LES ESCLAVES CHRÉTIENS

LIVRE III. — LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE.

CHAPITRE II. — LES ALUMNI CHRÉTIENS.

 

 

I

Parmi les esclaves, il n'y en avait pas de plus malheureux que ces enfants trouvés, le plus souvent de naissance libre, quelquefois d'origine illustre, que le droit romain et les inscriptions désignent sous le nom d'alumni. L'égoïsme et la corruption des mœurs avaient, sous l'empire, profondément avili le mariage : un grand nombre de Romains mariés craignaient d'avoir des enfants. Vainement les législateurs, effrayés du nombre des célibataires et de celui des mariages stériles, s'étaient efforcés d'enrayer le mal : dès le temps d'Auguste, Properce tournait en dérision la loi Papia Poppæa[1]. Les âmes, fermées aux sentiments désintéressés, n'étaient plus capables de prononcer la belle prière d'Hersilie, femme de Romulus, demandant aux dieux de donner aux Romains des enfants pour eux, pour leur postérité et pour la patrie[2] ; l'orgueil aristocratique lui-même avait perdu sa force, et beaucoup de patriciens, à cette parole placée par Plaute dans la bouche de Pleusippe : C'est un grand honneur, quand on est noble et riche, de mettre au monde des hommes libres, et d'élever ainsi un monument, à sa race et à soi-même, répondaient avec Periplectomènes : Par Hercule, être libre est bien plus doux[3] ; enfin, les sentiments purs n'avaient plus d'attrait pour des cœurs usés par les plaisirs, et le plus grand nombre était devenu incapable de comprendre cet idéal proposé par Ulpien, un mariage où règne la concorde et qui s'appuie sur les enfants[4]. Dans les hautes classes surtout, peu de Romains auraient mérité l'éloge que Pline fait d'un homme rare, Asinius Rufus : Il a plusieurs enfants, car il a compté entre les obligations d'un bon citoyen celle de donner des sujets à l'État : et cela, ajoute Pline, en un siècle où les soins que l'on rend à ceux qui n'ont point d'enfants dégoûtent même d'un fils unique. Ces honteuses amorces l'ont si peu tenté, qu'il n'a pas craint d'être aïeul[5].

Quand de tels sentiments règnent dans une société, et que nul frein religieux ne les contient, le nombre des crimes cachés est incalculable. A Rome, sous l'empire, l'avortement, l'infanticide, l'exposition des enfants, étaient passés dans les mœurs : les lois les punissaient[6], mais la coutume les absolvait : qui eût osé poursuivre les pères de famille coupables de tels crimes, à une époque où l'opinion publique en accusait les magistrats les plus austères[7] ? Le plus fréquent de ces attentats domestiques, celui qu'autorisaient les sophismes d'une pitié hypocrite[8], était l'exposition des enfants. La nuit, des parents impies ou des serviteurs complices se glissaient dans les rues et les places publiques : le matin, on y retrouvait de malheureux petits êtres qu'ils avaient abandonnés. Quand le froid ou la faim ne les avaient pas tués, quand ils avaient été épargnés par les chiens et les oiseaux[9], ces enfants devenaient la propriété de celui qui les recueillait. Ce dernier acquérait sur eux les droits du maître : bien que désignés par le nom particulier d'alumni, et bien que lui-même reçoive ordinairement celui de nutritor, c'étaient de véritables esclaves, et leur sort ne différait en rien de celui d'enfants nés de ses propres serviteurs ou achetés par lui au marché. Il pouvait les vendre ou les abandonner à son tour : ils ne devenaient libres que s'il les affranchissait. Le père, en exposant ses enfants, c'est-à-dire en les destinant à la mort, expositos quodammodo ad mortem[10], avait perdu tout droit sur eux : un seul lui avait été conservé par la loi, celui de les racheter plus tard, en remboursant aux maîtres qui les avaient élevés, à ces pères de rencontre, obvios patres, ce qui avait été dépensé pour leur nourriture[11]. Hors ce cas, qui dut être assez peu fréquent, les enfants exposés, dit Sénèque, cessaient d'être des personnes, pour devenir des esclaves : ainsi l'a voulu le législateur, expositi in nullo numero sunt, servi fiunt : hoc legumlatori visum est[12].

Le sort de ces infortunés dépendait donc entièrement de celui qui les avait recueillis. Quelquefois il s'attachait à eux, les élevait bien, les traitait comme ses enfants. Plusieurs inscriptions témoignent de la tendresse du nutritor pour l'alumnus, ou de la reconnaissance de l'alumnus pour le nutritor. Quelquefois ce dernier n'oubliait pas dans son testament l'enfant qu'il avait élevé : un testateur ordonne de lui acheter un grade dans l'administration ou dans l'armée, militiam comparari[13] : un autre charge un fidéicommissaire de lui payer une rente jusqu'à sa vingtième année[14]. Mais, le plus souvent, les mains qui recueillaient l'enfant exposé n'étaient ni aussi bienveillantes ni aussi désintéressées. Des marchands d'esclaves, des entrepreneurs de prostitution, parcouraient les rues des villes, et y prélevaient les plus beaux, les plus robustes, les mieux constitués des abandonnés des deux sexes. Presque tous ceux qui ont été ainsi exposés, dit saint Justin, non-seulement les filles, mais même les garçons, sont élevés pour la débauche[15]. Le père, ajoute Lactance, même s'il assure par ce moyen la nourriture à son enfant, livre certainement son propre sang ou à la servitude ou au lupanar[16]. Les Pères de l'Église ont dénoncé en termes effrayants les terribles conséquences d'un tel abandon. Celui, dit saint Justin, qui, plus tard, a des rapports impies et déshonnêtes avec ces infortunés, a peut-être été conduit par le hasard vers un fils, un frère ou un parent[17]. Les malheureux, s'écrie Clément d'Alexandrie, ne comprennent pas quelles tragédies inconnues se cachent souvent sous leurs débauches. Ils ont oublié les enfants exposés par eux : ils ne savent pas que ce prostitué, que cette courtisane, c'est leur fils, c'est leur fille... Ils croient qu'ils ne commettent pas d'adultère, et c'est la nature même qu'ils outragent : la justice les suit, vengeresse de leurs crimes[18]. Quand vous exposez vos enfants, dit Tertullien, espérant que la pitié d'autrui les recueillera, et qu'ils trouveront des parents meilleurs que vous, oubliez-vous les risques d'inceste, les hasards affreux que vous leur faites courir ? Et il raconte l'histoire d'un préfet de Rome, Fuscianus (peut-être le préfet de ce nom qui vivait au IIe siècle et fut contemporain de Marc-Aurèle). Fuscianus avait acheté à un marchand d'esclaves un jeune garçon, et l'avait fait servir à d'infâmes plaisirs. Relégué plus tard à la campagne, l'enfant est reconnu : c'était le propre fils de Fuscianus. Le père et la mère, désespérés, se donnent la mort, laissant par testament tous leurs biens à ce malheureux, non comme héritage, dit Tertullien avec sa terrible ironie, mais comme salaire de la prostitution et de l'inceste[19]. Minutius Félix s'exprime de même : Vous exposez souvent à la pitié d'autrui les enfants nés dans vos maisons ; il vous arrive ensuite d'être poussés vers eux par une passion aveugle, de pécher sans le savoir envers vos fils ; ainsi vous préparez, sans en avoir conscience, les péripéties d'une tragédie incestueuse[20]. A de pareils faits s'applique encore ce mot de Lactance : Ce qui peut arriver, ce qui arrive fréquemment, pour les enfants de l'un et de l'autre sexe, par erreur, qui ne le comprend ? qui l'ignore ? L'exemple d'Œdipe et son double crime le disent assez[21].

L'effroyable démoralisation de Rome païenne multipliait ces hasards horribles. Heureux les enfants exposés qui reconnaissaient leurs parents dans des circonstances moins tragiques ! Le jurisconsulte Scævola raconte à ce sujet un petit drame où tout finit bien, et qui eût pu fournir un dénouement juridique à une comédie de Plaute. Un mari répudie sa femme enceinte et contracte un autre mariage. L'épouse divorcée met au monde un fils : elle l'expose, il est recueilli et élevé par un tiers. Le père meurt : l'enfant exposé n'a été ni institué ni exhérédé par son testament. Il est reconnu par sa mère et son aïeule maternelle. Sa présence annule le testament, et il prend la succession du père comme héritier ab intestat[22]. Le jurisconsulte rapporte ce fait sans étonnement, comme une chose de tous les jours, uniquement occupé à en faire ressortir les conséquences légales.

Les monuments et les inscriptions nous permettent de nous rendre compte de ce qu'était, chez beaucoup de maîtres, la condition de l'alumnus. Comme une bienfaisance intéressée choisissait, pour les recueillir, les plus beaux et les plus forts des enfants exposés, ils étaient souvent destinés à la vie ignominieuse des esclaves de plaisir, ou à la vie misérable des gladiateurs. Un prêtre de Mithra se vante, dans une inscription, d'avoir fait vivre ses alumni au milieu des baisers, des jeux et des voluptés, qui basia, voluptatem, jocum alumnis suis dedit[23]. A Rome, au musée de Latran, on conserve une mosaïque célèbre, trouvée dans les thermes de Caracalla. Elle formait le pavage d'une vaste salle. On y voit dessinés, alternativement, la figure entière d'un athlète, pugil, presque de grandeur naturelle, et le portrait en buste d'un lutteur célèbre. Rien de plus curieux et de plus répugnant que ces images. Figures bestiales, corps gros, robustes, développés en muscles, en chairs, saginati[24] : ce sont des animaux autant que des hommes. On reconnaît ces combattants dont parle Tatien, alourdis par le travail d'exercer leur corps, et étalant le poids de leurs chairs[25]. Au-dessous de l'un d'eux on lit : IOVINVS ALVMNVS. Voilà donc ce que devenaient les enfants recueillis par la pitié païenne : les instruments d'un plaisir cruel, des esclaves, et quels esclaves ! On conserve dans une des galeries de la villa Borghèse d'autres mosaïques, trouvées dans une maison de la voie Labicane, qui représentent également des gladiateurs. Moins parfaites que celles du Latran, d'un travail plus grossier, elles sont bien éloquentes dans leur naïveté barbare. Elles nous font voir en action des combats d'hommes et de bêtes. L'un lutte contre un lion, l'autre contre un aurochs, celui-ci contre un buffle ou un taureau, celui-là contre une autruche. Ici l'animal a roulé à terre, percé d'un épieu : là des hommes sont couchés en tas les uns sur les autres, et une bête féroce les déchire. Plus loin sont des combats de gladiateurs. L'un enfonce un poignard dans la poitrine de son adversaire : un autre perce le dos de son ennemi fugitif : un troisième donne le coup de grâce à un lutteur terrassé. Au milieu de ces combattants est un malheureux couché sur le dos, un poignard dans la poitrine. La barbarie du dessin, où il n'y a ni perspective ni correction, ajoute encore à la barbarie du sujet. Au-dessus de quelques-uns des gladiateurs ainsi représentés est écrit leur nom. Sur la tête de l'un d'eux on lit : VICTOR ALVMNVS. Ces mosaïques proviennent d'une demeure privée : elles représentent sans doute les gladiateurs domestiques du riche Romain qui l'habitait. Ce Victor, cet alumnus, avait été recueilli pour être instruit dans l'ars gladiatoria, et mourir avec grâce sous les yeux de son père nourricier.

 

II

Le christianisme combattit cette horrible forme de l'esclavage. L'indignation éclate dans le langage des Pères de l'Église, quand ils parlent du sort misérable des enfants abandonnés. Ils s'efforcent de détruire la criminelle coutume contre laquelle la morale païenne avait à peine un mot de blâme. Pour y parvenir, le christianisme s'appliqua d'abord à tarir le mal dans sa source, en restaurant la pureté du mariage, en rendant leur force aux liens de famille : il s'efforça ensuite d'adoucir, par la charité, les plaies qu'il n'avait pu guérir, et, tant que dura la coutume païenne de l'exposition des enfants, il en atténua les conséquences en substituant, autant qu'il fut en son pouvoir, aux mauvais traitements que la luxure ou la cupidité réservaient aux alumni, des adoptions inspirées par. la fraternité chrétienne. Pendant les premiers siècles, les rues des villes de l'empire furent sans cesse parcourues par des hommes et des femmes animés de l'esprit qui devait, parmi nous, susciter saint Vincent de Paul.

Nulle religion n'a, plus que le christianisme, honoré la virginité et encouragé le mariage. Dans l'une et dans l'autre, il a reconnu et salué l'étincelle divine du dévouement et du sacrifice. Ennemi naturel de l'égoïsme, puisque lui-même a pour fondement l'immolation sanglante d'un Dieu, le christianisme a proposé à l'humanité ce double idéal : le renoncement absolu à toutes les joies de la chair et aux plus douces tendresses du cœur, le sacrifice continuel de soi-même par le dévouement sans réserve et sans limite à des êtres chéris. Il n'a pas plus compris le célibat égoïste que le mariage sans amour conjugal et sans paternelle tendresse : à ces réalités païennes il a opposé le sacrifice chrétien, et il en a allumé la flamme tout à la fois dans le sanctuaire de la virginité et dans l'intimité du foyer domestique.

L'idée chrétienne du mariage, telle qu'elle ressort des écrits des Pères de l'Église et de la pratique des premiers siècles, forme le contraste le plus absolu avec le sentiment d'abject égoïsme qui engendrait, dans le inonde romain, ces deux plaies sociales, le célibat débauché et le mariage volontairement stérile, et qui portait tant de parents dénaturés à considérer la fécondité de leur union comme un malheur, et l'enfant comme un fardeau dont il était permis de se délivrer par tous les moyens, même par le crime. Les écrivains chrétiens condamnent dans les termes les plus énergiques ces fruits monstrueux de l'égoïsme. Clément d'Alexandrie déclare que ceux qui ont adopté le célibat par amour de la débauche ne peuvent être les amis de Dieu[26]. Il confond dans la même réprobation les époux qui n'ont pas demandé au mariage la fécondité : Si, après s'être mariés, on ne veut pas avoir d'enfants, on prépare, autant qu'il est en soi, la décadence de la population, la ruine des cités, la ruine même du monde. Ceux qui agissent ainsi commettent une impiété et contreviennent à l'ordre divin. C'est le trait d'un cœur faible et lâche de ne pas vouloir unir sa vie à une femme et à des enfants[27]. Les Pères de l'Église protestent surtout contre les attentats innombrables dont était victime la faiblesse sacrée de l'enfant. Vous ne détruirez pas le fruit de la conception et vous ne mettrez pas à mort le nouveau-né, dit l'auteur de l'épître attribuée à saint Barnabé[28]. Les chrétiens, dit un écrivain du Ier siècle, épousent des femmes comme les autres hommes et procréent des enfants ; mais ils ne rejettent pas le fruit de la génération[29]. Comme tous, dit Origène, ne comprennent pas ce qui est la perfection absolue, c'est-à-dire la virginité, Dieu nous a permis de nous marier et d'avoir des enfants, mais il nous défend d'ôter la vie aux enfants que sa Providence nous a donnés[30]. Vous ne détruirez pas votre enfant par l'avortement, disent les Constitutions apostoliques, et vous n'immolerez pas le nouveau-né : car tout être formé dans le sein de la mère a reçu de Dieu une âme, et sera vengé si on le fait périr injustement[31]. Comment tuerions-nous un homme, s'écrie Athénagore, nous qui considérons comme homicides et devant rendre compte à Dieu de leurs crimes les femmes qui se servent de médicaments pour se faire avorter ?[32] Tertullien, reprochant aux païens les attentats commis par eux contre leurs enfants, ajoute : Nous, à qui l'homicide a été interdit, nous considérons comme un crime de détruire l'être conçu dans le sein de la mère. C'est donner la mort, qu'empêcher de naître : il est aussi coupable, celui qui tue l'enfant avant ou après sa naissance[33]. Saint Cyprien et Minutius Félix appellent l'avortement volontaire un parricide[34]. On s'étonnera que les Pères de l'Église se soient crus obligés de revenir si souvent sur un tel sujet : mais l'avortement et l'infanticide étaient tellement entrés dans les mœurs, tant de sophismes avaient été inventés pour en voiler l'horreur, qu'il leur était nécessaire d'élever sans cesse la voix, pour mettre les fidèles en garde contre la contagion de l'exemple, et proclamer hautement l'innocence des mœurs chrétiennes, calomniées par des hommes qui avaient perdu jusqu'au sentiment de leurs propres crimes. L'exposition des enfants était considérée par les disciples de l'Évangile comme aussi criminelle que l'infanticide ou l'avortement. Nous, dit saint Justin, bien loin de faire du mal à personne ou de commettre quelque action impie, nous avons appris qu'exposer même les enfants nouveau-nés est le fait d'hommes pervers[35]. J'ai déjà cité les terribles paroles adressées aux pères coupables de ce crime par Clément d'Alexandrie, Tertullien, Minutius Félix et Lactance. Exposer son enfant ou le tuer, dit ce dernier, est un forfait semblable[36].

A ces ignominies sanglantes il n'y avait qu'un remède : faire apparaître dans sa pure beauté l'idée du mariage. L'Église y travailla longtemps, ou plutôt elle y travaille toujours. A la base du mariage chrétien elle plaça le sacrifice, elle appela le sacrifice à présider à sa durée, et même, dans la ferveur des premiers siècles, elle convia une petite élite de cœurs héroïques à couronner ses joies par un rare et parfait sacrifice. La pureté avant le mariage, le désintéressement au moment du mariage, l'amour et le dévouement pendant le mariage, quelquefois, pour des époux qui se sentaient appelés à une vertu plus haute, la continence au sein même du mariage, tel fut l'idéal proposé par elle aux mœurs chrétiennes, opposé par elle aux mœurs païennes. Donnons promptement, dit saint Jean Chrysostome, des épouses à nos fils, afin qu'ils apportent à leurs fiancées des corps purs et vierges : ce sont là les amours les plus ardentes[37]. Rien, ajoute-t-il, n'orne l'adolescence comme la couronne de la pureté ; rien n'est plus beau que de pouvoir arriver pur au mariage. La femme qu'il épouse est charmante pour celui qui n'a point péché. Un amour plus ardent, une bienveillance plus sincère, une amitié plus forte, telle est la récompense du jeune homme qui s'est ainsi préparé à ses noces[38]. Aussi n'a-t-il pas assez de blâmes pour les parents intéressés qui refusent de marier leur fils avant qu'il ait réalisé de grandes économies[39], fait sa carrière et sa fortune[40]. Vous n'avez nul souci de l'âme ! s'écrie-t-il[41]. Grande parole, bien digne d'être entendue des chrétiens de tous les siècles ! On ne peut faire de l'amour conjugal sanctifié par la grâce divine un plus délicieux tableau que celui tracé par Clément d'Alexandrie : L'époux, dit-il, est la couronne de l'épouse, le mariage est la couronne du mari, et les enfants de l'un et de l'autre sont les fleurs du mariage que le divin agriculteur a cueillies dans les jardins de la chair[42]. Et il ajoute, citant le livre des Proverbes : Les vieillards ont pour couronne les enfants de leurs enfants, et les pères sont la gloire de leurs fils[43]. Avec quelle fraîche poésie l'enfant est introduit dans ce foyer chrétien, dont il doit être l'ornement ! Il y devient un gage de la bénédiction céleste, un signe de la présence même de Dieu. Clément d'Alexandrie le dit encore avec une grâce exquise. Il cite la parole de Jésus-Christ : Là où deux ou trois seront assemblés en mon nom, je serai au milieu d'eux[44], et il ajoute : Quels sont ces deux ou trois qui, rassemblés au nom du Seigneur, ont le Seigneur au milieu d'eux ? Jésus-Christ n'entend-il pas par trois le père, la mère et l'enfant ?[45] Saint Cyprien ne veut pas que les parents chrétiens s'effrayent du nombre de. leurs enfants ; il n'y voit qu'un motif pour eux de redoubler de prières et de bonnes œuvres. Tu as, dit-il, dans ta maison beaucoup d'enfants. Tu dois être d'autant plus généreux. Ce sont plus d'êtres pour lesquels tu dois prier Dieu, dont les péchés ont besoin d'être expiés, les consciences d'être purifiées, les âmes d'être délivrées. Dans ce monde, plus on a d'enfants, plus la dépense est grande ; dans la vie surnaturelle, plus on a d'enfants, plus dans leur intérêt on doit faire de bonnes œuvres[46]. C'est ainsi que les soucis légitimes du père de famille sont éclairés et comme transformés par un rayon divin. Que l'on compare ces paroles à l'odieux calcul de tant. de parents païens ! Ceux-ci diminuent par le crime le nombre de leurs enfants : le chrétien obtient par la prière et la vertu les grâces dont les siens ont besoin. Le tableau n'est pas achevé : un dernier trait y manque encore. A la coupable stérilité de beaucoup de mariages païens, l'Église opposa la continence exceptionnellement gardée par des époux chrétiens, comme aux débordements du célibat égoïste elle avait opposé les saintes immolations de la virginité. Les vies des saints[47], les écrits des Pères[48], les inscriptions elles-mêmes[49], font fréquemment allusion à ce sacrifice consenti d'un commun accord par un mari et une femme. Quelquefois, comme dans la ravissante histoire de Cécile et de Valérien, c'est sur le seuil même du mariage que les promesses en sont échangées ; plus souvent c'est après s'être donné l'un à l'autre des enfants, que les époux se tournent vers une vie plus parfaite. Après avoir donné plusieurs enfants à son mari, dit Clément d'Alexandrie, sa femme devient sa sœur, et vit avec lui comme si elle était née du même père, ne se souvenant qu'il est son époux que quand elle regarde ses fils, aussi parfaitement sa sœur qu'elle le sera un jour lorsque sera tombé ce voile de chair qui divise et cache les âmes[50].

Ce sublime idéal, accessible à un petit nombre, mais dont la purifiante influence se répandait sur tous, élevait le mariage chrétien à de telles hauteurs que le soupçon même des cruautés et des immoralités fréquentes dans les familles païennes ne pouvait l'atteindre. Aussi les Pères des trois premiers siècles, si ardents, cependant, à censurer les mœurs des fidèles, ne reprochent-ils jamais à ceux-ci les attentats domestiques dont, autour d'eux, tant de parents dénaturés se rendaient coupables. Ils les en savent innocents, et, dans leurs Apologies, ils le disent à la face du monde entier. A mesure que le nombre des chrétiens augmente, celui des enfants voués à la mort, ou à un esclavage pire que la mort., diminue. Les mariages redeviennent féconds, les familles nombreuses. La plus horrible des plaies du monde antique se guérit peu à peu. A certaines époques de misère publique elle semble, il est vrai, se rouvrir : mais l'Église veille et se montre toujours prête à combattre le mal. Si, au IVe et au Ve siècle, il subsiste encore, ce n'est plus qu'à l'état d'exception. La douceur chrétienne a vraiment vaincu. Ceux qui autrefois, dit saint Jean Chrysostome, immolaient leurs enfants comme s'ils ne les connaissaient pas, maintenant sont devenus les plus miséricordieux et les plus compatissants de tous[51].

L'Église ne put atteindre ce but qu'en changeant les cœurs, en guérissant les âmes, en transformant les mœurs. Un tel travail devait durer plusieurs siècles. En attendre patiemment le résultat ne pouvait suffire à son ardente charité. Patiente comme Dieu, l'Église est aussi, comme lui, toujours en acte. Elle prépare de loin des effets qui doivent renouveler la face du monde : elle court en même temps au plus pressé. Pendant qu'elle restaurait le mariage et la famille, et, par la bienfaisante contagion de ses idées, amenait peu à peu les païens eux-mêmes à considérer l'exposition des enfants comme un crime et presque une impossibilité morale, elle envoyait des légions d'apôtres de la charité au secours des malheureux abandonnés. L'Œuvre de la Sainte-Enfance date en réalité des premiers siècles de l'Église. De tout temps l'adoption des orphelins fut recommandée aux fidèles. Quand un enfant chrétien, garçon ou fille, reste orphelin, disent les Constitutions apostoliques, c'est une bonne œuvre si un frère, privé d'enfants, l'adopte et le traite comme son enfant... Et si un riche repousse l'orphelin qui est membre de l'Église, le Père des orphelins veillera sur ce délaissé, et il enverra au riche la punition de son avarice, car il est écrit : Ce que n'ont pas mangé les saints, les Assyriens le dévoreront[52]. Si l'adoption des orphelins baptisés était recommandée en termes si pressants, à plus forte raison les chrétiens durent se sentir poussés à recueillir les enfants exposés par la barbarie païenne : il s'agissait, en effet, d'arracher ces derniers non-seulement à la misère et aux privations, mais aux chiens, aux oiseaux de proie, à quelque chose de pire encore, à ces êtres immondes qui s'emparaient d'eux pour les dresser avec un art infernal à d'infâmes emplois et trafiquer plus tard de leur force ou de leur beauté. Un de ces abandonnés recueilli par la pitié des fidèles, c'était une âme conquise à la vraie foi, et peut-être un gladiateur, un eunuque ou une courtisane de. moins. Tertullien nous montre les chrétiens exerçant avec ardeur cette charité ambulante, prætereunte misericordia. Que de fois le pallium du prêtre, le voile de la diaconesse, la tunique d'un humble fidèle, dut rapporter dans ses plis un pauvre être arraché à la dent d'une bête cruelle, peut-être l'héritier inconnu de quelque grande famille romaine recueilli dans les ténèbres à la porte d'un palais ! Semblable aux Prières qu'Homère représente suivant pas à pas l'Injustice, la charité chrétienne réparait, autant qu'il était en son pouvoir, les cruautés de l'égoïsme païen. Elle transformait souvent en un bienfait pour l'enfant abandonné, en une heureuse fortune temporelle et spirituelle, le traitement barbare dont il avait été victime. Un grand nombre de chrétiens, pendant les premiers siècles, étaient des enfants trouvés élevés par charité dans le sein de l'Église. Sur les marbres des catacombes, où la désignation de la condition servile du défunt ne se lit presque jamais, on rencontre souvent le mot alumnus[53] : dans la pensée chrétienne, ce mot perdait sans doute le sens d'esclave pour ne rappeler que l'idée d'adoption charitable. Un grand nombre de chrétiens des premiers siècles portent le nom de Projectus, Projecta, Projectitius, qui veut dire Rejeté, Abandonné : pour la plupart, c'était un souvenir, humblement conservé, de leur origine. On peut dire que, à cette époque, le plus grand nombre des enfants exposés était recueilli par la charité des fidèles, et par conséquent devenait chrétien. Nous dépensons plus en aumônes dans les rues, disait Tertullien aux païens, que vous en offrandes dans les temples[54] : parmi ces aumônes faites dans les rues figurait, au premier rang, la plus précieuse de toutes, l'adoption des enfants abandonnés.

La législation des empereurs chrétiens vint en aide aux efforts de l'Église. Constantin essaya, à deux reprises différentes, de retirer l'excuse de la misère aux parents capables d'attenter à la vie ou à la liberté de leurs enfants. Par une loi de 315, qui dut être affichée dans toutes les villes d'Italie, il déclara que les parents pauvres auraient le droit de se présenter devant les magistrats pour réclamer d'eux des aliments, qui leur seraient fournis soit sur le fisc, soit même sur son domaine privé[55]. Il étendit en 322 une disposition semblable à la province d'Afrique[56]. Enfin, neuf ans plus tard, il fit disparaître une dernière excuse dont se flattait la lâcheté de certains parents. Jusque-là les pères et les maîtres qui avaient exposé les enfants nés dans leurs maisons conservaient, en vertu du droit romain, la faculté de les revendiquer un jour entre les mains de celui qui les avait recueillis et élevés, à la seule condition de rembourser les frais d'entretien avancés par lui, solutis alimentis. Constantin leur enleva ce droit : il voulut, par ce moyen, détourner d'abandonner leurs enfants ceux qui ne le faisaient que pressés par la misère et en conservant au fond du cœur un secret espoir de les retrouver. Cette loi, qui est de 331, contient une autre disposition importante : elle accorde au nutritor la faculté de créer lui-même l'état de l'enfant qu'il a recueilli : il lui suffit pour cela de déclarer s'il le conserve comme esclave ou l'adopte comme fils, sub eodem statu quem apud se recollectum voluerit agitari, hoc est, sive filium, sive servunt[57].

Deux conciles du Ve siècle, l'un tenu à Vaisons en 442, l'autre à Arles en 452, indiquent comment le nutritor devait s'y prendre pour acquérir sur l'alumnus des droits irrévocables. Ils rassurent en même temps le chrétien qui, craignant d'être mal jugé ou calomnié, aurait hésité à recueillir un enfant abandonné : l'âme vraiment charitable, disent les Pères de Vaisons, est au-dessus des jugements humains. Ils frappent d'excommunication le calomniateur, et l'assimilent à l'homicide[58]. Il est difficile de savoir quelles étaient les calomnies dirigées à cette époque contre les chrétiens qui, suivant l'antique coutume de l'Église, recueillaient les enfants exposés : peut être des parents, pris de repentir et de honte, et voulant réclamer leurs enfants sans avoir à confesser leur crime, accusaient-ils de les avoir détournés dans un but coupable ceux qui, au contraire, les avaient sauvés. Pour rassurer ces derniers, les conciles fixèrent un délai après lequel nul ne pouvait contester au nutritor le droit de conserver l'enfant recueilli, et des formes qui, en revêtant de la sanction de l'Église son acte charitable, devaient faire tomber toute interprétation malveillante. Si vous avez recueilli un enfant, dit le concile de Vaisons, faites-le savoir à l'Église, et prenez-la pour témoin. Le dimanche, le prêtre proclamera, de l'autel, qu'un enfant a été recueilli par vous. Dix jours, à partir de celui où il aura été exposé, seront accordés pour le réclamer. S'il l'est, cette miséricorde que vous aurez exercée sur lui pendant dix jours vous sera payée par l'homme en ce monde, ou par le Seigneur dans le ciel. Après ce délai, quiconque le revendiquera ou portera une accusation contre vous sera frappé, comme homicide, par la juridiction ecclésiastique[59]. Le concile d'Arles reproduit, en termes plus brefs, la même disposition[60]. Ces canons sont remarquables : les conciles semblent prévoir que l'exposant, saisi de pitié et de remords, sera tenté, avant l'expiration de dix jours, de réclamer l'enfant abandonné par lui : ils laissent à celui-ci le temps d'écouter sa conscience et de se repentir : à l'expiration de ce délai, ils le réputent criminel endurci, et le déclarent déchu de ses droits. Dans ces dispositions, je vois un indice des progrès accomplis : les cœurs sont devenus plus tendres, même les pères capables d'exposer leurs enfants ne le font plus qu'avec hésitation, et quelquefois s'en repentent aussitôt. Il semble même que, dès le commencement du Ve siècle, l'exposition d'un enfant par son père était devenue fort rare. Honorius, en 412, déclare que l'exposant n'aura plus le droit de revendiquer l'enfant abandonné si le nutritor a fait constater par l'évêque son acte de miséricorde (c'est la disposition réglementée avec plus de détails par nos conciles). Dans cette loi, Honorius parle seulement des maîtres ou patrons, dominis vel patronis, qui ont exposé l'enfant esclave ou affranchi[61] : il ne parle pas des pères.

Justinien, au commencement du vie siècle, a fixé définitivement l'état légal de l'alumnus : il le fait, comme toujours, dans le sens le plus favorable à la liberté. Par une loi de 529, il déclare les enfants exposés, quelle que soit leur origine, libres et ingénus : celui qui les a recueillis ne peut prétendre sur eux aucun droit dominical : il n'en peut faire ni des esclaves, ni des adscraptitii, ni des coloni : et la raison qu'en donne Justinien est tout à fait digne de l'esprit chrétien qui a inspiré tant de parties de sa législation : Ceux, dit-il, qui, dans un sentiment de pitié, ont recueilli ces enfants, ne doivent pas changer ensuite d'intention : il ne faut pas qu'en exerçant la charité ils paraissent chercher en même temps un. avantage temporel[62].

L'état misérable où se trouvaient réduites certaines provinces de l'empire au IVe et au Ve siècle, par la dépopulation des campagnes, l'aggravation et la mauvaise assiette de l'impôt, les invasions des barbares, entrava souvent les efforts tentés par l'Église et le législateur en faveur des enfants. Déjà Lactance, au commencement du IVe siècle, avait à réfuter les sophismes de pères qui se plaignaient de ne pouvoir nourrir leur famille : Comme si, leur répond-il, l'abondance ou la misère étaient entre les mains des hommes ! Comme si Dieu ne faisait pas chaque jour d'un riche un pauvre, d'un pauvre un riche ! D'ailleurs, ajoute l'apologiste, si quelqu'un, à cause de sa pauvreté, ne peut élever ses enfants, mieux vaut qu'il vive dans la continence avec sa femme que de porter, sur l'œuvre de Dieu une main scélérate[63]. A En 389, saint Ambroise se plaint qu'à Milan des femmes pauvres exposent secrètement leurs enfants, et les renient quand on les leur présente[64]. L'exposition des enfants devient cependant de plus en plus rare. Un expédient moins barbare la remplace. Des pères, des mères vendent leurs enfants pour se procurer de quoi nourrir leur famille ou payer les impôts. Saint Ambroise nous fait assister, dans une page navrante, aux angoisses d'un père obligé de vendre un de ses enfants pour échapper à' la prison et rembourser son créancier. Il peint les hésitations et les tortures de ce père, que la misère pousse, que l'affection retient, fames urgebat ad pretium, natura ad officium. Son âme est bouleversée comme par la tempête, patriæ mentis procellas æstuantes. Lequel de mes enfants vendrai-je d'abord ? L'aîné ? Mais c'est de lui que j'ai reçu pour la première fois le nom de père ! Le plus jeune ? Mais c'est lui que j'aime avec le plus de tendresse ! L'un connaît déjà la souffrance ; il craint : sa douleur m'ébranle. L'autre ignore de quoi il s'agit : son innocence me touche. Ô rage de bête féroce ! choisir lequel de ses fils on livrera ! Comment choisirai-je ? Comment dépouillerai-je mon âme de père ? Comment pourrai-je mettre mon fils aux enchères ? Quelles paroles trouverai-je pour discuter le prix ? Aux mains de quel maître livrerai-je mon enfant ? De quels yeux le verrai-je sous l'habit d'esclave ? De quels yeux lui dirai-je adieu quand on l'emmènera ? En quels termes m'excuserai-je auprès de lui ? Lui dirai-je : Mon fils, je t'ai vendu pour avoir du pain ? Ajouterai-je : Mon fils, je t'ai vendu pour donner du pain à tes frères ? Que ferai-je ? Si je ne le vends pas, tous mes enfants mourront de faim ; et si j'en vends un, comment pourrai-je regarder ceux que j'aurai conservés par cette impiété ? Quelle honte quand je rentrerai seul dans ma maison ! Quelles seront mes pensées, à moi qui ai renié mon fils, qui l'ai perdu sans que la maladie ou la mort me l'aient pris ? Avec quel cœur regarderai-je cette table autour de laquelle tous mes enfants étaient assis ?[65]

Tout commentaire affaiblirait cette page d'un pathétique déchirant. La détresse qu'elle peint est horrible, la vente qui y est discutée est criminelle ; mais combien ce père ressemble peu à celui qui naguère exposait froidement son enfant, avec l'indifférence d'un féroce égoïsme ! La tendresse paternelle est ici vivante, saignante, on en perçoit le cri désespéré : malgré la misère du temps et les extrémités auxquelles elle entraîne, l'œuvre morale du christianisme est accomplie, la source des affections de famille est rouverte.

Les fluctuations de la législation au sujet de la vente de l'enfant par le père peignent mieux que toute description l'excès de misère de cette époque. A la fin du me siècle elle était entièrement interdite[66]. Les deux lois de 315 et 322[67], que j'ai citées plus haut, et qui s'appliquent plutôt encore aux ventes d'enfants qu'à leur abandon, furent impuissantes à les faire disparaître. Constantin, voulant prévenir l'infanticide ou l'exposition qui pourraient être la conséquence d'une trop grande pauvreté, fut obligé de permettre au père, dans le cas de dénuement absolu, propter nimiam paupertatem, egestatemque, victus causa, de vendre l'enfant nouveau-né au sortir du sein de la mère, sanguinolentos : il lui laisse la faculté de le racheter quand il le voudra en remboursant à l'acheteur le prix de la vente, ou en lui fournissant un autre esclave : l'enfant vendu a également cette faculté[68]. En réalité, l'enfant, ici, est mis en gage plutôt que vendu, ou, comme dit Godefroi, il est donné in servilium plutôt que in servitutem. Théodose, en 391, permet au père de revendiquer l'enfant sans indemniser l'acheteur[69]. C'était abolir entièrement ces ventes. A la suite d'une famine terrible qui venait de ravager l'Italie, Valentinien III revient, en 451, au principe posé par Constantin. Pâles, amaigris, près de mourir, des malheureux ont oublié l'amour : paternel et ont cru faire acte de pitié en vendant leurs fils. Il n'y a pas d'extrémité à laquelle ne puisse pousser le désespoir, pas de honte qui arrête celui qui a faim : on ne connaît plus qu'une chose, trouver un moyen de vivre[70]. Valentinien déclare que les ventes consenties dans ces circonstances sont nulles ; mais il oblige le père à rembourser le prix d'achat, augmenté d'un cinquième à titre de dommages-intérêts, afin, dit-il, que celui qui, dans ces circonstances désespérées, a acheté, ne se repente pas de son action.

Les empereurs chrétiens, on le voit, n'ont pu en cette matière poser de règles absolues : ils se sont efforcés, autant que le permettaient les misères du temps, de concilier les droits de la liberté avec les intérêts de l'humanité : on en était venu à ce point de considérer l'homme qui avait acheté un enfant à son père comme ayant accompli un acte bienfaisant et mérité une sorte de récompense ! Au milieu de ces tristesses, cependant, le christianisme maintenait les sentiments sacrés de la nature : et, à tout prendre, le sort des enfants des plus pauvres familles était encore préférable, à la veille des invasions barbares, à celui des descendants de plus d'un riche patricien pendant la période païenne de l'empire.

 

 

 



[1] Properce, Eleg., II, VII, 14,

[2] Aulu-Gelle, Noct. att., XIII, 24.

[3] Plaute, Miles gloriosus, III, I, 88, 109.

[4] Ulpien, au Digeste, XLIII, XXX, 1, § 5.

[5] Pline le Jeune, Ép., IV, 15.

[6] Nullæ leges tam impune, tam secure eluduntur, dit Tertullien, Ad nat., I, 15.

[7] Tertullien, Apologétique, 9.

[8] Natos ex, se pueros aut strangulant, aut, si nimium pii fuerint, exponunt... Quos falsa pietas cogit exponere. Lactance, Div. Inst., V, 9 ; VI, 20.

[9] Tertullien, Apologétique, 9 ; Minutius Félix, Octavius, 30.

[10] Code Théod., V, VII, 2.

[11] Quintilien, Declam., 278 ; Pline, Ép., X, 72.

[12] Sénèque, Controv., II, 33.

[13] Scævola, au Digeste, XXXII, III, 102, § 2.

[14] Scævola, au Digeste, XXXIV, I, 15.

[15] S. Justin, Apologie, I, 27.

[16] Lactance, Div. Inst., VI, 20.

[17] S. Justin, Apologie, I, 27.

[18] Clément d'Alexandrie, Pædagogium, III, 3.

[19] Tertullien, Ad nat., I, 15.

[20] Minutius Félix, Octavius, 31.

[21] Lactance, Div. Inst., VI, 20.

[22] Scævola, au Digeste, XL, IV, 29.

[23] Garrucci, Les mystères du syncrétisme phrygien, dans les Mélanges d'archéologie des PP. Martin et Cahier, t. IV, p. 50. Cf. Henzen, 6042.

[24] S. Cyprien, Tract. I, ad Donat.

[25] Tatien, Adv. Græcos, 23.

[26] Clément d'Alexandrie, Stromates, III, 10.

[27] Clément d'Alexandrie, Stromates, II, 23.

[28] S. Barnabé, Ép., 19.

[29] Ép. ad Diognet., 5.

[30] Origène, Contra Celsum, VIII, 55.

[31] Const. apost., VIII, 3.

[32] Athénagore, Legat. pro Christ., 35.

[33] Tertullien, Apologétique, 9.

[34] S. Cyprien, Ép. 7, ad Cornel. ; Minutius Félix, Octavius, 31.

[35] S. Justin, Apologie, I, 27.

[36] Lactance, Div. Inst., VI, 20.

[37] S. Jean Chrysostome, In I Thimoth. hom. IX, 2.

[38] S. Jean Chrysostome, De Anna, sermo I, 6 ; cf. II, 6.

[39] S. Jean Chrysostome, In I Thess., hom. V, 3.

[40] S. Jean Chrysostome, In Matth. hom. LIX, 7.

[41] S. Jean Chrysostome, In Matth. hom. LIX, 7.

[42] Clément d'Alexandrie, Pædag., II, 8.

[43] Proverbes, XVII, 6.

[44] S. Matthieu, XXVIII, 20.

[45] Clément d'Alexandrie, Stromates, III, 10.

[46] S. Cyprien, De opere et eleemosynis, 18.

[47] Historia passionis S. Cæciliæ, publiée par Bosio ; Acta SS. Juliani, Basilissæ et sociorum, apud Acta SS., Januarii, t. I, p. 576 ; Vita S. Euphraxiæ, ibid., Martii, t. II, p. 261.

[48] Tertullien Ad uxorem, 5, 6 ; S. Ambroise, Exp. ev. sec. Lucam., I, 43 ; S. Augustin, Ép. 127 ; De vera religione, 41 ; De sermone Domini in monte, I, 14, 15 ; S. Jérôme, Ép. 71 ; Salvien, De Gub. Dei, V, 10 ; Adv. avar., II, 4, 6 ; S. Grégoire de Tours, De gloria confess., 76 ; S. Avit, De laude virginitatis, 18-22.

[49] De Rossi, Roma sotterranea, t. I, atlas, tav. XXXI, n° 13 ; Ed. Le Blant, Inscr. chrét. de la Gaule, n° 391, t. II, p. 30.

[50] Clément d'Alexandrie, Stromates, VI, 12.

[51] S. Jean Chrysostome, In illud : Filius ex se nihil facit Homilia, 4.

[52] Const. apost., IV, 1.

[53] De Rossi, Bull. di arch. crist., 1866, p. 24.

[54] Plus nostra misericordia insumit vicatim quam vestra religio templatim. Tertullien, Apolog., 42.

[55] Code Théod., XI, XXVII, 1.

[56] Code Théod., XI, XXVII, 2.

[57] Code Théod., V, VII, 1.

[58] Consilium Vasense, anno 442, canon X ; Consilium Arelatense, anno 452, canon m ; Hardouin, t. I, p. 1790, t. II, p. 777. Il est à remarquer que l'Église primitive se montra très-sévère contre la calomnie, qu'elle considère comme un meurtre moral : le calomniateur est toujours frappé d'excommunication : Consilium Arelatense, anno 314, canon XIV, Hardouin, t. I, p. 264, et le canon XXIV de celui déjà cité de 452. Cf. Code Théodosien, IX, XXIX.

[59] Consilium Vasense, canon IX, X. Hardouin, l. c.

[60] Concilium Arelatense, canon LI ; Hardouin, t. I, p. 264.

[61] Code Théod., V, VII, 2. Sur l'époque et les circonstances où fut rendue cette loi, voy. le commentaire de Godefroi.

[62] Code Just., VIII, LII, 3, 4.

[63] Lactance, Div. Inst., VI, 20.

[64] S. Ambroise, Hexameron, V, 18. Il accuse encore les femmes riches de se faire avorter par avarice.

[65] S. Ambroise, De Nebuthe Jezrælita, V, 21-24. Cf. De Tobia, 8.

[66] Rescrit de Dioclétien et Maximin, Code Just., IV, XLIII, 1.

[67] Code Théod., XI, XXVII, 1.

[68] Code Théod., V, VIII, 1.

[69] Code Théod., III, III, 1.

[70] Novelle de Valentinien III, titre XXXII, 1.