Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle

CHAPITRE VII — LA PERSÉCUTION DE DÈCE EN OCCIDENT.

 

 

I. — Caractère de la persécution de Dèce.

Les écrivains païens ont tracé du successeur de Philippe un portrait des plus favorables. Aurelius Victor, Vopiscus, Zosime le représentent comme un homme orné de toutes les vertus, un souverain excellent[1], comparable dans sa vie et dans sa mort aux plus illustres d’entre les anciens[2]. On lui accorde des mœurs douces[3], une pudeur singulière pour son temps[4], et même une noble origine, difficile à concilier avec sa naissance dans un bourg de la Pannonie[5]. Ce portrait est probablement flatté, bien qu’il soit impossible, faute de documents, de le contester en détail. Le peu que nous savons du court règne de Dèce permet de deviner en lui un conservateur obstiné, un homme d’autrefois égaré dans un siècle où le passé achevait de mourir. Ce put être, comme ses biographes l’affirment, un héros de Plutarque ; mais un héros de Plutarque au milieu du troisième siècle était nécessairement un anachronisme, et, s’il prenait au sérieux son rôle, il s’exposait à commettre des contresens.

Le rétablissement de la censure en fut un inoffensif et presque ridicule[6] ; les mesures prises contre les chrétiens eurent pour cause une erreur beaucoup plus grave. Dèce leur déclara la guerre, non avec l’emportement d’un dévot, mais avec le fanatisme froid d’un théoricien. Peut-être la divinité de Jupiter, de Vénus, de Minerve touchait-elle peu son cœur ; mais l’antique religion de Rome se confondait à ses yeux avec la divinité de l’État romain, et se séparer de l’une lui paraissait la même chose que se révolter contre l’autre.

La distinction chaque jour mieux marquée, grâce à la diffusion des doctrines chrétiennes, entre l’ordre civil et l’ordre religieux, entre le patriotisme et la croyance[7], échappait à son esprit étroit. Il ne comprenait pas que l’on pût servir Rome en adorant un autre Dieu que les dieux de Rome. Voyant crouler le vieux paganisme, c’est-à-dire le culte du dieu État, il s’imaginait assister à la ruine de l’État lui-même. Le seul moyen de la conjurer, c’était, selon lui, de faire cesser toute dissidence, et de ramener de force tous les hommes au pied des anciens autels. Probablement quelque ressentiment personnel se mêlait à cette passion abstraite : les écrivains chrétiens s’accordent à voir dans la persécution déchaînée par Dèce une réaction contre la politique de Philippe, une revanche du parti païen contre le règne d’un prince favorable aux disciples de l’Évangile. Vainement prétendrait-on que Dèce était au-dessus des mesquines rancunes, et n’avait d’ailleurs nulle raison d’en vouloir à celui qu’il avait supplanté : le vieil axiome romain odisse quem læseris était sans doute vrai en 249 comme il l’est dans tous les temps. Le sentiment attribué à Dèce par Eusèbe[8], saint Jérôme[9], Rufin[10], Orose[11], concorde d’ailleurs avec les préjugés dont s’inspirait la politique du nouvel empereur : l’animosité contre le chrétien Philippe, contempteur secret de la religion officielle, était encore une des formes du culte qu’il professait pour l’État, culte abstrait, géométrique, fanatique à froid et révolutionnaire à rebours, auquel semblent revenir, par haine des libertés chrétiennes, les pseudo-libéraux de notre temps.

Une théorie excessive des droits de l’État, la volonté de ranger sous son niveau toute pensée libre, et de ramener à l’unité ancienne la distinction qui commençait à se faire jour entre l’ordre civil et l’ordre religieux, partout confondus avant le christianisme, telle fut l’idée dominante de la persécution de Dèce. On ne saurait sans illusion lui prêter une portée politique plus précise, et en justifier les cruautés par une prétendue nécessité de défense sociale[12]. Au milieu du troisième siècle la décadence était partout : l’Empire, menacé au dehors, tombait en ruines au dedans ; mais il y aurait une grande injustice, en même temps qu’une erreur historique, à en rendre les chrétiens responsables, et à déclarer, en conséquence, qu’en cherchant à les détruire Dèce faisait une œuvre sérieuse et, au point de vue romain, patriotique[13]. Un tel lieu commun est facile à rééditer ; il résisterait malaisément, croyons-nous, à une analyse exacte des faits.

Au moment où Dèce monta sur le trône, laissé vide par la mort de Philippe à Vérone et le meurtre de son fils à Rome, la question qui se posait devant les esprits politiques était celle-ci : l’Empire aura-t-il la force de résister longtemps à la poussée chaque jour plus forte des Barbares sur ses frontières ? Dès le premier siècle, les empereurs avaient renoncé à conquérir la Germanie ; aujourd’hui elle se faisait conquérante. Groupés en face des lignes de défense du monde romain, ses peuples se pressaient contre elles, les touchaient, pénétraient par les moindres fissures. Une invasion plus formidable se faisait à l’est. Pendant que les Germains pesaient sur les frontières qu’avait fortifiées la prudence des premiers Césars, les Goths s’avançaient vers celles qu’avait portées en avant le génie militaire de Trajan. En trente ans (238-269) ils envahirent dix fois les colonies romaines du Danube : ils ne s’arrêteront pas avant d’avoir enlevé la Dacie à l’Empire. Se défendre contre cette double invasion, contre cette inondation d’hommes qui se reproduisait presque avec la périodicité d’un fléau naturel, va être pendant tout le troisième siècle et redeviendra au quatrième la grande préoccupation des empereurs. Les chrétiens, on en conviendra, n’étaient pour rien dans ce péril public, dont il faut chercher la cause dans les migrations séculaires des peuples, se poussant comme des flots de l’Orient à l’Occident : ce n’étaient pas les disciples de l’Évangile qui avaient massé les peuplades germaines sur les lignes du Rhin et du Mein, et amené les Goths de la presqu’île Scandinave à l’Euxin et au Danube.

Sont-ils au moins responsables de la diminution d’esprit militaire, qui coïncidait d’une façon déplorable avec l’accroissement des dangers du dehors ? Sans doute beaucoup de fidèles montraient pour la vie des camps un éloignement marqué[14] ; mais il y avait aussi un grand nombre de soldats chrétiens dans les armées. Tertullien, dont nous avons déjà tant de fois noté les contradictions, le reconnaît sans le blâmer, quand, parlant de la prodigieuse multitude de ses coreligionnaires, il dit aux païens, non sans quelque défi : Nous remplissons les camps[15], et ajoute d’un ton plus conciliant : Nous combattons à vos côtés[16]. Faire la statistique des soldats chrétiens est impossible ; cependant en y regardant de près on peut montrer des fidèles, au troisième siècle, dans la plupart des légions. En Afrique, au temps de Tertullien, ils sont nombreux dans la légion III Augusta, stationnée en Numidie[17]. Il y en a en Égypte, où la légion II Trajana tient garnison[18], en Arménie, dans la légion XII Fulminata[19], à Rome dans les cohortes prétoriennes[20]. Une petite catacombe, découverte a Albano, contenait les tombeaux des soldats chrétiens de la légion II Parthica, formée par Septime Sévère, et des personnes de leur famille, domiciliées, selon l’usage, aux environs du camp[21]. On trouve des chrétiens, avant la fin du troisième siècle, dans la légion VII Gemina, stationnée en Espagne[22]. Dans les années qui précédèrent la dernière persécution, des mesures générales furent prises, par édit, contre les fidèles appartenant a l’armée, et une tournée d’inspection eut lieu pour les expulser[23]. Rien ne prouve mieux leur grand nombre, et ne révèle plus clairement, en même temps, l’opinion de la majorité des fidèles sur la légitimité du service militaire. L’Évangile ne donnait aux soldats d’autres conseils que celui-ci, qui implique le caractère licite de la carrière des armes : Ne foulez pas le peuple, ne commettez pas d’injustice, contentez-vous de votre solde[24]. Tout au plus certaines Églises, frappées du caractère de dureté et d’idolâtrie dont était souvent entachée la vie militaire à l’époque romaine, détournaient-elles les fidèles de l’engagement volontaire ; mais toutes permettent le service quand il est imposé par l’État[25]. Le moment approche où un concile frappera d’excommunication, comme traîtres à la patrie, les soldats déserteurs[26].

Les chrétiens ne se sont donc point écartés systématiquement de la milice ; mais s’ils l’avaient fait, ils auraient simplement suivi l’exemple donné depuis longtemps par leurs contemporains païens. L’aristocratie romaine, autrefois toute militaire, ne voulait plus combattre. Un sénateur avait obtenu de Commode d’être dispensé du service militaire[27]. Caracalla en dispensa d’office tous les sénateurs[28]. Gallien fit mieux : il le leur interdit[29]. Désormais on s’étonnera de trouver dans l’armée un fils de bonne maison[30]. L’exemption des sénateurs de Rome finit par être étendue aux décurions des cités, c’est-à-dire à toute la bourgeoisie aisée[31]. Le peuple l’obtient à son tour : dès le commencement du troisième siècle le service militaire a cessé d’être obligatoire[32]. Les armées ne se recrutent plus que de volontaires[33]. Ces volontaires étaient des malheureux sans foyer ni pénates, semblables aux vagabonds dont, au siècle dernier, les racoleurs remplissaient nos régiments[34]. C’étaient des soldats au rabais (le mot est de M. Duruy), fournis par les villes, à titre de prestation, en même temps que les chevaux : productio lironum et equorum[35]. Évidemment, il n’y a plus d’armée nationale ; mais l’amollissement des mœurs d’une part, et, de l’autre, les défiances du gouvernement contre l’aristocratie ont seuls détruit l’esprit militaire. Il serait déraisonnable d’en accuser les chrétiens.

L’abandon chaque jour plus marqué des carrières civiles, autre plaie de cette époque où chacun se renfermait en soi-même et se désintéressait des affaires publiques, leur est-il davantage imputable ? Malgré l’autorité d’érudits considérables[36], je réponds non, sans hésiter. Le même égoïsme qui faisait déserter le métier des armes à la masse des classes dirigeantes, faisait abandonner aussi les services civils, si honorés, mais si onéreux. Les caractères un peu fiers y trouvaient d’ailleurs moins de charmes, car la centralisation impériale avait peu à peu confisqué les anciennes franchises des villes. Aussi, dit M. Duruy, les honneurs municipaux perdant de leur dignité, on n’en connaît plus que les charges, et, par des raisons différentes, païens et chrétiens s’en éloignent[37] ; déjà le gouvernement est obligé de ramener de force dans les sénats municipaux les curiales qui essaient de se dérober[38]. Dès le règne de Trajan, il fallait contraindre les riches à être décurions ou duumvirs[39]. Au milieu du second siècle, on voit des habitants des villes maritimes ou fluviales prendre faussement la qualité d’armateurs, afin de se soustraire, à ce titre, à l’exercice des fonctions municipales[40]. Les chrétiens ne peuvent être rendus responsables de cette décadence de la vie provinciale. En principe, l’Église admettait que ses membres remplissent tous les devoirs de citoyens, et elle se gardait bien de les empêcher de revêtir les chartes publiques[41]. » Sans doute, à certains moments ils s’en éloignaient plus que les autres, parce qu’il était bien difficile de ne pas se heurter, sinon à un des rites de l’idolâtrie générale, du moins à une de ses formules, dans l’accomplissement le plus simple d’une fonction publique[42]. Mais, toutes les fois que des gouvernements plus tolérants les dispensaient de démonstrations contraires à leurs croyances ou peu conformes à la morale chrétienne, ils ne refusaient pas de servir le pays, heureux de répéter avec un de leurs plus grands écrivains du second siècle : Il est permis de s’occuper de la chose publique ![43] Tertullien lui-même l’admet en principe. On s’est demandé, dit-il, si un serviteur de Dieu peut accepter une dignité profane ou une fonction administrative, au cas où, par quelque faveur, ou par son habileté, il parviendrait à s’abstenir de tout acte idolâtrique ; suivant l’exemple de Joseph et de Daniel qui, parés des ornements du pouvoir et revêtus de la pourpre, administrèrent l’Égypte et la Babylonie[44]. A la question ainsi posée, l’apologiste africain répond affirmativement ; mais bientôt, suivant la pente habituelle de son esprit, il reprend, en fait, la concession qu’il vient de faire en théorie, et pose au magistrat chrétien des conditions impossibles : non seulement ne point offrir de sacrifice ou ne point présider les spectacles publics[45], mais encore s’abstenir de prononcer aucune condamnation capitale, de faire même aucun acte d’instruction criminelle : il lui permet seulement de juger les causes pécuniaires[46]. Ici, Tertullien cesse d’être l’interprète de la pensée de l’Église : ce n’est plus le catholique, mais le sectaire qui parle : le traité de l’Idolâtrie, d’où sont tirées les paroles que nous venons d’analyser, a été composé sous l’influence d’idées montanistes[47]. Plus jeune et encore engagé dans les voies communes, il montrait une intolérance moins farouche. Il peint, dans un de ses premiers écrits, les fidèles se mêlant à la vie municipale, prenant part aux délibérations des curies, officiers au palais, hauts dignitaires au sénat, orateurs ou juges au forum[48]. Nous ne vous laissons que vos temples ![49] dit-il fièrement aux païens. Entre le Tertullien de l’Apologétique et le Tertullien du traité de l’Idolâtrie l’hérésie montaniste a creusé un abîme ; mais le premier représente seul l’esprit conciliant et doux du christianisme orthodoxe. Cet esprit animait la très grande majorité des fidèles : de nombreux chrétiens remplissaient des fonctions officielles au moment où éclata la persécution de Dèce[50].

Les chrétiens ne furent donc pour rien dans la décadence intérieure de l’Empire, et aucun de ses dangers extérieurs ne leur est imputable. Ils n’ont pas voulu se mettre hors la loi et rompre avec la société civile, comme s’ils constituaient une confrérie de saints des derniers jours, secouant la poussière de leurs pieds sur un monde irrévocablement maudit[51]. Les assimiler, comme on n’a pas craint de le faire, à des Barbares du dedans est une injure gratuite. Ce sont ces Barbares d’un nouveau genre qui ont rallumé le flambeau à demi éteint du génie romain, l’histoire impartiale est obligée de le reconnaître : l’esprit latin s’affaisse visiblement, excepté dans l’Église, dit M. Duruy en traçant le tableau de l’Empire au milieu du troisième siècle[52]. Des politiques clairvoyants auraient reconnu dans les chrétiens des alliés naturels, qui travaillaient non contre la civilisation romaine, mais pour elle. ils auraient compris que si, au temps voulu, le christianisme n’avait pas eu son avènement, comme le pouvoir impérial n’était capable de rien soutenir et vivifier, il y aurait eu stagnation profonde[53]. Ils auraient au moins laissé la liberté à des hommes qui combattaient à leur manière la décadence universelle, en proscrivant parmi eux l’égoïsme, l’immoralité, en relevant les faibles, en purifiant le foyer domestique, en restaurant les vertus privées, sans lesquelles les vertus publiques ne peuvent exister. Mais Dèce était incapable de ces larges vues. Il ne voulait regarder que le passé. Il s’imaginait conjurer toutes les causes de péril et de ruine en ramenant, l’Empire à deux siècles en arrière, vers une religion sans racine dans les esprits et une constitution politique sans racine dans les choses[54]. Rétablir la censure, à laquelle répugnait l’esprit du temps[55], et qui ne pouvait être qu’un palliatif enfantin, lui paraissait le sûr moyen de relever les mœurs. Il s’imaginait de même qu’on verrait refleurir les antiques vertus romaines quand il aurait comprimé de nouveau toutes les intelligences dans le moule étroit du paganisme. d’État. Dèce était trop myope en politique pour apercevoir les vrais maux et les vrais remèdes, et il avait l’esprit trop systématique et trop borné tout ensemble pour chercher ceux-ci ailleurs que dans des formules surannées.

La persécution de Dèce a quelque chose de factice, d’artificiel : elle ne tire son origine ni du fanatisme religieux, ni même des haines populaires, très vives encore dans certaines grandes villes comme Alexandrie, mais qui ailleurs, à la faveur d’une longue paix, avaient dû s’assoupir : c’est une persécution toute administrative, commencée sans colère, poursuivie froidement, par un de ces théoriciens implacables comme les révolutions modernes en ont quelquefois montré, doux dans la vie privée, sans entrailles quand ils ont résolu de mettre la force au service de leur idée fixe, de leur passion abstraite. D’un tel homme, qui versait le sang en calculateur plutôt qu’en bourreau, on n’a point à attendre de violences inutiles, de cruautés superflues : la quantité, la qualité des souffrances n’en sera que plus grande. Tout va être savamment ménagé en vue du but à atteindre. Ce but, c’est de faire disparaître du monde les chrétiens. Les tuer tous serait impossible : leur nombre s’est, depuis un demi-siècle, trop considérablement accru. Mais on les contraindra par tous les moyens à revenir au culte officiel. Qu’on donne la mort quand tout espoir d’abjuration est perdu, rien de mieux : on châtie un rebelle, on terrifie par un exemple ceux qui seraient tentés d’imiter sa résistance. Mais, en tout autre cas, mieux vaut attendre. Tous les moyens sont bons : si on les essaie successivement, il y a chance d’en trouver un qui réussisse. Désoler la patience d’un chrétien en l’oubliant pendant de longs mois dans sa prison[56] ; le mettre à la torture, puis soigner ses membres blessés, afin d’entretenir longtemps encore une vie qu’on lui laisse le moyen de sauver par un sacrifice aux dieux[57] ; le soumettre parfois à des tentations plus délicates, et chercher à séduire par la volupté l’homme que les tourments ont trouvé insensible[58] ; enlever même ses enfants, pour les faire élever dans le paganisme[59] : tel fut le plan tracé par Dèce aux agents du pouvoir. Ceux-ci, qui n’étaient guère fanatiques, qui n’étaient point tous sanguinaires, dont la plupart avaient l’esprit libre de tout préjugé défavorable à l’égard des chrétiens, se prêtaient facilement à ces instructions. Les juges s’affligent, écrit Origène, si les tourments sont supportés avec courage, mais leur allégresse est sans bornes lorsqu’ils peuvent triompher d’un chrétien[60]. Les chrétiens eux-mêmes en vinrent quelquefois à excuser des malheureux auxquels la mort avait été cent fois offerte et refusée, qui l’avaient affrontée avec courage, désirée, demandée vainement, et lassés, à bout de résistance, ahuris, hébétés, tombaient presque malgré eux dans des pièges savamment tendus par des magistrats qui avaient pour mot d’ordre : Chercher à faire, non des martyrs, mais des apostats[61].

Tel est, d’après les documents contemporains, le caractère de la persécution de Dèce, évidemment voulu et systématique. On comprend que les écrivains ecclésiastiques en aient été frappés, que l’un d’eux, emporté par son indignation au delà des bornes du bon goût et de la charité, ait traité le persécuteur d’exécrable animal[62], qu’un autre ait reconnu en lui le lion ravissant dont parle Daniel[63], que saint Hilaire ait uni le nom de Dèce à ceux de Néron et de Maximien, comme l’un des plus cruels ennemis qu’ait eus l’Église[64], et enfin qu’un contemporain, saint Denys d’Alexandrie, ait cru voir arriver les derniers temps prédits par le Sauveur, où les élus eux-mêmes, s’il était possible, seraient séduits[65]. L’évêque de la métropole égyptienne parlait ainsi après l’apparition de l’édit de Dèce, dont les terribles menaces avaient produit cette impression sur son esprit. On n’en a malheureusement pas le texte. Mais il est facile de retrouver son sens général. Les rois de la terre, dit Origène, concouraient ensemble pour exterminer le nom de Jésus et son peuple ; ils ordonnaient par leurs lois qu’il n’y aurait plus de chrétiens, toutes les villes, tous les ordres de l’Empire s’armaient pour les combattre et les détruire[66]. C’était une proscription générale. Deux fois déjà, depuis le commencement du troisième siècle, des édits avaient été rendus contre la religion chrétienne. Le premier, promulgué en 202 par Septime Sévère, avait frappé surtout la propagande, c’est-à-dire visé de préférence les convertisseurs et les convertis. Le second, œuvre de Maximin, s’était attaqué aux évêques et aux docteurs. Beaucoup d’autres fidèles avaient été, sous Septime Sévère comme sous Maximin, impliqués dans les poursuites, soit par extension, des termes primitifs des édits, soit par application des lois antérieures. Mais avant Dèce il n’avait point paru d’édit ordonnant de poursuivre d’office toute la population chrétienne, clergé, peuple, anciens et nouveaux fidèles, et de les contraindre à l’abjuration, sans distinction de rang, d’âge et de sexe. Tel que nous le laissent entrevoir les documents contemporains, et en particulier les lettres de saint Cyprien, l’édit de Dèce commandait à tous les chrétiens de se présenter à bref délai devant l’autorité pour faire leur abjuration ; sinon, les magistrats devaient procéder d’office à leur recherche. La désobéissance entraînait un procès criminel, la torture pour contraindre à l’apostasie et, si la torture restait inutile, la mort ou l’exil. Les biens des bannis et des fugitifs étaient dévolus au fisc.

 

II. — La persécution à Rome, en Italie, en Gaule et en Espagne.

L’édit de Dèce ne semble pas avoir ordonné, comme celui de Maximin, de rechercher de préférence les évêques ; mais il était d’une habile politique d’agir ainsi, et de mettre la main d’abord sur les chefs, afin que le troupeau fût entraîné par leur exemple à l’abjuration, ou privé de leur direction et de leur conseil par la mort. L’insensé, disent des Actes d’autorité douteuse, mais où se rencontrent des traits d’une bonne couleur historique, espérait que, s’il enlevait les tètes des Églises, tout le corps de l’Église périrait[67]. Le premier soin de celui que l’hagiographe appelle insensé, mais dont l’entreprise était conduite avec une rare finesse, fut de s’attaquer au chef par excellence, l’évêque de Rome. Dèce était devenu maître de l’Empire en octobre 249 ; dès le 20 janvier 250, le pape saint Fabien mourait martyrisé[68], et l’empereur avait la satisfaction de savoir vide la chaire de saint Pierre. Il aurait mieux aimé, dit un contemporain, voir un compétiteur lui disputer le trône qu’un évêque siéger à Rome[69].

On voit qu’un évêque de Rome était déjà, même pour le pouvoir civil, un grand personnage. Saint Fabien n’était pas inconnu du monde officiel. Des récits légendaires lui prêtent une grande intimité avec les Philippes[70]. Il eut certainement des rapports avec eux : leur successeur put retrouver dans les archives de la secrétairerie impériale la requête qu’il avait présentée pour être autorisé à rapporter de Sardaigne la dépouille mortelle du pape Pontien, et la minute de l’indult qui lui octroyait cette permission. Fabien paraît avoir été un de ces grands administrateurs qui, au troisième siècle, donnèrent à l’Église romaine une organisation si puissante. Calliste avait fondé la propriété ecclésiastique ; Fabien régla, au point de vue religieux, l’administration de la ville de Rome, et superposa, en quelque sorte, à la cité civile une cité ecclésiastique moulée exactement sur la première. Il divisa les régions entre les diacres, disent les anciens documents, et fit faire de nombreuses constructions dans les cimetières[71]. Ces deux mesures se tiennent, comme l’a démontré M. de Rossi[72]. Avant le pontificat de Fabien, les diacres avaient formé un seul corps, sous la présidence du premier diacre ; Fabien assigna à chacun le soin d’une ou deux régions civiles, composant désormais une région ecclésiastique, et désigna un ou plusieurs cimetières pour le service de celle-ci[73]. Le savant archéologue romain a déterminé, à l’aide des inscriptions, la composition exacte des circonscriptions religieuses[74]. La première, comprenant deux régions civiles (XII, Piscine publique, et XIII, Aventin) était placée sous l’autorité du premier diacre et desservie par les cimetières de la voie Appienne. La deuxième, formée des régions civiles II et VIII (mont Célius et Forum romain), correspondait à une zone cémétériale commençant à gauche de la voie Appienne et comprenant le cimetière de Prétextat. Les régions civiles III et V, c’est-à-dire tout l’Esquilin entre la porte Labicane et la porte Tiburtine, formaient la troisième région ecclésiastique, à laquelle était attaché le cimetière ad duas lauros. A la quatrième région ecclésiastique, composée des régions civiles VI (alta semita) et IV (Forum de la Paix), correspondaient les cimetières de la voie Nomentane. De la cinquième région ecclésiastique, composée de la région civile VII (via lata), dépendaient les cimetières de la voie Salaria. La sixième région ecclésiastique, correspondant à la région IX (Cirque Flaminien) possédait les cimetières de la nouvelle voie Aurelia. Enfin la septième région ecclésiastique, formée de la région XIV (Transtévère), était desservie par ceux de la voie Aurelia et de la voie Portuensis. Cette organisation dura jusqu’à la mise des cimetières sous séquestre par Valérien, et fut rétablie par le pape Denys, après leur restitution à la fin du règne de Gallien[75] : elle reliait l’administration paroissiale de Rome à la propriété ecclésiastique, régularisait et consolidait celle-ci, constituait, en quelque sorte, les cadres d’une Rome chrétienne.

Des mesures aussi importantes, prises sous le règne des Philippes, n’avaient pu demeurer inconnues au gouvernement de Dèce, et aurait suffi à désigner Fabien à ses premiers coups. Malheureusement, tout détail manque sur son martyre. La lettre circulaire du clergé de Rome sur la fin héroïque de son chef n’a pas été conservée. On possède seulement la réponse qu’y fit saint Cyprien : celle-ci contient le plus bel éloge de la vie et de la mort du pontife.

Cyprien, aux prêtres et aux diacres siégeant à Rome, salut.

Le bruit, encore incertain, de la mort de l’Homme excellent, mon collègue, courait parmi nous, quand j’ai reçu la lettre que vous m’avez envoyée par le sous-diacre Crementius, et dans laquelle vous me donnez tous les détails de sa fin glorieuse. Je me suis réjoui qu’une administration aussi intègre ait été noble-ment couronnée. Je vous félicite des témoignages dont vous honorez sa mémoire : la gloire en rejaillit sur vous, en même temps qu’elle nous encourage à la foi et à la vertu. Car, autant est nuisible aux disciples la défaillance de leur chef, autant l’exemple donné à ses frères par l’évêque est utile et salutaire à l’affermissement de leur foi[76].

Saint Fabien fut transporté, le lendemain de son supplice, dans le cimetière de Calliste[77], et déposé dans la chambre consacrée à la sépulture des papes, où reposaient déjà la plupart de ses prédécesseurs du troisième siècle. Sur la pierre étroite et mince qui fermait le tombeau du pape Fabien[78], et dont quatre morceaux ont été retrouvés, on lit, à la suite de l’abréviation ΕΠΙ (σxόπος), le signe M P, ou martyr. Il n’est pas gravé aussi profondément que les mots ΦΑΒΙΑΝΟΣ ΕΠΙ et l’a été certainement par une autre main, quelque temps après la depositio. Pour quelle raison n’écrivait-on pas immédiatement sur sa tombe ce titre de martyr si glorieusement mérité ? Peut-être voulut-on attendre la fin de la persécution de Dèce, dont Fabien avait été la première victime. Cependant le titre de martyr paraît avoir été inscrit tout de suite sur la pierre du pape Corneille, mort pendant une persécution ; on le trouve gravé non moins librement sur celle de saint Hyacinthe. En présence de ces exemples, le retard mis à l’inscription de ce titre sur le tombeau où fut déposé Fabien s’expliquerait difficilement par une raison de prudence ; on est porté à-lui attribuer une autre cause, purement disciplinaire. Dans les premiers siècles, comme de nos jours, les honneurs du culte public ne pouvaient être décernés à un martyr que par un acte de l’autorité ecclésiastique. Saint Optat rapporte à ce sujet un trait remarquable : à Carthage, une matrone chrétienne, nommée Lucilla, encourut les censures de l’Église pour avoir baisé, en communiant, les reliques d’un prétendu martyr dont le titre n’avait pas été juridiquement reconnu, nescio cujus hominis mortui, et si martyris, sed necdum vindicati[79]. Dans les temps de persécution, comme à toute époque de combat, les imaginations s’échauffaient aisément, les cœurs brûlaient, la légende se formait vite, et l’Église avait besoin d’une grande fermeté pour protéger contre une piété trop ardente la pureté de sa liturgie. Aussi n’inscrivait-elle dans ses canons, n’admettait-elle à la commémoration liturgique que les martyrs reconnus tels par une solennelle vindicatio, et probablement le titre de martyr ne pouvait être gravé sur leur tombeau avant cet acte juridique. La vindicatio de saint Fabien fut sans doute retardée par la longue vacance du siège pontifical, demeuré sans titulaire pendant les dix-huit mois qui s’écoulèrent entre la mort de ce pape et l’élection de saint Corneille[80].

L’Église romaine ne souffrit pas trop de cet intérim, imposé par la jalouse surveillance de Dèce, qui dans tout successeur de saint Pierre voyait un rival. Tout en se gardant d’usurper aucune des prérogatives du siège vacant, s’abstenant même, comme on vient de le voir, d’inscrire Fabien au catalogue des martyrs, le clergé de la ville dirigea avec sang-froid et dévouement la conscience des fidèles menacés par la persécution. Il se composait de quarante-six prêtres et de sept diacres, ces derniers plus particulièrement chargés de l’administration matérielle, si considérable au troisième siècle que le premier diacre était ordinairement comme le successeur désigné du pape[81] ; les ministres inférieurs, servant d’intermédiaire entre le corps presbytéral et les fidèles, étaient nombreux ; on comptait sept sous-diacres, quarante-deux acolytes, cinquante-deux exorcistes, lecteurs et portiers[82]. Sans cesse en rapport avec les diverses Églises, comme on le voit par la correspondance entretenue avec saint Cyprien, ce clergé, uni, ferme, sûr de son courage, mais un peu enclin à suspecter le courage des autres, parvint à préserver l’immense multitude[83] des chrétiens de Rome de trop nombreuses défaillances. Se considérant comme les chefs, les vice-pasteurs du troupeau orphelin[84], les prêtres romains s’efforcèrent de retenir sur la pente de l’idolâtrie les membres hésitants de la fraternité[85]. Nulle fatigue ne leur coûtait : il n’était point de péril qu’ils n’affrontassent, ayant devant les yeux, disaient-ils eux-mêmes, la crainte de Dieu et les peines éternelles, méprisant les craintes humaines et les souffrances passagères[86]. Par leurs exhortations, par leurs prières, par des démarches accomplies, en quelque sorte, sous le feu de l’ennemi, ils eurent plus d’une fois la joie de faire rentrer au bercail des chrétiens qui étaient sur le point de succomber aux séductions ou aux violences. Nous avons même réussi, disent-ils, à ramener chez eux des fidèles qui montaient au temple[87]. De ce nombre est peut-être cette Etecusa dont parle une autre lettre. Elle avait donné de l’argent pour être dispensée de sacrifier ; puis, ne croyant pas que cette première faiblesse suffit à la préserver de tout péril, elle s’était décidée à obéir à l’édit. Elle se dirigeait, à travers le Forum, vers le Capitole, pour y offrir l’encens et y faire les libations commandées ; tout à coup, prise de remords, ou ayant eu le bonheur de rencontrer sur sa route un de ces prêtres intrépides qui rôdaient aux abords des temples pour en détourner les fidèles hésitants, elle s’arrête, un peu avant de monter le clivus Capitolinus, dans la partie du Forum que l’on appelait, de trois statues de Parques ou de Sibylles, ad Tria Fata[88]. La grâce avait vaincu ; la pauvre femme revint sur ses pas, heureuse et à demi pardonnée[89]. Mais les bons pasteurs n’avaient pas toujours la joie d’imiter le berger divin si souvent peint dans les catacombes de cette époque, et de rapporter ainsi sur leurs épaules la brebis égarée. Des chutes venaient souvent les affliger. Ils indiquent discrètement, sans prononcer de noms, des personnages très en vue[90], riches ou nobles, qui cédèrent à la crainte de perdre leurs biens ou leur vie ; d’autres qui, arrêtés, abjurèrent entre les mains des bourreaux[91]. Mais ces faibles chrétiens ne furent pas abandonnés : les prêtres continuèrent à entretenir des rapports avec eux, leur reprochant doucement leur faute, les exhortant à la pénitence[92]. En même temps, aidés des diacres, ils purent continuer, sans en négliger aucun détail, l’administration charitable des deniers de l’Église. Malgré la pénurie de celle-ci, privée d’une partie de ses ressources par la persécution, qui rendait plus difficiles les réunions périodiques, plus rare par conséquent le versement des cotisations individuelles[93], les quinze cents veuves, infirmes, pauvres de toute sorte, inscrits sur les registres de la communauté chrétienne[94], ne cessèrent, non plus que les catéchumènes malades, les prisonniers et les bannis[95], de recevoir de la caisse ecclésiastique les secours accoutumés[96]. Enfin, la sépulture des chrétiens, martyrs ou simples défunts, continua d’être assurée dans les cimetières communs[97], respectés par Dèce[98], trop conservateur des anciennes lois de Rome pour songer à mettre la main sur des domaines funéraires.

Le clergé ne se contentait point d’administrer l’Église veuve de son chef, et d’encourager les fidèles à la résistance : il donnait en même temps l’exemple de celle-ci. Plusieurs de ses membres, et avec eux un grand nombre de chrétiens, furent incarcérés. Les lettres échangées fréquemment entre Rome et Carthage ont conservé les noms de quelques-uns de ces confesseurs. Il y avait deux prêtres, Moïse et Maxime ; deux diacres, Nicostrate et Rufin ; un jeune Africain nommé Celerinus, expiant courageusement en prison l’apostasie d’une de ses sœurs[99] ; beaucoup d’autres, clercs et laïques, Maris, Urbanus, Sidonius, Macarius[100], Saturninus, Calphurnius, Saturus, Bassianus, Uranius, Alexius, Quintianus, Collecta, Emerita, Maria, Sabina, Spesina, Januaria, Dativa, Donata, Colonica ; l’auteur de la lettre d’où la plupart de ces noms sont tirés ajoute : et tous ceux dont je n’ai pas écrit les noms, parce que j’étais fatigué[101]. La tactique des persécuteurs fut de laisser longtemps en prison ces généreux chrétiens. On avait immolé tout de suite le pape Fabien, parce qu’on espérait décapiter ainsi le clergé et la communauté chrétienne ; maintenant on voulait traîner en longueur, et lasser la patience des martyrs. Les mois s’écoulaient, prêtres, diacres, fidèles restaient comme oubliés en prison. Une seule confession fait un martyr, leur écrivait saint Cyprien ; vous, vous confessez le Christ toutes les fois que, invités à sortir de votre cachot, vous préférez à la liberté le cachot avec ses ténèbres, son horreur, avec la faim et la soif qui y règnent[102].

Les confesseurs ne restèrent pas cependant toujours oubliés : il y eut des interrogatoires, des tortures ; il y eut des morts dans le cachot ; il y eut des supplices et des martyrs. Étudions l’un après l’autre ces tragiques épisodes de la persécution de Dèce à Rome.

L’un des captifs nommés plus haut, l’Africain Celerinus, fut un jour tiré de prison et conduit devant un tribunal. Toi, par la volonté de Dieu, lui écrit son compatriote Lucien, tu as comparu devant le grand serpent, précurseur de l’Antéchrist ; en sa présence, tu n’as pas seulement confessé le Christ, mais tu as effrayé le persécuteur en proférant ces paroles, ces clameurs divines, par lesquelles je sais que tu l’as vaincu[103]. Ce texte, contemporain et authentique, est précieux. Il nous apprend que Dèce en personne, — le grand serpent précurseur de l’Antéchrist, ou, comme le dit plus simplement saint Cyprien racontant le même fait, le chef et l’auteur même de la persécution[104], — présidait quelquefois à l’interrogatoire des martyrs, et nous autorise par conséquent à ne pas rejeter comme invraisemblable cette circonstance, quand nous la rencontrons dans des Passions de moindre autorité. Il montre en même temps de quelle liberté de langage usaient quelquefois les martyrs parlant à leurs juges. Tu as effrayé le persécuteur, dit Lucien à son ami. En lisant ces mots, on se souvient de saint Paul, deux siècles plus tôt, faisant trembler le préfet de Judée : tremefactus Félix[105]. Comme saint Paul dans une autre circonstance, Celerinus put se tirer de la gueule du lion[106]. Dèce, qui n’était pas naturellement féroce, et qu’une idée fausse, alimentée par de mesquines rancunes politiques, avait seule conduit à persécuter, se laissa peut-être toucher par sa jeunesse, par son courage, par l’audacieuse franchise de ses paroles[107] : il semble n’avoir pas été incapable de ces soudains revirements, dont on connaît d’autres exemples[108]. Celerinus, après avoir passé dix-neuf jours enchaîné et dans les ceps[109], après avoir pâti de la faim et de la soif[110], le corps couvert de blessures, pale, amaigri, portant sur tous ses membres les marques désormais ineffaçables des privations et de la torture[111], sortit de prison longtemps avant la fin de la persécution, dès le printemps de 250, et se rendit à Carthage, où Cyprien l’admit au grade de lecteur[112]. Il appartenait à une famille de martyrs, et avait glorieusement marché sur les traces de trois des siens morts pendant la persécution de Septime Sévère, Celerina, son aïeule, ses oncles, deux anciens soldats, Laurent et Ignace, dont l’anniversaire était solennellement célébré dans l’Église de Carthage[113].

Rien n’était plus inégal que le traitement infligé aux chrétiens détenus dans les prisons de Rome. Nous venons de voir l’un d’eux obtenant sa délivrance après de nombreux et intrépides combats ; d’autres, plusieurs fois torturés, étaient replongés dans les cachots à la suite de chaque torture, et atteignaient ainsi la fin de la persécution, comme Maxime, Urbain, Macarius[114]. Un des premiers incarcérés, le prêtre Moïse, mourut en prison, après y avoir passé onze mois et onze jours[115]. Avant lui, plusieurs avaient déjà succombé, soit aux supplices, soit à la torture, soit aux privations de toute sorte qu’on endurait dans les prisons romaines ; saint Cyprien parlait ainsi de ces premières victimes de la persécution de Dèce à Rome, dans une lettre adressée à moïse lui-même et à ses compagnons de captivité : Bienheureux sont-ils, ceux-là qui, s’éloignant de vous par un chemin de gloire, ont déjà quitté le siècle, et, ayant achevé leur course de courage et de foi, sont parvenus à l’embrassement de Dieu ![116]

Dans une autre lettre aux mêmes confesseurs, saint Cyprien dit que l’exemple donné par eux au commencement dé la persécution fut le signal de la résistance, et suscita. des martyrs jusque dans Carthage (Ep. 25). A Rome, les documents hagiographiques nomment deux groupes de saints qui versèrent, pendant l’été de 250, leur sang pour le Christ.

J’ai déjà parlé de Calocerus et Partenius, anciens serviteurs du consul chrétien Æmilianus, et tuteurs de sa fille Anatolia. Les détails donnés par leurs Actes ne sont pas inconciliables avec ce que disent les plus anciennes rédactions du Martyrologe hiéronymien, qui font du premier un chambellan et de l’autre un secrétaire de Dèce[117]. Il se peut que, affranchis longtemps auparavant par Æmilianus[118], mais restés avec lui dans une étroite relation de familiarité et de clientèle, ils soient entrés, sous Philippe, dans la domesticité impériale, où les trouva Dèce en prenant possession du Palatin. Cette circonstance attira probablement sur eux les regards du persécuteur, irrité de trouver des chrétiens jusque dans sa maison, et mal disposé d’avance contre tous ceux qui avaient servi Philippe ; les Actes et le Martyrologe hiéronymien s’accordent à placer leur passion sous son règne ; ils en fixent la date au 19 mai (XIV kal. jun.) ; les Actes ajoutent même l’indication précise de l’année : ce fut celle où Dèce et Gratus étaient consuls[119], c’est-à-dire 230.

Cet accord, et la date consulaire si nettement marquée, ce que n’ont point coutume de faire les auteurs de légendes entièrement imaginaires et fabuleuses[120], suffiraient à nous persuader de la réalité historique des faits rapportés dans les deux documents, si un troisième, de grande autorité, ne venait jeter une note discordante. Le célèbre calendrier philocalien des Dépositions des martyrs, compilé dans la première moitié du quatrième siècle[121], marque au 19 mai, comme les Actes et le Martyrologe, la commémoration de Calocerus et Partenius, mais ajoute une date consulaire toute différente, celle de l’année 304, Dioclétien étant consul pour la neuvième fois et Maximien pour la huitième[122]. Cette contrariété d’indication a beaucoup embarrassé les critiques des derniers siècles[123]. Les découvertes modernes en ont donné la clef. M. de Rossi a lu dans le cimetière de Calliste, où avaient été enterrés, d’après tous les documents, les deux martyrs[124], une inscription gravée sur la paroi d’une porte donnant accès à une chambre d’aspect grossier, voisine de la chapelle richement décorée où reposa saint Eusèbe. Cette inscription se compose de deux parties : une date écrite en lettres cursives : Le trois des ides de février[125] ; et plus loin, en caractères majuscules, probablement tracés plus tard : de Calocère, martyr, de Partenius, martyr[126]. Cette date, si différente de celle du martyre des deux saints, ne se peut rapporter qu’à une translation de leurs reliques. Elle dut avoir lieu après 303, quand les cimetières eurent été, sous Dioclétien, déclarés propriété du fisc : les chrétiens espérèrent sauver des profanations les restes des deux martyrs de la persécution de Dèce, en les transportant de leur sépulture primitive dans un lieu plus obscur, sorte de coin perdu où personne n’irait les chercher. A cette translation fait allusion le calendrier des dépositions, quand à la date primitive il ajoute celle de l’année 304, confondant ainsi, dans un même souvenir, les deux sépultures successives des martyrs.

La difficulté ainsi écartée par une conjecture qui est bien près d’être une certitude, on ne peut guère hésiter désormais à ranger Partenius et Calocerus parmi les martyrs de l’an 250. La démonstration serait entièrement faite si l’on pouvait retrouver le tombeau où ils reposèrent d’abord et en déterminer la date. Une autre découverte a suggéré à Al. de Rossi une hypothèse dont il ne dissimule nullement le caractère conjectural, mais qui offre de toute manière un grand intérêt. Dans la même région du cimetière de Calliste, c’est-à-dire dans celle qui fut donnée à l’Eglise par la fille du consul Æmilianus, à l’étage supérieur est creusé un curieux arcosolium. Les peintures qui le décoraient ont à peu près disparu, à l’exception de celles qui ornent le sous-arc ou soffite[127]. Celle de gauche, bien conservée, représente un sujet très rare dans l’art chrétien primitif. Un homme, vêtu de la tunique et du pallium, la tête ceinte d’une couronne de laurier, est debout sur un tribunal : c’est un juge ou, plus probablement, l’empereur, car lui seul avait le droit de siéger la tête couronnée de laurier[128]. Il est vu de profil : il a le bras droit à demi étendu, la main légèrement soulevée, comme un homme qui argumente et impose le silence. Debout au pied du tribunal se tient un personnage enveloppé dans sa toge ; il a également la main droite levée, sa chevelure est épaisse, il est barbu. On ne peut déterminer, en l’absence de toute inscription, quel rôle joue ce dernier : est-ce un accusateur, est-ce un assesseur du juge ? Au contraire, l’attitude de la troisième figure, placée près de celle-ci, et se présentant presque de face au spectateur, a une très claire signification. C’est un homme jeune encore et imberbe ; une abondante chevelure frisée couvre son front. Il est vêtu d’une tunique ornée de larges bandes de pourpre. Sa main droite est levée, la gauche est appuyée contre sa poitrine. D’un regard ferme et ardent, brûlant d’enthousiasme, il fixe l’œil irrité du juge. Il semble qu’on entende sortir de sa bouche quelqu’une de ces paroles de feu que nous ont conservées les Actes des martyrs, et qui faisaient dire aux païens que le chant du cygne des chrétiens est terrible[129]. C’est évidemment un martyr ou un confesseur aux prises avec son juge. Près de lui, un quatrième personnage est vu de profil ; il est couronné de laurier et semble se retirer, le menton appuyé sur sa main droite, avec un geste de mécontentement et de dépit : c’est peut-être le prêtre païen qui devait offrir le sacrifice, et s’éloigne devant le refus du martyr[130]. Telle est la scène peinte à gauche, au pied de la voûte. De celle de droite un seul vestige a été conservé : on distingue la partie supérieure d’un personnage couronné de laurier, et qui semble assis. Y aurait-il excès de conjecture à prêter à l’auteur de ces deux tableaux, qui se font pendant, l’intention de représenter l’interrogatoire de Calocerus sur l’un, de Partenius sur l’autre[131], de même que, plus tard, un sculpteur chrétien à représenté la décapitation de Nérée sur un chapiteau de la basilique souterraine de Pétronille, et celle de son compagnon Achillée sur un chapiteau parallèle[132] ? Le lieu où ont été trouvées ces curieuses fresques, à peu de distance de la chapelle où reposèrent, au quatrième siècle, les deux serviteurs d’Æmilianus, et dans l’area même donnée à l’Église par leur pupille Anatolia, permet cette hypothèse : elle reçoit quelque force de l’âge visible de la peinture, qui n’a rien de byzantin, et semble appartenir par le style au milieu du troisième siècle, c’est-à-dire à l’époque même de la persécution de Dèce[133].

Les Martyrologes placent sous Dèce la mort pour le Christ de deux nobles Persans, Abdon et Sennen. Malheureusement, leurs Actes manquent d’autorité : les quelques traits antiques qu’on y a relevés[134] se rencontrent dans un grand nombre d’autres pièces martyrologiques, d’où le compilateur a pu les imiter. On pourrait, sans invraisemblance, conjecturer que les deus Persans, s’ils sont les nobles personnages que disent les Actes, avaient été faits prisonniers ou amenés comme otages, non par Dèce, comme le disent les Actes, car A ne fit jamais la guerre en Perse, mais par Gordien ou par Philippe, lors de l’expédition qui coûta la vie au premier et donna l’Empire au second : ils auraient depuis lors vécu à Rome. Mais on pourrait peut-être admettre aussi qu’Abdon et Sennen furent simplement des commerçants ou des artisans orientaux, comme il y en avait beaucoup alors établis à Rome[135]. Un seul fait est certain, leur sépulture dans la catacombe de Pontien, appelée aussi ad Ursum pileatum, sur la voie de Porto. Le calendrier philocalien y place leur commémoration au 30 juillet[136]. Une fresque de basse époque[137], peut-être contemporaine des rédactions de leurs Actes venues jusqu’à nous, se voit dans le baptistère de la catacombe[138]. Ils portent l’un et l’autre une. sorte de bonnet phrygien, comme tous les Orientaux représentés par l’art romain, aussi bien les captifs des bas-reliefs ou des arcs de triomphe que les mages des peintures chrétiennes : le reste de leur costume est assez étrange, et se compose d’un manteau à capuchon, ouvrant sur une tunique de peau, déchiquetée par le bas, de manière à laisser les cuisses à découvert[139]. Les noms des deux saints sont écrits près d’eux, et à leurs côtés se voient saint Vincent et un martyr inconnu, saint Milix. Si la date assignée par les martyrologes est exacte, il se pourrait que, ayant vécu à la cour de Philippe, dans la semi-liberté ou même dans la familiarité accordée à des otages d’illustre origine, Abdon et Sennen aient été victimes non seulement de leur foi, mais aussi de la rancune que les écrivains chrétiens attribuent à Dèce contre tout ce qui touchait à la personne de son prédécesseur. La réaction païenne dut atteindre de préférence ses familiers et ses serviteurs ; ainsi s’expliquerait le rapide martyre de Calocerus et de Partenius, d’Abdon et de Sennen, alors que tant d’autres chrétiens, que nulle attache politique ne reliait à Philippe, étaient gardés pendant de longs mois en prison.

Les Martyrologes et les recueils de Passions mentionnent en Italie d’autres chrétiens qui versèrent leur sang pour le Christ pendant la persécution de Dèce. Malheureusement leurs Actes inspirent peu de confiance et n’ont pas, comme ceux dont nous venons de parler, l’appui des monuments. Cependant, si l’on retranche quelques indications évidemment fautives, ceux des saints Secondien, Marcellien et Veranius[140] ne paraîtront pas indignes d’attention. Ni Secondien ni Veranius ne furent ensemble préfets de Rome, comme le dit le passionnaire, et, morts sous Dèce, ne peuvent avoir été contemporains du pape saint Sixte II, ainsi qu’il le raconte maladroitement. Mais un détail intéressant porte à croire que le récit de leur martyre ne fut pas rédigé à une époque tout à fait basse. Pourrait-on sans vraisemblance en fixer la composition au commencement du quatrième siècle[141] ? Les Actes racontent que Secondien et Marcellien se convertirent à ta religion chrétienne en méditant la quatrième églogue de Virgile, et en cherchant le sens mystérieux de ses premiers vers[142]. Les contemporains de Dèce ne voyaient probablement pas dans les vers du grand poète de Mantoue la prophétie de l’ordre nouveau inauguré par le Christ ; au contraire, quand la révolution politique et religieuse qui mit le christianisme sur le trône avec Constantin eut été consommée, les fidèles se plurent à reconnaître dans l’harmonieux début de la célèbre églogue un écho des prédictions antiques dont ils saluaient avec ivresse le définitif accomplissement. Cette interprétation devint en quelque sorte officielle lorsque Constantin se la fut appropriée dans un discours public conservé (et peut-être composé) par Eusèbe[143]. La Passion de Secondien, Marcellien et Veranius pourrait avoir été rédigée vers le même temps : elle semble refléter les idées du quatrième siècle. Mais s’il en était ainsi, n’étant séparé du règne de Dèce que par soixante ans environ, son auteur eût pu être renseigné par une tradition exacte sur la substance des faits qu’il amplifie et embellit dans sa narration. Il nous montre les trois païens émus, non seulement par les vers de Virgile, mais aussi par la considération de l’intrépidité des chrétiens au milieu des souffrances, et par la pensée des croyances que cette intrépidité supposait. Les adorateurs du Christ soutiennent qu’après la mort il y aura une résurrection et un jugement, et qu’à la suite de cette vie misérable une autre commencera qui n’aura pas de fin, où la douleur et les gémissements seront remplacés par la paix et la félicité éternelles. Ces réflexions n’étaient pas étrangères aux païens du troisième siècle : un document de cette époque (que nous analyserons dans un autre chapitre) montre des paroles semblables échangées entre les assistants pendant le supplice d’un martyr[144]. Le passionnaire rapporte que, conduits à Centumcelles par l’ordre de Dèce, les trois convertis furent livrés au consulaire de Toscane[145], qui, ayant vainement essayé de les contraindre à sacrifier aux dieux, leur fit trancher la tête. L’imagination du narrateur reparaît dans les traits merveilleux qui accompagnent le supplice.

On compte encore parmi les victimes que la persécution de Dèce fit en Italie sainte Anatolie et sainte Victoire, qui périrent vraisemblablement dans la Sabine[146] ; saint Magnus, martyrisé dans la banlieue de Rome[147] ; sainte Fusca, jeune fille de Ravenne, qui instruit elle-même sa nourrice Maura et meurt avec elle pour le Christ[148] ; le diacre saint Maxime, dans les Abruzzes[149]. Malheureusement, les Actes de ces divers saints ont peu d’autorité ; ceux de sainte Anatolie et sainte Victoire sont un roman, assez analogue aux Actes de sainte Flavie Domitille, dont nous avons parlé ailleurs[150] ; ceux de sainte Maura sont peu anciens, bien que le trait d’apostolat domestique qui y est rapporté puisse être rapproché d’autres épisodes de même nature, et offre de la vraisemblance[151]. Les documents relatifs aux martyrs de Sicile ne sont pas meilleurs. La Passion de saint Nicon et de ses compagnons, immolés pour la foi à Messine[152], est, au témoignage de Bolland et de Tillemont, une pièce sur laquelle on ne peut rien appuyer, et dont toutes les circonstances sont fabuleuses[153]. On voudrait pouvoir parler plus favorablement des Actes de l’illustre martyre de Catane, sainte Agathe. Son nom est inscrit dans le martyrologe hiéronymien[154], dans le calendrier de Carthage[155], la poésie a chanté sa gloire[156], et la postérité chrétienne a placé sa fière et virginale figure près de sainte Agnès[157]. Malheureusement le récit qui nous est parvenu de son martyre est l’œuvre d’un écrivain de basse époque, plus soucieux de composer un roman édifiant et merveilleux que de coordonner avec vraisemblance des traditions historiques[158]. Cependant quelques traces exactes paraissent avoir été conservées ; j’aurais bien de la peine à ranger parmi les inventions du narrateur les sublimes réponses d’Agathe aux interrogations du gouverneur de Sicile. Quelle est ta condition ? lui demande le juge. — Je suis de condition libre et de naissance noble, toute ma parenté en fait foi. — Si tu es libre et noble pourquoi mènes-tu la vie basse d’une esclave ?Je suis servante du Christ, et par là de condition servile. — Si tu étais vraiment libre et noble, tu ne t’humilierais pas jusqu’à prendre le titre d’esclave. — La souveraine noblesse est d’être l’esclave du Christ[159]. Rien n’est plus conforme aux sentiments et au langage des chrétiens de cette époque, qui se plaisaient parfois à prendre, par humilité, le titre et la manière de vivre d’esclaves[160].

Si ces diverses pièces ne peuvent être reçues sans réserves, tout à fait historiques sont, au contraire, les courts documents qui nous ont conservé la mémoire de deux martyrs de Capoue. Dans un calendrier de Ravenne[161] et un autre de Capoue[162] est marqué l’anniversaire de saint Augustin, évêque de cette ville, et de sa mère sainte Félicité. Une courte chronique insérée dans un livre sur le cycle pascal, de la fin du quatrième siècle, et empruntée vraisemblablement à une source ancienne, indique la date de leur martyre. Les chrétiens souffrirent pour la quatrième fois une persécution sous l’empereur Dèce, auteur de leurs maux. Dans cette persécution, Cyprien exhorta par ses lettres Augustin et Félicité, qui souffrirent à Capoue, métropole de la Campanie[163]. Les lettres de saint Cyprien aux deux martyrs sont malheureusement perdues, comme tant d’autres du grand docteur, et avaient probablement déjà péri quand fut formé le recueil de sa correspondance. Il est intéressant d’en trouver ici la mention. Personne ne s’étonnera que l’évêque de Carthage, dont l’activité était si grande, et comme universelle, ait correspondu pendant la persécution avec son collègue de Capoue. Les relations épistolaires commencées alors paraissent s’être continuées, après la mort d’Augustin, avec son clergé privé de chef. C’était assez la coutume de Cyprien d’encourager les Églises que la persécution avait rendues veuves : nous l’avons vu et nous le verrons encore correspondre avec celle de Rome, pendant la longue vacance qui suivit le martyre du pape Fabien. Au clergé de Capoue (ad clerum Capuæ) il fera parvenir, à titre d’encouragement, de justification ou de conseil, un exemplaire de son traité De lapsis[164].

L’Italie ne fut pas la seule contrée de l’Occident où coula le sang chrétien. La Gaule avait eu des martyrs sous Marc-Aurèle et Septime Sévère : elle n’échappa certainement pas à une persécution systématique comme celle de Dèce, qui visait à détruire le christianisme dans tout l’Empire. Malheureusement, un seul épisode de ce temps a été conservé, et précisément il a trait à la mort d’un saint immolé dans une émeute, non à une application régulière de l’édit. Celui-ci dut être exécuté rigoureusement dans les villes comme Arles, Marseille, Lyon, Vienne, Autun, où le christianisme s’était répandu de bonne heure ; mais le nom du Christ était encore trop peu connu sur les confins de l’Aquitaine et de la Narbonnaise pour que les magistrats aient songé à rechercher les fidèles de ces régions. Le fondateur de l’Église de Toulouse, saint Saturnin, est contemporain de Dèce. Le rédacteur de sa Passion, — peut-être composée un demi-siècle seulement après les faits[165], — raconte que Saturnin réunissait dans une maison voisine du Capitole municipal le troupeau que’ sa parole avait gagné à l’Évangile. Comme il arriva plus d’une fois, le voisinage des chrétiens troubla le culte des démons : les dieux cessèrent de rendre des oracles et les entrailles des victimes ne montrèrent plus les signes accoutumés. Les prêtres s’émurent : leur émotion se communiqua au peuple. Uri jour que Saturnin passait, accompagné de trois membres de son clergé, la foule se jeta sur lui, laissant échapper ses compagnons. On le fit monter au Capitole, et, sur son refus d’adorer les dieux, on l’attacha à un taureau préparé pour le sacrifice[166]. Chassé par la foule, le taureau descendit en courant les degrés du Capitole, traînant après lui le martyr, dont la tête se brisa contre les marches de pierre. Deux chrétiennes donnèrent à ses reliques une sépulture provisoire. L’auteur du récit que nous résumons a lu dans les actes publics[167], c’est-à-dire dans quelque procès-verbal rédigé par l’autorité romaine à la suite de ce mouvement populaire, la date du martyre de saint Saturnin ; il eut lieu sous le consulat de Dèce et de Gratus, c’est-à-dire en 250[168].

La persécution de Dèce atteignit-elle l’Espagne ? La réponse doit encore être affirmative ; cependant on connaît, pour l’histoire religieuse de la péninsule au milieu du troisième siècle un seul épisode, qui est loin d’être glorieux. L’Espagne entendit probablement la parole évangélique dès l’aurore des temps chrétiens ; saint Paul, qui avait assigné ce pays pour terme à ses courses apostoliques, l’a peut-être visitée[169] ; des traditions qu’on n’a pas le droit de mépriser nomment sept évêques qui, à une époque très ancienne, auraient fondé des sièges épiscopaux dans la Bétique[170]. Mais à ces données sommaires se borne ce qu’on sait des annales religieuses de l’Espagne avant Dèce. Les persécutions précédentes y versèrent-elles le sang des fidèles ? Les analogies et les vraisemblances historiques portent à le supposer ; aucun fait précis ne renseigne à cet égard[171]. Une seule chose est certaine, c’est qu’avant la fin du second siècle l’Espagne avait des Églises constituées[172]. Au milieu du troisième, l’édit de Dèce fut certainement appliqué en Tarraconaise et en Lusitanie : nous ignorons s’il fit des martyrs, mais nous savons malheureusement qu’il fit des apostats. Une ville, Legio (Léon), s’était formée autour du camp permanent occupé, au nord-ouest de la Tarraconaise, par la légion VII Gemina, la seule qui à partir de Domitien ait tenu garnison en Espagne[173]. Cette ville toute militaire avait un évêque, Basilide, dont la juridiction s’étendait aussi sur la magnifique[174] cité d’Asturica Augusta (Astorga)[175] : il ne sut pas résister à l’édit de Dèce et acheta des magistrats un certificat de sacrifice[176]. Non seulement il devint libellatique, mais, poussé sans doute au désespoir par les reproches de sa conscience, et tombé malade, il proféra sur son lit de douleur des blasphèmes contre Dieu[177]. Martial, évêque d’Emerita (Mérida), fut plus coupable encore. Même avant que la persécution mit sa foi à l’épreuve, il avait manqué gravement aux règles de la discipline chrétienne. On l’avait vu fréquenter les fêtes profanes d’un de ces collèges funéraires dont l’Empire était rempli[178], et, bravant les prohibitions de l’Église, faire enterrer ses fils parmi les païens dans le cimetière commun des sociétaires[179]. Un tel homme ne dut pas opposer une longue résistance aux ordres impériaux : il s’empressa de signer une déclaration d’apostasie[180], jetant une ombre fâcheuse sur l’histoire chrétienne de la ville qui devait, un demi-siècle plus tard, voir naître l’Agnès de l’Espagne, la charmante sainte Eulalie.

Les rigueurs paraissent avoir diminué à Rome vers la fin de 250. La sécurité relative, peu à peu rendue aux chrétiens, fut assez grande pour que de nombreux évêques, fuyant la persécution, aient été chercher un asile dans la capitale de l’Empire[181], où, du reste, il était plus facile que partout ailleurs d’échapper aux poursuites et de vivre caché. Bientôt le clergé et le peuple purent songer au choix d’un pontife. L’élection fut rendue possible par le départ de Dèce, qui, vers le printemps de 251, quitta Rome pour aller en Mésie combattre une invasion de Goths[182]. Corneille, prêtre d’une vertu exemplaire, d’un esprit doux et modéré, appartenant surtout à une grande famille romaine, fut choisi[183], malgré l’opposition des rigoristes auxquels était suspecte sa condescendance pour les chrétiens qui avaient eu le malheur de faillir. Au parti rigoriste se joignit un groupe nombreux de confesseurs, exaltés par les souvenirs de la persécution. Les opposants nommèrent un antipape, Novatien. Mais reconnu parla majorité des fidèles, élu par la presque unanimité du clergé, consacré par seize évêques, Corneille parvint à ramener vers lui les confesseurs dissidents.

Monter, même pendant une accalmie, sur la chaire de saint Pierre exigeait un grand courage. Il fallait une foi bien ferme pour s’y asseoir à l’époque où un tyran acharné contre les prêtres de Dieu s’emportait aux menaces les plus violentes, et eût mieux aimé apprendre la révolte d’un compétiteur que l’élection d’un pontife romain[184]. Ces paroles de saint Cyprien, écrites au lendemain de l’élection de Corneille, montrent que les contemporains ne croyaient pas, au milieu de 251, la persécution finie.

 

 

 



[1] Aurelius Victor, Épitomé, 29 ; Zosime, I, 21.

[2] Decios... quorum et vita et mors veteribus comparanda est. Vopiscus, Aurelianus, 42.

[3] Aurelius Victor, l. c.

[4] Trebellius Pollion, Claudius, 13 ; cf. Eckhel, Doctr. numm. vet., t. VII, p. 345.

[5] Cf. Tillemont, Histoire des Empereurs, t. III, p. 317.

[6] Trebellius Pollion, Valerius, 6.

[7] Voir, sur ce sujet, des pages remarquables de M. Fustel de Coulanges, la Cité antique, p. 473 et suiv.

[8] Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 39.

[9] Saint Jérôme, Chron., ad ann. 253.

[10] Rufin, Hist. Ecclés., VI, 29.

[11] Orose, VII, 21.

[12] Aubé, l’Église et l’État dans la seconde moitié du troisième siècle, p. 4, 7, 13, 14.

[13] Ibid., p. 7. — Je dois ajouter, pour être équitable, que l’auteur auquel j’emprunte ces paroles blâme plus loin, au risque de se contredire un peu, cette politique prétendue conservatrice qui, si elle était logique et poussée à fond, n’allait à rien moins qu’à l’extermination d’un grand nombre de citoyens honnêtes et irréprochables, et à un trouble profond porté dans toutes les relations civiles. Aubé, ibid., p. 71.

[14] Origène, Contra Celsum, VIII, 73.

[15] Vestra omnia implevimus... castra ipsa. Apologétique, 37.

[16] Vobiscum et militamus. Ibid., 42.

[17] Tertullien, De Corona militis, 1.

[18] Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 41, 22.

[19] Voir Appendice D ; cf. Dion, LV, 23.

[20] Bullettino di archeologia cristiana, 1865, p, 24, 49, 50 ; Armellini, Antichi cimiteri cristiani di Roma, 1884, p. 172-174.

[21] Bull. di. arch. crist., 1869, p. 77. Cf. Hérodien, Hist., VIII, 4.

[22] Les soldats Emeterius et Chelidonius, martyrisés à Calaborra, firent vraisemblablement partie de cette légion. Voir Prudence, Peri Stephanôn, I.

[23] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 4 ; Lactance, De mortibus perseculorum, 10. Cf. La Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 101-147.

[24] Saint Luc, III, 14. — Saint Paul emploie volontiers les comparaisons tirées du service militaire (II Tim., II, 3-5). De même saint Clément de Rome (II Ep., 37).

[25] Const. Ecclés. Ægypt., II, 41.

[26] Concilium Arelatense, canon 3. — Les inscriptions mentionnant des soldats chrétiens sont peu nombreuses comparativement aux épitaphes de soldats païens ; mais on sait combien est rare sur les marbres, dans l’épigraphie chrétienne primitive, l’indication de la profession, de la patrie ou même de la famille des défunts. Quoi de plus rare que la mention de la qualité d’esclave sur une épitaphe chrétienne ? Cependant on sait que le nombre des esclaves était immense dans la primitive Église.

[27] Borghesi, Œuvres, t. V, p. 311 ; Renier, Mélanges d’épigraphie, p. 18.

[28] Dion Cassius, LXXVII. 9, cf. Borghesi, t. IV, p. 311 ; t. V, p. 389 ; Willmanns, Exempla inscr. lat., sur le n° 1210 ; Cantarelli, dans Bull. della com. arch. com., 1891, p. 99.

[29] Aurelius Victor, De Cæsaribus, 35 : ... ne imperium ad optimas nobilium transferetur, senatum militia vetuit, etiam adire exercitum (Pour ne parler ici que des sénateurs... il leur avait interdit le service militaire, et même l'approche de l'armée).

[30] Ibid., 23 : quanquam genere salis clarus.

[31] Constitution de Dioclétien, au Code Justinien, XII, XXIV, 2. Cf. X, XXXI, 54, et Code Théodosien, VIII, IV, 28.

[32] Arrius Menander, au Digeste, XLIX, XVI, 4, § 10.

[33] Ibid.

[34] Duruy, Histoire des Romains, t. VI, p. 366.

[35] Arcadius Charisius, au Digeste, L, IX, 18, § 13. — Dès le premier siècle, la légion s’appelle militia provincialis, militia peregrina et externa ; plus tard on l’appellera même legio barbarica. Voir Mommsen, Die Conscriptionordnung der römischen Kaïserzeil, dans l’Hermès, 1884, I, 80 ; cf. Camille Jordan, Bulletin épigraphique de la Gaule, 1885, p. 147.

[36] Léon Renier, Rapport sur les inscriptions de Troesmis, dans les Comptes-rendus de l’Académie des inscriptions, 1865, p. 293.

[37] Duruy, Histoire des Romains, t. VI, p. 373.

[38] Decuriones, quos sedibus civitatis, ad quant pertinent, relictis, in alia loca transmigrasse probabitur, præses provinciæ in patrium solum revocare, et muneribus congruentibus fungi curet. Ulpien, au Digeste, L, II, 1.

[39] ... Eos, qui inviti fiunt decuriones. Trajan à Pline, Lettres, X, 114.

[40] Divus Pius rescripsit, ut, quotiens de aliquo naviculario quæratur, illud excutiatur, an effugiendorum munerum causa imaginem navicularii induat. Digeste, L, VI, 5, § 9. Cf. Lacour-Gayet, Antonin le Pieux, 1888, p. 189.

[41] De Pressensé, Histoire des trois premiers siècles de l’Église chrétienne, t. VI, 1877, p. 496.

[42] De Pressensé, ibid.

[43] Clément d’Alexandrie, Pædog., III, 11, 78.

[44] De idololatria, 17.

[45] Ibid.

[46] Ibid.

[47] Tillemont, Mémoires, t. III, art. XIII sur Tertullien. M. P. Monceaux (Hist. litt. de l’Afrique chrétienne, t. I, p. 209) le place vers 211 ou 212.

[48] Apologétique, 37.

[49] Ibid.

[50] Lettre de saint Denys d’Alexandrie à Fabius, évêque d’Antioche, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 41, 11. — On vit même, par un abus contre lequel proteste saint Cyprien, des évêques accepter des emplois publics : Episcopi plurimi, divina procuratione contempta, procuratores regum sæcularium facti sunt. De Lapsis, 6.

[51] De Pressensé, ouvr. cité, p. 495.

[52] Duruy, Histoire des Romains, t. VI, p. 389.

[53] Littré, Études sur les Barbares et le moyen âge, 1867, p. 27.

[54] Ibid., p. 15.

[55] Veniam igitur ejus honoris peto, cui... inpar est confidentia, cui tempora sic repugnant, ut censuram hominum natura non quærat (Je te demande donc d’être dispensé de cet honneur qui est incompatible… avec mon manque de confiance en moi et si peu approprié à notre époque que la nature humaine n’éprouve plus le besoin d’avoir une magistrature censoriale). Trebellius Pollion, Valerianus, 6.

[56] Saint Cyprien, Ep. 8, 53,

[57] Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 39.

[58] Saint Jérôme, Vita S. Pauli erem.

[59] Parvulos occupavit inertes. Commodien, qui rapporte (Instr., II, 10 ; Corp. Script ecclés. lat., t. XV, Vienne, 1887, p. 72) ce détail, dont il n’est question dans aucun autre écrit sur les persécutions, ajoute qu’il espère les voir revenir plus tard dans le sein de l’Église, leur mère véritable et y trouver une nouvelle naissance. (Ibid., p. 73).

[60] Origène, Contra Celsum, VIII.

[61] Cf. saint Cyprien, Ep. 35.

[62] Lactance, De mort. persec., 4.

[63] Saint Optat, Ad Parmen., III.

[64] Saint Hilaire, Contra Constant., II, 7.

[65] Saint Denys d’Alexandrie, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 41, 10.

[66] Origène, Homil. IX in Josue.

[67] Passio SS. Caloceri et Parthenii, dans les Acta SS., mai, t. IV, p. 301.

[68] Fabius... fuit temporibus Maximi et Gordiani et Filippi, a cons. Maximiani et Africani (236) usque Decio II et Grato (250). Passus XII Kl. Feb. Catalogue libérien, dans Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 4.

[69] Saint Cyprien, Ep. 52.

[70] Voir l’appendice C.

[71] Hic regiones divisit diaconibus... et multas fabricas per cimiteria fieri jussi. Catalogue libérien, dans Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 4.

[72] De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 199.

[73] Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 10.

[74] De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 515-518 ; Piante di Roma, p. 78.

[75] Roma sotterranea, t. II, p. 200.

[76] Saint Cyprien, Ep. 3.

[77] XIII Kal. Feb. Fabiani in Callisti. Depositiones martyrum, dans Ruinart, p. 692.

[78] Je demande la permission de reproduire ici une page de la Rome souterraine française, où est résumée presque textuellement l’opinion de M. de Rossi.

[79] Saint Optat, De schim. Donatist., I, 16.

[80] Rome souterraine, p. 206, 207. Cf. De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 59-61.

[81] Voir De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 8 et suivantes.

[82] Lettre du pape saint Corneille (251) à Fabius, évêque d’Antioche, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 33.

[83] Ibid. — Gibbon, Reumont (Gesch. der Stadt Rom, t. 1, p. 554), Friedlander (Sittengeschichte, t. III, p. 531), estiment qu’il devait y avoir à Rome, vers le milieu du troisième siècle, cinquante mille chrétiens ; Harnack (Die Mission und, Ausbreitunq des Christenthums in den ersten drei Jahrhunderten, 1902, p. 498) dit plus de trente mille. Tous s’appuient, pour faire cette estimation hypothétique, sur la comparaison de la lettre du pape Corneille, citée plus haut, avec une statistique donnée pour Antioche par saint Jean Chrysostome. Au temps de ce dernier, Antioche comptait cent mille chrétiens (In Matth. Hom. LXXXV), et la communauté chrétienne de cette ville nourrissait trois mille veuves et vierges (In Matth., Hom. LXVI, 3). Comme, d’après la lettre de saint Corneille (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 43), l’Église de Rome entretenait, au milieu du troisième siècle, environ quinze cents veuves et infirmes, on est conduit par l’analogie à attribuer à la population chrétienne de Rome, en ce temps, environ cinquante mille âmes. Mais ce calcul ne peut être que très approximatif, car, dans le chiffre de quinze cents, saint Corneille compte les veuves avec les infirmes, tandis que saint Jean Chrysostome parle de trois mille veuves et vierges, sans compter, dit-il, les malades, les étrangers et les pauvres assistés par l’Église d’Antioche.

[84] Videmur præpositi esse et vice pastoris custodire gregem. Epistola cleri romani ad clerum Carthaginensem, dans saint Cyprien, Epist. 2.

[85] Ne... eradicetur fraternitas. Fraternitas, ecclesia fratrum, fut probablement le titre adopté par les chrétiens lorsqu’ils prirent extérieurement la forme de sociétés de secours mutuels ; voir De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 100 ; t. III, p. 512 ; cf. Ruinart, Acta martyrum sincera, p. 221, 222.

[86] ... Cum omni sollicitudine et periculo sæculari, ante oculos plus habentes timorem Dei et poenas perpetuas quam timorem hominum et brevem injuriam. Ep. 2 inter Cyprianicas.

[87] Sed et adscendentes ad hoc quod compellebantur revocavimus. Ibid.

[88] Istis sororibus nostris Numeriæ et Candidæ tale peccatum remittant. Nam hanc ipsam Etecusam semper appellavi, quia pro se dona numeravit ne sacrificaret, sed tantum adscendisse videtur usque ad Tria Fata, et Inde descendisse. Lettre de Celerinus à Lucien, dans saint Cyprien, Ep. 20. — Sur les difficultés que présente la phrase citée, voir Dict. of christinia biography, art. Etecusa, t. II, p. 209. — Le lieu dit Ad Tria Fata était situé sur l’emplacement de l’ancien Comice, au côté occidental du Forum ; cf. Pline, Nat. hist., XXXIV, 11 ; Procope, De Bello Gothico, I, 25 ; voir Marucchi, Descrisione del Foro romano, 1883, p. 131 ; Jordan, Topographie der Stadt Rom in Alterthum., t. II, 1871, p. 482 ; Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 481, note 18. Les Romains tenaient encore des assemblées en ce lieu à la fin du huitième siècle ; ibid., p. 471.

[89] Præceperunt... præpositi tantisper sic esse, donec episcopus constituatur. Lettre de Celerinus à Lucien.

[90] Sive insignes personæ. Lettre du clergé de Rome, dans saint Cyprien, Ep. 2.

[91] Sive apprehensi. Ibid.

[92] Quos quidem separatos a nobis non dereliquimus, sed ipsos cohortati sumus et hortamur agere pœnitentiam. Ibid.

[93] Cf. Tertullien, Apologétique, 39.

[94] Lettre de saint Corneille, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 43.

[95] Sive viduæ, sive clinomeni... sive hi qui in carceribus sunt, sive exclusi de sedibus suis... sed et catechumeni apprehensi infirmitate... Lettre du clergé de Rome, dans saint Cyprien, Ep. 2.

[96] Cf. Tertullien, Apologétique, 39.

[97] Quod maximun est, corpora martyrum aut cæterorum si non sepeliantur, grande periculum imminet eis quibus incumbit hoc opus. Ep. 2 inter Cyprianicas.

[98] La persecuzione di Decio sembra avere lasciato alla. Chiesa l’uso libero dei cemeteri. De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 61. — Non trovo indizio veruno, che Decio abbia confiscati ai cristiani i cemeteri. Ibid., p. 375.

[99] Lettre de Celerinus à Lucien, dans saint Cyprien, Ep. 20.

[100] Saint Cyprien, Ep. 50.

[101] Lettre de Lucien à Celerinus, dans saint Cyprien, Ep. 21.

[102] Saint Cyprien, Ep. 17.

[103] Lettre de Lucien, dans saint Cyprien, Ep. 21.

[104] Hic... cum ipso infestationis principe et auctore congressus, Saint Cyprien, Ep. 34.

[105] Actes des apôtres, XXIV, 25.

[106] Cf. II Tim., IV, 17.

[107] Inexpugnabili firmitate certaminis sui adversarium vicit. Saint Cyprien, Ep. 34.

[108] Acta disputationis sancti Achalii, dans Ruinart, p. 139.

[109] Per decem et novem dies custodia carceris septus in nervo ac ferro fuit. Saint Cyprien, Ep. 34.

[110] Caro famis ac sitis diuturnitate contabuit. Ibid.

[111] Lucent in corpore glorioso clara vulnerum signa, eminent et apparent in nervis hominis ac membris longa tabe consumptis expressa vestigia. Ibid.

[112] Saint Cyprien, Ep. 34.

[113] Ibid.

[114] Ibid., Ep. 16 ; lettre de saint Corneille dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VI, 43.

[115] Moyses in carcere defunctus est, qui fuit ibi m. XI. dies XI. Catalogue libérien, dans Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 4. Cf. la lettre citée de saint Corneille. Il y a quelques difficultés pour la date exacte de la mort de saint Moïse.

[116] Saint Cyprien, Ep. 16. — Dans le Liber Genealoqus, composé en Afrique entre 405 et 427, se lit, dans l’article relatif à la persécution de Dèce : Sub ipso Decio passi sunt Romæ Sempronius, Paulus et Eupater. Ces martyrs doivent avoir été célèbres, mais on ignorait jusqu’à leurs noms, qui ne sont pas inscrits dans les martyrologes, et leurs sépulcres ne sont pas cités dans les notices topographiques des cimetières romains. M. de Rossi pense que cette indication est empruntée par le compilateur du Liber Genealogus à quelqu’une de ces apostilles marginales que l’on trouve, mises par des chrétiens, dans certains manuscrits des fastes consulaires. Bull. di arch. crist., 1894, p. 52 ; cf. 1884-1885, p. 116.

[117] XIV KI. Jun. Romæ natalis Caloceri Paterni (sic)... qui cura essent unus ex his prœpositus cubiculi, alter primicerius, nolentes sacrificare idolis a Decio occisi sont et requiescunt in cimiterio juxta via Appia. Mart. hiéron., ms. de Berne ; De Rossi-Duchesne, p. 63. — On ne peut supposer que Partenius ait été l’un des chefs de bureau, principes officiorum, du secrétariat impérial ; ces charges, autrefois gérées par des affranchis, étaient, au milieu du troisième siècle, réservées à des membres de l’ordre équestre. Mais il put être un des employés du secrétariat. Du reste, le mot primicerius, qui semble du quatrième siècle plutôt que du troisième, doit être, non le titre exact qu’il portait, mais un équivalent, emprunté par le passionnaire à la langue administrative de son temps.

[118] Ce qu’indique peut-être pour Partenius l’inscription aEMILIVS paRTENius trouvée dans l’area III du cimetière de Calliste. De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 301 et pl. XLIX, 8.

[119] Passi sunt die XIIII Kat. Jun. Decio Augusto et Grato consulibus. Acta SS., mai, t. IV, p. 302-304.

[120] De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 213.

[121] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 370.

[122] XIV Kal. Jun. Parthini et Caloceri in Callisti Diocietiano IX et Maximiano VIII Coss. Dep. mart., dans Ruinart, p. 692.

[123] Voir Tillemont, Mémoires, t. V, note XXXII sur la persécution de Dioclétien.

[124] Ajouter aux Actes, aux martyrologes, au catalogue philocalien, l’abrégé du livre De lotis sanctis martyrum (septième siècle), dans Roma sotterranea, t. I, p. 180, col. IV.

[125] TERTIO IDVS FEBRVAS. Roma sotterranea, t. II, p. 211 et pl. XXXIII, 5. — Cette date est rappelée au martyrologe hiéronymien (ms. de Berne) : Rome Caloceri Partheni martyr. De Rossi-Duchesne, p. 19. — Autres commémorations, dont l’explication nous échappe, au Mart. Hiéron., 14 des calendes de mai (p. 46), 16 des calendes de juin (p. 62), 13 des calendes d’août (p. 94).

[126] PARTENI MARTIRI CALOCERI MARTIRI. Roma sotterranea, II, p. 211 et pl. t. XXXIII, 5.

[127] Voir De Rossi, Roma sotterranea, t. II, pl. XX, 2, et XXI.

[128] Voir de même l’empereur siégeant, la tête laurée, dans une médaille représentant le martyre de saint Laurent ; Bullettino di archeologia cristiana, 1869. planche n° 8.

[129] Hist. des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 75.

[130] Rome souterraine, p. 372.

[131] M. de Rossi ne s’est expliqué que sur la première fresque. Je poursuis l’hypothèse, en proposant de voir dans la seconde, celle de droite, le fragment d’une scène analogue. Je dois cependant reconnaître que le personnage lauré y est un peu plus grand que dans la fresque de gauche, et qu’il serait difficile de supposer, dans la partie détruite, plusieurs personnages ; la place manquerait. Mais on peut avoir représenté sur cette seconde fresque l’accusé seul devant le juge. M. Lefort, Chronologie des peintures des catacombes, n° 49, dit de même, de celle-ci : Scène vraisemblablement analogue à celle de gauche. Voir Études sur les monuments primitifs de la peinture chrétienne en Italie, 1885, p. 52. Cependant l’explication donnée de la première fresque par M. de Rossi n’est plus regardée comme certaine. Mgr. Wilpert y reconnaît un sujet très différent, emprunté à la Bible, le jugement de Suzanne (Nuovo Bull. di arch. crist., 1899, p. 138). Cette opinion avait déjà été proposée par M. Cartier (Revue de l’art chrétien, 1875, p. 395) et M. l’abbé Davin (les Antiquités chrétiennes rapportées à la Capella greca du cimetière de Priscille, 1892, p. 592).

[132] Bullettino di arch. crist., 1875, pl. IV.

[133] Roma sotterranea, t. II, p. 221. M. Lefort, Chronologie des peintures des catacombes, indique la même date.

[134] Cf. Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, § 36, 59, 89, 97.

[135] M. Dufourcq fait remarquer que le cimetière de Pontien, où ils furent enterrés, est au centre des quartiers orientaux, commerciaux, tout près du port, où s’élèvent des entrepôts. Études sur les Gesta martyrum romains, p. 239.

[136] III Kal. Aug. Abdon et Sennen in Pontiani, quod est ad Ursum pileatum. Depositio martyrum, dans Ruinart, p. 693. — Même mention au Martyrologe hiéronymien : Kl. Ags. in cimit. Pontiani ad ursum pileatum natal. Abdon et Sennis martyr. De Rossi-Duchesne, p. 98.

[137] Probablement du huitième siècle. Lefort, Chronologie des peintures des catacombes romaines, n° 131, dans les Études sur les monuments primitifs de la peinture chrétienne en Italie, p. 96.

[138] Carrucci, Storia dell’ arte cristiana, pl. CXVII, 1 ; Perret, Catacombes de Rome, t. III, pl. LII et LVI ; Roller, Catacombes de Rome, pl. XCVII, XCVIII.

[139] Voir Martigny, Dict. des ant. chrét., et mon article Abdon et Sennen dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. I, 1903, p. 42-45. Un petit monument, plus ancien, semble faire allusion à l’un des deux martyrs. C’est une lampe en terre cuite, du cinquième ou plus probablement du sixième siècle. Un personnage y est représenté, portant la candys, manteau persan, ordinairement de peau, orné d’orbiculi, de calliculæ et de pierreries. C’est probablement saint Abdon, car il porte la barbe courte et ronde, comme celui-ci dans la fresque du cimetière de Pontien (où saint Sennen l’a, au contraire, pointue) : le vêtement fait penser à un détail des Actes, disant qu’on présenta les martyrs à Dèce dans le splendide costume national qu’ils portaient comme subreguli (satrapes) en Perse. Cette lampe fut peut-être inspirée par une peinture plus ancienne que la fresque du huitième siècle, laquelle en serait aussi une imitation. Voir Bruzza, dans Studi e Documenti di Storia e Diritto, 1888, p. 416-425.

[140] Baronius, Ann. Ecclés., ad ann. 253, § 29 ; Surius, Vitæ SS., au 9 août, p. 92.

[141] Je dois dire que Tillemont ne les croit pas antérieurs au milieu du cinquième siècle ; Mémoires, t. III, note VII sur la persécution de Dèce.

[142] Bucoliques, IV, 5-10.

Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.

Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna,

Jam nova progenies cœlo demittitur alto.

Tu modo nascenti puero, quod ferrea primum

Desinet, ac toto surget gens aurea mundo,

Casta, fave, Lucina.

(je vois éclore un grand ordre de siècles renaissants. Déjà la vierge Astrée revient sur la terre, et avec elle le règne de Saturne; déjà descend des cieux une nouvelle race de mortels. Souris, chaste Lucine, à cet enfant naissant)

[143] Oratio Constantini ad sanctorum cœtum, 19, 20, insérée par Eusèbe à la suite de sa Vie de Constantin. Lactance, Div. Inst., VII, 24, entend la quatrième Églogue dans un sens millénaire. Saint Jérôme s’élève, au contraire, contre ceux qui veulent faire de Virgile un chrétien avant le Christ ; Ep. 53, ad Paulinum. Au moyen âge, l’interprétation de Constantin prévaut ; voir les textes cités par Ozanam, le Purgatoire de Dante, commentaire du chant XXII, p. 367-370.

[144] Anonyme, De laude martyrum, 15 ; Migne, Patr. lat., t. IV, col. 795.

[145] Probablement le juridicus per Umbriam et Flaminiam. Sur l’institution des consulaires et des juridici en Italie, voir Camille Jullian, les Transformations politiques de l’Italie sous les empereurs romains, 1884, p. 118-135.

[146] Baronius, Ann. Ecclés., ad ann. 253, p. 29.

[147] Ferrari, De sanctis italicis, 1693, p. 523.

[148] Acta SS., février, t. II, p. 645.

[149] Ferrari, De sanctis italicis, p. 657.

[150] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 173-179.

[151] Voir dans mon livre sur les Esclaves chrétiens le chapitre intitulé : l’Apostolat domestique, 3e éd., p. 300 et suiv.

[152] Acta SS., mars, t. II, p. 442.

[153] Tillemont, Mémoires, t. III, art. XIV sur la persécution de Dèce ; citant Bolland, Acta SS., mai, t. I, p. 19.

[154] Nonas Febr. In Sicilia Catenas passio S. Agathæ virginis. Mart. hiéron. De Rossi Duchesne, p. 17. Le Mart. hiéron. cite encore sainte Agathe le 12 juillet (p. 90) et le 25 juillet (p. 96).

[155] Nonas Febr., sanctæ martyris Agathæ. Kalend. Carthaq., dans Ruinart, p. 695.

[156] L’hymne en son honneur, attribuée à saint Damase, ne peut être de ce pape, comme l’avait bien vu Tillemont. (Mém., t. III, note I sur sainte Agathe), et comme M. de Rossi l’a démontré (Bull. di arch. crist., 1884.1885, p. 17). Le Damase qui y est nommé (pro misero rogita Damaso) est un poète distinct dit pape, et de plus basse époque ; peut-être même ce nom a-t-il été simplement inséré dans l’hymne pour lui donner plus d’autorité. Voir mon article sur sainte Agathe, dans le Dict. d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. I, 1848.

[157] Fortunat, VIII, 4, De virgin.

[158] On possède la Passion de sainte Agathe sous trois formes : des Actes latins ; des Actes grecs ; d’autres Actes grecs, que Bollandus attribue à Métaphraste. Ces diverses rédactions ne diffèrent que par quelques détails, et paraissent se rapporter à un original commun, de peu d’autorité lui-même, bien que contenant peut-être un petit nombre de traits exacts. L’un de ceux-ci paraît être la date. Les trois Actes placent le martyre d’Agathe sous Dèce ; les latins précisent, et indiquent le troisième consulat de cet empereur, c’est-à-dire l’année 251. Un détail aussi minutieux engage à préférer cette date à celle de Dioclétien, que, dans son De Virginibus, 22, indique saint Adhelme (mort en 709), suivi par le martyrologe de Bède.

[159] Acte S. Agathæ, quæstio I, n° 4, dans Acta SS., février, t. I, p. 621.

[160] Voir mon livre sur les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 242-247. — Sainte Agathe fut enterrée à Catane. Dans un faubourg de cette ville, appelé Hybla major, il y avait, dit M. de Rossi, des cimetières, chrétiens, avec des sépultures de martyrs illustres, au premier rang desquelles était la tombe de sainte Agathe. C’est dans cette nécropole que fut découverte l’épitaphe si curieuse de Nila Florentina, pagana nala,... fidelis facta, qui, dit l’inscription, baptisée à dix-huit mois et vingt jours, mourut quatre heures après, et fut déposée pro foribus martyrum. Voir Bullettino di archeologia cristiana, 1868, p. 75.

[161] XVII Kal. Dec. Natale S. Augustini Capuani episcopi et Felicitatis matris ejus quorum corpora hic habentur. Monaco, Sanctuarium Capuanum, Naples, 1630, p. 153.

[162] S. Augustini episcopi et Felicitatis, ejus matris, martyrum, selemne. Bull. di arch. crist., 1884-1885, p. 114.

[163] ... Christiani quarto persecutionem passi sunt a Decio imperatore auctore malorum. Hac persecutione Cyprianus hortatus est per epistolas suas Augustinum et Felicitatem, qui parsi sunt apud Capuensem, metropolim Campaniæ. — Sur la note consulaire erronée (Secolare et Donato) qui précède cette phrase, voir Bull. di arch. crist., 1884-1885, p. 116-120.

[164] Un ms. du monastère de Saint Éloi d’Arras, cité par Baluze (cf. Migne, Patr. lat., t. IV, p. 258), et un ms. du Vatican, cité par Hartel, portent en tête de la lettre intitulée De lapsis et catechumenis, ne vacui exeant, et qui eut évidemment pour premiers destinataires les prêtres et les diacres de Carthage, la mention Ad clerum Capuæ.

[165] Ante annos L sicut actis publicis, id est sub Decio et Gralo consulibus. — Acta S. Saturnini, 2, dans Ruinart, p. 110. — La lettre L a été très contestée. Dans le manuscrit 1178, fonds latin, de la Bibliothèque nationale, dixième siècle, folio 81, verso, première colonne, ligne 39, suivi par Ruinart, la lettre L est en effet douteuse et pourrait bien être un I. Un peu plus haut, ligne 31, le mot In commence par une lettre toute semblable. Cependant, folio 78, verso, ligne 1, une lettre semblable aussi commence le mot Liberalitas. Si l’on persiste avec Ruinart à lire L., on reportera nécessairement à l’an 300 ou environ la composition des Actes. Si au contraire un I doit être reconnu dans la lettre en question, cela indique que le copiste du dixième siècle n’a pu lire le chiffre marqué dans le manuscrit original. Dans mes études sur les manuscrits du Liber Pontificalis, écrit M. l’abbé Duchesne (Bulletin critique, 1er mai 1881, p. 6), j’ai remarqué plusieurs fois que les copistes, quand ils se trouvaient en présence d’un chiffre impossible à lire, ou de variantes impossibles à concilier, mettaient ainsi des I, comme nous mettons des guillemets, pour indiquer leur incertitude. Voir sur cette question Arbellot, Étude sur les origines chrétiennes de la Gaule, Ière partie, 1880 ; Hénault, Origines chrétiennes de la Gaule celtique ; Recherches historiques sur la fondation des Eglises de Chartres, Sens, Troyes et Orléans, 1874, p. 122-185 ; Duchesne, Bulletin critique, l. c. ; Edmond le Blant, les Actes des martyrs, p. 7, note 1. — M. Kuhfeld, De Capitoliis imperii romani, Berlin, 1883, prétend que le récit du martyre de saint Saturnin n’est qu’une amplification de la missa S. Saturnini, comprise dans le missale Gothicum du huitième siècle. Il suffit de lire les passages de cette messe où il est question de la mort du premier évêque de Toulouse (Mabillon, De liturgia gallicana, p. 219-220) pour apercevoir l’inexactitude de cette assertion.

[166] L’emplacement du Capitole antique de Toulouse n’est vraisemblablement pas au lieu qui porte aujourd’hui ce nom, terrain plan, absolument dépourvu de vestiges se rattachant à un important édifice de l’époque romaine ; mais plutôt là où était le vieux château : on y a découvert au seizième siècle les substructions d’une vaste forteresse et de beaux fragments d’architecture antique. Ce lieu est placé sur la pente extrême d’un coteau, suffisante pour des degrés ou gradins, qu’on ne s’expliquerait pas au Capitole actuel : de plus, il est à une distance suffisante de l’église du Taur, bâtie sur l’emplacement où se serait arrêté le taureau, et beaucoup trop près du Capitole actuel. Voir Castan, les Capitoles provinciaux du monde romain (dans les Mémoires de la Société d’Émulation du Doubs, 1886), p. 390.

[167] Sicut actis publicis. — Ces mots du manuscrit 1178 ont été également contestés. On y lit en effet sublis plurimis, mais une correction, qui me paraît contemporaine et de la même main, écrit au-dessus dans l’interligne : sicut actis publicis. — Les personnes qui refusent de tenir compte tant de la lettre L que de cette correction sont amenées à lire, en corrigeant légèrement aussi, ante annos satis plurimos, ce qui offre un sens différent, mais acceptable.

[168] Les Actes indiquent cette date comme celle de l’arrivée de saint Saturnin à Toulouse : nous croyons qu’elle marque l’époque de son martyre, dont les chrétiens auront plutôt songé à conserver la date exacte. La présence d’une date consulaire est un indice probable de la véracité d’un document hagiographique ; cf. De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 213, et Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 5. M. de Rossi, Bull. di arch. crist., 1878, p. 128, dit aussi que saint Saturnin fut ucciso nel 250.

[169] Saint Paul, Rom., XV, 24, 28 ; saint Clément, Cor., 5 ; canon de Muratori, lignes 37-38.

[170] Martyrologe d’Adon ; cf. Gams, Kirchengeschichte von Spanien, t. I ; Duchesne, les Origines chrétiennes, p. 438-439.

[171] La célèbre inscription de Marquesia en Lusitanie, louant Néron d’avoir purgé la province de ceux qui avaient apporté au genre humain une superstition nouvelle, est fausse ; voir Hübner, Corpus inscript. lat., t. II, inscript. falsæ, 231, p. 25.

[172] Saint Irénée, Contra Hœres., I, 10 ; Tertullien, Adv. Judæos, 7.

[173] Cf. Mommsen, Römische Geschichte, t. V, 1885, p. 59, 60.

[174] Pline, Nat. hist., III, 3, 23.

[175] Les sièges épiscopaux paraissent avoir été peu nombreux dans le nord de l’Espagne, puisque les deux villes importantes de Léon et d’Astorga, assez éloignées l’une de l’autre, ont un seul évêque. On pourrait signaler des faits analogues en Gaule et en Germanie. Au contraire, en Italie, en Afrique, dans le sud de l’Espagne, les évêchés étaient en grand nombre, de même qu’en Orient. Cf. Duchesne, dans le Bulletin critique, 15 août 1885, p. 310 ; De Smedt, Congrès scientifique international des Catholiques, 1891, Sciences religieuses, p. 85.

[176] Saint Cyprien, Ep. 67.

[177] Ibid.

[178] Cf. appendice A.

[179] Præter gentilium turpia et lutulenta convivia, et collegia dia frequentata, filios in eodem collegio, gentilium more, apud profana sepulcra depositos et alienigenis consepultos. Saint Cyprien, l. c.

[180] Actis etiam publice habitis apud procuratorem ducenarium obtemperasse se idololatriæ et Christum negasse contestatus fuerat. Ibid. — Saint Cyprien n’accuse pas Martial d’avoir sacrifié aux idoles, mais d’avoir passé devant un magistrat complaisant une déclaration constatant qu’il l’avait fait.

[181] Episcopis... quos ex aliis provinciis longe positis persecutionis istius ardor ejecerat. Lettre du clergé romain à saint Cyprien, Ep. 31 inter Cypr.

[182] Tillemont, Histoire des Empereurs, t. III, p. 320.

[183] On place généralement son élection en juin 251. Voir Tillemont, Mémoires, t. III, note I sur saint Corneille. Peut-être conviendrait-il de l’avancer un peu. M. Doulcet, liste chronologique des papes, à la suite de son Essai sur les rapports de l’Église chrétienne et de l’État romain, fait commencer en mars le pontificat de Corneille. Seefelder, Zur Chronologie der Papste Kornelius und Lucius, dans Theologische Quartalschrift, 1891, p. 68 et suiv., met en avril 251 l’avènement de Corneille.

[184] Saint Cyprien, Ep. 52.