien, après avoir placé au premier rang la confession de ceux qui proclamaient devant les juges leur foi au Christ, mette immédiatement à la suite le courage de ceux qui ont tout quitté, famille, repos, fortune, pour fuir les occasions de la renoncer[92].

 

III. — La question des tombés.

Saint Cyprien avait lui-même, dès le commencement de la persécution, cherché le salut dans la fuite, comme plusieurs des plus saints évêques de ce temps, parmi lesquels Denys d’Alexandrie et Grégoire le Thaumaturge[93]. Il n’avait point pris sans hésitation ce parti : l’ordre direct de Dieu, dit-il dans une de ses lettres, put seul l’y décider[94]. On croit volontiers que le premier mouvement de ce prélat énergique et fier, que nous verrons, quelques années plus tard, affronter deux fois le proconsul avec une calme intrépidité, avait été d’attendre le bourreau sur place, et, pour ainsi dire, sur le siège épiscopal. Mais on comprend aussi qu’un homme de gouvernement tel que Cyprien, connaissant le fort et le faible de son Église, les divisions de son clergé, la mollesse d’un grand nombre de fidèles, ait résolu, après réflexion, de chercher une retraite d’oit il pût continuer à diriger les intérêts que Dieu lui avait confiés. Le devoir du général n’est pas toujours de faire le soldat et d’exposer sa vie dans la mêlée, au risque de laisser l’armée sans chef capable de diriger le combat.

Dès la publication de l’édit, le peuple de Carthage, qui connaissait l’influence, l’autorité de Cyprien, et prévoyait qu’il allait être l’âme de la résistance, avait, à plusieurs reprises, demandé sa mort. Dans l’amphithéâtre, au forum, partout où la foule élevait la voix, retentissait le cri : Cyprien au lion ![95] Le martyre était tout près, frappait, pour ainsi dire, à sa porte : l’évêque eut le courage de s’y dérober, et se prépara à sortir secrètement de la ville.

Avant son départ, bien des affaires durent être réglées, car, au milieu du troisième siècle, l’administration spirituelle et temporelle d’une grande Église comme celle de Carthage était fort compliquée. La communauté chrétienne, organisée dans tous les centres importants sur le modèle des corporations romaines, possédait une caisse commune, dont les ressources, fournies par des cotisations régulières, servaient aux frais du culte, à l’entretien des cimetières, à la subsistance du clergé, des veuves, des vierges consacrées à Dieu, à l’assistance des pauvres et des prisonniers. L’évêque voulut en assurer le fonctionnement pendant son absence. Plusieurs de ses lettres sont relatives aux sommes qui doivent être distribuées aux confesseurs, aux pauvres, à, tous ceux dont l’Église avait pris l’entretien à sa charge[96]. Cyprien se préoccupa aussi de sauver de la confiscation ce qui restait de sa fortune privée. L’histoire de cette fortune est curieuse. Lors de sa conversion au christianisme, Cyprien s’en était dépouillé ; il avait vendu tous ses biens pour en donner le prix aux pauvres[97]. Une partie de son patrimoine, nous apprend son biographe, lui fut ensuite rendue, probablement par la reconnaissance des fidèles, qui rachetèrent, pour les lui restituer, les terres mises en vente. Il n’osa pas les vendre de nouveau, de peur d’attirer l’attention malveillante des païens[98]. On peut donc supposer qu’il était encore riche au moment où éclata la persécution. Il emporta en exil des sommes importantes, qu’il fit peu à peu passer à ceux qu’il avait chargés de l’administration de la caisse ecclésiastique[99] ; il en déposa d’autres à titre de fidéicommis entre les mains d’un prêtre investi de sa confiance[100]. Probablement réussit-il à mettre également ses immeubles sous le nom d’un tiers, car on l’en retrouve en possession quelques années plus tard[101]. Ces précautions étaient nécessaires ; l’édit ordonnait la confiscation du patrimoine de tout chrétien fugitif, et, dès que le départ de Cyprien eut été connu, l’autorité fit poser sur les murs de la ville des affiches portant ces mots : Quiconque possède ou détient des biens de Cyprien, évêque des chrétiens, est obligé de le déclarer[102]. Mais Cyprien, administrateur habile, avait déjoué l’avidité du fisc et assuré, par la conservation de sa fortune privée, l’alimentation de la caisse ecclésiastique pendant les mauvais jours. Il pouvait maintenant s’éloigner : les affaires temporelles et spirituelles de l’Église restaient en bon ordre : il laissait, pour le remplacer pendant son absence, deux évêques voisins et plusieurs prêtres dont la fidélité et l’énergie lui étaient connues[103].

Malheureusement il laissait aussi, dans son clergé même, un parti hostile, à la tête duquel étaient cinq prêtres, qui s’étaient opposés naguère à ce qu’il fût élu évêque[104]. De ce groupe ambitieux et mécontent partirent des rumeurs malveillantes au sujet de la retraite de Cyprien. Elles se répandirent assez pour que le clergé de Rome s’y soit un instant laissé prendre, et y ait fait de discrètes allusions dans une lettre au clergé de Carthage, véritable modèle d’ironie ecclésiastique[105]. Après la persécution, saint Cyprien fut encore obligé de se défendre contre ces mauvais bruits[106], et le soin avec lequel son biographe et ami, Pontius, explique et excuse son absence[107], montre que même sa mort héroïque dans la persécution de Valérien n’avait pas suffi à le laver de tout reproche de faiblesse pendant celle de Decius. La justification de l’évêque était cependant facile : il lui suffisait de faire connaître à ceux qui doutaient l’activité déployée dans sa retraite, et d’en montrer les heureux fruits : c’est ce qu’il fit en communiquant au clergé de Rome, facilement persuadé, treize lettres pastorales écrites en exil[108]. Du lieu où il se tenait caché, probablement à peu de distance de Carthage, Cyprien n’avait cessé de gouverner son Église, communiquant constamment avec elle, instruit des moindres détails, exhortant le clergé et le peuple, encourageant les martyrs, veillant à l’assistance des pauvres, reprenant le zèle exagéré des uns, corrigeant la mollesse des autres, se faisant tenir au courant, par ses correspondants, du jour de la mort de chacun des confesseurs décédés en prison, afin que, leur commémoration puisse être célébrée parmi les mémoires des martyrs[109].

Malheureusement, le groupe des prêtres opposants ne cessait d’apporter des obstacles à l’administration de l’évêque absent. Ces habiles adversaires avaient, grâce aux circonstances, trouvé un terrain tout préparé pour leurs manœuvres. Il surent profiter de deux sentiments que la crise traversée par la communauté chrétienne de Carthage rendait faciles à exploiter : l’impatience de beaucoup de renégats — de tombés, lapsi, comme on les appelait — à être admis de nouveau dans la communion de l’Église, l’orgueil de ceux qui étaient restés debout, avaient affronté les magistrats, subi courageusement les tortures, mais, peu éclairés parfois, n’étaient pas tous de force à repousser des flatteries intéressées. A toutes les époques, l’Église avait reconnu aux confesseurs un pouvoir d’intercession : les. canons d’Hippolyte, œuvre du commencement du troisième siècle, leur assignent un rang très élevé[110] : dès le temps de Tertullien, ceux qui avaient eu le malheur de faillir les prenaient pour médiateurs[111]. Le même fait se produisit en Égypte et en Asie, pendant la persécution de Dèce[112]. Mais à Carthage, on semble l’avoir érigé en système. Les tombés allaient en foule visiter les confesseurs dans les prisons, pleuraient à leurs pieds, les entouraient de soins, les accablaient de compliments, et revenaient après avoir obtenu des billets, dans lesquels la paix leur était donnée[113]. Ces billets, multipliés au delà de toute mesure, finirent par être distribués sans discernement[114]. Qu’un tel soit admis à la communion avec les siens, cette formule vague se lisait quelquefois sur les lettres de réconciliation[115]. Quelques personnes, abusant de la facilité des confesseurs, allèrent jusqu’à en faire trafic : ce fut, selon l’expression de saint Cyprien, la foire aux billets[116]. Le principal auteur de ces désordres était un confesseur nommé Lucien, qui avait fait ses preuves de courage, mais avait l’esprit étroit, le caractère obstiné[117]. Les prêtres opposants trouvaient en lui un instrument d’un maniement facile, et s’en servaient pour encourager les espérances des tombés, faire violence à la modestie des confesseurs, mettre l’indiscipline dans l’Église. Au moins, en accordant indiscrètement la paix, les confesseurs avaient-ils entendu que leur décision serait subordonnée à la pénitence de l’impétrant et au jugement définitif de l’évêque[118] : les meneurs du clergé passaient outre, admettaient à la communion les tombés munis de billets, s’érigeaient, par conséquent, en chefs de l’Église, au mépris de toute hiérarchie[119].

Saint Cyprien avait trop le sentiment (le l’autorité attachée à sa charge pour tolérer, même de loin, un pareil abus. II écrivit de sa retraite trois lettres pastorales : l’une aux confesseurs, douce, presque caressante, les exhortant à marquer nommément ceux à qui ils désiraient qu’on fit grâce, et à ne donner de billets qu’aux. chrétiens vraiment touchés de repentir, dont la pénitence approcherait d’une entière satisfaction[120] ; la seconde au clergé, très ferme, menaçant d’interdit les prêtres qui admettraient des tombés à la communion[121] ; la troisième au peuple, l’invitant à modérer l’impatience des tombés, et à ne pas suivre dans leur rébellion ceux qui manquaient de respect à l’évêque[122]. Vers le même temps, des conseils excellents arrivaient au clergé de Carthage de la part du clergé de Rome ; dans la même lettre où, mal renseigné encore, ce dernier, faisait des allusions peu bienveillantes à l’éloignement de Cyprien, il traçait aux prêtres de la métropole africaine des règles très sages sur la conduite à suivre au sujet des tombés, qui doivent être exhortés à la pénitence, encouragés à confesser Jésus-Christ si une seconde épreuve leur est imposée, mais ne doivent être reçus à la communion qu’en cas de maladie[123]. Cette même règle fut donnée par saint Cyprien, qui écrivit à ses prêtres d’accorder aux malades la paix promise par les billets des martyrs[124]. Pour les tombés qui s’étaient relevés en confessant Jésus-Christ, et avaient été condamnés au bannissement, Cyprien les considéra comme réhabilités, et les admit à la communion[125]. En ce qui concernait les autres, il jugeait qu’il fallait les laisser en suspens jusqu’à ce que la paix eût permis de réunir une assemblée d’évêques qui déciderait, d’accord avec le clergé et le peuple, les conditions et l’heure auxquelles il conviendrait de les réintégrer dans la société des fidèles[126].

On aurait pu croire que ces décisions, empreintes de tant de modération et de sagesse, auraient mis fin au conflit : loin de là, celui-ci sembla devenir plus aigu. Les dissidents crièrent d’autant plus fort, qu’il leur restait moins de raisons de crier. Lucien, au nom d’autres confesseurs, écrivit à Cyprien une lettre dont la brièveté impérieuse touchait à l’insolence[127]. De tous côtés les tombés s’agitaient, s’élevaient contre les évêques, voulaient rentrer de force et comme d’assaut dans l’Église[128]. Malgré les conseils des confesseurs de Rome, restés aussi respectueux de la hiérarchie que ceux de Carthage étaient devenus indisciplinés[129], malgré l’intervention réitérée du clergé romain, désormais convaincu de l’innocence et dû bon droit de saint Cyprien[130], malgré l’attitude excellente du plus grand nombre des prêtres de Carthage, demeurés fidèles à leur évêque, la crise continuait. La multitude des tombés devenait plus exigeante, à mesure que la persécution s’assoupissait, que le péril s’éloignait, et que l’on pouvait prévoir le moment où la rentrée dans l’Église n’offrirait plus que des avantages sans mélange aucun de dangers.

Déjà les persécuteurs découragés se relâchaient de leur rigueur, les portes des prisons s’ouvraient, les confesseurs en sortaient en foule. Après un an de détention, beaucoup d’entre eux furent comme grisés par l’air dé la liberté. Flattés par les prêtres rebelles, accueillis avec toute sorte de prévenance par les tombés, étourdis des éloges qu’ils recevaient, ils en vinrent à se considérer comme des êtres à part, supérieurs au reste de l’humanité, mis par la gloire du martyre au-dessus des convenances communes et de la. morale vulgaire. Des hommes qui, en prison, avaient intrépidement confessé Jésus-Christ ne rougirent pas de s’abandonner au désordre. Les jalousies, les divisions bruyantes se manifestèrent ouvertement parmi eux : quelques-uns tombèrent dans l’ivrognerie, d’autres affichèrent des familiarités suspectes, et laissèrent douter de leur vertu. Le scandale était grand : le parti des tombés, et les prêtres qui le menaient, se réjouissaient des dérèglements qui leur livraient plus complètement les confesseurs[131]. Cyprien, averti comme toujours, dut couper court à ce scandale. Sa plume infatigable écrivit à tous les confesseurs (sans distinguer, par charité, entre les innocents et les coupables) une lettre[132] à la fois douce et ferme, reprenant les uns de leurs fautes, louant l’innocence des autres, les exhortant tous à conserver, par une exacte pureté de vie, la gloire qu’une héroïque confession leur avait acquise. Craignant les suggestions mauvaises de la pauvreté, il annonçait vers le même temps l’envoi de plusieurs sommes d’argent[133]. Parmi les avertissements contenus dans la lettre de saint Cyprien, il en est un qui mérite une attention particulière. L’évêque blâme ceux qui, rompant leur ban, reviennent dans leur patrie après avoir encouru une sentence d’exil non encore levée, et s’exposent ainsi à être punis non plus comme chrétiens, mais comme violateurs des lois[134]. On ne saurait trop admirer cette délicatesse extrême de l’honneur chrétien, et ce scrupuleux respect des lois romaines chez ceux en qui les persécuteurs s’obstinaient à voir des ennemis de l’Empire.

La situation personnelle de Cyprien n’était pas identique à celle des bannis : aucune sentence judiciaire n’avait été rendue contre lui, et le seul acte de l’autorité qui l’eût visé était l’ordonnance de confiscation de ses biens. Aussi pouvait-il rentrer à Carthage sans braver la loi. Il y songeait tous les jours, et attendait avec impatience le moment où la paix serait affermie et où la haine que lui portaient les païens paraîtrait moins violente[135]. Mais, quand il touchait à l’heure désirée du retour, les troubles de l’Église s’aggravèrent : un schisme éclata. Le chef nominal fut un laïque influent et riche, de mœurs peu recommandables, appelé Felicissimus[136], auquel se joignirent bientôt les cinq prêtres qui n’avaient cessé de faire opposition à Cyprien, et parmi lesquels était le turbulent Novat, destiné à prêcher le rigorisme à Rome après avoir pris parti à Carthage pour la morale relâchée. Beaucoup de tombés les suivirent, attirés par la promesse d’une prompte réconciliation[137]. Il était temps que Cyprien rentrât. Après un exil qui avait duré quatorze mois (de février 250 à avril 251), il revint à Carthage. Son premier soin fut de réunir plusieurs évêques en concile, pour régler, de concert avec le clergé et le peuple, toutes les questions pendantes. On entendit d’abord Felicissimus, Novat et leurs adhérents : ils furent condamnés. Puis l’assemblée termina par son jugement l’affaire des tombés. Elle décida d’exclure de toute fonction ecclésiastique les évêques et les prêtres qui auraient sacrifié ou seraient porteurs de certificats de sacrifice ; d’accorder la communion aux autres libellatiques s’ils avaient fait pénitence aussitôt après leur péché ; pour les laïques qui avaient sacrifié, on arrêta d’examiner séparément chaque cas, d’après des règles déterminées, et de fixer selon les circonstances le degré de la culpabilité, la durée de la pénitence et le délai de la réconciliation[138].

Ces décrets furent envoyés au pape Corneille, qui, ayant réuni à Rome un concile de soixante évêques, y donna son adhésion : des assemblées tenues dans plusieurs villes d’Italie et d’Afrique les adoptèrent également. La question des tombés fut résolue d’un commun accord, dans tout l’Occident chrétien[139]. Le schisme de Felicissimus s’éteignit misérablement au bout de quelques mois.

 

 

 



[1] Les Africains de la province proconsulaire conservaient encore in-tact le culte des hauts lieux de la tradition phénicienne ; voir Toutain, le Sanctuaire de Saturne Balcaranensis au djebel Bou-Kournéin (Tunisie), dans Mélanges de l’École française de Rome, avril 1892, p. 1-124. Si l’on en croit Tertullien (Apologétique, 9), les sacrifices humains, qui avaient cessé d’être offerts publiquement à Baal depuis Tibère, se continuaient en secret à l’époque où il écrit (et nunc in occulto).

[2] Passio SS. Perpetuæ et Felicitatis, 13 ; dans Ruinart, Acta sincera, p. 92.

[3] Explorandœ fidei prœfiniebatur dies. Saint Cyprien, De lapsis, 2.

[4] Quum dies negantibus præstitutus excessif, quisque professus intra diem non est, christianum se esse confessas est. Ibid., 3.

[5] Voir Massabeiau, les Sacrifices ordonnés à Carthage au commencement de la persécution de Decius, dans la Revue de l’histoire des religions, janvier-février 1884, p. 68.

[6] Quinque primores illi qui edicto nuper magistratibus fuerant copulati, ut fidem nostram subruerent. Saint Cyprien, Ep. 40.

[7] Saint Cyprien, De lapsis, 8, 24.

[8] Par exemple Cirta, Tamurgas. Renier, Inscriptions de l’Algérie, 1520, 1890, 1892, 1893.

[9] Erant coloniœ quasi effigies parvæ populi romani, eoque jure habebant theatra, thermas et Capitolia. Aulu-Gelle, Noct. att., XVI, 43. — Voir dans le Dict. des ant. grecques et romaines, art. Capitolium, p. 905, la liste des villes où l’on a constaté l’existence d’un Capitole ; consulter surtout cette liste rectifiée dans Castan, les Capitoles provinciaux du monde romain, ch. IV, statistique des Capitoles provinciaux (Mémoires de la Société d’Émulation du Doubs, 1886, p. 242 et suiv.).

[10] Delattre, Inscriptions de Carthage, X, dans Bulletin épigraphique, t. V, 1885, p. 90, note 1.

[11] Guérin, Voyage archéologique dans la régence de Tunis, t. I, p. 45.

[12] Capitolin, Antonin le Pieux, 9 ; Pausanias, Descr. Græc., VIII, 43.

[13] Il résulte de passages du traité De lapsis que le Capitole et le forum de Carthage étaient contigus.

[14] Altare, quod fœtore tetro fumare ac redolere conspexerat... De lapsis, 8.

[15] Quid hostiam tecum, miser, quid victimam immolaturus apponis ? Ibid. Cf. Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. III, p. 166.

[16] Cf. saint Cyprien, Ep. 52.

[17] Ab impio sceleratoque velamine, quo illic velabantur sacrificantium capita captiva... De lapsis, 2. Diaboli coronam... Ibid.

[18] Stare illic potuit Dei serves, et loqui, et renuntiare Christo ! Ibid., 8.

[19] Sceleratus cibus... panera mero mixtum... lethali poculo... feralibus cibis... mortiferos idolorum cibos... Ibid., 8, 9, 10, 15, 24.

[20] Saint Cyprien, De lapsis, 13.

[21] Ante aciem multi victi, sine congressione prostrati, nec hoc sibi reliquerunt ut sacrificare idolis viderentur inviti. De lapsis, 8. Cf. Ep. 52.

[22] Quot illic a magistratibus vespera urgente dilati sunt ? De lapsis, 8.

[23] Ultro ad forum venire... Ibid.

[24] Ad Capitolium sponte ventum est. Ibid.

[25] Saint Cyprien, Ep. 10, 52.

[26] Infantes quoque parentum manibus vel impositi vel attracti. De lapsis, 9.

[27] Ep. 19 (inter Cyprianicas).

[28] Hortamentis mutuis in exitium populus impulsus est. De lapsis, 9.

[29] Saint Cyprien, Ep. 22.

[30] Mulier, Bona nomine, quæ tracta est a marito ad sacrificandum, quæ conscientia non commissi, sed quia tenentes manas ejus ipsi sacrificaverunt, cæpit dicere contra : non feci, vos fecistis. Lettre de Caldonius à saint Cyprien, 19 (inter Cyprian.)

[31] Parentes forte fugientes, dura trepidi minus consulunt, sub nutricis alimento parvulam filiam reliquerunt ; relictam nutrix retulitad magistratus. Illi ei, apud idolum quo populus confluebat, quod carnem nedum edere potuisset, panem mero mixtum, quod tamen et ipsum de immolatione pereuntium supererat, tradiderunt. De lapsis, 25.

[32] Saint Cyprien, Ep. 5, 35. — Voir Tillemont, Mémoires, t. IV, note XVI sur saint Cyprien.

[33] Id., Ep. 64.

[34] Id., Ep. 55.

[35] Id., Ep. 64.

[36] Unus ex his qui sponte Capitolium negaturus ascendit, postquam Christum negavit obmutuit. De lapsis, 24.

[37] Illa in balneis constituta... illic ab immundo spirite immunda correpta, laniavit dentibus linguam quæ fuerat vel pasta impie vel locuta... Doloribus ventris et viscerum cruciata defecit. Ibid.

[38] Quam multi... immundis spiritibus adimplentur, quam multi usque ad dementiam mentis excordes furore quatiuntur ! Ibid., 26.

[39] At vero ea quæ, ætate provecta, et in annis adultioribus constituta, sacrificantibus nobis latenter obrepsit, non cibum sibi sumens, sed gladium... palpitans et tremens concidit. Ibid., 26.

[40] Et cum quœdam arcam suam, in qua Domini sanctum fuit, manibus indignis tentasset aperire, igue inde surgente deterrita est ne auderet attingere. Ibid.

[41] Et quidem alius, quia et ipse maculatus, sacrificio a sacerdotibus celebrato, partem cum cæteris ausus est latenter accipere, sanctum Domini edere et contrectare non potuit, cinerem ferre se apertis manibus invenit. Ibid.

[42] ... Ubi vero solemnibus adimpletis calicem diaconus offerre præsentibus cœpit... faciem suam parvula instinctu divinæ majestatis avertere... singultus et vomitus... In corpore atque ore violato Eucharistia permanere non potuit. Ibid., 25.

[43] Præsente ac teste me ipso, dit-il en racontant l’épisode du petit enfant. Ibid.

[44] Le mot thurificati est employé une seule fois par saint Cyprien, Ep. 52. Nous croyons qu’il désigne ceux qui, n’étant pas assez riches pour offrir aux idoles l’hostia ou la victima, faisaient acte de paganisme en brûlant de l’encens sur l’autel, mode de sacrifice à la portée de toutes les bourses.

[45] Ne pas confondre le libellus, ou certificat de sacrifice, avec une autre sorte de libellus dont il sera question plus loin, billet de réconciliation donné par les confesseurs de la foi aux apostats repentants.

[46] Lettre du clergé de Rome, Ep. 21 (inter Cyprianicas).

[47] Saint Cyprien, Ep. 52.

[48] Ibid.

[49] En vertu du droit exceptionnel créé par l’édit de Dèce, mais non en vertu du droit commun, qui depuis le premier siècle avait, dans les colonies, retiré la juridiction criminelle aux duumvirs, pour la donner toute entière aux représentants du pouvoir impérial. Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 414.

[50] ... Rogatianum presbyterum gloriosum senem... qui cum Felicissimo fratre nostro quieto semper et sobrio excipiens ferocientis populi impetum, primum hospitium vobis in carcere præparavit. Saint Cyprien, Ep. 81.

[51] Beatas etiam feminas quæ vobiscum sunt in eadem confessionis gloria constitutæ... pueros etiam vobis gloriosa confessione sociavit divina dignatio. Ibid.

[52] Il ne paraît pas que les accusés aient été séparés des condamnés, ni même qu’il y eût séparation entre les détenus de sexe différent. G. Humbert, art. Carcer, dans le Dict. des ant., p. 919.

[53] Cf. Passio S. Perpetuæ, 4, dans Ruinart, p. 86.

[54] Presbyteri quoque qui illic apud confessores offerunt singuli cum singulis diaconis per vices alternent, quia et mutatio personarum et vicissitude convenientium minuit invidiam. Saint Cyprien, Ep. 4.

[55] Quanquam sciam plurimos ex his (confessoribus) fratrum voto et dilectione susceptos, tamen si qui sunt qui vel veslitu vel sumptu indigeant, sicut etiam pridem vobis scripseram cum adhuc essent in carcere constituti, subministrentur eis quæcunque sunt necessaria. Ep. 5.

[56] Etsi fratres pro dilectione sua cupidi sunt ad conveniendum et visitandum confessores bonos... tamen caute hoc, et non glomeratim nec per multitudinem simul junctam pute esse faciendum, ne ex hoc ipso invidia conciletur, et introeundi aditus denegetur. Ep. 4.

[57] Si qui... in custodiis, duntaxat ex causa Dei sectie, alumni confessionis suæ fiunt. Tertullien, Apologétique, 39.

[58] Quantum autem ad sumptus suggerendos sive illis, qui, gloriosa voce Dominum confessi, in carcere sunt constituti, sive iis qui pauperes indigentes laborant et tamen in Domino perseverant, peto, nihil desit, cum summula omnis quæ redacta est illic sit apud clericos distributa propter ejusmodi casus, ut haberent phares onde ad necessitates et pressuras singulorum operari possint. Ep. 4.

[59] Lettre de Lucien à Celerinus, Ep. 21 (inter Cyprianicas). — Dans ces horribles prisons romaines, la mort n’était pas rare : voir Sénèque, Consolatio ad Marciam, 20.

[60] Quorum et nos socios futuros intra dies audietis. Jam enim ex quo iterato reclusi sumus dies octo in die quo tibi litteras scripsi. Nam ante dies octo per dies quinque modicum panis accepimus et aquam ad mensuram. Ibid.

[61] Solent præsides in carcere continendos damnare, aut ut in vinculis contineantur ; sed id cos facere non oportet ; nam hujusmodi pœnæ interdictæ sunt : carter enim ad continendos homines, non ad puniendos haberi debet. Ulpien, De officio proconsulis, IX ; au Digeste, XLVIII, XIX, 8, § 9.

[62] Voir Tillemont, Mémoires, t. III, art. III sur saint Mappalique.

[63] Ninum, Clementianum, Florum, fratres nostros, qui in persecutione apprehensi prius fuerant, et nomen Domini confessi violentiam magistratus et populi furentis impetum vicerant. Saint Cyprien, Ep. 53.

[64] Postmodum cum apud proconsulem pœnis gravioribus excruciarentur, vi tormentorum subactos esse, et de gradu gloriæ, ad quam plena fidei virtute tendebant, diutinis cruciatibus excidisse. Ibid.

[65] ... Quos constat stetisse in acie, nomen Domini confessos esse, violentiam magistratuum et populi furentis lacursum immobilis fidei obstinatione vicisse, passos esse carcerem, diu inter minas proconsulis et fremitum populi circumstantis tormentis laniantibus ac longa iteratione cruciantibus repugnasse... Maxime cum cupientibus mori non permitterentur occidi, sed tamdiu fessos tormenta laniarent quamdiu non fidem, quæ invicta est, vincerent, sed carnem, quæ infirma est, fatigarent. Ibid.

[66] ... Aurelius frater noster, illustris adolescens... gemino hic agone certavit, bis confessus. Parum fuerat sub oculis ante paucorum, quando extorris fiebat, congressum fuisse, meruit et in foro congredi clariore virtute, ut post magistratus etiam proconsulem vinceret, et post exsilium tormenta superaret. Ep. 33. — Saint Cyprien ne dit pas qu’après la comparution devant le proconsul Aurelius fut mis en prison, mais cela est évident, à moins qu’on ne suppose un acquittement tout à fait improbable.

[67] Pauli a quæstione... Lettre de Lucien à Celerinus, Ep. 21 (inter Cyprianicas).

[68] Fortunionis in carcere. Ibid. — Tillemont traduit : Fortunion (après avoir été reporté) dans la prison.

[69] Bassi in pejerario. Ibid. — Probablement le nom d’un supplice ou d’une torture que nous ne connaissons pas.

[70] Steterunt torti torquentibus fortiores, et pulsantes ac laniantes ungulas pulsata ac laniata membra vicerunt. Inexpugnabilem tidem superare non potuit sæviens diu plaga repetita, quamvis, rupta compage viscerum, torquerentur in servis Dei jam non membra, sed vulnera. Saint Cyprien, Ep. 8.

[71] Fluebat sanguis... stetisse servos ejus (Christi) voce libera, mente incorrupta, virtute divina... Ibid.

[72] ... Cum Mappalicus beatissimus inter cruciatus suos proconsuli diceret : Videbis cras agonem... suo et collegarum suorum nomine proconsuli repromisit. Ibid.

[73] Agon cœlestis exhibitus, et Dei servus in agonis promissi certamine coronatus est. Ep. 8. Ce passage parle du seul Mappalique, mais le contexte indique que ses compagnons moururent aussi.

[74] Vidit admirans præsentium multitudo cœleste certamen. Ibid.

[75] Saint Cyprien, Ep. 35.

[76] ... Equuleo corpus eatensum stridet ad laminas. De laude martyrum, 15. Ce traité (Migne, Patr. lat., t. IV, col. 795) n’est pas de saint Cyprien ; son style extrêmement resserré et obscur ne ressemble pas à celui de l’évoque de Carthage. Mais il doit avoir été composé dans cette ville, puisque les manuscrits le mettent tous parmi les œuvres du saint docteur, et il est certainement d’un contemporain, témoin de la persécution de Dèce. Voir Tillemont, Mémoires, t. IV, note XIV sur saint Cyprien. M. P. Monceaux le date du lendemain de cette persécution, 252 ou 253. Hist. litt. de l’Afrique chrétienne, t. II, p. 103.

[77] De laude martyrum, 5. — Des sentiments analogues se retrouvent à l’époque moderne ; un missionnaire de la Cochinchine orientale raconte que, après l’affreuse persécution qui anéantit tant de chrétientés de ce pays, un païen se présenta chez lui, demandant à se convertir. Pourquoi, dit le missionnaire, veux-tu te convertir ? — Parce que j’ai vu mourir des chrétiens et je veux mourir comme eux. J’en ai vu précipiter dans les fleuves et dans les puits, j’en ai vu briller vifs et percer de lances. Eh bien ! tous mouraient avec un contentement qui me surprenait, récitant des prières ou s’encourageant les uns les autres. Il n’y a que les chrétiens qui meurent ainsi, et voilà pourquoi je veux me convertir. 1er août 1888, lettre de M. Geffroy, missionnaire apostolique de la Cochinchine orientale, dans Annales de la propagation de la foi, janvier 1889, p. 33.

[78] Ulpien, au Digeste, XLVIII, XXXII, 6, § 1 ; 7, § 1.

[79] Callistrate, au Digeste, XLVIII, XIX, 28, § 1 ; Ulpien, ibid., XXII, 7, § 3.

[80] Rescrit de Trajan, cité par Pomponius, ibid., XXII, 1.

[81] Paul, ibid., XIX, 38, § 6, 8 ; Marcien, ibid., XXII, 4.

[82] Saint Cyprien, Ep. 34.

[83] Ibid., Ep. 13.

[84] Statium at Severianum et omnes confessores qui inde hue a vobis venerunt, ad quos ipsæ in portum descenderunt, et in Urbem levaverunt, quod sexaginta quinque ministraverunt et usque in hodiernum in omnibus foverunt. Lettre de Celerinus à Lucien, Ep. 20 (inter Cypr.).

[85] Lettre de Caldonius, Herculanus, etc., à saint Cyprien, Ep. 30 (inter Cypr.).

[86] Si qui, posteaquam sacrificaverunl, iterato tenti, extorres sunt facti... Felix, qui presbyterium subministrabat sub Decimo..., Victoria conjux ejus, et Lucius fidelis, extorres facti reliquerunt possessiones, quas nunc fiscus tenet. Saint Cyprien, Ep. 18.

[87] ... Sic et ipsa extorris facta est. Ep. 18.

[88] De lapsis, 3.

[89] Cf. De lapsis, 25.

[90] Saint Cyprien, Ep. 56.

[91] ... Vel per maria præcipili navigatione properantem tempestas ac procella submersit... Ibid.

[92] Secundus ad gloriam gradus est capta secessione subtractum Domino reservari. De lapsis, 3.

[93] Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 40 ; saint Grégoire de Nysse, Vita S. Greg. Thaum. (Migne, Patr. lat., t. XLVI, col. 854). Cf. saint Cyprien, Ep. 69 : Tot episcopi, collegæ mei, qui vel cura de medio recederent proscripti sunt...

[94] Saint Cyprien, Ep. 10 ; Vita S. Cypriani per Pontium diaconum ejus scripta, 7, dans Ruinart, p. 208.

[95] Cum suffragiis sæpe repetitis ad leonem postularetur... Vita, 7 ; Ruinart, p. 208. Cf. saint Cyprien, Ep. 55.

[96] Ep. 5, 6, 36, 37, 38.

[97] Vita, 2 ; Ruinart, p. 205.

[98] ... Hortos, quos inter initia fidei suæ venditos, et Dei indulgentia restitutos, pro certo iterum in usus pauperum vendidisset, nisi invidiam de persecutione vitaret. Vita, 15 ; Ruinart, p. 213.

[99] Ep. 6, 36.

[100] Ep. 36.

[101] Vita, 15.

[102] Ep. 69.

[103] Ep. 6, 37, 38, 39, 40.

[104] Ep. 40.

[105] 2 (inter Cypr.).

[106] Ep. 69.

[107] Vita, 7.

[108] Ep. 14. — Tillemont a essayé d’identifier, dans la volumineuse correspondance de saint Cyprien, une partie des treize lettres ; voir Mémoires, t. IV, art. X sur saint Cyprien.

[109] Dies eorum, quibus excedunt, adnotate, ut commemorationes eorum inter memorias martyrum celebrare possimus : quanquam Tertullus, fidelissimus et devotus frater noster... scripserit et scribat ac significet mihi dies quibus in carcere beati fratres nostri ad immortalitatem gloriosæ mortis exitu transeunt, et celebrentur hic a nobis oblationes et sacrificia ad commemorationes eorum. Ep. 37.

[110] Il y est dit que le chrétien qui a confessé la foi devant les tribunaux et qui a souffert en conséquence pour le nom de Jésus-Christ a droit, par ce fait même, au rang de prêtre. Divers cas sont distingués ; mais ils ne font que confirmer cette règle principale. Quando quis dignus est qui stet coram tribunali et afficiatur puma propter Christum, postea autem indulgentia liber dimittitur, talis postea meretur gradum presbyteratem coram Deo, non secundum ordinationem quæ fit ab episcopo. Immo confessio est ordinatio ejus. Quod si vero episcopus fit, ordinetur. Si quis confessione emissa tormentis læsus non est, dignus est presbyteratu ; attamen ordinetur per episcopum. Si talis, cum servus alicujus esset, propter Christum cruciatus pertulit, talis similiter est presbyter gregi. Quamquam enim formam presbyteratus non acceperit, tamen spiritum presbyteratus adeptus est : episcopus igitur omittat orationis partem quæ ad Spiritum sanctum pertinet. Die Canones Hippolyti, par Hans Achelis, Leipzig, 1891 ; cf. Duchesne, dans Bulletin critique, 1891, p. 44.

[111] Tertullien, Ad mart., 1 ; De pudicitia, 22.

[112] Eusèbe, Hist. Ecclés., IV, 42 ; Passio S. Pionii, dans les Acta S.S., février, t. I, p. 44 (le texte de Ruinart, p. 130, ne fait pas mention des tombés).

[113] Saint Cyprien, Ep. 10, 14, 16.

[114] Ep. 14.

[115] Audio enim quibusdam sic libellos fieri ut dicatur : Communicet ille... cura suis. Ep. 10.

[116] ... Eos qui, personas accipientes, in beneficiis vestris aut gratificantur, aut illicitte negociationis nundinas aucupantur. Ibid.

[117] Ep. 22.

[118] Saint Cyprien, Ep. 9, 10, 11, 21.

[119] Ep. 9, 40.

[120] Peto ut eos quos ipsi videtis, quos nostis, quorum pænitentiam satisfactioni proximam conspicitis, designetis nominatim libello. Saint Cyprien, Ep. 10.

[121] Ep. 9.

[122] Ep. 11.

[123] Ep. 2 (inter Cypr.).

[124] Ep. 13, 14.

[125] Ep. 19.

[126] Ep. 14.

[127] Ep. 16 (inter Cypr.).

[128] Ep. 22.

[129] Ep. 22, 25.

[130] Ep. 31 (inter Cypr.).

[131] Ep. 5, 6.

[132] Ep. 6.

[133] Ep. 5.

[134] ... Delinquitur... quando... alius in eam patriam unde extorris factus est regreditur, ut apprehensus non jam quasi christianus, sed quasi nocens pereat. Saint Cyprien, Ep. 6.

[135] Ep. 36.

[136] Il ne faut pas confondre ce schismatique avec le confesseur Felicissimus, dont la lettre 81 loue les mœurs paisibles et pures.

[137] Saint Cyprien, Ep. 38, 39, 49, 55, 81.

[138] Ep. 51, 52, 53, 55, 68. Cf. Tillemont, Mémoires, t. IV, notes XXIX et XXX sur saint Cyprien.

[139] Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 43.