Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle

CHAPITRE PREMIER — LES CHRÉTIENS AU COMMENCEMENT DU RÈGNE DE SEPTIME SÉVÈRE.

 

 

I — L’Église et le droit d’association.

La Rome des Césars, des Flaviens et des Antonins mit une lenteur surprenante à découvrir la cité spirituelle qui grandissait dans son sein. Pendant un temps assez long, les chrétiens n’avaient pas été distingués des Juifs par l’œil de la police, et avaient tiré profit de cette confusion[1] ; même après que les différences qui séparent un chrétien d’un juif eurent été aperçues, la société nouvelle ne se révéla pas encore. Sur l’initiative d’un accusateur particulier, conformément aux rescrits de Trajan, d’Hadrien, d’Antonin, de Marc-Aurèle, on saisissait de temps en temps, pour les traîner dans les prétoires, les livrer au glaive, au bûcher ou aux bêtes, des hommes de tout âge et de tout rang qui avaient abandonné les dieux de l’Empire et faisaient profession d’adorer un Dieu unique, sans pouvoir se réclamer de la tolérance dont jouissait en vertu des traités la religion nationale des Juifs : mais les païens ne pénétraient pas dans le secret de la foi qui animait ces transfuges de leur culte, et nul regard profane n’était descendu dans les entrailles de la cité sainte où se formait le nouveau peuple de Dieu. L’an 163, le préfet de Rome Junius Rusticus, celui qui fit lire les écrits d’Épictète à Marc-Aurèle et auquel, en souvenir de ce bienfait, l’empereur philosophe voua une reconnaissance éternelle, ne connaît pas mieux que son illustre élève les chrétiens déférés à son tribunal. Il demande naïvement à saint Justin en quel lieu se rassemblaient ses coreligionnaires, comme s’il se fit agi d’un obscur conciliabule de quelques personnes, et semble confondre avec l’école du martyr et la petite réunion de ses disciples la chrétienté de Rome tout entière[2]. Le magistrat ne soupçonnait pas ce qu’était l’Église.

Celle-ci ne se dégagea tout à fait des ténèbres et n’apparut avec une entière clarté aux regards de l’État que vers le commencement du troisième siècle. Des faits extérieurs, qui n’appartenaient plus seulement au domaine de la conscience, mais touchaient à l’ordre social et politique, révélèrent au pouvoir l’existence et la constitution de la société nouvelle, et lui imposèrent l’alternative ou d’une tolérance légale, ou d’une guerre déclarée non aux individus, comme précédemment, mais à l’association même dont. ils faisaient partie.

Pendant tout le second siècle, la population chrétienne s’était considérablement développée, malgré de cruelles souffrances et des alertes continuelles. La tranquillité inaccoutumée dont jouit l’Église sous le règne de Commode accéléra ce mouvement, en permettant aux fidèles de se multiplier sans obstacles. Au moment où Septime Sévère devint empereur, les chrétiens étaient très nombreux, non seulement dans ces provinces d’Asie où la foi se répandit dès la première heure, mais encore en Italie, en Espagne, en Gaule, en Germanie, en Bretagne, en Afrique. A la distance où nous sommes placés, connaissant les événements qui suivirent, et le dénouement du grand drame dont les hommes du troisième siècle savaient à peine les premières péripéties, nous apercevons plus clairement qu’eux-mêmes le vide qui se faisait dans le monde païen. Mais déjà les observateurs attentifs commençaient à se préoccuper des succès de la propagande évangélique. Ils voyaient les forces vives, les âmes généreuses, tout ce qui croit, aime, se dévoue, bientôt tout ce qui médite et ce qui pense, se précipitant d’un élan chaque jour plus rapide hors des cadres de la religion officielle, et s’agrégeant à une société qui osait prendre le titre d’Église catholique, c’est-à-dire d’assemblée universelle. La vie qui coulait abondamment dans son sein n’y pouvait rester cachée, et se manifestait de temps en temps au dehors : en 196, quand la date de la Pâque fut débattue, l’autorité romaine n’avait pu ignorer les conciles qui se rassemblèrent dans toutes les parties de l’empire, à Rome, en Gaule, en Palestine, dans l’Achaïe, le Pont, l’Osrhoène, la Mésopotamie, l’Asie proconsulaire[3] ; quatre ans plus tard, le proconsul d’Afrique fut sans doute averti de la réunion d’un synode de soixante-dix prélats autour de l’évêque de Carthage[4]. A défaut de renseignements de police, le langage des chrétiens eux-mêmes eût suffi à éveiller l’attention du pouvoir. C’est au public lettré, c’est aux magistrats que s’adressait Tertullien quand, avec plus de sincérité que de prudence, il montrait la population chrétienne remplissant tout, les cités, les îles, les châteaux, les municipes, les conseils, les camps, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum, et faisait remarquer la patience de ses frères, assez répandus pour se venger par surprise, s’ils l’avaient voulu, assez forts et assez nombreux pour agir en ennemis déclarés, si leur religion comme leurs sentiments intimes ne le leur avaient interdit[5].

La multitude des fidèles ne frappait pas seule les regards des païens ; dans la société longtemps obscure et dispersée qui avait grandi à l’ombre de l’Évangile, ils devinaient maintenant un corps actif, vivant, organisé : entre tous les indices, le plus révélateur avait été la constitution de la propriété ecclésiastique. Quand l’Église fut devenue maîtresse de domaines appartenant non plus à tel ou tel chrétien, mais, selon une expression employée plus tard dans les documents officiels, au corps des chrétiens, il fut impossible de fermer les yeux sur l’importance d’une telle association. Deux siècles s’étaient écoulés avant qu’elle se trouvât nantie d’une fortune immobilière et prit, pour ainsi dire, racine dans le sol. Les premières communautés n’en avaient pas éprouvé le besoin. Pour que la société chrétienne songeât à posséder des immeubles, ce qui l’obligeait à revêtir vis-à-vis de l’État une personnalité distincte des individus qui la composaient, il fallut un cas de force majeure. Ce fut la nécessité d’assurer la sépulture de ses morts, dont le nombre augmentait naturellement à mesure que les conversions se multipliaient, qui la conduisit à acquérir peu à peu des possessions territoriales, et à chercher les moyens de les administrer conformément aux lois.

A l’époque romaine, la promiscuité des sépultures était également odieuse aux païens et aux chrétiens. Personne n’acceptait l’idée de reposer après la mort côte à côte avec des inconnus, avec des hommes de religions, de mœurs, de patries différentes. On ne consentait à dormir son dernier sommeil que seul, ou en compagnie de personnes de son choit. De là, pour quiconque ne pouvait faire les frais d’un tombeau séparé, la multitude des clubs funéraires, possesseurs d’un cimetière ou d’un columbarium destiné aux associés et à leur famille. Les riches n’entraient pas dans ces associations, mais ils les reproduisaient dans leurs domaines, car, clans la dépendance des somptueuses villas sépulcrales où leur tombeau, entouré de bosquets et de jardins, s’élevait comme une maison de plaisance[6], ils ménageaient ordinairement des sépultures pour leurs esclaves, leurs affranchis et leurs clients[7]. Beaucoup de chrétiens, favorisés des dons de la fortune, étendirent à leurs frères dans la foi cette hospitalité de la tombe. La plupart des catacombes ont commencé ainsi dans le parc ou le jardin de quelque opulent fidèle, de quelque matrone dévouée[8]. Autour de l’hypogée de la famille, ou du tombeau qui venait de recevoir les restes d’un martyr, on creusait d’abord un ou deux corridors, quelques chambres sépulcrales : le réseau, des galeries se resserrait, ses mailles se multipliaient, à mesure que les habitants de ces funèbres asiles devenaient plus nombreux[9].

Telle fut la première période de l’histoire des cimetières chrétiens. Mais un tel état de choses ne pouvait durer toujours. Le moment approche où l’importance croissante des cimetières les fera échapper aux mains de leurs premiers possesseurs, où de propriété privée ils se transformeront comme d’eux-mêmes en propriété collective. Tant que, dans un domaine, les sépultures furent peu nombreuses, le fondateur de l’hypogée, assisté souvent de cette armée de serviteurs que comportaient les grandes fortunes romaines, en put conserver l’administration. Mais les ressources des particuliers, si considérables qu’elles fussent, ne tardèrent pas sans doute à devenir insuffisantes. Le système d’architecture sépulcrale adopté par les chrétiens permettait de rassembler dans un hypogée, même de très petites dimensions, un nombre de tombeaux qui étonne l’imagination et dont la possibilité se révèle seulement au calcul[10]. A mesure qu’un souterrain consacré par la charité privée à la sépulture des chrétiens se creusait plus profondément, s’augmentait de nouvelles galeries, quelquefois de nouveaux étages, et se remplissait de tombes superposées, on pouvait prévoir le jour plus ou moins prochain où la famille qui le possédait allait être amenée par la force des choses à en abdiquer le gouvernement, afin de se soustraire à la responsabilité à la fois matérielle et morale qu’il entraînait. Elle se retirait en quelque sorte, et se substituait ceux au profit desquels elle avait creusé et jusque-là, entretenu la catacombe. La communauté chrétienne en devenait propriétaire.

Au troisième siècle apparaissent, à Rome et en Afrique, les premiers exemples dé domaines ainsi possédés par l’Église. On peut fixer au commencement de ce siècle ou à la fin du précédent l’acte de naissance, en divers centres chrétiens, de la propriété ecclésiastique. A cette époque correspond précisément, dans tout l’Empire, un grand développement des associations funéraires, admises par la loi à posséder des lieux de sépulture. Ces associations, composées nécessairement de petites gens (tenuiores), et où les riches n’entraient que comme bienfaiteurs ou patrons, existaient depuis longtemps à Rome[11], mais elles ne pouvaient s’établir en province sans une autorisation spéciale. Septime Sévère, dans les derrières années du deuxième siècle[12], leva cet obstacle en permettant par un rescrit, sous certaines conditions, la formation de clubs funéraires dans tout l’Empire[13]. C’était renoncer à la politique de défiance qui, depuis Auguste, avait dirigé tous les empereurs à l’égard des associations[14], et dont la correspondance administrative de Trajan offre de curieux exemples[15]. Mais les circonstances en imposaient l’abandon. L’ancienne aristocratie, décimée par la tyrannie des Césars, puis de Domitien et de Commode, et plus encore par ses propres vices, avait été presque partout remplacée par une nouvelle noblesse, sans prestige et sans traditions ; en même temps les liens de patronage et de clientèle qui, dans la vieille constitution romaine, unissaient étroitement les grands et les petits, s’étaient relâchés ou rompus. Les petits avaient dû apprendre à compter davantage sur eux-mêmes, sur le secours mutuel, et il avait fallu, bon gré mal gré, laisser un champ chaque jour plus large aux sociétés de toute sorte qui se formaient spontanément, malgré les lois, en vertu d’une nécessité sociale. Le rescrit de Septime Sévère, écrit probablement en réponse à la consultation de quelque gouverneur effrayé du grand nombre des associations non autorisées, consacra plutôt qu’il ne créa ce mouvement. L’Église, semble-t-il, se hâta de profiter d’une loi que l’on aurait pu croire faite pour elle. Ouvrir des cimetières destinés à la sépulture de ses membres, les posséder à titre de corporation de petites gens se cotisant pour s’assurer mutuellement les honneurs funéraires, était pour elle chose simple et facile : la présence, parmi les fidèles, de représentants nombreux de l’aristocratie de naissance ou de fortune ne créait même pas une difficulté, car les collèges romains sollicitaient ordinairement l’affiliation de bienfaiteurs, de membres honoraires[16]. Les institutions déjà fondées par l’Église pour l’entretien du clergé, l’assistance des pauvres, rentraient facilement dans le cadre d’une association de secours mutuels[17], qui permettait aux chrétiens de posséder librement et publiquement au regard de l’État, et faisaient d’eux, partout où ils adoptaient cette forme, un groupe dont la constitution religieuse échappait à la connaissance et aux investigations de l’autorité, mais dont celle-ci ne pouvait plus ignorer l’existence civile et légale[18].

Si naturelle cependant que fût cette entrée de l’Église dans la cité romaine à la faveur des lois sur les associations, elle avait besoin d’être habilement ménagée. Là manœuvre n’était pas exempte d’une certaine hardiesse. Heureusement un homme se rencontra, doué des qualités de l’administrateur, et capable de présider à Rome, sous l’œil même du pouvoir impérial, à cette transformation extérieure de la communauté chrétienne. Depuis les dernières années du règne de Commode, les chrétiens délivrés des mines de Sardaigne, grâce à l’intervention charitable de Marcia, étaient de retour dans leurs foyers. L’un d’eux, déjà célèbre par son intelligence et ses malheurs, était Calliste, ancien esclave de l’affranchi impérial Carpophore, autrefois directeur pour le compte de celui-ci d’une banque qui avait mal réussi, puis poursuivi devant les tribunaux par la haine des Juifs, qui l’accusaient d’avoir troublé leur culte, et condamné pour ce motif aux travaux forcés par le préfet de Rome[19]. Compris dans l’amnistie obtenue par Marcia, il revint de Sardaigne avec les autres chrétiens[20] ; mais il ne séjourna point à Rome tant que dura le pontificat de Victor, qui partageait peut-être quelques-unes des préventions excitées par les mésaventures financières auxquelles Calliste s’était trouvé jadis mêlé. Celui-ci vécut pendant plusieurs années à Antium, d’une pension ecclésiastique à laquelle lui donnait probablement droit sa qualité de confesseur. Le successeur de Victor, le pape Zéphyrin, ne voulut point se priver plus longtemps des services de ce chrétien énergique et calomnié[21]. A en croire l’auteur contemporain des Philosophumena, Zéphyrin n’avait pas une intelligence supérieure, sa culture scientifique était même assez limitée ; mais souvent ces esprits simples, quand au bon sens naturel se joint une parfaite droiture, savent mieux que de plus raffinés discerner les hommes dont ils ont besoin. Le pape comprit le parti qu’il pourrait tirer, à une époque où la propriété ecclésiastique cherchait à se constituer, d’un auxiliaire tel que Calliste, jeune encore, mûri par l’adversité, avant une intelligence souple et déliée, l’expérience des affaires, l’auréole de la persécution. Il l’appela à Rome, et, du consentement du peuple, dont l’opinion était devenue tout à fait favorable, l’admit aux ordres sacrés[22]. Investi de la confiance entière de Zéphyrin, Calliste fut promu aux fonctions de premier diacre, et chargé, dit le récit contemporain, du gouvernement du clergé et de l’administration du cimetière[23].

Ce cimetière, le premier possédé à titre corporatif par l’Église romaine, et dans lequel, à partir de cette époque, les papes furent enterrés, était situé sur la voie Appienne[24] : il se composait d’hypogées donnés à la communauté chrétienne par les Cæcilii, et déjà consacrés par la sépulture de la martyre Cécile[25]. Calliste y déploya une grande activité, un véritable goût artistique ; au commencement de son administration peuvent être attribués, avec plusieurs galeries, quelques-uns des caveaux ornés des symboles du Baptême et de l’Eucharistie, que les archéologues modernes désignent sous le nom de chambres des sacrements[26]. Mais en même temps qu’il dirigeait les peintres et commandait aux fossores, dont l’image se retrouve plusieurs fois tracée sur ces murailles, Calliste avait sans doute, au dehors, à faire des démarches et à entretenir des rapports d’un autre ordre. Chef du temporel de l’Église romaine et remplissant, dans l’association funéraire dont elle avait pris extérieurement la forme, le rôle d’administrateur ou de syndic[27], il servit probablement plus d’une fois d’intermédiaire entre l’État et la communauté chrétienne : peut-être même fit-il inscrire l’association nouvelle parmi les autres corporations, sur les registres de la préfecture urbaine[28].

 

II. — Les sentiments de Septime Sévère à l’égard des chrétiens.

Les associations étaient nombreuses dans les premières années du troisième siècle. Un mouvement démocratique se dessinait ; dont l’Église profita. Peut-être ne fut-elle pas étrangère à ses commencements. L’exemple des chrétiens, dont les mains ne restaient pas oisives[29], l’égalité qui régnait chez eux entre le riche et le pauvre, l’homme libre et l’esclave[30], l’estime singulière qu’ils montraient au travailleur[31], avaient dû faire impression sur quelques esprits. Ce n’est point à la surface que se forment les courants nouveaux : une société humble, cachée, presque inconnue, comme le fut pendant longtemps l’Église chrétienne, avait pu exercer dans les couches profondes de la population romaine une action d’autant plus efficace qu’elle était moins aperçue. Le temps est passé où l’on parlait des artisans, des gens de métier, des boutiquiers avec le dédain superbe de Cicéron[32] ; où Claude offrant un sacrifice expiatoire faisait retirer les ouvriers et les esclaves[33] ; où Valère Maxime, après avoir rapporté un acte patriotique d’une corporation de petites gens, s’excusait d’écrire l’éloge de ce troupeau méprisé[34]. Quand Septime Sévère, en 193, fit faire au successeur de Commode, l’honnête Pertinax, de solennelles funérailles, Rome offrit un spectacle comme en offriront, dix siècles plus tard, nos villes du moyen âge. Derrière les statues des héros, les images des peuples conquis, les chœurs d’hommes et d’enfants qui accompagnaient au bûcher funèbre l’effigie de Pertinax, on vit flotter au vent les bannières des corporations[35]. Celui en l’honneur duquel se déployaient pour la première fois peut-être ces étendards populaires, qui prendront part désormais à toutes les cérémonies[36], était lui-même un signe bien caractéristique des temps nouveaux : fils d’un esclave, marchand de charbon, grammairien, puis soldat, Pertinax s’était élevé de profession en profession, de grade en grade jusqu’à l’empire. L’aristocratie de naissance était presque toute morte avec les Césars, l’aristocratie de la pensée avec les Antonins : les empereurs qui feront désormais quelque figure et retarderont par leur courage la victoire de la barbarie seront pour la plupart des fils du peuple. La vieille constitution de Rome, fondée sur l’exclusion et le privilège, tombe en ruines : le patriciat, autour duquel elle gravitait jadis, n’est plus représenté que par de rares survivants des anciennes familles : il y a maintenant dans le petit peuple plus d’associés que de clients ; portée sur le flot montant de la démocratie, l’Église entre, à la suite des autres associations, dans cette cité romaine autrefois inhospitalière aux petits, mais où désormais ils vont compter pour quelque chose.

Septime Sévère fut aussi un homme nouveau, peu soucieux des traditions aristocratiques. Sa nature rude, son esprit précis, autoritaire, son goût de la discipline et du commandement, faisaient de lui sous certains rapports un des plus complets représentants du génie romain ; mais par d’autres côtés il s’en dégageait tout à fait. Rien en lui ne rappelait l’antique esprit de caste qui avait eu, cent ans plus tôt, un gardien si dévoué dans Trajan. De moins basse extraction que Pertinax, mais d’origine provinciale et presque barbare, né dans une petite ville africaine dont il conserva toujours l’accent, issu d’une famille où l’on parlait mal le latin et bien le carthaginois[37], époux d’une Syrienne et par elle peut-être ouvert aux inquiétudes religieuses, aux souffles mystiques de l’Orient, aimant peu Rome, qu’il ne fit jamais que traverser et où il ne séjournait pas, Sévère n’eut aucun des préjugés politiques, sociaux ou religieux d’un Romain de vieille roche. Comme les Flaviens, qu’il rappelle par bien des traits, il montra du goût pour les Juifs[38]. Arrivé au pouvoir par la guerre civile, grâce à la supériorité de ses soldats, à la vigueur de son commandement, il semble n’avoir vu dans l’empire qu’une démocratie militaire, dont il était le chef. Le reste ne l’inquiétait guère : il méprisait trop le sénat pour le craindre, et il avait trop le goût de l’activité pour s’effrayer en voyant le peuple secouer un peu la torpeur séculaire dans laquelle l’avait plongé une constitution sociale fondée sur les influences aristocratiques et l’abus du travail esclave.

Septime Sévère monta sur le trône libre de toutes préventions à l’égard des chrétiens. Eût-il été dès lors mal disposé pour eux, les guerres qui remplirent les six premières années de son règne, d’abord contre ses deux compétiteurs Niger et Albinus (193-197), puis contre les Parthes (197-199), ne lui auraient guère laissé le loisir de manifester son mauvais vouloir par des lois ou des actes. Mais ses sentiments personnels leur étaient plutôt favorables. Il avait fait presque toute sa carrière pendant le règne de Commode, c’est-à-dire à une époque où l’autorité impériale les voyait d’un bon œil, et où les fonctionnaires, suivant l’exemple du maître, les laissaient en paix, refusant même quelquefois de juger les fidèles qu’une accusation régulière déférait aux tribunaux[39]. Quand Sévère gouverna la Gaule Lyonnaise en 186, les sanglantes tragédies qui avaient porté si haut, sous Marc Aurèle, la gloire des jeunes chrétientés du Rhône et de la Saône[40] n’étaient plus qu’un souvenir : il fallait que les calomnies autrefois répandues à Lyon contre les fidèles[41] fussent bien effacées, car Sévère n’hésita pas à donner une nourrice chrétienne[42] à l’aîné de ses fils, né pendant son séjour dans la métropole gallo-romaine. Son consulat, en 189[43], coïncida précisément avec la période la plus brillante de la faveur de Marcia. Les rapports que, en bon courtisan, il entretint avec le palais lui firent peut-être connaître quelques-uns des serviteurs chrétiens que l’influence de la toute-puissante favorite avait introduits dans la maison impériale[44]. Il les retrouva sans doute quand, à son tour, il prit possession du Palatin : en général, les gens de la maison de César y demeuraient plus longtemps. que les empereurs et se perpétuaient de règne en règne : nous savons que Pertinax, après avoir vendu à l’encan lès esclaves personnels de Commode, avait conservé les serviteurs attachés au palais. Les inscriptions et certains indices archéologiques montrent que sous Sévère un grand nombre d’esclaves ou d’affranchis impériaux furent chrétiens[45]. Un d’entre eux entra fort avant dans l’intimité du souverain et de ses fils : son histoire est curieuse. C’était l’intendant de l’affranchi impérial Evhodus, gouverneur[46] de Caracalla. Il s’appelait Proculus Torpacion. Comme beaucoup d’esclaves, il avait étudié la médecine[47] : il eut le bonheur de guérir au moyen d’onctions un mal dont souffrait Sévère. L’empereur garda de ce service une reconnaissance d’autant plus vive que lui-même s’occupait volontiers de médecine : il se plaisait à soigner ses amis, et leur administrait des remèdes composés par le célèbre Galien[48]. Probablement, dans la maladie de Sévère, l’esclave chrétien, possesseur de quelque recette traditionnelle, avait réussi là où Galien venait d’échouer. Aussi Sévère voulut-il l’avoir toujours près de lui et de ses enfants : il se le fit donner par Evhodus, et lui assura un logement dans le palais[49].

Bien que l’entourage chrétien qu’il est permis d’entrevoir autour de Sévère, malgré l’insuffisance des documents, n’ait pas exercé sur son esprit une influence comparable, pour la vivacité et la durée, à l’empire de Marcia sur le faible Commode, cependant la bienveillance envers les chrétiens dominait dans les conseils du prince quatre ans après son avènement. Les deux compétiteurs de Sévère, Niger et Albinus, avaient péri, l’un en Syrie, l’autre sur les bords du Rhône, quand, au mois de juin 197, l’empereur victorieux fit dans Rome une entrée solennelle. Les partisans îles deux vaincus, nombreux dans l’aristocratie et le sénat[50], l’attendaient en tremblant. Comme toujours ils dissimulaient leur frayeur sous les apparences d’une allégresse bruyante et démonstrative. Les plus ardents fauteurs d’Albinus, ceux-là même qui allaient payer de leur tête leur zèle passé[51], étaient ceux qui mettaient au-dessus de leur porte les rameaux de laurier les plus épais, qui allumaient sur la façade de leurs maisons les illuminations les plus brillantes, qui se disputaient le forum pour y étaler en l’honneur des dieux les lits de parade les plus magnifiques[52]. Parmi les démonstrations de cet enthousiasme affecté, la froideur des chrétiens de l’aristocratie, nombreux à Rome en un temps où toute dignité passait du côté de l’Église[53], ne pouvait manquer d’être remarquée. Sans prétendre faire bande à part, ni se poser en parti d’opposition, les plus rigoristes repoussaient comme entachés d’idolâtrie ces honneurs vains et téméraires décernés aux empereurs, ces décorations de verdure, ces lampes allumées en plein jour qui faisaient ressembler les plus honnêtes maisons à de mauvais lieux[54]. Ils rendaient hommage aux Césars en gardant une réserve modeste et fière[55]. Une telle attitude ne pouvait manquer d’indigner le peuple, d’autant plus porté à faire du zèle qu’il s’était pendant la lutte montré plus froid pour la cause de Sévère[56]. Aussi, taxant les chrétiens d’indifférence, les traitait-on bien haut d’ennemis publics[57]. On eut voulu détourner sur eux la colère impériale, et mêler au moins leur sang à celui des partisans d’Albinus que Sévère, depuis son entrée dans Rome, au milieu des illuminations et des fêtes, n’avait cessé de verser. Le peuple, raconte Tertullien, s’ameuta, et dénonça à la vengeance du vainqueur des chrétiens de l’un et de l’autre sexe ayant rang de clarissimes, c’est-à-dire appartenant à des familles sénatoriales. Non seulement Sévère refusa de sévir contre eux, mais encore il résista en face aux clameurs de la foule, et fit publiquement l’éloge des chrétiens dénoncés[58].

Cette conduite eut probablement plusieurs motifs. Sévère était sans doute bien aise de montrer au peuple qu’il n’avait pas plus peur de la foule que des prétoriens et des sénateurs, et qu’après avoir désarmé et dispersé les uns[59], décimé les autres, il n’était pas homme à céder devant les sommations de la multitude. La résistance aux passions fanatiques des foules était depuis longtemps une tradition de la politique impériale, et les souverains même les moins favorables aux chrétiens s’en firent un devoir : les dénonciations anonymes et tumultueuses furent à, plusieurs reprises interdites par Trajan, par Hadrien, par Antonin[60]. Sévère se montra d’autant moins disposé à les recevoir contre les chrétiens, qu’il croyait devoir à ceux-ci quelque reconnaissance. Au dire de Tertullien ; aucun chrétien notable ne figura dans le parti de Niger ou d’Albinus[61]. Cela tenait probablement à l’extrême réserve politique qu’ils s’imposaient en toute circonstance, plutôt qu’à une conviction bien arrêtée des droits de Sévère ; dans cette étrange monarchie romaine où l’on avait essayé de tous les modes de transmission du pouvoir, l’élection, l’hérédité adoptive, l’hérédité par le sang, où dans un jour de honte on était allé jusqu’à la vente aux enchères[62], et qui maintenant n’était plus qu’un enjeu offert aux joueurs audacieux et habiles, il n’existait aucun principe de légitimité : quand plusieurs compétiteurs se disputaient l’empire, le plus subtil théoricien politique n’eût pu deviner avant la victoire quel était le vrai souverain. Cependant, pour des motifs que nous ignorons, il ‘semble que les vœux secrets des chrétiens aient été pour Sévère. Peut-être les souvenirs d’une administration équitable en Gaule, pendant laquelle les Églises meurtries parla persécution de Marc Aurèle avaient pu panser leurs blessures et se reconstituer librement, lui conservèrent-ils les sympathies des chrétiens de ce pays, en engageant ceux-ci à voir avec plaisir sa victoire sur Albinus et les légions de Bretagne dans les plaines de Lyon. En Orient, ils paraissent avoir désiré le succès de Sévère, contre lequel, au contraire, les Juifs s’étaient prononcés avec leur turbulence accoutumée[63]. Chrétiens, réjouissez-vous, s’écria un des lieutenants de Niger quand, en 196, après une héroïque résistance, Byzance, dernier rempart de sa cause, se rendit à l’empereur[64].

Sévère put avoir une autre raison de ménager les fidèles. C’était, nous l’avons dit, un parvenu : de plus, en arrivant à l’empire, il était pauvre[65]. Il eut l’idée de se procurer d’un seul coup des ancêtres et un patrimoine. Se faire adopter par une grande et riche famille parut le moyen tout indiqué. Mais, pour se donner une apparence de légitimité, et rattacher par quelque côté sa fortune militaire à l’hérédité politique, il imagina de choisir Marc-Aurèle comme père adoptif. Marc Aurèle, il est vrai, ne vivait plus ; cependant la jurisprudence romaine, mise au service de l’omnipotence impériale, se montra si ingénieuse à trouver des biais, que l’adoption put se faire. Sévère, empereur, était souverain pontife, et le souverain pontife donna aux deux parties les dispenses nécessaires. Nerva avait adopté, contrairement à la loi, Trajan absent ; Sévère, violant la lettre et l’esprit de toutes les lois, mais s’autorisant de ce précédent et de quelques autres, devint le fils adoptif d’un souverain mort depuis quinze ans[66]. Dès lors il eut une généalogie officielle où figuraient Marc Aurèle comme père, Commode comme frère, Antonin, Hadrien, Trajan, Nerva, comme ascendants[67], et donna à son fils aîné Bassianus, auquel l’histoire a conservé le sobriquet de Caracalla, les noms de Marc Aurèle Antonin. Mais en même temps il devint l’héritier des biens immenses, véritable patrimoine royal, que, pendant un siècle, six générations d’empereurs s’étaient transmis. Entré dans la famille Antonine, Sévère tint à n’en répudier ni les gloires, ni les hontes. Loin de lui faire horreur, la fraternité de Commode fut par lui revendiquée avec éclat. Il mit au rang des dieux celui que le sénat avait flétri du nom de parricide[68], institua une fête pour l’anniversaire de sa naissance, lui donna un pontife, bien que deux ans auparavant le collège des pontifes l’eût déclaré indigne de sépulture, punit ses meurtriers, et reprocha publiquement aux sénateurs d’avoir manqué de respect à un souverain qui, disait-il valait mieux qu’eux[69]. Mais la partialité de Commode pour les chrétiens, seul bon sentiment de ce misérable, était bien connue : Sévère, pour se montrer vraiment son frère et son continuateur, se crut sans cloute obligé d’imiter pendant quelque temps an moins cette bienveillance. Probablement même, nous l’avons dit, il la partageait alors sincèrement.

 

III. — Les préludes de la persécution.

La bienveillance personnelle de l’empereur n’était une garantie que contre lui-même ; elle ne supprimait aucune des lois existantes, n’arrêtait pas le cours des colères ou des calomnies de la foule, et laissait les fidèles exposés comme par le passé à des accusations individuelles ou à des émeutes populaires. L’influence même de Marcia n’avait pu empêcher que sous Commode il y eût des chrétiens condamnés pour cause de religion à la mort ou aux mines. A plus forte raison en fut-il ainsi dans les premières années de Septime Sévère. Les intentions favorables de l’empereur ne restèrent pas cependant sans effet. Les magistrats désireux de faire leur cour se montraient indulgents pour les fidèles déférés à leur tribunal, feignaient de ne pas comprendre l’accusation, jugeaient mollement, et ne condamnaient qu’à la dernière extrémité, quand un chrétien trop ardent courait pour ainsi dire au-devant de la mort.

Il existait malheureusement alors de ces esprits excessifs, comme on en rencontre dans tous les temps, qui essayaient d’appliquer aux choses de la foi et de la morale une logique outrée, et de faire de leurs déductions passionnées la règle non seulement de leur propre conduite, mais de celle de leurs frères. A Rome, sous la direction prudente et modérée de pontifes qui possédaient à un rare degré l’esprit de gouvernement de tels hommes avaient peu de chances d’être écoutés, et leur influence n’y fut jamais que passagère ; mais ailleurs, sous une autorité moins ferme, en des contrées où un ardent climat faisait bouillonner le sang et tenait les âmes dans une excitation plus grande, ils faisaient facilement école quand à une incontestable sincérité se joignaient chez eux l’éclat de la parole et les séductions du talent. Telle était en Afrique la situation de Tertullien à l’époque dont nous parlons. Il n’était pas encore montaniste, mais il parlait d’avance le langage des erreurs qu’il devait adopter, comme notre Lamennais, qui lui ressemble par tant de côtés, laisse voir déjà dans ses ouvrages les plus orthodoxes l’esprit emporté et faux qui l’entraînera bientôt aux abîmes. Toute action excessive, tout imprudent propos, toute provocation inutile obtenait l’approbation et les encouragements de Tertullien. Ainsi que tous ses pareils, il s’inquiétait peu des conséquences pour la tranquillité des âmes et la paix de l’Église. De telles considérations lui paraissaient indignes d’un chrétien croyant que l’ardeur de son zèle le mettait au-dessus de toute discipline, il taxait volontiers de lions dans la paix, et cerfs dans le péril[70] les pasteurs qui, chargés d’une responsabilité dont le fardeau ne se faisait pas sentir à ses épaules, essayaient de le rappeler à la prudence et au bon sens.

Un de ces écarts de zèle auxquels il applaudissait, mais dont s’affligeaient les chrétiens raisonnables, eut lieu précisément vers l’époque où Sévère avait laissé voir son désir que les chrétiens ne fussent pas inquiétés. On peut reporter à l’an 198 le fait qui donna lieu à Tertullien d’écrire son éloquent mais périlleux et paradoxal traité De la couronne du soldat[71]. Après avoir terrifié Rome et noyé dans le sang les derniers restes des partis vaincus, Sévère sentant que ; en dépit de toutes les adoptions posthumes, la gloire seule pouvait légitimer une dynastie si cruellement fondée, porta la guerre en Orient, où les Parthes, pendant qu’il luttait en Gaule contre la faction d’Albinus, avaient envahi la Mésopotamie romaine. Le succès couronna d’abord ses armes : avant d’échouer devant Hatra, il avait pris Babylone, Séleucie, Ctésiphon : Rome, à qui parvenait l’écho lointain de ses victoires, pouvait croire la puissance des Parthes à jamais détruite. C’est alors que, ratifiant l’acclamation des soldats, le sénat déclara les deux fils de l’empereur, Caracalla et Geta, l’un Auguste, l’autre César, et les associa au trône de leur père. On ne pouvait adresser à celui-ci une flatterie plus délicate : Sévère, comme tous les souverains parvenus, rêvait de fonder une dynastie. Oublieux des leçons de l’histoire, il voulait laisser après lui des empereurs de son sang. L’hérédité, seule garantie de la stabilité des monarchies modernes, avait toujours mal réussi à l’Empire romain, où l’autorité absolue, ne trouvant de contrepoids ni clans la religion, ni dans les mœurs, ni dans les lois, faisait presque inévitablement du souverain un monstre, s’il n’était préservé par une vertu rare ou une intelligence supérieure. Aussi tous les bons empereurs furent-ils ceux qui arrivèrent au trône déjà mûrs, et qui y furent désignés non par la naissance, mais par un choix réfléchi et désintéressé. Le sénat savait cela, car depuis longtemps ces vérités d’expérience étaient passées à l’état d’axiome chez les esprits vraiment politiques[72] ; mais on ne pouvait attendre de ce corps avili et tremblant une marque d’indépendance ou un acte de patriotisme éclairé. Quant au soldat, en prenant l’initiative de l’association des deux enfants de Sévère au trône paternel, il n’avait eu probablement qu’un but : s’assurer un donativum. Toute proclamation d’un nouvel Auguste ou d’un nouveau César se traduisait dans le monde romain par une largesse à l’armée. L’empereur qui donna pour règle de conduite à ses fils : Enrichissez le soldat et moquez-vous du reste[73], ne pouvait déroger sur ce point à la tradition. Il y eut donc distribution extraordinaire à toutes les armées. Pendant que la troisième légion Augusta[74], stationnée dans ce camp de Lambèse[75] dont il reste des ruines magnifiques[76], recevait joyeusement le don impérial, un éclat inattendu vint troubler la fête. L’histoire est toute récente, dit Tertullien. Par ordre des très puissants empereurs, on faisait largesse aux troupes. Les soldats, couronnés de laurier, venaient tour à tour recevoir le donativum. L’un d’eux, plus soldat de Dieu, plus intrépide que ses frères qui s’étaient flattés de pouvoir servir deux maîtres, seul, tête nue, s’avançait tenant à la main son inutile couronne, et manifestant par là qu’il était chrétien. Tous de le montrer au doigt : de loin on le raille, de près on s’indigne. La clameur arrive, jusqu’au tribun : le soldat se présente à son tour. Pourquoi, lui dit le tribun, es-tu si différent des autres ? Je ne puis faire comme eux. Et comme on lui en demandait la cause : Je suis chrétien, répondit-il. On délibère sur ce refus, on instruit l’affaire ; l’accusé est traduit devant les préfets. Là, prêt à revêtir un joug plus léger, il dépose son lourd manteau, quitte sa chaussure incommode pour marcher plus librement enfin sur la terre sainte, rend son épée qui n’avait pas été jugée nécessaire à la défense du Seigneur[77], et laisse tomber la couronne de sa main. Maintenant, vêtu de la pourpre du martyre espéré, chaussé comme le demande l’Évangile, prenant pour glaive la parole de Dieu, revêtu de toute l’armure dont parle l’Apôtre, et sur le point de recevoir la blanche couronne, plus glorieuse que l’autre, il attend dans la prison le donativum du Christ[78].

La majorité des fidèles ne partageait point pour la généreuse imprudence de ce soldat l’admiration hautement professée par Tertullien. Certainement des conseils plus modérés lui eussent été donnés, s’il avait consulté les chefs de la société chrétienne avant de donner cours à son zèle et de manifester bruyamment sa foi en repoussant un symbole en apparence aussi inoffensif qu’une couronne de laurier[79]. D’autres soldats chrétiens faisaient partie de la légion, comme le montrent les paroles mêmes de Tertullien[80] ; ceux-ci ne se crurent pas obligés d’imiter leur camarade. Le moment était mal choisi pour proclamer une incompatibilité entre un des actes de la vie militaire et la foi chrétienne[81], car précisément, sous Septime Sévère, il devint plus facile que par le passé aux soldats chrétiens de mettre leur vie d’accord avec la morale évangélique. La défense faite jusque-là aux légionnaires romains de conduire leurs femmes à l’armée[82] pendant un temps de service qui dépassait quelquefois vingt-cinq ans avait amené une immoralité inévitable : les baraquements de toute sorte qui entouraient les camps, et qui devinrent en bien des lieux le noyau de grandes villes, étaient remplis d’une population fort mélangée. Les soldats formaient là des liaisons souvent éphémères, quelquefois durables, mais qui ne pouvaient guère être transformées en mariage avant l’expiration de leur temps de service. Septime Sévère, permit aux légionnaires d’habiter avec leurs femmes[83].

Ce fut dans la vie militaire toute une révolution, défavorable par certains côtés à la discipliné, très bienfaisante au point de vue moral. Dès lors les camps permanents furent comme doublés d’une ville, où beaucoup de soldats résidaient en famille, ne se rendant plus dans l’enceinte fortifiée que quand un ordre de service les y appelait et menant une vie moitié militaire, moitié bourgeoise[84]. Les chrétiens durent voir avec satisfaction les camps ainsi transformés, et s’y trouver moins mal à l’aise que par le passé. Aussi comprend-on que les compagnons du soldat dont Tertullien raconte l’acte courageux, mais très probablement excessif, n’aient pas cru nécessaire de suivre son exemple : ce n’était pas à l’heure où la décence rentrait dans la vie militaire qu’il convenait de creuser un infranchissable fossé entre elle et la vie chrétienne[85].

En dehors même de l’armée, l’opinion fut peu favorable à l’imprudent soldat. C’est une précipitation dangereuse, disait-on, un amour immodéré de la mort. Pour un scrupule de costume et de mots, il compromet la société chrétienne tout entière, comme s’il était le seul qui eût du cœur, et que parmi tant de frères qui servent comme lui il fût seul chrétien. Il vient sans raison mettre en péril une bonne et longue paix[86]. L’Église africaine jouissait en effet, depuis la crise sanglante de 180[87], sinon de la paix, au moins d’une assez large tolérance de la part des gouverneurs. L’honnête et rigide Pertinax (188-989), Didius Julianus (189-190), qui devait faire une si piteuse figure sur le trône impérial, Cincius Severus (190-191), Vespronius Candidus (191-192)[88], avaient laissé en repos les chrétiens de la province proconsulaire : deux de ces magistrats montrèrent même en faveur des fidèles une partialité qui déconcerta leurs ennemis[89]. On comprend que, satisfaits de la tolérance précaire dont jouissait l’Église, les chrétiens prudents aient craint toute provocation intempestive, tout éclat de nature à faire cesser cet accord tacite, à rendre irrésistibles les passions haineuses de la foule ou à décourager les dispositions conciliantes des gouverneurs.

Il suffisait, en effet, d’une étincelle pour allumer la colère du peuple, toujours prêt à se jeter sur les chrétiens. Les bruits infâmes auxquels ne croyaient plus les gens éclairés (Celse n’y fait pas une seule fois allusion dans son Discours véritable, composé vers 178) continuaient à défrayer les conversations des oisifs : ils avaient cours surtout parmi les foules ignorantes et grossières, comme le peuple de Carthage[90]. Dans ce milieu crédule, il n’était point de sottise ou d’horreur à laquelle on n’ajoutât foi. Tel commence à calomnier, dit Tertullien, puis vient un second qui ajoute aux mensonges du premier ; bientôt un troisième va renchérir sur les fables débitées par ses devanciers, et ainsi de suite ; le vulgaire accepte tout cela les yeux fermés, et se fait l’écho docile des infamies qu’on invente sur notre compte[91]. L’une des imputations les plus absurdes et les plus populaires faisait remonter aux chrétiens la cause de toutes les calamités, même physiques, qui affligeaient l’Empire[92] ; Marc Aurèle lui-même prêta une oreille crédule à cette sottise[93] : combien elle devait avoir de succès dans une province souvent ravagée par la peste, la fièvre, les sauterelles, parmi l’imperitun vulqus qui peuplait les colonies et les municipes de l’Afrique romaine ! Une autre invention de la niaiserie et de la. haine avait le don de révolter le peuple : on accusait les chrétiens d’adorer une tête d’âne. La crédulité païenne avait jadis attribué aux Juifs ce culte grotesque[94] : avec leur malice ordinaire, ces derniers réussirent probablement à reporter sur les chrétiens la. sotte rumeur dont ils avaient d’abord été victimes. Partout s’étalaient des caricatures dirigée contre les fidèles, et représentant ce ridicule emblème. Une main inconnue le dessinait à Rome dans une chambre du palais de Sévère. On le moulait en statuettes[95]. On le gravait jusque sur des bijoux[96]. Un Juif apostat, bestiaire ou valet d’amphithéâtre, se promenait dans les rues de Carthage portant un tableau sur lequel était peint un personnage vêtu de la toge, tenant un livre, ayant des oreilles d’âne et un pied fourchu ; au-dessous était écrit : Le Dieu des chrétiens, onocoétès[97], mot qui se prêtait à un sens obscène, et sur lequel il était facile de construire quelque sale légende, plus ou moins imitée des Métamorphoses d’Apulée[98]. Mais dans ces imputations vagues et ces basses plaisanteries[99] n’était pas le plus grand péril ; le danger, c’était quand le cri de la foule, sûr d’éveiller un secret écho dans le cœur des magistrats romains, accusait les chrétiens d’avoir abandonné les traditions nationales, d’être des ennemis de l’Empire, de mauvais citoyens. La grande masse des fidèles repoussait bette accusation par son calme, sa modération politique, la probité et la conscience avec lesquelles elle supportait les charges de l’État, rendant à César ce qui est à César, et se conformant à la sage direction des chefs de l’Église ; mais il n’était besoin que d’un acte inconsidéré comme celui qui donna lieu à Tertullien de composer le De corona militis, ou d’un écrit plein de paradoxes et de bravades comme ce fâcheux opuscule, pour faire perdre aux chrétiens le fruit de longues années de patience, de douceur, de vraie prudence évangélique.

On ne saurait affirmer que l’incident du soldat fut l’origine de la reprise des hostilités contre l’Église mais il paraît hors de cloute que, précisément vers 198 ou 199, la tolérance dont les gouverneurs avaient usé vis-à-vis des fidèles d’Afrique ne durait plus, que beaucoup de ceux-ci étaient retenus en prison, d’autres punis du dernier supplice. La date de trois des plus célèbres ouvrages de Tertullien, son Exhortation aux martyrs, son livre aux Nations et son Apologétique, se place en effet dans les années comprises entre la défaite d’Albinus et la persécution par édit commencée en 202.

Le premier de ces écrits est adressé à des fidèles détenus dans les cachots, probablement de Carthage[100], pour cause de religion. C’est une œuvre fort belle. Tertullien, considérant le martyre comme la plus haute dignité à laquelle puisse. atteindre un chrétien, donne aux prisonniers le titre de martyrs désignés, comme on appelait consul désigné celui qui était destiné au consulat. Bienheureux martyrs désignés, leur dit-il, pendant que l’Église, notre mère et notre maîtresse, vous nourrit du lait de sa charité, et que le dévouement de vos frères vous apporte clans la prison de quoi soutenir la vie du corps, permettez-moi aussi de contribuer pour ma part à la nourriture de votre âme[101].

Il s’effraie des dissentiments qui, dit-on, existaient entre eux[102], et il leur recommande la paix, la concorde, la joie. Vous habitez un séjour ténébreux, mais vous êtes vous-mêmes une lumière. Des liens vous enchaînent mais vous êtes libres pour Dieu. Vous respirez un air infect, mais vous êtes un parfum de suavité. Vous attendez la sentence d’un juge, mais vous jugerez vous-même les juges de la terre[103]. Il les engage à faire de leur prison un lieu de retraite spirituelle : Bien que le corps soit enfermé et la chair captive, tout reste ouvert à l’esprit. Marchez librement, non sous d’épais ombrages ou de longs portiques, mais sur le chemin qui conduit à Dieu. La jambe ne sent rien dans les ceps qui l’étreignent, quand l’âme est dans le ciel[104]. Il compare le dur séjour de la prison aux exercices par lesquels on prépare le soldat à combattre[105]. Il met en parallèle les souffrances que tant d’hommes affrontent pour des chimères, et les souffrances des martyrs endurées pour la vérité. Ici se place un passage curieux sur cette folie du sport, qui faisait descendre dans l’arène les riches blasés de Rome. L’exemple de Commode avait mis en faveur ces honteuses exhibitions, et l’on avait vu les descendants des plus grandes familles, oublieux de toute dignité, prostituer leur noblesse dans les combats athlétiques et les jeux sanglants des gladiateurs. Les femmes elles-mêmes prenaient part à ces luttes dégradantes ; Sévère dut les leur interdire[106]. Il reprocha un jour à un sénateur, ancien consul, de s’être montré en public jouant avec une courtisane déguisée en panthère ; à d’autres d’avoir acheté les boucliers et les casques d’or de Commode, quand Pertinax les mit à l’encan[107]. Que d’oisifs, s’écrie de même Tertullien, une vaine affectation pousse au métier de gladiateur ! Ils aiment à s’exposer à la dent des bêtes féroces, et se regardent comme d’autant plus beaux qu’ils sont plus sillonnés de morsures et de cicatrices. Les uns se sont engagés à parcourir un certain espace sous une tunique enflammée ; les autres marchent supportant avec impassibilité les coups qui pleuvent sur leurs épaules. Ce n’est pas en vain, bienheureux confesseurs, que le Seigneur a permis ces exemples ; c’est pour nous encourager aujourd’hui, et nous confondre au dernier jour, si nous craignons de souffrir pour la vérité et le salut les maux que d’autres recherchent pour la vanité et la perdition[108]. Cette pièce, de grand style et de grand souffle, porte avec elle sa date. Combien ont souffert pour un homme, s’écrie l’auteur, ce qu’on hésite à souffrir par la cause de Dieu ! Le temps présent le proclame assez. Combien de personnages de la plus haute distinction périssent d’une mort que ne faisaient présager ni leur naissance, ni leur dignité, ni leur tempérament, ni leur âge ; et cela, pour qui ? pour un homme ; par ses mains, s’ils l’ont combattu ; par les mains de ses adversaires, s’ils ont pris son parti ![109] Évidemment ces lignes ont été écrites au lendemain des luttes civiles que termina la défaite d’Albinus en 197, quand les esprits en étaient encore émus et que le sang versé dans les combats et les supplices était à peine séché.

A la même époque appartiennent deux ouvrages de Tertullien, dont l’un semble l’ébauche de l’autre. Quand il composa son premier essai d’apologie, c’est-à-dire son écrit en deux livres adressé aux Nations, la Syrie, dit-il, était encore empestée par l’odeur des cadavres, et le Rhône n’avait pas eu le temps de laver ses rives ensanglantées[110] : en langage prosaïque, cela veut dire que la défaite de Niger en Syrie (194) et celle d’Albinus en Gaule (197) étaient de date récente. L’Apologétique, où se trouvent, revues, corrigées, développées avec goût, distribuées avec plus d’art, refondues par un habile et sévère artiste, les images des deux livres aux Nations, et qui, rapprochée de ceux-ci, fait penser au sermons de la jeunesse de Bossuet après les retouches de son âge mûr[111], suivit cependant de peu d’années le premier ouvrage d’agression et de défense publié par Tertullien. On lit en effet dans l’Apologétique une allusion aux complices et amis des factions scélérates, qui sont maintenant dénoncés chaque jour, et que l’on cueille encore, grappes oubliées, après la vendange des chefs parricides[112]. Impossible d’indiquer plus clairement que ce livre a été écrit quand, après la défaite du dernier des compétiteurs de Sévère, en 197, les têtes de ses plus illustres fauteurs étaient tombées, et que les représailles se continuaient cependant encore, bien que ralenties, à, mesure que des rebelles obscurs étaient découverts et dénoncés. Cela peut s’appliquer aux trois ou quatre années qui suivirent 197, et permet de placer l’Apologétique vers 199 ou 200[113].

Une autre raison, plus péremptoire encore que des arguments de texte, fixe définitivement à cette période du règne de Septime Sévère les livres aux Nations et l’Apologétique. Les peintures que l’on y trouve de la situation des chrétiens s’appliquent certainement à une époque antérieure à l’édit par lequel, en 202, Sévère inaugura une nouvelle forme de persécution. Ce que Tertullien discute, c’est toujours la jurisprudence suivie pendant le deuxième siècle : une première loi, de Néron ou Domitien, qu’il résume ainsi : Chrétiens, il ne vous est pas permis d’être, non licet esse vos ; puis les rescrits explicatifs de Trajan et de ses successeurs, établissant la nécessité d’une accusation régulière pour qu’un chrétien soit puni, mais statuant que, cette condition remplie, il suffit de prouver qu’il est chrétien, quand même on n’établirait à sa charge aucun délit de droit commun, pour qu’il encoure la peine capitale. Contre cette situation juridique s’élève Tertullien, comme avant lui saint Justin, Méliton, Athénagore, tous les apologistes du deuxième siècle, dont il n’est ici que le continuateur.

Souverains magistrats de l’Empire romain, dit-il, vous qui rendez ouvertement la justice dans le lieu le plus éminent de cette ville (Carthage), s’il ne vous est pas libre d’instruire et d’examiner la cause des chrétiens sous les yeux de tous ; si, pour ce genre d’affaires seulement, votre autorité craint ou rougit de rechercher publiquement la justice ; si, enfin, la haine de notre nom, qui nous expose trop souvent aux délations domestiques, s’oppose à notre défense devant les tribunaux, qu’il soit permis au moins à la vérité de parvenir à vos oreilles par la voie cachée d’une écriture muette[114]. L’éloquent apologiste continue en montrant ce qu’il y a d’inique à juger sans instruire, et à condamner, non pour les crimes, mais pour le nom seul[115] ; en protestant contre l’emploi de la torture non pour faire avouer une faute, mais au contraire pour contraindre à nier la qualité de chrétien[116] ; en démontrant l’absurdité des bruits populaires relatifs aux enfants tués, aux repas de chair humaine et aux incestes[117] ; en prouvant combien il est injuste d’accuser, comme on le faisait quelquefois, de lèse-majesté des hommes qui rendaient aux empereurs les hommages qui leur sont dus, priaient chaque jour pour leur salut et leur prospérité, leur accordaient tout l’honneur, ne refusaient que l’adoration[118]. Avec une grande élévation de pensée et de paroles, il met en regard des lois positives invoquées contre les chrétiens la liberté inviolable de la conscience, revendiquée par eux à un double titre : comme droit commun, au milieu d’une société qui permettait la libre profession de tous les cultes, même les plus ridicules et les plus immoraux ; comme droit essentiel à la vérité, puisque le christianisme est divin[119].

Dans cette argumentation touffue se mêlent habilement l’attaque et la défense ; l’auteur tient à la fois la lance et le bouclier : quand on le croit occupé à plaider seulement la cause des chrétiens, tout à coup on le voit pousser une pointe hardie sur leurs adversaires, et accabler le paganisme de railleries sanglantes et d’invectives immortelles : mais pas un mot ne fait allusion à l’édit particulier de Septime Sévère, tous les reproches, toutes les critiques, toutes les protestations tombent sur la jurisprudence suivie contre les fidèles par les persécuteurs du deuxième siècle. Loin de se plaindre’ d’un acte récent du pouvoir, Tertullien s’efforce de prouver que tous les bons empereurs ont épargné les chrétiens, que les mauvais seuls les ont combattus. Cette affirmation est habile, bien que contraire à la vérité des faits. Mais elle eût été injurieuse pour Sévère, si elle s’était produite au lendemain d’un acte formel et législatif de persécution émané de ce dernier. Tertullien, qui, au milieu de ses plus violentes indignations, laisse toujours percer l’avocat sous l’apologiste, se fût bien gardé d’une telle imprudence : pour tout critique qui sait lire, les livres aux Nations et l’Apologétique offrent le tableau de la situation faite aux chrétiens depuis Trajan jusqu’au milieu du règne de Sévère, et en particulier dans les années 198 à 200 ou 201, non de la situation nouvelle que créa pour l’Église l’édit promulgué en 202.

A en juger par ces documents, la position des chrétiens, adoucie au commencement du règne de Sévère, était redevenue intolérable. L’empereur s’était sans doute lassé de les protéger, et les magistrats, habitués à deviner les dispositions du souverain, avaient compris que tout était encore une fois permis contre cette troisième espèce d’hommes, comme les appelaient dédaigneusement leurs ennemis, empressés de les mettre non seulement hors la loi, mais même en dehors de l’humanité[120]. On a vu par l’exhortation aux Martyrs qu’un grand nombre de fidèles avaient été de nouveau jetés en prison. L’exorde de l’Apologétique, cité plus haut, montre que chaque jour quelques-uns d’entre eux comparaissaient devant les tribunaux. Leur cause était jugée sommairement : accusés, ils ne se défendaient pas ; on leur demandait s’ils étaient chrétiens, ils répondaient oui ; on les condamnait, ils s’en faisaient gloire[121]. Souvent on les mettait à la torture avant de prononcer la sentence ou de l’exécuter[122]. Quelquefois, joignant l’insulte aux tourments, ou voulait les contraindre à l’abjuration, on introduisait de force dans leur bouche des boulettes de pain trempées dans le sang des victimes immolées aux idoles[123]. Aucun supplice ne paraissait trop cruel pour ceux qui persévéraient : si quelques-uns étaient seulement punis de la relégation[124], d’autres étaient décapités[125], ou mouraient déchirés par dés ongles de fer[126], crucifiés[127], livrés aux bêtes[128] ; quelquefois on les attachait à un poteau, et on les entourait de sarments embrasés, d’où le nom de Sarmentarii ou Semaxii que les païens donnaient ironiquement aux disciples du Christ[129]. A ces violences juridiques et légales s’ajoutaient les violences populaires. Le charme était désormais rompu : les magistrats avaient recommencé à répandre le sang chrétien, la foule pouvait donner de nouveau libre cours à ses haines. L’émeute était fréquente. Quand un traître avait découvert le lieu de réunion des chrétiens, le peuple s’y portait en masse pour les assiéger[130]. Dans les rues les fidèles isolés étaient poursuivis à coups de pierre : on mettait le feu à leurs maisons[131]. La bête populaire, maintenant déchaînée, et ayant encore, une fois goûté le sang, ne s’arrêtait plus : comme une hyène, elle allait fouiller les tombeaux pour lacérer ou jeter à la voirie les cadavres des chrétiens[132] : même la religion de la mort, si puissante dans le monde antique, ne suffisait plus à contenir ses sauvages ardeurs.

Tertullien, qui nous a laissé, épars dans les deux écrits que nous avons cités, tous les traits de ce tableau, a négligé de donner les noms des martyrs qui durent périr en si grand nombre dans la province d’Afrique pendant les deux ou trois dernières années du deuxième siècle et les deux premières du troisième. Écrivant ses deux livres aux Nations pour le peuple dont il raconte les violences, et son Apologétique pour les magistrats qui condamnaient chaque jour les fidèles, il n’a pas besoin de rappeler des faits ou des personnes présents à la mémoire de tous ceux qui le lisent, peut-être aux remords de quelques-uns. Le seul épisode isolé dont il fasse mention est celui d’une femme chrétienne qu’une sinistre fantaisie de juge dépravé, dont il y a plusieurs autres exemples dans l’histoire des martyrs[133], aime mieux condamner au déshonneur qu’à la mort, ad lenonem polius quam ad leonem, confessant ainsi que la perte de la chasteté est pour nous plus cruelle que tous les supplices et toutes les morts[134]. Le juge, en ordonnant un châtiment aussi monstrueux, appliquait-il une loi qui ne serait point parvenue jusqu’à nous ? Je ne le pense pas ; mais il usait de l’omnipotence accordée aux magistrats romains, et surtout aux gouverneurs, dans l’application de la peine. Ils pouvaient condamner aux bêtes, aux combats de gladiateurs, aussi bien qu’à la hache et au bûcher[135] ; rien ne s’opposait à ce qu’ils fissent le hideux choix dont parle Tertullien. L’accusé reconnu coupable d’un crime capital était devenu esclave de la peine, selon l’expression légale, et le juge croyait peut-être accomplir un acte d’humanité en exposant une chrétienne dans les mauvais lieux situés sous les arcades de l’amphithéâtre au lieu de l’exposer, dans l’arène, à la dent des lions ou à la lance des gladiateurs.

La province d’Afrique n’est probablement pas la seule contrée où sévit cette persécution, prélude de la persécution plus atroce qui devait suivre l’édit de 202. Nous ne savons si, dans les années troublées que nous étudions, des martyrs périrent pour la foi dans les provinces européennes ou asiatiques de l’Empire romain : cela est vraisemblable ; mais aucun document certain, pour cette époque et ces pays, n’est venu jusqu’à nous. Il en est autrement de l’Égypte. Clément d’Alexandrie nous a laissé, sur les épreuves que subit alors l’Église de cette grande ville, un témoignage analogue à celui de Tertullien sur la crise qui agita celle de Carthage. Au jugement des meilleurs critiques, les Stromates de l’illustre docteur alexandrin ont été composés sous Sévère, comme il est aisé de le juger par la chronologie qui se voit dans le premier, terminée à la mort de Commode. Mais ce fut, ce semble, au commencement de ce règne plutôt qu’à la fin[136]. Dans les Stromates se lisent ces paroles : Zénon disait justement en parlant des Indiens, que l’aspect d’un seul Indien au milieu des flammes enseignait mieux à supporter la douleur que toutes les démonstrations. Et nous, chaque jour nous voyons de nos yeux couler à torrents le sang des martyrs brûlés vifs, mis en croix ou décapités. La crainte de la loi qui, à la façon d’un maître, les a tous conduits au Christ, leur a appris à attester leur foi même au prix de leur sang[137]. Ainsi, dans la première moitié du règne de Sévère, les têtes chrétiennes tombaient sous la hache à Alexandrie comme à Carthage, les croix et les bûchers se dressaient dans l’une et dans l’autre ville pour les chrétiens fidèles à leur Dieu.

La persécution, cependant, n’était pas encore officielle ; les magistrats se contentaient d’appliquer les lois existantes, et l’empereur, occupé à d’antres soins, n’avait point jusqu’à ce moment publié d’édit contre les chrétiens. Après leur avoir été favorable, il leur était devenu indifférent : cela seul avait suffi pour que leur sang coulât de nouveau. Il va maintenant leur devenir ouvertement hostile, lancer contre eux un édit : alors commencera la période ardente et, selon une énergique expression de Tertullien, la canicule, le plein midi de la persécution[138], dont nous n’avons vu que la sanglante aurore.

 

 

 



[1] Tertullien, Ad nationes, 1, 2 ; Apologétique, 21.

[2] Acta S. Justini philosophi et sociorum ejus, dans Ruinart, Acta martyrum sincera, 1689, p. 44.

[3] Tillemont, Mémoires sur l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, t. III, art. IV sur saint Victor.

[4] Saint Cyprien, Ep. 71 ; Saint Augustin, De unitate bapt., 13.

[5] Tertullien, Apologétique, 37 ; Ad nationes, I, 1, 8.

[6] Voir l’appendice A, sur les domaines funéraires des particuliers et des collèges.

[7] Les inscriptions faisant mention du droit de sépulture accordé LIBERTIS LIBERTABVSQVE POSTERISQVE EORVM, ou désignant un terrain funéraire concédé EX INDVLGENTIA PATRONI, sont innombrables. Voir dans Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, 2e éd., t. II, 1879, la note 32, p. 479 : Les esclaves dans les tombeaux de leurs maîtres, et la note 58, p. 502 à 504 : Les affranchis dans les tombeaux de famille.

[8] Voir l’appendice B, sur les domaines funéraires chrétiens.

[9] Les plans de l’hypogée creusé par la chrétienne Lucine dans son domaine de la voie Appienne, dressés par M. Michel de Rossi, permettent de suivre les progrès de ce travail souterrain, de distinguer les galeries primitives, celles que l’on dut successivement y ajouter, d’assister en quelque sorte au peuplement de la catacombe. Voir Roma sotterranea, t. I, 1864, planches XXII-XXIII. Cf. Rome souterraine française, 2e éd., 1874, plan de la première area du cimetière de Calliste, à la fin du chapitre III du livre IV.

[10] M. Michel de Rossi a calculé que (dans la dernière période, il est vrai, du développement de son architecture sépulcrale) la crypte de Lucine, sur la voie Appienne, circonscrite dans une aire de 100 pieds sur 180, pouvait contenir deux mille sépultures (Roma sotterranea, t. I, 2e partie, p. 78). Il résulte des calculs du même savant que la moyenne de l’excavation catacombale sur une surface carrée de la 395e partie d’un mille carré comprend, en supposant un seul étage souterrain (et les catacombes en ont quelquefois deux ou trois), mille mètres de galeries. Michel de Rossi, Dell’ ampiezza delle romane catacombe, Rome, 1800.

[11] En vertu d’un sénatus-consulte du premier siècle, cité dans l’inscription du collège funéraire de Lanuvium. Orelli-Henzen, 6086. Cf. Marcien, au Digeste, XLVII, XXII, 1 ; Waltzing, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, t. I, 1895, p. 142 à 147.

[12] Le rescrit est donné par Sévère seul, antérieur par conséquent à 198, époque où Caracalla fut associé à l’empire avec le titre d’Auguste. Cf. Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 11.

[13] ...Quod non tantum in Urbe, sed in Italia et in provinciis locum habere divus quoque Severus rescripsit. Marcien, l. c.

[14] Dion Cassius, XXXVIII, 12 ; Suétone, César, 42 ; Octavius, 32 ; Josèphe, Ant. Jud., XIV, 10 ; Tacite, Ann., XIV, 17 ; Gaius, au Digeste, III, IV, 1.

[15] Pline, Lettres, X, 42, 97. Cf. Panég. de Trajan, 54.

[16] On comptait ordinairement dans les collèges funéraires (comme aujourd’hui encore dans la plupart de nos sociétés de secours mutuels) deux catégories de membres : ceux que nous appellerions les membres participants, et que les inscriptions romaines appellent la plebs, et à côté d’eux les membres honoraires, les patroni, grands ou riches personnages qui avaient fait au collège des dons de terre, d’édifices ou d’argent, et dont les noms étaient écrits au premier rang sur son album. Dans l’album d’un collège d’artisans d’Ostie, on voit neuf patroni, deux dignitaires, quinquennales, et cent vingt-quatre membres de la plebs. Cf. Orelli, 4054 ; Wilmanns, Exempla inscript. lat., 1745 ; l’index d’Orelli-Henzen, p. 178, au mot Patroni, et celui de Wilmanns, p. 641, aux mots Honores et officia collegiorum.

[17] Comparez ces paroles de Tertullien, Apologétique, 39 : Coimus ad Deum... areæ genus est... modicam unusquisque stipem menstrua die... apponit... egenis alendis numandisque, avec les textes suivants de Gaius (au Digeste, III, IV, 1, § 1) : Permissum est... habere... arcam communen ; de Marcien (ibid., XLVII, XXII, 1) : Permittitur tenuioribus stipem meustruam conferre, dum tamen semel in mense coeant ; de l’inscription de Lanuvium : Qui stipem menstruam, conferre volent in funera in id collegium coeant neque sub specie hujus collegii nisi semel in mense coeant conferendi causa unde defuncti sepeliantur. Même les dons en nature qui formaient dans l’Église primitive une partie du traitement du clergé étaient distribués dans les réunions des fidèles sous la même forme que dans les corporations ou les assemblées profanes, où, après le repas de corps, une ration plus ou moins abondante, sportula, quelquefois même une somme d’argent, était remise aux convives d’après la dignité de chacun. Dans les réunions périodiques des chrétiens, les prêtres, quelquefois les confesseurs de la foi, recevaient également une sportula en rapport avec leur rang hiérarchique ; voir Tertullien, De jejuniis, 17 ; saint Cyprien, Ep. 34, 64 cf. De Rossi, Bullettino de archeologia cristiana, 1866, p. 22.

[18] Les pages qu’on vient de lire résument les idées exposées à plusieurs reprises par M. de Rossi sur la formation de la propriété ecclésiastique. Ces idées ont été critiquées par Mgr. Duchesne, qui, dans ses leçons sur les Origines chrétiennes, p. 366-376, a donné de cette formation une explication différente. On trouvera le résumé détaillé des deux systèmes dans mon livre sur le Christianisme et l’Empire romain, 5e édition, p. 76-89. Voir encore Maurice Besnier, dans Revue des Cours et Conférences, 1904, p. 32-37.

[19] Philosophumena, II, 11.

[20] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e édition, p. 475.

[21] Les calomnies de l’auteur des Philosophumena, qualifiées d’atroces par M. Renan (Marc-Aurèle, p. 236), ont été réfutées par Dollinger, Cruice, Armellini, Le Hir, Hagemann, de Smedt, et surtout par M. de Rossi, qui a consacré à cette réfutation une grande partie de l’année 1866 de son Bullettino di archeologia cristiana.

[22] Voir, sur cette partie du récit des Philosophumena, les réflexions de M. de Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 8.

[23] Philosophumena, IX, 11.

[24] Mgr. Duchesne a récemment émis l’hypothèse qu’avant que le cimetière de la voie Appienne devint la nécropole officielle de l’Église romaine, celui de Priscille, creusé dans une propriété de la famille des Cæcilii sur la voie Salaria, avait été, depuis l’âge apostolique, l’établissement central de la communauté chrétienne, la résidence plus ou moins habituelle de l’évêque, en tous cas le siège de son administration. Lettre à M. Marucchi, dans Nuovo Bullettino di archeologia cristiana, 1901, p. 116-117.

[25] De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 368 et suiv. ; cf. Rome souterraine, p. 243.

[26] De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 245-249, 328, 345, 347, 372, 373. Les caveaux attribuées par M. de Rossi à l’époque de Calliste sont marqués A2 et A3 sur les plans du cimetière. Des vues d’ensemble de ces chambres funéraires et les détails de leurs peintures sont reproduits dans l’atlas de la Roma sotterranea, t. II, pl. XI, XIII n° 3, pl. additionnelle C R, pl. XV, XVI, XV1I, XVIII (cf. Rome souterraine, p. 385-399 et pl. V, VI, VII, VIII). L’image d’un docteur y est souvent représentée ; serait-ce une allusion à Calliste, qui peut-être dirigea la très remarquable décoration symbolique de ces deux chambres, où la pensée du théologien parait avoir guidé dans loin les détails la main de l’artiste ?

[27] Cf. Gaius, au Digeste, III, IV, 1, § 1.

[28] Cf. De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. VI-IX, 371. Voir aussi Rome souterraine, p. 25.

[29] Cf. Saint Paul, I Thess., II, 9 ; IV, 11 ; II Thess., III, 8, 10, 11, 12 ; I Cor., IV, 12 ; Éphès., IV, 20.

[30] Saint Paul, Galat., III, 8 ; cf. Lactance, Div. Inst., V, 15, 17.

[31] Voir, dans mon livre sur les Esclaves chrétiens, 3e éd., le chapitre intitulé : Réhabilitation du travail manuel, p. 381-410.

[32] Cicéron, De officiis, I, 42 ; Pro Flacco, 18 ; Pro domo, 33.

[33] Suétone, Claudius, 22.

[34] Valère Maxime, V, II, 10.

[35] Dion, XXIV, 4.

[36] Histoire Auguste, Gallien, 8 ; Aurélien, 34 ; Panég. vet., VIII, 8.

[37] Spartien, Severus, 15. De même Apulée, parlant d’un jeune Africain de bonne famille : Loquitur numquam nisi punice, et si quid adhuc a matre græcissat ; enim latine neque vult neque potest. Apolog., 68.

[38] Digeste, L, II, 3, § 3 ; Spartien, Severus, 14 ; saint Jérôme, In Daniel., XI, 34.

[39] Tertullien, Ad Scapulam, 4.

[40] Voir Histoire des Persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 409-438.

[41] Eusèbe, Hist. Ecclés., V, 1, 14.

[42] ... Antoninus (Caracalla)... latte christiano educatus. Tertullien, Ad Scapulam, 4.

[43] Il y eut cette année vingt-cinq consuls ; Dion, LXII. Le collègue de Sévère fut Apuleius Rufus.

[44] Philosophumena, IX, 11 ; De Rossi, Inscriptiones christianæ urbis Romæ, n° 5, p. 9 ; Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 3. — Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, p. 472.

[45] M. de Rossi a remarqué le très grand nombre d’Aurelii enterrés dans les parties anciennes du cimetière de Calliste. Au nombre des quartiers voisins de la porte Capène, dit-il, étaient ceux du Palatin et du Grand-Cirque, remplis de dépendants de la maison de César. Les chrétiens de domo Cæsaris ont été certainement ensevelis d’ordinaire dans les cimetières de la voie Appienne, et surtout dans celui de Calliste. Par conséquent, il me semble bien clair que cette réunion d’Aurelii est un groupe d’affranchis, de clients, d’étrangers, qui ont pris ce nom des empereurs Aurelii. Mais les premiers Antonins faisaient usage du nom Aelius, que prenaient aussi comme gentililium les affranchis de leur maison. Or, dans la région du cimetière de Calliste dont parle M. de Rossi, le gentililium Aurelius se trouve presque seul, et à peu près sans mélange d’Aetius. Les inscriptions où il se lit paraissent devoir être reportées à la première moitié du troisième siècle, à l’époque de la dynastie des Sévère ; on sait que Septime Sévère, inventant une adoption fictive, s’était agrégé à la famille de Marc-Aurèle. Bullettino di archeologia cristiana, 1863, p. 83. A la même époque parait appartenir la célèbre caricature d’Alexamène adorant un crucifix à tête d’âne, découverte en 1856 dans un appartement du Palatin : cet Alexamène, et Libanius, dont le nom se lit à peu de distance, accompagné du sobriquet railleur d’episcopus, sont peut-être de jeunes pages chrétiens contemporains de Sévère et de Caracalla : Spartien parle de l’affection de ce dernier, enfant de sept ans, pour un de ses compagnons de jeu, qui était juif, c’est-à-dire probablement chrétien (Caracalla, 1), et l’on a conjecturé, en lisant d’autres inscriptions, que dans cette partie du Palatin se trouve le pædagogium ou logement des pages de la maison impériale. Voir Rome souterraine, fig. 27, p. 334-336 ; Bullettino di archeologia cristiana, 1863, p. 72 ; 1817, p. 72 ; Revue archéologique, 1870, p. 275 ; Boissier, Promenades archéologiques, p. 102 ; Butllettino della commissione archeologica comunale di Roma, 1891, p. 89-94.

[46] Τροφεύς. Dion Cassius, LXXVI, 6.

[47] Voir mon livre sur les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 236.

[48] Galien, De Theriaca (Œuvres, éd. de Kuhn, t. XIV, p. 218).

[49] Ipse etiam Severus, pater Antonini, christianorum memor fuit. Nam et Proculum christianum qui Torpacion cognominabatur, Evhodi procuratorem, qui eum per oleum aliquando curaverat, requisivit et in palatio suo habuit usque ad mortem ejus : quem et Antoninus optime noverat latte christiano educatus (Sévère lui-même, père d'Antonin, eut lieu de se souvenir des Chrétiens. Il fit venir Proculus, surnommé Tropacion, intendant d'Euhodie, qui l'avait guéri autrefois par l'huile sainte ; il le nourrit et le logea dans son palais jusqu'à sa mort. Antonin-le-Pieux le connaissait parfaitement, puisque lui-même avait sucé le lait chrétien). Tertullien, Ad Scapulam, 4. — Quelques critiques pensent que le membre de phrase qui Torpacion, cognominabatur se rapporte à Evhodi. M. de Celeuneer (Essai sur la vie et le règne de Septime Sévère, 1880, p. 209) lit Torpaeion, et en fait une traduction populaire de Τροφεύς, cognomen qui eut rappelé les fonctions de nourricier de Caracalla remplies par Evhode.

[50] Dion, LXXV, 7 ; Spartien, Severus, 11 ; Capitolin, Albinus, 9.

[51] Ce mot de Tertullien montre l’exactitude de ses renseignements selon Spartien, quarante et un personnages importants furent mis à mort comme partisans d’Albinus après l’entrée de Sévère dans Rome (Spartien, Severus, 13). Dion raconte qu’un procès capital fut intenté à soixante-quatre sénateurs : trente-cinq, reconnus innocents, reprirent leur siège ; vingt-neuf, condamnés à mort, furent exécutés. Dion, LXXV, 8.

[52] Tertullien, Apologétique, 35 ; cf. De idololatria, 15 ; Ad uxorem, II, 6 ; Bullettino di archeologia cristiana, 1867, p. 11, 24.

[53] Omnem ætatem, conditionem, etiam dignitatem transgredi ad hoc nomen quasi detrimento doletis. Apologétique, I ; Ad nat., I. Voir les inscriptions dans De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 309-320 ; t. Il, p. 137-147 ; 360-367 ; Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 25, 36 ; 1868, p. 91 ; 1873, p. 93, 114 ; 1880, p. 30-32 ; 1881, p. 67, 68.

[54] Tertullien, De idololatria, 15 ; Apologétique, 35 ; Ad uxorem, II, 6.

[55] Casti, et sobrii, et probi. Apologétique, 35.

[56] Dion, LXXV, 7.

[57] Propterea publici hontes christiani. Apologétique, 35.

[58] Sed et clarissimas feminas et clarissimos viros Severus sciens hujus sedia esse, non modo non læsit, verum et testimonio exornavit, et populo furenti in nos palam restitit (Ce même Sévère informé que des hommes et des femmes de la plus haute distinction avaient embrassé le Christianisme, au lieu de les persécuter, porta témoignage en leur faveur et les protégea publiquement contre les violences populaires). Ad Scapulam, 4.

[59] Dion, LXXIV, 1.

[60] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 163, 246 et suiv., 303.

[61] Tertullien, Apologétique, 35 ; Ad Scapulam, 4.

[62] Quoique l’empire eût été souvent acheté, il n’avait pas encore été marchandé, dit éloquemment Montesquieu, racontant l’épisode de Didius Julianus. Grandeur et décadence des Romains, ch. XVI.

[63] Spartien, Severus, 14.

[64] Cæcilius Capella in illo exitu Byzantine : Christiani, gaudete, exclamavit (Triomphez, Chrétiens, fut le dernier cri de Cécilius Capella, sur les ruines de Byzance). Tertullien, Ad Scapulam, 3.

[65] Spartien, Severus, 4.

[66] L’adoption eut lieu en 195 cette date est donnée par plusieurs monnaies, où Sévère est désigné comme fils de Marc-Aurèle ; Cohen, Monnaies impériales, t. III, p. 242, n° 76 ; p. 298, nos 506 et 508. Dion se trompe donc en plaçant ce fait en 199 (LXXV, 7).

[67] Dans une inscription d’Afrique en l’honneur de Julia Domna, femme de Sévère, celui-ci est dit DIVI M. ANTONINI PII GERM. SARM. FILI, DIVI COMMODI FRATRIS, DIVI ANTONINI PII NEPOTIS, DIVE HADRIANI PRONEP., DIVI TRAIANI PARTHIC. ARNEPOT., DIVI NERVAE ABNEPOTIS. Renier, Inscriptions de l’Algérie, 2374. Dans une autre inscription, contemporaine de Caracalla, une fille de Marc-Aurèle, Vibia Aurelia Sabina, est dite DIVI M. F., DIVI SEVERI SOR. Ibid., 2719. Cf. Borghesi, Œuvres, t. III, p. 233 et suiv. ; t. V, p. 433.

[68] Lampride, Commode, 13.

[69] Dion, LXXV, 7.

[70] De corona militis, 1.

[71] Le système (Nöldechen, Die Abfassungszeit der Schriften Tertullians, dans Texte und Untersuchungen, zur Geschichte der altchristlichen Litteratur, 1888, p. 104 ; Neumann, Der römische Staat und die altgemeine Kirche bis auf Diocletian, t. I, 1890, p. 182-183 ; J. Schmidt, dans Rheinisches Museum, 1890, p. 77 et suiv. ; P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, t. I, 1901, p. 206, 209, 274) qui reporte l’incident du soldat et la composition du traité De Corona au commencement du règne de Caracalla, durant la période de paix religieuse qui commença dans les dernières années de Septime Sévère pour cesser vers 212 sous le proconsulat de Scapula, ne me paraît pas établi. Je ne vois pas à la fin du règne de Sévère et au commencement de celui de Caracalla une période d’accalmie si marquée : au contraire, la bona et longa pax dont parle Tertullien dans le De Corona s’entend très bien du règne de Commode et des premières années de celui de Septime Sévère, c’est-à-dire de 180 à 197 ou 198. La date que j’ai admise est défendue par Bonwetsch, Die Schriften Tertullians, p. 71.

[72] Cf. Tacite, Hist., I, 16 ; Pline, Panég., 7.

[73] Dion, LXXVI, 15.

[74] Du temps de Septime Sévère, elle porte les noms de Legio III Augusta Pia Vindex. Renier, Inscriptions de l’Algérie, 98.

[75] Les inscriptions l’appellent Lambæsis ou Lambæse.

[76] Renier, Rapports ; Wilmanns, Die römische Lagerstadt Africa dans les Commentationes philologæ in honorem Th. Mommsenii, 1877, p. 190-212, traduit, annoté et augmenté d’un appendice par M. l’abbé Thédenat dans le Bulletin trimestriel des antiquités africaines, t, II, 1883 ; Boissier, l’Afrique romaine, 1895, p. 104-112 ; Layer, De Lambèse à Timgad, 1903, p. 3-12.

[77] Allusion à la parole du Sauveur à saint Pierre : Remets le glaive dans le fourreau. Saint Matthieu, XXVI, 52.

[78] Tertullien, De corona militis, 1.

[79] Les raisons que donne Tertullien pour établir que les chrétiens n’ont pas le droit de porter une couronne, De corona militis, 7 et suiv., sont absolument puériles. On y rencontre même des mots absurdes, par exemple celui-ci (13) : Dans les cérémonies des noces païennes, on couronne les époux ; c’est pour cela que nous n’épousons pas des païens, coronant et nuptiæ sponsos, ideo non nubamus ethnicis. Les motifs de l’Église pour improuver au troisième siècle les mariages mixtes avaient une valeur plus sérieuse. Les chrétiens associaient même volontiers à la joie des noces l’idée de couronnes ; sur des coupes de fabrique chrétienne le Christ est représenté couronnant deux époux : voir Carrucci, Vetri ornati di figure in oro trovati nei cimiteri dei cristiani primitivi di Roma, 1858, pl. XXIX, 1. Au quatrième siècle on couronnait les nouveaux époux : Sur leur tête on pose des couronnes, symbole de victoire, parce qu’ils viennent au lit nuptial sans avoir été vaincus par la volupté. Saint Jean Chrysostome, in I Tim. Homil. IX, 2. Voir, cependant, sur le caractère religieux des couronnes dans le paganisme grec et romain, le mémoire de M. Saglio, Académie des Inscriptions, 30 avril 1886.

[80] ... Solus constantior fratribus, qui se duobus dominis servire posse præsumpserant... inter tot fralres commilitones solus... De corona militis, 1.

[81] Tertullien, tirant de l’action du soldat des conséquences auxquelles celui-ci ne songeait probablement pas, va jusqu’à professer l’incompatibilité absolue entre le service militaire et le christianisme (ibid., 11, et De idololatria, 19), oubliant qu’ailleurs il en reconnaît implicitement la légitimité (voir Apologétique, 37, 42).

[82] Dion, LX, 24. Cf. Tacite, Ann., XIV, 27 ; Tertullien, De exhortatione castitatis, 12.

[83] Γυνxιξί συνοιxεϊν. Hérodien, III, 8, 5. Cf. Wilmanns, dans Corp. inscr. lat., t. VIII, p. 283, et dans Comm. phil. in hon. T. Mommsenii, p. 203-204 ; Mispoulet, le Mariage des soldats romains, dans la Revue de philologie, t. III, 1884, p. 123-126 ; Hermann Ferrero, Iscrizioni e ricerche nuove intorno all’ ordinamento delle armate dell’ impero romano, Turin, 1884, p. 22 ; Thédenat, dans le Bulletin critique, 1885, p. 189 ; Cagnat, l’Armée romaine d’Afrique et l’occupation militaire de l’Afrique sous les empereurs, 1893, livre II, chap. V ; Boissier, l’Afrique romaine, p. 105-109 ; Meyer, Die römische Konkubinat nach den Rechtsquellen und den Inschriften, Leipzig, 1895, § 23-36.

[84] Les fouilles exécutées dans le camp de Lambèse, et les inscriptions, ont permis de constater que, à l’époque de Septime Sévère, les parties du camp jusque-là occupées par les soldats ont été couvertes de constructions d’une utilité générale, lieux de réunion, thermes, temple. Wilmanns, dans Comm. phil. in hon. T. Momms., p. 197-201. Un grand nombre de villes ont dû leur origine à des camps ainsi transformés. Les gouvernements modernes comprennent eux-mêmes l’efficacité de ce moyen de colonisation. Afin d’encourager celle-ci dans l’Asie centrale, le ministre de la guerre (russe) a l’intention d’autoriser le mariage des soldats des garnisons transcaspiennes. Les femmes et les enfants des soldats seraient logés et transportés gratuitement. Dépêche de Moscou, citée dans le Monde, 14 août 1888.

[85] Tertullien va jusqu’à dire aux soldats chrétiens qui avaient accepté la couronne : Rougissez, en songeant aux rites du culte de Mithra, où l’initié au grade de soldat rejette la couronne qu’on lui présente à la pointe d’un glaive, en disant : Mithra seul est ma couronne. De corona, 15 ; cf. F. Cumont, Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mithra, t. I, 1899, p. 319. Ce détail, que l’on peut rapprocher des peintures d’un tombeau peut-être mithriaque (Cabier et Martin, Mélanges d’archéologie, t. IV, 1856, p. 33, 31, 35, 41, 44 ; voir cependant F. Cumont, ouvr. cité, t. II, 1896, p. 413), est curieux, et fait penser aux rites de la franc-maçonnerie ; mais combien l’argument qu’en tire Tertullien est faux, subtil et sans portée ! Cf. De præscriptionibus, 40.

[86] De corona militis, 1.

[87] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 456 et suiv.

[88] On n’a pas d’inscriptions relatives au proconsulat de Vespronius Candidus, dont la date n’est indiquée plus haut que par conjecture ; mais on sait qu’avant de devenir proconsul d’Afrique, il avait été légat de Numidie (Corp. inscr. lat., t. VIII, 2752, 8782) et, en 183-185, consularis de Dacie (Corpus, t. III, 1092). Sur Vespronius Candidus, voir Dion Cassius, LXIII, 16, et Spartien, Julianus, 5.

[89] Tertullien, Ad Scapulam, 4.

[90] Tertullien les réfute longuement dans ses livres aux Nations et dans l’Apologétique.

[91] Ad nationes, I, 7.

[92] Tertullien, Ad nationes, I, 9 ; Apologétique, 40.

[93] Voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 356.

[94] Tacite, Hist., V, 5 ; cf. Tertullien, Ad nationes, I. 14 ; Apologétique, 16.

[95] Cabinet de France. Figurine en terre cuite, de la collection de Luynes, rapportée de Syrie. Elle représente un homme à oreilles d’âne, à pieds de bête, enveloppé d’une toge, et portant un livre. Reproduite dans Duruy, Histoire des Romains, t. V, 1883, p. 795.

Image.

[96] Intaille publiée par Stefanoni, Gemmæ antiquæ, Venise, 1646, pl. XXX, représentant un âne debout, vêtu du pallium, le pied droit levé à l’instar du pédagogue qui fait une leçon, en présence de deux auditeurs. Kraus, Dos Spot-Crucifix (trad. Linas, 1870, p. 16), pense, comme Holstein (Ep. ad div., éd. Boissonnade, Paris, 1817, p. 173), que cette intaille reproduit une caricature du Dieu des chrétiens.

[97] Nova jam de Deo nostro fama suggessit. Adeo nuper quidam perditissimus in ista civitate, etiam suæ religionis desertor, solo detrimento cutis Judœus, utique magis post besliarum morsus, ad quas se locando quotidie toto corpore decutit, cum incedit, picturam in nos proposuit sub ista proscriptione : ΟΝΟΚΟΙΤΗC. Is erat auribus canteriorum, et in toga, cum libro, altero pede ungulato. Et credidit vulgus Judæo. Quod enim aliud genus seminarium est infamiæ nostræ ? Itaque in tota civitate όνοxοίτης prædicatur (Mais il court sur notre Dieu une rumeur nouvelle. Il y a peu de jours que, dans cette cité, un des hommes les plus pervers, déserteur de sa religion, et qui n’a de juif que la peau qu’il a perdue, après avoir subi la dent des bêtes féroces contre lesquelles il a loué son bras et tout son corps, a promené contre nous une image avec cette inscription : Onochoetès (race d’âne). Le monstre était vêtu de la toge, portant un livre à la main, armé de longues oreilles d’âne, avec un des deux pieds fourchu. La multitude de croire aussitôt sur la parole du juif. N’est-ce pas de cette engeance que partent toutes les infamies dirigées contre nous ? Dans toute la ville il n’est plus bruit que d’Onochoetès). Tertullien, Ad nationes, I, 14. - Sed nova jam Dei nostri in ista civitate proxime editio publicata est, ex quoquidam in frustrandis bestiis mercenarius noxius picturam proposuit cum ejus modi inscriptione : DEUS CHRISTIANORVM ΟΝΟΚΟΙΤΗC. Is erat auribus asininis, altero pede ungulatus, librum gestans, et togatus. Risimus et nomes et formam (Mais récemment on a publié dans cette ville une représentation nouvelle de notre Dieu : un scélérat, qui se loue pour exciter les bêtes fauves, a exposé en public un tableau avec cette inscription : Le dieu des chrétiens, race d'âne. Ce dieu avait des oreilles d'âne, un pied de corne, portait un livre à la main et était vêtu de la toge. Nous avons ri, et du nom et de la figure). Apologétique, 16. - Cf. Minucius Felix, Octavius, 28 : Audire te dicis caput asini rem robis esse divinam. - Une autre explication d’όνοxοίτης a été proposée par les plus récents éditeurs de Tertullien, Oehler (Leipzig, 1853) et Reifferscheid-Wissowa (Vienne, 1890). Ils donnent à xοίητης le sens de prêtre (xοίης, prêtre purificateur), et traduisent όνοxοίητης, par sacerdos disinarius, prêtre de l’âne. L’explication me paraît peu vraisemblable, car xοίης est un vocable très rare, se prêtant peu, par conséquent, à une plaisanterie populaire.

[98] Apulée semble avoir voulu faire une chrétienne de la femme qui joue un rôle dans le plus ignoble épisode de son livre. Elle était, dit-il, une ennemie de la foi, une ennemie de toute pudeur ; elle méprisait et foulait aux pieds nos divinités saintes ; en revanche, elle était initiée à une certaine religion sacrilège, elle croyait à un Dieu unique ; par ses dévotions hypocrites et vaines, elle trompait tous les hommes. Métamorphoses, IX, 14. Cf. P. Monceaux, Hist. litt. de l’Afrique chrétienne, t. I, p. 140.

[99] Comme le remarque M. de Rossi (Roma sotterranea, t. III, p.353-334), la raillerie contre les chrétiens était double. Les uns (cf. Octavius, l. c.) leur imputaient d’adorer une tête d’âne. D’autres leur attribuaient un dieu à face humaine, ayant les oreilles et les pieds d’un âne (Tertullien, l. c.). A cette dernière forme du blasphème paraît répondre la singulière gravure (Roma sotterranea, t. III, pl. XXVIII, 22) d’un marbre chrétien, appartenant précisément à la région du cimetière de Calliste creusée sous Septime Sévère pour mettre une de ses parties en communication avec un arénaire (voir plus haut). Elle représente une lampe allumée, dont l’anse est formée par une tête humaine à oreilles d’âne : M. de Rossi suppose que les chrétiens, rendant raillerie pour raillerie, ont voulu représenter sous cette l’orme Satan, l’inspirateur des calomnies païennes, figuré de même par une tète de monstre sur une lampe de bronze (Bull. di arch. crist., 1868, p. 77) et sur d’autres lampes d’Algérie (Collection Basilewski, 1874, nos 32, 36).

[100] Judicia proconsulis. Tertullien, Ad mart., 2. Il n’y a de proconsul qu’à Carthage.

[101] Tertullien, Ad martyres, I.

[102] Ibid.

[103] Ibid., 2. — Un peu plus loin se trouvent ces mots, dont on a quelquefois abusé : Si vous avez perdu quelques joies de la vie, c’est un bon négoce, celui qui sacrifie quelque chose pour gagner davantage, negociatio est aliquid amittere ut majora lucreris. — Voyez, ont dit certains critiques, la vertu des chrétiens est intéressée, ils traitent les choses de l’âme et du devoir comme un commerce, les souffrances de la vie comme un placement à gros intérêts ! — Raffinons moins, et soyons plus sincères. L’homme hésite à souffrir, s’il croit que ses souffrances seront perdues. Lui dire qu’elles lui seront comptées, payées généreusement dans une autre vie, n’est pas affaiblir en lui le sentiment du devoir : c’est lui en rendre l’accomplissement plus facile, lui apporter un secours proportionné à sa faiblesse, l’animer au combat par une espérance légitime. Il souffrira, s’il ne peut autrement remplir son devoir ; mais il souffrira plus courageusement en pensant aux éternelles récompenses que la religion lui promet.

[104] Tertullien, ad martyres, 3.

[105] Ibid.

[106] Dion, LXXV, 16.

[107] Ibid., 7.

[108] Ad martyres, 5.

[109] Ibid., 6.

[110] Ad nationes, I, 17.

[111] Cette comparaison a été indiquée par Mgr. Freppel dans une page de très fine critique littéraire. Tertullien, 1864, t. I, p. 98.

[112] Apologétique, 35.

[113] M. P. Monceaux me paraît resserrer trop les limites, en plaçant à la fin de 197, la composition de l’Apologeticum. (Hist. litt. de l’Afrique chrétienne, t. I, p. 208).

[114] Apologétique, 1.

[115] Ibid., 2.

[116] Ibid.

[117] Ibid., 7.

[118] Ibid., 11, 28, 29, 31, 32.

[119] Ibid., 4, 24, 28.

[120] Plane tertium genus dicimur. Ad nationes, I, 8.

[121] Christianus si denotatur, gloriatur ; si trahitur, non subsistit ; si interrogatur, non defendit ; interrogatus, confitetur ; damnatus, gloriatur (Vous décriez le Chrétien, il se glorifie ; vous l’entraînez, il ne résiste pas ; vous l’accusez, il ne se défend pas ; vous l’interrogez, il avoue hautement ; vous le condamnez, il triomphe). Ad nat., I, 1 ; cf. Apologétique, 1.

[122] Perducimur ad potestates, et interrogamur, et torquemur, et trucidamur. Apologétique, 11.

[123] Inter testamenta christianorum botulos etiam cruore distentos admovetis... Ibid., 9.

[124] In insolas relegamur. Ibid., 12.

[125] Cervices ponimus. Ibid.

[126] Ungulis deraditis latera christianorum. Ibid.

[127] Crucibus et stipitibus imponitis christianos. Ibid.

[128] Ad bestias impellimur. Ibid.

[129] Ignibus urimur. Ibid., 12. Licet nunc Sarmenlitios et Semaxios appelletis, quia ad stipitem dimidii axis revincti sarmentorum ambitu exurimur. Ibid., 50. — Tertullien a rassemblé dans une seule phrase les divers supplices appliqués aux chrétiens ; faisant allusion à leur coutume de prier les bras en croix, il dit éloquemment : Sic itaque nos ad Deum expansos ungulæ fodiant, cruces suspendant, ignes lambant, gladii guttura detruncent, bestiæ insiliant ; paratus est ad omne supplicium ipse habitus orantis christiani. Ibid., 31.

[130] Quotidie obsidemur, quotidie prodimur, in ipsis plurimum cœtibus et congregationibus nostris opprimimur. Ibid., 8.

[131] Nos inimicum vulgus invadit lapidibus et incendiis. Ibid., 37.

[132] Ipsis Baccbanalium furiis nec mortuis parcunt christianis, quin illos de requie sepulturie, de asylo quodam mortis, jaco alios jam nec totos, avellant, dissecent, distrabant. Ibid., 37.

[133] Voir les exemples que j’ai cités dans l’Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 3e éd., p. 235, et dans la Revue des questions historiques, avril 1885, p. 393, 394. — Cf. Edmond Le Blant, Les voies d’exceptions employées contre les martyrs, 1885, reproduit dans les Persécuteurs et les Martyrs, 1893, p. 201, et J. Rambaud, le Droit criminel romain dans les Actes des martyrs, 1885. p. 77.

[134] Tertullien, Apologétique, 50, — Cf. De Pudicitia, I, 1 : Principalem christiani nominis disciplinam, quam ipsum poque sæculum usque adeo testatur, ut, si quando, eam in feminis nostris inquinamentis potius carnis quam tormentis punire contendat, id volens cripere quod vitæ anteponunt.

[135] Marcien, au Digeste, XLVIII, XIX, 11, § 3. - Cf. Revue des questions historiques, avril 1885, p. 367, 368, 387.

[136] Tillemont, Mémoires, t. III, art. III sur Clément d’Alexandrie. C’est également l’opinion de Dodwell, qui place la composition des Stromates avant 202 : Diss. III in Irenæum, § XXVII, p. 276, et Diss. de Roman. Pontif. primæva successione, c. XV, § IV, p. 209. Voir Mosheim, De ælate Apologetici Tertulliani initioque persecutionis Severi, § IV, dans Migne, Patrol. lat., l. I, col. 515.

[137] Clément d’Alexandrie, Stromates, II, 125.

[138] Medius ardor, ipsa canicula persecutionis. Tertullien, Scorpiace, I.