LE VOYAGE DE MONSIEUR D'ARAMON

 

AMBASSADEUR POUR LE ROY EN LEVANT

ESCRIPT PAR NOBLE HOMME JEAN CHESNEAU

L'un des secrétaires dudict seigneur ambassadeur

Publié et annoté par M. CH. SCHEFER, membre de l'Institut.

PARIS - ERNEST LEROUX, ÉDITEUR - M.D.CCC.LXXXVII

 

 

INTRODUCTION

 

La relation des voyages de M. d’Aramon dans le Levant se compose de deux parties ; la première est consacrée au voyage de Raguse à Constantinople et la seconde retrace l’itinéraire suivi par cet ambassadeur pour aller rejoindre l'armée de Sultan Suleyman et retourner à Constantinople, après avoir visité la Syrie et l’Égypte. Cette relation n’est point le seul récit écrit par un Français de cette stérile campagne de Perse, entreprise par les Turcs pour ruiner la puissance de la dynastie des Séfévis.

Jacques Gassot, envoyé à Constantinople au mois de décembre 1547, chargé de dépêches pour M. d’Aramon, l’accompagna en Asie-Mineure, en Perse et en Syrie. Il tint un journal exact de son voyage et, au mois de décembre 1548, il le remit à M. de Cotignac, valet de chambre du roi qui retournait en France. Cette relation, écrite sous forme de lettre, est adressée à messire Jacques Thiboust, écuyer, seigneur de Quantïlly, notaire et secrétaire du roi et son élu en Berry. Elle fut imprimée à Paris en 1550; une seconde édition fut donnée en 1606 par François Jacquin; enfin il en parut une troisième à Bourges, en 1684, sous le titre de Lettre écrite d’Alep en Surie par Jacques Gassot sieur de Deffens à Jacques Thiboust, sieur de Quantilly... contenant son voyage de Venise à Constantinople, de là à Tauriz en Perse et son retour audict Alep.

Pierre Gilles, qui accompagna aussi M. d’Aramon, avait adressé, de son côté, à son protecteur le cardinal d'Armagnac, une lettre dans laquelle il lui racontait toutes les péripéties du voyage de Perse. Nous en trouvons la mention dans un opuscule, rédigé pour son protecteur et consacré à la description d’un éléphant que M. d’Aramon aurait voulu envoyer au roi : « ab illis literis quibus proxime summam totius nostri itineris ab urbe Byzantio usque ad Tefricem (Tebriz) Mediae urbem, inde usque ad Berrhoeam Syriacam tibi breviter designavi, nihil notabilius observavi quam heri interitum elephanti ejusque sectionem. » Les lettres de Pierre Gilles ont été insérées dans la traduction de l'Histoire des animaux d'Élien imprimée à Lyon en 1565.[1]

La troisième relation, celle de Jean Chesneau, est beaucoup plus complète que celle de Jacques Gassot, car elle nous fait connaître les différents incidents du voyage de M. d'Aramon à Damas, à Jérusalem et en Egypte et ceux de son retour à Constantinople par la côte du nord de la Syrie, la Cilicie et l’Asie mineure.

Avant de donner quelques détails sur Jean Chesneau et les deux éditions déjà parues de sa relation, je mets sous les yeux du lecteur les renseignements que j'ai pu réunir sur la personne de M. d'Aramon, et sur les différentes missions qu’il a remplies à la cour du Grand Seigneur.

Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique, et Moreri ont consacré quelques lignes à M. d'Aramon ; mais elles ne jettent aucune lumière sur la vie de cet ambassadeur.

Léon Ménard, le compilateur des « Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France », a eu entre les mains quelques documents relatifs à des membres de la famille de Luetz d'Aramon. Il nous apprend que Gabriel de Luetz, baron et seigneur d'Aramon et de Valabrègues, était le fils de Jean de Luetz et de Jeanne, dame de Laudun, veuve en premières noces de Joachim des Astars, seigneur de Mirabel au diocèse de Viviers. Il naquit probablement dans les dernières années du XVe siècle, et le 6 janvier 1526, il épousa à Nîmes, Dauphine, fille de Jean de Montcalm, seigneur de Saint-Véran, de Candiac et de Tournemire, juge-mage de la sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes. Gabriel de Luetz ayant perdu son père, fut assisté pour son mariage du conseil et de la présence de Jacques de Sarras, seigneur de Bernis, son parent et son curateur. Le nom de Gabriel de Luetz n'est point cité par les auteurs qui se sont occupés de l'histoire du Languedoc, de la Provence et du Dauphiné; les archives du département du Gard conservent une transaction passée le 20 mars1533 entre les syndics, habitants et manants d'Aramon et Gabriel de Luetz, seigneur d'Aramon, du Terme, de Valabrègues, de Comps et de Saint Etienne des Déserts.

La dédicace d'une traduction italienne du Coran, publiée à Venise en 1547, nous fournit sur d’Aramon quelques renseignements assez vagues.[2]Cet ouvrage est dû à la plume d'un certain Andréa Arrivabene qui parle en ces termes de « l’illustrissimo signor Gabriel de Luves sr d’Aramon, consegliere della Maestà Christianissima et ambasciatore appresso il signor Turco » : « In lei resplende la nobilità del sangue, in là la dignità et grado di Signoria, in lei le doti dell’ animo eccelentissimo, onde et nello essercitio dell’armi et in quel della toga s’è vistoquante maravigliosamente sià riuscita. La prudentia, il valore, la liberalità nella militia s'è conosciuta sempre in lei, quanto in ogni altro famosissimo capitano. Siane testimonio fra l’altre, la guerra di Provenza et quella del Piemont dove ogniuno sa le sue prove quante et qualefussero et del ingegno et della personna et che honore et laude ne riportasse.[3] »

On doit conclure de ces lignes que d'Aramon prit part aux opérations qui firent échouer l'invasion de la Provence en 1537, et à celles qui eurent lieu dans le Piémont en l'année suivante.

Le 18 mars 1539, Guillaume de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, exposait dans une requête adressée au roi que, par différents arrêts rendus par le parlement du Dauphiné, le sieur Dautherieu et le chapitre de Saint-Bernard de Romans, créanciers de feu Aymard de Poitiers, furent mis en possession des terres et seigneuries d’Aramon et de Valabrègues. Un arrangement étant intervenu, Guillaume de Saint-Vallier prit possession de ces terres. Mais « le nommé Gabriel de Lües, accompagné de plusieurs gens aventuriers mal vivants et mal renommés, par force et violence et sans autorité de justice, l'avoient expolié, chassé, battu, tué, blessé, mutilé et détroussé plusieurs de ses gens ; pris par force le bien des habitants, mis le feu et bridé. » Le roi commit pour la connaissance de ces faits, Imbert Tarreau, prévôt de Valence, qui rendit plusieurs arrêts contre d’Aramon et ses complices, et prononça la confiscation de leurs biens. Ils furent donnés à Guillaume de Poitiers et ils passèrent ensuite entre les mains de Diane de Poitiers ; la possession lui en fut confirmée en 1556 par lettres patentes du roi Henri II.[4]

Privé de ses biens, obligé de s'éloigner, d'Aramon se rendit en Italie et nous le trouvons, en 1541, à Venise, employé par Pellicier, évêque de Maguelonne et ambassadeur de François Ier auprès de la Seigneurie.

Depuis l'année 1538, la ville de La Mirandole avait été remise entre les mains de François Ier, en vertu d'une sentence du pape Paul III. Le roi devait la retenir sous sa protection jusqu'au règlement du différend qui divisait Galeotto et Jean Thomas Pic. Un certain nombre de gentilshommes français s'étaient rendus dans l'Italie du Nord et avaient fait agréer leurs services par les princes qu'effrayaient la puissance et l’ambition de Charles Quint. Pellicier avait pu entendre parler des qualités militaires de d’Aramon ; il avait peut-être eu des rapports avec lui. Quoiqu'il en soit, il s'empressa de faire appel à son activité et chercha à mettre un terme à sa disgrâce.

Peu de temps après son arrivée, d’Aramon avait été envoyé, avec un gentilhomme de Bretagne, M. d'Apigny de la Mothe, auprès du comte de La Mirandole et recommandé chaudement à ce prince par Pellicier; celui-ci, dans une lettre écrite le 10 août 1541, définit en ces termes la mission confiée à ces deux gentilshommes : « Havendo io informato il secretario di V. S. circa tutte quelle cose le quale da queste bande accorreva sapere, come essa da lui potrà meglio intendere et per effetto conoscere, che non si manca di far provisione a tutte quel che è di bisogno, per queste non li diro altro, for ch'el presente allator è Mons. d'Aramon, il qual mando a V. S. accio sia presente alla rassegna delle fanterie si debbeno fare et le paghe et stia costi fin che si veda quel che vol fare l'Imperatore, affin che volendossi far altra gente ci sia presente et a pagar et a far ogni altra cosa, de la qual besogni renderne conto a la Corte a quel tali che a tal officio son soprastanti, perchè altramente V. S. sa molto ben che non si saria admessa alcuna ragioneche allegassemo il perchè preigho sia contenta fargli buona acoglentia et compagnia et il simile a Mons. de la Motta etsuo nepote chevengono in compagnia del detto signor d’Aramon, pregandola sia contenta ove accorrera la occasione importante loro quelli honesti carichi di imprese ch'essa indicara esser convenienti alla lor dignità et honor si come molto meglio potrà intender da M. Formiguet al quale io scrivo più al longho et più particolarmente de cioch' accade che ragioni et conferisca con V. S. alla biona gratia della qual di buon cuor, etc. »

La mission que d’Aramon avait à remplir à La Mirandole était à peine terminée qu'il était chargé d'une autre plus délicate et pleine de périls. Deux seigneurs italiens, Jules César de Gonzague et Paolo de Trilago se faisaient forts de s'emparer de Crémone, par surprise avec la complicité du capitaine Jean André de Bergame, et de remettre cette place aux mains du roi. L'entreprise était considérable et Pellicier crut devoir, avant d'écouter toute proposition et d'en informer le roi, s'assurer des chances de succès d'un pareil coup de main. Il se décida à envoyer d’Aramon à Crémone et sur le rapport que lui fit celui-ci, il le fit partir pour la Cour et lui confia la lettre suivante pour la remettre aux mains du roi :

« Du 20 novembre. Se montrant le cappitaine Jehan Andréa de Bergamo fort affectionné à vostre service ainsi que depuis le cognois l’avois tousiours trouvé, m’avoit tenu propos de quelque entreprinse de fort bien grande importance comme aussi il a fait à M. d’Aramon pour estre son amy et le cognoistre fort experimenté au faict de la guerre et par consequent, apte et suffisant en tels affaires, et vostre bon subject et feal serviteur dont me sollicitans vous le faire entendre, fusmes d'advis d’envoyer en premier lieu le plus secrettement que faire se pourroit sur les lieux pour taster le gay, si la chose seroit si faisible qu’il disoit. Parquoy, ayant experimenté ledict sieur d’Aramon en aucunes choses pour vostre service, et l’avoir trouvé en toutes fort loyal, affectionné et suffisant et mesmement dernierement à la Mirandole, tant pour faire conduire les deniers seurement que pour les monstres et nous advertir de ce qui estoit besoing y obvier et faire, où il s’est fort dextrement porté au gré et contentement du sieur Conte de la Mirandola et de tous autres ainsi qu’ils m’ont rapporté et se offrant liberallement d’aller voir si ladicte affaire seroit pour réussir à effect, ainsi qu’il estoit proposé, sembla au sieur chevalier Thomas et à moy les debvoir laisser aller, ce qu’ils ont faict ensamblement. Lequel sieur d'Aramon à son retour, m’a faict rapport que après avoir examiné et bien prouvé le tout, qu’il a trouvé estre faisible et de bien grande importance pour Vostre Majesté ainsi que dudict sieur chevalier Thomas pourrez s’il vous plaist, estre amplement informé, pour lui avoir lesdicts cappitaines communiqué et déclaré le tout bien au long par le menu. Donc, s’il vous plaira qu’on y doive entendre, m’advertir de vostre voulloir. Je ne faudray m'y gouverner tout ainsy qu’il m’y sera commandé et vous peux assurer, Sire, que je ne cognais à present homme par deçà mieux à propos de qui je puisse avoir commodité, tant en celle que autre chose pour nostre service appartenant à la guerre que ledict sieur d’Aramon.[5] »

Je n'ai pu trouver aucun renseignement sur le séjour de d'Aramon à la Cour, mais il est certain qu'il vit échouer toutes les tentatives qu'il fit pour rentrer en possession de ses biens. Il était en correspondance avec Pellicier et il lui transmettait tous les avis qui pouvaient l'intéresser.

« Monseigneur, écrivait Pellicier à M. d'Annehaut, sous la date du 24 décembre 1541, M. d'Aramon m’a escript que luy avez parlé touchant aulcuns pacquetz ou lettres qui s'estoient egarées du sieur Cappitaine Polin, mais vous asseure que je n'en ay point receu. » Le capitaine Polin, qui était arrivé à Venise, au mois d'août 1541, revint inopinément dans cette ville en février 1542, le jour de carême prenant, après avoir débarqué à Sebenico, il avait traversé l'Esclavonie pour se porter à la rencontre de Sultan Suleyman qui revenait de Bude. Polin fit, au nom du roi, au Grand Seigneur et à ses principaux officiers, des présents magnifiques[6] et lui demanda l'envoi de sa flotte sur les côtes de Provence ainsi que ses bons offices auprès de la République de Venise pour la faire entrer dans l'alliance dirigée contre Charles Quint. Le capitaine Polin fut chargé de faire connaître à François Ier l'intention du Sultan d'armer la flotte et d’envoyer à Venise le premier drogman de la Porte, Yonnis bey, qui serait chargé de traiter avec la Seigneurie. Polin ne fit qu'un très court séjour en France; dès les premiers jours d'avril 1542, il était de retour à Venise et il poursuivit jusqu'à la fin du mois de mai, auprès du Sénat, une négociation qui ne put aboutir. D'Aramon était aussi revenu à Venise. Il s'occupa tout d'abord de la situation militaire de La Mirandole et au mois de mai il allait, à l'instigation de Pellicier, faire une reconnaissance à Trente et s'assurer s'il serait possible d'enlever cette ville au cardinal Madruzzo qui s'était rendu à Venise pour traiter de la restitution de la ville de Marano au roi Ferdinand. L'ambassadeur du roi lui écrivait sous la date du 10 mai.

« Lequel (le cardinal Madruzzo) doibt partir de brief pour s'en aller faire le rapport de la responce qu'il a eue de son ambassade qu'il est venu faire ici pour l'affaire de Maran au roy Ferdinando où (à Trente), il séjournera et mettra quelque temps pour avoir long chemin à faire qui est jusques à Vienne, dont pour la petite garde qu’il y a et le peu de vigilance que l'ony faict, ainsi que M. d’Aramon mesme, qui est sur le lieu l'ayant très bien visité et examiné, m'a dict que cela ne seroit pas impossible à faire, d'autant que ce est un prebstre jeune homme et peu praticque. Lequel tire de ladicte evesché environ trente cinq à quarante mil escus dont une bonne partie, ainsi que j'entends, se tire dudict Trente et des lieux dependans d'icelluy, parquoy s'en pourroit l'on bien entretenir sans qu'il nous feust de grand coust. » Le roi des Romains eut vent de tous ces projets et le rappel de Pellicier arrêta pour quelque temps les préparatifs militaires de la France dans le nord de l’Italie.

D'Aramon fut-il obligé de s'éloigner de Venise après le départ de l'évêque de Maguelonne ou accompagna-t-il le capitaine Polin, lorsque celui-ci retourna à Constantinople ? Je n'ai pu trouver sur ce point aucune lumière dans les documents qu'il m'a été possible de consulter. Quoiqu'il en soit, d'Aramon se rendit à Constantinople, et le capitaine Polin le laissa comme résident auprès de la Porte, lorsqu'il s'embarqua, le 16 mai 1543, pour accompagner la flotte de Barberousse. Je n'ai point à retracer ici les détails du séjour de l'escadre turque sur les côtes de la Provence. L’émotion causée en Europe par cette expédition fut si universelle et si profonde que François Ier dut renvoyer Barberousse au prix d'énormes sacrifices pécuniaires. Bientôt après, le traité de Crépy, qui rapprochait le roi de l'empereur, causa aux ministres du Sultan le plus vif mécontentement ; on le fit sentir en toutes les occasions à d'Aramon, et le grand vizir s'oublia, à plusieurs reprises, au point de le menacer de le faire empaler.[7]

Le crédit de d'Aramon était si ébranlé que le roi chargea le protonotaire Jean de Monluc, son ambassadeur auprès de la Seigneurie de Venise de se rendre à Constantinople avec la mission d'assister Gérard de Veltwick, dans la négociation d'une trêve de dix mois sollicitée par Charles Quint.

La mort inopinée du Dauphin avait profondément modifié les projets de François Ier et son désir d'intervenir auprès de la Porte en faveur de l'empereur, s'était singulièrement refroidi. Adoiduc avait pris des engagements vis-à-vis de Gérard de Veltwick et il lui avait promis de retourner en France en passant par la Hongrie et l’Autriche. Monluc indisposa par sa conduite et ses propos inconsidérés les ministres du Sultan, et d'Aramon, de son côté, ne cessa de lui susciter les plus grandes difficultés. Les dissentiments des deux agents français donnèrent aux fonctionnaires de la Porte et aux représentants des Etats étrangers le plus triste spectacle.[8] La situation intérieure de l'empire ottoman réclamait impérieusement la conclusion de la paix avec l'Autriche; Gérard de Veltwick réussit donc à conclure une trêve de dix-huit mois avant l'expiration de laquelle de nouvelles négociations devaient s'ouvrir pour arriver à l’établissement d'une paix de plus longue durée. François Ier, effrayé des succès remportés par l'empereur sur les princes allemands, mécontent des sentiments pacifiques témoignés par la Porte à l'Autriche et de la trêve qui venait d'être conclue, laissa d'Aramon sans subsides et sans avis. Celui-ci attribua l'abandon dans lequel on le laissait aux rapports et aux mauvais offices de Monluc, il résolut donc de se rendre à la cour pour justifier sa conduite et connaître les intentions du roi au sujet de la Turquie. Il avait sollicité et obtenu du Sultan une sorte de lettre de créance pour le roi, et le grand vizir lui avait spécialement recommandé de se plaindre en termes très vifs du protonotaire Monluc qui, dans le cours des négociations s'était répandu en propos inconvenants sur le compte du Grand Seigneur et des ministres, « et des hommes tels que Monluc, avait-il ajouté, méritent d'avoir la langue et la tête coupées. » Gérard de Veltwick prétend, dans une dépêche adressée au roi des Romains, que la situation de d'Aramon était devenue intolérable. Il ne recevait plus de lettres de la Cour et il était harcelé par ses créanciers. Il aurait désiré quitter Constantinople secrètement, et pour ce faire, il aurait fait représenter au Sultan les dangers que pouvaient lui faire courir sur sa route, les embûches des agents impériaux. Le Sultan faisait cadeau aux envoyés qui retournaient auprès de leur souverain, d'un kilaat ou robe d'honneur et d'une somme de deux cents ducats. Pour ne pas perdre ces avantages, d'Aramon sollicita une audience de congé, mais elle lui fut refusée. Il fit alors courir le bruit qu'il allait se rendre aux bains de Nicée pour y rétablir sa santé altérée. Il freta une barque qui aborda sur la côte d'Europe et il se dirigea sur Raguse. Il rencontra à Tatarbazardjiq, Gérard de Veltwick qui retournait à Constantinople pour y négocier une trêve de cinq ans. D'Aramon eut avec lui un entretien qui roula sur les infractions à la trêve commises par les Turcs et, en prenant congé de Veltwick, il lui dit en plaisantant qu'il le reverrait à son retour, et qu'il aurait encore l’occasion de boire avec lui à Constantinople, avant que ses araires fussent expédiées.

Gérard de Veltwick écrit dans une autre dépêche, qu'en se rendant à la Cour, d’Aramon se flattait de l'espoir de ruiner le crédit de Monluc et de rentrer dans la possession de ses domaines qui se trouvaient aux mains de la grande Sénéchale.

Ses espérances furent déçues, mais pour reconnaître ses services le roi lui accorda, avec le titre de conseiller, les fonctions de maître d'hôtel ordinaire et il l'accrédita auprès du Sultan en qualité de son ambassadeur. Le séjour de d'Aramon en France ne fut pas de longue durée ; le roi avait hâte de le renvoyer à Constantinople pour qu'il travaillât ci faire échouer la négociation de Gérard de Veltwick. Son départ fut tenu secret : il eut ordre de passer par la Suisse pour gagner les Etats de Venise, et le comte de La Mirandole fut invité par M. de Morvilliers à mettre nue forte escorte à sa disposition. L'assassinat de Rincon et de Frégose justifiait cette précaution. Chesneau trace d'une façon très sommaire l'itinéraire de d'Aramon jusqu'à Venise : il parle avec certains détails du séjour de l'ambassade dans cette ville, du voyage de Raguse à Andrinople et depuis cette dernière ville jusqu'à Constantinople ; mais il garde un silence absolu sur la mission de d’Aramon, sur la personne de Sultan Suleyman et sur celle des vizirs et des fonctionnaires avec lesquels les agents étrangers étaient appelés à traiter.

Je supplée au silence de Chesneau et j’emprunte aux documents contemporains le portrait du Sultan et celui de son premier ministre.

La période la plus brillante du règne de Sultan Suleyman avait pris fin avec la mort violente d'Ibrahim Pacha. Sous l'administration vigilante de ce grand vizir, le vaste empire des Ottomans avait joui d'une tranquillité à peu près complète ; quelques soulèvements avaient eu lieu, mais ils avaient été promptement étouffés ; un grand nombre d'abus avaient été réformés et si toutes les guerres entreprises n'avaient point été heureuses, au moins une discipline sévère avait été maintenue dans les armées; les relations avec les Etats européens avaient été plus régulières et plus conciliantes. Les lettres et les arts cultivés en Orient avaient jeté un vif éclat et le commerce avait pris des proportions jusqu'alors inconnues.

Lorsque d'Aramon revint à Constantinople en qualité d'ambassadeur, la santé de Sultan Suleyman commençait à décliner et la Khasseky Khourrem, la célèbre Roxelane, continuait à exercer sur lui un empire absolu. La discorde régnait entre le Sultan Mustafa, premier né du Sultan et ses frères fils de Roxelane. Mustafa, objet de l'affection du peuple et des janissaires, était accusé de vouloir détrôner son père et d'entretenir des relations suivies avec le roi de Perse, Chah Thahmasp, dont il devait épouser une des filles. Pour l'éloigner de Constantinople, on l'avait privé de son gouvernement de Magnésie et on lui avait donné celui d'Amasie.

Ces chagrins domestiques et les soucis du gouvernement avaient développé le penchant de Sultan Suleyman à la mélancolie. Je donne ici le portrait qu’en ont tracé les écrivains qui ont pu avoir sur lui les renseignements les plus exacts, et je commence par celui qu’Anthoine Geuffroy a inséré dans sa Briefve description de la court du Grand Turc[9] publiée en 1546. « Le dict roy Suleyman peult estre à present de l’aage de cinquante ans, ou environ, et est ainsi que j'ay entendu, long de corps, de menuz ossemens, maigre et mal proportionné : le visage brun et basanné : la teste rasée, fors un toupet de cheveulx au sommet, ainsi que ont tous les Turcs, pour mieux asseoir leur Tolopan, qui est un accoustrement de linge. Il a le front élevé et large : les yeux gros et noirs, le nez hault et un peu courbe ou aquilin, les moustaches longs et roux: le menton rez au ciseau et non au rasouer, le col long, graisle et pendant : melancholique, peu parlant et peu riant, mais fort cholere, assez lourt et maladroit et qui ne prent plaisir à aucun exercice. Au demeurant, repente vertueux et homme de bien entre les siens, bien gardant sa loy, attrempé et modéré, aymant la paix et repoz plus que nul de ses prédécesseurs, ce que les Turcs luy imputent à pusillanimité et faulte de couraige. Il est estimé doulx et humain, gardant sa foy et parolle quoy qu'il promette, et que facilement pardonne à ceulx qui l'ont offensé. Son passe temps est de lire es livres de philosophie et de sa loy. En laquelle il est tellement instruict que son Mofty ne lui en sçauroit apprendre aucune chose. On ne le tient point trop libéral, mais plus eschars que ses prédécesseurs. Il se laisse manyer et gouverner à ceulx qu'il ayme et en qui il se fie combien qu'il soit quelque foys obstiné et opiniâtre. »

« Soliman, dit Busbec, est un prince sur le declin de son aage qui paroist à son visage et à tout son corps estre digne d'un si grand empire. Il a la reputation d'avoir esté toujours sage dans l’aage mesme qu'il est permis en quelque façon, chez les Turcs de pecher sans reproche... Ses plus grands ennemis ne le blasment que d'estre trop sujet à sa femme et de s'estre laissé tromper par ses artifices lorsqu'il a faict mourir son fils aisné Mustapha; encore impute-t-on sa faute aux enchantements de ceste sultane. Tout le monde sçait que depuis son legitime mariage, il n'a couché avec aucune de ses concubines quoy qu'il ne luy soit point defendu par sa loy dont il est si severe observateur et de toutes ses ceremonies qu'il a autant de passion de les faire recevoir partout que d'agrandir son empire. Sa santé n'est pas mauvaise pour ses années, si sa mauvaise couleur n'estoit la marque de quelque secrete maladie que la plupart du monde croit estre une gangrene dangereuse à la cuisse. Ce prince a soin de corriger le vice de son teint avec du vermillon et du rouge, lorsqu'il sçait qu'un ambassadeur est prest de venir prendre congé de sa Hautesse, croyant qu'il est important pour sa reputation qu’on ait bonne opinion de sa santé pour se faire craindre des estrangers, comme se portant bien et estant robuste, ce qui fut cause que je luy vis un meilleur visage en lui disant à Dieu que lorsque je l'avois veu la premiere fois.[10] »

Depuis la mort d’Ibrahim Pacha, Sultan Suhyuniu avait successivement confié les fonctions de vizir à Ayaz Pacha, à Luthfy Pacha, à l’eunuque Suleyman Pacha, et enfin à Rustem Pacha. C'est avec ce dernier que les agents de François Ier, de Henri II et de Catherine de Médias eurent à traiter depuis 1544 jusqu'en 1561.

Rustem Pacha était né dans un petit village des environs de Bosna Seray; son père, paysan chrétien réduit à la plus extrême pauvreté, n'ayant pu payer le Kharadj ou impôt de la capitation, s'était vu enlever son fils qui, conduit à Constantinople, avait été incorporé dans les pages du sérail. Un acte d'audace dont le Sultan fut témoin attira sur lui l'attention et lui valut un rapide avancement. Il devint silihdar ou porte-épée du Sultan, et après la campagne de Mohacz, il fut élevé au grade de grand écuyer. Il fut ensuite nommé gouverneur de Diarhekir, et pendant qu'il résidait dans cette province, Sultan Suleyman, à l'instigation de Roxelane, jeta les yeux sur lui pour lui donner sa fille Mihroumah Sultane. Ses ennemis répandirent alors le bruit qu'il était atteint de la lèpre et que son visage portait les traces de cette maladie. Les médecins orientaux tiennent pour certain qu'aucun insecte ne peut vivre sur le corps d'un lépreux. Un médecin de la cour fut envoyé à Diarbekir pour faire une enquête; il découvrit un peu sur la chemise de Rustem, et ce fait fit tomber tous les propos que l'on avait mis en avant.

Rustem Pacha reçut le titre de beylerbey de Roumélie, et en 1539, il épousa la sultane Mihroumah. En 1544, il remplaça l’eunuque Suleyman Pacha. Pendant toute la durée de sa puissance, Ibrahim Pacha s'était montré tolérant et plein de bienveillance à l'égard des chrétiens de l'empire; il avait entretenu, autant qu'il l'avait pu, de bonnes relations avec les Etats de la chrétienté; il s'était montré généreux pour les poètes, les gens de lettres et les troupes et il avait toujours fait preuve d'un grand attachement pour Sultan Mustafa; cette dernière circonstance, en excitant la haine de Roxelane, avait été une des causes de sa perte. Rustem pacha, au contraire, fit toujours parade de son mépris pour les infidèles, à la parole desquels, disait-il, on ne pouvait jamais se fier, et il ne dissimula pas le peu de sympathie qu’il avait pour les agents français. Il se servait de l'influence de sa belle-mère et de sa femme sur l'esprit du Sultan pour maintenir son crédit, et sa principale occupation, était de recueillir, pour le trésor de son maître et pour le sien, des sommes prélevées par tous les moyens.

Bernardo Navagero, après avoir rempli auprès de la Porte les fonctions de baile, remit au Sénat, en 1553, la relation de son séjour à Constantinople. Il trace en ces termes le portrait de Rustem Pacha : « Ce Pacha est plutôt petit que grand de taille : il a le visage très coloré et le teint si enflammé qu'il paraît violacé. Il paraît être dispos et robuste, mais on prétend qu'il est sujet à une grave indisposition. Il semble avoir une grande promptitude de coup d'œil et être né pour l’action. Il est fort actif et d'une extrême sobriété; on dit qu'il n'a jamais bu de vin. Il supporte la fatigue avec la plus grande patience, car, outre les affaires qu'il traite continuellement avec le Grand Seigneur, il donne pendant toute la semaine, excepté le mardi, des audiences qui commencent de grand matin et prennent fin au coucher du soleil. Il a pour les affaires une excellente mémoire et particulièrement pour tout ce qui concerne les forces du Grand Seigneur; il sait bien ce que l'on doit redouter et qui on doit craindre. Il passe pour être orgueilleux et colère... Son ambition n'a pas de bornes et son plus grand plaisir est de s'entendre dire que jamais les souverains ottomans n'ont eu à leur service un homme plus sage et plus prudent que lui. Il est d'une avarice excessive et avec de l'argent, on lui fait faire tout ce que l'on veut. Il est, par nature, plus ennemi des chrétiens qu’aucun de ses prédécesseurs ; on ne peut, dit-il, avoir aucune confiance dans les giaours; mais, parmi les chrétiens, il tient compte de ceux qui lui donnent le plus. C'est avec lui que sont traitées et négociées les affaires d'importance, mais il s'emporte contre ceux qui ne s'adressent point à lui et il leur rend toutes sortes de mauvais offices. Il est enclin à conserver la paix, car il sait que la guerre seule peut troubler le bonheur dont il jouit dans ce monde; il ne la conseillera jamais, quand bien même il la saurait désirée par le Sultan. Il a agi ainsi lors de l'expédition de Perse, dans laquelle le Grand Seigneur a éprouvé de si grandes pertes. Les conseils qu'il lui a donnés pour l'en dissuader ont augmenté la faveur dont il jouissait. »

Busbec qui, dans ses différentes missions eut à traiter avec Rustem Pacha, porte sur lui le même jugement que Navagero : « Rustem paraissoit tousiours triste et tousiours en colère. Il voulait que ses paroles fussent des arrests. Il sçavoit bien ce que les affaires et la vieillesse du Prince luy demandoient ; mais il craignoit que l'indulgence nécessaire en ce temps là ne fust imputée à son avarice dont il estoit soupçonné dans l'esprit de Soliman. C'est pourquoy il ne relaschoit jamais de sa sévérité ordinaire, quoy qu'il souhaittast passionnément faire la paix; et s'il arrivoit quelquefois qu'on ne luy respondist pas comme il vouloit, il n'escoutoit plus personne : il commandoit qu'on se retirast et s'en allait tousiours luy mesme en colère. Je me souviens qu'un jour, estant à l'audiance chez luy, et luy ayant proposé quelque chose touchant la paix, qui luy sembla indigne de la majesté de son maistre, il me dit brusquement que je m'en allasse chez moy, si je n'avois point d’autre proposition à luy faire.[11] »

Lorsque le retour de d'Aramon à Constantinople fut décidé, François Ier faisait encourager par ses agents la résistance des princes allemands contre l’Empereur. On répandait partout le bruit que le Sultan, à la tête d'une puissante armée, devait envahir les États du roi Ferdinand pendant que la flotte turque ferait une diversion sur les côtes de l’Italie et de l’Afrique. Le Sultan et ses ministres étaient peu disposés à renouveler les hostilités contre l’Autriche. Poussé par la Khasseki, Sultan Suleyman avait résolu de porter la guerre dans les États du roi de Perse, accusé de faire cause commune avec le fils aîné du Sultan; il avait donc hâte d'éloigner toute cause de conflit avec l’empereur et le roi des Romains. La victoire de Muhlberg et l’habileté de Veltwick assuraient le succès de la négociation qui venait d'être ouverte. Les ministres turcs, pour rendre la paix plus stable, avaient fait savoir à l’agent de Charles-Quint et de Ferdinand que le Sultan entendait que François Ier fût compris dans la trêve qui allait être conclue. Le roi de France était tenu au courant de ces négociations et, pour en entraver la marche, il fit partir pour Andrinople, dans les derniers jours de décembre, Codignac, son valet de chambre, porteur de dépêches chiffrées et chargé de demander â la Porte de surseoir à la conclusion de la paix jusqu'à l'arrivée de S Aramon. Le chargé des affaires de France, de Cambray, que le manque d’argent avait forcé de retourner à Constantinople, fut mandé à Andrinople pour déchiffrer les lettres apportées par Codignac mais elles ne contenaient aucun fait d'importance. D’Aramon arriva enfin le mercredi saint de l'année 1547 :il était accompagné dune suite nombreuse, dans laquelle on voyait des gentilshommes de Raguse et d'Italie. Il fut reçu le vendredi saint par Rustem Pacha et le lendemain par les trois autres vizirs. Le mercredi après Pâques, il eut une audience du Sultan auquel il présenta les cadeaux du roi, parmi lesquels figurait une horloge enrichie de pierreries, et que d'Aramon assurait avoir été payée quinze mille ducats. D'Aramon était chargé, au dire de Gérard de Veltwick, de prier le Sultan d'envahir la Hongrie et d'envoyer la flotte ottomane sur les côtes d'Afrique. Il était secondé dans ses démarches par le comte Christophe de Rogendorf capitaine des gardes de Charles-Quint et fils du comte Guillaume de Rogendorf qui avait défendu Bude contre les armées ottomanes.[12] Le comte Christophe de Rogendorf s'était trouvé lésé par une décision de l’Empereur, rendue en faveur de sa femme, Elisabeth d’Œtting. Il s’était enfui pour aller offrir ses services au plus puissant des ennemis de son maître.

Rogendorf était arrivé à Constantinople au mois de septembre 1546 : il avait emporté avec lui, disait-on, une somme de quarante mille ducats.[13] Le grand vizir, Rustem Pacha, l’avait confié aux soins de Younis bey et le 10 octobre, il était reçu par le Sultan, qui lui accordait le titre de Mouteferriqa et une pension journalière de soixante aspres; au mois de janvier 1547, il se rendit à Andrinople, où le Sultan s’était fixé pour y passer l'hiver. Rogendorf promettait de livrer ses châteaux, de soulever ses amis et ses partisans et il se faisait fort de rendre les Turcs maîtres de Vienne. Dès l'arrivée de d'Aramon, il s'aboucha avec lui et lui exposa son plan de campagne contre l'Autriche, L'ambassadeur essaya de démontrer à la Porte que le mauvais état des fortifications dé Vienne en rendait, cette année, la prise facile, mais que si on laissait achever les travaux entrepris par le roi Ferdinand, cette ville serait désormais à l'abri de toute attaque. D'Aramon continuait sans succès ses démarches pour entraver la conclusion de la paix, lorsque la nouvelle de la mort de François Ier parvint à Andrinople. Les Ragusais qui y résidaient et qui, comme tous leurs compatriotes, étaient dévoués aux intérêts de l’empereur, en furent les premiers instruits.[14] Les ministres du Sultan n'ajoutèrent foi à cette nouvelle que lorsqu'elle leur fut confirmée par le bayle de Venise et par M. d'Aramon, auquel M. de Morvilliers avait expédié un courrier en toute hâte.

La mort du roi déconcertait tous ses agents à l’étranger : l’établissement d’un gouvernement nouveau était pour eux la cause d’hésitations qui arrêtèrent toutes les négociations engagées. D’Aramon resta, au grand étonnement des Turcs, privé de nouvelles et d’instructions, et la fausse situation dans laquelle il se trouvait ne lui permit de faire aucune démarche à la Porte du Grand Seigneur. M. de Morvilliers, instruit des embarras de d’Aramon, écrivait au chancelier, sous la date du 14 avril 1547.... « Il est aussi très nécessaire de pourvoir aux affaires du Levant et advertir M. d’Aramon comment il se conduira cy après, qui n’est chargé de petite difficulté envers ces hommes barbares, corruptibles à toutes mains et sans foy, prévoyant que ces seigneurs de leur costé advertiront le Grand Seigneur de la mort du Roy, que de toute autre part, le bruit en sera soudainement à ses oreilles. J’ay depesché un brigantin audit sieur d’Aramon, l’advertissant de la dite mort, non pour la publier, mais pour ne s’estonner et tenir les choses en estat avec les meilleurs termes qu’il pourra adviser, attendant autres nouvelles du Roy. Je luy ay fait le dit advertissement afin que si restaient aucuns des presens entre ses mains, il avisai s’il seroit bon de les retarder. Je crains toutesfois que bien tard il recevra mes lettres, car il a peu arriver à la court du Grand Seigneur, le cinq ou le sixiesme de ce mois. »

Au lieu de faire notifier par d’Aramon la mort du roi son père et son avènement au trône, Henri II chargea de cette mission un des officiers de sa maison, le baron de Fumel, capitaine des gardes de la porte et protégé de Diane de Poitiers. Le baron de Fumel devait, en outre, donner f assurance que le roi désirait suivre les traditions de son père et resserrer les liens qui l'unissaient au Sultan. Ces dernières avances étaient tardives; la conclusion de la trêve avec l'Autriche était irrévocablement décidée. D’Aramon en avait instruit le roi dès le 15 juin : « Sire, écrivait-il, ce Seigneur et ses ministres avoient eu la certitude du trespas du feu roy, que Dieu absolve, et comme n'ayant eu aucun avis de vostre part, sçachant très bien qu'il vous avoit pieu en despartir, ensemble des nouvelles de vostre advenement, à tous les autres princes et potentats, vos amis, estoient entrés en très grand mecontentement et soupçon que Vostre Majesté faisant peu d’estime de leur amitié ne la vouloist plus continuer; de sorte que je craignais que, n’ayant en bref de vos nouvelles, ils fussent pour prendre quelque accord avec l’ambassadeur de l’empereur et du roy Ferdinand, qui se trouvoit par deçà, joint aussi la venue de l’un des frères du Sophy, qui estoit venu rendre ces jours passer à ce Grand Seigneur avec asseurance de rendre à ce Grand Seigneur l’Estat et la couronne de son frere entre ses mains; estant venu encemesme temps les nouvelles de la victoire de l'empereur en Allemagne contre le duc de Saxe, et craignant que par ce moyen le dit Grand Seigneur le vint molester du costé d'Hongrie, qui le divertist de la dite entreprise du Sophy, qui est le plus grand motif qu’il ait, et ne voyant comparoir aucunement de vos nouvelles ; s'estant du tout mis en opinion que tel retardement fust une espesce de mespris, pour ne voulloir continuer leur amitié, se sont resolus de prendre conclusion avec ledit ambassadeur d’accepter ses offres, qui sont de trente mille ducats par an de tribut pour le reste de ce que tient le roy Ferdinand du royaume de Hongrie, et moyennant ce, luy accorder et à l'empereur semblablement, la paix pour cinq ou six ans, nonobstant ce que fay sceu faire et dire pour les en divertir, a qui ria sceu avoir autant de force envers eux comme par le passé pour estre assez informez que je n’avois aucun advis de l'intention de Vostre Majesté depuis son advenement. »

Le baron de Fumel avait caché avec soin, pendant son voyage, la mission dont il était chargé, et on supposait qu'il était envoyé par Henri II auprès de la duchesse de Ferrare. A peine avait-il quitté Venise que M. de Morvilliers y voyait arriver M. de Saint-Simphorien, dépêché par d’Aramon pour faire connaître au roi la situation des affaires à Constantinople et le bruit répandu par les agents impériaux que le roi de France faisait à l’empereur les plus grandes avances pour arriver d un rapprochement. L'arrivée du baron de Fumel à Constantinople sembla à d'Aramon le précurseur d'une disgrâce. M. de Morvilliers, avec lequel il était en correspondance, écrivait à Dumortier, ambassadeur de Henri II à Rome, sous la date du six août 1547.... « Par les dernières lettres receues de Monsieur d’Aramon, il m'escrit qu'il a bien connu par les propos que luy a tenuz monsieur de Fumeil que le roy ne se veut plus servir de luy et mande l'affliction et ennuy qu'il en souffre, noyant offensé ni forfait, fe ne sçay que peut luy avoir dit ledict Fumeil, mais je croy que ce n'est pas chose resolue de lever ledict d’Aramon, et il me semble qu'il seroit maintenant hors de saison et de temps de le retirer, car ceste negociation là requiert un homme exercité et seroit, de ma part, merveilleusement desplaisant qu’on le revoquast sans meilleure et plus honneste occasion, car cela redonderait au dommage et desestime du service du roy comme au deshonneur dudict d’Aramon.

« Cottignac arriva mardy pour retourner en Levant et le jour mesmes il s’embarqua; mais, à son portement, le roy n’avoit encores esté adverty des dernieres nouvelles. Les pacquetz sont adressez à monsieur d’Aramon comme ambassadeur, et M. le connestable parla de luy audict Cottignac en bien bonne part, donnant bonne esperance : sed graves et infessos habet adversarios. Je ne vous les nomme pas, car vous les connaissés. »

Les ministres du Sultan se trouvaient en présence de deux agents également accrédités, qui leur donnaient le spectacle de leur inimitié. Le Sultan, pour s’éclairer sur les intentions de Henri II, prit le parti renvoyer à la cour un Français, maître Guillaume, engagé à son service pour l’entretien de ses horloges et qui paraît avoir été en correspondance avec Diane de Poitiers. Ce maître Guillaume l’horloger se chargea d’une lettre du baron de Fumel, sollicitant le rappel de d’Aramon et demandant à le remplacer en qualité d’ambassadeur près la Porte ottomane. Il arriva à Venise et M. de Morvilliers en informa tout de suite le connétable de Montmorency : « Monseigneur, j’escris au roy tout ce que j’ay peu tirer de Maistre Guillaume l’orloger que j’ay diligemment enquis sur les moiens qui pourroient estre de rompre les pratiques de Me Girard. Sur quoy il m’a fait diverses responses, les aucunes contraires aux autres et toutes confuses et incertaines. La conclusion de ces propos est qu’on ne fait rien avec ces hommes là sans dons et presens, et n’y a moyen envers eux que cestuy là »

Cinq jours après que M. de Morvilliers avait expédié cette lettre, Me Guillaume mourait. M. de Morvilliers, qui avait sans doute trouvé dans ses papiers les preuves de la protection que lui accordait la grande Sénéchale, s’empressa de lui faire connaître les détails qu’il jugeait devoir l’intéresser :

« A madame la grande Senechale, le 28e d’aoust.

« Madame, Me Guillaume l’orloger ayant esté depesché par M. de Fumeil pour aller devers le roy, tomba mallade entre Raguze et ceste ville où toutesfois quand il y arriva, ne tenoit compte de son mal, estimant riestre sinon que las et travaillé du long chemin, des challeurs et de la tourmente qu’il avoit endurée sur la mer, et pensoit qu’à sa guerison ne luy fust besoing sinon d’un jour ou deux de repos. A ceste cause, ne voulloit il ayde ne conseil de medecin. Mais le jugeant â sa contenance et faiblesse plus mal qu’il ne disoit, j’en envoyai quérir un très suffisant, lequel après avoir veu ledit maître Guillaume et consideré tous les signes de sa malladie, la jugea dangereuse et y ayant quelques indices de fièvre pestilencieuse. Bien que depuis trois ou quatre jours, il semblast aller en amandement, et mesmes le jour avant qu’il mourust, les medecins m’en parlerent comme le voyant hors de tout péril, et le pauvre homme disoit ne sentir aucun mal ny ne voyoit on aussy chose en luy qui donnast mauvais presagé. Touttesfois, il deceda la nuict suivante dont j’ay receu très grand desplaisir et de tant plus qu'il est mort en mon logis, où je l’ay faict traiter et panser le plus soigneusement qu’il m’a esté possible. Je vous escris, Madame, ce que dessus, sçachant qui vous reconnaissent pour maitresse et qu’avez perdu en luy un bien affectionné serviteur, car le jour qu’il arriva devers moy, me conta la longue et ancienne servitude qu'il avoit à vous et à vostre maison, en laquelle il esperoit continuer toute sa vie; que la fiance de vostre bonne grace l'avoit fait entreprendre ce voyage, esperant, avec l’aide de vostre faveur, trouver quelque honneste moyen pour demeurer dès à present ou se retirer bientost en France. Il avoit admené un jeune garçon esclave aagé de douze ou treize ans en intention, comme il m'a dist, de le vous présenter, l’ayant connu de bonne nature et serviable. Je l’ay retenu et vous l’envoirroy, s’il vous plaist de l’accepter. Il avoit, au surplus, apporté avec luy plusieurs besongnes que j’ay toutes faict mettre par inventaire et les feray fidellement garder jusques à ce que je sache entre les mains de qui on les doibt rendre, aucunes d’icelles estoient pour faire present ainsy que dit son petit esclave.

« Toutesfois la force de la malladie l’a surpris si soubdainernent qu’il n’a de rien disposé ne fait de testament. D’argent n’avoit il que six ou sept vingt escus, partie de laquelle somme luy mesme fist employer durant sa malladie, pour achepter quelques besongnes, esperant bientost se remettre en chemin. J’ay faict escrire en un petit mesmoire cy inclus, s’il vous plaist le veoir, tout le principal et le meilleur de ce qu’il avoit apporté avec luy. On dit qu’il a son pere. Toutesfois, je ne luy delivreray rien ni à aultres ses parans que ce ne soit par mandement du roy. »

L'intervention des agents français ne pouvait plus désormais entraver la conclusion de la paix dans laquelle étaient compris le roi de France et la seigneurie de Venise. Charles-Quint en avait signé, au mois d'août, la ratification à Augsbourg et le Sultan, rassuré du côté de l’Autriche, s’occupa uniquement des préparatifs de son expédition contre la Perse. M. d'Huyson, arrive à Constantinople au mois de septembre, porteur d'une lettre du roi et d'instructions précises pour proposer une action commune, ne réussit point à changer les résolutions de Sultan Suleyman. Elles étaient d'autant plus inébranlables qu’Elqas Mirza, frère de Chah Thahmasp, qui s'était réfugié à Constantinople, lui représentait la conquête de la Perse comme devant être facilitée par l'aide de ses partisans restés dans les provinces du nord, et sur le dévouement desquels il pouvait compter d'une manière absolue.

Elqas Mirza avait été investi par son frère du gouvernement de la province du Chinuan. Il s'était révolté une première fois et avait obtenu son pardon. : mais il renouvela sa tentative et dut prendre la fuite devant les troupes de son frère, après avoir erré avec quelques-uns de ses partisans dans les plaines du Qiptchaq, il avait réussi à gagner la Crimée où il s'était embarqué pour Constantinople. De cette ville, il se rendit à Andrinople où le Sidtan le reçut avec la plus extrême bienveillance. Un palais lui fit assigné pour résidence et toutes ses dépenses furent généreusement payées. Lorsque le Sultan revint à Constantinople, on donna à Elqas Mirza le spectacle d’une entrée solennelle dans laquelle furent déployées toutes les pompes de la cour ottomane. Un banquet magnifique suivit cette cérémonie et le seyd Abdoulaziz Chirwany avec tous les mirzas de la suite du prince y furent admis. A son retour au palais mis à sa disposition, Elqas reçut les cadeaux envoyés par le Sultan. L'historien Aaly Tchèlèby en donne la liste; ils consistaient en vases d'or et d'argent, en vêtements de brocart, en robes de velours, de soie et de drap fourrées de martre gibeline et de lynx, en coffres remplis d'étoffes de prix. On lui présenta un certain nombre de chevaux arabes et d'autres chevaux de races estimées, des selles enrichies de pierres précieuses, des étriers en or et en argent, des sabres dont la poignée et le fourreau en or étaient couverts de pierreries, enfin des jeunes esclaves magnifiquement vêtus et ayant des ceintures d'or. A ces cadeaux, la Sultane Khasseky et les princes ses fils joignirent les leurs ; c'étaient de somptueuses étoffes, des couvertures et des coussins brodés en or dont la valeur dépassait la somme de dix mille ducats. Le grand vizir et tous les dignitaires de la Porte durent suivre l'exemple donné par le souverain. Le vizir d'Elqas Mirza, Mirza Fazil et toutes les personnes de sa suite reçurent des gratifications, chacune selon son rang.

M. de Morvilliers résume de la manière la plus claire dans une lettre adressée à M. de Marillac, sous la date du 2 y septembre 1542, la situation des affaires à Constantinople.

« ...Je ne laisseray pourtant de vous dire les dernieres nouvelles que nous eusmes de Constantinople par lettres du douziesme d'aoust. Vous sçavez que le frere du Sophy s'est venu rendre au Grand Seigneur et luy a fait la conqueste de la Perse et de l'empire de son frere si facille que le Seigneur a là converty ses desseins et commencé grande preparatifz en intention, comme l'on dit, de faire entreprise et aller en personne contre le Sophy sur ce printemps. Et pour ceste cause, desire s’asseurer du costé de la Hongrie. Cest le point principal qui le meut en partie d'accorder la tresve pour laquelle estoit venu Me Girard avec le bon ayde qu'a fait à ceste pratique Rostan premier hassa et Janis bey corrompuz de presens et d'argent avec promesses de plus grande quand ce viendra à la ratification, fe vous ay proposé cela pour vous dire apres que les derniers advis portent que la volonté du Seigneur continue en ceste entreprise de Perse : que chascun jour, plusieurs gentilshommes et autres subiectz, des pais des freres du Sophy, s'en venoient à la file, fugitifs devers leur seigneur, pour ce que le dict Sophy faict trencher la teste à tous ceux qu'il peut prendre des amis ou serviteurs de sondict frère, lequel avoit laissé sa femme et enffans dedans une place que le Sophy a prise et a fait mener lesdictes femines et enffans prisonniers en certain autre lieu. Ledict Sophy avoit mis le siege devant une autre forte place pour laquelle secourir le Grand Seigneur faisoit preparatifz en grande haste. On estimoit neantmoins que pour ceste année, il luy seroit malaisé de faire entreprise. Mais des gens qu'il faisoit lever à présent, il mettroit garnison sur ces frontières de ce costé là. J’estime que M. d'Aramon demeurera par delà et que M. de Fumeil a bonne envie de retourner. Il avoit depesché Me Guillaume l'orloger devers le roy,qui arriva le mois passé, mallade en mon logis et mourut cinq on six jours aprez. »

L'armée avait été réunie sur la côte d'Asie, et le 29 mars 1548, Sultan Suleyman, accompagné par son fils Djihanguir, quitta sa capitale et établit son camp à Scutari. Il se dirigea sur la ville de Seyd Ghazy; il y fit ses dévotions au tombeau de Djafer Bathal et répandit d'abondantes aumônes sur les derviches qui en avaient la garde. Il fut rejoint à Seyd Ghazy par son fils Selim, gouverneur de la province de Sarouhhan. Ce jeune prince fut chargé, pendant la durée de la campagne, de l’administration de la Roumélie, et il reçut l'ordre de fixer sa résidence à Andrinople. A Aqcheher, Sultan Suleyman reçut les hommages de son fils Bayezid qui gouvernait la province de Qoniah, puis, après avoir traversé Césarée, il alla établir son camp dans la plaine de Sivas où son fils aîné Sultan Mustafa vint se présenter à lui. De Sivas, l’armée gagna Erzeroum.

Henri II avait exprimé le désir que son ambassadeur accompagnât le Grand Seigneur dans la campagne qui allait s'ouvrir.[15] D’Aramon en avait obtenu l'autorisation du grand vizir, mais celui-ci craignant pour l'ambassadeur quelque insulte de la part de soldats indisciplinés, d'enfants perdus ou d'aventuriers, avait exigé que d'Aramon se rendît à Erzeroum par une route différente de celle suivie par l'armée.[16] Le baron de Fumel, revenu de son voyage d'Egypte et de Syrie, avait aussi sollicité la permission d'accompagner le Sultan ; elle lui fut refusée et il dut rester à Constantinople.

Chesneau nous fait connaître les différents incidents de ce voyage en Asie Mineure fait par une troupe de gentilshommes français chevauchant, la cornette de France déployée. Le souvenir s'en conserva longtemps et Brantôme en parle en termes enthousiastes : « Il (le capitaine Berthelomé) avoit esté à feu M. d'Aramont et alla avec luy en Levant, lorsqu'il y fut envoyé du roy Henry en ambassade, qui fut receu et bien venu aussy honorablement que jamais fut ambassadeur ; car le Grand Seigneur faisant le voyage de Perse voulut qu'il vint avec luy, ce qu'il fit ; et pouvoit avoir avec luy cent honnestes hommes, capitaines ou soldats bons et signalez François desquelz le Grand Seigneur voulut qu'il en arborast une cornette aux armoiries de France, à laquelle il vint cet honneur quelle marchoit à la droite. Quelle gloire pour cet ambassadeur et pour sa nation françoise, de tenir tel rang auprès du plus grand monarque du monde.[17] »

Les opérations de guerre commencèrent après le départ d'Erzeroum; Piry Pacha, gouverneur de Caramanie, et Oulama Pacha, beylerbey d'Erzeroum, furent chargés d'investir le château de Van pendant que l'armée marchait sur Tauriz: Elle ne rencontra pas l’ennemi qui fuyait devant elle après avoir tout ravagé sur son passage. Le manque de vivres et les maladies obligèrent le Sultan, après la prise de Tauriz à rentrer dans ses Etats.[18] Le seul fait de guerre heureux qui se produisit pendant cette retraite fut la reddition de l'important château de Van. Les conseils donnés par d’Aramon pour rétablissement d'une batterie en amenèrent la capitulation, après avoir péniblement traversé la Mésopotamie,[19] le gros de l’armée alla prendre ses quartiers d'hiver dans le nord de la Syrie et le Sultan s établit à Alep. Les fatigues de la campagne avaient ébranlé sa santé et le repos lui était devenu nécessaire; l'hiver devait être consacré aux préparatifs de la campagne qui allait être reprise au printemps et le soin de traiter avec les agents étrangers était laissé à Ibrahim Pacha, lieutenant du grand vizir et gouverneur de Constantinople.[20]

D'Aramon, que rien ne retenait auprès du Sultan, se mit en route pour visiter Jérusalem, et l'Egypte. Un incident rapporté par Brantôme signala son séjour dans la ville sainte. « Estant en Hierusalem, il y remplit sainctement son vœu et tous ceux de sa trouppe à son imitation, visitarent le dict sainct Sepulchre le plus devotieusement qu'ils peurent, fors le capitaine Berthelomé, lequel estoit pour lors un jeune homme fou, bizarre, assez libertin et grand deriseur de nos vœux et de nos ceremonies chrestiennes, et pour ce, ne fit comme les autres. M. d’Aramont l'en pria souvent d'y aller, mais il promettoit beaucoup, et rien ; en faisoit beaucoup accroyre ; enfin, un jour, M. d’Aramont l'en pria et l'en sollicita tant, que pour l'amour de luy, il y allast, s'il ne le vouloit faire pour d'autre occasion ou subject, et qu'il l'en aymeroit toute sa vie et qu'il s'en trouveroit très bien ; ce qu'il fist et M. d’Aramont l'y mena luy mesme, où estant entré ledict Berthelomé dist qu'il sentist en luy aussitost l’âme attaincte d'une telle devottion et religion à son Dieu qu'il alla oublyer touttes les dérisions qu'il avoit faictes; se prosternant devant son Dieu, fit les prieres et repentances si fervantement qu'oncques puis, il ne sentit de ces erreurs et follies, et remercia cent fois M. d’Aramon qui estoit cause d'un tel bien pour luy. ».

Chesneau nous dit que l'ambassadeur « estoit attendu, du gardien et cordelliers du mont Sion comme les Juifs attendent leur Messias, pour l'esperance qu'ils avoient par sa venue estre mis hors des garbouilles et fascheries que leur jaisoient chascun jour certains santons, c'est-à-dire prestres turqs qui tiennent le Cenacle, qui estoit leur eglise ; et depuis quelque temps, lesdicts Turqs leur ont osté par force et en ont fait une à leur mode que nous appelons mousquée.[21] »

Cette prise de possession par les Turcs du tombeau de David et du Cénacle remontait aux premières années du règne de Sultan Suleyman. Je crois utile de faire con naître ici les détails d'une affaire pour la solution de laquelle François Ier fit des démarches personnelles auprès du Grand Seigneur, démarches qu'il fit connaître aux souverains sur l'esprit desquels son alliance avec des infidèles avait produit une fâcheuse impression.

Lorsque la Syrie et la Palestine tombèrent au pouvoir de Sultan Sélim, ce prince ne porta aucune atteinte aux actes des Sultans Mamelouks d'Egypte qui avaient assuré aux religieux latins la possession et la jouissance de certains sanctuaires des Lieux Saints. FràJuan de Calahorra affirme dans son « Histoire chronologique de Syrie et de la Terre Sainte de Jérusalem[22] » qu'un juif s étant présenté au couvent du mont de Sion pour visiter le tombeau de David, fut expulsé par les Pères franciscains. Désireux de se venger de l’affront qu’il avait reçu, ce juif alla trouver un des seyds de Jérusalem et lui représenta que David étant un des prophètes de l'ancien Testament, son tombeau devait se trouver dans les mains des Turcs plutôt que dans celles des Francs qui ne paraissaient pas professer un grand respect pour le roi prophète, car ils marchaient sur sa tête, ayant établi une chapelle du Saint-Esprit au-dessus de la chambre sépulcrale.

L'expulsion des religieux d'un sanctuaire qu'ils occupaient, sans avoir été troublés, depuis une longue suite d'armées, semblait au seyd un fait d'une extrême gravité; il hésitait à provoquer une pareille mesure, lorsque le gardien du couvent commit la faute de le blesser dans son amour propre. Il avait témoigné le désir de recevoir du Père gardien une robe de drap rouge, mais pour ne point paraître recevoir un cadeau, il envoya à celui-ci un chapelet d'ambre et un agneau. Ce présent fut repoussé avec hauteur; cette injure fut vivement ressentie par le seyd qui résolut, dès lors, de faire chasser les religieux de leur couvent du mont de Sion. Pour parvenir à son but, il sollicita, par une consultation juridique, l'avis du mufti de Jérusalem. La réponse qu'il obtint était conforme à ses vues, et aufetva du mufti il joignit le procès-verbal d'une enquête signée par le cadi de Jérusalem et établissant que des personnages musulmans étaient enterrés dans la chambre sépulcrale du roi David.[23] Muni de ces deux pièces, le seyd Mehdy el Hachimy se rendit à Constantinople et obtint un rescrit impérial commandant au cadi et au gouverneur de Jérusalem de convertir, sans délai, le tombeau de David en mosquée. Le gouverneur général de la Syrie, Khourrem Pacha, chargé de l’exécution de cet ordre, se rendit à Jérusalem et fit procéder à l’expulsion du Cénacle des religieux qui eurent toutefois la permission de transporter tous les objets du culte, dans mie maison voisine appelée le Four.

Sur ces entrefaites, le grand vizir Ibrahim Pacha, revenant d'Egypte, était arrivé à Gazza. Le Père gardien ne crut pouvoir mieux faire, dans ces tristes circonstances, que de recourir à son intervention. Il fit partir quelques religieux et le drogman de Terre Sainte pour émouvoir la pitié du favori du Grand Seigneur, « en faveur de pauvres étrangers chassés de leur demeure après une longue et paisible possession. » L’ordre du sultan était formel ; Ibrahim Pacha ne put y contrevenir ; il décida que le Cénacle et le tombeau de David appartiendraient aux Musulmans avec quelques chambres destinées au logement des gardiens et des serviteurs, et que les religieux Latins resteraient en possession du reste des bâtiments.

Ceux-ci n’en jouirent pas longtemps ; Mehdy el Hachimy se plaignit à la Porte que le firman du Sultan n avait pas reçu son exécution ci un nouvel ordre expédié de Constantinople enjoignit au gouverneur de Jérusalem d'expulser les Pères franciscains du couvent du mont de Sion. L’agent de François Ier auprès de la Porte fit tous ses efforts pour faire révoquer cette mesure; ils furent inutiles, et il put seulement obtenir que les religieux conserveraient une petite chambre enivrant sur le Cénacle et dans laquelle ils auraient la liberté de célébrer leurs offices. Cette autorisation fut au bout de quelque temps rendue illusoire, car le gardien du tombeau fit murer la porte, et les pères Latins furent privés de la possibilité d'entrer dans le Cénacle. François Ier, auquel les agents de Charles-Quint reprochaient de sacrifier les intérêts de la chrétienté à ceux de l’Islamisme, tenta une démarche personnelle auprès du Sultan. Il lui écrivit pour le prier de restituer aux religieux de Terre Sainte le sanctuaire et le couvent d'où ils avaient été chassés. Le texte de la lettre de François Ier ne nous a point été conservé, mais nous possédons celui de la réponse de Sultan Suleyman. Ce prince invoque les prescriptions formelles de la loi de l’Islam qui ne permet pas de rendre à des chrétiens des lieux où les Musulmans ont célébré leur culte ; il se borne à donner au roi l'assurance que, sous son règne, les religieux pourront vivre dans les sanctuaires et les couvents où ils sont établis et qu’ils seront autorisés à les réparer.[24]

Les Géorgiens, croyant saisir une occasion favorable, avaient renouvelé leurs prétentions sur le Calvaire et quelques autres Lieux Saints, mais les démarches du bayle de Venise réussirent à entraver ces empiétements.

C'est aussi à cette époque que les Musulmans de Jérusalem et de Bethléem, enhardis par ce premier succès, se mirent à enlever les colonnes et les marbres précieux de différents sanctuaires ainsi que les lames de plomb qui les recouvraient. Il fallut un rescrit impérial provoqué par le bayle de Venise pour arrêter ces dévastations.[25]

Les pèlerins amenés d'Europe par les galères de Venise étaient, pendant leur séjour à Jérusalem, logés dans le couvent du mont de Sion. A la fin de l'armée 1528, le Père gardien fit l'acquisition d'une maison avec une citerne, dans le but d'héberger les pèlerins.

En 1537 les autorités de Jérusalem reçurent de Constantinople l'ordre d'arrêter les Franciscains établis dans le couvent du mont de Sion, le Saint-Sépulcre et l'église de Bethléem. Ils furent d'abord enfermés dans la tour des Pisans, puis transférés à Damas où, pendant trois ans, ils restèrent prisonniers dans le château de cette ville. Ils furent rendus à la liberté sur les instances de François Ier, mais, à leur retour à Jérusalem, ils trouvèrent le couvent du mont de Sion pillé et l'église de Bethléem dévastée par les paysans et les arabes nomades.

Les dix années qui s'écoulèrent de 1537 à 1547 ne furent signalées par aucune nouvelle persécution contre les Franciscains. L'ambassadeur de France et le bayle de Venise avaient obtenu de la Porte un firman qui, tout en accordant aux Musulmans la propriété du tombeau de David et de la sacristie placée au-dessus, assurait au moins aux Franciscains la possession du couvent.

Les choses étaient en cet état lorsque le Père Bonaventure Corseto, custode de la province de Dalmatie, fut élu gardien du couvent du mont de Sion dans le chapitre général tenu au couvent de Portioncula. Quelque temps après son installation, il eut à subir une avanie provoquée par les ulémas de Jérusalem. Une dénonciation envoyée à Constantinople accusait les religieux de cacher dans leur couvent des armes qui, en cas de guerre, devaient être distribuées aux chrétiens; ils avaient élevé, disait-on, des constructions dans l’enceinte du couvent ; ils permettaient l’entrée à des femmes pendant la durée des offices, enfin on reprochait au Père gardien de monter, pour se rendre à Bethphagé, huit jours avant la fête de Pâques, une jument sous les pieds de laquelle les chrétiens étendaient leurs manteaux. Le gouverneur général de la Syrie dut se rendre à Jérusalem pour y faire une enquête sur les faits reprochés aux Latins. Elle eut lieu avec le concours du gouverneur de la ville, du cadi et de quelques membres du clergé musulman. On reconnut que les deux premiers griefs ne reposaient sur aucun fondement, et que pour les troisième et quatrième, on n'avait fait que se conformer à un ancien usage sanctionné par des ordonnances rendues par les Sultans Mamelouks.

Le Grand Seigneur avait pris ses quartiers d'hiver dans le nord de la Syrie ; le Père Bonaventure de Corseto voulut profiter de cette circonstance pour obtenir la confirmation des immunités et des privilèges accordés aux religieux de la Terre Sainte. Il se rendit à Alep et obtint un firman leur confirmant la possession des sanctuaires qui étaient entre leurs mains et enjoignant aux autorités de ne point les troubler dans l'exercice de leur culte.

Pendant l’absence du Père Bonaventure, le gardien du tombeau de David avait convoqué le gouverneur de Jérusalem, le cadi et les descendants du prophète pour leur faire savoir qu'il avait remarqué la présence dans le couvent de certaines personnes suspectes qui, sous les dehors de pèlerins, avisaient aux mesures à prendre pour se rendre maîtres de la ville à main armée. Déplus, les religieux ne cessaient dépasser devant le tombeau de David en prodiguant au roi prophète et aux Musulmans des marques de leur mépris. Une requête relatant ces faits fut adressée à la Porte et on ajouta que, du temps de Khourrem Pacha, le couvent du mont de Sion avait été concédé en totalité aux Musulmans, mais que le gouverneur, le cadi et les autres officiers de justice s'étaient laissé suborner par les présents des religieux et n'avaient point exécuté les ordres qui leur avaient été donnés. Le Père Bonaventure essaya vainement de parer ce nouveau coup. Un firman rendu sous la date du 3 octobre 1549 ordonna l'expulsion immédiate des religieux latins du couvent du mont de Sion. M. d'Aramon, de son côté, avait fait faire pendant son séjour à Jérusalem une contre-enquête et il l'avait adressée au gouverneur de Damas, Piry Pacha, avec une lettre pressante pour obtenir l'annulation du dernier firman et sa radiation des registres du cadi. Le gardien fit accompagner l’ambassadeur par quelques religieux et le drogman de Terre Sainte pour fournir à Constantinople tous les renseignements qui leur seraient demandés. Mais le cadi et les ulémas firent parvenir à la Porte de nouvelles doléances et sur leurs instances, un firman, rendu sous la date du 2 juin 1551, enjoignit aux autorités de Jérusalem de chasser sans rémission les Franciscains du couvent du mont de Sion.

Cette nouvelle produisit dans toute la chrétienté une profonde impression. Le pape Jules III pria Henri II d'intervenir auprès du Sultan, mais celui-ci lui fit répondre qu’il accorderait volontiers au roi tout ce qu’il lui plairait de lui demander, excepté toutefois ce qui était contraire à la loi religieuse. Les démarches du bayle à Constantinople, celles de Luigi Malipiero, consul de Venise en Syrie et les instances du roi Jean III de Portugal n'eurent pas plus de succès. Les religieux habitèrent pendant huit ans la maison appelée « le Four » qu'ils avaient achetée et en 1559, ils purent s'installer dans le couvent du Saint-Sauveur.[26]

D'Aramon avait été chargé par la Cour de demander l'autorisation de faire exporter d'Egypte cinq mille cantars de sel de nitre et d'acheter vingt-cinq chevaux pour le roi.[27] Il reçut, à ce sujet, une réponse dilatoire; cependant le désir de se conformer à ses instructions fut un des principaux motifs de son voyage en Egypte; il n’obtint aucun résultat et se hâta de retourner à Constantinople où le Sultan venait de revenir.

Les événements qui se succédèrent en Hongrie et en Transylvanie, dans le cours de l'année 1550, absorbèrent seuls l’attention des Turcs, et d'Aramon ne cessa de faire ressortir les infractions à la trêve dont le roi de France avait essayé en vain d'empêcher la conclusion,

Au mois de janvier 1551, d’Aramon se rendit en France ; il était chargé par Sultan Suleyman d'informer Henri II que l’expédition maritime qui avait été sollicitée avec tant d'instances était décidée,et que la flotte turque mettrait à la voile au printemps, pour se rendre sur les côtes d'Afrique.[28] Elle sortit de Constantinople au mois de mai 1551, et le 4 juillet, d’Aramon quittait Marseille avec deux galères que le roi lui avait données.[29] Il se dirigea d'abord sur Alger et après y avoir séjourné pendant quelques jours, il gagna Malte. Il y fut bien accueilli par le grand maître D. Juan Omedès et il reprit la mer pour se rendre à Tripoli devant laquelle Sinan Pacha, commandant la flotte turque, venait de paraître. La ville capitula le 14 août, après cinq jours de siège et grâce à son influence, d'Aramon put sauver une partie de la garnison et les chevaliers de Malte qui se trouvaient dans la place, à l'exception toutefois de ceux qui étaient de nationalité espagnole. D’Aramon se résolut, de concert avec Sinan Pacha, à transporter à Malte « cette désolée compagnie. »

Il y fut accueilli avec la plus extrême froideur ; l’entrée du port lui fut refusée pendant la nuit, et lorsqu'il remit au grand maître le gouverneur de Tripoli et les chevaliers échappés au massacre, celui-ci refusa péremptoirement de rendre les trente esclaves turcs que Sinan Pacha réclamait comme rançon des prisonniers chrétiens libérés par lui. Le grand maître imputa même à d'Aramon la reddition de la place et Henri II se crut obligé de démentir lui-même les bruits répandus dans l'Europe entière par les agents de l’Empereur et ceux du grand maître qui ne tarda pas, du reste, à les désavouer.[30] Nous possédons sur les événements qui ont précédé et suivi la prise de Tripoli deux documents d'une haute importance. L'un est la dépêche adressée par d’Aramon à Henri II, sous la date du 26 août 1551, l'autre, le récit de Nicolas de Nicolay qui accompagnait l'ambassadeur.[31]

A la nouvelle de la prise de Tripoli, André Doria se dirigea sur l'archipel avec sept galères, dans l'intention de capturer les deux galères de d'Aramon ; celui-ci put échapper à cette croisière et arriver à Constantinople le 21 septembre 1551. Il fut reçu à son débarquement par le premier drogman de la Porte, Ibrahim bey, qui le félicita sur son heureux retour et, quelques jours après, il faisait connaître lui-même au Sultan tous les détails de la prise de Tripoli.

Sultan Suleyman alla passer l'hiver à Andrinople ; d’Aramon l’y suivit et ne cessa d'insister auprès de ce prince et de ses ministres pour qu'au printemps de l'année suivante, la flotte turque fût envoyée sur les côtes de l'Italie, pendant que les armées ottomanes, secondées par un corps de cinquante mille Tartares, envahiraient la Hongrie.

L'expédition maritime étant décidée par le Sultan, Henri II donna à son ambassadeur l’ordre de suivre Dragut qui commandait les forces ottomanes, « tant pour consulter avec le chef d'icelles de ce qui sera nécessaire à la journée que pour nous tenir adverty des occurrances. »

Codignac fut laissé à Constantinople en qualité de chargé d'affaires et d’Aramon s'embarqua sur sa galère pour suivre l'escadre turque. Le 4 juillet 1552, Reggio était pris et saccagé, et toutes les villes et les villages de la côte auraient subi le même sort si d’Aramon n’eût fait observer qu'ils appartenaient au prince de Salerne devenu serviteur du roi, et qu'ils avaient droit à sa protection. Codignac, de son côté, avait obtenu du Sultan un ordre qui enjoignait à Dragut de respecter les côtes des Etats pontificaux. La flotte turque bloqua étroitement le golfe de Naples, mais le baron de La Garde, dont l'arrivée était annoncée, n'ayant point paru, elle se porta à sa rencontre jusqu'à la hauteur de la Corse, puis elle redescendit vers les îles Ponza et, après y avoir séjourné pendant cinq ou six jours, elle reprit la route de l'Archipel. L’escadre du baron de La Garde, contrariée par des accidents de mer, la rejoignit alors et ï accompagna jusqu'à Chio.[32]

D’Aramon ne semble pas avoir pris une part active aux négociations que le baron de La Garde entama avec la Porte pour arriver à un arrangement des affaires de Transylvanie; le Sultan, qui avait poussé vigoureusement la guerre dans cette province, détachait son attention de l'Europe pour la concentrer sur la Perse et les dissensions qui avaient éclaté entre ses fils. Il se borna à envoyer tardivement sa flotte se joindre à celle des Français et à faire, de concert avec eux, une descente en Corse et l’entreprise du siège de Nice. La campagne contre la Perse était décidée; d'Aramon qui avait, cinq ans auparavant, accompagné le Sultan dans sa stérile expédition, crut devoir retourner en France : sa santé était très ébranlée,[33] et il crut que les services rendus par lui, pendant un séjour de dix ans dans le Levant, seraient récompensés par la restitution de ses biens. Son espoir fut déçu ; il ne conserva que les deux galères que le roi lui avait données et le marquisat des îles d'Hyères dont le comte de Rogendorf lui avait fait don. Il se retira en Provence où il épousa en secondes noces Jeanne Doni, fille de Paul Boni et de Gilette de Damians de Vernègue, et il mourut sans postérité avant l’année 1555, car sa veuve se remaria, le 4 juin de cette même année, avec François de Peruzzi.

D'Aramon avait déployé, pendant son long séjour en Turquie, pour le service de François Ier et de Henri II, une infatigable activité. Son zèle ne se bornait pas à soutenir et à faire triompher les intérêts politiques qui lui étaient confiés, il accordait ses bons offices et sa protection à tous les Français, à tous les partisans du roi et surtout aux savants chargés par le roi et par les cardinaux de Tournon et d'armagnac de missions littéraires dans le Levant. Belon rend témoignage en ces termes de l’accueil qu'il reçut à Constantinople. « Mais les François, particulièrement entre autres nations, trouvent communément meilleur party : car ils sont mieux recueillis de nostre ambassadeur et sont tousiours les mieux venus que ne sont les autres chez leurs ambassadeurs : et aussi que les François se trouvans en estrange pays sçavent supporter les uns les autres et s'aimer mieux que ne font les autres nations. La libéralité de M. d'Aramon, ambassadeur pour le Roy vers le grand Seigneur, donne tesmoignage de ce qu’en avons dit : car il a tant aimé à faire plaisir à ceux de la nation françoise ou qui estoyent du party françois, qu'il n'arriva onc homme à Constantinople, de quelque condition qu'il fust, s adressant à luy, qu’il n’ayt humainement receu et faict traicter en son logis. Sa libéralité se peut aussy prouver par le grand nombre d'esclaves chrestiens qu'il a délivrez de la main des Turcs, à ses propres deniers. Et quand quelques François viennent a Constantinople, outre ce qu'il leur fait donner tout ce qui leur est nécessaire, aussi les fait revestir s'ils n'ont des habillemens. D'avantage, sa maison est ouverte à toutes gens. Et quand un François est ennuyé d'estre en ce pays là, il luy donne de l'argent selon son estat, autant qu'il luy en faut pour retourner en France. Et s'il cognoist qu'il soit de race noble, après l'avoir traicté honorablement comme soy mesme, finablement il luy fait donner montures et autres choses nécessaires. Et comme il ne s'ennuia jamais de la despense qu’il luy ait convenu faire pour l’arrivée des plus grands personnages, tout ainsi, il ne desdaigna jamais défaire plaisir aux plus petits compagnons. Et l'ayant expérimenté en nostre endroict, serions dignes d'estre nommez ingras si n’en rendions tesmoignage; car nous sommes asseurez qu’il n'y a homme qui nous sçache contredire d'un seul mot de tout ce qu'en avons dit, s’il n’estoit inique et qu'il ne refusast d'accorder à la vérité.[34] »

Pierre Gilles, protégé par le cardinal d'Armagnac, avait été chargé par les rois François Ier et Henri II de rechercher et d'acquérir des manuscrits grecs et des objets antiques. « Me Pierre Gillius, dit de Nicolay dans la préface de son livre, lequel par ses doctes escrits mis en lumière puis son trépas à Rome, nous laisse part de ses labeurs, voire du fruict de ses longues et laborieuses pérégrinations qu'il a faictes en l'espace de huit à neuf ans sous la conduicte et faveur des roys très chrestiens, François premier et Henri second, et de leur ambassadeur le sieur d’Aramon es parties orientales de Grèce, Turcquie, Surye, Iudée, Palestine, Egipte, Arabie, Armenie et Assyrie jusqu'au royaume de Perse en la royalle cité de Thauris en laquelle il pénétra avec l'armée du Grand Turc. » C'est grâce à la protection de M. d'Aramon que Pierre Gilles put faire, en toute sécurité, ses recherches archéologiques à Constantinople, sur les rives du Bosphore et les côtes de la Bythinie et rassembler les matériaux qui lui servirent pour composer sa TopographiaConstantinopoleos et son De Bosporo Thracio. Pierre Gilles accompagna M. d’Aramon en Asie Mineure, en Perse, en Syrie et en Egypte. Il perdit ses bagages, ses livres et ses papiers pendant le désordre qui signala le passage de l'armée turque à travers le défilé près de Bitlis.[35] Arrivé à Alep, Pierre Gilles fit parvenir au cardinal d'Armagnac la lettre dans laquelle il lui donne la description de l'éléphant disséqué par ses soins. Dans une autre lettre datée d'Alexandrie, il lui annonce ï envoi de peaux d'éléphant et d'hippopotame, d'une peau de girafe, d'une queue de yak qu'il appelle nos indiens, d'un ichneumon et de cages renfermant des rats d'Arabie et d'Egypte; tous ces objets et ces animaux avaient été confiés par lui à des négociants de Marseille qui s'étaient chargés de les faire transporter en France.[36]

André Thevet, qui avait déjà fait paraître sa Cosmographie de Levant,[37] parcourait aussi à cette époque les provinces de l'Empire ottoman et recueillait les renseignements qu'il devait insérer plus tard dans sa Cosmographie universelle.

Guillaume Postel, dont Chesneau mentionne les démêlés avec Pierre Gilles, avait fait un premier voyage dans le Levant et Nicolas de Nicolay lui consacre les lignes suivantes.

« Entre lesquels (sçavants) a esté des premiers Me Guillaume Postel, lequel ayant par sa diligence acquis cognoissance de la langue latine, hébraïque, chaldaïque, syriaque, grecque et arabicque, outre quelques-unes principales en l’Occident, envoyé ès parties orientales avec le sieur de la Forest par ordonnance du grand roy François premier du nom, là où oultre les charges à luy commises apporta à Paris plusieurs livres de la langue arabicque, tant en mathematicques et médecine comme en philosophie et autres disciplines pour enrichir le pais de sa naissance. Depuis, non content du public profit de son premier voyage, esmeu d'un zele de plus parfaictement aider au public, voulut pour la seconde fois aller aux orientales parties de nostre habitation gallicane pour principallement apporter en ces pais icy les livres des Saintes Escriptures en la langue arabicque et davantage (comme de luy ai sceu), a recouvert et rapporté en nos parties occidentales les histoires de Giafer Persien contenant huit cens ans des faits Ismaïlitiques et la cosmographie de Abil Fedeas, prince mesopotamien qui toute l'orientale partie d'Asie a descrit par ses longitudes ainsi comme Ptolemée qui est un bien à nostre latine habitation inestimable; et sont les exemplaires avec plusieurs autres autheurs escrits en la dicte langue arabicque (ainsi que le dict Postel m'a luy mesme asseuré) en la bibliotheque du duc de Bavière Otto Heinrich auquel il les engagea pour deux cens escus en 1549. »

La lecture de l’ouvrage que Postel a consacré à la République des Turcs nous fournit la preuve que c'est surtout pendant son séjour auprès de M. d'Aramon qu'il recueillit les renseignements consignés dans sa Tierce partie des Orientales histoires.

Nicolas de Nicolay, Dauphinois, seigneur d'Arfeville, valet de chambre et géographe du Roi, qui fit partie de la dernière mission de M. d'Aramon avait commencé à voyager à l'âge de vingt-cinq ans. Il avait accompagné M. Dandoin au siège de Perpignan et parcouru pendant quinze ans l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Livonie, la Zélande, la Gothie, la Prusse, l'Angleterre, l'Ecosse, l'Espagne et la Barbarie. Il publia, après son retour du. Levant, les Navigations, pérégrinations et voyages faits en la Turquie, avec soixante figures au naturel. La première édition de cet ouvrage parut en 1567 à Lyon, chez Roville.

Ce livre obtint dès son apparition le plus grand succès; des traductions en furent faites dans presque toutes les langues de l'Europe, et les charmantes figures qui ornent cet ouvrage ont été maintes fois copiées pour illustrer les publications relatives aux peuples de l'Orient. Tous ces auteurs que je viens de citer rendent hommage à la sollicitude dont ils ont été l'objet de la part de M. d’Aramon et leurs éloges sont aujourd'hui pour celui-ci le titre le plus sérieux à la reconnaissance de la postérité.

Je n'ai pu réunir que peu de détails sur la personne de Jean Chesneau[38] dont la famille était originaire de l'élection de Saint-Jean-d’Angély.

Bien que Chesneau ait été pendant quelque temps accrédité auprès de la Porte en qualité de chargé d'affaires, il semble avoir rempli auprès de M. d’Aramon les fonctions d'intendant plutôt que celles de secrétaire. Lorsque cet ambassadeur eut quitté définitivement Constantinople, Chesneau ne put s'accommoder avec de Codignac qui supportait malaisément la présence des gens qui avaient servi son prédécesseur. Il nous fait savoir que M. d’Aramon, retiré en Provence, l'avait invité à se rendre auprès de lui. Il partit donc de Constantinople, se rendit à Venise où il apprit l'insuccès des démarches tentées par son ancien chef et de cette ville, il gagna Ferrare où se trouvait alors le chevalier de Seure, chargé par Henri II d'une mission auprès de Renée de France et qui avait autrefois commandé une des galères mises à la disposition de M. d’Aramon. Sur sa recommandation, cette princesse admit Chesneau dans sa maison en qualité de contrôleur et elle lui donna plus tard « l'estat de maistre d'hôtel ». Chesneau résida à Ferrare jusqu'à l'époque de la mort d'Hercule d'Este (1559). Il suivit en France la duchesse de Ferrare, et dans l'acte de son mariage avec Louise de Castris, fille de Robert de Castris, seigneur de Ranpar et de Courcenay, dressé à Montargis le 26 juin 1570, nous le trouvons qualifié ainsi : Jean Chesneau, escuyer, seigneur de la Regnardière, premier maistre d'hôtel de S. A. R. et intendant des finances de Madame Renée de France, douairière de Ferrare, duchesse de Chartres, comtesse de Gisors et dame de Montargis. Enfin, en juin 1573, noble seigneur messire Jehan de Chesneau, chevalier de l'ordre du Roi, seigneur de Clerbaudière et de Mez-le-Maréchal, maître d'hôtel et conseiller ordinaire en la maison de Madame la duchesse de Ferrare, assiste, à Montargis, au baptême d'un enfant avec messire Michel Le Clerc, chevalier de l'ordre du Roi, maître d'hôtel et conseiller ordinaire de la duchesse.

Chesneau eut un frère, François Chesneau, écuyer, seigneur du Vivier, qui fut maître des requêtes de Renée de France ; cette princesse fut la marraine d'un fils issu de son mariage avec Diane du Gueret, fille de Jean du Gueret, seigneur de Bourdebure à Montargis. Cet enfant fut, le 7 mars 1575, porté bar ordre de la duchesse sur la liste des « pensionnaires ordinaires entretenus, es escoles, destiné et ordonné pour nostre service ordinaire actuel. »

Les armes de Jean Chesneau étaient d'argent à trois chiens de sable, deux et un, au chef cousu d'or à une croix de Jérusalem de gueules.

Chesneau écrivit sa relation après son retour en France et, ainsi qu'il nous le dit lui-même, pendant les premières années du règne de Sultan Selim II qui succéda, en 1566, à son père Sultan Suleyman. Les exemplaires manuscrits en sont assez nombreux; la Bibliothèque Nationale en possède cinq, et on en conserve un à la Bibliothèque de l'Arsenal. C'est celui-ci qui m’a fourni le texte que je publie aujourd'hui.

Léon Ménard a mis le voyage de M. d’Aramon en tête du recueil intitulé : Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France. Les notes placées à la fin de cette relation sont, pour la plupart, insuffisantes ou erronées. Les noms de lieux donnés par Chesneau sont horriblement défigurés, et Ménard n'a pas su les rectifier. J'ai entrepris la tâche de les rétablir dans cette nouvelle édition.

M. Taschereau a inséré, en 1838, dans le tome XIX (pages 341-371) de la Revue rétrospective la relation du voyage de M. d'Aramon, sans y joindre aucune note, ni aucun éclaircissement. Enfin M. Charrière a donné, dans le tome second des Négociations de la France dans le Levant, de nombreux extraits du récit de Chesneau pour élucider et compléter le texte de certaines dépêches.

M. Vivien de Saint-Martin a consacré quelques lignes à Chesneau dans sa Description historique et géographique de l'Asie Mineure. Cette analyse très succincte n’est point exempte d'inexactitudes et après avoir indiqué en quatre lignes la route suivie par M. d'Aramon, depuis son départ de Scutari jusqu'à son retour à Constantinople, M. Vivien de Saint-Martin déclare que « ce double itinéraire est sans directions ni distances entre les stations, outre que les noms y sont outrageusement défigurés. »

Cette dernière assertion est parfaitement justifiée.[39]

Le récit du voyage de Chesneau à travers l’Asie Mineure me paraît mériter d'autant plus d'intérêt que la route de Scutari à Erzeroum a été suivie par un très petit nombre de voyageurs, et que Chesneau seul note avec quelques détails les ruines des monuments antiques qu’il remarqua sur son passage.


 

 

 

VOYAGEDE MONSIEUR D'ARAMON

AMBASSADEUR POUR LE ROY EN LEVANT

FAICT DE PARIS A CONSTANTINOPLE L'AN 1547

 

 

ME retrouvant à la cour à Folembray[40] prèz Coussy au mois de décembre 1546, j'entendis que le Roy renvoyoit M. d'Aramon son ambassadeur prèz le Grand Seigneur à Constantinople, et désireux de faire tel voyage, je taschay par moyens que Dieu me donna et de mes amys, d'entrer à son service ; lequel m'accepta volontiers et me retint pour l'un de ses secrétaires. Et aprèz avoir eu son expédition du Roy, s'en vint à Paris pour s'equipper; et y séjourna environ huict ou dix jours.

Nous en partismes la vigile des Roys 1547, prenans nostre chemin à Lion; auquel lieu sejournasmes quatre ou cinq jours, et delogeasmes le 19 du mesme de janvier; vinsmes à Genève, Locerne, Coyre et aultres villes des Suisses et Grisons que je ne spécifie ny ne m'y arreste aultrement, pour estre pays frequentéz et chemins connus de beaucoup de gens et mesmes des François, comme aussy est celuy des Vénitiens par où passasmes à sçavoir Pizone, Izay, Bresse, Luna, Pesaire, Virane,[41] Vicence, Padoue et Venize.

Venize, la plus belle et forte ville et plus riche et plus abondante en marchandises que nulle autre cité d'Italie, située dans la mer, est fort bien bastie ; et y a de plus beaux et magnifiques palais et autres sumptueux édifices qu'il est possible de voir. L'on l'estime à huit milles de circuit qui sont quatre lieues à deux milles pour lieue. Toutesfois, autour d'icelle il n'y a point de murailles, mais de l'eaue seulement ; et n'en sçauroit on approcher sans passer par certains destroits de mer où y a chasteaux qui la rendent forte et imprenable. L'on va par toutes les maisons aussy bien par eaue, par certains canaulx, que par terre. Au moyen de quoy, il y a bien quatre cent petits ponts et huit mil gondoles. Il y a soixante et douze parroisses et huit monastères de moynes, vingt et quatre de nonnains et une eglise de Grecs où y a un patriarche; vingt mil feus et trois mil gentilshommes.

Il y a un certain lieu où se tiennent les Juifs, qu'on appelle Guette[42]; et y a quelques Turcs, force Allemans et toutes autres sortes de nations de gens qu'on sçauroit dire.[43] Nous y vismes toutes les choses plus exquises qu'y sont, comme le tresaur de Saint Marc, l'Arsenal où sont les galères et autres vaisseaux de mer, artilleries et grande quantité de toutes sortes d'armes nécessaires pour le fait de la guerre et deffence de leur ville. Nous fusmes à Moran où se font les plus beaux verres du monde et toute aultre sorte de mesnage de verre qu'on sçauroit trouver.[44]

Ladicte ville fut commencée à ediffier l'an 456, par les guerres et ruines que fit Atila au païs d'Italie et cité d'Aquilée. Nous y demeurasmes environ quinze jours en temps de carnaval, et tous les jours se faisaient lestes, comédies, masques, bancquets et autres passe temps, en sorte qu'il ne nous y ennuya point. M. de Morvilliers y estoit lors résident ambassadeur pour le roy.[45]

Je ne veux oublier ce que j'y vis faire un Turc qui monta sur le clocher de Saint-Marc qu'un chascun sçait estre le plus hault d'Italie, cheminant droit avec un contrepoids à la main sur une corde, laquelle estoit tendue du lieu où sont les cloches, à vingt brasses de large dans le grand canal de mer qui est prèz de Saint Georges. Et depuis qu'il fut monté tout au hault dudict clocher, se fit lier par les cheveux à ladicte corde, à laquelle estant pendu, vint légèrement (battant toujours les mains) au lieu où il commença monter.

Nous en partismes jeudi sur le soir, second jour de caresme, 24 febvrier et montasmes sur mer dans trois galères de forçats que la Seigneurie presta audict sieur ambassadeur, pour l'asseurance de son passage jusques à Ragouze. Le capitaine s'appelait maistre Christofle Canal. Nous passasmes le golfe de Trieste et vinsmes à Parance[46] distant de Venize de cent milles; et à dix ou douze milles de là, descendismes en terre et fusmes à une ville qui estoit à deux ou trois milles loing desdictes galères, nommée Paule,[47] païs d'Istrie où vismes des choses fort anticques, entre aultres, il y avoit grande quantité de tombeaux soubs lesquels avoient esté trouvez, au temps passé, de grands tresaurs et richesses, ainsy que les gens dudict lieu nous dirent, et y a quelques apparences d'eglises, cloestres et aultres monastères. Et d'un et d'aultre costé, se voyent des arènes et théâtres, non moins grandes et belles que celles de Nismes, toutesfois faictes d'une aultre façon et les murailles plus haultes. L'on nous dit que c'estoient édifices des Romains. Le païs est fort pauvre; et n'y a pas grand peuple dans ladicte ville qui est presque ruinée.

Le lundy suivant, arrivasmes à l'isle de Jare païs d'Esclavonie où il y a un beau bastillon vers la porte (ou le port) en allant à une chapelle de la Madone ou Nostre-Dame, dans laquelle il y a quantité de vœux de gens qui vont sur mer. La ville est assez grande et bien fermée de murailles; nous y demeurasmes parce que avions vent contraire.[48]

De là vinsmes à Sebenico située en terre ferme qui est une aultre belle ville forte; et n'y sçauroit on entrer sinon par un destroit où il y a deux chasteaux, l'un d'un costé et l'autre de l'aultre[49] ; et au dessus de ladicte ville, sur une aultre montagne, il y a un aultre chasteau. Et au commencement du destroit, il y a une petite isle où il y a une place qu'on appelle le Chastel, que les Vénitiens ont fait faire, qui est une chose merveilleusement forte à ce qu'on dit. Et a esté faicte parce que la ville de Sebenico ne vouloit s'assujetir ausdicts Vénitiens; maintenant, ne sçauroient sortir ny entrer, s'ilz vouloient faire les mauvais.

Au partir de là, fusmes à Lezina, ville assez belle au-dessus de laquelle sur la montagne, il y a un chasteau fort.[50] C'est une isle qui contient environ cent milles de tour; passasmes prèz d'une aultre isle appellée Coursola,[51] et puis arrivasmes à Ragouze en Dalmatie, petite ville, neantmoins asses riche, située sur le bord de la mer, où il y a un petit port. Elle est gouvernée en republique et, de trois mois en trois mois, changent de duc. Ilz payent tribut, tous les ans, douze mil ducats au Grand Seigneur.[52] L'on nous y fit fort bonne chère et bon traittement et les sieurs dudict lieu sont honnestes et gracieux, vestus à la façon des Vénitiens. Nous y sejournasmes environ cinq jours pour nous desbarquer desdictes galères et trouver les chevaux qui nous estoient nécessaires, tant pour nous monter que pour porter nostre bagage qui estoit grand, et en partismes le treziesme jour de mars audit an 1547, et vinsmes coucher à Trebing près le fleuve Trebigne.[53]

De là à Serniche pais de Bulgarie,[54] et cheminasmes par des montagnes les plus rudes et arides qu'il est possible. Puis vinsmes à Cochia,[55] païs de la Servie, qui est une ville à la Turcquesque assès marchande où il y a ordinairement un sanghiac qui veut dire gouverneur ou capitaine; et nul ne sort de ce païs là pour venir en Italie sans congé et passeport. Aprèz arrivasmes à Pleonie,[56] village de chrestiens. Les maisons sont toutes de bois. Et passasmes par un assez beau village appelle Prepouille.[57] Passasmes près d'un monastere appelle Santa Sava où il y a plusieurs moines qui vivent à la grecque, et s'appellent caloyeri et monstrent le corps de Santa Sava aux passants.[58] Les Turcs l'ont en révérence et y font des aumosnes, et prèz de là, y a un petit chasteau nommé Mieles,[59] et couchasmes au village joingnant iceluy. Apréz, vinsmes à Novabazars[60] ville non fermée, assez marchande, où demeurasmes un jour pour changer de chevaux. Au partir de là, passasmes le mont d'Argent qui est fort hault et fascheux. On y tire ordinairement de l'argent qui vaut un tresgrand revenu au Grand Seigneur. Vismes à costé la ville de Nisse anciennement bonne ville et aujourd'hui reduicte à un village[61]: passasmes la rivière Morava. La pluspart des lemmes de ce pais portent les cheveux coupez et autres les portent longs et un chapeau sur leur teste faict de drapeaux, sans aucune forme ne façon. Elles ont pendues des patenostres de verre et quelques pièces d'arpent et anneaux aux oreilles semblablement. Et quant leurs marys ou leurs parens meurent, elles s'arrachent les cheveux et s'egratignent le visage avec des cris les plus estranges qu'il est possible d'ouïr. Les Grecques, en beaucoup d'endroictz, font le semblable, et croy que c'est plus par une ancienne coustume ou par hypocrysie que pour regret qu'elles ayent.

Puis arrivasmes Mallessiche,[62] grand village prèz la ville de Sophie[63] dans laquelle nous ne logeasmes, parce que la peste y estoit. Elle est située en une belle plaine et assez fertille. Vinsmes à Basarchic[64] et Congnusse[65] grands villages, puis à Philipopuly, ville bastie par Philippe de Macédoine père d'Alexandre le Grand[66] : elle est située en une fort belle et grande plaine, partie sur une montagne de rocher et l'autre partie en ladicte plaine. On passe un fleuve qui s'appelle Marissa[67] sur lequel y a un grand pont de bois; et en ladicte plaine, on void plusieurs monceaux de terre faictz en façon de petites montagnes. L'on nous dit qu'anciennement les Romains s'estoient donnez en ceste campagne des batailles où il estoit mort grand nombre de gens, lesquels on avoit mis dans des fosses et couvert de ces monceaux ainsy haultz. Finallement, le sixiesme jour d'avril, arrivasmes à Andrenople en Trace; et paravant, avions passé le fleuve Marissa sur un fort beau pont de pierre appelle le pont Moustapha qui a dix-huit ou vingt arches; et au milieu, y a une grande pierre dorée où sont engravéz characteres turquesques qui dénotent le temps qu'il fut faict et celuy qui l'a faict faire et la despense qu'il a cousté.[68]

Andrenople est une fort grande ville et s'appelloit anciennement Adrianopolis située sur le fleuve Marissa en une belle plaine. Nous y trouvasmes le Grand Seigneur appelle Sultan Soliman, lequel communément y passoit tous les ans l'hyver, et y a un fort beau palais où il loge. L'on y void encore plusieurs anciennes eglises de Grecqs et autres qu'on appelle calogiery. Elle est habitée de Turcqs, Grecqs et Juifs, assés bien bastie, et rentermée de murailles; et y a de belles maisons, boutiques et artisans de toutes sortes et jardins fort beaux et plaisans hors la ville, dans lesquels nous allions souvent manger sallades, tant que nous voulions, avec toute la hberté qu'il est possible; et d'un jardin l'on entre dans l'autre, parce qu'il n'y a haye ne muraille entre deux, sinon à l'endroict des chemins passans. Et à chascun jardin y a une grande rhoüe de bois tournée par un cheval qui n'est conduict de nulle personne, mais a seulement un morceau de drap ou toille devant les yeux, qui tire de l'eau d'une grande fausse dans laquelle se trouve ladicte rhoüe et icelle eaue s'espand par les jardins ainsy que l'on veult. En cette dicte ville l'on y accoustre fort bien les cuirs et cordouans de toutes couleurs.[69]

Quelque peu de jours aprèz nostre arrivée audict lieu, nous eusmes la nouvelle de la mort du roy François premier,[70] dont l'ambassadeur fut fort fasché, parce qu'il n'avoit encore veu ledict Grand Seigneur, ny faict le présent, et différa jusques à ce que il eust lettre du roy Henry que un secrétaire nommé Valenciennes luy aporta. Alors il se délibéra d'aller vers ledict Grand Seigneur, au palais duquel il fut conduict, luy baisa les mains avec douze de ses gentilhommes et luy présenta de la part du Roy, un grand orloge faict à Lyon où y avoit une fontaine qui tiroit par l'espace de douze heures de l'eau qu'on y mettoit, qui cstoit un chef d'œuvre et de hault pris, avec tant de draps d'or et d'argent, toilles d'Hollande, veloux, satin et damas de toutes couleurs et draps d'escarlate de Paris, que c'estoit une fort belle chose ; et le présent estoit de grand valeur et estimé beaucoup. Apréz, il n'y eut bassa ne officier de qualité dudict Grand Seigneur à qui ledict ambassadeur ne fit présent. En sorte que nous fusmes les bienvenus puisque nous donnions. Et pendant que l'on portoit le présent audict Grand Turq, ses maistres d'hostel et autres officiers de sa maison nous voulurent festoyer et préparèrent des tables à leur mode au lieu mesme où nous estions; à sçavoir mirent des tapis par terre sur lesquels aporterent de grands platz comme bassins plains de viandes bouillies et friteaux de paste, le tout sentant bien la vieille gresse. Nous nous baissasmes à terre pour en taster, mais nous n y fismes pas grand dommage; aussy qu'il n'y avoit que de l'eau à boire. Parquoy, bientost fusmes rassasiez de leur banquet qui ne nous empescha pas de disner; et fusmes desservis desdictes viandes par certains genissaires et Agiamolans qui les portèrent au milieu de la cour sur l'herbe où vous ne vistes jamais mieux manger loup affamez que ceux là mangeoient.

Nous sejournasmes audit Andrenople jusques à ce que ledict Grand Seigneur en partist pour venir en Constantinople : et par les chemins, passasmes plusieurs gros villages, les uns habitez de Turqs et les autres de Greqs. Vinsmes à Salivrée, cité ancienne assize sur la marine,[71] puis à un village qu'on appelé Grand Pont,[72] et en un autre qu'on nomme Petit Pont[73] à dix milles dudict Constantinople, où finallement nous arrivasmes le 14ejour de may 1547, et vinsmes loger par delà le port, en une petite ville qu'on appelle Fera ou Gallatas où tous marchands chrestiens demeurent.

Au moys de juillet ensuyvant, le sieur Fumel vint audict Constantinople, depesché du roy Henry pour renouveller et confirmer l'alliance et amitié de la part de Sa Majesté avec le Grand Turq. M. Dhuyson y vint aussy pendant que ledict sieur de Fumel y estoit. Lequel Fumel, aprèz avoir faict sa légation, fit une depesché au Roy pour luy rendre compte de la charge que Sa Majesté luy avoit commise, de laquelle il estoit porteur et messager. Un orloger François qui se tenoit audict Constantinople nommé maistre Guillaume l'orloger, qui racoustroit les orloges dudict Grand Turq et estoit sallarié de luy, mourut à Venise venant à la court. Or, ledict sieur de Fumel s'attendoit, par son moyen, de lever le siège à M. d'Aramon et d'estre ambassadeur. Pour le moins avoit il proposé de ne s'en retourner en France que son dict messager ne fut de retour à Constantinople. Cependant, il fit le voyage de Jérusalem, du Caire et Alexandrie où il alla par mer et y demeura environ quatre moys tant à aller que à retourner.[74] Pendant lequel temps, ledict sieur Dhuyson estant relevé d'une grande maladie s'en retourna en France.[75]

Sur ces entrefaittes, advint la fuitte du comte de Roguendolff[76] qui s'estoit retiré vers le Grand Turcq, y avoit environ un an ; il s'estoit rendu son esclave, esperant par ce moyen se vanger du tort et honte que luy avoit faict l'empereur Charles Quint. Mais la chose ne luy advint pas comme il s'estoit proposé ; car il n'eut pas le traictement, l'entrée ny le crédit prèz le Grand Turq qu'il esperoit d'avoir. Et neantmoins, ne laissa de consommer et despenser tout l'or et l'argent qu'il avoit porté, tant en presentz que en grandeur de maison qu'il y tenoit; et s'estoit desnué en peu de temps de tous moyens, n'y pouvant plus vivre ne s'entretenir de deux ducatz qu'il avoit par jour dudict Grand Turq. Joinct aussy qu'on le sollicitoit et persuadoit de se faire turq, et que s'il estoit turq, ledict Grand Seigneur le feroit l'un de ses grands capitaines, voire plus grand que n'avoit esté Loys Gritty filz bastard d'un duc de Venise[77] et que autrement le Grand Seigneur ne se pouvoit assurer de luy, ne luy bailler aucune charge. Or, se voyant d'un costé ainsy ledict comte travaillé de l'esprit, et de l'autre qu'il ne pouvoit espérer aucun advancement en ce pais là, se délibéra d'en partir le plus secrettement qu'il pourroit. Ce qu'il fit, luy troisiesme ; emmena deux serviteurs seulement avec luy, l'un flamand, l'autre grec qui sçavoient parler turq et italien et le servirent de truchement. S'embarqua de nuict dans une petite barque sans le sceu de nul autre de ses gens qui, au réveil, furent bien estonnéz, quand ils se veirent sans maistre qui s'en estoit allé et on se peut dire enfui.

Ladicte barque passa de nuict le destroict de Gallipoly et vint sans aucun danger jusques à Chyos d'où estoit son homme grecq qui estoit avec luy, par le moyen duquel il trouva une barque plus grande et plus commode que celle sur laquelle il s'estoit premièrement embarqué; ne fit long séjour audict lieu, craignant d'estre descouvert et voulant gaigner l'isle de Candie où il esperoit, y arrivant, estre en sûreté. Estant prèz d'icelle, fut rencontré et assailly par un corsaire turq qui print luy et ses deux hommes, le recogneut et voyant qu'il n'avoit passeport dudict Grand Turq, se doubta qu'il eust faict quelque crime ou delict. Pour cette cause, le ramena bien lié et enchesné audict Constantinople où tous les Turqs s'en resjouirent.

Le comte fut mis aux Sept Tours prisonnier et ses deux hommes en une tour sur le port dudict lieu, de quoy estant adverty, l'ambassadeur pria ledict Grand Seigneur permettre de l'envoyer voir et visiter par des siens, ce qui luy fut accordé; lui envoya des accoustrements et, tous les jours, luy envoyoit ce qui lui estoit besoing pour sa nourriture et pendant sa prison où il fut environ quatre mois.

Ledict ambassadeur qui, en cet endroit, luy servit de père fit tant par ses menées, pratiques et presens avec le consentement du Roy qu'il obtint sa délivrance et liberté dont il fut grandement loué et estimé d'un chacun; et sans sa diligence et poursuitte, ledict comte n'en fut jamais sorty sans mort ou quelque autre peine et tourment et prison perpétuelle, ni pareillement ses dictz deux hommes qui furent aussy mis en liberté.

De là, il s'en vint en France au service de Sa Majesté où il a esté honoré et révéré ainsy que l’on a peu voir.

Or, pendant nostre séjour et demeure en cedict lieu, j'eus tout loisir de voir et m'enquerir des choses les plus singulieres et notables qui y estoient que je desduiray icy le plus briefvement qu'il me sera possible.

Premièrement, Constantinople est ville située en la Tracye, qui anciennement estoit apellée Bysantium, et après Roma nova, depuis Constantinople du nom du premier empereur Constantin; elle a environ quatorze ou quinze milles de tour et vingt deux portes; et a sept petites montagnes comme Rome. Et du costé de la terre, est environnée de deux murailles non trop bonnes et d'une faulse brave. Les maisons sont faictes à la turquesque, c'est à dire de bois et de brique mal cuicte. Il y en a peu de pierres; et d'un costé, y a plusieurs lieux vacgues et inhabitéz où croissent cyprez et autres arbres.

Des bastimentz les plus apparentz et renommez est en premier lieu le palais du Grand Seigneur qu'ilz apellent le sérail, contenant environ trois milles de circuit, fermé de hautes murailles où y a onze portes de fer qui ne s'ouvrent jamais. La capitale porte est du costé du haut de la ville qui ordinairement est ouverte et une autre du costé du port de la mer qui s'ouvre quelquefois, quand le Grand Seigneur va à l'esbat en ses jardins qui sont espartz en plusieurs endroictz de la rive de la mer.

Ledict sérail est merveilleusement beau et y ont esté portées de grosses pierres de marbre de toutes couleurs, porphyre, colonnes et autres choses singulieres tant de la ville de Constantinople, Calcydoine, que des environs de toute la Grèce et de l'Asie pour le bastir. L'on n'entre pas dedans les chambres ne au reste du bastiment, sinon à la grande cour et à quelques galleries etsalles basses où l'on donne audience quatre fois la sepmaine. Mais de ce lieu on peut extérieurement cognoistre que c'est un magnificque édifice.[78] Aprèz, il y a le sérail des femmes du Seigneur[79] le serail des genissaires, le palais du patriarche,[80] le palais de Constantin l'empereur qui est en partie tout ruyné[81]; aussy l'eglise de Saincte Sophie qui est chose belle et de merveilleux artifice, laquelle a esté ediffiée par Justinian empereur, avec colonnes et marbres très anticques et excellens et magnificques, tant pour la qualité de la pierre que pour la grandeur et grosseur d'icelles. D'une partie des despendances. de cet ediffice, le Grand Seigneur a fait estables pour ses escuries, pour ce qu'il est fort voisin et prèz de son sérail, et de ladicte eglise en ont faict une mousquée qui est eglise des Turqs, où y a encore cent six colonnes tort belles. Les voustes et cuves sont toutes flùctes à mosaïcques. A l'entour de l'eglise y a eschelles en plusieurs lieux par où l'on va en un territoire ou gallerie, large de plus de quinze ou seize brasses. Et en ce lieu soulloient monter les femmes, au temps que se faisoit quelque service en l'eglise, et les hommes estoient au bas dedans l'eglise, en sorte que les hommes ne voyoient point les femmes, ne les femmes les hommes, qui est mauvaise recepte pour ceux qui font l'amour aux eglises.[82] Et auprèz de là, est la mosquée qu'a fait bastir sultan Mehemet, où y a un hospital conjoinct où logent toutes personnes de toutes conditions, loy, foy, nation que ce soit et où l'on donne pour trois jours, miel, ris, chair, pain et chambre pouf dormir, qui est la cause pourquoy il se void peu de pauvres par les rues mandier leur pain, et ne s'y void que quelques impotens. Y a aussi beaux bains et fontaines plaisantes à voir.[83] L'on void plusieurs autres mosquées comme de Sultan Selin,[84] Sultan Bajazet[85] et autres seigneurs qui sont merveilleusement belles, magnificques et sumptueuses. Et celle qu a faict faire Sultan Soliman est encore plus belle et apparente que nulle des autres.[86] Ce qui demonstre que si les Turqs vouloient bastir des palais et maisons, ils le sçauroient bien faire ; mais ils ont pour mal d'habiter en maisons de pierres : et pourtant n'en usent aucunement sinon aux eglises et sérail dudict Grand Seigneur ; et toutes leurs mais ons sont fort basses, faictes de terre ou de bois, et ce generallement par toute la Turquie.

L'on void audict Constantinople l'hipodrome où anciennement on faisoit courir les chevaux, avec la forme de théâtre et arène. Au milieu dudict hipodrome, y a une grande colonne faicte en forme d'aiguille fort belle et bien lavorée, laquelle est soustenue sur quatre balles de marbre; et y en a une autre faicte de pierres vifves, commise de telle sorte qu'elle est élevée plus de cinquante brasses en minuisant tousiours. Davantage, l'on void une colonne de bronze en forme de serpent avec trois testes.[87]

Aussy y a une machine comme un colosse de divers marbres et beaux en laquelle est entaillée une grande histoire des susdictes choses et autres qui jadis souloient estre au théâtre et hipodrome. Et en un autre endroit de la ville, y a une autre colonne de marbre blanc fort haute et belle, qu'on apelle la colonne historiée aprochante de celle de Rome.[88]

L'on void par toute la ville plusieurs vestiges d'antiquitez comme aqueductz, arches, colonnes de porphire, fontaines menées de fleuves circonvoisins : plusieurs jardins aux maisons des grands seigneurs, apparences et vestiges d'eglises anciennes des Grecqs, bains en grande quantité, les plus beaux qu'il est possible de voir et autres lieux plaisans, fructueux et délectables. Le Grand Seigneur y a constitué son siège impérial et ordinairement y tient sa cour et résidence. La ville est habitée principallement de Turqs, puis de Juifs infinis, c'est assavoir de marans qui ont esté chassez d'Espagne, Portugal et Allemagne, lesquels ont enseigné aux Turqs tout artifice de main ; et la pluspart des boutiques sont des Juifs; aussy y a force Greqs du pays et plusieurs chrestiens marchands estrangers qui traffiquent par tout le pays du Levant, c'est assavoir Vénitiens, Florentins, Ragusois, Sciotz, bien peu de François et plusieurs autres, lesquelz habitent tous en une petite ville qu'ilz apellent Gallatas dicte Pera loing de Constantinople environ de deux traictz d'arc ; et au milieu, passe un grand canal de la mer qui est le port de Constantinople estimé le plus grand, le plus seur, le plus beau et le plus aisé qui soit au monde, où arrivent navires, galères, marcellianes[89] et tous autres gros vaisseaux qui viennent tant de la mer Major que de la mer de Ponent; et abordent contre le lieu mesme où l’on descend sa marchandise que l'on apelle la douane; et n'y a sinon qu'une planche de bois pour entrer dans lesdictz vaisseaux, tant du costé de Constantinople que de Pera. Les Turqs descendent leurs marchandises à la douane de Constantinople et les chrestiens à celle de Pera.

Audict Constantinople y a un monastère où se tiennent le patriarche grec et des moynes, lesquels s'apellent calogiroy qui veut dire bons hommes qui ne mangent jamais chair.

Ledict patriarche paye, pour chascun an, trois mil ducatz au Grand Seigneur et a d'autres petites eglises où y a certains prestres grecz qui sont mariez. Mais en leur eglise n'y a point d'images relevées, ny en bosse, mais seulement en peinture.

Et en la ville de Peyra y a un couvent de cordeliers et un autre de jacobins à la façon de ceux d'Italie ou de France.[90]

Les Juifs ont lieu aussy où ilz font leur synagogue et y a seulement des lampes dedans et force bancz : et n'y a aucune image de quelque sorte que ce soit, non plus que aux mosquées des Turqs dans lesquelles y a, seullement en un endroict, le nom de Dieu est escrit, en caractères turquesques et le nom de leur prophétie Mahomet qui leur a deffendu toute espèce d'idolâtrie ; par quoy, soit aux murailles de leurs maisons ou en leurs tapis ou tapisseries, n'ont figure de nulle créature, ne d'hommes ny de bestes.

Et ne me semble hors de propos de dire un mot en passant de ce que j'ay apris de la vie et action dudict Mahomet, la sépulture duquel est à la Meche, pays d'Arabye dont il estoit et de riche maison. Son père estoit payen et sa mère Juifve; avoit fort bon esprit et, ayant conversé quelques années avec chrestiens, eut intelligence de leurs loix et coustumes, au moyen de quoy inventa une nouvelle secte et commença à travailler les pays et confins de l'Egipte et print Alexandrie et autres lieux et terres, et s'acquist plusieurs subjects plus par astuce, faulseté et tromperie que par armes : leur preschoit que Dieu luy parloit et envoyoit son Sainct Esprit : leur fit changer de loix et coustumes, défendant l'idolatrye. Et ne mangent chair de porc; confirma aux Juifz la circoncision et aux Sarazins ordonna se circoncire. Et pour aucunement approuver le baptesme, vouloit que les chrestiens se lavassent souvent tout le corps, au lieu de baptiser pour laver et netoyer les pechez. Permit qu'un chascun pourroit avoir quattre femmes légitimes et tant de concubines ou esclaves qu'il pourroit nourrir.

Commanda que Dieu seul fut adoré et révéré disant que Moyse et Jehan Baptiste avoient esté grands prophettes de Dieu et Jésus Christ le plus grand entre tous les prophettes et qu'il estoit nay de la Vierge Marie par vertu divine et non de semence humaine ; qu'il fut porté au ciel et qu'il n'estoit point mort; et que Judas le voulant livrer aux Juifs s'en estoit fuy ; le prindrent et le crucifièrent au lieu de Christ. Et ordonna par l'Alcoran qu'il composa avec l'aide d'un hérétique, d'un arien et d'un Juif astrologue que qui se seroit trouvé en adultère fut lapidé, et le larron, pour une fois ou deux, fust battu et pour la troisiesme ou quatriesme, eut la main ou le pied couppé. Et pour la fin, que Dieu promettoit le paradis des délices à ceux qui observoient ses loix, auquel y aura tout contentement de viandes delicattes et riches accoustrementz et autres semblables follies dont je me desporte pour revenir à mon propos.

Et que audict Constantinople, il y a un certain lieu qu'ils apellent Besestan, qui est comme un grand temple rond avec quatre portes en croix, et tout autour, boutiques de draps d'or, de soye et veloux, or, argent; et toutes choses de prix se vendent là et speciallement les pauvres chrestiens esclaves, jeunes et vieux, tant hommes que femmes, voire les petitz enfans de trois ans, lesquelz sont menez par la main par certaines personnes qui font ce mestier comme couratiers, et tiennent l'eschiave par la main et le mènent continuellement à l'entour de ce dict lieu, criant le prix à combien il est, et le vendent au plus offrant. Si c'est fille ou femme, elle a un voile sur le visage et tous ceux qui la marchandent, la descouvrent en un coing, et luy regardent les dentz et les mains, s'enquierent de son aage, si elle est vierge et autres choses semblables, tout ainsy comme d’un cheval.

Le dict besestan est tousjours ouvert, saut le vendredy; et en toutes les bonnes villes du Turq, y a un besestan où l'on faict telz et semblables trafficqz.

Il y a encore certain lieu où l'on monstre plusieurs bestes sauvages qui sont fort bien gardées et entretenues comme lyons, lyonnes, loups cerviers, loups sauvages, chatz sauvages, lyppartz, onces, asnes sauvages, austruches en quantité.

En un autre endroict, se void une certaine beste que les ungs appelent un porc marin, les autres bœut marin. Mais je ne voids point qu'elle ressemble à l'ung ou à l'autre. Elle est de la hauteur d'un grand pourceau, la teste comme un bœuf sans cornes, les oreilles comme un jeune poullain, qui estoient taillées; la gueule deux fois plus grande que d'un bœuf, le corps long et gros, la queue comme celle d'un pourceau, les jambes courtes, la peau rude sans poils et ressemble presque à un pourceau qui a le poil bruslé; au demeurant, c'est la plus vilaine, layde et puante beste que je ne vis jamais. L'on dit qu'elle avoit esté amenée du Nil.

En ce lieu mesme, y a deux elephans, grands merveilleusement; et dict on que le vieux avait cent ou six vingts ans. L'autre trente ou trente cinq, et estoit un peu moindre. Ilz sont gouvernés par certains mores qui en ont le soing et les laissent voir en donnant quelqu'argent pour leur vin. Ilz leur font faire plusieurs choses gentilles qu'ilz leur ont appris, avec leur groin qui semble une trompette, de quoy ilz se servent comme de mains; car avec cela ilz prennent l'eau, le foing, l'avoyne et toutes choses qu'ilz mangent. Ilz les font coucher et ployer et leur font facilement jetter de l'eau, des pierres et bastons à ceux qui les regardent; avec cette trompe, escriment avec un baston contre le gouverneur et font autres choses semblables et plaisantes, comme ce qui advint à un des trésoriers des galleres, lorsque lesdictes galleres hyvernerent à l'isle de Chyos en Grèce[91] qui se vouloit jouer à un desdictz éléphants avec son bonnet de velours bien ferré de boutons d'or et d'une médaille d'or; duquel donnant sur le muzeau dudict éléphant, luy tira dextrement sondict bonnet des mains et l'avala; de quoy ledict trésorier fut bien fasché et estonné, et, au contraire, le gouverneur bien aise s'assurant que ce bonnet seroit pour luy et qu'il retrouveroit bien lesdictz boutons et médaille d'or en l'ordure dudict éléphant. Est cet animal plus doux que les autres animaux; toutesfoys, il n'est pas vray ce que j'avois tousjours entendu dire qu'il n'avoit point de joinctures et qu'il ne se pouvoit coucher. Car j'ay veu le contraire, mesmement à un petit éléphant qui fut donné à monsieur l'ambassadeur pendant que nous estions au camp du Grand Seigneur qui mourut en la ville d'Halep lorsque y estions.

Et le plus grand de Constantinople a de hauteur dix grands palmes et de longueur quatorze, sans comprendre la queue. Le museau neuf palmes de long. Quant à la première joincture des jambes, elle est haulte de terre d'un grand pied, et il y a de distance, jusques à l'autre joincture qui est fort près du ventre, deux grands pieds et demy au plus.

Il se voit encore infinis autres animaux aportez d'Egipte et d'autres lieux, desquels on ne sçait le nom.

Des cameaux et buffles, je n'en escris autrement pour ce qu'ils sont communs et familiers par tout le Levant, sauf du cameau que quand on le veut charger, il se met comme à genoux et s'accommode de telle sorte que l'on le charge beaucoup plus aisement qu'un mulet ou autre beste. Il porte ordinairement quattre ou cinq quintaux. Il a entre autres une proprieté qu'il se passera quattre ou cinq jours sans boire, et patist sa faim semblablement. On les laisse aller par les champs pour pasturer et mangent chardons, mauvaises herbes, les boys et vignes et generalement toutes sortes d'arbres et feuilles; et quelquefoiz quand ilz sont fort las et que l'orge est à bon marché, on leur en donne quelque peu, mais rarement. L'hyver, ilz mangent de la paille, et toute la nuict, ils ruminent.

Toutes les marchandises qui se portent par tout le Levant, par les Judées, à la Perse, la Medie et toute l'Asie se portent par cameaux et sont en grand nombre.

Il se void aussy en Constantinople delà du canal un certain lieu contenant nonante deux voustes grandes où sont toutes les galleres et fustes et autres vaisseaux, à couvert sur le bord de la mer, lequel ilz apellent arsenac. Il V a plusieurs personnes qui, tous les jours, labourent et travaillent à fliire des vaisseaux nouveaux, rabiller les vieux et faire cordages, voiles et autres équipages de galleres.[92] Et un peu plus loin d'un costé, à une des portes de Peyra, il y a le lieu où l'on faict l'artillerie[93] ; et sur le bord de la mer, yen a très grand nombre, tant de françoises, vénitiennes, genevoises, espagnolles, cecillianes que de tous les lieux du monde, lesquelles ils ont recouvertes ou par la prinse des villes et citez ou sur mer des galleres, fustes, naves, et autres vaisseaux que journellement ilz pillent.

Dans le palais du Grand Seigneur, y a grands bastiments et loges, jardins et fontaines; et y a un capitaine, qu'on apelle Bostangy bassy, c'est-à-dire capitaine et gouverneur de tous les jardins dudict Grand Turq, dans chascun desquels il y a, pour le moins, deux ou trois cens genisseratz autrement apelléz agiamoglans qui portent un petit bonnet jaulne, hault et comme pointu qui besongnent ordinairement dans lesdictz jardins. Et quand ledict Seigneur y va à l'esbat, mesmement à ceux qui sont hors la ville et au bort de la mer, il se met avec deux ou trois personnes seulement dans une fuste à vingt quattre rames de laquelle ledict capitaine des jardins guide le tymon; et n'y a que luy cependant qui parle et entretient le Grand Turq duquel il est favorisé grandement.

Il tient dans son palais quattre ou cinq cens pages, qu'il a prins de ses subjectz crestiens et de Grèce et de Natolie, qu'il faict enseigner aux lettres et à vivre selon la loy de Mahomet; et couchent trente ou quarante en une chambre, et y a un eunuque au milieu d'eux pour leur garde. Et quand ilz sont grands, l'on les met hors de pages et les faict on spahiz, c'est-à-dire comme archiers et aucuns en plus hault degré avec provision honneste. Et de cesdictz pages le Grand Seigneur en choisit vingt cinq pour venir en ses chambres, et de ces vingt cinq en prend cinq pour servir à sa personne; et quand il va dehors aux champs ou à la chasse, il y en a trois de ceux cy qui sont tousiours prèz et derrière luy : l'un porte son arc et flesches, l'autre son porte manteau et l'autre un vaisseau où le dict Grand Turq boit. Et tous les accoustremens qu'il laisse sont à ces cinq pages qui sont fort favorisez. Puis, quand la barbe leur est venue, il les faict capitaines avec grand et honneste appoinctement et met cinq autres en leurs places.

Il y a trois eunuques; le premier s'apelle Capiega c'est-à-dire capitaine general et gouverneur de tous les sérails du dict Grand Turq, tant de ceux des pages que des femmes. Et n'y a que cestuycy qui parle à la femme dudict Grand Turq et qui entre en ses chambres. Le second s'apelle Casnadarbassy qui veut dire trésorier du trésor du sérail dudict Grand Seigneur et a en gouvernement tout l'or et l'argent, joyaux, perles, pierres pretieuses, accoustrementz et autres choses les plus exquises dudict Seigneur. Le troisiesme s'apelle Chilergibassy, gouverneur de toutes les viandes cuittes ou crues, bruvages, fruictz, confitures et toute autre chose qui est pour la bouche dudict Seigneur.

Il y a bien encore cent cinquante autres eunuques qui servent aux autres sérails, c'est à sçavoir ù celuy des femmes et filles qui est dans Constantinople, à ceux des jeunes enfans qui sont aussy dans la dicte ville et à un autre qui est du costé dePeyra vers les vignes et jardins. Et à chascun sérail, y a de trois à quattre cens enfans, et à celuy des femmes et filles elles peuvent estre de cinq à six cens ordinairement. Et quand elles viennent en aage, ledict Grand Seigneur les faict marier avec de ses gens; et tous sont fils et filles de crestiens ses subjectz; les faict enseigner en la loy de Mahomet et les enfans sont tous circoncis. Et de ces dictz eunuques, y en a de fort riches; et quand ilz meurent, tout leur bien est au Grand Turq à cause qu'ilz n'ont point d'héritiers.

Après, il y a quattre ou cinq bassas, lesquels gouvernent tout son estat et l'empire. Le premier fait presque tout et n'y a que luy qui réfère au Grand Seigneur les causes tant de son estat que du peuple et qui prend ses responces. Les autres bassas ne parlent point à luy, s'il ne les faict apeller.

Il y a un fort beau lieu dans le pallais dudict Grand Seigneur où l'on baille audience à un chascun quattre jours de la sepmaine, à sçavoir les samedy dimanche, lundy et mardy où sont assis les susdictz bassas et deux cadilescheri, l'un de la Grèce et l'autre de la Natolye, nommez maistres des sentences; et ces deux baillent les sentences aux choses qui vont par voye de raison et de justice; et eux mesmes rendent compte audict Grand Seigneur de leur charge, comme aussy font trois defterdary, c'est-à-dire trésoriers, lesquelz manient et gouvernent tout le revenu et despenses de ces pays et royaulmes. Puis, y a les secrétaires qui escrivent les commandementz et ordonnances dudict Grand Seigneur. Il y a encore dix capitaines qui se tiennent debout à la dicte audience et ont en leur main chascun un baston d'argent. L'un s'apelle Ciaouxbassy,[94] c'est à sçavoir capitaine de ceux qui portent les masses et sont environ trois cens. L'autre Capigilar chiccaia,[95] c'est-à-dire capitaine de tous les portiers dudict Grand Turq qui sont en nombre de trois à quattre cens, lesquelz ont nom Capigiz.

Il y a encore quattre capitaines qu'on nomme Capigi bassy dont il doit en avoir deux à l'audience durant les quattre jours qu'on la donne : et sont assis à l'entrée de la porte avec un baston d'argent doré en leur main; et quand les bassas vont vers le Grand Seigneur, ceux cy les y accompagnent et cheminent devant eux. Le semblable ilz font à tous les ambassadeurs et seigneurs estrangers qui luy vont baiser les mains. Et auprès de ladicte audience y a un autre lieu où l'on esprouve les aspres que l'on apporte auxdictz thresoriers des daces, gabelles et autres revenuz dudict Seigneur, qui est une petite monnoie d'argent de la valeur de dix ou unze deniers tournois; y a une grande chauffrette de fer pleine de charbon où l'on faict chauffer une poisle tant qu'elle vienne rouge, sur laquelle l'on met les dictz aspres; et s'il s'en trouve de faulses jusques à un certain nombre qui est dict, ceux qui les aportent les payront doublement. Plus, il y a le capitaine des jannissaires qu'on appelle Aga. Il commande à tous les jannissaires en nombre de douze ou quinze mil et soubz luy y a environ deux cens caporalz; et chascun caporal à cent, quattre vingtz ou soixante qui plus, qui moins desdictz jannissaires qui portent grande obéissance à leurs capitaines. Et tous les jeudis de la sepmaine, ledict aga leur donne audience en sa maison. Ilz ont un sérail audict Constantinople où aucuns d'eux logent et tous n'y demeurent pas parce que l'on en envoyé en garnison aux frontières et, selon qu'ilz servent bien, en leur croist leurs gages, ou bien on les faict spahiz.

Quand le Grand Turq faict quelqu'entreprinse ou qu'il aille d'une ville en une autre, lesdictz jannissaires cheminent à pied autour de luy et portent tous l'arquebuze et cimeterre ou espée : ou il y en a d'autres qui sont aussy à pied qu'on apelle Saulachi[96] qui portent arcs et flesches; et les laquais ont volontiers une hache en main seulement.[97] Ils sont environ trois cens de l'un et de l'autre.

Et au gouvernement des chevaux, muletz et cameaux dudict Seigneur y a deux chefs qu'on apelle Inrahorbassy[98] qui commandent à toutes les escuries, tant à celles qui sont en Constantinople que aux autres qui sont aux autres terres, qui sont en plusieurs endroictz. Et y a plus de dix ou douze mil hommes soubz eux, car ledict Seigneur a un nombre infini de chevaux et cameaux. Et quand il veut monter à cheval, un de ces deux luy aide à monter.

Il y a un autre qu'on apelle Ciachirgibassy qui veut dire capitaine des esperviers et autres oyseaux de chasse lequel a plus de mil ou douze cens faulconniers soubz luy. Et celuy quia la charge des chiens s'apelle Seimenbassy et commande à plus de cinq cens hommes qui gouvernent lesdictz chiens, car il y en a grand nombre.

Il y a encore deux capitaines des agiamoglans, l'un de Grèce, l'autre de Natolie, qui ont charge d'aller prendre les enfans des chrestiens subjectz dudict Grand Turq, et de trois ans en trois ans, vont en chascune province et en amènent bien de six à sept mil, non tout à une fois, mais à plusieurs fois. Et après que l'on a choisy pour les sérails du Grand Turq, le reste, on les envoyé aux champs pour un certain temps; à sçavoir ceux qui sont de la Grèce, on les passe de la mer en Natolie autrement Asia minor, et ceux de la Natolie en la Grèce aux villages des Turqs qui les reçoivent volontiers et encore baillent argentà ceux qui les mènent, les font travailler à toutes choses selon leurs forces, et quand ilz y ont enduré sept ou huict ans, lesdictz capitaines les font venir en Constantinople et les employent aux bastiments qui s'y font et aux navires et galleres. L'on les apelle agyamoglans et portent un bonnet jaulne et après qu'ilz ont servi cinq et six ans, l'on les faict jannissaires et ont de solde, par chascun jour, quattre, cinq et six aspres, qui plus, qui moins.

Ledict Grand Turq a plusieurs aultres capitaines et officiers de tous estatz et mestiers à ses gages comme ont empereurs, roys et aultres grands princes ; et qui les voudroit icy spécifier, ce seroit chose trop longue et de peu de conséquence. Toutesfois, je ne veux oublier y adjouster les principaux des provinces.

Premièrement, en la Grèce y a un lieutenant general du Grand Turq qu'on apelle beglierbey qui commande en tout ce pays là ; et a quarante quattre lieutenantz qu'on apelle sanchiachs qui sont capitaines ou gouverneurs separez dans les villes, chascun desquelz commande à quattre ou cinq cens spachis qui est comme archer au cheval leger souldoyez.

Il y a un autre beglierbey à Buda (Hungarie) qui commande à. six ou sept sangiachs. Et ledict general de la Grèce est le premier de tous les pays dudict Grand Turq et qui a le plus de gens de guerre; et après est celuy de la Natolye qui a vingt cinq sanchiachbeys ou lieutenantz lesquels ont des archers et chevaulx légers comme ceux de Grèce; et ainsy ont tous les autres en quelque lieu où ils soyent, en sorte que quand le dict Grand Turq veut faire quelqu'entreprinse, il ne faict que mander lesdictz beglierbeys se trouvent à un tel temps avec ses gens à un tel lieu, et incontinent ilz sont prêts, car ilz n'oseroient sous peine de leur vie faillir d'un demy jour.

En ladicte Natolie et Arabie, y a plusieurs autres beglierbeys comme en la Carmanie, Capadocie, Mesopotamia, Armenia, Babilone, Assiria, Surie, Damas et autres lieux qui tous ont des sangiachs et lesditz sangiachs des spahis. En sorte que, quand ilz sont assemblez, c'est une compagnie merveilleuse et incroyable. Toutesfois, quand ledict Grand Turq faict la guerre, il ne desgarnit pas ses confins ne ses principalles villes, mais y a tousjours bonnes garnisons. En la ville du Cayre en Egipte, y a un bassa qui commande à plus de vingt sangiacbeys. C'est un beau gouvernement. Il donne audience quattre jours la sepmaine, comme on faict en Constantinople. Et y a un maistre des sentences qui juge les causes, et un trésorier qui tient compte du revenu et despense dudict lieu; duquel, tous les ans, on envoyé de grands deniers audict Constantinople. Cedict gouverneur ne va point à la guerre.

Il y a encore en Constantinople un beglierbey, capitaine general de la mer qui commande aux terres maritimes et aux isles et à toutes les galleres et autres vaisseaux dudict Grand Seigneur et a soubz luy je ne sçais combien de capitaines et spahis qui sont obligez d'aller sur mer quand il s'y faict entreprinse et ne vont point à celles qui se font par terre.

Et par toutes les villes dudict Grand Seigneur, y a deux juges l'un nommé cady qui juge les causes civiles, et celuy des causes criminelles s'apelle soubassy. Il n'y a conseiller, ne advocat, ny procureur. Il faut qu'un chascun die sa raison et amene ses temoins ou monstre quelqu'escrit. Sur quoy, justice est faicte et promptement ; et les subjectz rendent si grande obeissance à leur seigneur qu'ils se donnent bien garde de contrevenir à nulle de ses ordonnances, vivant en une merveilleuse paix et concorde avec bien peu de querelles et debatz en quelque ville que ce soit, subjecte au Grand Seigneur ; et s'il en advient et que le magistrat en soit adverty, punition en est faicte incontinent ; et si l'on ne peut trouver les delinquants, l'on s'adresse aux voisins du lieu où la querelle aura esté faicte et faut qu'ilz en repondent, autrement sont punis et chastiez ; et quelquefois se faict des exécutions de justice fort inhumaines et rigoureuses.

Sur le soir, chascun se retire à bonne heure, n'ozant tenir feu en quelque sorte que ce soit en leurs maisons, jusques à une certaine heure limitée. Et pour la garde des villes de nuict, y a seulement un homme seul avec un baston en une main et une lanterne allumée en l'autre qui va se pourmenant par la ville, au cartier qui luy est ordonné, et selon que la ville est grande, ilz en mettent. Et s'il entend aucun bruit, il le revelle le lendemain aux juges qui, incontinent, y donnent ordre et ne faut pas craindre d'estre vollé de nuict, car cet homme seul avec son baston est plus craint et redoubté que n'est le capitaine du guet de Paris avec tous ses archers. Et la police y est si bien ordonnée et la tranquilité si grande que c'est chose quasy incroyable à qui ne la voit. Ce sont les choses les plus dignes de mémoire que j'ay peu recueillir et que j'ay trouvé en ladicte ville de Constantinople.

En ce temps là Jehan Micquez,[99] portugalois vint en Constantinople avec lettres de faveur de M. de Lansac ambassadeur du Roy à Rome[100] pour le favoriser en quelques affaires qu'il ne voulut poursuivre aucunement. Il y trouva la sire Beatrix de Lune, portugaloise et juifve riche, prèz laquelle il se retira, espérant en épouser la fille; ce qu'il fit aprèz s'estre premièrement déclaré juif et fait circoncire.

Je ne veux laisser en arrière aucunes forces et dexteritez que j'y ay veu faire par aucuns turqs en la maison dudict sieur ambassadeur.

Premièrement, il en vint un, lequel après avoir faict divers actes de grandissime dextresse et force, fit par un sien garçon (qui sembloit auprès de luy un nain et estoit un peu guerche d'un œil) prendre en main deux arcs tendus et tous ensemble les tirer tant, qu'avec la main dont il tenoit la corde se touchoit l'oreille, encore que lesdictz arcz feussent de si grande force qu'il ne se trouvoit personne en la court dudict sieur ambassadeur qui peust faire ployer la corde d'un d'iceux, un doigt. Après ce faict, le dict turq son maistre estant les piedz nudz sur quattre cimeterres taillans, accoustréz pour cet effect, print un arc duquel tirant une flesche, perce d'un costé à l'autre une pièce de bronze grosse de deux doigtz ; semblablement, perce d'un autre coup trois autres pièces de bronze, chascune grosse d'un doigt ; puis, avec une flesche de bois sans fer, perce aussy d'un costè à l'autre un bois rond, gros d'une palme; avec une autre flesche qui avoit la teste de verre et la pointe de fer, perce d'un costé à l'autre un petit mortier de bronze gros d'un doigt; puis, avec aulcunes aultres flesches, perce des œufs d'austruche, balles de verre, vases de pierre, sans les rompre ou casser. Finalement, perce d'un costé à l'autre un soc de fer avec lequel on laboure la terre.

Estant espandu par Constantinople le bruit des dexteritéz et forces par le dict turq, le jour ensuivant, en vint un autre qui fit choses assez plus merveilleuses que n'avoit faict le precedent. Cestuy estant les piedz nudz sur quatre cimeterres tranchans, rompit en deux pieces une grosse teste de mouton crue, estant icelle attachée à une chaisne de fer qu'il tenoit sous les piedz à terre, laquelle aussy estoit liée à ses cheveux, à force desquelz il depieça ainsy la dicte teste ; rompit et mit en pieces, semblablement, un pied de bœuf à force d'iceulx, attaché à la dicte chaisne, comme dict est. Rompit aussy la jambe d'un cheval, un os de cuisse de bœuf sur la cheville du pied et contre le front; et d'autres en rompit assez sur les coudes, sur les espaules et en autres parties du corps. Et entre les autres, s'en fit tenir un par son serviteur, lequel, à course, il rompit avec un coup de poing. Ultiemement, avec un coup de poing minud, frappant au milieu d'un pilon de bronze d'espicier, en quatre coups le rompit en deux pièces. Après, joua avec diverses antennes de galleres qui pesoient deux ou trois cens livres l'une, et tenoit le dict turq l'une des dictes antennes droictes sur l'espaule et la jectoit sur l'une, la retournant encore sur l'autre et ce, douze ou seize fois du moins, avec si grande diligence que un vaillant balladin à peine meine il si tost les piedz, comme le dict turq se remuoit les espaules sous ladicte antenne, laquelle se jettoit encore sur le menton et la tenoit ferme quelque peu ; la portoit avec les dentz et se la jettoit sur le front, sans luy toucher aucunement des mains. Mais ce qui est digne d'aussy grande merveille, c'est qu'il print une paille longue d'une demye brasse et la tenoit droicte sur une espaulle comme il avoit faict la dicte antenne et se la jettoit de l'une à l'autre : à cette heure, la faisoit aller sur le nés, puis sur le front, tantost sur une oreille, et tantost sur l'autre et encore sur l'estomach et la rejettoit sur le front sans luy toucher des mains; et toutesfois se tenoit tousjours droicte sans tomber. Puis, un sien serviteur leva avec les cheveux une pierre de la pesanteur de trois quintaux. Cestuy mesme print un fer de cheval et un avantclou et ayant poing nud, frappant dessus le dict avantclou, fit plusieurs pertuis audict fer de cheval.

Le tiers jour, vint avec cedict turq un sien poursuivant persien faire divers jeux de grand dexterité. Premièrement, joua d'un arc lequel il passoit le long du corps, l'entrant par la teste et sortant èz pieds et retournant de mesme manière. Aussy balloit avec deux hommes qui se tenoient à luy, l'un sur l'autre, lesquels estoient plus grands et plus pesans que luy; et les tenant, s'agenouilloit en terre et puis se relevoit sans autrement s'ayder des mains. Plus, rompit avec le front deux os de jambes de mouton joincts ensemble l'un sur l'autre : et rompit aussi un autre os de la jambe d'un mouton, à course, l'acollant avec la fourche des deux doigtz; puis après, mit une pierre qui pesoit plus d'un quintal dessus un bois faict en forme d'une colonne, haute de cinq ou six piedz, et avec ladicte colonne joüoit comme avoit laict l'autre turq avec antenne, demourant tousjours la dicte pierre dessus icelle colonne, sans s'esbranler ne tomber; rompit encore une pierre avec le coude nud, icelle large d'une palme, longue de deux et grosse de quattre doigtz. Estant puis après attaché par les cheveux à une grue de bois haulte de terre, de sorte qu'il ne pouvoit la toucher avec les piedz, tira avec l'arc contre une piece de bronze grosse de deux doigtz et icelle perça d'oultre en oultre. Davantage, estant en cette façon attaché, rompit une grosse corde qui tenoit liéz deux bastons bien estroictement : et qu'il mettoit après au col, à la force duquel il rompit icelle et le fit deux fois; l'une estant attaché comme dict est, l'autre estant sur les piedz en terre.

Rompit encore, le poing nud, un plus gros pillon de bronze que le premier. De l'autre costé, le turq qui avoit joüé le jour devant, joüa encore avec une antenne voirement un arbre qui pesoit sept cent soixante livres, se le jettant comme les precedentes antennes sans aucunement s'ayder des mains, se fist attacher sur luy six hommes et quatre enfans lesquels il porta tous.

Après tout ce faict, vint un serviteur dudict sieur ambassadeur lequel aporta un pillon que ledict sieur ambassadeur avoit faict faire exprès, long une palme et gros quattre doigtz lequel fut baillé audict Turq qui avoit fait les forces predictes, à ce qu'il le rompist, ce que incontinent il commença à faire en la maniere dessusdicte, de sorte que en cent et trois coupz qu'il luy donna, le rompit en deux pièces. Et là se fit fin auxdictes forces et dexterités.

Depuis, au mois d'octobre suivant, vint un autre turq au logis dudict sieur ambassadeur, lequel ayant les mains liées derriere, mit avec les dentz la selle et bride sur un cheval, accoustrant les sangles et poitrail et autres choses requises à l'équipage dudict cheval pour monter dessus l'homme.

Et ledict Turq estant sur quatre cimeterres taillans, les piedz nudz, ayant un enfant sur les espaulles, monta sur ledict cheval sans s'ayder des mains, puis après, en sa manière dicte, luy osta tout l'equipage et soubdain ayant tousjours les mains liées, comme dict est, luy mit un bat lequel il sangla et après luy bailla la charge en deux paniers pesants trois quintaux ou plus. Estant ainsy lyé que dessus, se fit mettre dans un sac et banda un arc duquel (estant en iceluy sac) tenant la corde et la flesche avec les dentz et mettant les piedz dessus le bois dudict arc, tira contre une piece de bronze de deux doigtz d'espoiz et la perça d'oultre en oultre.

Il y en vint quelques jours après encore ung autre qui estoit more ou tartare qui avalla un œuf de poulie sans le rompre et un quart ou demye heure après le faisoit sortir par le fondement, entier comme il l'avoit prins. Mais ce jeu ou mistere ne se faisoit point sans peter, car je ne vis jamais rotter, peter, ronfler du cul comme faisoit ce villain.


 

 

Voyage de M. d'Aramon, ambassadeur pour le Roy en Levant faict de Constantinople en Perse, l'an 1548, escript par noble homme, Me Jehan Chesneau, l’un des secrétaires dudict sieur ambassadeur.

 

Or, ayant demeuré un an audict Constantinople, l'année suivante que l'on comptoit 1548, le Grand Seigneur délibéra faire l'entreprinse de la Perse contre le Sophy, roy d'icelle et de Medie, Parthie et autres pays. Et pour cet effect, il fit asçavoir à tous ses capitaines, gouverneurs de provinces qu'ilz apellent beglierbey et sangiachy de se trouver pretz selon son mandement, et en ordre, pour marcher à la volte du Levant à ses dictes entreprinses et se trouver en certain lieu député, pour y faire la reveüe et recherche. A quoy il n'y eut faulte aucune. Et l'esmotion de cette guerre fut par le moyen d'un frere dudict Sophy que l'on apelloit Elcas[101] grand capitaine et bien voulu de tous les peuples et subjectz de leurs pays. Lequel avoit une très belle femme de laquelle fut amoureux le roy son frère; et pour parvenir à son dessein qui estoit d'en jouir et l'avoir à son plaisir, envoya ledict Elcas comme son lieutenant general qu'il estoit et chef de ses gens de guerre, faire quelque entreprinse sur les terres des Circasses. Et pendant son absence, fit tant par moyens, qu'il eut jouissance de ladicte femme et la tint près de luy. De quoy estant adverty, ledict Elcas s'en revint de Circassie grandement indigné et courroussé; entra en grosses parolles et rigoureuses avec le roy jusques à user de menaces qui luy causerent quelque soupçon. A ceste cause, luy osta le royaume de Sirvan qu'il luy avoit assigné pour son vivre et conspira contre luy de le faire mourir, dont ledict Elcas fut adverty par aucuns siens amys, de sorte que il fut contrainct de se absenter et adviser à sa seureté. S'embarqua sur la mer Major et s'en vint en Constantinople vers le Grand Seigneur, lequel envoya au devant de luy et le receut gratieusement. Et après que ledict Elcas luy eut baisé les mains, il luy déclara l'occasion de sa venue, le tort que le roy son frere luy avoit faict et qu'il estoit recouru à son ayde et à sa sauvegarde. Ledict Grand Seigneur luy fit plusieurs presens, luy donna maison et grosse pension, et journellement ledict Elcas l'incitoit à mouvoir guerre contre son frere et en faisoit toute la poursuitte qui luy estoit possible, disant qu'il avoit esté son lieutenant general et qu'il estoit bien voulu par tous ses pays et avoit promesses des premiers de la cour du roy son frere que, si l'entreprinse de la guerre se faisoit, qu'ilz seroient pour luy.

Finallement, il poursuivit si bien cette affaire qu'il en vint à bout avec quelque volonté secrette qu'en avoit le Grand Turq, lequel fut bien aise d'avoir semblable occasion de faire ladicte entreprise. Et pour ce faire, ayant faict préparatifs de toutes choses nécessaires pour un semblable voyage, et ayant mandé tous ses capitaines comme il est dict cy dessus, il partit de Constantinople le 29 apvril 1548.

Or il fut commandé par le Roy à mondict sieur d'Aramon son ambassadeur, de le servir à son entreprinse, et pour ce faire, s'equippa tant de provisions pour le camp, que de gentilshommes et autres bien en ordre. Nous avions dix pavillons, quarante cameaux, dix huict muletz et douze autres chevaux de somme, et une litiere à deux muletz que les Turqs admiroient grandement pour la rareté qui en est en leur pays. Et pense qu'ils n'y en virent jamais que celle là, et aucuns d'eux mallades esprouverent la commodité que l'on en reçoit. Nous estions en tout septante cinq ou quatre vingtz personnes bien montez et en bon ordre, tous portans armes à la turquesque; les uns arquebuzes, les autres lances gayes avec une cornette semée de fleurs de lys, et pensez que de nostre temps, jamais ambassadeur ne chemina en tel ordre et equippage. Laissant en Constantinople pour les affaires qui, pendant le voyage y pourroient survenir et pour la direction des pacquetz, le sieur de Cambray, chanoine de Sainct Estienne de Bourges, homme de bon esprit et qui estoit bien aymé en ce pays là pour la diversité des langues qu'il sçavoit; et entre autres, le grec vulgaire luy estoit aussy familier que le françoys et aussy sçavoit beaucoup du turq.[102]

Le seigneur de Fumel qui attendoit tousjours la response de sa despeche qu'il avoit envoyée par l'orloger, avoit grande volonté de faire le dict voyage. Mais le Grand Seigneur ne luy voulut permettre, disant qu'il ne faisoit que revenir de ces pays là et qu'il se contentoit que l'ambassadeur y fust, puisque le Roy ne luy en avoit escript que de luy. Ce que voyant le dict sieur de Fumel et que la responce qu'il attendoit ne venoit point, s'embarqua sur un navire de Venize et s'en revint en France.

Nous partismes dudict Constantinople le second jour de May audict an 1548, et passasmes le canal de mer et entrasmes en Asia minor aujourd'huy apelée Natolye et logeasmes à Scutary[103] où furent tanduz nos pavillons en un fort beau lieu, près le port où fut anciennement Calcedoyne,[104] où demeurasmes quattre jours pour achever nos accomonades et equippes de tout ce qu'il nous falloit pour un tel voyage.

Le sixiesme de May en partismes, cheminasmes du long du canal de la mer et logeasmes en un Cousteau apellé en turquesque Maltepé qui veut dire montagne du trésor[105] auquel lieu l'on dict que les anciens empereurs de Constantinople cachoient leurs finances. Et ce lieu là est au commencement du golfe de Nicomedie. Le lendemain, suivant ledict golfe, arrivasmes en un lieu apellé Diachidesse[106] et à quattre milles est Lebisa où Annibal se empoisonna et dict on que son sepulchre y estoit[107]; mais les Turqs ruinent et gastent toutes choses. Il n'y a apparence que d'une fosse anticque où y a encore plusieurs grosses pierres et colonnes escriptes en grec.

Le neufviesme May, arrivasmes à Nicomedie cité très antique et royalle de Bitinie[108] laquelle est toute ruynée et estoit merveilleusement grande, assise sur montagnes fort haultes et s'estendoit jusques à la marine et là finit le golfe dudict Nicomedie.

De ceste ville vinsmes à Sabangil[109] sur le bord du lac du même nom; le lendemain, cheminasmes par certains boys où y a grande quantité de platanes, et passasmes sur un beau pont de pierres faict par sultan Bayasit fils de sultan Mehemet premier, seigneur de Constantinople, où passe le fleuve appelle Sangary, lequel dévide de cette coste de Levant la Bithinie de la Galatie[110]et logeasmes en un lieu appelle Guyemé.[111]Puis vinsmes en une petite ville nommée Tavachy[112] de là à Gohememe[113] assise sur une montagne fort haulte où se void encore de vieilles murailles que l'on dict estre la ruyne d'un chasteau. En après en Dibel[114] et à Boly ville appellée anciennement Abanomenia.[115] Ce lieu monstre avoir été quelque belle ville et grande. Il y a plusieurs antiquitez de colonnes et sepulchres escripts en grec. Et près de ce lieu, environ deux milles, y a de fort beaux bains naturelz où nous fusmes tous baigner, pour estre chose saine. Au milieu dudict bain, y a une fontaine d'eau fresche, fort bonne, qui vient de la mesme montagne dont vient la chaude, qui est chose merveilleuse. Nous sejournasmes en ce lieu et en partismes le 22edudict moys.

Passasmes Huvada[116] cité ancienne et arrivasmes à un cazal appelé Giagaiel.[117] De là à Caragiola qui veut dire lac noir.[118] Puis, vinsmes à un autre cazal dict Camanly[119] près duquel passent trois petites rivières dont l'une s'apelle du mesme nom du village; l'autre Cierguas et l'aultre Guivra qui vont en la mer Major.[120] De là à Bouzoly[121] sur la rive dudict fleuve Cierguas, laquelle l'on dict l'hyver croistre, de sorte qu'elle noyé tout le pays. De là vinsmes à Caraguira,[122] puis àCagiassar[123]qui est de la Paphlagonia; et ayant passé de meschans et fascheux chemins, arrivasmes en un meilleur pays et logeasmes à Toscia[124] antiennement apellée Theodosia. Elle est en un fort beau pays. Nous y reposasmes un jour; le lendemain, logeasmes en une belle plaine, près un casal apellé Cabouziac[125] et passasmes un fleuve[126] dit Quesiliemac qui veut dire eau rouge, lequel passe par la Capadocia et par la Lydia. Puis arrivasmes en la Capadocia et vinsmes à Octomangioc[127] qui est un chasteau faict par Ottman, celuy qui a donne nom à la maison Otthomane, qui fut le premier Seigneur Turq. Ce chasteau est en un rocher inaccessible et inexpugnable et a environ deux milles de tour; et au pied d'icelluy, du costé du midy le fleuve Quesilimach y passe, sur lequel y a un fort beau pont de pierre de seize arceaux. Et les murailles du chasteau viennent quasy d. se confondre avec le pont : et y a en ce lieu une religion dont les religieux s'apellent Cochiny-baba qui veut dire père de charité.

Le premier de juing, arrivasmes à Cagionde,[128] qui veut dire village du Peregrin. Le lendemain, par le chemin, nous rencontrasmes un faulconnier du Grand Seigneur qui nous dict que le Sophy roy de Perse estoit sur les confins du pays dudict grand Seigneur et qu'il avoit prins un chaoux lequel avoit esté envoyé sur les dictz confins à faire provision de victuailles, et que pour cela le dict Grand Seigneur se hastoit fort, et le chemin qu'il vouloit laire en deux jours, le foisoit en un. Et pour ce, ledict ambassadeur se advisa de laisser le grand chemin pour prendre aultre voye plus courte, afin de joindre plus tôt le camp. Et laissasmes à main droicte trois belles villes principalles de la Capadocia nommées Amassia,[129] Tocquato[130] et Savatz[131] et tirasmes droict au Levant et vers la ville de Esdron[132]oùalloitle Grand Seigneur et logeasmes près un beau cazal et grand nommé Merjuva,[133] lequel est assis en une très belle plaine où il y a plusieurs villages de chrestiens arméniens. Et est un lieu gras, fertille et plaisant plus que lieu qu'avons rencontré. Encore le lendemain, arrivasmes en un aultre village apellé Ladicq,[134] près duquel il y a un lac de mesme nom. Puis, vinsmes à Scepecly[135] et passasmes par le lieu où passent deux fleuves qui là se joignent ensemble, l'un vient d'Amasia et s'apelle Iris et dévide la Capadocie de l’Armenie major, et le passasmes sur un pont de bois, l'autre s'apelle Boghazguezen[136] ce qui veut dire coupe gorge; et à la vérité, le passage est dangereux pour rencontrer larrons, et logeasmes dans un village d'Arméniens nommé Agety.[137] De là vinsmes àNissar[138] anciennement apellée Neocesarea, ville merveilleusement grande et anticque; mais, elle est toute ruinée et de telle sorte que les murailles sont abattues jusques aux fondementz. Le chasteau est assis sur une montagne haute, qui n'est pas du tout ruyné, où y a le sepulchre d'un roy de Perse nommé Usunnassan[139] qui veult dire gigan lequel dépucela en une nuict quarante vierges, comme il nous fut dict par les gens de ce lieu là. îl y passe le fleuve anciennement apellé le Licus et s'appelle en turquesque Chebelyt[140]qui dévide la Capadocie et l'Arménie major et encore l'Arménie major de l'Arménie minor et se conjoinct avec les fleuves d'Amasie susdicte et là pert son nom.

En aprèz, vinsmes en Assarguict[141]; puis, passasmes près d'un chasteau inaccessible nommé Coyouassar[142] qui anciennement estoit des roys de Perse. A deux milles près de ce chasteau, passasmes sur un meschant pont ledict fleuve Licus, et là, entrasmes en l'Arménie major et logeasmes sur le bord de la rivière, puis vinsmes en une grande vallée et en un village d'Arméniens nommé Asebids[143] qui souloit estre de trois mil feux et a encore trente autres villages sous luy. De là vinsmes dans un bois dict Girbanambea[144] Ardingiely,[145] Agiardacaly[146] et à Arzingan[147] duquel le Grand Seigneur s'estoit party y avoit environ quatre ou cinq jours. Arsingan estoit anciennement grande ville, comme il appert par la ruynée du chasteau et murailles d'icelle et estoit ruinée par un tremblement de terre : et pour autant, ont depuis basty des maisons fort basses et est maintenant rédigée en un grand village assez peuplé et riche. A deux milles près y passe le fleuve Euphratez. Nous sejournasmes en ce lieu quattre jours tant pour nous rafraischir que nous fournir de vivres et autres commoditez pour porter au camp.

Partant de ce lieu, vinsmes à Bettaric[148] et à Dibligy[149] qui est sur une montagne fort sterille et passasmes le fleuve Euphrates sur un pont, près un village ; puis à Chiobane[150] et à Portary[151] et aux bains naturelz à huict milles de la ville d'Esdron[152]; logeasmes à la campagne près ladicte ville d'Esdron[153] environ trois ou quattre milles où estoit le Grand Seigneur et tout son camp : et à main senestre voyons les haultes montagnes du pays de Georgiannie.

De là, passasmes par la dicte ville d'Esdron qui est assez grande, située en une belle plaine fort fertile. Elle a beaux fosséz et doubles murailles. Il y a dedans un magnificque palais qui estoit anciennement une eglise bastie par une fille d'un empereur de Constantinople; et sur le portail, y a un aigle à deux testes qui n'est aucunement effacé, chose admirable entre les Turqs, d'autant qu'ils ruynent toute peinture relevée. Il y a autour d'icelle ville plusieurs monumentz à la romaine et grecque fort magnificques. Les uns l'apellent Esdron, les autres Argerium ou Arzerum et y a un chasteau qui est assez beau selon le pays. Et sur le chemin, vismes comme l'ouverture d'un puys où plusieurs personnes s'amusoient, et y en eut de nostre compagnie qui descendirent de cheval pour voir que c'estoit, et ung chascun nous dist que c'estoit un abisme. Il en sortoit un grand vent et l'on n'entendoit point choir les pierres fort grosses qu'on y laissoit tomber.

Le Grand Seigneur fit la masse de son camp près ladicte ville d'Esdron, y assembla tous ses gens qui auparavant estoient venus en confusion, sans ordre et ordonnance.

Nous arrivasmes ce jour là qui estoit le 25ede juing audict camp où ledict sieur ambassadeur avec toute sa compagnie fut voir le premier bassa qui s'apeloit Rostan, duquel il fut bien receu et luy ordonna logis en son cartier.

Le lendemain, nous commençâmes à cheminer avec ledict camp lequel logea près de Cassancala[154] chasteau fabriqué de bois, assis sur une montagne. En ce lieu là vinrent des seigneurs de Georgianie sur petits chevaux de legiere taille, assez bien vestuz selon le pays, qui vindrent baiser les mains du Grand Seigneur et faire hommage comme subjectz siens, luy offrant leurs personnes et tout ce qui estoit en leur pays pour son service. Ilz lui présentèrent des moutons, fromages et des fruictz. Ilz sceurent que l'ambassadeur de France y estoit ; ilz le vindrent visiter et s'offrirent à luy, disants qu'ayant entendu qu'il estoit de la part du plus grand roy des chrestiens et que pour ce nom, eux qui sont chrestiens aussy, il leur avoit prins volonté de le venir voir. Ilz nous donnèrent quelque reste de fromage de leur pays et un peu d'orge pour les chevaux. Et pour recompence, leur fismes boire d'une bouteille de Malvoisye qu'avions de reste de nos provisions, qui est un breuvage duquel ilz n'avoient jamais gousté. Ilz en furent merveilleusement ayses et contens, et s'en retournèrent joyeux en leur pays qui n'estoit gueres loin de là. Et à main senestre, tirant du costé de la mer Major, nous envoyons aisément les haultes montagnes. L'on dit que c'est un pays montagneux et froid aprochant de celuy des Grisons.

Au partir de ce lieu, passasmes deux fleuves qui s'assemblent en un, sous un pont qui est quasytout ruyné. Le fleuve s'appelle Arrexeis[155] et là commençasmes à entrer au pays de l'ennemy, roy de Perse et par plusieurs jours, nostre chemin fut par montagnes fort fascheuses, et passasmes beaucoup de fleuves à gué et entre autre le Tigre[156] qui est l'un des plus beaux et qui va plus viste qu'ayons vu en ces pays là, lequel va s'assembler près de Babilone avec le fleuve Euphrates où ledict Tigre pert son nom.

Le six et le septiesme juillet, commençasmes à trouver un peu meilleur pays et arrivasmes en une petite ville du Sophy nommé Argis[157] qui estoit habandonnée et n'y avoit personne. Cette ville est assise en une belle plaine environnée demarestz et a dedans un assez beau chasteau selon le pays. Il y a un petit fleuve qui passe auprésdont jene sceuzsçavoirle nom, lequel va tomber dedans le lac de Vastan,[158] à deux milles près de ladicte ville. Ce lac est merveilleusement beau et grand et dure environ huict ou dix journées de tour : l'eau n'est ne doulce ne sallée, mais a un certain goust comme amer.

Cedict lac ne produit que d'une sorte de poisson qui est petit comme hareng et a la chair rouge et ne se prend qu'une fois l'an, en certaine saison, mais aussy on en prend une grande quantité. Ilz en fornissent tout le pays et il s'en transporte jusqu'au dict pays des Giorgianes. Il ressemble à un haran soret. Nous en avons mangé quelquefois et est fort bon. Il tombe dans cedict lac plusieurs autres fleuves en d'aultres costéz où finissent leurs cours. Le camp séjourna en ce lieu quattre jours et fut cryé que chascun se pourveust de vivres et biscuits pour un mois.

Au partir de ceste ville, le camp logea près dudict lac et commençasmes à retrouver le plus malheureux chemin du monde, en certains pays desertz et inhabitez où passasmes deux destroictz de montagnes fort dangereux pour la presse et foulle du camp où moururent plusieurs personnes et grand nombre de chevaulx, muletz et cameaux, que nous voyons tomber avec leurs sommes et charges de dessus les montagnes, chose fascheuse et déplaisante à voir. Toutesfois, nous eusmes faveur de passer de bonne heure par le moyen d'un chaoux du Grand Seigneur, mais à grande difficulté.[159] Et Dieu nous ayda là comme si a il faict en beaucoup d'autres passages. Après estre sortys de ces mauvais chemins, nousarrivasmes en un grand et beau village apellé Coil[160] qui est le plus beau lieu qu'eussions encore trouvé, duquel lieu tous les habitants s'en estoyent fuys.

Il y a un fort beau parc de jardin, lieu plaisant du roy de Perse, où l'on nous dict qu'il venoit souvent à l'esbat et à la chasse; tout à l'entour, n'estoit que jardinages et arbres fruictiers de pommes, poires et abricotz les plus excellentz du monde, et grosses pommes en habondance. Nous en mangeasmes à nostre plaisir, par manière de rafraîchissement.

Nous partismes de ce lieu environ vespres, et cheminasmes toute la nuict jusques au landemain midy, pour raison qu'il ne se trouvoit pas d'eaue. Environ trois heures devant jour, l'avant garde rencontra quelques avant coureurs et chevaux legiers des Persiens, et se fit une escarmouche pour une heure, laquelle ne fut d'importance; et y eut plustot lâcheté de cœur de ceux qui alloient devant qu'autre chose, qui se donnèrent peur d'eux mesmes sans grande occasion. Nous logeasmes en un beau lieu où il y avoit de l'eaue, et alors, un chascun commença à se tenir sur ses gardes ; et esperoit on, pour vray, avoir bientost la bataille. Mais le Sophy s'estoit retiré bien loin dans ses pays, bien avant, avec son camp et toutes les richesses de Thauris et les personnes riches. Et ne se présenta aucunement à donner journée ainsy que l'on estimoit, ou pour raison qu'il ne se fioit trop en ses gens pour cause de son frère qui estoit avec le Seigneur et avoit l'avant garde, ou pour cause de l'hartillerie et arquebuserie dudict Seigneur, qu'ilz craignent grandement, et eux en estoient malforniz, car ilz n'en usent pas, que l'on dict estre la principalle occasion de leur fuitte. Autrement, on les estime plus vaillans que les Turqs sans bastons à feu. Et disent les Turqs que un Persien battra tousjours deux et trois Turqs. Et de là, arrivasmes en un village nommé Mering[161] fort plaisant; et habondant de jardinages et de fruictiers.

Le lendemain, vinsmes à Sophian,[162] une journée de Thauris ; passasmes près de certaines montagnes où y avoit force sel et en grande quantité; et se logea le camp à trois ou quatre milles de Thauris où vint au devant du Grand Seigneur le reste du pauvre peuple qui estoit demouré dedans la ville, avec bandieres et signes d'allegresse. Et ne leur fut faict aucun desplaisir, soit en leurs personnes soit en leurs biens, et n'eust on osé prendre la valeur d'un œuf d'eux sans payer.[163]

Le jour ensuivant de bon matin, nous passasmes par dedans ladicte ville qui fut le 28 juillet 1548, et se logea le camp près d'icelle vers le levant, laquelle nous trouvasmes presque deshabitée pour ce que avant le département du Sophy, la ville avoit esté habandonnée par tous ceux quiavoient moyen de s'en aller et avoient emporté avec eux leurs meubles et marchandises, et n'y estoit demouré que les plus pauvres artisans qui vendoient de leurs danrées à ceux du camp. De sorte que nous n'y trouvasmes personne, ny chose digne d'estre veüe sinon que certaines mosquées(c'est-à-dire eglises) faictes nouvellement par ledict Sophy[164] et son pallais où il habitoit qui estoit une des plus belles maisons de plaisance que j'aye gueres vues, où y avoit autant de choses exquises.[165] Toutesfois, il n'y avoit de meubles de quelque sorte que ce fut. Les vitres, fenestrages, et quelques autres commoditez, tout fut aucunement ruyné par ceux du camp du Grand Seigneur, lequel ayant entendu le demolissement et degast qui s'y faisoit, envoya des chaoux pour chasser ceux qui faisoient telles choses et empescher qu'on ne le ruinast du tout et comme possible ilz eussent faict si ne s'y fust opposé, estant fort courroucé de ce qui estoit faict disant qu'il n'estoit allé là pour ruyner la maison de son ennemy, ny de ses subjectz, mais ouy bien sa personne et lui oster la vie s'il le rencontroit.

Ledict Thauris est une ville royale du roy de Perse au païs de Medie où ordinairement il faict sa résidence.[166] Les Turcs l'appellent Thebris ; elle est fort grande et contient de douze à quinze milles de tour, y comprenant les jardinages, pour ce qu'il n'y a guère grande maison qu'il n'y en aye, et est toute bastie et ediffiée de terre, ayant soubz terre presque autant d'édifices que dessus. Et les logis ne sont gueres hault élevez; y a une petite rivière qui vient de la montagne, de laquelle on tire l'eaue par aqueductz et conduictz qui fournissent toute la ville et l'accommodent par tel moyen et industrie qu'il n'y a si pauvre maison ne jardin qui n'aye d'eaue en habondance.[167]

Ledict camp séjourna audict Thauris environ cinq jours et fut contrainct s'en retourner sans faire plus long séjour, n'y pouvant suivre son ennemy plus oultre, qui s'estoit retiré sur les montagnes de Caspiz et aussy par la faute de vivres pour les chevaux, muletz et cameaux, lesquelz avoient tant enduré par le long chemin, et audict lieu de Thauris, que l'on estimoit qu'il en estoit mort plus de cent mil ; et n'y a eu mortalité que pour lesdictes bestes, ni gueres que contre la fin, ne s'y estant faict aucune faction d'armes importante.

Or, le dernier jour de juillet, le camp se partit de Thauris et print le chemin vers ponant, tirant un peu sur le midy et fit cinq ou six grandes journées par beau païs en la plaine dudict Thauris où y a une infinité de beaux villages et gros bourgs, habundantz de fruicts de toutes sortes, mais y avoit grande faute d'eaue pour un semblable camp où les personnes et bestail patirent beaucoup. Le cinquiesme jour, trouvasmes un fort beau lac et grand, l'eaue duquel estoit fort sallée, et au fond d'iceluy y avoit grande quantité de sel fort blanc comme petitz pois, en façon de dragées de coriandre, qui semble chose artificielle; et au rivage, y a de grosses masses de sel un peu noir.[168]

Je ne sçay le nom dudict lac ne moderne, ne ancien et ne le sceusmesoncquessçavoir, pour ne trouver personne à qui le demander. Et ce qui m'estonne davantage c'est qu'il ne s'en trouve rien par les cartes d'Asie, combien que ledict lac est fort grand et de longue estendue ; et le costoyasmes environ trois ou quattre jours.

Le quatorziesme jour d'aoust, ledict camp arriva à Van qui est un chasteau du Sophi merveilleusement fort, assis sur une roche inaccessible qui est en une belle plaine près du lac de Vastan environ un mille; et y avoit dedans environ deux mille Persiens, tous vaillans gens et choisis du roy de Perse pour la garde de ce chasteau.

Le second jour après le Grand Seigneur ayant faict approche et tranchée, l'on commança à faire la batterie en deux endroictz; et dura environ neuf jours, sans faire aucune brèche ne prest à le faire, n'eust esté l'ambassadeur qui alla visiter l'assiette dudict chasteau et qui advisa que si l'on le battoit d'un autre costé qui luy sembla estre le plus débile, que l'on en pourroit avoir raison, ce qu'il fit entendre au Grand Seigneur et à ses bassas. Et son advis fut trouvé fort bon, de sorte que le landemain, on commança à faire la batterie du costé où il avoit advisé, qui donna à penser à ceux du dedans, lesquels peu de temps après demandèrent à parlementer, ce qui leur fut permis, de manière qu'ilz rendirent ladicte place, leurs bagues sauves, voyans aussy qu'ilz n'estoient secourus par campagne de leur roy et prince. Il leur fut tenu foy et s'en allèrent en soureté.[169]

Il y avoit quelque peu d'artillerie dedans, dont les Persiens ne se pouvoient gueres bien ayder, et vivres pour deux ans, qui restèrent, qui y fut bien à propos pour la garnison que y mist le Grand Seigneur.[170]

Le vingt huict dudict aoust, nous partismes de Van et vinsmes camper en une certaine plaine près d'un petit lac. Le lendemain à Bandemaguy[171] puis à Argis où avions passé en allant à Thauris. De là, logeasmes près de beaux cazals arméniens sur la rive dudict lac de Vastan, et le jour ensuivant, près de Abdigelveis[172] petite ville fermée sur la rive dudict lac, au dessus de laquelle, sur un gros rocher, y a un chasteau, et est le reste du lieu fort beau, tant pour la grande quantité de fontaines que de jardins. En après, vinsmes en la plaine de Abdigelveis près d'un petit lac d'eaue douce. Et puis, passasmes un bras dudict Tigre et entrasmes en la Mésopotamie et logeasmes à Canauscala[173] près d'un petit fleuve Carachoppry,[174] en une grande plaine, en laquelle y avoit grande quantité de bestail occis par quelques trouppes de Persiens qui avoient couru jusques là faisant le gast des vivres[175] ; et de là passasmes par montagnes et vinsmes à Mouchs[176] qui est ung petit chasteau fort situé sur montagnes. De là, logeasmes sur la rive d'un autre petit fleuve nommé Carasou qui veut dire eaue noire. Et le jour ensuivant, logeasmes près un cazal nommé Nossensoffilert[177] auquel y a certains arbres que les gens du village tiennent en grande révérence, pour ce qu'ilz disent que un sainct les a transmuez de pommiers en ormes, et l'ont pour grand miracle.

Prés cedict cazal, vers le Levant est la montagne de Noë[178] où l'on dict que reposa son arche après le deluge et derrière ladicte montagne, on dict qu'il y a un lac qui boust incessamment, de sorte que les pierres de dedans en dancent; et ceux dudict village nous l'ont affirmé pour vray. De ce lieu, vinsmes à Bithlis[179] qui est un chasteau fort, assis sur un rocher, basty par un empereur de Constantinople, ainsi qu'ilz disent. Il y a le village au dessoubz contenant environ deux mille maisons : de là, nous entrasmes en un destroict où trouvasmes plus de difficulté de passer que n'avions point encore faict en tout nostre voyage. Et le desordre y fut si très grand, que nous ne vismes nos cameaux qui portoient tout nostre équipage de huict jours après; et couchasmes trois ou quattre nuictz soubz des arbres en attendant nos muletz qui portoient nos pavillons.

Puis vinsmes à Alteguie[180] et à Leige[181] où y a des bains naturelz et y passe une rivière Arzin. Les jours ensuivans, logeasmes en la plaine de Carahamit principalle ville de Mésopotamie, où le 15ede septembre, arrivasmes.[182] Le camp se logea près de ladicte ville environ un mille ou deux, et M. l'ambassadeur et toute sa compagnie, pour avoir plus de commoditez et rafraichissements, vint loger dans ladicte ville en plusieurs maisons d'Arméniens qui nous reçurent fort gratieusement. Ladicte ville est grande et peut avoir de circuit quattre ou cinq milles, renfermée de haultes murailles, avec un assez beau chasteau de pierres de taille; et les maisons de la ville, de terre, en plate forme, et est presque toute entière habitée d'Armeniens et Jacobites qui sont chrestiens, et y a peu de Turqs. Nous y trouvasmes de fort bon pain et vin et autres viandes et fruicts en habondance, et des melons les meilleurs qui se puissent manger et qui se gardent trois ou quattre mois après qu'ilz sont cueilliz. Nous les festoyasmes bien, et fusmes fort aises de telz rafraichissementz, car il y avoit environ trois mois que n'avions beu vin, parcequ'il ne s'en trouvoit point. Le Grand Seigneur séjourna en ce lieu quinze ou vingt jours, attendant nouvelles et advis du Sophy, et entendit pour certain que de ses gens estoient entrez bien avant dans ses pays, et qu'ilz avoient pillé plusieurs cazals et villages qui n'estoient fermez. Et ledict Grand Seigneur y envoya grand nombre de gens qu'il sépara en trois parties pour les aller rencontrer et enfermer s'il estoit possible.

On disoit qu'ilz pouvoient estre de trente à quarante mil hommes avec peu de bagage et chemisnoient chascun jour trente ou quarante milles pour le moins qui est une grande diligence, laquelle fut cause qu'on ne les put rencontrer.

Et ledict Grand Seigneur après avoir séjourné audict Carahamit (comme dict est), pour rafraischir son camp, s'en partit pour aller vers Sovas et la Capadoce pour serrer ce passage audict Sophy.[183] M. l'ambassadeur y sejourna deux jours de plus et delibera s'en aller droict audict Sovas par un chemin plus court que prenoit ledict Grand Seigneur, et en partismes le quatorziesme octobre, vinsmes loger en un cazal d'Arméniens nommé Begux[184] qui est au pied des monts Thaurus sur lesquels cheminasmes par quattre jours, et puis arrivasmes prez d'un petit lac appelé Giolgie.[185] Il y au milieu une petite isle habitée de Turqs, près le fleuve Euphrates, lequel passasmes le lendemain en barque, et vinsmes coucher à Malatia,[186] païs de Lidie; puis en une petite ville nommée Carpout,[187] et sceumes qu'il s'en retournoit audict Carahamit où ledict sieur ambassadeur retourna par un autre chemin que celuy que avions faict; et remontasmes par quatre jours entiers les dictz montz Thaurus, montagnes haultes et fascheuses et, entre autres, le mont Amamus ; au plus hault d'iceluy passasmes par un petit destroict de rochers, laict en façon de portes que l'on appelle les Portes Amaniques et commençasmes à descendre par meschantz chemins et passasmes l'Euphrates en barque à deux journées près de Carahamit où fusmes de retour le cinquiesme novembre; et y trouvasmes le camp qui estoit campé et assis près une petite rivière à deux milles de la ville.

Et là vindrent nouvelles audict Grand Seigneur que le Sophy s'estoit retiré en ses païs. Lors, ledict Grand Seigneur voyant la saison approcher de l'hyver, retira tous ses gens et délibéra de s'en venir en Surie païs hautz, vers Halep. Et pour ce faire, partit pour la seconde fois dudict Carahamit le neufviesme novembre, et cheminasmes six jours par la plaine, partie de laquelle est fort pierreuse et déserte, l'autre assez forte et fertile. Vinsmes à Orfa autrement dicte Roha, qui est ville qui demonstre plus d'antiquité que ville que j'aye point veue.[188] Certains Arméniens m'ont dict qu'anciennement s'appelait Etassia. Cette ville est fort grande, assise partie sur une petite montagne où est le chasteau. Les murailles sont toutes de pierres de taille fort vieilles et qui sont en partie tombées.

La ville a esté autrefois bien bastie, comme il appert par les vestiges de plusieurs grandes maisons, murailles d'eglise, colonnes et autres bastiments, des fondements desquelz se tirent de grosses pierres.

Le chasteau est assis sur la coste de la montagne, et a de circuit environ deux milles et tout autour, y a de beaux fossez profondz, taillez dans la roche vive. Au bas dudict chasteau, dans ladicte ville, il y a une fort belle fontaine qui faict comme une piscine où y a quantité de poissons que les Turqs font grand conscience de manger ; et près ladicte fontaine y a une eglise comme un oratoire, engravée dans le roch où ilz disent qu'Habraham est né; et les Turqs gardent ce lieu et le tiennent en grande révérence. Et à une journée de là, y a une ville ruinée nommée Caran[189] où se tenoit le père d'Abraham nommé Tara. A l'entrée de ladicte ville d'Orfa, sur petitz cousteaux, y a une infinité de grottes et grandes cavernes entaillées dans le roc avec merveilleux artifice, partie desquelz sont habitez. Il y en a de grandes où tiendroient quatre ou cinq cens chevaux.

On dict que le filz de Nembrot estoit seigneur de ladicte ville en laquelle sejournasmes un jour. Puis, cheminasmes par plaine, environ trois journées, et vinsmes en une petite ville qui a un fort beau chasteau, sur le bord de l'Eufrates appelé Bir, anciennement Birsina.[190] Le camp demeura à passer ledict fleuve par barques qui y estoient en grand nombre, environ trois jours. Les cameaux le passoient à gué. Nous eusmes commoditez de le passer dès le premier jour, par le moyen et faveur d'un capitaine du Grand Seigneur qui commandoit sur les barques. Il nous en fit amener une, sur laquelle tout le train dudict ambassadeur passa sans destourbier ni empeschement d'aucun turq. Et là, commençasmes à entrer en Surie où nous sembloit bien avis qu'estions en bon pays pour ce que trouvions plus de villages et gros bourgsque n'avions accoustume qui estoient abondantz de toutes sortes de fruicts.

Et finallement, arrivasmes le 23enovembre à la ville d'Halep qui est fort grande, assise en une belle plaine, anciennement appellée Beroas laquelle est fort marchande, car est l'apport de toutes drogues, soyes, espiceries et autres choses qui viennent des Indes par la mer de Perse et de Balsera, et autres marchandises de draps et soye qui viennent de Venize et autres lieux d'Italie.

Il y a de grandes fontaines et carvansseras où se logent toutes sortes de nations de marchands qui y abordent. Il y en avoit beaucoup du pays des Vénitiens qui y tiennent un baille ou consul.[191] Le Grand Seigneur se logea dans son chasteau[192] qui est dans la dicte ville, autour duquel y a de grands fossez plains d'eaue; et partie de son camp logea dans icelle ville; le reste à Damas, à Tripoly, à Antioche, Aman et autres lieux circonvoisins, où il y hyverna. L'ambassadeur y passa semblablement tout l’hyver, voire davantage, et y sejournasmes plus de sept mois entiers, pendant lequel temps, nous eusmes tout le loysir de nous y rafraîchir et y prendre autant de commoditez qu'eussions peu faire en Constantinople, de vin, viandes, fruictz, laictages et autres choses nécessaires pour la vie de l'homme. Vray est que quand nous en partismes, ne se pouvoit plus trouver de vin, ny aux villages autour. Il s'y trouvoit des raisins qui se conservoient dans de grandz vaisseaux de terre que nous faisions pressurer dans un petit pressoir de bois qui rendoit et distiloit le vin, tout le meilleur et autant excellent qu'il est possible de boire. Et les moys de may et juing, couchions sur les terrasses. Les maisons y sont presque toutes basties ainsy. L'on dict que communément, il n'y pleut gueres; toutesfois, l'hyver que nous y estions, il y pleut presque tous les jours dont les habitants s'estonnoient merveilleusement, et disoient qu'il n'y avoit point en mémoire, d'homme qui y eust veu tant pleuvoir pour un hyver. Il n'y gelle point; l'air y est fort doux et gracieux, mesmement au printemps et commencement de l’esté; y a force bons fruictz de toutes sortes, quantité de grenades et oranges, riz, miel et autres légumes et cotton que l'on seme tous les ans en la façon presque comme l'on faict le riz.

Je ne veux oublier à faire mention de l'elephant de l'ambassadeur, qui y mourut, duquel j'ay parlé cy devant, et par quel moyen il l'avoit recouvré. Est à sçavoir que le camp du Grand Turc s'aprochant du pays du roy de Perse, dont l'avant garde estoit conduicte par Elcas, frère dudict roy. Sa Majesté de Perse envoya vers Elcas quelques messagers pour lui remonstrer la faute qu'il faisoit, toutesfoys en manière de moquerie, car il luy manda dire qu'il estoit un gros sot et beste, et qu'il ne le pouvoit mieux accomparer qu'à une grosse beste semblable à celle qu'il luv envoyoit, qui estoit ledict elephant. Ledict Elcas le donna à un capitaine parent du Grand Turq, qui estoit avec luy àl'avant-garde; ce capitaine estoit amy de l'ambassadeur, duquel ledict ambassadeur (par le moyen de quelques presens qu'il luy fit), retira ledict elephant avec l’intention de l'envoyer au roy Henry et avoit escript à Sa Majesté qu'il luy envoirroit, ce qu'il eust faict, s'il ne fust mort. Et la cause de la mort d'iceluy estoit de regret et mélancolie qu'il avoit de ne voir plus celuy qui le souloit gouverner qui estoit mort quelques huict jours auparavant, parceque cet animal l'aimoit, et entendoit son parler. Les gens du pays nous dirent et nous asseurerent qu'il n'y avoit autre chose qui le fit mourir que celle là. Nous le fismes escorcher; il n'y avoit rien si gros qu'il estoit; et tous ses os sont yvoire ; aussy bien ses grandes dents que l'on void par deçà et ailleurs.[193]

Or, pendant nostre séjour audict Halep, vint un Turq au logis dudict ambassadeur qui fit aucunes dextresses plus merveilleuses que celles que j'aye jamais vues faire, tant à Venize que à Constantinople, qu'il me semble aussy ne debvoir obmettre.

Premièrement, cedict Turq prind un arc en main et commança à baller avec une grande dextresse ; balloit avec deux hommes sur ses espaulles, lesquelz estoient aussy grandz et pesans que luy; et les tenoit en s'agenouillant en terre, et puis se relevoit sans s'ayder des mains. Puis, l'un d'iceux se coucha enterre et print son compagnon qui se tenoit droict par une jambe, avec les deux mains, mettant l'autre jambe entre ses cuisses et se tenoit ferme. Puis, le balladin vint passer la teste entre les jambes de celuy qui estoit droict, et les leva tous deux, estant celuy qui estoit couché en terre, attaché comme dict est; et les tenant ainsy, se voltoitsi trésfort qu'il estonna les deux autres. Puis, iceluy balladin se coucha en terre et leva les jambes en hault, sur lesquelles il soustint un long temps les deux hommes. Pareillement le fit-il sur une jambe ; et cela faict print un grand pot de terre plaind'eaue, et le mist sur la teste, se sied à terre où commança à faire plus que devant, se baisa les pieds l'un après l'autre, et tous deux ensemble : et se voltoit sur le ventre et faisoit le tour entier. Puis, print cinq grands cousteaux et les mist, c'est asçavoir aux deux jarretz, à chacun costé un, et l'autre derrière l'eschine attaché à sa cinture, et se voltoit en la sorte que dict est, sans toucher aucunement des mains à iceluy pot qui se tenoit tousjours ferme sur sa teste. Et davantage, le print avec les gros doigtz des deux piedz, le mist en terre, et le reprenant en la mesme façon le remettoit sur la teste et commança à se relever droict pour baller.

Ultiesmement, print cinq petitz bois faictz en forme de colonnes et les fit mettre les uns sur les autres sur sa teste avec icelluy pot pardessus, balloit et baisoit ses piedz comme par avant. Puis ces choses faictes, il monta par une colonne de bois mise exprès pour tenir un traversier auquel estoit attachée une corde pendante en bas,faicte en façon d'eschelle où y avoit comme trois degrez qui estoient de bois ; et iceluy se tenoit au plus bas desdictz degrez; puis tout à un coup, estoit au plus hault, se tenoit avec un bras, tantost avec un jarret, tantost avec le bout des talons, pendant la teste en bas, sans s'aider des mains; et y fit plusieurs autres tours et jeux incroyables, avec une dextresse et seureté si très grandes que, s'il eust esté en plaine terre, ne l'eust peu faire plustost qu'il faisoit, estant ainsy en l'air.

Finalement, attacha audict traversier une pollye à laquelle y avoit une corde pendante jusques en terre où se fist lier par les cheveux ; et estant ainsy attaché, luy mesme se monta jusques au plus hault où il tenoit la corde qu'il tiroit des doigtz des piedz ; puis se laissa venir en terre doucement; et là, se mit fin auxdictes dexteritez.

Or, puis après, estant venue la saison de l'esté et y estant desjà bien avant, ledict Grand Seigneur fit asçavoir à tous ses capitaines et autres gens de guerre de se retrouver pretz et en ordre pour aller, encore de nouveau, courir sus le roy de Perse son ennemy, à quoy il n'y eust faulte aucune; et rassembla tout son camp avant son partement d'Halep qui fut le 8ejour de juing en 1549. Quoy voyant, ledict sieur ambassadeur, et que sa présence audict camp ne pouvoitgueres porter d'utilité à l'expédition de sa charge, il se délibéra d'aller en Damas, Hierusalem, au grand Caire et Allexandrie; et pour ce faire, partit dudict Halep le dernier jour dudict moys de juing; et avant que m'acheminer plus oultre, est à noter que l'air de ces pays, Mésopotamie, Surie, Judée et Egypte est si doux et si agréable que les personnes dorment et couchent tout l'esté à l'air sur les maisons qui sont faictes la plupart en terrasses ; aussy qu'il n'y pleut gueres et que le pays est hault, qui est cause que en lesdictes maisons, si grandes qu'elles soient, n'y a cheminée qu'en la cuisine. Toutesfois, les Turqs estant en la campagne, dorment presque tous à couvert soubz des pavillons, et me semble ne debvoir obmettre des commoditez qu'ils y ont, mesmement au camp et des particularitez qu'avons vues en iceluy.

En premier lieu, les pavillons y estoient en grand nombre infiny, et estoit chose admirable d'en voir tant ensemble; et croy certainement qu'ilz passerent le nombre de quatre-vingtz à cent mil; et à ce que pouvions comprendre, ledict camp pouvoit contenir environ huict ou dix milles de long. Car un chascun soldat ou espahy a un pavillon pour le moins, et y a des chaoux qui en ont deux; et n'osent loger aux villages ne maisons, qui est cause qu'ilz s'accommodent fort bien en campagne et n'y a si pauvre esclave ou serviteur qui ne dorme a couvert.

Les pavillons du Grand Seigneur sont ordinairement au milieu de son camp. Il y en a deux ou trois faicts de certains bastons peintz de rouge, entrelassez ensemble et croisez qui se dressent en peu de temps; puis, l'on jette des toilles doubles par dessus, et dedans sont tendus tant dessus que dessoubz de tapis de soye et draps d'or; et autour d'iceux, sont d'autres pavillons où demeurent ceux de sa maison; puis sont environnez de certaines toilles doubles, faictes en façon de murailles avec les carneaux, et semble un chasteau ou petite ville. En après, tout à l'entour des pavillons dudict Seigneur sont tendus ceux des jannissaires, qui les environnent trois ou quatre fois et sont fort grands, en sorte que soubz chascunde leurs pavillons, y logent environ vingt jannissaires avec leurs bagages et leurs armes. Et y a après les pavillons des quatre bassas; chascun a son cartier; puis le beglierbey de la Grèce à main gauche,[194] puis tous les capitaines et grands seigneurs, chascun en leur ordre. Estant campez tous lesdictz seigneurs, les autres n'avoient cartier assigné, et se logeoient où ilz pouvoient; et les premiers venus choisissent bien. Il y a après, l'ordy, c'est-à-dire le marché où se vendent toutes choses, tant du vivre que habillements, chevaux, muletz, cameaux ; et generallement, qui vouloit vendre ou achepter, alloit là.

Puis, du costé où l'on doubte l'ennemy estoit l'artillerie en nombre de deux cents ou trois cents pièces de campagne et environ trente de batterie ; et tel estoit l'ordre dudict camp auquel l'on estimoit qu'il y avoit de trois à quatre cens mille hommes combattans, tous à cheval, sauf dix ou douze mille janissaires arquebuziers et deux cens saulachi et quelques lacquetz qui vont tousjours à pied devant ledict Grand Seigneur. Et tout le reste portoit lances gayes, arcz, flesches et simetterres sans avoir aucun morion ne corselet; et y avoit bien peu qui eussent la chemise de mailles; et marchoient avec un tel ordre et silence que, considérant la multitude, est quasy incroyable. Y ayant notté entre autres choses que, estant arrivé le camp, un chascun estoit tenu de laisser ses armes en son pavillon et n'aller par ledict camp avec icelles. Et, en tout le voyage, n'avons veu par miracle en si grand nombre de gens que l'on estimoit, comprenant tout environ un million de personnes, tirer une espée ou simeterre l'un contre l'autre. Et s'il survenoit quelque question entre eux, c'estoit par injures ou par coups de poing ou de baston où n'eschet aucune punition; mais s'ilz font sang et blessures, ilz les condamment à mort sans remission.

L'on nous dit que les Turqs et Persiens ne se prennent jamais prisonniers ou schiaves ne à rançon, pour ce qu'ilz sont d'une mesme loy; mais couppent la teste à ceux qu'ilz prennent et la presentent à leurs capitaines et chefs qui leur font accroistre leur solde. Je ne veux laisser en arriere la grande obéissance qu'ilz portent audict Grand Seigneur de ne desrober par les villages et ne prendre chose qui soit, sans payer; et eux mesmes l'ont par grande conscience. Aussy par les champs, sur leurs terres et mesme sur celles de leur ennemy, ilz ont grande conscience de ne faire manger les bledz vertz, ne seulement entrer aussy dedans. Si aucun s'y trouvoit, la punition est qu'ilz le font mettre en terre, et luy donnent trente ou quarante coupz de baston sur les fesses ou sur les pieds, qui est la punition et châtiment qu'ilz usent en choses légères qui ne méritent la mort; mais, selon le delict qu'on a faict, ilz les multiplient de sorte que estans bastonnez ne se peuvent aider ne cheminer de deux ou trois mois.[195] Et quelquefois que nous avons perdu des chevaux, après l'avoir faict crier et publier par le marché dudict camp, ilz nous estoient renduz en payant quelque peu d'argent à ceux qui les trouvoient. Et nous les trouvoient et nous les amenoient au lieu où nous estions logez. Chose digne de mémoire que Turqs usent de telle fidélité aux chrestiens; ce que chrestiens entre eux mesmes ne font pas.

Or, pour retourner à mon propos, partant dudict Halep, cheminasmes par une belle plaine où y a grande quantité de villages et logeasmes à un lieu appellé Bargun.[196] Le second jour du mois de juillet, nous destournasmes environ d'un cart de lieue de chemin pour aller voir le sepulchre de Daniel qui est comme dans une petite chapelle à l'usage des Turqs, lesquels tiennent ledict sepulchre en grande révérence.[197] Nous passasmes par deux villes nommées Aman[198] et Emps,[199] fort ruinées et peu habitées; puis à un village nommé Elca[200] habité de chrestiens, contre lesquels eusmes question, parce qu'ilz ne vouloient rien bailler pour le vivre de nos chevaux encore que l'on leur voulust bailler argent auparavant. Ilz blesserent deux des nostres; mais ce ne fut sans revanche, car nous estions plus fortz qu'eux, combien que leurs femmes fussent de leur party, qui estoient sur leurs maisons faictes en terrasses, nous jettant des pierres. Et voyant que nos chevaulx n'avoient que repaistre en ce lieu là, nous en deslogeasmes sur le soir après souper, cheminasmes toutte la nuict, et le lendemain au matin, arrivasmes en une ville fort anticque appelée Balbec[201]qui est située en un fort beau pays; dans laquelle y a un chasteau fort bien basty et d'une belle architecture, où y a plusieurs colonnes de grande hauteur qui se descouvrent de fort loing. Aucuns disent que le bastiment qui se void aujourd'hui est des Circatz[202] ; aultres, qu'il a esté faict par Salomon et d'aultres l'estiment des Romains, ce qui est plus croyable, à cause d'un sepulchre d'un empereur romain qui est fort magnificque, monstrant bien avoir esté faict par un grand seigneur; et de là, cheminasmes par colines et valons habundantz en fruictz de toutes sortes; et sur le chemin, nous fut monstrée la maison de nostre premier père Adam et celles de Caïn et Abel qui sont sur une montagne fort haute ; et vismes aussy le lieu où ledict Caïn pleura ses peschez pour l'homicide qu'il avoit faict de son frère Abel.[203]

Et cedict jour qui estoit le huict juillet, arrivasmes en la ville de Damas située en une fort belle plaine, l'une des plus belles et plaisantes situations que j'aye point vue en tout le pays du Grand Seigneur, tant pour la quantité des fontaines, que pour les jardinages et arbres truictiers qui y sont de toutes sortes, en si grand habondance qu'il est impossible de plus, avec prairies et beaux ruisseaux de rivières qui les entourent.[204]

Au demeurant, la ville n'est pas fort peuplée, ne gueres bien bastie. Halep est beaucoup plus belle ville, plus riche et plus peuplée. Et quattre jours après nostre partement dudict Damas, nous passasmes sur le pont de Jacob soubz lequel passe le Jourdain, et près dudict pont, y a encore quelques vestiges de la maison dudict Jacob.[205] Et vismes sur le chemin, près d'un carvanssera qui est une hostellerie à la turquesque, la cisterne où fut jetté Joseph par ses frères, joignant laquelle y a un oratoire où son père le venoit plorer.[206] Et vinsmes coucher cedict jour à Bethsaida[207] sur la rive de la mer de Tiberie où nous allasmes avec barques pour aller à des bains naturels qui y sont, les plus chauldz que j'aye jamais vuz.[208] Cedict lieu de Tiberie[209] est habité de Juifs et est du tout ruiné et, par ses vestiges, montre avoir esté autrefois une grande ville.

Le lendemain, costoyasmes une pièce de ladicte mer sur la rive de laquelle est Capharnaum où les Juifs firent payer le tribut à Jesus-Christ.[210] Et passasmes tout au pied de la montagne où Nostre Seigneur rassasia, de cinq pains et deux poissons, cinq mille personnes. Et costoyasmes aussy le mont Tabor où se fit le mistere de la Transfiguration Nostre Seigneur, où y a encore une eglise qui n'est habitée. Nous allasmes à Nazaret, qui autrefois a esté une petite ville assise sur une montagne et vismes le lieu où la Vierge Marie receut la salutation angelique, qui est une petite caverne ou grotte dans laquelle y a deux grosses colonnes fort haultes à l'endroit de l'une desquelles estoit ladicte Vierge en oroison, et à l'endroict de l'autre s'aparut l'ange devant elle, luy disant qu'elle enfanteroit Jésus. De là, passasmes par la campagne où les Apostres mangèrent les racines, et près d'un village ruiné où Jesus Christ guérit le lépreux où y a quelques vestiges d'une eglise. Puis, vinsmes au chasteau de Herodes apellé Sabasty qui est le lieu où ledict Herodes fist descoller sainct Jehan.[211] Et vismes la prison où il estoit et où il fut enterré. Et y a eu autrefois une eglise qu'avoit laict faire saincte Heleine à l’honneur dudict sainct Jehan, qui a esté ruinée par les Turqs et ont faict d'une partie d'icelle, une eglise à leur mode. Et cedict jour, vinsmes coucher à Naholouze[212] anciennement apellée Sichar ou Sichem en la contrée de Sammarie près de laquelle estoit le puys où Jésus Christ demanda à boire à la Samaritaine, qui est à présent tary et n'y a autre apparence de puys sinon deux petits pilliers de marbre, sur l'un desquels Ton dict que Jesus Christ se assit pour se reposer comme lassé du chemin.

Le lendemain, 18edudict mois de juillet, nous arrivasmes en Hierusalem où l'ambassadeur fut fort honorablement receu parles Turqs, gouverneur et seigneurs d'icelle, lesquelz vindrent au-devant de luy, environ demie lieue, accompagnez de sept ou huict vingtz chevaux pour le moins et de plusieurs autres personnes gens de pied arquebuziers. Et croy qu'il n'y eut créature humaine dans ladicte ville, mesmement des chrestiens qui n'en sortist pour venir au devant dudict sieur ambassadeur qui estoit attendu du gardien[213] et cordelliers du couvent du mont Sion, comme les Juifs attendent leur Messias, pour l'espérance qu'ilz avoient, par sa venue, estre mis hors des garbouilles et fascheries que leur faisoient chascun jour, certains santons, c'est-à-dire prestres turqs qui tiennent le Cénacle, qui auparavant estoit leur eglise; et depuis quelque temps, lesdictz Turcqs leur ont osté par force et en ont faict faireune à leur mode que nous apellons mousquée. Et faisoient journellement tant d'estorcions ausdictz cordeliers qu'ilz estoient en délibération d'habandonner ledict couvent et se retirer tous en chrestienté, sans la venue audict lieu dudict ambassadeur, lequel fit tant envers lesdictz gouverneur et seigneurs de la ville, qu'ilz chassèrent les prestres turqs qui estoient moteurs de telles menées. Toutesfois, j'ai depuis entendu dire que les cordeliers ont beaucoup plus enduré d'injures et outrages qu'ilz n'avoient encore faict, et ont, finalement, esté contrainctz laisser et habandonner ledict couvent et se retirer en Bethléem.

Et si je voulois escrire tous les torts et mauvais traitements qu'on leur a faictz et la rigueur qu'on leur a tenue, ce ne serait que prolixité.

Mais, pour abrevier, je diray que nous logeasmes audict couvent qui est hors la ville, situé sur le mont Sion, à l'endroict où estoit la maison de David, qui est un lieu fort petit, resserré à cause que les Turqs leur ont levé et osté ledict Cénacle où Jesus-Christ lava les piedz à ses apostres et où il mangea l'agneau pascal, qui estoit leur eglise comme dict est, qui les elargissoit beaucoup, tellement que de l'une de leurs chambres en faisoient leur eglise. Et au dessoubz dudict Cenacle, est le sepulchre du roy David où les chrestiens entrent en grande difficulté, pour ce que lesdictz prestres turqs tiennent en grand honneur et reverence ledict sepulchre.[214]

Hierusalem a esté refermée de murailles par les Turqs, mais elle n'a aucun rampart ne fossez. La ville est de moyenne grandeur et non fort peuplée, et les rues estroictes et sans pavé. Son assiette est fort penible, car elle est toute en pante et n'y a aucun lieu plain dedans ne à l'environ, que là où est assis le temple de Salomon qui a esté faict à main et force d'homme. Le reste tant dedans que dehors, ne sont que petites montaignes et pays bossu, maigre et pierreux. Ancienement, toutes les rues et courtz des maisons estoient couvertes et faictes à voultes, en sorte qu'on alloit tousjours par toute la ville à pied sec. Et pour le jourdhuy, du costé de la porte Speciosa du temple, y a encore une rue ou deux ainsy voustées où les Turqs tiennent leur marché. Ledict temple de Salomon est au plus bas de la ville, regardant la vallée de Josaphat et le mont d'Olivet, tout rond, faict en couppe, couvert de plomb, à galleries tout à l'entour qui sont dudict corps et vaisseau, comme sont les chapelles de nos eglises, qui est tout ce qu'on en peut juger, car il n'est pas permis à aucun chrestien d'y entrer sans danger de mort ou pour le moings de se faire turq.

Nous avons encore veu dans la ville plusieurs maisons anticques fort ruinées, comme celle de Simon le Pharisien où Jesus Christ se invita d'aller disner et où la Magdelaine plora sur ses piedz. Et près d'icelle, estoit la maison du mauvais riche au dessus de la Magdelaine, et au carrefour de cette rue, est le lieu où les Juifs feirent porter la croix de Nostre Seigneur au bonhomme Simon Cyreneen. Plus hault, est le lieu où Nostre Dame se pasma voyant son fils mené au suplice de mort; et là soulloit avoir une chapelle appelée la chapelle de Pasme. De là, nous passasmes par dessus un petit arceau sur lequel y a deux pierres carrées, sur l'une desquelles estoit assis Nostre Seigneur quand Pilate le condapmna, et sur l'autre estoit assis Pilate.

Et sur l'une d'icelle est engravé ce mot : Tolle. Bien près de là est le palais où se tenoit ledict Pilate qui est fort désolé et ruiné. Et vers ce cartier là, estoit la porte dorée appelée la porte sainct Estienne près laquelle, en la place aux ouailles est le lavouër probaticque qui est maintenant à sec, lequel a cinq porches duquel il est escript en sainct…

Et de là, nous en retournant au mont de Sion, entrasmes dedans la maison de saincte Anne qui estoit une eglise fort belle de monastère de femmes dont la seur de Godefroy de Billon a esté abesse, ainsi qu'on nous disoit. Et est maintenant une mosquée qui vaut à dire eglise à la mode des Turqs. Puis, vinsmes à l'hostel d'Herodes où y a sept ou huict degrez à l'entrée qui monstre avoir esté assès belle maison. Et là fut envoyé Nostre Seigneur pour estre interrogé dudict Herodes ; et passasmes par devant la maison de la Veronique qui est le lieu où elle bailla un linge pour nettoyer la face de Jesus Christ.

Aussy nous fusmes au lieu où sainct Pierre estoit en prison quand l'ange s'aparut à luy et passasmes au lieu où estoit la porte de fer; et entrasmes en la maison de Marie, mere de sainct Jehan surnommé Marc, en laquelle sainct Pierre se retira en après que l'ange l'eut laissé. Et en ce lieu, y a une eglise de Suriens; de là, nous vinsmes en l'hospital sainct Jehan qui estdestruict, Que soulloient tenir les chevaliers de Rhodes. Puis, allasmes en l'eglise sainct Jacques où sont prestres arméniens, où est le lieu où sainct Jacques fut décapité par commandement d'Herodes.

Et un peu plus hault, près les murailles de la ville, près le mont Sion est la maison de Anne. Et hors de la ville, près le couvent du mont Sion est la maison de Caiphe où sainct Pierre dit qu'il n'estoit pas disciple, à l'entrée de laquelle est une fenestre où le coq chanta: Et dans ladicte maison a une chapelle que tiennent lesdictzArmeniens, en quoyl'aultel est de la pierre que les Juifs mirent au monument de Jesus Christ.

Derrière l'eglise du sainct Sepulcre est le lieu où Abraham voulut sacrifier Isaac son filz par le commandement de Dieu. Et près de là, y a un olivier où Abraham vit l'agneau qu'il immola au lieu de sondict filz.

Ladicte eglise du sainct Sepulcre est située sur le mont de Calvaire qui est le lieu le plus hault de la ville, et est icelle eglise toujours demeurée en son entier, à cause du profit qu'en retire et reçoit le Grand Turq, tous les ans. Car il n'y a pellerin qui ne paye pour y entrer neuf ducats par teste, s'il n'est prestre ou grec qui ne payent que quatre ducatz et demy. Elle est fort grande et bastyeà merveille et dict on que saincte Heleine la fit faire pour enclore dedans plusieurs lieux des misteres de la Passion de Nostre Seigneur et y faire plusieurs chappelles èsquelles se tiennent chrestiens de diverses nations comme Grecz, Arméniens, Géorgiens, Copthiens, Suriens, Jacobites, Maronites, Abissins et chrestiens de la saincture. Chascune nation y a sa chappelle pour ce qu'ilz officient diversement. Et y auroit confusion en leur service pour la diversité de leurs langages, s'il n'y avoit separation ; tous lesquelz habitent en ladicte eglise comme leurs femmes et enfants, et sont tous leans enfermez, sans avoir autre issue ne pour achepter leurs provisions, ne pour parler aux personnes qui ont affaire à eux, que deux grands pertuiz qui sont faitz expressement à la porte de l'eglise de laquelle les Turqs ont et portent les clefz, lesquels ne l'ouvrent sans grande ceremonie et mistere, selon ce que j'ai peu voir.

Et le vingt-quatre juillet, y estans entrez, les Turqs fermerent les portes sur nous et s'en retournerent en leurs maisons. Et après qu'ilz s'en furent allez, les cordeliers du mont de Sion qui y entrerent avec nous, dirent une messe à notte, laquelle dicte, firent une procession par tous les lieux qui sont en ladicte eglise. Et en chascun lieu s'arrestoient et disoient une oroison, selon le mistere qui avoit esté faict audict lieu. Et commencerent au sepulchre de Jesus qui est une petite chapelle où l'on ne peut entrer que trois ou quattre personnes, couverte de pierre de marbre, et par dessus la couverture, y a une tourelle. Outre ledict sepulchre, y a en traversant l'eglise, deux pierres rondes, sur l'une desquelles se assit Jesus quand il s'aparut à Magdelaine, luy disant : Femme, ne me touche point. Un peu plus avant est une chapelle, lieu où l'on avoit esprouvé le boys de la vraye croix pour sçavoir lequel estoit des trois, et mit-on le boys sur une femme morte qui, incontinent, ressucita ainsy que nous recitoit le beau pere Gardien. Et en cette chapelle, en une fenestre est une pierre de la colonne où Jesus fut attaché et battu. De là, l'on va derrière le chœur de l'eglise, en un lieu obscur, soubz une roche qui estoit la prison où Nostre Seigneur fut mis et lié à une pierre percée, en attendant que les tormentz fussent appaisez pour le faire mourir. Et vinsmes en une chapelle où les chevaliers despartirent ses vestements; puis descendismes environ quarante degrez soubz une grosse roche qui est le lieu où fut trouvée la croix. Puis, en une chapelle où y a une grosse pierre en forme de colonne, où fut mis Jesus quand on luy mit la couronne d'espines sur la teste. Et de là, nous montasmes sur le mont du Calvaire qui est le propre lieu où fut mis la croix et où Jesus souffrit passion de mort. Et y a un trou rond qui a environ un pied de profondeur; par dessus, y a une pierre de marbre percée àl'endroict dudict lieu. Et est ladicte pierre enfermée tout autour de cuivre et clouée à gros clous, afin qu'on ne la gaste et qu'on n'emporte de la terre du lieu, car autrement les pellerins eussent emporté dudict mont plus gros que n'est toute l'eglise; et de là, nous vinsmes au lieu où Jesus Christ fut mis et oingt, estant descendu de la croix, auquel lieu y a une pierre de marbre noir rompue en plusieurs endroitz, et y a sept lampes ardentes par dessus. Et en cedict lieu, fismes fin à nostre procession; et dessoubz le mont de Calvere y a une chapelle où est le sepulchre de Goddefroy de Billon qui fut roy de Hierusalem et vendit son pays pour faire guerre aux Infideles et gagna par force ladicte ville.

On nous disoit que le lieu où fut plantée ladicte croix est le milieu du monde, Toutesfois, les autres disoient qu'il est au milieu du chœur de ladicte eglise où il y a un petit pillier de pierre qui sort de terre environ demy pied; et y a dessus ledict pillier un petit pertuis que Jesus fit de son doigt disant : Voyez ci le millieu du monde. Et de cela j'en lairray la dispute à messieurs les theologiens; mais en passant, je puis dire qu'il n'est pas besoing d'aller en Hierusalem pour trouver Jesus Christ, pour ce que le trouve bien en sa maison qui veut, et continueray d'escrire d'autres lieux qu'avons veuz, encore que ce ne soit chose qui fust d'ediffication. Mais d'autant que l'on les monstre à tous pellerins qui y vont, leur declarant les pardons qu'ilz méritent à les visiter, je ne le veux les obmettre.

Nous demeurasmes tout un jour en ladicte egfise et en sortismes le soir. Le landemain, fusmes hors de la ville au lieu où est le sepulchre de la Vierge Marie qui est une eglise assez belle, mais fort obscure et est située en la vallée de Josaphat en laquelle estoit le torrent Cedron qui est demeuré à sec, et n'y a aucune eaue, si ce n'est par quelque grande habondance de pluye. Et au-dessus de ceste vallée est le mont d'Olivet où Nostre Seigneur fit l’oroison et prescha les beatitudes et pleura sur Hierusalem. Et à la sommité dudict mont, fut eslevé et monta aux cieux devant ses apostres, où est resté encore imprimée en une pierre la torme et grandeur de ses piedz. De là, nous vinsmes en Bethphage qui est le lieu où Jesus envoya ses disciples querir l'asnesse pour aller en Hierusalem, et plus haut, y a quelques vestiges des maisons de Marie Marthe et de Marie Magdelaine, qui sont environ à deux traictz d'arc l'une de l'autre, au miheu desquelles y a une pierre sur laquelle Nostre Seigneur estoit quand la Magdelaine luy annonça la mort de Lazare. Et près de ce lieu est Bethanie où y a une chapelle en laquelle est le sepulchre où fut mis ledict Lazare; et en ladicte chappelle y a une grotte ou caverne où Magdelaine fit penitence.

Le lendemain, 26ejour dudict mois, nous allasmes à Bethleem qui est à quatre ou cinq milles de Hierusalem, qui par le passé, a esté une belle cité, mais maintenant est reduicte en un village situé sur une montagne en pays pierreux et bossu, où se tiennent ordinairement quattre cordeliers qui y sont envoyez par le gardien du couvent du mont Sion, lesquelz sont fort bien logez et spatieusement. Et est le lieu assez plaisant, beaucoup plus que ledict couvent de Sion. Il y a une eglise qui a esté fort belle et grande, laquelle s'en va en ruine, à cause que les Turqs en ont osté et ostent journellement le marbre et aultres pierres qui leur peuvent servir pour enrichir leurs mousquées; et croy que s'ilz eussent peu emmener quarante colonnes grosses de marbre qu'ilz s'en fussent servis aussy bien que du reste.[215] Et au dessoubz du chœur de ladicte eglise, est la grotte ou caverne dedans le roch où l'on a faict une chapelle pour y enclore dedans le lieu où Jésus Christ nasquit, où estoit la creche et où il fut adoré des trois Roys et où il fut circoncis. Semblablement, y est la sepulture sainct Hierosme et son estude, là où il translata la Bible d'esbreu en latin. Aussy fusmes au lieu où les anges annoncerent aux pastoureaux la nativité de Jesus, et est environ un cart de lieu dudict Bethleem.

De là, prinsmes nostre chemin en Hebron pour voir les sepultures des saincts patriarches et celles des douze prophetes, et le lieu où fut créé Adam et la grotte ou caverne où luy et Eve furent faire pénitence, en laquelle ilz demeurerent longtempz. De là, nous en retournasmes en Hierusalem, et deux jours après en partismes pour aller au Caire, pays d'Egypte. Et cheminasmes par pays montagneux et bossu et vinsmes couchera un cazal ruyné et deshabité.[216] Et le lendemain, entrasmes en la plaine et vinsmes en un aultre village nommé Raman[217]; de là à Gazere[218] qui est une petite ville ruinée où Samson esprouva sa force contre les Philistins, quand il fit tomber le palais sur eux et où il emporta les portes de la ville.

Le lendemain, commençasmes à cheminer sur les sablons et vinsmes loger à un carvanssera[219] près deux gros villages où il nous fut nécessaire louer des chevaux, porter biscuit, avoine, paille et eaue doulce pour six jours que cheminasmes par l'Arabie sablonneuse et deserte. Et arrivasmes à Cattié[220] qui est un petit chasteau, auquel lieu trouvasmes quelque rafraichissement de vivres, tant pour les personnes que pour les chevaux, fors de l'eaue. qui est un peu salmatre. Et en ce lieu, y a des pigeons que le capitaine du chasteau tient, lesquelz il mande au Caire qui est à quattre journées de là, avec une lettre attachée au col, quand il a quelques nouvelles; et pareillement, luy en mandet-on du Caire. Chose qui nous a esté assurée pour vraye, et nous furent monstrés les pigeons. Et de là, deux jours après, nous vinsmes en un gros village nommé Sallayé[221] puis en Langan[222] où commençasmes à trouver eaue doulcequi nous fut à grand plaisir. Et si nous n'eussions faict bonne provision de vin à nostre partement de Hierusalem, nous eussions beaucoup paty de boire pour les grandes chaleurs qu'il faisoit alors, qui nous contraignoient de cheminer la nuit et reposer le jour soubs nos pavillons.

Finalement, nous arrivasmes au Caire le 10ejour d'aoust 1549; et logea monsieur l'ambassadeur en une fort belle maison qui luy fut ordonnée par le bassa dudict lieu.[223]

La ville est grande, non partout fermée de murailles, mais bien en quelques endroicts, assise en plaine et appuyée d'une montagne où est situé son chasteau. Il y a un bras de riviere du Nil qui, au temps qu'il desborde, passe par dedans. Les bastimentz sont fort haultz et eslevez, bien faictz, et les faict on voir par dedans pour les peintures et enrichements qui y sont et qui s'y faisoient au temps des Circas. Mais les Turqs qui y demeurent aujourd'huy ne bastissent plus ainsy, ne n'y font telle despense.[224]

Ladicte ville est fort peuplée et y abondent gens de toutes parts, et les habitantz du lieu se nomment Moretz qui ont langage à part eux, mais à present, il y a tant de Turqs que l'on n'y parle gueres que turquesque. A l'une des entrées de ladicte ville, et par celle mesme par laquelle nous y entrasmes, y a un chemin ou plutost carriere merveilleusement longue, belle et droicte, aux deux costez de laquelle sont de fort belles murailles haultes, de pierres de taille, ayant les ouvertures faictes à ouvrage et à jour comme fenestres, par où l'on peut voir les champz d'un costé et d'autre. Et environ un mille de ladicte ville, vers le couchant, est le vieil Caire situé sur la riviere du Nil, qui est presque tout ruyné où y a une eglise de Grecz au dessoubz de laquelle est une voulte où demeura la Vierge Marie lorsqu'elle fuyoit la fureur d'Herodes; et à demy chemin dudict lieu, y a un beau et hault aqueduc de pierres de taille à grandes arches à plusieurs endroits pour passer dessoubz, allant du Nil respondre au chasteau, et peut contenir en longueur environ demye lieue.

Nous avons esté en un autre lieu appelé la Matarée qui est à quattre ou cinq milles dudict Caire, où la Vierge Marie demeura quelque temps quand elle vint en Egipte et qu'elle fuyoit la cruauté dudict Herodes. Et en cedict lieu, il y a une belle fontaine bien pavée et accoustrée, où l'on dict que ladicte Vierge lavoit le linge de Nostre Seigneur, près de laquelle y a une petite fenestre où elle le cachoit. Et icelle fontaine prend son cours au jardin du Soudan qui est là auprès, où sont les plantes et arbrisseaux de baulmes.

Le 18edu mois d'aoust, nous fusmes voir les pyramides et sepultures des roys d'Egipte que l'on dict estre des sept merveilles du monde, qui sont au-delà du Nil en Afrique. La plus grande desquelles est carrée, faicte en degrez où l'on peut monter qui ont pour le moings chascun quatre ou cinq palmes de hault. Et d'iceulx en a deux cent cinquante; et par le bas, d'un carré à l'autre, trois cens petits pas; et de cela ne se faut tant esmerveiller comme de la matiere de quoy elle est faicte, car la moindre pierre qui y soit a pour le moings sept ou huict pieds de long, et les aultres beaucoup davantage; lesquelles ont esté amenées de l'Arabie pierreuse qui confine et touche à l'Egipte et qui est assez loing dudict lieu.

L'entrée de cette pyramide est vers le septentrion, faicte comme en voulte, de la hauteur d'un homme, qui est une descente faicte comme une allée qui va tousjours en estrecissant; puis, estant tout au bas d'icelle, pour entrer en ladicte pyramide, n'y a qu'un pertuis où un homme ne peut aisement passer en pourpoint; et estant entré, faut monter sur une grosse pierre où il y a un trou pour mettre les piedz, et puis trouvez une montée faicte comme ladicte descente, mais beaucoup plus longue, ayant le plancher trois fois plus hault qui est sans degrez, faicte d'une pierre rouge pollie et fort glissante, en façon que pour monter, il faut ouvrir les jambes l'une de çà, l'autre de là et se tenir des mains à des pertuis qui sont en une basse muraille faicte pour servir de tienmain à y monter. Après, vous entrez dedans une chambre où y a une cuve qui est d'une seule piece, de la grandeur d'un homme, qui est d'une certaine pierre qui resonne comme airain quand on la frappe, et dit-on que c'est le tombeau du roy Pharaon. Et quiconque entre dedans, il faut qu'il ait torche ou chandelle, car il n'y a verre ni ouverture pour y voir. Et auprès de cette pyramide sont deux autres qui ne sont si grandes, ne ainsy faictes à degrez, et sont sans ouverture. Et aussy y a assez d'aultres tombeaux de divers façons. Et, nous en retournant en la ville, passasmes au lieu où y a une teste de pierre la plus grosse qu'il est possible de voir; l'on l'apelle la teste de Pharaon. Et près de là, le sieur d'Aubray, enfant de Paris, tomba de dessus une haquenée sur quoy il estoit monté; à laquelle cheute il se rompit le col, dont la compagnie fut fort estonnée et desplaisante.

En cette dicte ville du Caire, il se trouve beaucoup de sortes d'animaux sauvages et, entre autres, y a force chats de civette, desquelz j'ay vu la maniere que on faict pour leur tirer la civette. Aussi y a dedans le chasteau des austruches, et trois giraffes que tient le bassa, qui est un plus rare et plus beau et plus hault animal que j'aye point vu. Sa peau ressemble à celle d'un cerf, mais elle est mouchetée de blanc, le pied comme d'un cerf et les jambes de devant deux fois plus haultes que celles de derrière. Le corps plus long que d'un cerf et le col fort long et la teste petite selon la proportion du corps, en laquelle y a deux petites cornes et le front pointu en façon de diamant.

Nous partismes de ce lieu le deuxiesme de septembre, pour aller en Allexandrie, et allasmes à cheval jusques à Boulac qui est à deux milles loing de la ville, située sur la rivière du Nil. Et là est l'escale de ladicte ville où se faict la cherche de toutes marchandises qui y arrivent.

Et sur les huict heures du soir, le sieur ambassadeur monta sur un brigantin à vingt quatre rames avec partie de sa compagnie, et le reste sur grosses barques qui nous menerent toute la nuict.

Le lendemain, nous arrestasmes à un certain village pour disner.[225] Et de là arrivasmes à une ville nommée Foua[226] où ledict sieur ambassadeur laissa le brigantin sur lequel il estoit monté, et print une barque afin de passer le canal qui va de ce lieu jusque aux jardins d'Allexandrie où arrivasmes le sixiesme jour dudict mois. Et vindrent au devant dudict sieur ambassadeur le consul des Françoys et plusieurs autres des marchands qui pour lors y estoient. Car là est le port où tous marchands chrestiens qui trafiquent au pays d'Egypte abordent.

Ladicte ville est fort desolée, et croy qu'il n'y a maison entiere pour la grande ruyne que le Turq a faict faire d'icelle. Et n'y a autre chose d'entier que les murailles qui sont très belles et haultes et de grandes pierres de taille, avec une grande quantité de tours quarrées. Et dict-on que Alexandre le Grand les a faict faire quand il fonda la ville. Et à la vérité, elles sont fort vieilles.

Toute ladicte ville est à voulte et conduitz par dessoubz, dont encore aujourd'huy s'en voient les vestiges, à cause d'un canal tiré du fleuve du Nil qui y passe en la saison de son inondation. Le pallais dudict Allexandre le Grand est du tout ruyné et n'y a aucune aparence de maison, près duquel sont deux esguilles de pierre chascune de une pièce, fort belles et de grande hauteur; l'une desquelles est couchée à terre et l'autre debout, ouvrées et escriptes en caractères egiptiens, qui ont de hauteur soixante pieds pour le moings. Hors la ville, y a aussi en un lieu forteminent une colonne bien grosse et merveilleusement haulte qu'on nomme la colonne de Pompée; et vers ce quartier, à un mille loing de là, y a un lac qui donne fort mauvais air aux habitants dudict lieu d'Alexandrie, auquel nous sejournasmes jusque au seiziesme septembre que nous en partismes pour retourner au Caire par le chemin mesme qu'avions faict en y allant.

Et avant que passer plus oultre, est à sçavoir que la campagne et la plaine qui est sur la rive du Nil sont les meilleures terres et les plus habondantes en biens qu'on sçauroit trouver. Et entre autres choses, elles habondent en succre, bledz, riz, mil, colocasse et autres légumes et grains. Et la plus grande marchandise qu'ilz font est succre, lin et poulletz qu'ilz font esclore en des fours à centaines et rnilliers, qui n'ont telle saveur que les nostres.

Il y a grande quantité de villages sur le bord de cette riviere et à l'environ, lesquelz sont eslevez sur grosses mottes de terre afin que cedict fleuve n'y adveigne lorsqu'il desborde. Son inondation commence vers le moys d'aoust, qui dure sur la terre avant d'estre retirée trois moys pour le moings et, en ce temps là, les mariniers mal praticqs de la riviere n'osent volontiers y aller de nuict. Et encore que l'environ dudict Nil soit fertile, si s'y void il grande pauvreté, tant au temps de l'inondation pour estre les hommes assiegez en leurs maisons que par après, pour l'extrême chaleur qu'ilz endurent, qui les rend noirs et demy cuictz, lesquelz n'ont autre vestement que toille de coton. Et les enfants et filles ne portent aucune chose sur eux, mesmement l'esté, et ne se faut s'esbahir s'ilz sont noirs et bruslez de la chaleur du soleil, et aussy qu'il n'y pleut quasi comme point, qui est cause que le pays d'Egipte a necessité d'estre arrosé du Nil. Et communément, la terre n'est gueres plus haulte que la riviere, qui faict que facilement, et avec peu de despence, l'on en monte l'eaue par engins à arrouser jusques aux pays lointains. Et à dix milles du Caire, ledict fleuve faict deux branches dont l'une vaàDamiatte et l'aultre à Rosette, qui sont deux petites villes où y a port de mer. Et sa source vient d'un lac en Ethiopie, pays du prestre Jehan. L'eaue en est toujours trouble, et il la faut laisser rassoir pour en boire de claire ; et est bonne et bien saine ; et un chascun en boit. Car il n'y a audict Caire, aucune fontaine ni eaue de puys bonne à boire.

Il se trouve dedans cedict fleuve des cocodrilles en grande habondance. J'en ay veu beaucoup, tant de petitz que de moyens et de grands, qui avoient encore vie, combien que l'on die qu'estans hors de l'eau, ilz ne peuvent vivre plus haut de quinze jours; et nous fut dict que aucuns mores en mangent par faulte de meilleure viande.

Il y a aussy sur la rive de cedict fleuve force cameleons qui se tiennent dans les arbres et ne vivent que de l'air.

Il se trouve aussi des bestes fort venimeuses qui ressemblent à serpentz, mais plus courtes. L'on en fait le tiriacle le meilleur qui se trouve en tout le Levant.

Nous fusmes de retour audict Caire le vingt et uniesme dudict mois de septembre, où sejournasmes jusqu'au vingt-six octobre; et l'occasion de nostre sejour estoit que ledict sieur ambassadeur esperoit recouvrer du salpaistre de myniere qui s'y trouve tous les ans, et l'envoyer en France par des Marsillians qui y estoient lors. Et pour ce faire, avoit envoyé vers le Grand Seigneur duquel il attendoit responce, laquelle fut qu'il n'y avoit gueres que l'on avoit prins ledict salpaistre de la myniere, et que si l'on en prenoit encore, que ce seroit pour gaster et ruyner ladicte myniere, qui luy tourneroit à trop grand prejudice. Au moyen de quoy, nous revinsmes sans salpaistre et fut deliberation de venir trouver ledict Grand Seigneur en la part où il seroit. Repassasmes par l'Arabie deserte et sablonneuse, et revinsmes en Hierusalem et en Damas où eusmes nouvelles certaines qu'il s'en retournoit à Constantinople, et estoit jà par le chemin sans avoir faict aucune faction d'armes ne aucune chose de moindre importance à l'encontre de son ennemy, qui ne voulut jamais comparoir ne venir à combat, et ne fit semblant d'aucune resistance, mais s'enfuyoit tousjours et en pays où l'on ne le pouvoit suivre; qui fut cause de la retraicte dudict Grand Seigneur, ne voullant plus perdre de temps à cette poursuicte.

Aussy que Elcas moteur de cette guerre, pendant icelle accommoda ses affaires avec le Roy de Perse son frere, et s'estoit retiré en son pays et royaume de Sirvan. Lesdictes nouvelles nous donnerent grand contentement pour le desir qu'avions de retourner audict Constantinople, et aussy pour la crainte que nous avions de retourner une autre fois au camp. Car nous estions tant las de voyager, mesmement par ces pays, qu'il n'y avoit personne de nostre compagnie qui ne desirast et qui n'eust besoing de quelque bon repos.

Nous arrivasmes audict Hierusalem pour la deuxiesme fois le neufviesme novembre où trouvasmes Me Guillaume Postel[227] qui y estoit venu des le moys d'aoust, avec les pellerins dans la navire de Venize, homme docte et de grandes lettres, disant à l'ambassadeur qu'il estoit demeuré exprez afin que par son moyen, il peust recouvrer quelques vieux livres du pays. A quoy s'opposa un nommé Petrus Gilleus aussy fort docte qui avoit faict le voyage avec nous. Lequel le feu roy François premier avoit envoyé ès pays de Levant pour y retirer des livres, principalement ès langues grecque et hébraïque des plus anciens qu'il y pourroit trouver.[228] Luy et ledict Postel qui revint en Constantinople avec nous, entroient souvent en dispute, et avoit-on bien affaire quelques fois à les mettre d'accord.

Nous sejournasmes audict Hierusalem cinq ou six jours où je me fis passer chevalier avec un de mes compagnons, et payasmes chascun seullement cinq ducatz. Tous les autres qui le sont en payent dix. Et audict Damas sejournasmes sept jours, pendant lequel sejour, le bassa dudict lieu fit rendre et restituer quelques accoustremens et autres bardes qui avoient esté desrobés à un de nos truchemens à Balbec cy devant nommé, par aucuns dudict lieu qui nous avoient esté laissez pour nostre garde, la nuict que y couchasmes ; lesquels furent bastonnez comme ilz meritoient. Et avec cela, le bassa donna deux assez beaux chevaulx audict sieur ambassadeur, pour ce qu'il luy avoit faict quelque présent auparavant que y avions passé. C'estoit un des plus braves honnestes et liberals turqs qu'avons point veu, car il n'y a gueres qui donnent, mais prennent volontiers.[229]

Nous en partismes le 28enovembre, prenant nostre chemin vers Tripoly et passasmes à un village nommé Meziddlec[230] situé en une belle plaine et fort fertille, puis à Osam[231] et vinsmes à Baruth qui est petite ville fort anticque située sur le bord de la mer où y a port de marchands, dans laquelle y a un couvent de cordeliers despendant de celuy de Hierusalem. Et en ce lieu, nous fut monstrée la caverne où le dragon se retiroit et le lieu où sainct Georges le deffit. Et y a esté faicte une petite eglise fondée à l'honneur dudict sainct que tiennent les prestres grecz. De là, passasmes à Petrimo ville ruinée, monstrant par ses vestiges estre fort anticque.[232]Et le lendemain, arrivasmes à Tripoly, ville bien bastie, située sur un cousteau près la marine qui est le lieu où tous marchands chrestiens qui trafiquent au pays de Suric abordent.[233] Il y a un consul des François, et logeasmes en sa maison. Et y demeurasmes six jours et en partismes le 10edécembre, après diner, et vinsmes coucher en un carvanssera environ huict ou dix milles de Tripoly entre la marine et une riviere. Le lendemain, cheminasmes par une grande plaine suivant ladicte marine et passasmes plusieurs ruisseaux qui viennent du mont Liban et aultres montagnes circonvoisines ; vinsmes coucher à Tortous, anciennement Ortasia, assis sur le bord de la mer qui a esté la derniere forteresse (comme disent aucuns), où se retirerent les François ayant perdu la Terre Sainte. Et à ce que l'on peut juger par les anciennes ruynes et vestiges d'icelle, ce a esté une très belle forteresse.[234] En partant de ce lieu, suivant tousjours la marine, il faisoit si maulvais et fascheux temps, que fusmes contrainctz pour pouvoir passer à gué une rivière de retourner en arriere et aller loger sur les montagnes, à main droicte, à un pauvre village.

Et le landemain, estant cessé ce torrent, passasmes ladicte riviere et vinsmes coucher en un autre village, puis à Gaballa ville ruinée qui monstre par ses vestiges estre fort anticque; et logeasmes dans un carvanssera joignant lequel y a une mousquée et un hospital fort beau et net, où journellement se donnent aulmosnes generalles, et y sont logez et receuz tous passans riches ou pauvres, de quelque nation qu'ilz soient.[235] L'on nous y fit l'aumosne de riz, potages et autres viandes assez mal accoustrées et de gout à nous inacoustumé, qu'il fallut neantmoins accepter pour ne mespriser le bien de Dieu, et ne mescontenter les gouverneurs dudict hospital. Nous la baillasmes aux guides qui nous conduisoient qui en firent bonne chere. De là, fusmes à Lidichia qui est une autre ville ruinée sentant son antiquité, dans laquelle y a plusieurs vestiges d'eglises de chrestiens habitée de Turqs et Grecz,[236] et deux jours aprez, arrivasmes à Antioche, qui a grande aparence d'avoir esté faicte autrefois par un puissant prince, et que c'estoit le siege d'un grand seigneur; et aujourd'huy elle est reduicte comme en village ayant la pluspart de ses maisons espandues çà et là, et en beaucoup d'endroictz, elle est vuide et deserte. Il y a des Turqs, Armeniens et bien peu de Juifs. Et n'y a plus rien digne à voir en icelle que les murailles qui ont aparence d'avoir esté fort belles et merveilleusement bien faictes et sont presque toutes de pierres de marbre.[237] L'assiette en est en pendant et comprent la ceinture desdictes murailles, la sommité de quattre grandes et haultes montaignes sur l'une desquelles estoit assis le chasteau. De là, vinsmes loger à costé du chemin à main senestre à un certain cazal qui est soubz un petit chasteau situé sur les montagnes, assés fertille.[238]

Le lendemain, vingt quatriesme dudict mois de décembre, logeasmes au dessoubz d'un petit chasteau nommé Mergues Calassy,[239] assis sur le pendant de la montaigne, accompaigné d'une maison ou deux seulement, au descouvert, en plaine campagne, en une prairie, prez d'une petite riviere pour mieux nous rafraichir et pour mieux trembler la fiebvre quarte que j'avois, qui m'avoit prins un peu auparavant nostre parlement du Caire, qui me dura deux ans. Puis, logeasmes à un carvanssera[240] et à Seilechuy qui est un gros village en une belle plaine, et après avoir passé un pont sur une grosse riviere où y a de chascun costé ruines de villes ou chasteaux, arrivasmes en une ville située en la plaine qui se nomme Adena où y a un petit chasteau et une autre grosse riviere qui bat au pied d'iceluy, laquelle vient et descent du mont Thaurus.[241] Et lorsque le Grand Seigneur y passa (qui fut environ quinze jours devant nous), s'en retournant à Constantinople, ses janissaires et espahiz mirent le feu au plus beau et meilleur d'icelle, qui y fit un très grand dommage, la voulans du tout saccager comme si c'eust esté terre d'ennemy, pour le malcontentement qu'ilz avoient de leur en retourner d'un si long et fascheux voyage sans aucun profict, de sorte que pour les apaiser, ledict Grand Seigneur leur fit donner à tous une grande somme d'argent. Nous y sejournasmes un jour pour prendre vivres et provisions, et au partir de là, commençasmes à cheminer sur ledict mont Thaurus par l'espace de trois jours. Et puis, vinsmes loger à une ville non fermée nommée Heraclée[242] située en une fort belle plaine où y a grande quantité de beaux villages; et y sejournasmes un jour; puis trois journées après, arrivasmes à Coigne principale ville de la Carmanie,[243] dont estoit gouverneur sultan Bayasit, second filz du Grand Seigneur, et faisoit sa demeure audict Coigne qui est assés bonne ville, assise en une fort belle plaine, bien fermée de murailles, monstrant bien d'estre anticque. Et à ce que j'ay peu entendre, elle a esté ediffiée par les Romains. Ce que facillement je croy, d'autant qu'il y a personnages, lyons et aigles de pierre eslevez et taillez sur les portes de la ville. Nous y sejournasmes trois jours, parce que monsieur l'ambassadeur esperoit y rencontrer quelques beaux chevaux pour envoyer à la court.

Et en partismes le huictiesme de janvier, en temps de neige et merveilleusement froid, en sorte que pour la grande habondance des neiges qui tomboient et pour les brouillardz de la saison, l'on ne pouvoit remarquer par où l'on passoit. Arrivasmes à Axar[244] qui est une petite ville non fermée, scituée en la plaine prez des montaignes en laquelle sejournasmes un jour. Puis vinsmes à Livrigia où y a de fort beaux baings, lesquelz nous fusmes voir,[245] de là à Eschizaher,[246] à Sugut[247] et à Biligich,[248] gros villages; puis arrivasmes à Isnic autrement apellée Nicée,[249] ville fort anticque située en une belle plaine prez d'un lac de son nom, ediffiée par les Romains en laquelle on dict qu'ilz ont tenu et faict le premier concille. Aprez vinsmes à La Lingua[250] passer le canal de mer qui va à Nicomedie et logeasmes à un carvanssera sur la rive dudict canal, puis à Gebizé[251] et à Cartalunim.[252] Et finallement fusmes de retour en la ville de Constantinople, le 28ede janvier 1550, qui nous fut une arrivée de très grande consolation tant pour estre delivrez d'un si long et ennuyeux voyage, que pour y trouver les necessitez et rafraichissementz qui nous estoient necessaires, laissant penser à chascun les travaux, fascheries et mille autres incommoditez qu'avons souffertz en iceluy, trop plus grands que je ne sçaurois escrire, pour estre en pays estranges et barbares, allienez de toute civilité et humanité ausquelz, si l'on n'a quelque support, il y fait fort maulvais et dangereux. Et encore que y avois eu toutes les faveurs et libertez qui se peuvent avoir pour la presence dudict ambassadeur, si est ce que nous n'avons laissé pour cela y patir beaucoup davantage que tous ceux qui sont usitez plus que nous en tel pays. Et toutefois, je ne voudrois pour rien du monde ne les avoir veuz, pour le contentement que j'en ay, louant Dieu, de m'en avoir si bien ramené.

Estans doncques de retour audict Constantinople, ledict sieur d'Aramon ambassadeur y continua le faict de sa charge jusques au mois de janvier suivant 1551, qu'il s'en vint en France, despeché par le Grand Turq vers le Roy pour l'advertir de l'entreprinse qu'il deliberoit faire cette année là sur mer, du costé de Barbarie, et luy rendre compte du reste de sa legation. Et alors je m'attendois bien à retourner en France. Mais ledict sieur ambassadeur ne le me voulut accorder et me commanda de demeurer ensemble à un vieux secretaire auquel il laissa la charge des pacquetz et lettres qui pouvoient survenir pendant son absence, et à moy le service de maistre d'hostel. Y avoit jà quelque temps, j'avois le gouvernement de sa maison et d'une grande partie de ses serviteurs qu'il y laissa, disant que dans quattre mois, y seroit de retour.

Et au mois de may ensuivant, le Grand Seigneur fist partir son armée de mer qui estoit de cent ou six vingtz galleres et plusieurs autres vaisseaux qui portoient vivres et munitions, laquelle vint assieger Tripoly de Barbarie.

Et pendant le siege, ledict sieur ambassadeur y arriva de retour de France avec deux galleres que le Roy luy avoit baillées. Il y demeura environ quinze jours, pour ce que le general de ladicte armée ne vouloit qu'il partist que premierement il n'eut prins la ville pour en aporter la nouvelle au Grand Seigneur, dans laquelle y avoit deux centz chevaliers de Malte de plusieurs nations, et n'y en avoit que cinq ou six de françois, lesquelz furent tous prisonniers et esclaves et mis dans les galleres des Turqs. Ledict ambassadeur fit tant envers ledict general et ses capitaines, par presens et autres belles promesses, que tous lesdictz chevaliers luy furent donnés; les fist mettre sur ses deux galleres et, venant en Constantinople, les laissa en l'isle de Malte; et pour eux, avoit promis de faire rendre les esclaves turqs qui estoient audict Malte detenuz par le grand Prieur, duquel il n'en sceut jamais avoir un. Et au lieu de grattifier ledict ambassadeur de la delivrance de tant de chevaliers, le calomnia, escripvant au roy qu'il avoit esté cause de la prinse de Tripoli, en quoy il n'avoit aucunement pensé ny aidé, ny de force, ny de conseil.

Il fut de retour avec ses deux gallées audict Constantinople au moys de septembre et aporta audict Grand Seigneur la nouvelle de la prinse de Tripoly dont il fut fort aise. Son armée aussi y fut de retour sur la fin du mois de novembre, ayant laissé bonne garnizon audict Tripoly et amenant force esclaves qu'ilz avoient prins en Cecile et autres lieux maritimes.

Ladicte armée continua trois ou quatre années subsequentes de faire entreprinse sur mer. Les galleres du Roy s'y trouverent en l'année 1553, quand Boniface fut prins; et elles avoient hiverné auparavant à l'isle de Chios qui est une republique, toutefois sous la protection dudict Grand Turq, et qui luy paye, par chascun an, neuf mille ducatz de tribut. C'est où se prend ce masticq qui se porte par toute la chrestienté. Elle est à quattre cens milles loing de Constantinople; auquel lieu estant de retour comme est dict cy dessus, ledict sieur ambassadeur y continua le faict de sa charge. Il avoit aporté nouveaux présents pour entretenir les gouverneurs et seigneurs du pays en bonne volonté de faire service au Roy, et mesmement de faire acheminer à la saison ladicte armée.

Cependant, le Grand Turq vint passer l'hyver à Andrinople où nous le suivismes; auquel lieu vint monsieur le chevalier de Seure[253] de la part du Roy pour solliciter ladicte armée de mer dont il eut fort bonne responce, qui estoit qu'elle partiroit dans le mois de juing 1552. Il s'en revint à la cour; avec lequel ledict sieur ambassadeur me despescha pour la sollicitation d'aucunes de ses affaires, mesmement pour avoir argent, de sa pension et celui de ses galleres. Nous partismes au mois de may dudict Andrenople 1552, et vinsmes à Raguze et Venize. Nous passasmes le pays des Grisons et Souisses et trouvasmes le roy devant Damvilliers qu'il tenoit assiégé,[254] où arrivasmes dans le 28eou 30ejour de nostre partement dudict Andrenople, qui ne fut que trop tost pour moy. Car, cinq ou six jours aprez, cheminant avec le camp du roy, je fus blessé à la cuisse au dessus du genouil par un souisse, d'une vieille espée qui n'avoit point de foureau par le bout, dont je cuyday mourir. Et en fus malade au lict plus de huict mois, en sorte qu'il fut nécessaire audict ambassadeur renvoyer un autre pour poursuivre l'affaire qu'il m'avoit donnée en charge et m'escripvit que si je pouvois recouvrer la santé, luy ferois plaisir de l'aller trouver. Ce que je fis avec un de ses secretaires qu'il avoit despeché, qui me trouva à la court d'où nous partismes au moys de may 1553, avec les despeches de Sa Majesté adressant audict sieur ambassadeur et au baron de la Garde,[255] general de ses galleres qui estoient lors avec celles du Turq. Et estans arrivez à Venize, fusmes conseillés par monsieurde Selve,[256] ambassadeur du roy audict lieu, de prendre un autre chemin que celuy de Raguse, et que celuy de Courfou estoit le meilleur pour rencontrer lesdictz seigneur et ambassadeur et baron de la Garde et que les trouverions en l'armée dudict Turq.

Courfou est une isle distante de Venise de sept cens milles, assès grande, qui anciennement s'apeloit Corcyra, où y a un chasteau imprenable situé dans la mer sur une roche inaccessible. C'est une des principales forteresses que les Venitiens ayent. Et le capitaine qui est dedans n'en sort jamais devant trois ans qu'il est ordonné à la garde d'icelluy. Ilz y tiennent un consul pour le faict de la justice et marchandise qui y aborde. Et lorsque le grand Turc avoit guerre contre les Venitiens, ne sceut prendre ledict chasteau. La ville fut ruinée par Barberousse, et est maintenant comme un grand village non trop peuplé, car il emmena dudict lieu plus de dix ou douze cents personnes que hommes, femmes ou enfants.[257] Ladicte isle n'est pas tort fertille; l'on y fait du sel en abondance.

Nous y trouvasmes le capitaine Combas[258] qui y estoit arrivé un peu auparavant nous, qui y avoit conduict quelques corseletz, morions et autres armes pour les soldats des galleres du roy; avec lequel sejournasmes audict lieu environ quinze ou seize jours, attendant quelque moyen de nous en oster.

Finalement, le vingt troisiesme de juin, le baron de Saint-Blancard y vint avec trois galleres sur lesquelles montasmes incontinent. Passasmes près les villes de Cephalonie et Zante peu fertilles, et arrivasmes à Modon au mesme temps et à la mesme heure que ladicte armée du Turc, où sejournasmes trois jours. Et fusmes bien faschez quand nous entendismes que ledict sieur ambassadeur n'y estoit pas et qu'il estoit demouré en Constantinople où il nous convint l'aller trouver, après que nous eusmes communiqué les lettres du roy audict baron de la Garde, qui estoient communes entre luy et ledict ambassadeur. Nous fismes provision audict lieu de Modon de truchement et chevaux pour nous conduire et guider audict Constantinople. Vinsmespar le Peloponese ou Morée en Lacedemon, ville destruicte et ruinée, et par ses vestiges, monstre d'avoir esté belle et grande ville; maintenant, ce n'est pas grand cas, ne pareillement d'Argos, ne aussi de Corinthe qui est situé sur une montagne haute, et le circuit des murailles contient la sommité de tout le haut de ladicte montagne qui ressemble à un mont Olimpe près la mer.

Nous descendismes dans les vignes pour nous reposer sous quelques arbres et faire repaistre nos chevaux. Cependant, nous envoyasmes dans ladicte ville chercher des provisions; mais elle est si pauvre et si desnuée de peuple que l'on n'y sçut trouver sinon qu'une poule et un peu de mouton; et n'y avoit pas un œuf. Ce que voyant, et estant passée la chaleur du jour, sur le soir, nous montasmes à cheval et vinsmes coucher à quatre ou cinq milles dudict Corinthe à un bon village, au commencement de l'Ithsmos, destroict de terre que passasmes le lendemain, laissant à gauche la mer de Corinthe, et à droite celle où est Athenes, ville ancienement renommée, comme chascun sçait, mais maintenant, à ce que j'ay entendu, n'est gueres meilleure que ledict Corinthe. Ayant passé ledict Ithsmos, entrasmes au pais d'Achaïe, vinsmes àMegara et Thebe et à l'isle de Negrepont, anciennement appelée Eubaea. Laissasmes à main droite Napolis de Romanie qui autrefois a esté aux Vénitiens, et lorsque le grand Turc leur faisoit la guerre, furent contrainctz pour avoir paix la leur bailler avec la forteresse de Malvaisie. Il y a d'autres ruines de villes et chasteaux par où passasmes dont je ne fais mention. Me suffira de dire que tout ce païs est si désert que pour qui le voyt maintenant, est quasy incroyable qu'il ayt esté si fertille et si renommé comme les historiographes ont descript : de ma part, je n'en ai gueres vu de plus rude et aride, ne plein de bocages et d'espines qu'il est.

En partant de Negrepont, le sangiac ou gouverneur nous fist bailler une galiote qui nous conduisit soixante ou quatre-vingts milles, jusques à une isle où prismes une barque avec laquelle nous ne faisions pas grand chemin, aussy que nous eusmes presque toujours vent contraire qui estoit cause que nous allions près de terre. Et quand nous approchasmes le destroict de l'Hellespont, nous ne sceumes y entrer, à cause du vent; et fusmes contraintz de prendre terre et chercher chevaulx qui nous menèrent à Gallipoly en Thrace au dessus dudict destroict et des chasteaux de Sexte et Abide qui se voyent aisément.

Gallipoly est assés bonne ville, située sur le bord de la mer; toutefois il n'y a point de port. Elle est habitée de Turcs, Grecs et Juifs. Nous y demourasmes un jour et demy pour nous rafraischir qui n'estoit sans besoing. Et n'ay jamais fait voyage qui m'aye plus fasché et ennuyé que celluy-cy, tant pour l'incommodité et changement de barques et chevaux, qui estoient en assès mauvais equipage, que nous estions contrainctz changer pour gagner païs, que pour une fievre quotidienne, qui me revint entiere laquelle me print au partir dudict Negrepont et me laissa à une journée de Constantinople avec une difficulté d'haleine et mal de costé qui me dura encore longuement. Et fus si mal que je cuiday mourir par les chemins comme fit ledict secrétaire qui fust plus malade que moy, qui demoura audict Gallipoly. Toutesfois, je pris si bon couraige que je fus de cheval dudict Gallipoly en quatre jours à Constantinople, où trouvay ledict sieur ambassadeur qui fust bien aise de ma venue, parce que j'avois l'argent d'une année de sa pension, dont il avoit bon besoing, et qu'il y avoit longtemps aussy qu'il n'avoit eu de nouvelles de la court. Il me fist fort bon accueil et bonne chere, et me conta de tout ses affaires qui lui estoient survenues depuis qu'il ne m'avoit veu.

Il se delibera de s'en venir en France d'autant que le grand Turc se preparoit de nouveau à faire la guerre contre le Sophy. Et pour cet effet rassembla ses gens, partit de Constantinople le trois de septembre 1553, passa le canal de mer, entra en Asie Mineure au dessus de Scutary, beau et gros village, nouvellement basti et amplifié par le Turc où estoient tendus ses pavillons et près Calcédoine. Il y demoura trois ou quatre jours, attendant que tous ses gens fussent passés. Nous fusmes audict Calcedoine qui n'est maintenant qu'un village habité de Grecz; et de ses ruines, Constantinople a esté en partie ediffiée. Auquel lieu ledict sieur ambassadeur alla loger pour estre près dudict grand Turc et de ses bassas, pour plus aisement prendre congé d'eux. Il me présenta à Rostan premier bassa, me recommanda à luy, le priant m'advertir des choses qui seroient dignes d'estre mandées au roy; et que de celles de Sa Majesté, je les luy ferois entendre, et que pour cet effect il me laissoit en son absence, attendant qu'il plust au roy envoyer autre ambassadeur. Estant partis de cedict lieu ledict Grand Seigneur et tous ses gens, nous retournasmes en Constantinople où ledict sieur d'Aramon ne fist pas longue demeure; et ayant mis ordre à ses affaires, en partit le quatorziesme jour dudict mois de septembre, prenant son chemin vers Raguse, me laissant pour la direction des pacquetz et autres affaires qui pourroient survenir en attendant que le roy y envoyast quelque autre.

Et un mois après son partement, la nouvelle vint à Constantinople que le Grand Turc avoit fait estrangler son fils sultan Mostafa son premier fils et de sa première femme, qui residoit au païs de Capadoce dont il estoit gouverneur, par jalousie qu'il avoit de luy qu'il voulust entreprendre sur son estat.[259] Et de ceste mort, s'ensuivit celle de sultan Janguier bassa, dernier fils dudict Seigneur qui mourut de dueil d'avoir vu ainsy cruellement traiter son frère.[260] Autres disent que ce fut pour quelques paroles et menaces que luy feist son père; et aultres, qu'il fust empoisonné dans un bain. Et quelque temps après, ledict Grand Seigneur feit pendre et estrangler à des fenestres le fils dudict sultan Mostapha aagé de onze ou douze ans seulement, qui est le comble de toute cruauté, la plus inhumaine, estrange et barbare qu'il est possible d'ouïr parler.[261] Il resta deux fils audict Grand Seigneur, assavoir Bajazit et Selim, qui depuis eurent guerre ensemble. Selim fut favorisé et Bajazit dechassé et finalement tué. Et après la mort du père, ledict Selim luy est succédé, comme il se voit présentement.[262]

En ce temps de ma demeure audict Constantinople, la ville et forteresse de Boniface fut prinse par l'armée du Turc et des François dont j'ay parlé cy-devant.[263]

Les habitants se rendirent assès legierement aux François, lesquelz promirent de payer aux Turcs trente mil escus, assavoir, dix mil pour leurs munitions et pouldres, dix mil à Dragut bey, lors general de l'armée du Turc, et les autres dix mil à partir entre tous les capitaines des galleres turquesques. Et pour assurer le payment, envoyerent un neveu de M. de Termes[264] et le capitaine Mus[265]en Constantinople avec ladicte armée turquesque, où estoit le seigneur George Madruce nepveu du cardinal de Trente[266] qui y estoit pour dix-huit mil livres assavoir, douze mil livres pour son frère le colonel qui fut mis es mains des François et six mil livres pour luy, lesquels on vouloit eschanger avec M. d'Andelot et M. de Cipierre prisonniers à Milan.[267] L'on s'accorda quant à ce fait, mais quant à l'autre des trente mil escus, il ne fut jamais rien payé, dont il y eut du malcontentement, principalement à l'endroit dudit Dragut bey.

Estant doncdemouré audict Constantinople, comme dit est, le roy y envoya le sieur de Codignac[268] pour son ambassadeur, qui y arriva au mois de mars suivant 1554, lequel alla trouver le Grand Turc en Asie, la part où il estoit.[269]

Ayant fait sa legation, revint audict Constantinople où il faisoit sa demeure, auquel lieu, au mois d'aoust suivant, arriva le sieur de Vilmontée despeché du Roy devers ledict Grand Seigneur, qui y fust malade quelque temps d'une fiebvre quarte et pour cela, ne laissa d'aller trouver ledict Grand Seigneur en Asie où il estoit encore, duquel il eut fort bonne responce et honneste expédition.

Et quand il fust de retour audict Constantinople, je deliberay de m'en retourner avec luy. Ce que je feis parce que ledict Codignac n'avoit pas à plaisir mon sejour par delà, et au lieu de me continuer à faire le service du roy, il tascha de m'en esloigner le plus qu'il put et me rendre inutile audict lieu. Ce que prevovant, et connaissant sa mauvaise volonté envers mon endroit, je prins la resolution de m'en revenir avec ledict Vilmontée.[270]

Nous partismes le neuf de janvier 1555, etvinsmes de compagnie jusques à Venise où estoit lors, ambassadeur pour le roy, l'evesque de Lodeve.[271] Auquel lieu je feis séjour quelque temps, attendant nouvelles dudict sieur d'Aramon, lequel m'escripvit que je le vinsse trouver en Provence où il estoit. J'entendis qu'il n'avoit gueres esté favorisé à son retour à la court et qu'il s'estoit retiré, sans avoir aucune charge que de ses galleres dont il avoit fait faire une à ses despens audict Constantinople. Ce que voyant, je feis autre deliberation et m'en vins à la ville de Ferrare où trouvay M. le chevalier de Seure cy-devant nommé, qui estoit là de la part du roy et pour son service, qui fust fort aise de me voir et entendre des nouvelles du païs de Levant, avec lequel je prins conseil. Et trouva bon le desir que j'avois d'entrer au service de Madame Renée de France, duchesse dudict Ferrare et qu'il luy en parleroit voulentiers. Ce qu'il fist. Finalement, ladicte dame m'accepta et me retint pour controlleur de sa maison. Et depuis, luy a plu me donner estat de maistre d'hostel. Je commençay à venir à son service le premier de may 1555, que j'ay continué jusques à maintenant et que j'espere faire encore à l'avenir, aidant Dieu, auquel soit rendu tout honneur et gloire à jamais.

 


 

APPENDICE

 

III Au Roy.

… Sire, par deux depesches que je trouvay à Venise, m’en retournant par deça, il vous pleut me commander que je recherchasse bien particulièrement l’occasion de la venue du comte de Rocquendolfe en ce païs pour vous en donner advis ; ce que je n’ay failly de faire le plus diligemment qu’il m’a esté possible et n’ay trouvé par tous les rencontres que j’en ay fait quoy que ce soit, fors qu’ayant quelque differend avec sa femme, elle ait esté tellement favorisée de l’Empereur contre luy, que n’ayant jamais pu d’estre oüy en son droit et luy ayant ledict Empereur osté la pluspart de son bien, pour favoriser sadicte femme, et meu de ce à desespoir s'est venu rendre à ce Seigneur, comme au plus grand ennemy qu’ayt iceluy empereur, en esperant que son moyen pouvoit vanger des torts qui luy ont esté faicts; n’a cessé depuis sa venue d’en chercher les moyens, n’ayant faict, par ce que j’ay entendu, que bon office envers ces seigneurs de tout ce qui peut toucher le service de Vostre Majesté, auquel il monstre une bien grande affection, en laquelle je mets peine de l'entretenir le plus qu’il m’est possible pour s’en servir en quelque occasion, ce que je connois qu’il fera trèsvolontiers. D’Adrianopoly, le 4 mai 1547.

D’ARAMON

 

VIII Lettre du roi Henri II au sultan Suleyman.

Treshaut, tresexcellent, trespuissant, tresmagnanime et invincible prince, le grand empereur des Montsurmans, sultan Suliman Sach, en qui tout honneur et vertu abondent, nostre trescher et tresamé frère et parfaict amy, Dieu veuille augmenter Vostre grandeur et prosperité avec fin tresheureuse. Nous envoyons présentement devers Vostre Hautesse nostre amé et féal pannetier ordinaire, le sieur d'Huyson porteur de ceste, pour luy dire et faire entendre aucunes choses de nostre part, touchant la parfaite et sincere amitié qui est entre nous, avec quelques autres points d'importance dont nous vous prions tant et si affectueusement que faire pouvons, le vouloir croire et y adjouster entiere foy, tout ainsy que vous voudriez faire à nostre propre personne; et nous estimerons cela à tresgrand et tressingulier plaisir. Priant à tant le Createur, treshaut, tresexcellent, trespuissant, très magnanime et invincible prince, qu'il vous ait en sa tressainte et heureuse garde.

 

IX Instructions données au sieur d'Huyson touchant la paix qui se traitait entre le Grand Seigneur, l'empereur et le roi des Romains.

Le sieur d'Huyson s'en ira par l'Allemagne à Venise où il trouvera le sieur de Morvilliers, ambassadeur du Roy devers la Seigneurie, et luy baillera la lettre que Sa Majesté luy escrit, luy faisant bien entendre le discours de sa charge, afin que s'il y a quelque chose qui luy semble avoir esté obmis en la présente instruction, ledict sieur d'Huyson en soit par luy adverty. Aprez quoy, sans faire aucun bruit ny semblant, qu'il passe oultre pour avancer son voyage vers Constantinople ou la part que sera la cour du Grand Seigneur où il trouvera le sieur d'Aramon, ambassadeur du Roy par delà, et pareillement le baron de Fumeil, ausquels il baillera les lettres que Sa Majesté leur escrit et d'autant que depuis ladicte despeche du 16, Sa Majesté auroit reçu celle du 26ejour dudict mois de juin, envoyée par ledict d'Aramon avec le double de l’escript que le Grand Seigneur a fait bailler à Me Girard pour porter à l'Empereur et au Roy des Romains son maistre, contenant le vouloir et intention dudict Grand Seigneur sur le fait de la paix qu'il a accordé de traiter avec eux pour cinq ans. La chose ayant semblé à Sa Majesté, de prime abord, comme veritablement elle est, de non petite importance et consequence, elle y a bien voulu penser, et finalement s'est resolue d'envoyer par delà, tout exprès et en diligence, ledict sieur d'Huyson que Sa Majesté pense bien ne pouvoir pas estre si tost par delà que ledict Me Girard n'y soit longtemps auparavant arrivé, veu qu'il partit pour Constantinople le 20ejour de juin, comme elle a sceu et qu'il n'a que trois mois de terme pour retourner avec response desdicts Empereur et Roy des Romains. Et si ainsy est que l'allée dudict sieur de Fumeil ou bien la depesche depuis portée par Cotignac qui sera arrivé quelque temps après luy, n'eussent engendré là dessus mutation et changement, comme ledict sieur d'Aramon, par ses deux dernieres lettres, en a esperance et opinion, et que ledict Me Girard eust apporté la ratification de ces Messieurs, telle que ledict Grand Seigneur demande, ainsi que contient le double dudict escrit, en sorte que le traité de ladicte paix soit tenu pour tout fait, passé et arresté d'une part et d'autre, avec la clause par laquelle le Roy y doit estre compris sous les mesmes termes et ainsy que porte iceluy escrit, dont premierement et avant tout œuvre, lesdicts sieurs d'Huyson et d'Aramon s'instruiront asseurement et à la verité, afin de ne faire point d'erreur.

Iceluy sieur d'Huyson se retirera à la Porte dudict Grand Seigneur, et après avoir obtenu de luy audience, il luy presentera les lettres de creance sur luy que le Roy luy escrit, et pour ladicte creance, après lui avoir fait les trescordiales et tresaffectueuses recommandations de Sa Majesté,, il luy dira qu'ayant cedict seigneur Roy entendu, par ce que luy a escrit ledict d'Aramon son ambassadeur, que combien que depuis son advenement à la couronne jusqu'au jour des depesches d'iceluy d'Aramon, il n'eust eu aucune nouvelle de Sa Majesté, chose qui neantmoins estoit à excuser pour les causes et raisons qui ont esté deduictes audict sieur d'Huyson pour les luy faire entendre, toutesfois, en recordation et souvenance de la parfaite et sincere amitié qui estoit entre Sa Hautesse et le feu Roy et sans que premierement ledict seigneur Roy luy ait donné occasion de la continuer envers luy, il a ouvertement demonstré par effet en quel degré d'amitié et affection il le tient et repute, le comprenant avec luy au traité de paix qu'il a fait et accordé avec l'Empereur et le Roy des Romains, et avec termes si exprez qu'iceluy seigneur Roy connoist certainement qu'il entend le faire jouir et user du benefice de ladicte paix, comme luy mesme, et tout ainsy que s'il estoit contractant; laquelle demonstration le met en telle obligation envers ledict Grand Seigneur, qu'il ne sera jamais qu'il ne luy demeure tel qu'il peut et doit l'estimer le meilleur et plus seur de ses amis et alliez. Et pour ce que le Roy, de sa part, a plusieurs princes, seigneurs et potentats de la chrestienté, qui sont en amitié, alliance et confederation avec luy, sur lesquels ledict Empereur pourroit, par cy après, faire entreprise et leur courir sus, comme le commun bruit est entre ses ministres; au moyen de quoy, puisque ledict sieur Roy a ligue defensive avec eux s'ils sont assaillis, il sera contraint d'entendre à leur defense et par consequent d'entrer en guerre avec l'Empereur, qui seroit, en ce faisant, rendre inutile et rompre tout ce qu'a voulu faire et procurer pour luy ledict Grand Seigneur, lequel pour cette consideration sera content, et l'en priera tresinstamment ledict sieur d'Huyson, à ce qu'il n'ait travaillé en vain pour son amy, de faire par le traité d'entre luy et lesdicts Empereur et roy des Romains, ou par article appert, s'il n'y avoit plus d'ordre de reformer ledict traité, avec clause aussy speciale de le ratifier par les contractants dedans certain temps, qu'avec ledict sieur Roy, ses amis, ses alliez et confederés soient compris en termes généraux et spécialement les treize cantons des ligues des Suisses et les deux de la ligue grise qui luy sont fort recommandez, pour avoir par eux ordinairement observé, entretenu et gardé parfaitement et sincerement l'amitié, alliance et confederation qu'ils ont avec la couronne de France. Et quand au pis aller, l'ambassadeur d'iceux Empereur et roy des Romains feroit difficulté sur ladicte comprehension generale, ce que bonnement il ne peut faire pour estre la pluspart des alliez et confederez du Roy en semblable qualité avec ses maistres comme ils sont avec ledict seigneur Roy, ledict d'Huyson fera instance à tout le moins que ceux desdictes ligues demeurent compris, car c'est chose que ledict seigneur estime en singuliere part luy estre d'importance et conséquence. Et poursuivant plus oultre ladicte instance, ledict d'Huyson pourra encore prier ledict Grand Seigneur qu'il luy face delivrer un double collationné à l'original et deüement authentiqué sous le scel et seing du traité qui aura été par luy passé avec ledict Empereur et le roy des Romains, lesquels aussy il chargera expressement avec peines indictes d'en envoyer autant de leur part audict seigneur Roy. Car si l'un ou l'autre venoit à rompre directement ou indirectement en quelque maniere que ce soit iceluy traité contre ledict seigneur, et que luy en voulust poursuivre contre eux la vengeance et reparation, le Roy ne fera pas moindre devoir pour luy qu'eust fait le feu Roy son pere, s'il eust vecu, et aura ses forces prestes si suffisantes et gaillardes pour exploiter là où il sera besoin, qu'il rendra les entreprises dudict Grand Seigneur faciles et aisées à executer. Et voyla quant au premier point, ce qui a esté advisé que lesdicts sieurs d'Huyson et d'Aramon devront faire, si cette premiere condition a lieu. Mais, au contraire, à l'arrivée d'iceluy sieur d'Huyson s'il se voit qu'à faute d'avoir rapporté la ratification desdicts Empereur et Roi des Romains en la forme et au temps que l'a demandé ledict Grand Seigneur, ou bien que par le moyen et à l'occasion des depesches portées par ledict Fumeil et Cottignac, avec l'artifice que ledict d'Aramon y aura peu adjouster, le negoce de ladicte paix ait esté ou soit en termes de rupture ou alteration, ledict sieur d'Huyson parlera autre langage, et reprenant les mesmes points desdictes premieres depesches que luy remarquoit ledict sieur d'Aramon pour en prendre conseil avec ledict baron de Fumeil, s'il est encore là, en bon advis, il dira audict Grand Seigneur que tout ce qu'ont fait lesdicts Empereur et roy des Romains n'a esté, sinon pour gaigner temps et faire, comme ils pensent finement et avec une simulation de paix, leur profit et advantage ailleurs aux despens de leurs voisins, mes alliez, où tendent les desseins dudict Empereur, lequel estime bien qu'estant parvenu à ladicte paix avec ledict Grand Seigneur, les occasions de faire la guerre par deçà luy demeurent entières et de tant plus advantageuses pour luy, que sous l'asseurance que pourroit prendre iceluy Grand Seigneur par le moyen dudict traité de paix, il employera toutes ses forces l'année prochaine à l'entreprise du Sophy, et semble audict Empereur que, par ce moyen, il aura mis ledict Grand Seigneur à la guerre de ce costé là dont il ne se voudra retirer sans faire exploit, à quoy il est requis du temps, quand bien encore il ne trouveroit autre empeschement ny difficulté qui l'arrestast. Et cependant, iceluy Empereur estime avoir gagné une asseurance pour l'entiere commodité de ses affaires et parachever ses affaires en Allemagne, là où il ne fait pas pourtant tout ce qu'il veut, car petit à petit les cueurs des hommes se ressuscitent et l'on en voit déjà quelques indices apparens, d'autant qu'il les a tant offencez, qu'à grand peine, voire encore est il impossible qu'il y puisse plus gueres demeurer obey ny entretenir à sa devotion les choses en l’estat qu'elles sont, sans faire de deux effets l'un : ou bien de laisser de grosses et puissantes forces pour luy garder l'obeïssance et obvier aux nouveautez et mutations, ou bien faire des citadelles et forteresses à toutes les villes pour les dominer, qui sont deux occasions de despense extreme et insupportable. Davantage, il pense qu'estant l'Italie effrayée et intimidée de sa prosperité, elle se prostituera entre ses bras et à discretion, combien qu'il y ait des princes et potentats, lesquels ont toute autre opinion et sont après à se joindre et unir ensemble pour luy repondre et donner obstacle à ses entreprises extraordinaires, sans parler qu'il a le royaume de Naples et aucuns endroits de la Sicile tellement esmeuz et bandez contre luy et ses ministre, pour leurs façons de faire odieuses dont ils ont jusques icy usés qu'ils ne demandent sinon qu'à trouver nouveau roy qui prenne leur protection en main. Parquoy, si ledict Grand Seigneur vouloit comme il avoit deliberé et conclu par cy-devam, auparavant le trespas du feu Roy, faire l’année prochaine l'entreprise qu'il devoit faire cette-cy, il se presente à luy la plus belle et plus fertile occasion qu'il eut jamais, et en pourroit bien tirer autant d'utilité et commodité que de ce qu'il pourroit faire contre le Sophy. Et là-dessus, ledict sieur d'Huyson pourra dextrement sçavoir et entendre sa deliberation et conception, le temps qu'il sera prest, quelles forces il aura, et de quel costé il les voudra faire tourner, pour de tout advertir le Roy seurement et à la verité, afin qu'il ne demeure point en arrière de faire ce qu'il estime estre de son devoir, pour ne faillir à l'office d'amy, ce qu'il ne vouldroit faire pour rien à l'endroit dudict Grand Seigneur ny autre car, Dieu mercy, il est aussy bien ou mieux sur ses pieds que nul de ses predecesseurs ait jamais esté, soit par mer, soit par terre, ayant sa gendarmerie aussy belle et mieux payée qu'elle ne futoncques et, comme il a par cydevant mandé, il a jusques au nombre de quatorze ou quinze mille lansquenets sur les frontieres de Champagne et Picardie, avec dix sept mille Suisses, tous apprestez pour marcher quand bon luy semblera, sans les legions de gens de pied de ses païs et provinces et autres bons hommes de guerre François, Italiens, Gascons qui sont en divers endroits de sesdictes frontieres, sans ceux qu'il pourra faire lever quand bon luy semblera, lesquels se trouveront accompagnez d'aussy belles et grosses bandes d'artillerie qu'il en ait point encore esté veu en ce royaume, à quoy il fait incessament travailler ès fontes qu'il a fait dresser depuis son advenement à la couronne. Et s'il est bien sur la terre, il ne sera plus mal sur la mer; car du costé du Ponent, il fait faire jusques à quarente galeres qui seront prestes et equipées dedans peu de temps, oultre les autres qu'il avoit là et en la mer du Levant, qui sont en bon nombre comme sait ledict d'Aramon. Et sont telles forces dignes d'estre offertes pour l'aide, secours et faveur d'un tel prince qu'est ledict Grand Seigneur. Et consequemment, fera et dira ledict sieur d'Huyson pour le fait et execution de sa charge, ce qu'il devra estre requis et necessaire par l'advis et conseil desdicts sieurs d'Aramon et de Fumeil qui l'assisteront à son audience. Et sitost qu'il verra que sa presence par delà ne pourra plus servir d'aucunes choses, il s'en retournera par deçà, pour rendre compte fidellement de tout ce qu'il aura fait et negocié par delà et pourra le baron de Fumeil faire de mesme, si déjà il n'estoit en chemin. Mais, premierement, avant toute œuvre, lesdicts sieurs d'Huyson et d'Aramon s'informeront asseurement de toutes choses et à la verité, afin de ne faire point d'erreur.

 

X Au Connestable.

…… Monseigneur, vous avez entendu la venue par deça du Srcomte de Roquendolf au service du Grand Seigneur, ayant abandonné celuy de l'Empereur pour quelque tort qui luy avoit esté fait; lequel estant pressé tous les jours de se faire turc, contre la promesse qui luy avoit esté faite a son arrivée, voyant aussy qu'ils ne se deliberoient point de se servir de luy es occasions pour lesquelles il estoit principalement venu par deçà, et qu'il ne pouvoit sans danger demander licence pour se retirer, delibera de s'en aller sans congé, ayant auparavant communiqué à M. de Fumel et à moy son dessein, comme de s'en aller devers le Roy luy offrir son service. Et pour ce que depuis il fut pris par les corsaires et ramené icy à la Porte, en tresgrand danger d'estre fait turc ou de perdre la vie, pourne laisser un tel personnage en si grand danger pour la bonne volonté que j'avois connu qu'il portoit au service du Roy, je pris la hardiesse de requerir sa vie et sa delivrance au Grand Seigneur de la part du Roy, pensant certainement qu'il ne luy deplairoit pas que son nom et faveur eust preservé ledict Srcomte de ce danger ; et ayant ledict Grand Seigneur accordé sa délivrance à la requeste du Roy, après luy avoir ordonné de l'aller remercier, je luy ay bien voulu donner le moyen de ce faire ; et pour ce, Monseigneur, qu'il vous plaira entendre par luy le desir qu'il a d'estre employé au service du Roy, et le moyen qu'il peut avoir de lui estre utile, il ne m'a semblé le devoir accompagner d'autre particuliere recommandation envers vous, estant personnage de soy mesme recommandable, et je vous puis asseurer que sa delivrance n'a en rien diminué la reputation et grandeur du Roy, pour la concurrence que m'a faite au contraire l'ambassadeur qui est icy de la part de Ferdinand, en la commune opinion qu'un chascun avoit que, ne perdant la vie, pour le moins il se deust faire turc. De Constantinople, ce dernier février 1548.

D'Aramon.

 

XI Briefve description de la court du grant Turc, par F. Antoine Geuffroy, chevalier de l’ordre de S. Jehan de Jerusalem.

Vous m'avez souvent requis et requerez que je vous mette par escript l’estat de la court du grand Turc, chose que vous entendez et sçavez aussi bien ou mieulx que moy. Car je suis certain que vous avez veu et leu tout ce qui en a esté escript tant des anciens, que par ceulx de nostre temps, qui en ont si amplement et souffisamment parlé, que ce me seroit arrogance et presumption d'en ouvrir ma bouche après eulx. Neantmoins, l'amytié qui est entre nous, commencée de nostre première jeunesse merite bien que je vous complaise et obeisse, non seullement en cecy, mais en toute autre chose qui sera en mon pouvoir.

Parquoy je commenceray à vous dire que le grant Turc fait sa résidence ordinaire en Constantinople que les Turcs appelent Stambol, cuydans dire Stiboli comme les Grecz, qui ont corrompu ces mots εἰςτὴνΠόλιν. Et a sa maison appellée le Saray, assise et située sur la mer du costé de Asie, regardant les chasteaulx appellez Scutari, où souloit estre la ville de Calcedone, et n'y a qu'une petite lieue de mer à traverser de l'ung à l'autre; lequel estroict fut par les anciens appelé Bosphorus Thracius, maintenant l'estroict de Constantinople.

Audict saray qui est le palais et maison royalle, de grant circuit et estendue, y a plusieurs chambres fort richement parées et sur toutes, celle qui est deputée pour la personne dudict grant Turc, en laquelle il est servi de six jeunes enfants, deux desquelz font la garde et veillent toute la nuict, l'un au chevet, et l'autre au pied de son lict, tenans chascun deux torches ou flambeaulx ardans en leur main. Ceulx cy au matin, le vestent et luy mectent ès poches ou bourses de sa robbe qu'ilz appellent caftan, en l'une vingt ducatz d'or, et en l'autre la monnaye qui sont mille aspres. Ce sont petites pieces d'argent cornues, plus quarrées que rondes, cinquante desquelles vallent ung ducat. Et ne sont marquez à d'autre chose que d'escripture, comme aussy leurs ducatz qu'ilz appellent altum ou altumler[272] : car ilz ne usent point d'armoyries ni de couronnes, combien que noz painctres leur attribuent les armes de Constantinople qui sont une croix d'or en champ rouge ou de gueules avec quatre fuzilz, qui ne sont fuzilz, mais quatre βgrecz signifiant βασιλεὺς, βασιλέωνβασιλεύωνβασιλέων, c'est à dire en nostre langue : Roy des roys régnant sur les rois. Ledict argent est pour employer ès menuz plaisirs dudict grant Turc. Et s'il advient qu'il ne le despende ce jour, il demeure à ceulx qui l'avoient mis ès dictes poches, ou ce qui en reste, car ceulx qui le vestent le lendemain, y en mettent d'autre. Ces six enfans le suyvent et accompaignent quelque part qu'il aille, mais il en change quand il luy plaict, allans dehors avecques luy; chascun d'eulx a son office. L'un est Odabassy[273], chef et maistre de la chambre : le second Chocadar[274] porte la robbe, le troysiesme Silichtar[275] porte l'arc et les flèches : le quatriesme Saraptar[276] porte le pot ou vaisseau pour boire de l'eau, car ledict grant Turc ne boit point de vin : le cinquiesme Chiuchter[277] qui porte les souliers, pour ce que la coustume des Turcs est de laisser leurs souliers quant ilz entrent es maisons, lesquelles, pour ceste cause, sont tendues et tapissées par bas de tapis veluz ou psates qui sont comme nattes faictes de joncz, painctes et colourées selon la puissance du maistre de la maison. L'office du sixiesme s'appelle Schemligi[278] et porte le siège et carreaux pour asseoir ledict grant Turc.

Audict saray, tient ledict grant Turc sa court qu'ilz appellent Capy, c'est à dire la porte, en laquelle sont les officiers qui s'ensuyvent.

Et pour mieulx entendre comme ilz sont entretenuz et païez, est à sçavoir que en l’estat dudict grant Turc, y a deux manières de soulde ou gaiges : l'une s'appelle olopha,[279] qui sont vrayz gaiges à nostre mode, païez par les mains des tresoriers : et l'autre s'appelle tymar, qui est comme une assignation de terres, heritaiges et possessions, ou du revenu, dixmes et prouffitz d'iceulx, en forme de pension. Et ceulx qui les parçoyvent sont dictz Tymariotz : les autres Olophagi. Et y a plusieurs officiers qui les ont tous deux, ainsy que je diray cy après en les nommant, et commanceray par l'entrée.

Premièrement, à la porte dudict saray y a trois Capigibassy,[280] c'est à dire capitaines des portiers : chascun desquels a cent aspres de gaiges par jour, et soubz eulx deux cens cinquante capigitz ou portiers qui ont de sept à huict aspres aussi par jour chascun, l'ung desquelz capigibassi est tousjours à la porte avec soixante capigiz et changent de jour en jour. Plus, y a un Capagaz,[281] capitaine de la porte qui est euneuche chastré tout, qu'ilz appellent monouc en leur langue,[282] et a soixante aspres de gaiges chascun jour.

Un Saraydar bassy aussi monouc, capitaine du saray en l'absence du grant Turc, et a cinquante aspres. Ces deux ont douze autres monoucz subjectz à eulx qui ont les uns dix, les autres quinze aspres par jour.

En ce saray sont noriz environ cinq cens jeunes enfans de l'aage de huict jusque à vingt ans, lesquelz ledict grant Turc faict instruire et endoctriner, tant ès lettres que aux armes. Sur tout, les faict apprendre à lire et escripre, sçavoir leur loy, chevaucher, tirer de l'arc et autres exercices de la guerre et de lettres, ainsy qu'il les y trouve enclins et adonnez. Ceulx qui sont deputez pour les enseigner, sont les vieulx talismans,[283] docteurs en leurs loix. Et sont lesdictz enfans habillez et vestuz de neuf, deus fois l'an, à leurs deux bayram, c'est à dire à leurs pasques; les ungs de soye, les autres de laine. Et ne sortent jamais dudict saray, jusques à ce que ledict grant Turc veoit qu'ils soyent en aage pour servir et estre emploïez es charges et offices. Alors les faict Spachoglan[284] ou Silichdar ou en autre estat et degré, selon qu'il les trouve suffisans ou qu'il les veult favoriser. Ilz sont audict saray departiz de dix en dix, et sur chascune dizeine y a ung monouc appelé Capoglan, ogli ou oglan, en leur langue, c'est à dire enfant. Ilz couchent tous en une salle, separez l'ung de l'autre, enveloppez chascun en une sclavine qui est un tapis velu à long poil. Au millieu de ladicte salle dorment leurs monoucs, laquelle salle est, toute la nuict esclairée de grandes lumières et lampes ardans.

Audict saray y a ung grand et beau jardin, gouverné et labouré par quarante ou cinquante jardiniers appelez bostangiz[285] et leur capitaine Bostangibassy qui a de gaiges chascun jour cinquante aspres; les bostangiz en ont, les ungs trois, les autres quatre ou cinq, selon leurs qualitez et suffisances. Et sont vestuz, tous les ans une fois, de drap pers ou turquin. Ilz sont Jannisserotz, qui est diminutif de Jannissaires; car quant ilz sortent dudict jardin, ilz sont faictz Jannissaires. Audict jardin, ilz sont departiz de dix en dix; sur chascune dizeine y a ung chef ou dizenier appelle Odabassy. Oultre y a ung lieutenant du Bostangibassy qu'ils appellent protogero, qui est un nom grec, et en leur langue checaya,[286] et a vingt aspres par jour.

Auprès dudict jardin sur la mer, y a deux fustes, sur lesquelles lesdictz jardiniers meinent à l'esbat ledict grand Turc quant il luy plaict, et le passent en Asie à Scutari et ailleurs quant bon luv semble.

Encores y a audict saray cent jannisserotz deputez à porter le boys pour bruler et le menent en charrettes : leurs gaiges sont troys ou quatre aspres par jour.

Dix Sacca aussi jannisserotz qui y portent ou menent l'eau sur chevaulx dans des outres et en peaulx de chevres, comme l'on porte le vin ès montaignes de Auvergne et de Lymosin et ont semblables gaiges que les precedens.

En la cuysine dudict saray y a un Assibassy[287] chef des cuysiniers qui a quarante aspres le jour, et soubz luy cinquante assiz ou cuysiniers qui ont de six à huict aspres chascun.

Ung Matpach emin,[288] despensier, qui a quarante aspres et soubz luy un escripvain qui en a vingt par jour.

Ung Casnegirbassi[289] comme maistre d'hostel qui a charge des viandes, porte et sert les platz devant le grand Turc et a quatre vingtz aspres et, soubz luy, cent casnegir servans en semblable office qui ont de quarante à soixante aspres par jour chascun.

Plus, il y a audict saray une escuyrie ou estable, avec deux centz chevaulx, et cent hommes pour les panser qui ont de six à huict aspres par jour chascun.

Autres petitz officiers de sa maison a ledict grant Turc, mais il souffira d'avoir nommé partie des principaulx. Maintenant, parleray de ceulx de dehors, et premièrement de sa garde.

En la garde dudict grant Turc sont douze mille jannissaires qu'ilz appellent Jannissarlar,[290] et Jannissar un jannissaire, tous esclaux dudict grant Turcetenfans de chrestiens, comme je diray cy-après. J'ay entendu de quelcun d'entre eulx dire que eulx et nous escripvons mal ce mot et qu'il vient de Cham qu'ilz pronuncent Tcham et signifie seigneur ou prince et yeser qui est à dire esclau, non pas de ceulx qu'ilz vendent et achaptent, car ilz les appellent coul et couller, mais de ceulx qui sont ordonnez aux commandemens du roy. Lesdictz Jannissaires vont à pied soubz ung capitaine appelle Jannissaraga ou Aga simplement[291] et Aga ou Agach en leur langue signifie baston : lequel capitaine a mille aspres de gaiges par jour et six mille ducatz de tymar par an. Et est de si grande autorité et reputation que bien souvent, il espouse les filles et les seurs dudict grant Turc. Soubz luy y a ung checaya ou protogero qui a deux cens aspres par jour, et un escripvain appellé jannissar iazigi[292] c'est à dire escripvain des jannissaires.

Lesdictz jannissaires ont de quatre à huict aspres par jour, l'un plus l'autre moins, et sont partiz de dix en dix ; sur chascune dizeine y a ung dizenier appelle Odabassy c'est à dire chambrier ou chef du logiz, et sur chascune centene, ung centenier appelle Boluchbassi[293] qui signifie chef de bende. Le dizenier a quarante aspres et le centenier soixante ; ceulx cy vont à cheval. Et sont habillez lesdictz jannissaires deux foys l'an, de gros drap pers. Ceulx qui sont mariez demeurent avec leurs femmes, les autres sont logez en certaines maisons à eulx ordonnées en certaines contrées et quartiers de Constantinople, et vivent ensemble huict, dix, douze et plus. Ceulx qui ont le moins d'cstnt et de gaiges servent aux autres qui en ont plus largement, pour recompense de ce qu'ilz ne peuvent contribuer à la despence par esgalle portion.

Quant lesdictz jannissaires deviennent vieulx et ne sont plus pour servir à la garde dudict grant Turc, on les envoye comme mortepayes ès places et les appellent Assarer[294] ; et les dizeniers et centeniers estans vieulx, sont faictz gardes et capitaines desdictes places, avec tymar équivalant aux gaiges qu'ilz avoient.

Entre ledictz jannissaires sont eslevez et choisiz cent cinquante Solachler[295] que les Grecz dient Solachi, lesquelz semblablement cheminent à pied autour de la personne dudict grant Turc et ont de quinze à vingt aspres de gaiges par jour chascun. Et leurs deux capitaines appeliez Solachbassy en ont chascun trente, et obéissent à l'Aga des jannissaires; et signifie Solach, gaucher, et portent leurs cymiterres à droite.

En la garde dudict grant Turc y a trois mille Spachoglan qui ont ung aga de grant estime et autorité, et soubz luy ung lieutenant ou checaya avec ung escripvain; le capitaine a cinq cens aspres, le heutenant cent, l'escripvain trente, et lesdictz Spachoglan de trente à quarante chascun par jour, et servent avec quatre ou cinq chevaulx, chevauchans à la main dextre dudict grant Turc.

Autres troys mille Silichtar avec aga, checaya et iazigi ou escripvain ont autant de gaiges et de chevaulx que les Solach, et chevauchent à la main senestre dudict grant Turc. Tous lesquelz Spachoglan et Silichtar ont esté nourriz au Saray dudict grant Turc, comme j'ay dit cy dessus.

Plus, il y a quatre vingtz Mutefaracha[296] qui portent la lance devant ledict grant Turc; ccluy d'entre eulx qui a le plus de gaiges a quatre vingtz aspres, les autres moins, et ont esté nourriz au saray comme les dessusdictz.

Ceste est la plus seure et plus certaine force que le Turc ayt, qui sont douze mille hommes de pied et envyron vingt cinq mille chevaulx ordinaires.

Il a aussi venerie et faulconnerie ; ung Sechmenbassy[297] qui est comme grant veneur et a cent aspres chascun jour, et soubz luy ung grand nombre de jannissaires.

Ung Zagarzibassi[298] capitaine des chiens qui a cinquante aspres et soubz luy plusieurs jannissaires.

Deux grantz faulconniers appellez Zaniligibassi[299] qui ont chascun cent aspres, et leurs lieutenans vingt et cinq avec deux cens faulconniers dictz Zaniligiler, cent desquelz ont dix aspres par jour chascun, les autres ont tymar et sont exemptz de subsides.

Plus a ledict grant Turc environ quarante Peich[300] qui sont comme lacquaiz et courriers à pied, et se tiennent près de luy pour faire ses messaiges tant en paix que en guerre sans les postes qu'ilz ont assises comme nous, et les appellent Ulach ou Olach.[301]

Il a aussi ung trucheman qu'ilz appellent Dragoman[302] pour parler aux estrangiers, qui a d'auctorité et de crédit autant qu'il est homme d'esprit et qu'il en sçait gaigner. Et a cinq cens ducatz de gaiges par an, et autant de tymar, sans les presens et dons des ambassadeurs et estrangiers.

Les dessus nommez sont tous officiers de sa court, mais en la guerre y en a d'autres qui pareillement sont ordinaires ainsi que ont les princes chrestiens, j'entend des grans. Mesmement les Asapaga,[303] capitaines des Asapler ou Asapiz qui sont sont gens de pied extraordinaires.

Deux agas de Garipoglan[304] qui sont gens de cheval extraordinaires et, ont lesdictz aga chascun quatre vingtz aspres, leurs checaya ou lieutenants trente, leurs escripvains vingt, et lesdictz Garipoglan de douze à seize par jour chascun.

Ung Olophagibassi[305] capitaine des Olophagiz qui a six vingtz aspres par jour, les lieutenans, escripvain et Olophagiz pareil estat que les precedens, et sont gens de cheval ordinaires.

Ung Topgibassi capitaine de l'artillerie ; car top en leur langue signifie canon. Ledict Topgibassi a chascun jour soixante aspres avec checaya et iazigi ou escripvain qui en ont chascun vingt cinq et deux mille Topgiz ou Topgiler, c'est à dire canonniers, qui en ont de sept à huict, et vont à pied.

Ung Arabagibassi capitaine du charroy, car araba signifie charrette, qui a cinquante aspres le jour, checaya et iazigi qui en ont vingt, et troys mille arabagiz ou chartiers qui ont de quatre à six aspres par jour.

Deux Bracorbassi,[306] escuyers d'escurie, ung grant et ung petit. Le grant a cinq cens aspres par jour, le petit deux cens, avec lieutenans et escripvains, et commandent les pallefi"cniers, mulletiers» selHers, esperonniers, et ceulx qui conduisent les cameaulx, ensemble tous les haratz de chevaulx ; et ont soubz leur charge quattre mille chevaulx d'eshte.

Un Chiausbassi[307] capitaine des Chiauz ou Chiausler qui sont comme huyssiers et ledict Chiausbassi est comme prevost de l'hostel; et a si grande auctorité que s'il va devers ung des subjectz du grant Turc, de quelque estat, qualité ou condition qu'il soit, fust ce un bacha ou ung beglerbey, et il luy die qu'il est là envoyé pour avoir sa teste et l'emporter audict grant Turc, il est obey sur le champ, sans monstrer autre commission ou mandement.

Ung Mechterbassy[308] qui a charge des tendes, pavillons et tapiz et du logis du grant Turc, lequel il faict tendre, tapisser et accoustrer quant il est aux champs. Et a de gaiges quarante aspres, son lieutenant vingt et cinq. Et soixante mechter qui sont soubz lui en ont chascun cinq.

Ung autre Mechterbassy, capitaine des trompettes, haultboys, tabours et autres instrumentz de guerre qui a trente aspres; lieutenant et escripvain qui en ont chascun douze par jour. Et soubz luy a environ douze cens Mechter, partie à cheval et partie à pied qui ont pareilz gaiges que les precedens.

Ung Imralem[309] qui porte l'enseigne du grant Turc où pend une queue de cheval, en mémoire (ainsi qu'ilz m'ont dict) de Alexandre le grant qui la portoit sur sa teste et en son armet, comme nous voyons en ses medalles. Ainsi ont faict les anciens capitaines, mesme le dit Virgille de Encas : Cristaque insignis equina. Ledict Imralem a deux cents aspres chascun jour, et es capitaine de tous les mechter.

Ung Arpa emin[310] qui a charge des foins, pailles, orges, avoines, fourraiges et autres provisions pour les chevaulx, tant en paix que à la guerre et a de gaiges soixante aspres, son lieutenant trente et son escripvain vingt. Soubz luy y a vingt hommes qui ont de huict à dix aspres par jour chascun.

Un Sara emin[311] député pour fiiire dresser et nestoyer les chemins, tant en temps de paix que en la guerre et a cinquante aspres, et soubz luy quatre cens hommes qui en ont de quatre à cinq par jour chascun.

Il fault vous dire maintenant des officiers de ses finances, puis je parleray de ceulx de son conseil et du gouvernement et conduicte de ses affaires.

Premièrement, est à sçavoir que le Turc appelle son trésor Casna[312] et les impositions, subsides, gabelles, tribut et autre revenu Caraz.[313]

Le premier officier de sa court sur lesdictes finances est le Casnadarbassi,[314] tresorier des deniers du saray qui est comme un tresorier de l'espargne, lequel esteuneuche ou monouc et se tient audict saray avec soixante aspres de gaiges chascun jour.

Deux Defterdar, comme recepveurs generaulx, l'un desquelz a la charge des deniers provenans des pays qui sont devers la rivière de la Dunoe ou Danube, comme Servie, Bulgarie, Bosne, Valachie et autres avec ceulx de Asie, de Surie et de Egypte. Et a de tymar dix mille ducatz par an, sans ses advantaiges et proutfitz qui sont tresgrans.

Le second a les finances de tous les pays de Grèce, lequel quant le grant Turc va à la guerre, demeure en Constantinople comme son lieutenant. Cestuy a six mille ducatz de tymar et d'autres grans prouffitz. Leur office est de grande auctorité, et ont soubz eulx cinquante escripvains pour escripre et tenir le compte desdictes finances, lesquelz ont de trente à quarante aspres par jour chascun.

Deux Rosermanige,[315] chefz desdictz clercz et escripvains, qui ont chascun quarante aspres et plusieurs autres recepveurs et collecteurs pour le recouvrement desdictes finances.

Deux Vesnadar[316] qui poisent les ducatz et aspres et ont chascun vingt aspres par jour.

Six Serrafiers[317] comme banquiers pour cognoistre l'or, l'argent et monnoyes avec semblables gaigcs et estât que les prccedens.

Deux Casnadarbassi du dehors, l'un de Grece et l'autre de Asie pour faire venir les deniers, et ont chascun cinquante aspres par jour. Etsoubz chascun d'eulx, dix Casnadar qui en ont dix chascun.

Deux Defter emin,[318] l'un de Grèce et l'autre de Asie qui sont sur le tymar et tiennent le compte des tymariotz; ont chascun cinquante aspres et dix clercz ou escripvains qui en ont quinze.

Ilz m'ont dict que le revenu ordinaire dudict grant Turc se peult monter à la somme de quinze millions de ducatz.

Reste à parler de son conseil, du gouvernement des pays qui luy sont subjectz et de Tordre qu'il y tient.

Le grant Turc n'a autre conseil que les quatre bachaz qu'ilz appellent Vizir bacha, c'est à dire conseilliers. Bacha et Bach en leur langue signifie chef ou teste, parquoy on les pourroit interpréter chevetains ou capitaines[319] ; bien souvent ilz ne sont que troys, comme naguyeres est advenu. C'estoient Ayas bacha, natif de la Cymera,[320] qui est à l'endroit de Tisle de Corfou, des anciens dicte Corcyra, Cassin bacha de Croace[321] et Ibraym bacha de la Parga,[322] Albanoys que il fict mourir, tous troys filz de chrestiens. Et estoit cestuy Ibraym, pour avoir esté nourry jeune au saray avec ledict grant Turc, parvenu à si grant crédit et autorité qu'il commandoit absoluemcnt et disposoit de toutes choses, sans que ledict grant Turc s'en melast. Et avoit son pere chrestien en Constantinople, homme de riens et inutile, tavernier, yvrongne et couchant par les rues comme les bestes, et ne fut oncques possible audict Ibraym de le retirer et luy faire vestir ung bon habillement combien qu'il y mist toute la peine et diligence à luy possible. Naguyeres ledict grant Turc a faict ung autre bacha qui est Ayredenbey, lequel nous appelons Barberousse.[323] J'ay entendu que ces jours passez, il en a faict ung autre nommé Mehemet bacha.[324] De ces troys ou quatre bachaz, les ungs ont vingt et quatre mille ducatz de tymar comme avoit Ibraym bacha et les autres seize et dix huict mille, sans autres presentz, proufitz et avantaiges qui montent deux foys plus que leur estât. Et y en a tel qui a six mille hommes ordinaires payez à ses gaiges; et tous ont saray de femmes et d'enflms comme ledict grant Turc. Par cy devant en a eu d'autres comme Perybacha[325] qui avoit gouverné ledict Turc en sa jeunesse, Farath bacha[326] qui fut lieutenant de Surie ou Syrie et Achmet bacha[327] gouverneur du Caire et de Egypte, lequel se voulant faire souldan fut tué par les Turcs estant avec luy. Ces bachaz entrent en la chambre dudict grant Turc, deliberent et disposent de toutes choses concernant l’estat et gouvernement de ses affaires.

Après eulx est le Mofty qui est comms leur pape, protecteur et declarateur de leur loy et ne s'entremect d'autre chose.

Deux Cadizleskier[328] talismans, docteurs en leurs loix pour le faict de la justice et sont comme presidens, l'ung de Grèce et l'autre de Asie. Ilz suyvent ordinairement la court dudict grant Turc et, par honneur, precedent les Visirbachaz, combien qu'ilz n'ayent point tant d'autorité. Ilz commettent et destituent, si bon leur semble et le cas le requiert, les cadiz qui sont les juges des provinces. Et ont chascun desdictz Cadizleskier, sept mille ducatz de tymar par an, deux ou trois cens serviteurs et dix escripvains payez par ledict grant Turc.

Puis y a ung Nassangibassi,[329] comme chancelier qui signe les lettres de la marque et cachet du grant Turc, lequel office est semblablement de grande autorité et reputation. Son lieu et place est après les Beglierbey; il a huict mille ducatz de tymar par an, autant de gaiges, et plus de prouffit, et va accompaigné de grant nombre de chevaulx et serviteurs.

Ung Baratemin[330] qui baille et distribue lesdictes lettres et commandemens, a quarante aspres chascun jour, et a soubz luy dix escripvains et deux protogeroz.

Mais avant que passer oultre et sortir de ceste court, pour ce que j'ay cy dessus parlé des jannissaires et dict que c'est la principalle force du Turc, je vous veulx dire quelles gens ce sont et d'où ilz viennent.

En Constantinople, y a un aga ou capitaine des jannissaires ou Azamoglan qui sont les enfantz du tribut. Et veulent dire aucuns que Azamoglan signifie innocens, simples, aprentiz et enfants qui ne sçavent encores riens, ou pour ce qu'ilz en prennent en Assyrie qu'ilz appellent Azamie ; aucuns autres qu'il faut dire Chamoglan, c'est à dire les enfans du prince ou du seigneur et peuvent estre au nombre de cinq à six mil. Leur aga a soixante aspres de gaiges par jour. Et fault entendre que de quatre ans en quatre ans, le grant Turc envoyé ès pays de Grèce et de Anatolie qui est Asie Mineure appellée des Grecz Anatoli qui est en nostre langue Orient, prendre les enfans masles des chrestiens qui sont subjectz à ce devoir ou angaric,[331] car tous ne le sont pas. Mais, bien souvent, affin d'en avoir et recouvrer plus largement, il charge lesdicts chrestiens de si grans et importables subsides appelez Telus,[332] que les autres non subjectz à ce tribut d'enfans pour non pouvoir payer lesdictz subsides, sont contrainctz de luy bailler de leurs cnfans, tellement que quelquefoys, il leur en levé bien dix mille et plus, desquelz il faict choisir les plus beaulx, pour mettre en son saray. Le demeurant, il faict distribuer vers Bursie et Caramanie et bailler aux laboureurs et bergiers, où l'on les faict labourer la terre et garder les bestes, ou faire autres services champestres pour ès accoustumer et endurcir à la peine et apprendre la langue turquesque. Après, et au bout de quatre ans qu'il en envoyé lever d'autres, ceulx cy sont mandez venir en Constantinople et baillez à l'aga des Azamoglans où ilz sont nourriz et vestuz deux foys l'an, enseignez et instruictz en divers mestiers, puis dispersez aux jannissaires pour les servir, après deviennent jannissaires et de jannissaires, Solachler, Silichtarler et en d'autres offices. Et tant qu'ilz demeurent èsdictz pays de Bursie et de Caramanie, ilz ne dépendent riens audict grant Turc pour ce que ceulx à qui ilz servent les vestent et nourrissent.

J'ay dict cy dessus que au saray auquel se tient ledict grant Turc y a environ cinq cens jeunes enfans. Il y a ung autre saray où sont ses femmes appellées sultanes, c'est à dire roynes, et sont separées les unes des autres avec leurs enfans ; en leur garde et service, y a grant nombre de monoucques et environ troys cens jeunes filles gouvernées par vieilles qui les apprennent à couldre et ouvrer de l'aiguille. Lesdictes filles ont de douze à quinze aspres par jour chascune, et sont vestues et habillées de neut deux foys l'an, à leurs deux Pasques qu'ilz appellent Bayram comme j'ay dict, toutes de drap de soye. Et s'il advient qu'aulcune d'icelle plaise audict grant Turc, il s'en sert comme de sa femme et luy donne pour une foys dix mille aspres, la faict séparer des autres et luy augmente ses gaiges et estât. Quant ces jeunes filles sont pervenues à l'aage de vingt cinq ans et il ne plaise audict Turc les retenir pour son service, il les marie à Spachoglan et autres de ses serviteurs et esclaux selon leurs qualités et conditions et, en leurs lieux et places, en fait mettre d'autres audict saray auquel y a aga, capigiz et tous ofhciers comme en ccluy où il fiict sa résidence et demeure.

Auprès de la ville de Pera qui est près de Constantinople, et n'y a que le port entre deux, aussi vault autant à dire πέρα, comme au delà, y a ung autre saray auquel y a quatre cens jeunes enfans avec tous officiers comme aux precedens.

A Andrinopoli ou Adrianopoli en y a deux, l'ancien et le nouveau. En l'ancien sont nourriz troys cens enfans; au nouveau qui est sur la rivière Marissa anciennement dicte Hebrus y a troys cens jannisserotz, et tous officiers ainsi que aux autres. De ces deux sarays et de celuy de Pera, on en prend pour les mettre au grant saray ainsi qu'il en fault, et que l'on mect hors les grans. Du costé dudict Pera sur la marine, y a un tersenal ou arsenal qui est le lieu où l'on faict et tient les galleres et navires, auquel besongnent ordinairement deux cens maistres qui ont chascun dix aspres par jour, et cinquante protoz ou superintendans qui ont, quant ilz besongnent, chascun douze aspres, et quant ilz séjournent, n'en ont que six; un escripvain qui en a dix autres escripvains soubz luy, ledict escripvain a vingt cinq aspres par jour, les autres dix. Et pour le service dudict tersenal est un grant nombre de manouvriers qui ont chascun quatre aspres par jour. Ilz ont tant de boys pour faire les navires qu'ilz veullent et de bon ; mais ilz ne les sçavent faire, principallement galleres, car ilz ne les font point si bonnes, ne si legieres que les chrestiens, et les font lourdes, pesantes et mal regentes, combien qu'ilz ont quelzques maistres chrestiens ausquelz ilz donnent tant de gaiges qu'ilz en veullent. Sur ledict tersenal et sur tous les officiers d'icelluy, y a ung capitaine gênerai appelle beglierbey de la mer, qui a aussi charge de l'armée de mer quant elle sort. Et souloit tousjours estre le capitaine de Gallipoli quelqu'il fust; mais, puis aucun temps en ça, ledict grant Turc y a commis Barberousse qui a de tymar pour cest office quatorze mille ducatz chascun an, assignez sur les isles de Methelin, Rhodes et Negrepont, dont il en tire et exige troys fois autant. Avant que iceluy Barberousse print ceste charge, les Turcs ne savoient riens ou bien peu de l'art de la mer, excepté quelques coursaires. Et encores aujourd'huy, quant ilz veullent dresser une armée de mer, ilz vont par les montaignes de Grece et Natolie, prendre les bergiers qu'ilz appellent Coynariez,[333] c'est à dire moutonniers et les mectent à voguer ès galleres et servir ès autres vaisseaulx, à quoy faire ilz sont si mal propices qu'ilz ne sçauroient non pas voguer et servir, mais eulx soubstenir debout, qui est cause que lesdictz Turcs n'ont jamais faict acte notable, ny bon effect en la mer. Toutesfoys, ledict Barberousse les a quelque peu dressez.

Je me suis beaucoup arresté à parler de Constantinople et de la court du grant Turc et si n'ay point tout dict : aussi ne le sçay je pas, avec ce qu'il fauldroit ung meilleur cerveau que le myen pour s'enquérir d'ung si grant estat. Cy après diray comme le grant Turc gouverne ses pays et l'ordre qu'il donne à sa gendarmerie, tant que j'en ay peu entendre et sçavoir.

En chascune province y a ung gouverneur qu'ilz appellent Beglerbey, c'est en nostre langue seigneur des seigneurs.

Le premier est le beglerbey de Grèce soubz laquelle sont compris tous les pays que ledict Turc tient en Europe, et est le plus grant de tous les autres. Il a seize mille ducatz de tymar chascun an, mais il en exige trois fois plus. Soubz luy est ung Defterdar c'est à dire tresorier, qui a trois mille ducatz de gaiges et luy sont subjectz cent escripvains qui tiennent les comptes et registres du tymar et des tymariotz. Soubz la charge dudict beglerbey, sont trente sangiagler ou sangiacz, capitaines de la gendarmerie qui est divisée par enseignes et banyeres, lesquelles, en leur langue, s'appellent sangiac. Lesquelz sangiacz ont huict, dix et douze mille ducatz de tymar par an et sont logez es principalles villes des provinces, pour les tenir en paix et obéissance. Soubz eulx y a quatre cens sobassiz[334] ou plus qui sont comme lieutenans, logez par les petites villes pour le mesme effect et ont chascun mille ducatz par an, avec plusieurs Flamboler, qui aussi signifie enseigne, chefz et capitaines de deux, troys, quatre et cinq cens chevaulx qui sont envoyez par les beglerbey ou sangiacz es lieux, ainsi que le cas le requiert et pour promptement pourveoir aux affaires qui surviennent. Soubz lesquelz sangiacs y a trente mille spachi qui servent avec troys ou quatre chevaulx chascun, et ont deux cens ducatz par an et sont tous azamoglan et esclaux dudict grant Turc.

Plus, audict pays de Grece y a vingt mille tymariotz, gens de cheval qui n'ont que quarante ducatz par an, subjectz aux dictz sangiacz.

Oultre ceulx cy y sont soixante mille Akengy[335] comme aventuriers, lesquelz par aucuns Latins sont dictz Aconizii qu'ilz interprètent fatales; allans à cheval sans aucun gaige ni payement, seullement sont francz et exemptz de tous subsides. Etsonttenues les villes de les nourrir en passant chemin et allant au service du prince.

En pays d'Asie y a six beglerbey, le premier est le beglerbey de la Natolie qui a charge des pays de Pontus, Bithynia, Lydia, Phrygia, Meonea et Caria comprins soubz cette appellation de Natolie. Et a quatorze mille ducatz de tymar. Soubz luy, douze sangiacz qui en ont de quatre à six mille par an, avec sobassiz et flamboler et douze mille spachiz. Le second est le beglerbey de Caramanie qui est Cilicia, Licia, Lycaonia et Pamphylia, lequel a de tymar dix mille ducatz, soubz luy sept sangiacz et sept mille spachiz aux gaiges que les precedens.

Le tiers est le beglerbey de Amasie et Toccat, qui est Cappadocia, Galatia et Paphlagonia ; il a huict mille ducatz de tymar, quatre sangiacz et quatre mille spachiz : a tels gaiges que les dessusdictz et soubz cestuy est la ville de Trebizonde.

Le quart est le beglerbey de Anadule que aucuns dient Aladule[336] ; ce sont les montaignes d'Armenie appellées anciennement mons Taurus et maintenant Cocaz d'une partie d'icelles dicte Caucasus. Ce beglerbey a de tymar dix mille ducatz, soubz luy sept sangiacz et sept mille spachiz. Plus sont ordonnez audict pays trente mille hommes de cheval servans sans gaiges, francz de subsides, comme les akengiz de Grèce.

Le cinquiesme est le beglerbey de Mésopotamie que les Turcz appellent Dierbech[337] dont la ville capitale est Edessa, dicte en la saincte Escripture Ragez et des François Rohaiz. En ce gouvernement est compris partie de la grant Armenie, car le reste est possedé par le Sophy et par les Cordins[338] et Beduyns qui sont peuples de montaignes, par aucuns appelez Turquimans et des anciens Medi, tenuz pour gens de guerre et belliqueux, confinans à Bagadet ou BaldaC;, ville de Assyrie appellée par les François Baudras, laquelle aucuns pensent estre Babilon, et les autres Ninive, capitale de Assyrie. Ce beglerbey ainsi que l'on dict a trente mille ducatz de tymar, douze sangiacz et vingt cinq mille spachiz qui ont plus de gaiges et estat, pour ce qu'ik sont sur les frontieres dudict Sophi.

Le sixiesme est le beglerbey de Damas, Surie et Judée qui a vingt quatre mille ducatz de tymar, douze sangiacz et vingt mille spachiz payez comme dessus.

Le beglerbey du Caire ou de Egypte a de tymar trente mille ducatz, seize sangiacz et vingt mille spachiz. Lesdictz sangiacz ont huict mille ducatz par an chascun et les spachiz deux cens. Ce gouvernement s'estend jusques à la mer Rouge et jusques à la Meche ou Mecque où est le corps de Mehemet; contient l'Arabie déserte et partie de la Fertile dicte Arabia felix, combien qu'il ne sont pas tout entièrement obey. Car il y a plusieurs seigneurs desquelz aucuns tiennent le party du Sophy, les autres du Turc, et y en a qui ne cognoissent l'un ny l'autre : d'autre costé, confine au pays de Assyrie que l'on dict à présent Azamye et est dominée par le Sophy et s'estend le long de la Mésopotamie jusques aux Liverous anciennement dictz Hiberni.[339]

En ces spachiz est fondée la seconde force du grant Turc qui seroit grande s'ilz estoient tous bons. Et quant aux gens de pied, hors les jannissaires il n'en a point, au moins qui vaillent, car ilz ne sçavent tenir ordre et leur est impossible de jamais l'aprendre, car ce n'est pas leur naturel.

 

XII Description de la ville d'Alep (1556).

….. A six ou huit milles d'Alep, on rencontre les vestiges d'une cité ruinée appelée le vieil Alep par les gens du pays. Selon leur dire, cette ville fut detruite, il y a déjà un grand nombre d'années, par les Tartares qui, venus de la Scythie, dévastèrent toutes ces contrées. Ceux des habitants, qui avaient pu sauver leur vie par la fuite, revinrent dans leur pays natal et commencèrent à batir la ville actuelle d'Alep. D'après mon opinion, ceux qui la fondèrent choisirent l'emplacement actuel parce qu'il présentait plus d'éléments de résistance que celui de l'ancienne ville. On voit, en effet, au milieu d'Alep, un monticule ayant une fois et demie l'élévation des plus hautes tours des mosquées, du sommet desquelles les imams crient leurs appels à la prière, et ces tours ont une très grande hauteur. Ce monticule est entouré d'un fossé d'une largeur de quinze pas ; il est foit de main d'homme et taillé au ciseau. Le monticule et le terrain environnant dans lequel le fossé est creusé paraissent être composés d'une pierre légère aussi facile à entamer que le tuf. Le sommet de cette éminence sur laquelle s'élève maintenant le château, servit, je crois, dans l'origine, de lieu d'habitation à ceux qui fondèrent la ville : il fut suffisant, pendant quelque temps, mais les avantages de la situation ayant attiré un grand nombre de gens, ceux-ci ne purent s'établir dans l'enceinte du château et commencèrent à construire des habitations à l'entour. Le nombre de ces habitations s'étant considérablement augmenté, on dut, afin d'assurer la sécurité publique, les entourer d'un mur et en faire la cité fermée telle que nous la connaissons maintenant. Dans l'origine, les cours d'eau que l'on voit de nos jours n'existaient point; pour subvenir aux besoins de la population, il fallut creuser les puits dont toute la ville est remplie. Le nombre croissant des habitants a déterminé à amener les ruisseaux que l'on voit à l'heure présente, à l'intérieur et à l'extérieur d'Alep. Ils viennent du côté du nord et coulent dans la direction du sud. Ils sont dérivés d'une petite rivière à laquelle on a creusé un lit dans le sol et qui, coulant en dehors d'Alep, est amenée dans la ville par un canal souterrain ; elle alimente, au moyen de conduits, les nombreuses fontaines publiques et privées. Ce cours d'eau est fourni par une rivière qui prend sa source dans des colhnes situées à trois ou quatre journées au nord de la ville; un bras de cette rivière court vers l’est, dans la direction de l'Euphrate. C'est peut-être le fleuve Singas, mais, dans ce cas, Ptolémée a commis une erreur, car le Singas ne prend pas sa source dans le mont Pietra, qui est près d'Alexandrette.

Alep a, comme je l'ai dit, une enceinte formée d'une haute muraille flanquée de distance en distance de grosses tours se commandant l’une l'autre et qui, en cas d'attaque à l'arme blanche, pourraient opposer une résistance honorable. La muraille entoure trois plis de terrain, sans compter l’éminence au sommet de laquelle est bâti le château. Elle est percée de onze portes ouvertes sur les faubourgs et sur diverses routes. Les faubourgs sont considérables, et l'un d'eux égale en étendue le tiers de la ville. Le château s'élève, ainsi que je l'ai déjà dit, au milieu de la cité. Il a un demimille ou un peu plus de circuit, et il est entouré par une muraille en pierres de taille, flanquée de tours plus ou moins grosses, selon l'idée de ceux qui les ont construites. On y entre en franchissant la porte d'une petite tour s'élevant sur le bord extérieur du fossé, puis on passe sur un pont dont il faut gravir la pente et qui est soutenu par six arches hautes, mais peu larges. Près de la porte est une grosse tour détachée de l'enceinte et dont les murs descendent presque jusqu'au fond du lossé. De l'autre côté du château et en face de cette tour, s'en élève une seconde semblable, dans laquelle on pénètre par un chemin couvert. Toutes ces grosses tours sont, ainsi que les murailles, complètement garnies d'artillerie et un aga, commandant deux cents janissaires, est chargé de la garde de la place et fiiit l'office de châtelain. On peut, en outre, évaluer à deux mille le nombre des personnes habitant le château.

La population de la ville et des faubourgs s'élève à un chiffre considérable. Je ne puis, à ce sujet, donner d'autre indication que celle-ci : en l'année 1555, dans l'espace de trois mois, il mourut de la peste, dans la ville et dans les faubourgs, plus de cent vingt mille personnes, et à la cessation du fléau, on ne s'aperçut point d'une grande diminution dans la population. Il ne faut pas s'imaginer, bien que je fusse présent, que j'avance ce fait d'après ma propre estimation ou d'après celle d'autres personnes. Je l'affirme de science certaine, parce que le cadi et lebeylerbey, voulant connaître le nombre exact des morts enterrés chaque jour, avaient, à cet effet, placé aux portes de la ville et des faubourgs, des gens pour tenir une note exacte de tout ce qu'ils voyaient. C'est pour cela que mon allégation est véridique. On peut, en s'appuyant sur ce fait, affirmer que la population est très considérable.

La ville n'est point embellie par des édifices publics, si ce n'est par des mosquées dont quelques-unes sont fort belles avec leurs tours aussi hautes que nos campaniles. Les habitations sont construites en pierres et surmontées de fort belles coupoles également en pierres; elles sont, à l'intérieur, ornées de dorures et d'incrustations de pierres dures. Le sol est recouvert de cailloux de diverses couleurs, habilement disposés et formant des entrelacs et des arabesques. Le mobilier des gens de distinction est extrêmement riche, et chacun, selon son état et ses moyens, s'applique à garnir sa maison de beaux meubles.

Seuls, les Turcs au service du grand Seigneur sont modestement installés, parce qu'il leur faut être toujours prêts à se rendre au lieu où leur seigneur leur commande d'aller. Celui-ci leur confie inopinément un autre emploi et lorsqu'il se décide à déplacer quelqu'un, il le fait sans aucun égard. Les Turcs ignorant s'ils devront séjourner dans un endroit ou dans un autre, s'abstiennent de tenir leurs habitations en bon état et ne se préoccupent en aucune façon de bien meubler leurs appartements. Aussi le plus grand nombre des maisons occupées par eux tombent-elles en ruines; ils se bornent à posséder des esclaves, des chevaux avec leurs harnais, des vêtements et de l'argent comptant.

Il y a, dans la ville d'Alep, de nombreux fondachi appelés khans dans le dialecte du pays. Ils sont destinés à loger les étrangers qui affluent dans la ville, attirés par l'importance des transactions commerciales. Ces khans sont voûtés et construits en pierres vives. A l'intérieur, des galeries régnent tout autour aussi bien au rez-de-chaussée que plus haut, car ils ont deux étages. Au milieu, s'étend une cour et toutes les chambres sont meublées avec un certain soin.

Le lieu où se vendent les marchandises est couvert, et la nuit venue, on le ferme; on l'appelle dans la langue du pays bazar, et ce mot a la signification de marché.

Les rues bordées des deux côtés par les boutiques où se vendent les comestibles, sont également couvertes ; on y trouve tout ce qui est nécessaire à la vie et dans l'origine, ces boutiques ont été établies pour la commodité des étrangers, car il n'y a point d'auberges où ils puissent aller. Chacun des habitants fait cuire ses aliments chez lui, à l'exception du pain qui est acheté au dehors. Les vivres sont extrêmement abondants ; rien ne fait défaut et une preuve de la facilité de la vie est que l'année pendant laquelle l'armée prit ses quartiers dans cette ville, la présence d'un si grand nombre de gens ne fit point hausser le prix de toutes choses audessus de leur valeur ordinaire.

On récolte en ce pays une grande quantité de blé de bonne qualité : on en fait un pain ressemblant à celui que l'on mange dans le Padouan. Le vin est sain et d'un goût parfait, mais il est un peu cher. La ville est entourée de très grands et très beaux jardins et vignobles que l'on arrose pendant l'été, car il ne pleut jamais en cette saison. Ces jardins, situés sur les bords de la rivière, sont facilement arrosés au moyen de certaines roues que font tourner des animaux domestiques. Ceux qui sont éloignés des rives reçoivent l'eau fournie par des puits creusés de main d'homme, au moyen de machines mises aussi en mouvement par des animaux.

Le pays produit en grande abondance des figues, des pèches, des poires et des prunes, parmi lesquelles il s'en trouve de si excellentes, que je n'en ai jamais goûté de pareilles en Italie. Il en est de même pour les pistaches, les melons et les concombres; ils sont les meilleurs du monde et on en exporte partout une énorme quantité. Le raisin est admirable. Les fruits sont très chers, eu égard au prix des autres denrées, car tous les gens de ce pays en font une très grande consommation.

L'air est vif et aussi salubre qu'il est possible de le désirer. Pendant l'hiver, le froid se fait sentir, mais il est peu rigoureux ; du reste, cette saison est de courte durée, et la pluie tombe comme il le faut. Pendant l'été, la chaleur est forte, mais elle est tempérée par le souffte déhcieux des brises de l'ouest et du nordouest : il ne pleut jamais dans cette saison. Tout le monde, petits et grands, jeunes et vieux, dort à l'air depuis le commencement du mois de juin; on répare pendant la nuit l'affaiblissement causé par la chaleur du jour. La rosée qui tombe est sans inconvénient et ne fait aucun mal, mais il faut avoir la tête toujours couverte, l'été à cause du soleil et de l'air de la nuit, l’hiver à cause du froid; autrement, on est exposé à avoir des douleurs et surtout des ophtalmies.

Les transactions commerciales ont, dans cette ville, une extrême importance ; elles sont merveilleuses, et qui n'en a été témoin ne saurait s'en faire une idée. Ces transactions sont déterminées par la situation de la ville d'Alep, situation favorable pour ce qui vient du Levant, de l'Occident, du Nord et du Sud : de tous ces points il arrive des gens qui entrent dans la ville ou en sortent après y avoir séjourné quelque temps.

Notre nation vénitienne importe chaque année des marchandises du Ponent pour une valeur d'au moins trois cent cinquante mille ducats, et l'exportation des marchandises du Levant atteint le même chiffre. Les importations de la nation française montent à quatre-vingts ou cent mille ducats et ses exportations représentent la même somme. Les négociants de l'Egypte et du Caire introduisent, tous les ans, dans ce pays pour deux cent mille ducats de marchandises et ils en emportent pour autant, par la voie de la côte. Chaque année, on exporte d'Alep pour cent mille ducats de soieries fabriquées dans la ville et pour cinq cent mille ducats d'autres produits. On apportait autrefois de Bagdad des marchandises pour la même somme, mais aujourd'hui, le trafic avec cette ville est ruiné et on n'expédie plus de Bagdad que pour quatre-vingts ou cent mille ducats.

Si les relations reprenaient leur ancien cours, Alep en tirerait grand profit, car le commerce avec Bagdad consiste en produits de l’Inde et en épices qui constituent une des bases principales de notre trafic. J'entends dire, en outre, que les provinces soumises au pouvoir du Sophi expédient annuellement pour trois cent cinquante mille ducats de soie et pour quarante mille ducats de drogues, de musc et de rhubarbe, et tout cela se négocie à Alep. La Turquie fournit des marchandises pour une valeur de soixante à soixante-dix mille ducats.

On fabrique annuellement à Alep et dans les environs, pour deux cent mille ducats de savon. Ce produit est vendu en totalité à des étrangers qui le transportent dans les deux Arménies et en Perse. C'est une grande commodité pour les pays qui le consomment. Les laines d'Alep et de la province sont si bonnes que l'on en vend, tous les ans, pour deux cent cinquante mille ducats.

L'industrie de la soie est florissante, et ses produits sont de toute beauté. On fabrique en grande quantité des velours rouges, de beaux draps d'or, des draps de soie travaillés en plusieurs couleurs et mieux faits que partout ailleurs. Alep est bien pourvu de toutes sortes d'autres industries et elles sont aussi nombreuses que l'exigent les besoins d'une ville grande et bien peuplée.

 

XIII Consultation juridique adressée au mufti de Jérusalem.

Louanges soient données à Dieu seul !

A celui qui est le chef des docteurs de la loi et l'arbitre de la foi, que le Dieu très haut leur témoigne à tous sa satisfaction !

Le cas exposé ci-après se présente dans la noble cité de Jérusalem. Il existe, en dehors de cette ville, un couvent appelé couvent du mont de Sion occupé par des religieux latins. Des chrétiens de nationalité franque y viennent de tous côtés et y résident en toute sécurité. Les religieux ont à leur service un interprète maronite que son hypocrisie et ses mensonges rendent digne de les servir. Par son intermédiaire, ils ont fait parvenir à la cour Impériale, que Dieu rende sa durée éternelle ! une relation remplie de faussetés et affirmant que leur couvent étant en mauvais état, ils sollicitaient la permission de le réparer, en se conformant aux prescriptions de la noble loi religieuse. L'autorisation leur en ayant été généreusement accordée, ils ont eu l'audace, obéissant à leur caprice, de le rebâtir depuis les fondements, employant pour sa réédification de grosses pierres taillées et surélevant la nouvelle construction ainsi que le couvent et l'eglise, de neuf rangs de pierre de taille qui n'existaient pas dans les anciens bâtiments. Ils ont ainsi réussi à agrandir peu à peu leur couvent: les religieux qui l'occupent y viennent tous les trois ans des pays ennemis et les marchands francs, qui se rendent dans notre pays pour y exercer leur trafic, y séjournent sans acquitter aucune taxe et s'en retournent en pays ennemi sans avoir payé aucun droit.

Les religieux latins ont étendu leurs constructions jusqu'au tombeau de David (que la paix de Dieu repose sur notre prophète et sur lui). On demande s'il doit leur être permis de construire dans le couvent un bâtiment près du lieu où repose le prophète David et qui est un sanctuaire objet de la vénération de tous les musulmans. Est-il licite, en outre, qu'ils fassent entendre en ce lieu leurs chants impies et que le son de la cloche couvre la voix des musulmans ? Est-il, dans ce cas, permis à un musulman de favoriser les Francs ? Commet-il un péché celui qui pouvant anéantir ces choses ne le fait pas ? Est-il coupable celui qui pouvant les empêcher ne s'y oppose pas? Convient-il de démolir tout ce qui a été innové dans la réparation de l'eglise et du couvent ? On sollicite une réponse à ces différentes questions.

 

XIV Sentence du mufti

Louange au Dieu unique!

Il est absolument impossible que les chrétiens pénètrent dans les édifices occupés par des musulmans si ce n'est dans un but utile à ceux-ci, c'est-à-dire pour leur livrer des produits du commerce et de l'industrie et d'autres objets semblables. Il n'est point séant non plus que les musulmans entrent dans les eglises et les couvents des chrétiens pour être témoins de leurs cérémonies. L'aveuglement de ceux-ci étant volontaire, il ne faut pas que les musulmans voient les marques de leur infidélité envers Dieu. Quoi de plus blâmable que de permettre à des musulmans d'entrer dans les eglises de ceux qui méprisent leurs croyances? On ne doit pas permettre aux religieux d'élever la voix de l'impiété pendant la récitation de leurs offices ; on doit leur interdire de la manière la plus sévère de sonner leurs cloches dont le son est odieux aux musulmans. Quie Dieu étende sa miséricorde sur ceux qui ont promulgué cette défense, car le son des cloches est plus odieux au Dieu très haut et tout-puissant que le bruit de leurs voix. Il faut que toutes les bâtisses nouvelles élevées par les rehgieux soient démolies, car on ne peut tolérer la reconstruction d'une eglise. Favoriser de telles innovations est absolument défendu aux musulmans.

Omar, fils d'elKhattab, donna l’ordre de raser toutes les eglises et cet ordre a été confirmé par Omar, fils d'Abd el Aziz. Ce prince ne voulut tolérer dans les pays de l'Islamisme aucune eglise soit ancienne soit nouvelle. Telle est l'opinion unanime des docteurs de rislam.

 

XV Khatli chérif adressé au Sandjaq de Jérusalem et à Seyyd Mehemmed Efendy, Cadi de cette ville.

A la réception de ce signe auguste et impérial, apprenez que par requête adressée à notre sublime Porte, on nous a fait savoir que près de la noble ville de Jérusalem se trouve le tombeau du prophète David (que les bénédictions et la paix de Dieu reposent sur notre prophète et sur lui !), et que le couvent et l'eglise du mont de Sion, possédés et habités par les religieux francs, sont contigus au tombeau. Ceux-ci, en faisant les processions exigées par leurs fausses croyances, passent sur la terrasse qui recouvre le sépulcre du prophète David (que la paix soit avec lui !). Il n'est ni juste ni convenable que ce lieu très noble demeure en la possession des infidèles et que, obéissant à leurs coutumes impies, leurs pieds foulent des lieux sanctifiés par des prophètes qui ont droit à toute notre vénération. Nous ordonnons donc qu'après avoir reçu cet ordre auguste, vous expulsiez à l'instant et sans aucune rémission, de l'eglise et du couvent, les religieux et tous ceux qui y résident. Vous ferez purifier le tombeau, but de visites pieuses, et vous le remettrez ainsi que tous les autres lieux sanctifiés par des prophètes aux nobles Seyyds, descendants de notre prophète. Nous avons chargé de la garde et du gouvernement de ce sanctuaire le porteur du présent ordre impérial, le prédicateur Mehdy el Hachimy, colonne de la foi et arbitre de la vérité. Nous l'avons envoyé et lui avons confié le soin de régir les biens de l'eglise, les jardins et les champs qui en dépendent ; nous l'avons investi de toute autorité et lui avons accordé la jouissance de ces biens, ainsi que la faculté de disposer tout ce qui sera nécessaire pour s'y établir et y résider.

Vous ferez connaître à notre sublime Porte tout ce dont besoin sera et elle vous fera parvenir ultérieurement d'autres ordres augustes.

Écrit à Constantinople le 1erdu mois de djoumazy oul ewel de l'année 929 (18 mars 1523).

 

XVI Lettre adressée à François Ier par Sultan Suleyman.

Dieu!

Par la grâce du Très Haut, dont la puissance soit à jamais honorée et glorifiée et dont la parole divine soit exaltée.

Par les miracles abondant en bénédictions du soleil des cieux de la Prophétie, de l'astre de la constellation du Patriarchat, du pontife de la phalange des prophètes, du coryphée de la légion des saints, Mohammed le très pur, que la bénédiction et la paix de Dieu soient sur lui ! Et sous la protection des saintes âmes des quatre amis qui sont Abou Bekr, Omar, Osman et Aly, que la bénédiction de Dieu soit sur eux tous !

Châh Sultan Suleyman Khan, fils de Sélim Khan, toujours victorieux !

Moi, qui suis le sultan des sultans, le roi des rois, le distributeur des couronnes aux princes du monde, l'ombre de Dieu sur la terre, l'empereur et seigneur souverain de la mer Blanche et de la mer Noire, de la Roumélie et de l’Anatolie, de la province de Zoulqadr, de Diarbekir, du Kurdistan, de l'Azerbaïdjan, de l'Iraq Adjemy, des provinces de Damas et d'Alep, de l'Egypte, de la Mekke, de Médine, de Jérusalem, de la totalité des contrées de l'Arabie et du Yémen, et en outre, d'un grand nombre d'autres provinces que, par leur puissance victorieuse, ont conquises mes glorieux prédécesseurs et augustes ancêtres (que Dieu environne de lumière la manifestation de leur foi !) aussi bien que de nombreux pays que ma glorieuse majesté a soumis par mon épée triomphante et mon glaive flamboyant ; moi enfin, Chah Sultan Suleyman Khan, fils de Sultan Sélim, fils de Sultan Bayezid, à toi François, qui es le roi du royaume de France.

Tu as adressé à ma cour, résidence fortunée des sultans, qui est la qiblah de la bonne direction et de la félicité, le lieu où sont accueillies les requêtes des sultans, une lettre par laquelle tu me fais connaître qu'il existe dans la noble cité de Jérusalem, faisant partie de mes Etats bien gardés, une église qui ayant été autrefois en la possession de la communauté de Jésus, a été postérieurement changée en mosquée. Je sais, dans tous ses détails, ce que tu m'as mandé à ce sujet. Si c'était seulement une question de propriété, tes désirs auraient été accueillis et exaucés par notre Majesté qui dispense la félicité, en considération de l'amitié et de l'affection qui existent entre notre auguste Majesté et toi; mais ce n'est point une question de biens meubles ou immeubles; il s'agit d'un objet de notre religion. Car, en vertu des ordres sacrés du Dieu très haut, le créateur de l'univers, le bienfaiteur d'Adam et conformément aux lois de notre prophète, le soleil des deux mondes (sur qui soient la bénédiction et la paix !), cette église a été, il y a longtemps, convertie en mosquée et les musulmans y ont fait la prière canonique. Or, altérer aujourd'hui par un changement de destination le lieu qui a porté le titre de mosquée et dans lequel on a fait la prière, serait contraire à notre religion ; même si dans notre sainte loi cet acte était toléré, il ne m'eût encore été possible, en aucune manière, d'accueillir et d'accorder ton instante demande. Mais, à l'exception des lieux consacrés à la prière canonique, dans tous ceux qui sont entre les mains des chrétiens, personne, sous mon règne de justice, ne peut inquiéter ni troubler ceux qui les habitent. Jouissant d'un repos parfait à l'ombre de ma protection souveraine, il leur est permis d'accomplir les cérémonies et les rites de leur religion. Établis en pleine sécurité dans les édifices consacrés à leur culte et dans leurs quartiers, il est impossible que qui ce soit les tourmente et les moleste dans la moindre des choses.

Ecrit dans la première décade du mois de moharrem de l'année 935 de l'hégire (mi-septembre 1528).

 

XVII Rescrit impérial adressé au Gouverneur et au Cadi de Jérusalem.

En recevant ce signe auguste et impérial, sachez que le bayle de Venise a fait représenter à ma sublime Porte que certains individus audacieux et téméraires prétendent enlever le plomb et les colonnes de l'église de Bethléem, lieu de la naissance de Jésus sur qui soit le salut ! Nous vous enjoignons par ce rescrit impérial de rechercher tous ceux qui se permettent des actes aussi contraires à la justice; que nul n'ose molester les religieux francs qui sont autorisés à rebâtire un mur ruiné de l'église, en suivant les fondations de l’ancienne construction. Que personne ne s'oppose à ce travail et avertissez aussi les religieux susdits de ne donner aucun agrandissement à leur construction. Faites-nous connaître ceux qui agiraient contrairement aux prescriptions de ce rescrit et après en avoir pris connaissance, remettez-le aux mains des religieux. Donné à Andrinople le 1er jour de chevval 938 (7 mai 1532).

 

XVIII Lettre de Sultan Suleyman à Henri IL

A celui qui est l'honneur des grands princes de la religion de Jésus, l'élite des puissants souverains de la nation du Messie, l'arbitre des affaires des nations de la communauté Nazaréenne, à celui qui traîne avec majesté le pan de la robe de la splendeur et de la puissance, qui est orné des signes de la gloire et de l'illustration, le roi de France, puisse sa fin être heureuse !

Le Dieu très haut, maître de l'univers, qui donne le pouvoir à qui il veut et comble de gloire qui il lui plaît, a daigné exaucer tous nos vœux et faire réussir tous nos desseins. Il a voulu que le drapeau de notre glorieux empire devînt un signe de victoire et d'honneur; sa bonté sans bornes nous a prodigué des bienfaits inestimables. La splendeur de notre puissance a donné à la religion un nouvel éclat et les peuples de l'Islam, protégés par notre épée victorieuse, jouissent du repos et de la sécurité.

On n'ignore pas que depuis quelque temps déjà, le peuple persan aveuglé par l'erreur, s'est révolté contre les obligations imposées par la religionet les traditions et qu'il a ainsi favorisé la propagation des détestables doctrines des Chiites.

Le diabolique Elqas, frère de Thahmasp, chef actuel de ce peuple, est venu dernièrement invoquer notre protection et il a trouvé auprès de nous un accueil favorable. Nous avons écouté ses plaintes, et sur ses instances, nous avons déployé notre étendard victorieux pour réparer par la puissance de nos armes l'injure et le dommage éprouvés par la religion. Nous nous sommes dirigés vers l'Orient et lorsque nos drapeaux se montrèrent dans l'Azerbaïdjanet que nos troupes firent leur entrée dans Tauriz, les Persans s'enfuirent et évacuèrent cette province et ses dépendances. Ils ne montrèrent ni courage, ni dévouement à leur prince; la valeur de nos troupes les fit disparaître sous terre comme des fourmis. Tous les habitants de ces contrées furent traités avec bienveillance et équité; non seulement ils furent à l'abri des vexations, du pillage et des avanies, mais encore ils furent l'objet de marques signalées de notre faveur et de notre protection impériales.

Le but principal de la campagne entreprise par nous était la conquête et l'annexion de l'Azerbaïdjan à notre empire. Pour réaliser ce projet il était tout d'abord indispensable de nous rendre maîtres de Van, la forteresse la plus considérable et la plus solide de toute la Perse. Nous arrivâmes heureusement devant cette place dans les premiers jours de redjeb de l'année 955 (août 1548).

Une troupe nombreuse de Persans était enfermée dans le château que de nouveaux ouvrages rendaient encore plus fort. Plaçant ma confiance dans la bienveillance divine qui m'a toujours assisté dans mes entreprises, assuré du secours de notre prophète (que la paix de Dieu soit avec lui !), je donnai le signal de l'attaque, ayant à mes côtés mon illustre grand vizir Rustem Pacha, mes autres vizirs, les beylerbeys, les sandjaqbeys, les ghazis et mes soldats victorieux. Les décrets de la prédestination nous avaient assuré la conquête de cette place qui, au bout de peu de temps, tomba entre nos mains avec toutes ses dépendances. J'y établis une garnison et un corps de police pour le maintient de l'ordre et un de mes esclaves fut investi du gouvernement de la ville et reçut le titre de Beylerbey. La province de Chirvan qui fait partie de la Perse était, à la même époque, conquise par mes généraux, et tous ces pays furent ainsi purgés de la présence d'odieux sectaires.

Nous nous dirigeâmes, après avoir atteint notre but, vers Diarbekir et la saison étant alors avancée, nous établîmes nos quartiers d'hiver à Alep. Une partie de l'armée demeura à Diarbekir. Pendant que nous goûtions quelque repos a Alep, le beylerbey de Van, trompé par des khans persans, marcha avec une petite troupe de soldats contre le rebelle connu sous le nom de Hadji. Lorsqu'il se présenta devant la ville de Khoy, il y trouva cet insurgé fortement retranché. Il y eut un combat acharné : après une série d'engagements meurtriers. Dieu accorda encore la victoire aux vrais croyants. La tête du révolté nous fut envoyée et le calme et la tranquillité furent rétablis dans le pays.

A notre arrivée à Diarbekir, nous détachâmes un petit corps d'armée que nous confiâmes à Elqas dont il a été fait mention précédemment. Elqas envahit les districts de Qoum, de Kachan, d'Ispahan, de Qazwin et de Hamadan et fit main basse sur les trésors, les biens et les effets précieux du Chah de Perse. Il s'empara des chevaux, des mulets et du bétail et il fit prisonniers un grand nombre de femmes et d'enfants.

Le printemps suivant, nous reprîmes le cours des opérations afin de rendre la sécurité à nos frontières et de les mettre à l'abri de toute insulte. Nous partîmes d'Alep pour nous rendre à Diarbekir. Les Géorgiens, race hypocrite, sont limitrophes de notre empire ; tantôt ils se placent sous notre protection, tantôt ils embrassent le parti des Persans nos ennemis. Leurs désordres et leurs menées factieuses nous obligèrent à prendre contre eux des mesures vigoureuses. Leur place la plus forte, nommée Serligan, fut emportée d'assaut, et la garnison passée au fil de l'épée. Les autres châteaux de ce pays subirent le même sort et furent annexés à notre empire.

A la même époque, pendant que notre camp était encore établi près de Diarbekir, dans l'endroit appelé Qizil Tepèh (la colline rouge), nous apprîmes, non sans étonnement, que Elqas, qui avait cherché un refuge auprès de nous et invoqué notre protection, cédant aux suggestions de sa perversité s'était, à l'instigation de quelques Curdes, révolté contre nous et jeté dans les montagnes du Curdistan, l'étendard de la rébellion à la main. Le châtiment ne se fit pas attendre. Un détachement de mon armée marcha contre lui, l'atteignit dans son repaire et lui infligea une sanglante défaite. Sa famille et ses partisans furent massacrés sans pitié.

Lui-même courut se cacher dans des cavernes, suivi par quelques partisans et laissa tous ses bagages entre les mains de nos soldats. La disparition de ce scélérat rendit le repos au pays. Tous les princes Curdes, éblouis par l'éclat de nos armes, firent leur soumission. Ils nous envoyèrent leurs fils et les personnages les plus considérés de leur pays. Je reconnus leurs hommages par des marques de munificence et tous les autres chefs de ce pays, qui jusqu'alors étaient les vassaux des Persans, se rendirent également auprès de nous et se soumirent de leur plein gré à notre domination.

Les Géorgiens avaient déjà reçu un châtiment mérité : il était cependant nécessaire de réduire leur pays à une obéissance complète et de l'annexer à notre empire. Mon vizir Ahmed Pacha fut, à cet effet, envoyé en Géorgie. Il emmena quelques personnes de notre cour et une troupe d'arquebusiers choisis parmi les jannissaires. Les Beylerbeys de Caramanie, de Zoulqadr et d'Erzroum reçurent en même temps l'ordre d'entrer en Géorgie. La place forte la plus solide et la plus importante de ce pays est celle de Tortoum. Elle était considérée comme la capitale; les autorités y avaient établi leur résidence et elle était défendue par une nombreuse garnison. Notre vaillante armée l'investit le 18 du mois de chaâban de l'année 956 (13 septembre 1549) : l'artillerie fut mise en batterie. Hour Aga, commandant de la citadelle, refusa dédaigneusement de se rendre. L'attaque commença alors avec vigueur. Les canons tirèrent jour et nuit et les ravages causés par leur feu furent tels que la ville demanda à capituler. Les habitants s'empressèrent de solliciter l'aman et nos troupes prirent possession de cette place le 20 du même mois. Nos drapeaux victorieux furent arborés sur les tours et cette conquête fut assurée par l'établissement d'un sandjaqbey, d'un chef militaire et d'une garnison.

Le château de Lihah fut également conquis et incorporé à l'empire. Le 24 de chaâban, Aqtchèh Qalèh, forteresse des plus soHdes, tomba entre nos mains.

Bref, sur les trente-cinq places fortes enlevées à l'ennemi, quatorze furent rasées et les vingt-et-une autres reçurent une garnison et un gouverneur militaire. Le pays, constitué en beylerbeyhk et divisé en quatre sandjaqs, a été tout entier rattaché à l'empire.

Après la conquête de la Géorgie, nous sommes rentrés triomphalement dans notre capitale.

Pendant ce temps, le beylerbey de Van avait marché contre les khans Hussein, Quitmas et Nazar, parents du Chcâh de Perse. Ils ont vu leurs camps livrés au pillage et eux-mêmes ont dû chercher un refuge dans les montagnes ; Nakhtchivan, Saat Tchiqour et Derdan ont été saccagés et brûlés.

La divine Providence a daigné m'accorder les plus grands succès pendant cette campagne de l'Azerbaïdjan. Le bonheur dont elle m'a couvert ne peut manquer de répandre la joie dans les pays de l'Islamisme et dans toutes les autres contrées.

La présente lettre impériale vous est, à cet effet, portée par mon serviteur N. Vous voudrez bien, après en avoir pris connaissance, en ordonner la publication et faire pavoiser et illuminer les édifices de vos villes.

 

FIN DE L’OUVRAGE

 

 

 



[1] Voir la note n° 193.

[2] Aramon, ladite ville en Languedoc, diocèse et recette d'Uzès, parlement de Toulouse, généralité de Montpellier. On y compte 505 feux. Cette ville est située dans une contrée délicieuse, fertile et abondante surtout en huile excellente, sur la rive droite du Rhône. Il y a à Aramon un couvent de Récollets et un autre d'Ursulines,

La terre d'Aramon est une baronnie fort ancienne et qui est possédée depuis longtemps par une maison féconde en sujets de grand mérite. (Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France. Paris, 1762, tome I, page 222.)

[3] L'Alcorano di Macometto nel qual si contiene la doctrina, la vita, i costumi e le legge sue. Tradotto nuovamente d'all'arabo in lingua italiana. Con gratie e privilegii. M. D. XLVII.

[4] Je dois la communication de ce document à l'obligeance de M. Bondurand, archiviste du département du Gard.

[5] Recueil des lettres de Pellicier, mss. français de la Bibliothèque nationale, 570, fol. 191.

[6] « Polin lui présenta pour le service et enrichissement de son buffet des vases et vaisselle d'argent excellemment mis en œuvre jusques au poids de six cent livres et aux bassas et capitaines du sérail et portiers cinq cens robes longues de toutes sortes de draps de soye ou d'escarlate. » Paul Jove, Histoire, etc. Tome II, page 13.

[7] « Ceste négociation (celle de Monluc) a esté proposée par tierce main affin que le dit Harmont le peult entendre, lequel estant laissé icy pour lieutenant de Polin, se trouvit après la paix en se maulvais point, que souventesfois a esté parlé de l'empaller. » (Correspondenz des Kaisers Karl V, tome II, page 478.)

[8] « Ces différences sont accreues par les maulvais rapports des Veniciens lesquelz ont tout interprété au pis que pouvoient, et au contraire des Françoys, non pour le bien quilz veullent à Vostre Magesté, mais pour le mal qu'ilz veulent aux Françoys, tellement qu’ilz ont présentement fait tres maulvais office à tous deux. Et a le capitaine Polin confirmé ces impressions aux Turcqs par ses mensonges et vaines promesses; et l'ambassadeur Monluc en a prins inimitié avecques son compaignon, le seigneur de Harmont et besoigne de telle sorte eust peu gaster le résidu du bien qu'en pouvait rester.

« Davantaige, n'entendent encoires les Turcqsce que le roy de France ne envoyé nul présent et que aucunement ne respond au bien qu'il a receue de leur armée ne aux promesses de Polin et leur semble bien estrange ce que disent les Françoys que le roy ne sçaurait envoyer plus grand présent au Turc que l'ambassade de Vostre Majesté. » (Correspondenz des Kaisers Karl V, tome II, page 469.)

« ... Mesmes que ledit Montluc est délibéré entièrement de faire la tresve et penseroyt faire grand par ceste emprinse et tient jalousie avec V ambassadeur Harmont résidant à Constantinople de par le roy de France et presques on luy avoit osté cest charge de la court par pratique du dit Haramont pour cause que ne sembloit pas nécessaire d'envoyer un nouveau ambassadeur par le roy, veu qu'il y avoit un résidant à Constantinople. » (Correspondenz, tome II, page 448.)

[9]Briefve description de la court du Grand Turc et ung sommaire du règne des Othmans, avec un abrégé de leurs folles superstitions, ensemble l'origine de cinq empires yssus de la secte de Mehemet, par F. Anthoine Geuffroy, chevalier de l'ordre de S. Iehan de Jérusalem. On les vend à Paris en la maison de Chrestien Wechel demeurant en la rue Sainct Iehan de Beauvais, au Cheval Volant l'an M. D.XLVI.

[10] Ambassades et voyages en Turquie et Amasie de M. Biisbeqnîus, nouvellement traduites en français par S, G. (Simon Gaudon), Paris, 1634, pages 153-155

Bernardo Navagero et Antonio Erizzo, qui exercèrent les fonctions de bayle à Constantinople, nous ont laissé des portraits de Suleyman qui concordent avec ceux de Geuffroy et de Busbec. Erizzo ajoute les détails suivants : « E di aspetto grave, di corpo robusto assai e asciutto, acto a la fatica et si dilettea perchè tutto il tempo che gli avanza di ozio spende o in andar alla caccia in altro esercizio : laqual essa, se come si giudica che faccia per beneficio del corpo, cosi si crede anco che faccia per intertinimento delV anima, ; perché di tutto le qualita di uomini che oggidi sono nel mondo non crede che ne sia alcuno che abbia meno d'intertinimento di questo Signore. E stupore intendere con qual sorte d'uomini s'intertiene quel tempo che vaca dalli negozi nelle stanze sue, nelle quali non entrano senon ennuchi, muti e altre qualita abietissime di uomini suoi schiavi, perchè li altri grandi mai non vi entrano ne parlano con il signor se non con l'osservanza delle cerimonie sue e in loco assai pubblico.

Relazione d'Ant. Erizio dans le tome III, page 138, IlIe série des Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato nel secolo decimo sesto.

[11] Busbec, Ambassades et voyages en Turquie, pages 529-530.

Rustem Pacha mourut d'hydropisie en 1560 et fut enterré dans le harem de la mosquée des Chahzadèh à Constantinople. L'historien turc Petchevy a donné la liste des richesses qui formaient son héritage. Rustem Pacha possédait en Roumélie et en Anatolie mille fermes et domaines et quatre cent soixante-seize moulins. Il avait cent soixante-dix esclaves hommes, deux mille neuf cents chevaux et onze cent soixante mulets. On trouva dans son palais une bibliothèque de cinq mille manuscrits, huit cents Corans remarquables par la beauté de l'écriture et cent trente dont la reliure était enrichie de pierres précieuses. Il laissa sept cent quatre-vingt mille ducats d'argent comptant, deux mille cuirasses, six cents selles en argent, cent trente paires d'étriers en or, huit cent soixante sabres dont la poignée et le fourreau étaient enrichis de pierreries, etc., etc.

[12] Le comte de Rogendorf est, dans les dépêches de Gérard de Veltwick, désigné sous le nom de Gonde ou Condé. Ses titres sont relatés dans un diplôme signé par Ferdinand à Krems, le 15 décembre 1537. « Christoph Freiherr von Rogendorff und Mollenburg, Herr Conte und Retornae, Ihre Keysert. Majestat Leib-Guardi und Hattschier-Obrister.

« Il conte Rogendorf arrivato qui alli 27 di settembre com’ un vento come se il portasse le cose de tutta cristianità sopra le spale. Si ha slargato primo delle questione ch'egli ha con la sua donna laquale lui fu leggiera di cervello, culpando l’Imperalore et la regina Maria che a torto l’han difesa et che per dispetto si e venuto a metter in grembo di questo G. S, et che S. M. vede si servici che li potra far, avendo lui tanti castelli in Austria.

« Gionse in Constantinopoli un gentiluomo todescho nominato il conte Christofore Rogendorf, signore, per quanto dice, di sette castelli d’Austria. Si presentà a Rostem liquale lo commanda a Yonusbey. Ha portato seco denari per la somma di 40,000 zecchini, fu basiar la man'al signor alli 10 (Octobre) una mesa ora, li ha fatto molto facile la presa di Vienna. » (Dépêches du baile de Venise citées par M. de Hammer, Hist. de l'empire Ottoman, tome V, Appendice.)

Dans l’Appendice original se trouve, écrite en italien, la lettre d'un agent de Ferdinand relative à Rogendorff auquel on offrait un commandement dans la province de Bagdad s’il voulait se convertir à l’islamisme. (Elle n’est pas reproduite ici dans l’Appendice).

[13] Chesneau nous donne le récit de la fuite du comte de Rogendorf dont la situation était devenue fort précaire dès le milieu de l’année 1547. Il avait dissipé au jeu toutes les sommes qu'il avait apportées avec lui. Malvezzi écrivait le 6 juillet 1547, au roi des Romains: «Gondea comminciato, già moltigiomi fa, a vendere la suppellectile sua perchè non a più denari per il victo. Hasupplicato al Bossa chegli volgha far cresser el stipendio suo, qual è de 60 asperi al giorno. El Bassagli ha risposto che la usanza del gran signore è che quando cresse el stipendio a qualche suo schiavo, lo cresse per qualche valente prova che fattia detto schiavo su la guerra ovver per longa servitù et che esso Gonde non ha anchora fatto ne l’uno ne l’altro. »

Rogendorf fut envoyé en France au mois de février 1548 par d’Aramon qui le fit accompagner par le capitaine Bartholomé. offrait un commandement dans la province de Bagdad, s'il voulait se convertir à l’islamisme.

« Alli 29 del passato parti Gonde de qua con un certo capitan Bartolomio per Franza. » (Lettre de Malvezzi au roi des Romains. Archives Imp. et Royales d'Autriche.)

[14] « Mais les Ragusains ne faillent jamais de faire entendre par deçà bien soigneusement et dilligemment tout ce qu'ilz connoissent qui peut servir à la prospérité des affaires de l'empereur, les eslevant tousiours le plus qu'ilz peuvent par tous les aduis qu'ilz escrivent et autre vérité, à son grand advantage et exaltation. A quoy jusques icy, j'ay tasché d'obvier, escrivant souvent à M. d'Aramon pour luy représenter la verité des choses en telle sorte que l'on connoisse que lesdits Ragusains escrivent plus souvent leur passion que la verité. » (Lettre de M. de Morvilliers au connétable de Montmorency sous la date du 27 mai 1547 ; man. de la Bibliothèque nationale, fol. 220.)

[15] On conserve aux archives impériales et royales de Vienne un résumé rédigé en latin de la lettre adressée par Henri II à d'Aramon pour lui ordonner de suivre le Sultan : « Ad oratorem Ramon. Perlitteras tuas nobis significasti qualiter Sultan Soleman in partibus Persarum ad bellum iturus est. Igitur necessum est quod pro bona amicitia et fidelitate, observetur ; pro ea causa ubique Sua Majestas extiterit aut quo iverit, tu quoque de curia sua non absis, sed cum Maiestate Sua ingrediaris simul cum Cadognato. Tecum veniat ex causa qua si aliquid in isto itinere necessum fuerit ipsum quant cito nobis remittas si fuerit necesse seddere certiorem de rebus gestis et factis... Cum predicto Cadognato tibi misimus litteras quod et quantum pecuniarum tibi necessum fuerit ut a mercatoribus istis accipias et in munibus suis date polizam de habitis et receptio. »

Cette lettre doit avoir été traduite par Ibrahim bey, un des drogmans de la Porte, polonais d'origine, et remise par lui à Malvezzi.

[16] Malvezzi présentait à sa cour cette précaution comme une défense faite à d'Aramon de suivre le Grand Seigneur. « El signor ha mandato a fermar l’ambasciatore de Franza che non passi più avanti, perchè sua Alteza non vole che venga nel campo suo. » (Dépêche du 14 juin 1548.)

[17]Brantôme, Œuvrescomplètes publiées pour la Société de l'histoire de France par M. L. Lalanne, tome VI, pages 179-180. Malvezzi écrivait au roi des Romains sous la date du 20 mai 1548. " Aramo è partito de qua alli 2 del presente per andare in Persia col campo del Signor, se potràaggiongerlo, cum 30 gamheli et altri cinquanta cavalcature, parte per cavalcare, parte per cariaggi et cum 80 persone vel circa, cum un stendardo spiegato a modo di sangiachbey cum gli gilli d'oro in campo azuro. « Pasato che fu in NatoJia, se ferma sopra Scutarri octo giorni, puoi é partito a viaggio suo. Ha lasato qua per suo locotenente el suo secretario detto Cambrai.

[18]« Je suis adverty que le baillio de ces seigneurs leur escript que le camp du Grand Seigneur souffre nécessité de vivres pour les chevaulx et de grandes incommodités entre aultres malladies, de flux de ventre. » (Dépêche de M. de Morvilliers sous la date du 13 août 1548.)

[19] … que l'on avoit envoyé à Constantinople pour faire des janissaires nouveaux, et les mener promptement au camp, y estant morts grand nombre de vieil : que par la grande cherté, nécessité de vivres et mesaise, y avoit eu mortalité incroyable de chevaulx et aultres bestes. Le Grand Seigneur estoit dans la province de Caraemyt, et chascun jour se faisait prière a Constantinople pour son salut. La cherté de froment et d'orge estoit montée à si hault prix audict camp que le septier faisant environ cent trente livres, à XVI onces la lime, s'estoit vendu sept, huict et neuf ducatz. » Dépêche de M. de Morvilliers au roi sous la date du 16 au 20 novembre.« L'ambasciatore de Francia al ritirar del campo si è intrato nel campo del Bassa a pregarlo che S. E. gli voglia dar soccorso de victuaglia. Rustem Bassa gli ha rispotto che se detto ambasciatore ha di bisogno le victuaglia, che se ne compri perchè esso non gli ne vol dare. » (Dépêche de Malvezzi sous la date du 26 septembre 1548.)

[20] Malvezzi, dans une dépêche adressée au roi des Romains sous la date du 26 septembre 1548, prétend que d'Aramon avait, dans son voyage de Perse, dépensé une somme de vingt-cinq mille ducats, « Jo credo hen che detto ambasciatore se ritrovi al mal partito, havendo consumato et speso la summa di XXV milla ducate in termine di sei mesi, senza far profitto alchuno nè servitio alla Maestà del re suo patrone et de cio V. S, Maestà ne sara certissima. »

[21] Voyage, page 117.

[22] R. P. F. Giovanni di Calaorra, Historia cronologica della provincia di Syria e Terra Santa di Gierusalemme... comminciaado dall'anno 1219; opera composta in Spagnuolo... tradotta nella lingua italiana dal M. R. P. Angelico di Milano. Venetia, 1694.

[23]Appendice, pièces XIII, XIV et XV.

[24]Appendice, pièce XVI.

[25]Appendice, pièce XVII.

[26]On lit dans les Gesta Dei per fratres minores in terra sancta, manuscrit conservé au commissariat des Pères franciscains de Venise :

« 1549. Expellendi fratres a sanctuario S. Montis Sion ultima sententia Solimani suspenditur executio.

« 1551. Fratres e monte Sion ejectiinquodam tugurio seufurnohabitant. Conveutus nunc SS. Salvatoris nuncupatus acquiritiir a Georgianis, non nisi post octo annos possessionem illius capiunt fratres, propter lites et controversias ratione acquisitionis.

« 1559. Inhabitare incipiunt fratres, conventum SS. Salvatoris.

« 1561. Divina disponente clementia, transcribuntur indulgentiae S. Montis Sion ecclesiae SS. Salvatoris. »

[27] « Aramon ha demandato al Signore da parte de Re de Franza de poter comprar e levar cinque milia cantari di salnitro e vinti cinque cavalli. Gli è stato riposta che del salnitro scriveramio al Bassa del Cairo. » (Lettre de Malvezzi au roi des Romains, 23 mars 1548.)

[28]Malvezzi rend compte en ces termes du départ de d'Aramon. “L'ambasiator de Franzia Monsignor d'Aramon, alli XVII del presente, èpartito di qua con VIIII cavalchature et VIII cariaggi per Ragusi per passare in Francia. Ha hauto da Signor Turcho le veste et dieci milia aspri seconda l'usanza. La causa della partita sua, ha detto al Signor Turcho essere che vole andare in Francia per mettere in hordine l’armata del re di Francia. La quale stara alli comandamenti et alla servitù de sua Altezza. » (Dépêche de Malvezzi sous la date du 24 janvier 1551.)

[29] D'Aramon alla trouver le roi à Blois. « Le roy, après avoir bien au long entendu le faict de sa charge et les causes de sa venue, le tout plusieurs fois mis en délibération du Conseil, fut enfin conclud et arresté de son retour el que pour plus grande seurtè de son voyage, il s'en retourneroit par mer. D'ond pour cest effect, le Roy en considération de ses vertus et services, l'ayant desia honoré d'un estat de gentilhomme de sa chambre, luy donna aussy deux galleres des meilleures et mieux equippées qu'il eust au havre de Marseille. Et députa le chevalier de Seure, gentilhomme de grande expérience et excellent jugement, pour l'accompagner avec sa galiotte bien armée. » (Nicolas de Nicolay, Voyages et pérégrinations, page 2.)

[30] « Aramont fit appeler dehors du chasteau le gouverneur de Tripole qui estoit françois, lequel contre la défense qui lui avoit esté faite de la Religion de parlementer, sortit, et ayant parlé avec ledit Aramon et le Bassa, fit rendre la place au Turc. « (Papiers d'État de Granvelle, tome III, page 452.)

Henri II écrivait à l'Ordre et au Grand-Maître le 30 septembre 1551 : « Très chers et bons amis, ayant entendu le bruit qui courrait avec le tesmoignage de quelques chevaliers de vostre religion que le S. d'Aramon, nostre ambassadeur, en passant par Tripoli, où il estoit allé à votre requeste comme il nous a escrit, pour divertir l'armée turquesque de l'entreprise dudit Tripoli, avait au contraire, persuadé la prise de ladicte place que les Turcs, après l'avoir battue jusqu'au cardon, voulaient sans luy abandonner, l'estimant imprenable ; de laquelle accusation qui est une imposture et calomnie, vous pouvez mieux que nuls autres sçavoir ce qui en est... »

La lettre du Grand Maitre désavouant les calomnies répandues fut adressée au roi le 16 novembre 1551.

[31]Négociations de la France dans le Levant, tome II, pages 154-162 et Navigations et pérégrinations de Nicolas de Nicolay, pages 3 et suivantes.

[32] La lettre écrite a la hauteur de Terracine et du cap Circulo, et par laquelle d'Aramon rend compte au roi des opérations de la flotte turque sur les côtes du royaume de Naples, se trouve dans les Négociations de la France dans le Levant, tome II, pages 209-218.

[33] « Sire, je vous advise que le sieur d'Aramon, en s'en venant, est demeure malade de fiebvre et de colique à Novobazar, six journées au delà de Ragouse : auquel lieu il avait envoyé un de ses gentz en diligence quérir un médecin. De quoy je n'ay voulu faillir, à toutes adventures, vous advenir incontinent, ne sçaichant de quelle durée sera la maladie dudit sieur d'Aramon, ni quelle en sera la fin. » Lettre de M. de Selve au roi sous la date du 2 novembre 1553. Négociations delà France dans le Levant, tome II, page 283).

[34]Les observations de plusieurs singularitez et choses mémorables, trouvées en Grèce, Asie, Judée, Egypte, Arabie et autres pays estranges, rédigées en trois livres par Pierre Belon du Mans. Paris, 1588, pages 151-152. La première édition de cet ouvrage parut à Paris, en 1553. Belon fit paraître en 1557 « Les portraits d'oyseaux, animaux, serpens, herbes, arbres, hommes et femmes d'Arabie observez par P. Belon du Mans. « Cet ouvrage est dédié au roi.

[35] « Refert etiam ut nox quaedam valde exercuerit tyrocinium militice suae. Fuso scilicet ad Taurum montem exercitu, equo se allisque ornamentis spoliatum, media nocte, ad diem usque inter fugenlium millia fugisse peditem, atque ad stuporem omnium incolumem evasisse. Hujus modi sunt qua de itinere et pauperatis molestia ipso in pradicta narrat epistola. » (Cornelii Tollii ad Pierii Valeriani de literatorum infelicitate librum appendix, Amstelodami, 1647, pages 45-47.)

[36]« Alexandria proficiscens Byizantium, praeter tergora elephanti marini et hippopotami dedi ad te mercatoribus massiliensibus pemmem chameleopardaleos raram et rege dignam et caudam bovis indici quorum aspectu, ut plenius fruare, subjugam quales sunt vivae chamelopardales, etiam quis usus caudae Indici bovis. Item eisdem dedi in caveis inclusos ichneumonem muresque Arabicas et Aegyptos quos ut clarius perspicias addam quam ipsos notavi. » (Aeliani de historia animalium libri XVII, Lugduni, G. Roville, 1565, pages 498-525.)

[37]Cosmographie de Levant, par F. André Thevet d'Angoulesme. A Lion, par Jan de Tournes et Guil. Gazeau, 1556.

[38] Dans son acte de mariage, J. Chesneau est dit être fils de Charles Chesneau, écuyer, seigneur de Châteauneuf et de Colombières. (Pièces originales de la Bibliothèque Nationale.)

[39]Description historique et géographique de l'Asie Mineure, etc., par Vivien de Saint-Martin. Paris 1852, tome II, page 5.

[40] Folambray ou Follembray, dans le diocèse et l'élection de Laon. Il y avait autrefois une maison royale dont il reste encore quelques bâtiments. Le roi François Ier y allait assez souvent, et Henri II en faisait ses délices. Marie, reine de Hongrie, sœur de l'empereur Charles Quint et gouvernante des Pays Bas, y fit mettre le feu par un parti de troupes. Henri II fit brûler par représailles, le château de Miramont. (L'abbé d'Expilly, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Paris, 1759; tome III, page 196). La cour résida à Folambray di. 23 au 26 décembre 1546. (Itinéraires des rois de France, dans les Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France, du marquis d'Aubais, tome I, page 107).

[41] Pisogne est un gros village au débouché de la Valcamonica, sur le bord oriental du lac Sabino ou d'Iseo, à un kilomètre de l'endroit où l'Oglio se jette dans ce lac.

- Iseo est un bourg considérable situé à l'extrémité du lac qui porte son nom, sur la rive sud-est, à vingt-trois kilomètres de Brescia. Iseo fut successivement un fief des Oldoiredi, des Medici de Brescia e des Malatesta. Iseo fut occupé par les Français de 1509 à 15 12 et, en 15 16, par les Espagnols.

-Brescia.

-Lonato est une grosse bourgade bâtie sur une des deux collines qui dominent le lac de Garde, depuis le mont Cavolo jusqu'à Castiglione delle Stiviere. Son église, dédiée à saint Zenon, remonte au Ve siècle. Au XVIe siècle, Lonato était gouverné par un podestat, choisi dans la noblesse de Brescia et par un provéditeur vénitien.

-Peschiera.

-Vérone.

[42] Les Juifs s'établirent primitivement à Venise dans l’île de Spina Longa qui prit alors le nom de Giudecca : on leur assigna ensuite un quartier particulier (Ghetto) dans la paroisse de Saint-Jérémie. « Ils habitent un lieu séparé, fermé de deux portes, où leur grand nombre, qui est de plus de deux mille cinq cens, les oblige d'élever les maisons jusqu'à six ou sept étages. Ils sont de plusieurs nations différentes... Ils ont des synagogues particulières. » (La ville et la république de Venise par le sieur de Saint Disdier, Amsterdam, 1680, page 162).

[43] Les Turcs habitèrent, dans la seconde moitié du XVIe siècle, les dépendances du palais de Marc-Antonio Barbaro. Le fontico dei Turchi ne leur fut assigné pour demeure qu'au commencement du XVIIe siècle. Les Allemands possédaient depuis la fin du XIIIe siècle le fontico dei Tedeschi, sur le grand canal, près du Rialto, dans la paroisse de Saint-Barthélemy.

[44] L'île de Murano. M. l'abbé Vincenzo Zanetti a donné sous le titre de : Guida di Murano e delle celebri sue fornacie vetrarie, Venise, 1866, une histoire complète de Murano et des fabriques qui ont produit ces verres merveilleux si estimés au moyen âge et aux XVIe et XVIIe siècles.

[45] Jean de Morvilliers, évêque d'Orléans, abbé de Saint-Pierre de Melun, naquit à Blois en 1507. Il fut, en 1536, pourvu de l'office de lieutenant général de Bourges où il fut doyen de l'église de Saint-Étienne ; il devint ensuite conseiller au grand conseil, et, en cette qualité, l'un des juges du chancelier Poyet. Le roi le nomma, en 1547, maître des requêtes et son ambassadeur près la seigneurie de Venise. A son retour, il obtint l'évêché d'Orléans. Il prit part, en 1559, aux négociations de la paix de Câteau-Cambrésis. Les sceaux de France lui furent offerts en 1560; il les refusa, mais, en 1568, il dut les accepter sur les instances du roi. Il exerça la charge de chancelier pendant trois ans et deux mois, et s'en démit en 1570. Enfin, après trente-cinq ans de service au conseil et après avoir soutenu les intérêts du royaume au concile de Trente, il mourut à Tours le 23 octobre 1577, à l'âge de soixante et onze ans. (Histoire généalogique et chronologique de la Maison royale de France, par le P. Anselme, Paris, 1730, tome VI, p. 490. Mémoires de Castelnau, Bruxelles, 1731, tome I, p. 517. Duchesne, Histoire des chanceliers, Paris, 1680, page 650).

[46]Parenzo, en face de l'îlot de San Nicole.

[47] Pola porta sous la domination romaine les noms de Pietas Julia, Colonia Julia, Pola, Pollentia Herculanea. Au XIe siècle, les habitants de Pola fournirent des secours aux premiers Croisés, et les Templiers fondèrent un hôpital sur la route qui mène à Aquilée et établirent une commanderie à Portogrande, sur le chemin conduisant à Porto Flanatico. Le marquisat de Pola passa successivement aux mains des Eppenstein, des Sponheim et des Andechs. Les Vénitiens attaquèrent Pola en 1145, 1150 et 1160. En 1193, ils en chassèrent les Pisans qui s'y étaient établis, et le doge Enrico Dandolo fit abattre les murs qui défendaient la ville du côté de la mer. En 1228, Pola fut prise par Nicolo Tiepolo et en 1243, elle fut de nouveau assiégée par les Vénitiens. Les Génois s'en emparèrent, mais les habitants, fatigués de leur joug, se donnèrent à Venise, En 1354 et en 1379, les Génois la mirent à feu et à sang. En 1412, la ville fut prise par Sigismond de Hongrie et l'empereur Maximilien s'en rendit maître.

Les principaux monuments antiques remarqués par J. Chesneau sont l'amphithéâtre et la Porta aurata. Ils ont été dessinés et décrits dans le Voyage pittoresque et historique de la Dalmatie rédigé, d'après l'itinéraire de L.-F. Cassas, par Joseph Lavallée. Paris, 1802, pages 65-71.

[48]« Zara (Jar) est bâtie sur une péninsule qu'elle occupe en entier, dont on a fait une isle par le moyen des fossés qu'on a creusés dans l'isthme qui la joignait au continent de la Dalmatie : ces fossés sont remplis de l'eau de la mer. Le port est au nord et règne tout le long de la ville, qui le met à couvert des vents du sud, qui sont les seuls qui pourroient incommoder les vaisseaux qui y seroient mouillés... Du côté de la terre, la ville est défendue par une citadelle dont les fossés sont taillés dans le roc. Il n'y a pas de hauteurs aux environs qui puissent incommoder la ville et la citadelle ; ce qui lait que Zara passe à juste titre, pour le boulevard de la citadelle de ce côté-là. Ce que l'on nomme citadelle n'est autre chose qu'un ouvrage à corne très fort, qui couvre la langue de terre sur laquelle la ville est bastie » (Description géographique du golfe. de Venise et de la Morée, parle sieur Bellin, Paris, 1771, pages 86-88). Zara implora, en 991, la protection de Vtnise contre Lurcislav, roi de Croatie, et le doge P. Orseolo réussit à lui faire rendre les îles qui lui avaient été enlevées. En 1033, elle se place de nouveau sous la protection des empereurs d'Orient. En 1105, Coloman, roi de Hongrie, s'empare de Zara et, en 1115, le doge Ordelafo Falieri l'assiège et s'en rend maître avec le secours d'Alexis Comnène, mais deux ans plus tard, le doge est tué et il est stipulé dans une trêve que Zara se gouvernera elle-même pendant six ans. En 1177, Zara devient la capitale de la Dalmatie sous la suzeraineté de Venise; en 1181, elle chasse les Vénitiens et ouvre ses portes aux Hongrois. En 1198, elle est assiégée par les Croisés et, en 1202, conquise et démantelée par Henri Dandolo. En 1241, elle retourne aux Hongrois. Pendant le XIVe siècle, elle passe tour à tour aux mains des Vénitiens et des Hongrois. En 1403, Ladislas de Naples reçoit dans l'église de Saint-Grisogno la couronne de Dalmatie et de Hongrie. En 1409, ce prince vend pour cent mille ducats à la seigneurie de Venise, Zara et sa banlieue. En 1500, sous le règne de Bajazet II, la ville fut inutilement assiégée par les Turcs. Depuis cette époque, elle reconnut sans contestation la souveraineté de Venise.

[49]Sebenico est située sur la côte de la Dalmatie, entre Scardona et Traù; elle s'élève en amphithéâtre sur la pente d'une montagne peu élevée. La partie basse de la ville longeant la mer est reliée à la ville haute par des gradins en pierres. Le principal édifice de Sebenico est l'église cathédrale commencée en 1443, achevée en 1536 et consacrée en 1555. Au XVIe siècle, la ville était défendue, du côté de la mer, par le fort de Sant'Antonio construit, de 1540 à 1570, sur les plans de l'architecte vénitien San-Micheli et, du côté delà terre, par celui de Santo-Michele. L'histoire de Sebenico offre de nombreuses péripéties. En 1116, le capitaine Ordelafo Falieri l'enleva au roi Coloman de Hongrie : elle fut reprise par le roi Etienne III en 1163, et peu après par l'empereur Manuel de Byzance. En 1180, elle retomba au pouvoir des Hongrois, et le roi André la céda aux chevaliers du Temple, Les Génois s'en emparèrent en 1358, mais au mois d'octobre de la même année, Vittore Pisani la mit à feu et à sang. En 1390, Sebenico se donna au roi de Serbie, puis trois ans plus tard, elle retomba sous le joug des Hongrois. En 1412, sous le principal du doge Michèle Steno, elle implora la protection du sénat de Venise. En 1450, Sebenico, suivant l'exemple des autres villes de la Dalmatie, se souleva contre la noblesse. En 1520, elle fut assiégée par Mustafa Pacha et elle eut à subir, en 1528, un autre siège des Turcs.

[50] « Cest isle a deux portz dont l'ung est grand et bien commode pour toutes sortes de navires, et l’aultre est assez plus petit, près lesquelz les frères de Saint Dominicus ont édifié ung monastère; aultrement ceste isle est du tout déserte. Nous avons trouvé dans ce monastère une bonne cisterne. L'isle est ronde ayant en sa circonférence sept à huit mil pas. Ladicte isle de Lésina s'appelloit anciennement Pharu, et d'icelle vient ce Demetrius Pharien duquel Appian faict mention en son histoire. » (Missions diplomatiques de Corneille de Schepper publiées par MM. le baron de Saint Génois et G. A. Yssel de Schepper, dans les Mémoires de l’Académie royale de Belgique, tome XXX, p. 203).

[51] « L'isle de Curzola a le titre de comté ; elle appartient aux Vénitiens auxquels la République de Raguse l'a cédée; on lui donne trente milles ou dix lieues de longueur de l'est à l'ouest et six à sept milles de largeur. Cette isle est passablement peuplée et fertile, quoique fort montueuse dans beaucoup d'endroits. Elle n'est séparée de la presqu'île de Sabioncello que par un canal fort étroit. La ville de Curzola, capitale de l'isle, est située sur ce canal; elle est fortifiée d'une bonne muraille et de plusieurs tours, environnée de la mer de trois côtés et séparée de la terre par un fossé, avec un pont-levis ; c'est le siège d'un évêché suffragant de l'archevêque de Raguse. » (Description géographique du golfe de Venise, page 115).

[52] « Raguse (que Ptolémée appelle Epidaure) est cité fort ancienne et noble, ores que celle qui est à présent appelée Raguse n'est pas l'antique, car elle fust destruicte par les Goths ; ains des ruines d'icelle fust par les habitans construite la moderne Raguse à dix mille pas de l'antique qui est à présent peu habitée. Mais la nouvelle est d'autant plus frequentée et mieux peuplée, edifiée en très belle situation sur le bord de la mer Hadriatique, estant neantmoins dans le continent de la Dalmatie. Le port y est fort petit et faict à main d'homme comme pareillement est son môle. De la part de dessus y a un mont de grande haulteur et aspérité au pied duquel la cité est assise et fondée. Elle est fort subjecte aux tremblements de terre : et si en temps d'hyver il y fliit excessivement froid. » (Les Navigations, peregrinations et voyages faicts en la Turquie par Nicolas de Nicolay etc., Anvers, 1576, page 261).

[53] « Trebinjè est une ville de l'Herzégovine située au nord-est de Raguse à environ trente kilomètres de cette ville. Trebinjè s'élève au milieu d'un joli pays arrosé par la Trebincica. On doit reconnaître dans Trebinjè le Tribullum des Romains ; ce fut, au moyen âge, un fief possédé par la famille Pavlovicz qui en resta maîtresse jusqu'à la conquête ottomane. Les murs qui entouraient la place sont aujourd'hui en ruines. » (Roskiewicz, Studien über Bosnien und Herzegovina. Vienne, 1868, page 110).

[54] Tchernica, village de l'Herzégovine situé sur la rivière de même nom, au nord du plateau de Korito, à égale distance de Trebinjè et de Fotcha. Tchernica conserve des restes d'anciennes fortifications, et les Turcs y entretenaient jusqu'à ces derniers temps une petite garnison. » (Roskiewicz, Studien, p. 112).

[55] « Fotcha, ville de l'Herzégovine, au confluent de la Tchehotina et de la Drina. C'était, avant la dernière occupation autrichienne, le siège d'un mudir, La population s'élevait en 1867 à dix mille habitants, la plupart musulmans; on y voyait vingt mosquées. » (Roskiewicz, Studien, etc., page 114).

[56] « Pleoljè, en turc Tachlidjèh, est la localité désignée par Jean Chesneau sous le nom de Pleonie. C'est une petite ville de deux mille habitants, située dans la vallée de la Tchehotina. Cette ville était gouvernée par un caïmacam et on y remarquait une belle mosquée dont la coupole était dorée. Les Grecs possèdent, à peu de distance de la ville, un couvent placé sous l'invocation de la Trinité, qui a été plusieurs fois ruiné et rebâti. L'église du monastère a une origine fort ancienne; les murs ont plus de six pieds d'épaisseur. On y conserve le sarcophage aujourd'hui vide de saint Sava, ancien évêque et duc d'Herzégovine. Le bâton du saint et des évangiles lui ayant appartenu sont conservés par les moines. Ces objets proviennent du monastère de Milecheno, brûlé en 1595 par les Turcs. » (Roskiewicz, Studien, page 150).

[57] « Priepoljè est un bourg de deux mille habitants, sur le Lim, au sud-est de Tlevljè. » (Roskiewicz, Studien, page 152). « Après avoir faict noz offrandes au cors de sainct Saba, avons par la dicte vallée continué nostre chemin jusques à la ville de Prepolye, que avons passée ensemble ung pont de bois qui est si r la rivière de Lym » (Missions diplomatiques de Corneille de Schepper, page 199).

[58] « Il y a près de ladicte montaigne ung petit ruisseau, lequel sépare le Sangzachat de Bossina de Hertzgovina et lequel se mêle à la rivière de Cina et après se rendent par ensemble en celle de Pinchia, et finablement dans Ibar. Ledict ruisseau passé, avons monté une aultre montaigne très haulte ayant de toutz costez des montaignes et forests par laquelle ayant cheminé trois lieues, avons descendu jusques au monastère de Sainct Sabat. Ce monastère est habité d'heremites que communément on appelle Calloury et sont tous manouvriers, ayantz revenus; au reste, du tout ignorantz. » (Missions diplomatiques de Corneille de Schepper, Schepper, page 190).

[59] Milosina. à peu de distance au sud-est de Priepoljè. La route actuellement suivie passe au nord de cette localité et gagne directement Sjenica.

[60] « Novibazar s'étend sur la rive septentrionale de la Rachka. Une partie des maisons s'étagent sur les collines qui s'étendent au nord de la ville. La citadelle s'élève au nord-ouest et ses murs sont baignés par un torrent qui traverse la ville. Novibazar possédait trois mosquées; la population, composée de Serbes et de Bosniaques musulmans, pouvait s'élever au chiffre de huit mille âmes. » (Amé Boué, Recueil d'itinéraires dans la Turquie d'Europe. Vienne, 1854, t. Ier, page 185).

[61] Nich (Nissa) faisait autrefois parti du gouvernement de Sofia; elle appartient aujourd'hui à la Serbie. « Nich est une ville bulgare populeuse; on y comptait seize mille habitants dont six. mille étaient musulmans. li y avait onze mosquées, une ou deux églises grecques, une tour à horloge, un grand bazar bien fourni de boutiques et de grands khans. Le bazar a une toiture en planches et des rues si larges qu'on y peut passer à cheval et en voiture. » (A. Boué, Recueil d'itinéraires dans la Turquie d'Europe, Vienne, 1854, t. Ier, page 60). La citadelle de Nich lut emportée en 777 (1375) par Sultan Murad Ier, après vingt-cinq jours de siège. On compte seize étapes de cette ville à Constantinople. Nich était une des quatre plus fortes places de l'empire de Byzance et le point central des communications entre la Thrace, la Serbie et la Pannonie.

[62]Ce village est celui de Milosanzy. Il est marqué sur la carte de la Turquie d'Europe publiée en 1870, par M. Kiepert.

[63] Sofia (Serdica, Triaditza) s'élève dans une plaine bordée par l'Hémus et le Rhodope. L'ancienne Serdica fut pillée par les Huns et détruite par les Valaques sous Andronic Comnène. Elle se releva de ses ruines et prit le nom de Sofia. Elle fut prise par Indjèh Balaban (784-1382), après un siège qui dura plusieurs années. Sofia était autrefois la résidence du beylerbey de la Roumélie. « Ses mosquées et ses vingt-deux minarets, dit M. Amé Boué, annoncent une grande population, néanmoins cette cité ne compte guère que cinq mille maisons ou vingt ou vingt-deux mille habitants dont la plupart sont Bulgares... L'ancienne cathédrale bulgare de Sofia est placée à l'extrémité orientale de la ville, ce qui semble indiquer qu'elle a été jadis plus grande. » (Recueil d'itinéraires, tome Ier, pages 65-66). Près de Sofia se trouvent des eaux minérales qui avaient une grande réputation. « Entre les deux cours d'eau, dont l'un vient de Kustendil et l'autre de Samakov, se trouve un bain chaud dont la température est modérée : à côté jaillit aussi une source d'eau froide. Le bain se compose d'un djamekian ou chambre où l'on se dépouille de ses vêtements, et d'une salle intérieure couverte d'une coupole. Non loin de ce bain, on en voit un autre semblable destiné aux femmes. » (Hadji Khalla, Rumeli und Bosna, trad. par M. de Hammer, Vienne, 1812, pages 51-52.) « Sophia est un bourg très ample et habité la plupart des chrestiens Ragusiens. Nous avons esté logés au logis du seigneur Benedicto de Georgiis, Ragusien, et après souper, avons esté aux baings qu'il y a illecq très beaux et très sains... Il y a en ladicte Sophia ung temple édifié par les Grecqz ayant une tour de telle grandeur que mille meschites ne la peuvent esgaller. Les maisons sont toutes en bois et partant, fort subjectes aux feux. Ce bourg est bien fréquenté et habité d'une infinité de marchands. » (Missions diplomatiques de Corneille de Schepper, page 191.)

[64] Tatar Bazardjik est un gros village situé sur la grande route à treize journées de marche de Constantinople et à une étape de Philippopoli. On y remarque deux khans, une mosquée avec minaret construits par Ibrahim Pacha à la requête des habitants. (Rumeli und Bosna, page 55.)

[65] Congnusse est le nom très défiguré de Kustendjèh (Kastanicza), gros bourg situé entre Samakov et Tatar Bazardjik. « On trouve dans les environs deux sources d'eau chaude au-dessus desquelles on a bâti des bains en pierres. L'un de ces établissements tombe en ruines. On ne saurait demeurer sans inconvénient dans l'autre pendant plus d'une demi-heure. » (Rumeli und Bosna, page 56.) « Ma partissimo per essere la sera in Chiostengie villagio bagnato dal torrent: Sanacho un poco fuori di strada. » (Relatione del viagçio fatto a Constantinopoli dal conte Alberto Caprara, etc., Bologne, 1685, page 46.)

[66] « Philippopoli (Plovdiv des Bulgares, Filibèh des Turcs) fut conquise en 765 (1366) par Lala Chahin Pacha, Il construisit un grand pont sur la Maritza qui traverse la ville. Les rues de Pliilippopoli sont belles et on y trouve des bains, des mosquées, des caravansérails et des khans. Les environs de la ville sont très fertiles; ils produisent principalement du riz et ils approvisionnent toutes les provinces jusqu'à Bagdad. Le commerce du riz fait entrer, tous les ans, dans les caisses publiques, une somme de quatre millions d'aspres. Les arbres et les fruits sont très abondants dans le pays. » (Rumeli und Bosna, p. 52-55).

[67]La Maritza (l'ancien Hébrus), appelée par les Turcs Nehri Meridj, prend sa source dans le versant nord-ouest du Despot Daghy (le Rhodope) et se jette dans la mer en face de l'île de Thasos, après avoir reçu les eaux de l'Arda (Harpessus) et celles de la Toundja.

[68] Ce pont a dix-neuf arches d'une architecture massive. Il fut construit par Mustafa Pacha, Esclavon d'origine, qui avait épousé une sœur de Sultan Suleyman; il fut un des vizirs de ce prince qu'il accompagna dans sa première campagne de Hongrie. En 1322, il dirigea l'expédition contre Rhodes et il mourut en 1529. Un village de deux cents maisons porte aussi son nom et s'élève à l'extrémité du pont, sur la rive orientale de la Maritza ; il y fit bâtir une mosquée. (Hadji Khalfa, Rumeli und Bosna, p. 49). « Et sommes enfin arrivez à un bourg par un pont appelé Mustapha Cupery. Ce Mustafa Bassa fut natif de Caradach qui est ung lieu sur la Montaigne noire, près Scutin (Scutari) et eut à femme Sutur, fille de Selym Sultan, et seur de ce Solyman et d'une mesme mère, et despensoit pour l'édification de ce pont cent et trente mille ducatzs. Le pont est de pierre cuicte, sur la rivière d'Hebre, ayant dix huict grands arcqz; il est très excellent et d'une merveilleuse extendue, non toute fois semblable à celle du pont de Praga. » (Missions diplomatiques de Corneille de Schepper, page 190).

[69]Andrinople (l'ancienne Orestea, Hadrianopolis), est appelée Edirnèh par les Turcs. Elle est le siège d'un métropolitain grec, relevant du patriarchat de Constantinople.

Les Ottomans, sous la conduite de Sultan Murad Ier, s'emparèrent de cette ville en l'année 762 de l'hégire (1360). Lala Chahin Pacha en fut le premier gouverneur. Elle devint la résidence du Sultan en 768 (1366), après la construction du vieux sérail. Les trois rivières de la Maritza, de l'Arda et de la Toundja se réunissent à Andrinople. Sur la rive de la Toundja s'élève une forteresse carrée ayant une tour à chacun de ses angles. L'enceinte de la ville est flanquée de douze tours et percée de onze portes. On remarque dans la ville le bazar d'Aly Pacha, construit en 972 (1564), et deux bezesteins. Le nouveau sérail a été construit par Mahomet II en 856 (1451), en même temps que le bazar du molla Bechir Tchéléby. Andrinople possède quarante mosquées dont neuf ont été élevées par des souverains ottomans, et dont les plus belles sont celles de Sultan Bayezid II, Murad II, et Sélim II. On compte, en outre, vingt quatre medressèh ou collèges, vingt-neuf chapelles ou zawièh, dix turbèh ou tombeaux de grands personnages ou de saints et d'autres lieux de pèlerinage.

On trouve à Andrinople quatorze khans dont le plus grand est celui de Rustem Pacha, vingt-huit robaths ou caravansérails et vingt-deux bains. Cinq ponts de pierre et huit en bois sont jetés sur les trois rivières. Le plus beau des ponts de pierre porte le nom de Serradj khanèh kuprussy (le pont de la Sellerie). Il fut construit en 855 (1450), par Chihabeddin Pacha. Sultan Suleyman fit construire un aqueduc pour amener l'eau dans l'intérieur de la ville: cet aqueduc alimente cinquante-deux fontaines. (Hadji Khalfa, Rumeli und Bosna, pages 1-15.)

« La cité est peuplée de grand nombre de chrestiens grecz, qui là ont leur métropole. Lesquelz, après avoir perdu la liberté et se voyans destituez et dépossédez de tout pouvoir et avoir, se sont là retirez, les uns pour s'adonner à quelque train de marchandise ou art mechanique, et les autres, auxquelz est demeuré quelque peu de moyen se paissent seulement de la mémoire de leur ancienne grandeur. Il y a pareillement infiniz Juifs tres riches et fort grands traficqueurs, soit en marchandise, soit d'argent comptant, pour bailler à grosse et excessive usure. Mais beaucoup plus y est grand le nombre des Turcs et speciallement d'excellents artisans, qui est la cause que la cité abonde en toutes sortes de marchandises et beaux ouvrages de selles, brides et tous autres fourniments de chevaux, qui là se font en toute beauté et perfection; pareillement les fines esguilles damasquinées et les beaux maroquins et cordouans de toutes sortes de couleurs tresvives, estranges et diverses sur tous les autres lieux du monde. » (N. de Nicolay, Navigations, Pérégrinations etc., page 265.)

[70]Le roi François Ier mourut à Rambouillet, le jeudi 31 mars 1547.

[71]Silivry (Selymbria) est située au point de réunion des deux routes conduisant, l'une à Salonique, l'autre à Andrinople. Cette ville était autrefois défendue par de fortes murailles et un château fort.

[72] Ponte Grande, en turc Buyuk Tchekmèdjèh. « Ponte grande, dit le rédacteur du Voyage de Jacopo Soranzo, baile de la République de Venise près Murad III, est un gros village habité en partie par des Grecs et en partie par des Turcs. Il est situé sur le bord de la mer. Il y a là un superbe pont de pierres, d'une longueur de 769 varchi; il fut construit par Sultan Suleyman après la destruction du pont de bois qui existait précédemment. Ce pont est jeté sur un petit golfe qui s'enfonce dans la terre entre des collines. Il est construit de telle façon qu'il semble qu'il y ait quatre ponts que l'on doit gravir et descendre : on compte quarante arches. En somme, c'est une belle construction ; elle est bien bâtie, elle est très élevée et a dû nécessiter des dépenses considérables, ce qui n'est rien pour ces gens-ci. » (Diario del viaggio da Venetia a Constantinopoli, etc. Venise, 1856, page 38.) La construction du pont, commencée en 970 (1562) par Sultan Suleyman, ne fut achevée que sous le règne de son fils Selim, en 1567 (975). Ponte Grande porta, sous la domination grecque, les noms de Athyras et de Paros. Le pont construit par Justinien fut, en 814, détruit par les Bulgares.

[73] « Ponte Piccolo, en turc Kutchuk Tchèkmèdjèh, est un petit village bâti en forme de croissant sur le rivage de la mer. Il est à dix milles de Constantinople et il doit son nom à un pont moitié en bois, moitié en pierres, sur lequel on traverse un petit bras de mer, ou lagune. » (Hadji Khalfa, Rumeli, page 60, Diario del viaggio etc., page 58.) L'ancien nom de ce village était Regium. Les empereurs de Byzance y avaient une maison d’été.

[74] François, baron de Fumel dans l’Agenois, gentilhomme de la chambre du roi. Belon, qui était alors à Constantinople, l'accompagna dans son voyage en Egypte et en Syrie. D'après le récit de Belon, M. de Fumel prenait le titre d'ambassadeur de Henri II auprès de Sultan Suleyman. Il dit dans l'avertissement au lecteur placé en tête du second livre des Observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Egypte, Arabie, etc., éd. de 1588 : « Mais pour autant que la faveur et crédit de M. Fumel, gentilhomme de la chambre du Roy, à ce faire nous a grandement aidé, dignes serions d'estre notez d'ingratitude si ne confessions librement luy estre beaucoup redevables : car nous avons eu l'intelligence de plusieurs choses en ses voyages, esquels il a usé de grandes courtoisies en nostre endroict. Nous le trouvasmes à Constantinople, estant pour lors ambassadeur pour le roy Henry deuxiesme vers le Grand Seigneur auquel il trouva grande faveur; car il lui bailla gens exprès de sa Court pour luy faire escorte et le conduire seurement en tous les pays et provinces où il vouloit aller. Et estant bien accompagné d'honorables gentilshommes françois et aussi de genissaires, chaoux et droguemans, acheva honorablement de moult grands et laborieux voyages par les pays de Turquie, comme on voirra par cy après. » (Page 168.)

« A son retour en France, François de Fumel fut bien reçu par le roi : une ordonnance royale, donnée à Fontainebleau le 30 janvier 1549 et contresignée Laubespine, enjoint à Jehan Laguette, trésorier général des finances et des parties casuelles, de compter à François sieur et baron de Fumel, gentilhomme ordinaire de la chambre, la somme de quatre cents écus d'or soleil valant quarante-cinq sous tournois pièce, en récompense de ses bons services. François de Fumel qui, pendant les troubles religieux, avait déployé une grande rigueur contre les protestants, fut assassiné dans ses domaines par ses vassaux le 22 novembre 1562, lorsqu'il revenait de la chasse. » (Histoire de De Thou, tome IV de la traduction française, page 370). De Thou le qualifie aussi d'ancien ambassadeur du roi Henri II, près le Grand Seigneur.

[75]Le sieur d'Huyson, pannetier ordinaire du roi, fut chargé de remettre au sultan une lettre de Henri II. Il était porteur, pour MM. d'Aramon et de Fumel, de dépêches relatives à la paix qui se traitait entre le sultan, l'empereur et le roi des Romains. La lettre de Henri II ainsi que les instructions de M. d'Huyson sont insérées dans l'appendice IX.

[76] « Christophle de Rogendorf, dit le comte de Rocquendolf, comte de Rogendorf et de Gundetrof, baron de Molembourg, marquis des isles d'Hyères en Provence, seigneur de Condé et de Revaux, grand maître héréditaire d'Autriche, capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances du Roy, gentilhomme ordinaire de sa chambre et conseiller en son conseil privé, né en 1510, servit d'abord dans les armées d'Allemagne et se retira ensuite à la cour d'Henry II, sur ce que, ayant eu quelque différend avec sa femme, l'empereur qui la favorisoit beaucoup, ôta au comte la plus grande partie de son bien pour que la comtesse sa femme en eut davantage. Le comte projetta alors et exécuta le dessein d'aller à Constantinople sur les promesses qu'on luy fit de l'employer et de le laisser vivre dans sa religion ; mais, ayant été tourmenté pour prendre le turban, il eut recours au seigneur d'Aramon, ambassadeur de France en cette cour, et luy ayant témoigné l'envie qu'il avoit d'entrer au service de France, cet ambassadeur le demanda au nom du roy au sultan Soliman qui y consentit. Le comte de Rocquendolf ayant donc abandonné tous les biens qu'il avait dans la Germanie el dans les pars circonvoisins, alla trouver le roy Henry II qui le fit gentilhomme de sa chambre, qualité qu'il prenoit déjà en 1549, et on le trouve compris en cette qualité dans les états de puis 1554 jusques en 1569. Le roy luy fit don aussi des isles d'Hieres en Provence qu'il décora du titre de marquisat, en décembre 1549. Il avoit obtenu, au mois de septembre précédent, une gratification de 225 livres en considération de ses services; une autre de 1150 livres au mois de septembre 1552, en dédommagement des dépenses qu'il avoit faites au camp du roy au voyage d'Allemagne, une de 460 livres au mois de juin 1553, motivée sur les services qu'il avoit rendus à Sa Majesté, tant au fait de la guerre qu'à l'entour de sa personne, une de 2300 livres au mois de janvier 1554 pour une commission secrette qui luy avoit été confiée et une de pareil'e somme au mois d'août 1556, à raison de ses services dans les guerres de Piémont et pour lui donner moyen d'entretenir son régiment au service du roy. En effet, il se qualifiait à cette époque, colonel de lansquenets, il jouissait, dès l'année 1548, d'une pension de la Cour de 4000 livres. En 1555, le roy l'envoya vers le roy de Bohême, pour luy offrir de sa part tout ce qui dépendroit de luy afin de maintenir ses droits à l'empire. En 1550, il se trouva au siège de Thionville, leva en Allemagne en 1562, le ban de l'Empire contre les reitres et les lansquenets pour le triumvirat et fut mestre de camp des troupes allemandes que le roy Charles IX employa dans l'armée qu'il fit agir contre le parti huguenot. Henri III luy accorda en 1576 une gratification de 660 livres, et il vivait encore en 1585. Le comte de Rogendorf fut créé chevalier de l'ordre du roi à Saint-Germain-en-Laye, le 7 décembre 1561. » (Histoire des chevaliers de l'ordre de Saint-Michel, Bibliothèque Nationale, cabinet des titres, n° 1040, pages 7-9.)

« Il y a eu aussi le comte de Roquandolf qui a esté un très bon capitaine de son temps et qui a bien servy le roy ; mais pour avoir esté par trop prodigue et despendu par trop excessivement, il est venu et descendu à la fin en une telle disette que je l'ay veu à la court pauvre et misérable; si bien que de tant de biens, moyens et argent qu'il avoit eu d'autrefois, il ne luy estoit resté qu'une seule petite maison vers la Normandie, qui ne luy pouvoir pas fournir à vivre pour luy et à deux ou trois valletz. Quel changement de fortune! Luy si grand, extraict d'une si grande maison d'Allemaigne, avoir eu tant de moyens, en avoir tant consommé en son pays, en France et jusques en Constantinoble, qu'on ne parloit que la despance et magnifficence du comte Roquandolf et de le voir maintenant reduict à tel poinct! » (Brantôme, éd. de M. Lud. Lalanne, tome VI, pages 223-224.)

[77]Aloisio Gritti était le fils d'Andréa Gritti, qui fut doge de 1525 à 1538. Sa mère était grecque et il naquit à Constantinople pendant l'emprisonnement de son père qui y était alors bayle de la République. Aloisio Gritti connaissait à fond le turc et le grec, et il sut se concilier la faveur du sultan et les bonnes grâces de son vizir Ibrahim Pacha. Il devint l'agent de Venise et celui de Jean Zapolya, roi de Hongrie. Aloisio Gritti, après la conclusion de la paix entre Ferdinand d'Autriche et Sultan Suleyman, entra en Hongrie à la tête de mille janissaires et de deux mille spahis, et fit assassiner sous ses yeux Cibaco, évêque de Waradin. Ce crime souleva la population et Gritti dut se réfugier dans le château de Megres. Trahi par la garnison qui livra une des portes, Gritti subit le plus cruel supplice. On lui coupa les mains le matin, les pieds à midi, et le soir, il eut la tête tranchée. Les Turcs désignaient Gritti sous le nom de Beyoglou (le fils du prince). Il s'était fait construire un hôtel dans les vignes de Pcra, et depuis cette époque ce quartier a conservé le nom de Beyoglou. On peut consulter sur le rôle joué par Gritti : Belii apparatus ad historiam Hungariae. La relation de l'ambassadeur de Zapolya : Actio Hieronymi Lascky apud Turcam, nomine regio, les Négociations de Corneille van Schepper et la Relazione di Daniello de’ Ludovisi dans les Relations des ambassadeurs vénitiens près la Porte Ottomane, tome II, pages 29-33.

[78] Yeni seray (le palais neuf) construit par Mahomet II, peu de temps après la prise de Constantinople sur la pointe de terre qui s'avance dans la mer à l'entrée de la mer de Marmara et du port de la Corne-d'Or. Il comprenait une longue suite de bâtiments entourés de jardins dans lesquels le sultan fit planter vingt mille cyprès et platanes, sans compter les arbres fruitiers. La muraille qui l'entourait était flanquée de soixante-six tours et percée de douze mille créneaux. Le nombre des serviteurs, boulangers, eunuques et soldats qui y étaient logés, s'élevait à quarante mille. La somme dépensée pour les bâtiments atteignit le chiffre de trois mille bourses. Sous le règne de Sultan Suleyman on bâtit un palais pour les femmes et un pavillon où les vizirs donnaient audience quatre fois par semaine. (Evlia Tchèlèby, Description de Constantinople, éd. de Boulaq, 1264 (1848), page 81.)

Cf. Tavernier, Relation de l'intérieur du sérail du Grand Seigneur, Amsterdam, Joannes van Sameren, 1678, in-12, et la description de Grelot, Relation nouvelle d'un voyage de Constantinople. Paris, 1680, pages 88-92.

[79] Ce que Chesneau appelle le sérail des femmes est l'Esky seray (vieux palais) bâti en 1454 par Mahomet II, sur l'emplacement du palais du Sénat élevé par Constantin dans son Forum.

La construction de ce palais, dit Evlia Tchèlèby, fut commencée en 858 (1454) et achevée en 862 (1457). La muraille en pierres qui l'entoure n'est pas flanquée de tours ; elle est carrée et a un développement de douze mille aunes. L'Esky seray était sous la surveillance du chef des eunuques noirs, et trois mille baltadjis et eunuques blancs y étaient attachés.

Sultan Suleyman fit élever dans les rues qui bordent le vieux sérail, les palais de l'Aga des janissaires, de Lala Moustafa Pacha, de Piry Mehemmed Pacha et celui de sa fille Esma Sultan. (Evlia Tchèlèby, pages 82-83.) L'hôtel de l'Aga des Janissaires appelé Agaqapoussy, occupait l'emplacement du palais de Carien, élevé par Théophile pour ses filles.

[80] Après la prise de Constantinople, Mahomet II assigna pour résidence au patriarche Gennadius l'église des Saints Apôtres. Deux ans après, le siège patriarchal fut transféré dans l'église de la Vierge Pammakariste, ancien couvent de religieuses transformé en église par Michel Doucas et sa femme Marie Comnène. Anne Comnène, fille d'Alexis, était enterrée dans cette église. (Constantiniade ou description de Constantinople ancienne et moderne. Constantinople, 1861, page 93). Le patriarche grec à l'époque où M. d'Aramon était ambassadeur, était Dionysios II, ancien métropolitain de Nicomédie, qui occupa le trône patriarcal de 1543 à 1551. (Catalogue historique des premiers êvèques et patriarches de Constantinople. Nauplie, 1837, page 179.)

[81] Ce palais est celui que les Grecs appellent palais de Bélisaire et les Turcs Tekfour Seray. Il avait été fondé par Constantin et agrandi par Justinien.

[82] La description complète de Sainte-Sophie se trouve dans l'ouvrage de Grelot intitulé : Relation nouvelle d'un voyage de Constantinople; Paris, 1680, pages 95-164. On peut aussi consulter la Constantiniade, pages 84-92; Paspati, Ta 'Byiantina anaktora, Athènes, 1885, pages 66-233-241 et 318 et Fossati, Aya Sofia, Londres. 1851.

[83] Les architectes et les ouvriers les plus habiles de l'empire ottoman furent appelés à Constantinople, pour concourir à la construction de la mosquée de Mahomet II, dont les fondements furent jetés en 862 (1457). Elle fut élevée sur l'emplacement occupé jadis par l'église des Saints-Apôtres. La construction en fut achevée en 875 (1470), sous la direction de l'architecte grec Christodule. Elle renferme le tombeau de Mahomet II et celui de Gulbehar Khanoum Sultane, mère de Bajazet II. Un collège, des logements pour les étudiants, un hôpital et un imaret où l'on distribue des vivres aux indigents sont annexés à cette mosquée. (Evlia Tchèlèby, pages 100-103 ; Constantiniade, p. 124-126.)

[84] La construction de la mosquée de Sultan Selim, commencée en 927 (1520), fut achevée en 933 (1526). Le plan en fut fait et les travaux furent conduits par l'architecte Qpdja Sinan. Cette mosquée renferme le tombeau de Hafça Sultane, la mère de Sultan Suleyman. Un medressèh, un imaret et un hôpital sont annexés à la mosquée. (Evlia Tchèlèby, page 103 ; Constantiniade, page 126.)

[85] La mosquée de Sultan Bajazet fut commencée en 1498, et terminée en 911 (1506) : elle a pour annexes un medressèh, un hôpital et un imaret. Elle renferme le tombeau de Selim Ier et celui de sa fille Seldjouq Sultane. (Constantiniade, page 126.)

[86]La mosquée de Sultan Suleyman fut achevée en l'année 1556. Sa construction avait coûté trente-huit millions d'aspres, qui représentent une somme de 760.000 ducats.

[87] Cf. Petri Gillii, Topographia Constantinopoleos, Leyde, 1632, pages 126, 142; Ducange, Constantinopolis christiana, Paris, 1682, IIe partie, pages 101 et suivantes; Banduri, Imperium orientale, Paris, 1711, pages 460, 662-666, 798, le mémoire de M. Bourquelot sur la colonne serpentine et l'hippodrome dans le tome XXVII des Mémoires de la Société impériale des antiquaires de France; Constantiniade ou description de Constantinople, pages 71-80.

[88] La colonne historiée dont parle Chesneau fut élevée par Arcadius dans le Xérolophe, aujourd'hui Avret bazar, pendant la neuvième année de son règne. Elle avait une hauteur de cent quarante pieds et était une imitation exacte de la colonne Trajane à Rome. Les sujets sculptés représentaient les victoires d'Arcadius contre les Scythes. Cette colonne, menaçant ruine à la suite des tremblements de terre, fut abattue en 1695. Gentile Bellini, pendant son séjour à Constantinople, obtint de Mahomet II l'autorisation de dessiner cette colonne et celle de Théodose. Ses dessins ont été gravés et placés par Banduri dans son Imperium orientale sive antiquitates Constantinopolitae, Paris, 1711, tome II, pages 509-583.

[89] « Marsiliane est un bastiment vénitien qui fait souvent la traversée du golphe Adriatique jusqu'aux Zanthes. Il a une pouppe carrée comme les pinques et a le devant fort gros. Les plus grandes marsilianes ont quatre mâts, les petites n'ont point d'artimon. Le port des plus grandes est de quatorze à quinze mille quintaux. » (Jal, Glossaire nautique, page 981.)

[90] Les deux églises consacrées au culte catholique étaient, au xvf siècle, l'église de Saint-Benoît, desservie primitivement par des bénédictins, et celle de Saint-François fondée, selon les uns, par saint François d'Assise et, selon les autres, par Francesco Girolamo d'Ascoli, qui devint pape sous le nom de Nicolas IV et fut envoyé en mission en 1272, par le pape Grégoire X, auprès de Michel Paléologue. (Belin, Histoire de l'église latine de Constantinople. Paris. 1872, pages 22-76.) — L'église de Saint-Benoît de Galata passa, en 1583, aux mains des jésuites; elle est possédée aujourd'hui par les lazaristes.

[91] L'escadre française, sous les ordres du baron de Salnt-Blancard, arriva à Chio le 20 décembre 1537. Le baron de Saint-Blancard se rendit à Constantinople, où il fut reçu par Sultan Suleyman. (Charrière, Négociations de la France dans le Levant. Paris, 1848, tome I, page 371.) Outre le journal de la navigation du baron de Saint-Blancard, nous possédons une relation en vers de ce voyage, écrite par un des officiers de l'escadre et intitulée : Le discours du voyage de Constantinople envoyé du dict lieu à une demoyselle françoise, chez Pierre de Tours, 1542.

[92]L'arsenal (Tershanèh) est situé sur la rive droite de la Corne d’Or, dans le quartier de Qassim Pacha. Les premières constructions, œuvre de Mahomet II, furent considérablement augmentées sous le règne de Sultan Suleyman.

[93]La fonderie de canons (Tophanèh) fut établie par Mahomet II sur l'emplacement des dépendances du couvent de Saint- Alexandre. Sultan Bayezid II l'agrandit et y annexa des casernes pour les artilleurs. Sultan Suleyman fit abattre ces bâtiments et fit construire une nouvelle fonderie beaucoup plus vaste.

[94]Tchaouch Bachy.

[95]Qapidjilar Kiahiassy.

[96] « Les Solaquis sont trois cens en nombre, choisis et extraits d'entre les plus forts, plus disposts et plus excellens archers des janissaires pour la garde ordinaire du corps du Grand Seigneur... Ils portent pour leurs armes la cymeterre et en la main l'arc doré tendu, avec la flesche preste à tirer, ensemble la pharetre ou carquois sur le dos. Et quand le grand Turc va aux champs ou à la mosquée, ils marchent en ceste équipage deux à deux autour de sa personne ; à sçavoir un reng du costé dextre qui sont gauchers et un autre à senestre qui sont dextriers, observans telle ordre afin que s'il advenoit que par nécessité ou pour le plaisir du Seigneur, il leur convient descocher leurs arcz. ilz ne tournassent le dosa leur seigneur. » (Les navigations, pérégrinations... etc., page 146.)

[97] « Oultre le nombre des Solaquis le grand seigneur a d'abondant quarante laquais ou estafiers de nation persienne, appellez en leur langue turquesque Peicz ou Peiclars... En l'une des mains, portent l'anagiach qui est la petite hache; et en l'autre un mouchoir plein de dragées ou de sucre candi qu'ilz mangent en courant, tant pour les sustanter et tenir en vigueur, que pour leur oster l'altération. » (Les navigations, pérégrinations, etc., page 149.)

[98] Inrahor bassy est l’altération des mots : Emir akhor bachy (chef, surintendant des écuries), mot qui se prononce vulgairement Imrakhor bachy.

[99]Joseph Nasi, qui avait changé son nom en celui de Don Juan Miquez ou Meguez, appartenait à une famille juive d'Espagne qui avait embrassé le christianisme et qui, fixée à Anvers, avait établi des maisons succursales de sa banque en Portugal et à Lyon. Vers le milieu du XVIe siècle, Miquez émigra à Venise; il éprouva de nombreuses tribulations dans cette ville et grâce à l'intervention du Sultan auprès de la seigneurie, il put avec sa famille se rendre à Constantinople. En 1552, Dona Béatrice de Luna née Mendez, partit pour Constantinople et don Jean Miquez son neveu, qui avait abjuré le christianisme et repris son nom de Joseph Nasi, épousa Reyna, sa fille. Il avait été recommandé à Sultan Suleyman par M. d'Aramon et par le médecin de ce prince, Joseph Hamon. Il réussit à acquérir quelque influence au sérail et il la fit valoir une première fois en faveur des juifs des Etats du pape réfugiés à Pesaro. Lors de la rivalité entre les fils de sultan Suleyman, Bayezid et Selim (1556-1559), Joseph Nasi se rendit à Kutayèhr, résidence de ce dernier prince ; il lui offrit de riches cadeaux et ne tarda pas à devenir son favori. Son influence devint toute puissante après la mort de Bayezid. Il se fit donner la ville de Tibériade dont il entreprit la reconstruction afin d'y établir une colonie juive (1565). A cette époque, Joseph Nasi réclama du roi de France une somme de 150.000 écus, prêtés aux agents français à Constantinople. Le Sultan appuya les réclamations de Nasi et Charles IX envoya à Constantinople pour arranger cette affaire Vinc. Giustiniani, qui n'obtint pas le succès que la cour attendait de sa mission. Après la mort de Sultan Suleyman (1566) l'influence de Joseph Nasi devint, malgré l'opposition du grand vizir Mehemmed Sokolly Pacha, prépondérante aupres de Selim II. Ce prince le créa duc de Naxos, et Joseph Nasi y délégua en qualité de son lieutenant l'espagnol F. Coronello. L'arsenal de Venise ayant été incendié en (1569), Joseph Nasi détermina Sultan Selim à entreprendre la conquête de Chypre qui passa, en 1571, sous la dominatiou ottomane. La mort de Sultan Selim fit perdre à Joseph Nasi toute son influence ; il conserva cependant le duché de Naxos ; il mourut sans postérité le 2 août 1579. Sa fortune fut confisquée par Sultan Murad qui ne laissa à dona Keyna, sa femme, qu'une somme de 90.000 ducats. Joseph Nasi, qui s'était fait le compagnon des débauches de Sultan Selim et ne conservait son crédit qu'en flattant les vices de ce prince, fut successivement à Constantinople l'agent de la cour d'Espagne, puis celui du prince d'Orange. Il poursuivait les Français de sa haine, et il avait réussi à faire saisir les navires français ancrés dans le port d'Alexandrie, saisie qui donna lieu à de longues négociations. Les ambassadeurs de France essayèrent pendant longtemps, mais en vain, de contrebalancer son influence.

[100] Louis de Saint-Gelais dit de Lesignem, baron de la Motte-Sainte-Heraye, seigneur de Lansac et de Pressy-sur-Oise, chevalier des ordres du roi, conseiller d'État, chevalier d'honneur de la reine Catherine, mère du Roi et surintendant de sa maison, fut ambassadeur à Rome. Il fut pourvu de la charge de capitaine de la seconde compagnie des cent gentilshommes de la maison du roi : il s'en démit au mois d'août 1578 et mourut au mois d'octobre 1589, à l'âge de soixante-seize ans. (Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, etc., par le P. Anselme. Paris, 1753, tome IV, page 66.)

[101] Elqas Mirza était le troisième fils de Châli Ismayl; son frère Chah Thahmasp lui confia le gouvernement du Chirwan. Au bout de quelques années, Elqas Mirza tenta de se soustraire à l'autorité de Chah Thahmasp et celui-ci lui accorda une première fois son pardon. En 1546, pendant une expédition en Géorgie, Chah Thahmasp apprit qu'Elqas Mirza faisait frapper la monnaie et réciter la khoutbèh en son nom et que l’incursion qu'il faisait en Circassie n'était qu'un prétexte pour ne point se présenter à son camp. A cette nouvelle, Chah Thahmasp fît entrer un corps d'armée dans le Chirwan ; Elqas de son côté, abandonna la Circassie, se rendit à Derbend et fit marcher quelques troupes contre celles de son frère. Elles furent battues et Elqas, poursuivi par les officiers de Chah Thahmasp, se réfugia dans le Daghestan, gagna le bord de la mer et s'embarqua sur un navire qui le conduisit à Kaffa, en Crimée. Il se rendit delà à Constantinople où il sollicita la protection de Sultan Suleyman qui le traita avec la plus grande magnificence. Il accompagna ce prince en 1548, dans sa campagne contre la Perse. Il fut placé à l’avant-garde avec un corps d'enfants perdus et de cavaliers Kurdes et il reçut l'ordre, lorsque Chah Thahmasp fit une pointe sur Erzeroum, de se diriger sur Bagdad. Il franchit les frontières du Kurdistan, se rendit maître de Hamadan, de Qoum et essaya de s'emparer d'Ispahan. Il tenta d'envahir le Fars, mais il dut se replier sur Bagdad. Abandonné par les Turcs, il battit en retraite sur Chehirzor, où il fut attaqué par les Kurdes. L'année suivante (1549), le sultan lui enjoignit de rentrer sur le territoire ottoman, mais il éluda cet ordre et implora la clémence de son frère. Les soldats turcs restés avec lui, ayant eu connaissance de cette démarche, attaquèrent son camp. Il se réfugia alors à Ardelan, puis à Merivan. et dans cette extrémité, il sollicita l'intervention de son beau-frère Chah Nimet oullah et se rendit avec lui à la cour. Chah Thahmasp se montra tout d'abord disposé à lui accorder son pardon, mais les dignitaires du royaume s'opposèrent à cet acte de clémence, et Elqas Mirza fut conduit au château de Qahqahah où il resta prisonnier jusqu'à sa mort arrivée en 1579.

[102]François de Noailles, évèque d'Acqs, qui fut ambassadeur à Venise et plus tard, ambassadeur de Charles IX à Constantinople de 1572 à 1574, fait, dans sa correspondance, le plus grand éloge du sieur de Cambray. Après le départ de M. d'Aramon, M. de Cambray eut avec Codignac de nombreux démêlés. Il fut chargé d'une mission près de la reine de Hongrie, et Codignac l'accusa de l'avoir desservi auprès de cette princesse et d'avoir sollicité son intervention pour le faire rappeler de Constantinople. M. de Cambray, à son passage à Venise pour rentrer en France, fut dans cette ville, l'objet d'une tentative d'assassinat. Codignac fut accusé d'avoir soudoyé un Piémontais qu'il avait tiré du bagne de Constantinople.

M. de Cambray fut, par la suite, ambassadeur du roi auprès des cantons suisses.

[103]Scutari, l'ancienne ville de Chrysopolis, appelée par les Turcs Uskudar, s'élève en amphithéâtre sur la côte d'Asie en face de Constantinople. Scutari était autrefois une dépendance de Chalcédoine, mais, depuis la prise de Constantinople par les Turcs, elle a été considérée comme un faubourg de la capitale. A l'époque où d'Aramon résidait à Constantinople, Sultan Suleyman faisait construire à Scutari la mosquée et l'imaret qui portent le nom de sa fille Mihroumah Sultane.

[104]Chalcédoine, appelée par les Turcs Qadi Keuy, est bâtie sur le promontoire situé au-dessous de Scutari. Fondée par les Mégariens, elle fut prise par les Athéniens, puis par les Lacédémoniens ; les Perses, conduits par Pharnabaze. la détruisirent. L'empereur Valens ayant fait abattre ses murailles les Goths la saccagèrent. Au VIIe siècle, elle fut pillée par les musulmans. Le quatrième concile général se réunit à Chalcédoine en 451. Sultan Suleyman, en 1552, fit transporter à Constantinople, pour orner la mosquée qu'il faisait bâtir, les colonnes et les marbres de la chapelle du monastère construit par Rufin, ministre d'Arcadius.

[105] Maltèpèh (la colline du trésor) est le nom d'un gros village situé à une demi-heure de Qartal. Le nom de Maltèpèh, est donné à la rangée de collines bordant la mer et s'étendant jusqu'à Touzla. On remarque dans leurs flancs les traces nombreuses de fouilles qui y ont été pratiquées. Maltèpèh, située à quatre heures de Scutari et à trois heures de Qadi Keuy, était la première étape des armées ottomanes lors d'une expédition en Asie. (J. von Hammer. Umblick auf einer Reise von Constantinopel nach Brussa. Pesth, 1818, page 165.)

[106] A une heure de distance de Gueibizè, sur le bord de la mer, s'élève Daridjè, ancien château fort de l'époque byzantine, conquis seulement en 827 (1423) par Mahomet II. C'est la localité désignée sur la carte de Leak par le nom de Diacibysa. J. von Hammer, Umblick, etc., page 164.

[107] L'antique Libyssa porte aujourd'hui le nom de Gueibizè : elle fait partie du district de Qodja Ily, dans la province de Khoudavendguiar. « Gebise, ville de Bythinie, célèbre par le sépulcre d'Annibal, et qui s'appeloit autrefois Lybissa, d'où l'on descouvre le golphe de Nicomedie et où l'on voit des cyprès d'une grandeur demesurée. » (Ambassades et voyages en Turquie et Amasie de M. Busbeqius, nouvellement traduites en français, par S. G. (Simon Gaudon), Paris, 1646, page 108.)

[108] Nicomédie (en turc Iznimid ou Izmid) a aujourd'hui très peu d'étendue. Elle s’élève en triangle du rivage au sommet de la montagne où l'enceinte de l'ancienne Acropolis est encore marquée par les restes de murailles et de tours abattues ; sur un terre-plein, on trouve un édifice appelé Eski Serai qu'on croit, avec assez de vraisemblance, avoir été bâti par Dioclétien. (Dallaway, Constantinople ancienne et moderne. Paris, an VII, tome Ier, page 259.) « Quatre jours après nostre départ de Constantinople, dit Busbec, nous vinsmes à Nicomedie. C'est une ancienne ville de qui l'on a beaucoup parlé; mais il n'en reste que de vieilles masures et de gros morceaux de colonnes abbatües ; si ce n'est que le chasteau, situé sur une colline, est plus entier. Un peu devant que nous y vinssions, on avoit treuvé sous terre une muraille de marbre blanc qui estoit asseurement une partie du palais magnifique des roys de Bithynie. » (Ambassades, etc., page 109.) Nicomedie fut conquise par Orkhan en 727 de l'hégire (A. D. 1326). Elle est le siège d'un métropolitain relevant du patriarcat de Constantinople et portant le titre d'exarque de toute la Bythinie.

[109] Sabandjèh (Sophon), au sud-ouest du lac du même nom, est un des soixante cinq villages qui s'élèvent sur ses bords. « Ce bourg doit son nom à Sabandjy Khodja, qui le premier défricha les bois qui entouraient le lac. Sary Rustem Pacha, vizir de Sultan Suleyman, fit bâtir à Sabandjèh une mosquée, un bain dont la coupole était couverte en plomb, et un grand khan ayant cent soixante dix chambres à feu. » (The travels of Evlia Efendy translated by Ritter Joseph von Hammer. Londres, 1850, tome II, page 91.)

[110] Le Sangary est le Saqaria des Turcs, le Xerabatès, Sangarias, Sangaris ou Sangarius des anciens. « Le Sakaria est une des rivières les plus considérables de l'Asie Mineure. Ses deux sources principales sont, l'une au pied oriental du Beyad-yaïlassi-dagh, à peu de distance au sud du village de Beyad et à environ dix lieues au nord-est de Afium-karahissar; l'autre (la plus importante) se trouve au nord-ouest de la première, à neuf lieues au sud du village Seïdel Ghazy dans le massif qui joint le Beyad dagh au Mourad dagh. » (de Tchihatcheff, Asie Mineure, description physique de cette contrée, 1866, tome Ier pages 136 et suiv.) Le Sakaria, après avoir reçu de nombreux affluents, se jette dans la mer Noire près de Bender Eregly.

[111]Au lieu de Guyene, il faut lire Guievèh : c'est le nom d'un village situé à six heures de marche, à l'est de Sabandjèh. Gassot donne à cette localité le nom de Gene.

[112] Tharaqly est une ville du district de Viran Cheher dans la province de Qastemouny. Elle est divisée en douze quartiers : on y voit quatre mosquées et deux bains. Elle possède aussi un magnifique caravansérail; cinquante villages sont placés sous sa juridiction. Elle doit son nom à l'industrie locale qui consistait dans la fabrication des peignes (Tharaq).

[113]Guhemene est le nom défiguré du gros bourg de Gumuchâbad.

[114]Au lieu de Dibec ou Dibel que donnent les manuscrits et la relation de Gassot, il faut lire Duzdjèh. C'est un bourg situé sur la limite occidentale du district de Boly, à douze heures de marche de cette dernière ville. Il porte aussi le nom de Duzdjèh bazar. Le pays environnant est montagneux. Sonqor bay Chemsi Pacha, qui en fit la conquête sous le règne de Sultan Osman, fit percer la route qui traverse ce village, et il y construisit une mosquée et deux caravansérails.

[115]Boly, chef-lieu du district de ce nom dans la province de Qastemouny, est situé dans une plaine bornée par des montagnes à l'est et au nord. Boly est divisé en vingt-quatre quartiers ; on y compte trois mille maisons dont la plupart sont couvertes de tuiles. On y voit un grand nombre de mosquées; les plus fréquentées sont celles de Mustafa Pacha et de Ferhad Pacha sur la place du marché. Sonqor bay Chemsy Pacha a élevé à Boly un bain, sept caravansérails et sept fontaines. Les habitants se livrent au commerce et exploitent les forêts de sapins des environs. Les planches qui en proviennent sont fort estimées à Constantinople ; le climat de Boly est très doux ; les fruits sont bons et les cerises particulièrement excellentes. Au sud de la ville, au milieu des jardins, se trouve un petit bain dont l'eau est souveraine pour la guérison de la gale. (Evlia Tcheleby, tome II, page 93.) Boly est l'ancienne ville de Claudiopolis.

[116]Il faut lire Handak ou Khandak (le fossé) (l'ancienne Latania) au lieu de Hunada. Ce petit village fait partie du district de Qodja Ily. Il possède une mosquée un bain, un khan et un marché. (Evlia Tcheleby, tome II, page 92.)

[117] Gueredèh ou Kéredy, dans la province de Qastemouny et le district de Boly, entre cette dernière ville et Viran cheher, est un gros bourg d'un millier de maisons en bois et en briques, qui s'élève dans une grande vallée. On y voit onze mosquées, sans compter les mesdjid, trois couvents et deux cents boutiques. Les couteliers et les tanneurs de Gueredèh jouissent d'une grande réputation. Gueredèh est célèbre, d'après un dicton populaire, par ses voleurs, ses tanneurs et la rigueur de ses hivers. Le froid y est aussi intense qu'à Erzroum. (Evlia Tcheleby, tome II, pages 93-94.)

[118] Qaragueul ou Gueulbachy est le nom d’un lac et d'un village situés à quatre heures de marche de Kéredy. 2. 3. 4.

[119]Hammamly est un gros village qui doit son nom aux sources d'eaux minérales qui jaillissent dans ses environs.

[120] Tcherkes est le nom d'un bourg situé dans une grande plaine arrosée par un cours d'eau qui se jette dans le Saqaria. Il est protégé par un petit fort en pierres et se compose de trois cents maisons et de quarante à cinquante boutiques. On y voit une mosquée.

M. de Tchihatchef a décrit avec beaucoup de soin le cours des trois rivières dont parle Chesneau et qui sont le Tcherkes sou, le Hammanly sou et le Gueuk aghadj sou. (L’AsieMineure, pages 159 et suiv.)

[121]Bouzoqlou est un gros village à deux milles de Tcherkes; il est bâti au pied d'une colline couverte de sapins et de genévriers.

[122]Caraguira est le nom défiguré du village de Qaradjalar (les chevreuils) qui faisait autrefois partie d'un fief relevant de la juridiction de Kanguery (l'ancienne Gangra, Germanicopolis). Qaradjalar renferme trois cents pauvres maisons ; les habitants fabriquent des ceintui'ons qui jouissent d'une certaine renommée, et des aiguilles qui sont recherchées. (Evlia Tcheleby, t. II, p. 94).

[123] Qotch Hissar (le château du bélier) est un gros bourg situé dans une plaine unie, au bord de la grande route. Qotch Hissar possède des mosquées, des caravansérails et des bains ; il est défendu par un fort en terre séparé du bourcr lui-même par des jardins qui produisent en abondance des fruits savoureux. Le château de Qotch Hissar fut conquis en 708 (1308) par Osman, le fondateur de la dynastie ottomane qui donna l'ordre de le raser, afin qu'il ne retombât pas aux mains des Grecs. M. W. Ainsworth a décrit cette localité dans ses Travels and researches in Asia Minor, Mesopotamia. etc. Londres, 1842, tome II, page 186.

[124] Thossia (l'ancienne Theodosia), dans la province de Bozoq et le district de Kianguery, est bâtie sur une éminence au pied de laquelle coule le Dévèrek tchay ; elle est divisée en onze quartiers renfermant environ trois mille maisons en bois. Elle possède vingt et une mosquées sans compter les oratoires, sept caravansérails, trois cent quarante boutiques et un bezestein fermé par une porte en fer. L'air y est extrêmement lourd. Les habitants sont de race turque et très hospitaliers pour les étrangers. (Evlia Tchèlèby, page 95). « Il lui vient d'assez bonne eau de la montagne d'Elqas qui est derrière la ville ; outre cette eau, il y a, au milieu de la ville, une bonne source appelée Tas bouniary (la source de la tasse), sur laquelle on a fait une fontaine. L'eau de cette fontaine se rend aux tanneries qui sont en grand nombre. Le fruit y est bon et en quantité». (Otter, Voyage en Turquie et enPerse. Paris, 1748, tome II, p. 348.)

[125]Il faut, au lieu de Kabougiac, lire Hadji Hamza, village qui tire son nom de Hadji Hamza disciple et compagnon de Habib Qaramanly qui y avait vu le jour. Ce village bordait la grande route : il était abandonné au XVIIe siècle, et il ne subsistait à cette époque qu'une mosquée et quelques maisons en ruines. (Evlia Tchèlèby, tome II, page 96). On lit dans la relation de Gassot : « ... et logeasmes à Totia que je pense avoir esté anciennement appelée Theodosia : elle est en fort belle situation; nous y reposasmes un jour. Le lendemain, nous logeasmes en une belle plaine en un casal appelé Cacombazar. »

[126] Le Qizil Irmaq (rivière rouge) doit son nom à la couleur de ses eaux. Il prend sa source dans la plaine de Tchibouq Arassy dans le district de Qotch Hissar. Il court de l'est à l'ouest, traverse la ville de Sivas, passe au sud de Qir Cheher et se dirige sur Osmandjiq. Après avoir passé sous le pont appelé Tchachneguir Kuprussy (le pont de l'écuyer tranchant), il traverse les cantons de Hadji Hamza et de Zeïtoun, passe entre deux rochers entre les villages de Gurendèh et de Guedèh Qara et se jette dans la mer Noire, non loin ce Bafra, bourg défendu par un petit château. (Djihan Numa, p. 626.) On peut consulter, sur le Qizil Irmaq et ses affluents, L’Asie-Mineure de M. de Tchihatchef, tome I, pages 169-187.

[127] Le château d'Osmandjiq à huit heures ue marche de Hadji Hamza fait partie du sandjaq de Tchouroum. Il fut enlevé aux Turkomans par Sultan Bayezid Ildirim en l'année 795 (1392). Le château a huit cents pas de circonférence et est fermé par une porte en fer : le faubourg qui l'entoure consiste en une centaine de maisons couvertes en planches et en terre battue et habitées par des Tatars. On voit à Osmandjiq quelques mosquées, trois khans et un petit bain dont l'eau est fournie par un puits alimenté par le Qizil Irmaq. Le couvent dont parle Chesneau était occupé par des derviches Bektachy : il s'élevait près du tombeau de Qouyoun Baba, disciple et successeur de Hadji Bektach et avait été bâti par le sultan Bayezid. Au lieu de Cochiny baba, il faut lire Qouyounly baba (les disciples de Qouyoun Baba) Evlia Tchèlèby, tome II, p. 96-97.

[128]Cagion est le nom déhguré de Hadji Keuy (le village du pèlerin), gros bourg où l'on trouve deux beaux caravansérails. Hadji Keuy situé au sud-ouest de Gumuch Khanèh est à trois journées de marche au sud-est d'Osmandjiq. Près de Hadji Keuy se trouve une mine d'argent à peine exploitée.

[129] Amassia est le chef-lieu du district de ce nom dans la province de Sivas. Cette ville est arrosée par le Yechil Irmaq (la rivière verte), l'Iris des anciens. Elle est la résidence d'un métropolitain relevant du patriarchat de Constantinople et portant le titre d'exarque du Pont-Euxin. « Elle est située, dit Hadji Khalfa, dans un vallon entouré de très hautes montagnes. Ses murailles et son château ont été rebâtis par le prince Seldjoucide Keiqobad (1219-1240). On y voit le palais d'Isfendiar. Plusieurs princes y ont autrefois résidé. Cette ville a été appelée la Bagdad du pays de Roum ; elle est assez grande et les maisons y ont une belle apparence. Elle possède de nombreux vergers dans lesquels on récolte des fruits excellents. Le raisin y est particulièrement exquis et l'on en fait de très bon vin. » Djihan Numa, page 625. « Amasie, dit Busbec, est bastie sur le penchant de deux collines séparées par le cours de la rivière d'Iris qui passe par le milieu de la ville : cette situation est telle que représentant quelque forme de théâtre. La rivière se voit de tous costez et rien ne se fait d'une part de la ville qui ne soit veu de l'autre. Les montagnes qui l'environnent ne laissent qu'un chemin libre pour les chevaux, chariots et carrosses. Sur la plus haute colline d'Amasie est bastie la forteresse assez considérable, gardée par une garnison perpétuelle de Turcs. Les rues et les places d'Amasie n'ont rien d'agréable; les maisons sont basties d'argile comme en Espagne, le dessus des maisons est tout plat, fait de la mesme manière, et quand la pluye ou le vent ont fait quelque gouttière ou arraché quelque morceau de terre, une pièce de colonne sert de cylindre pour aplanir le plancher et boucher les trous. » (Ambassades et voyages en Turquie, pages 137-139.)

[130]Tocat (l'ancienne Comana Pontica), dans la province de Sivas, s'élève dans une vallée dont la terre est de couleur rougeâtre : elle est entourée de vergers et de plantations d'arbres. Tocat, ville commerçante, possède de belles mosquées, des bains, des caravansérails et de nombreuses écoles. Elle est protégée par un château en pierres bâti au milieu d'une vallée agréable. (Djihan Numa, page 623). Tocat fut pillée en 877 (1472) par l'armée d'Ouzoun Hassan commandée par Joussouf Mirza.

[131]Sivas (l'ancienne Sebastia) est la capitale de la province de ce nom. « Sivas, dit Hadji Khalfa, est défendue par une petite forteresse. On y voit peu d'arbres; le froid y est très vif. Elle a été entourée d'une muraille en pierres par le prince Seldjoucide Ala Eddin Key Qobad ; elle fut ruinée par Timour. Elle est bâtie sur une éminence et le Qizil Irmaq dont l'eau a un goût saumâtre et n'est pas potable coule au pied de la colline. Sivas possède un certain nombre de mosquées, de bains et de bazars : les environs produisent des céréales et du coton, on y récolte peu de fruits. » (Djihan Numa, page 622.)

[132]Erzroum.

[133]Le village de Merzivan ou Merzifoun est à neuf heures de marche d'Amassia. Il s'élève dans une longue plaine plantée d'arbres, cultivée en céréales et arrosée par le Terchan Sou, rivière qui se jette dans le Yéchil Irmaq, un peu au-dessous d'Amassia. Merzifoun, dit Evlia Tchèlèby, est une ville bâtie dans la plaine au pied du mont Dèchan : elle est divisée en quarante-quatre quartiers renfermant quatre mille maisons couvertes de tuiles; cette ville fondée par les princes de la dynastie des Danichmend a été conquise par le sultan Bayezid I. On y voit soixante-dix mosquées, dont la plus ancienne a été conquise par Murad II, quelques collèges et couvents dont le plus célèbre est celui qui est annexé au tombeau du saint musulman Pir Dedèh. (Tome II, pages 212-216.)

[134] Trois villes portent en Asie-Mineure le nom de Ladik (Laodicea). L'une se trouve dans le district de Koniah, l'autre dans celui de Van, la troisième est connue sous le nom de Ladik d'Amassia. Cette dernière dans laquelle s'arrêta M. d'Aramon est divisée en dix-sept quartiers renfermant trois mille maisons entourées de jardins. Il y a dans la ville dix-sept mosquées dont six sont des mosquées où l'on fait la prière du vendredi; trois d'entre elles ont été bâties par ordre de souverains ottomans. Elle possède aussi sept couvents dont le plus remarquable est celui de Seyd Ahmed Kebir, deux bains publics, sept khans, un grand caravansérail construit aux frais de Ghazy Daoud Pacha et quarante et un palais de vizirs ou de grands personnages, ayant chacun leur bain. Les poires, les cerises et le miel de Ladik jouissent d'une grande réputation.

Cette ville fut conquise en 476 (1083) par Melik Ghazy de la dynastie des Danichmend. Elle se rendit à Timourtach Pacha sous le règne de Bajazet I. (Evlia Tchèlèby, tome II, page 209.)

Le lac de Ladik (Stephanè de Strabon) est à quinze lieues de la mer Noire : il s'étend entre Samsoun et Amassia. Il a quatre lieues de circonférence et une lieue et demie carrée de superficie. On peut consulter, sur le lac de Ladik, L’Asie-Mineure de M. de Tchihatchef, tome I, pages 152-134.

[135]Ce village est celui de Sepetly; il doit son nom à l'industrie exercée par les habitants qui fabriquent des paniers et des coffres en jonc (sepet).

[136]L'Iris, le Yechil Irmaq des Turcs, prend sa source à quatorze lieues environ au sud-est de la ville de Tocat, à peu de distance des sources du Yldiz tchay et il se jette dans la mer Noire à l'est de la ville de Samsoun. L'autre rivière est le Terchan Sou, un des affluents du Yechil Irmaq. Boghaz Kessen (coupe-gorge) est le nom du gué où l'on franchit la rivière.

[137]Ageti ou Aieti, comme l'écrit correctement Gassot. Sultan Suleyman, dans sa campagne de 1534, s'arrêta dans ce village.

[138]Nikssar, l'ancienne Neocesarea, dans la province de Sivas, est le siège d'un métropolitain relevant du patriarche de Constantinople et portant le titre d'exarque du Pont Polémoniaque. Nikssar est située à une journée de marche à l'ouest de Tocat : elle fut conquise en l'année 476 de l'hégire (1083) par Melik Ghazy de la dynastie des Danichmend, et elle devint la résidence de ces princes. Les Seldjoucides tentèrent vainement de s'en emparer. La ville est divisée en quarante-trois quartiers; on y compte soixante mosquées; dans neuf d'entre elles, on récite la khoutbèh tous les vendredis. Le château, d'une construction très solide, est assis sur une roche calcaire ; il a la forme d'un hexagone, et mesure cinq cent soixante pas de circuit ; ses trois portes s'ouvrent dans la direction de l'est, de l'ouest et du sud. Il y a, à l'intérieur, trois cents maisons et magasins et une mosquée qui était autrefois une église. Evlia Tchèlèby, II, pages 102, 103. Nikssar, dit Hadji Khalfa, est défendue par un petit fort en terre bâti au sommet d'une colline ; on n'y accède que par une route fort étroite : au pied de la colline est tracé un chemin praticable seule, ment pour les piétons. (Djihan Numa, page 424.)

[139]Sultan Hassan auquel on donna le surnom d'Ouzoun (le long) est le quatrième prince de la dynastie turcomane du Mouton blanc. Il mourut en l'année de l'hégire 882 (1477) à l'âge de cinquante-quatre ans, après un règne de dix ans. Il fut enterré dans le jardin du collège de Nassirièh qu'il avait fondé.

[140]Le Guermely tchay est l'affluent le plus considérable du Yechil Yrmaq. «Il a, dit M. de Tchihatchef, une longueur considérable et constitue la grande bifurcation que présente ce dernier, à quatorze lieues au sud de son embouchure, oii le Guermely tchay opère sa jonction avec le Yechil Yrmaq. Sa direction moyenne est du sud-est au nord-ouest. » (Asie-Mineure, tome I, page 191.) Le Guermely tchay porte aussi le nom de Kelkid tchay, du nom de la ville de Kelkid qui s'élève sur ses bords. Kelkid est une ville de médiocre importance, située dans une plaine à deux journées de marche de Sivas. Elle possède une mosquée et un bain public. Les maisons sont construites en bois.

[141]Hissardjiq (le petit château).

[142]Qouyly hissar (le château aux puits) bâti par Ouzoun Hassan pour arrêter les invasions des Ottomans sous Mahomet II, est bâti au sommet d'un haut rocher. Il a treize cents pas de circonférence. L'intérieur du château renferme un millier de maisons et des magasins pour les approvisionnements. Le faubourg qui s'étend au pied du château, se compose d'un millier de maisons et de quelques boutiques. On y voit une mosquée. (Evlia Tchèlèby, II, pages 104-105.)

[143]Anderes, village situé à quatre heures de Doiran, sur la limite du district de Tchoban Kara Hissar.

[144]Tchoban ormany, le bois du berger ou le bois de Tchoban, nom du fondateur de la dynastie des Tchobanlou.

[145]Artingiely me paraît être Artin ogly keuy, le village du fils d'Artin. Artin a, en arménien, la signification de Pascal.

[146]Tchardaqly.

[147]Arzindjan ou Arzingan (en arménien Eriza ou Erez), était célèbre chez les anciens Arméniens par le culte que l'on y rendait à la déesse Anahid, dont les temples furent renversés par saint Grégoire, premier patriarche d'Arménie. Cette ville s'élevait à l'ouest de l'Euphrate, au sommet d'une colline située au nord de la rivière Kail, non loin de son confluent avec l'Euphrate. Dans le premier siècle de l'ère chrétienne, elle avait été décorée d'un grand nombre de temples par le roi Tigrane II, et elle conserva un rang fort distingué en Arménie, longtemps même après l'établissement du christianisme. Sous la domination des princes musulmans de la dynastie des Seldjoucides, elle devint encore plus importante ; et il paraît que, sous l'empire des successeurs de Djenghiz Khan, elle fut gouvernée par des émirs mogols ou tartares qui en conservèrent la souveraineté jusque sous les fils de Tamerlan. Sous le règne de ce conquérant, elle était gouvernée par un certain Zaharten qui parvint à conserver ses États en faisant alliance avec lui. Arzendjan a été plusieurs fois renversée, et presque détruite par les tremblements de terre; mais elle s'est toujours relevée et elle a conservé jusqu'à présent une grande importance. Elle est l'une des principales villes du pachalik d'Arzroum. (Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie. Paris, 1818, tome I, pages 71-72.) « Arzindjan, dit Hadji Khalfa, est une ville séparée d'Ezroum par une distance de quarante parasanges. Dans une montagne près de cette ville, on voit une grotte, de la voûte de laquelle découle une eau qui se pétrifie en tombant sur le sol. Les édifices de cette ville ont été plusieurs fois renversés par des tremblements de terre. Le sultan Seldjoucide Ala Eddin Keïqobad a relevé les murailles de son enceinte. Le climat est sain; l'Euphrate coule en vue de la ville. Les environs produisent en abondance du blé, du coton, du raisin et différentes espèces de fruits. » (Djihan Numa, page 424.) Gassot donne sur Arzindjan quelques détails que je crois devoir transcrire ici : « Arsingan estoit anciennement bonne ville et grande, comme il appert par la ruine du chasteau et murailles; mais depuis cinquante ou soixante ans en ça, est tout ruiné par un tremblement de terre ; et, pourtant, ont basty plus bas ; et est grand village fort peuplé et riche, à deux mil près y passe le fleuve Eufrates. Nous sejournasmes en ce lieu quatre jours, tant pour nous refrechir que pour nous fournir de vivres. Et fusmes en l'église des arméniens où monseigneur l'ambassadeur fit dire la messe par son prestre, dont furent fort aises ces pauvres arméniens qui jamais n'avoient veu autres chrestiens que ceux de leur village. Leur patriarche fut ordinairement avec nous. » (Lettre écrite d'Alep en Surie, f° 19.)

[148]Batriq keuy (le village du patrice ou du patriarche).

[149]Il faut lire Divriguy. « La ville de Divriguy est située à l'extrémité d'un grand vallon formé par deux hautes montagnes stériles. Elle a un fort dans un endroit élevé au milieu d'une de ces montagnes. Le vallon s'étend à deux heures de chemin et il est rempli de jardins arrosés par un ruisseau, lequel, après avoir passé du côté de la montagne de Hàsen, tombe dans un autre ruisseau au nord d’Eguin. Les deux passent ensuite sous un pont à peu de distance de leur confluent, et vont se jeter dans l'Euphrate. » (Otter, tome II, page 306.)

[150]Tchoban Kuprussy, à six heures à l'est d'Erzroum. Cette localité doit son nom à un pont construit par Melik Sultan, de la dynastie des Tchobanlou.

[151] Portary me paraît être la localité située à quelque distance d'Erzroum et que l'auteur du Voyage fait en 1611 décrit en ces termes : « Hoja Andrias, me vint trouver pour me faire voir les ruines d'une ancienne abbaye, laquelle est située dans le vallon au pied de ladite montagne, mais entièrement ruinée, ne restant que trois belles et grandes voultes qui estoient de l'église, à plus de moitié cachées par le dehors, à cause des torrents ou egouts d'eau qui descendent de la montagne, qui charrient le sable et la terre contre cet édifice. Il faut croire qu'avant ce cours du temps, que ce lieu estoit habité; nous entrasmes dans ces voultes qui souloient estre l'église; celle du milieu estoit la nef, longue de cinquante pas, large de vingt, et les deux aultres de chasque costé de mesme longueur et large de douze pas, sous lesquelles estoient les chapelles et au bout de la voulte du milieu, du costé de devant, est encore à present un dome de moyenne grandeur fort bien basti de belle pierre blanche qui couvroit le maistre autel du couvent ou monastère. Et remarquay qu'il n'y avoit aucune peinture, ni figure comme se voit en plusieurs églises du Levant, et me dit le Hoja Andrias, que ce monastère avoit esté fort riche et y avoit eu beaucoup de religieux vestus de blanc qui faisoient de grandes aumosnes et bons offices aux pauvres et mesme aux passants. » (Relation du voyage en Levant. Man. de la Bibliothèque nationale, n° 18076, f° 350.)

[152]Le village des bains naturels d'Erzroum porte le nom générique d'Ilidjèh (sources thermales). « Elija n'est qu'un méchant village dont les maisons sont tout à fait écrasées, moitié enterrées, bâties de boue; mais le bain qui est auprès de ce village rend ce lieu recommandable. Les Turcs l'appellent le bain d’Arzroum. Le bâtiment est assez propre, octogone, voûté et percé en dessus. Le bassin, qui est de la même figure, c'est-à-dire à huit pans, pousse deux bouillons d'eau, presque aussi gros que le corps d'un homme. Cette eau est douce et d'une chaleur supportable. Dieu sçait comme les Turcs y courent ; ils viennent d'Erzron s'y baigner, et la moitié de notre caravane ne laissa pas échapper une si belle occasion. » (Tournefort, Relation d'un voyage du Levant. Paris, 1717, tome II, pages 217-218.)

[153] « La cité d'Erzroum fut ediffiée de Théodose, empereur romain. C'est celuy qui fut défendu de sainct Amboise d'entrer dans l'église de Milan... Quoy que ce soit, moy ayant remarqué la forme, le plan et la fabrique des murailles d'autour, je jugeay bien que ce ne pouvoit estre autre œuvre que des Romains, car toutes ces nations barbares n'eurent jamais l'industrie de faire chose semblable, et ne puis mieux accomparer la grandeur du circuit des murailles de la ville d'Erzroum qu'à celle de Pluviers, ma patrie, car elle est fort petite, et son plan de forme presque carrée, où il n'y a que quatre portes. La première s'appelle Casaba Capsy, qui veut dire la porte du bourg qui est du costé du septentrion, dont l'architecture est très artificieuse et belle pour estre de triple entrée et portails, distants les uns des autres de vingt pas, en forme de S, c'est-à-dire recourbé. Le premier portail et le deuxième s'avancent hors de la ville de plus de soixante pas ; à chaque costé desquels portails y a de costé et d'autre, de belles et grosses tours, estant la maîtresse porte du circuit de la ville supérieure pour estre les tours du portail plus grosses et eslevées que les deux autres à qui elle commande. Le tout fabriqué de belles et grosses pierres de taille dont le couvert est en terrasse ou plate-forme sur lesquelles se peut mettre du canon et battre le long de la muraille. Tous lesquels portails sont voultés haut et bas et va-t-on de l'un à l'autre, les trois autres estant de semblable structure ou fort peu diferants. Celle qui est du costé de ponent s'appelle Ova Capsy qui veut dire la porte de la plaine. Celle qui est au levant s'appelle Passin Capsy qui veut dire porte de la plaine d'Assan Calasy. Celle qui regarde le midy s'appelle Dagh Capsy qui veut dire la porte de la montagne... Les murailles de la ville sont hors d'escalade, garnies des trois parts de la ville de bonnes et hautes tours rondes, proches les unes des autres de cinquante ou soixante pas et de la part qui regarde de midy, de tours triangulaires ou faictes en esperon. Le tout autour la muraille de la ville est fabriqué de grosses pierres de taille où se voient en plusieurs lieux des zarbazans ou petites pièces de campagne... Les rues sont petites, confuses, tortues à la mode turquesque sinon quelques-unes qui sont marchandes et de commerce ainsy que halles, où sont les boutiques des marchands de soye, cotons, fourrures, toiles, penaches, orfèvres et joyailliers, coutelliers, arcs, flesches, cimetaires et autres armes et gentillesses à leur usage, si pleynes de peuple tous les jours, qu'il semble une foire ordinaire. Et sont ces rues couvertes pour se garantir delà pluye et du vent. » (Voyage du Levant, fol. 358-359.) M. J. de St-Martin a consacré une notice à la ville d'Erzroum, dans ses Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, Paris, 1818, tome I, pages 66-68.

[154] Hassan Qalèh est situé sur un roclier isole, d'une grande hauteur, qui s'élève dans la partie septentrionale de la plaine de Passin. Le château et la ville ont été rebâtis, sur la fin du XVe siècle, par Ouzoun Hassan. « La circonférence du château en dedans du fossé est, dit Evlia Tchèlèby, de mille pas. Une porte en fer s'ouvre du côté de l'ouest. Au nord, au-dessus du château, se trouve un autre fort entouré d'une double muraille. Il a la forme d'un carré long et les pierres sont d'une blancheur éclatante : les murs ont dix-huit coudées de hauteur. Le fossé est, sur trois de ses faces, d'une très grande profondeur. Les attaques de l'ennemi ne sont point à redouter. Autour du rocher, le sol est marécageux et, par conséquent, ne se prête point à l'ouverture de tranchées. Du côté du sud, s'ouvre la plaine de Passin qui s'étend sur une longueur de sept journées de marche ; au-dessus du château est la ville qui se compose de cinq cent quatre-vingt-dix maisons formant neuf quartiers. »

« Hassan Qalèh fut enlevé par Sultan Suleyman aux fils de Qara Youssouf. » (Evlia Tchèlèby, tome II, p. 118.)

« Le chemin de Perse est toujours bien gardé par ceux de la forteresse d'Asan Calasy qui veut dire les tours d'Asan. Asan est un nom propre, peut-estre de celuy qui l'a fait rebastir ou fortifier, car ce château et la ville ou bourgade sont très anciens et s'appeloient Passin, non de beaucoup esloigné de l’Euphrate. Le bourg est situé sur la pance de la coline, à senestre, allant en Perse, lequel bourg ou ville est fort bien clos de très haulles murailles, le plan-terre garni de bonnes et grosses tours à chasque canton et du long de la courtine aussy, mais non si grandes. Le chasteau est assis sur un escueil et du costé qui garde justement le passage qui n'est que de la portée du canon et malaysement se peult-il passer sans tenter fortune d'en estre atteint, y ayant six ou sept grosses tours rondes et carrées et quelque plate-forme où est posé le canon qui bat et défend toute cette embouchure. » (Voyage dans le Levant, man. de la Bibliothèque nationale, f° 370.) De Laboullaye Le-Gouz a donné une vue grossièrement dessinée de Hassan Qalèh dans ses Voyages et observations, Paris, 1653, page 72.

[155]L'Aras (Araxe) prend sa source dans le Gueuk Yaïla dans les montagnes au nord d'Erzroum et se dirige vers l'est; il passe au-dessous de Milazguird devant le village d'Artof et le château de Khounous. Il passe sous le pont d'Altoun Halqaly, fournit l'eau nécessaire aux irrigations à une centaine de villages au-dessous de Tchoban Kuprussy et se jette dans la rivière de Zendjy au dessous d'Erivan. Le Zendjy est un des affluents du Kourr (Cyrus) qui se décharge dans la mer Caspienne. L'Araxe est célèbre par l'impétuosité de son cours. Pontem indignatus Araxes.

[156]Le Tigre dit Hadji Kalfa, sort d'une caverne située près d'un château en ruines au nord de Diarbekir : il se précipite avec un bruit étrange et épouvantable hors de cette grotte et coule dans la direction d'Amid ; il reçoit, dans ce trajet, plusieurs affluents dans son sein. Il passe sous un pont à l'est de cette ville et les rivières de Hiny, de Seyd-Hassan, de Terdjil, d'Ataq, de Bichry ou Altoun Kupry (le pont d'or), d'Erzin et de Bidlis viennent grossir ses eaux. Il devient alors un fleuve considérable, passe par Mossoul, Tekrit et le vieux Bagdad et se réunit au-dessous à la rivière de Diala. Le Tigre et l'Euphrate forment, auprès de Qournah, le Chatt-el-Arab qui se jette dans le golfe Persique au-dessous de Basrah. Le trajet franchi par le Tigre, depuis sa source jusqu'à son embouchure, est de quatre cents fersengs. (Djihan Numa, p. 468.)

[157]Argis est le village d'Ardjich, situé au milieu d'une plaine, à deux journées au nord-ouest de Van. Le château qui le protège a été bâti, au rapport de Hamdoullah Qazwiny, par le vizir Tadj Eddin Aly Chah, vizir du sultan mogol Oldjaïtou. Ardjich, dit Hadji Khalfa, est situé sur la rive septentrionale du lac de Van, à deux journées de marche de cette ville. Ce village est entouré de vergers et de plantations de noyers. Les environs produisent des céréales et du coton. (Djihan Numa, page 412.)

[158] « Le lac de Van est le plus grand des lacs de l'Arménie; il est situé dans la partie méridionale, au delà du Tigre. Selon Aboul Féda, il a plus de quatre journées de chemin de circuit et, selon le géographe turc Hadgy Khalfa, environ soixante lieues. Les Arméniens lui donnent cent milles de longueur et soixante milles de largeur. Il est salé, aussi l'appelle-t-on quelquefois mer salée. Il est grossi par un grand nombre de petites rivières qui descendent des montagnes qui l'environnent de tous les côtés. Les Turcs le nomment lac de Van ou d'Ardjisch du nom des deux villes considérables qui se trouvent sur ses rivages. Il contient plusieurs îles... Ce lac paraît être le même que celui que les géographes grecs ont connu sous les divers noms de Arsène, Arsissa et de Thospitis. (J. Saint-Martin, Mémoires historiques et gcographiques sur l'Arménie. Paris, 1818, tome I, pages 54-55.)

Les géographes orientaux lui donnent aussi le nom de lac de Vastan. Vastan (Osdan des Arméniens), est le nom d'un district et d'une petite ville située sur le bord méridional du lac. Vastan est à six fersengs au sud-ouest de Van : cette ville est entourée d'un mur crénelé et protégée par un château. Hadji Khalfa fait mention du poisson particuHer à ce lac et dit que sa chair a des propriétés excitantes. (DjihanNuma, page 412.)

[159]Ces deux défilés sont ceux de Qara Derbend et de Segban Ada. Ils sont mentionnés dims le journal des étapes de Sultan Suleyman pendant la campagne de Perse en 1534.

[160] « Khoy, dit Hadji Khalfa, est une ville bâtie sur un terrain uni. Son climat est plutôt chaud et le cours d'eau qui l'arrose descend des montagnes de Selmas. Il y a sur les bords de l'Araxe un grand nombre de jardins extrêmement agréables ; on y récolte des poires d'une qualité que l'on ne trouve nulle part ailleurs. Les habitants ont le teint blanc, la figure agréable ; ils tirent leur origine du Khita (la Chine du nord), et cette particularité a fait donner à Khoy le surnom de Turkestan de la Perse. Soixante villages relèvent de Khoy qui est défendue par un mur en terre crénelé. (Djihan Numa, page 380.) Au moyen âge, on y fabriquait des étoffes estimées qui portaient le nom de Khoydjièh.

[161]Mérend, à deux journées de marche de Tabriz, était autrefois une ville fortifiée et, en dehors de ses murs, on trouvait un faubourg bien peuplé et de nombreux vergers. La grande mosquée s'élevait au milieu du bazar. Selon Belazory, le château et les fortifications de Mérend ont été construits par Ibn el Bayyat et son fils Mohammed. Celui-ci s'y retrancha lorsqu'il se révolta contre le calife Moutewekkil. Après sa défaite, le château et les murailles furent rasés. Au XIIIe siècle, Mérend ruinée par les invasions des Kurdes était à peu près déserte.

[162] Soufian est un village de la plaine de Tchaldiran, à vingt-quatre milles de Tabriz. Une sanglante bataille fut livrée près de Sofian en 1585, aux Ottomans par les Persans commandés par Hamzèh Mirza. « Le vingt-huictiesme nous arrivasmes à Sophia, huict heures de chemin ; aux environs de ce village se yoyent plusieurs sepulchres de grands personnages pour les combats fréquents qui se sont donnez entre les Ottomans et les Kezelbaches. » (La Boullaye Le Gouz, Voyages et observations, p. 87.)

« Après sept ou huit heures de marche, on arriva à Sophiana petite ville dont les maisons sont séparées régulièrement les unes des autres par de très beaux jardins. (Voyages d'un missionnaire de la Compagnie de Jésus (le Père Villotte). Paris, 1730, page 181.)

[163] Le récit de Chesneau est plus véridique que celui des historiens persans. Ahmed Emin Razy dans son livre des Sept climats a consacré dans sa notice sur la ville de Tabriz, quelques lignes à l'occupation de cetfe ville par Sultan Suleyman. « Lorsque le sultan de Roum, se rendit maître de Tabriz, il fut frappé du courage déployé par les habitants de la ville, et il racheta à ses soldats leur droit au pillage. Il est d'usage, dans les armées ottomanes, d'accorder trois jours de pillage quand une ville est prise de vive force. Les habitants cherchaient à attirer leurs ennemis dans des embuscades et les massacraient. Le sultan quitta la ville précipitamment pour ne point être dans la nécessité d'user de rigueur. »

[164] Je ne mentionnerai point ici les mosquées élevées à Tabriz par les souverains mogols, les princes de leur dynastie et leurs vizirs. Celles qui avaient été construites à l'époque la plus rapprochée du moment où M. d'Aramon passa par Tabriz étaient la grande mosquée de sultan Ouzoun Hassan ; construite en pierres de taille, sa coupole était couverte de lames de plomb, et elle avait l'aspect des mosquées impériales de Constantinople; la mosquée de Djihanchâh dont les murailles, la coupole et les minarets étaient à l'intérieur et à l'extérieur incrustés de plaques de laïence émaillée, et les fenêtres garnies de plaques d'onyx transparent.

Chah Thahmasp avait aussi fait construire dans la Meïdan ou grande place une belle mosquée à côté de celle de Ouzoun Hassan. Les soldats turcs lui firent subir quelques dégradations. A. Poulet, dans le relation de son voyage en Perse, donne une description des deux plus belles mosquées de Tabriz. Nouvelles relations du Levant. Paris, 1665, pages 161-164.

[165] Ce palais portait le nom de Hecht Behicht, les huit paradis : il avait été bâti par Djihanchâh, fils du sultan Ouzoun Hassan.

[166] Tabriz, la plus grande ville de l'Azerbaïdjan, a été, avec Sulthanièh, la capitale des souverains Mogols de la Perse, celle des princes de la dynastie du Mouton blanc et la résidence des Sèfèvys avant que le siège du gouvernement fut transféré à Qazwin, puis, plus tard, à Ispahan. Selon les géographes orientaux, Tabriz fut fondée en 175 (791) par Zobeïdèh, femme du calife Haroun Errechid, En 244 (858), sous le règne du calife Moutewekkil, elle fut détruite par un tremblement de terre; en 434 (1042), un nouveau tremblement de terre la couvrit de ruines.

Ghazan Khan fit entourer cette ville d'un mur d'enceinte qui avait vingtcinq mille brasses de tour. Elle jouissait, au XVIe siècle, d'une grande prospérité. « Quant aux citez modernes de la Perse, la principale où habite le plus souvent le Sophy, est la noble ville de Thauris, anciennement appelée Phasis ou Terva, et selon le vulgaire des Persans Tevriz (laquelle toutefois est en l'Arménie). En ville se faict grand trafficque de diverses marchandises de draps d'or, d'argent et de soye et toutes fines pierreries : et y arrivent infinis marchands de diverses, parties du monde comme des Indes, de Baldac, de Molsul et Cremesol (Kermanchàh) et du païs des Latins. » (De Nicolay. Les navigations, pérégrinations, etc., page 219).

[167]La rivière qui arrose Tabriz est le Mehràn Roud qui sort du mont Sehend. Selon Hamdoullah Qazwiny les conduits et canaux quialimentent d'eau la ville et les jardins, s'élèvent au nombre de neuf cents.

[168] Le lac dont Chesneau n'a pu connaître le nom est le lac d'Ourmiah, appelé aussi lac de Tabriz. Il s'étend à l'orient du lac de Van et a cent trente milles de long, sur la moitié environ de large. Aboul Féda lui donne le nom de lac de Tela. Ce nom lui venait de l'Ile de Tela située au milieu de ses eaux, et sur laquelle s'élevait un château très fort bâti par ordre du souverain mogol Houlagou, pour qu'il pût y déposer en sûreté ses trésors. Le lac d'Ourmiah est salé comme celui de Van. Strabon donne à ce lac situé sur les frontières de l'Atropatène le nom de Mantiane, mot qui a, dit-il, la signification de bleu. Ce lac a, en effet, porté autrefois le nom persan de Keboudan (bleu) et les Persans et les Turcs lui donnent aussi le nom de Guektchèh Deria ou Guektchèh Tenguiz, (mer bleue). Le lac d'Ourmiah est borné à l'est et au nord-est par les monts Silan et Sehend, au sud et à l'ouest par les montagnes de l'Iraq et celles du Kurdistan. Il reçoit les rivières du Sourkhâb, de Tchiftou, de Téftou et le Meraou et une grande quantité de cours d'eau et de torrents qui descendent des montagnes du Kurdistan et de l'Iraq Adjemi. (J. Saint Martin, Mémoires sur l’Arménie, tome I, pages 56-61.)

[169]Gassot ne parle point dans sa lettre écrite d'Alep de la part prise par M. d'Aramon à la capitulation du château de Van. Le lecteur trouvera à l'appendice VIII, la lettre adressée à Henri II par Sultan Suleyman à l'occasion de la capitulation de cette place et de la campagne de Géorgie.

[170] Aaly Tchèlèby nous apprend que le sultan fit dresser sa tente dans la plaine de Van, le 10 du mois de redjeb 955, et qu'il donna l'ordre à Rustem Pacha de commencer immédiatement les travaux de siège. Les batteries furent établies, et le commandant de la place Aly Khan, n'ayant aucun espoir d'être secouru, fit au moyen de cordes, descendre du château quelques hommes pour implorer l'intervention d'Elqas Mirza, et proposer la reddition de la place. Le siège avait duré dix jours. Le commandement de Van fut confié à Iskender Tchèlèby defterdar d'Anatolie, circassien d'origine, et dont le courage et l'énergie étaient appréciés par le sultan. (Kunh oul akhbar.)

[171]Il faut lire Bendimahy : c'est le nom d'un village s'élevant à l'embouchure du cours d'eau de ce nom qui se jette dans le lac au nord de la ville de Van. Bendimahy a la signification de « réserve de poissons. »

[172] Adildjivaz est une ville située à deux journées de marche à l'ouest de Van : elle est bâtie sur le sommet d'une colline au bord du lac. Hadji Khalia fait remarquer que le nom de cette petite ville est quelquefois écrit par erreur Hateldjewiz. (Djihan Numa, page 412.) Le petit lac dont parle Chesneau est le Nazik Gueul (le joli lac).

[173] Canouscala est le château de Khounous Qalèh, à trois étapes au sud-est d'Erzroum ; il est bâti dans une gorge bordée des deux côtés par des rochers gigantesques. Les murailles ont une hauteur de dix coudées ; le château est traversé par une petite rivière qui coule au milieu de bords escarpés; une grille en fer est placée à son entrée dans le château. La plus grande partie de la population de la ville se compose de Kurdes appartenant à la tribu de Beissany. On y voit une mosquéedans laquelle on récite la khoutbèh les vendredis. Khounous est renommé pour ses beaux chevaux. Pendant l'été, plus de cent mille hommes appartenant aux différentes tribus kurdes viennent camper dans le district. (Djihan Numa, page 425. Evlia Tchèlèby, tome II, p. 120.)

[174]Le Qara Kupry Sou est un petit cours d'eau qui doit son nom à un pont bâti en pierres noires sous lequel il passe ; il passe par le bourg de Khonous Qalèh et se jette dans le lac de Van.

[175] Lorsque le roi impie (Chah Thasmasp) eut appris la reddition du château de Van, il se reconnut impuissant à lutter contre les troupes de l'islamisme. Il fit faire une incursion dans les environs du château d'Adildjivaz et dans les plaines de Mouch et d'Akhlath et il en fit massacrer tous les pauvres habitants, les orphelins et les veuves. Les troupeaux, moutons, bœufs et veaux furent emmenés avec leurs bergers et leurs gardiens. (Petchewy, Histoire de l’empire ottoman, Constantinople, tome I, page 274.)

[176] Mouch, dit Hadji Khalfa en citant la géographie d'Aboul Féda s'élève à l'entrée d'une vallée et au pied d'une montagne. C'est une petite ville : la plaine qui s'étend au-delà porte le nom de Mouch Ovassy (la plaine de Mouch). Au rapport de Mir Chéref Eddin, auteur de l'histoire des Kurdes, le canton de Mouch relevait autrefois de Bidlis. La ville remonte à une haute antiquité, elle est aujourd'hui ruinée, et on y voit les débris du château et d'autres monuments. A l'époque de Chéref khan, le château s'élevait sur une montagne à une parasange de la ville. Le sultan Suleyman rebâtit la moitié de la forteresse qui était sur une colline à l'ouest de la ville.

Les habitants possèdent de nombreux troupeaux de moutons et de buffles, à cause de l'abondance des pâturages. La plaine de Mouch a huit paransages de long sur trois de large. Elle est traversée dans le tiers de son étendue par l'Euphrate qui coule du nord au sud. Elle est entourée de montagnes boisées et verdoyantes et arrosée par le Qara Sou qui, venant de l'est, se jette dans l'Euphrate. Les villages de la plaine sont exclusivement peuplés d'Arméniens. Au rapport de Hamdoullah Qazwiny, le district de Mouch versait annuellement au trésor des souverains mogols, soixante neuf mille dinars. Sous la dynastie ottomane, on n'en perçoit que quinze mille. (Djihan Numa, page 413.)

[177] Ce nom est défiguré de la façon la plus étrange. Il s'agit peut-être ici de la petite ville de Melazguerd ou Menazkert qui s'élève entre Mouch et Bidlis, non pas sur la route qui relie ces deux villes, mais plus à l'est et au nord du lac de Van. Melazguerd, dit Hadji Khalfa, est un gros bourg de la province d'Erzroum et du district de Mouch. Les maisons sont construites en pierres noires : on ne voit dans ses environs ni arbres, ni sources. Melazguerd s'élève non loin de la rive du Murad Sou (Euphrate). (Djihan Numa, page 413.)

[178] Le mont Ararat (Massis des Arméniens, Eghry Dagh des Turcs) s’élève à cinq heures de marche au nord-est de la ville de Bayezid dans le gouvernement d'Erzroum.

On peut consulter au sujet du mont Ararat la Relation du voyage du Levant man. de la bibliothèque nationale, f° 375 ; Poullet, Nouvelles relations du Levant. Paris, 1663, tome II, 129-130; Tournefort, Relation du Levant, tome II, pages 357 et suivantes, et les Voyages d'un missionnaire de la compagnie de Jésus, Paris, 1750, pages 80-85.

Haython consacre quelques lignes à cette montagne dans le neuvième chapitre du premier livre de ses Fleurs des histoires de la terre d'Orient. « Audict pays est une moult grant montaigne et des plus haultes qui soient au monde, et est appelée Ararah ; en laquelle se assist l'arche de Noë après le déluge, mais nul n'y peult monter pour la grant habondance de la neige qui demoure là de l'yver et y est tout du long de l'esté, et au haut de la montaigne apparaît une grande chose noire, qu'on dit estre l'arche de Noé. » Lyon, 1585, page 16.

Selon les Orientaux, l'arche de Noé construite en bois de buis et enduite de goudron, se serait arrêtée sur le mont Doudjy, à l'est de la province des Béni Amr, dans la Mésopotamie, et les débris de l'arche auraient subsisté jusqu'à l'époque des Abbassides.

[179] Bidlis porte, en arménien, le nom de Pagech. C'est, dit Hadji Khalfa, à la fois un château très fort et une petite ville située dans une vallée à une journée de marche à l'ouest de Talivan. La vallée est traversée par une rivière sur les bords de laquelle sont bâties les maisons et tracées les rues : on la franchit sur un pont qui se trouve au milieu de la ville. L'entrée et la sortie de la vallée sont étroites et le passage est difficile. Le climat de Bidlis est agréable; les hivers y sont parfois rigoureux, mais les habitants ne paraissent pas en souffrir. (Djihan Numa, page 415). Le château est bâti sur le sommet d'une haute montagne qui s'élève à l'ouest de la ville. Les Arméniens possèdent à Bidlis quatre églises et autant de couvents.

Les troupes ottomanes avaient, en 941 (1535), été complètement battues près de Bidlis par celles de Chah Thahmasp.

[180]Altekkièh a la signification de couvent rouge. Je n'ai trouvé, nulle part, mention de cette localité.

[181]Ilidjèh (Lyse) a, en turc, la signification de source thermale. La ville dont parle Chesneau, se trouve marquée sur la carte de M. Kiépert, sur la route qui conduit de Darakol à Hini. « Lyse est à huit heures de Mouch et à la même distance d'Akhiat et de Malazghyrd. » Mac Donald Kinneir, Voyages dans l’Asie-Mineure, l'Arménie et le Kourdistan. Paris, 1818, tome II, p. 141.

[182]Amid, est appelée par les Turcs Q.ara Amid (Amid la noire), parce que ses murailles et ses édifices sont construits en pierres noires, et Diarbekir nom sous lequel elle est aujourd'hui connue. Pline dit que la partie basse de la ville se nommait Carthiocerta, et la partie haute Tigranocerta. Les remparts d'Amid furent réparés par Justinien. Nassiri Khosrau qui visita cette ville en 1046, en a donné une longue description. (Sefer Nameh, pages 26-29.) « Amid ou Diarbekir est environnée de jardins et une vaste plaine s'étend à l'ouest. La ville peut avoir deux lieues de circuit ; elle est très bien bâtie. Son enceinte est marquée par un fossé avec une contrescarpe, et forme un parallélogramme flanqué de tours rondes ou carrées au nombre de soixante-douze, qui ont entre elles deux pilastres ou contreforts pour assurer la solidité de l'ouvrage. . . Le palais du gouverneur est enfermé dans la citadelle. Celle-ci fait suite aux murailles de la ville ; elle est vaste et élevée sur un grand précipice de formation volcanique. Diarbekir a quatre portes : la première appelée Dagh Capoussy (porte de la montagne), la seconde Roum Capoussy (porte de Grèce), la troisième Yeny Capou (porte neuve) et la quatrième Mardin Capoussy (porte de Mardin)... Les mosquées sont en grand nombre. Une d'elles appelée Oulou Djanii construite par les califes, et d'où l'on voit une belle place ornée de colonnades, mérite l'attention des voyageurs... Cinquante mille turcs, cinquante familles juives, autant de grecques, quatre-vingts chaldéennes, quatre mille arméniennes schismatiques et trois cents syriaques jacobites qui ont leur évêque à Mardin, composent la population, » (Dupré, Voyage en Perse, tome I, page 68-72.)

[183] Chah Thahmasp, profitant de la retraite de l'armée ottomane, ravagea à la tête d'un corps de troupes la province d'Erzroum et poussa jusqu'à Cars. Ce mouvement offensif détermina Sultan Suleyman à remonter vers le nord. Le second vizir Ahmed Pacha fut chargé du commandement du corps d'armée chargé d'agir contre Chah Thahmasp qui se hâta de rentrer en Perse. (Petchewy, tome I, page 274.)

[184]Il faut très probablement lire Boghoz : ce nom fort répandu parmi les Arméniens a la signification de Paul. Boghoz Keui, le village de Paul.

[185] Gueuldjik (le petit lac) s'étend au sud de l'Alindjig Dagh. Au milieu de ce lac, on voit une ancienne forteresse nommée Dserokh qui, vers la fin du XIe siècle, était possédée par des princes de la race royale des Arsacides et qui, en 1123, servit de résidence au patriarche d'Arménie, Grégoire III, issu de la même famille. Les ruines de ce fort existent encore.

« Ce lac s'étend du nord au sud et peut avoir dans sa plus grande largeur, deux lieues ; il en a quatre à peu près de longueur. Au milieu est une très petite île habitée par une cinquantaine de familles arméniennes. L'eau de ce lac est potable sans être bonne ; on y pêche des carpes et d'autres poissons délicats. Il est ceint de hautes montagnes d'une pierre grasse, dont les veines sont inclinées à l'horizon. Nous le côtoyâmes pendant deux heures par des chemins mauvais et même dangereux. » (Voyage en Perse, fait dans les années 1807,1808 et 1809,en traversant la Nutolie et la Mésopotamie (par Dupré). Paris 1819, tome I, pages 57-58.)

[186] Malathia (Mélitène) est une ancienne ville située dans une large plaine à l'ouest de l'Euphrate. Elle possède un bazar, des bains, plusieurs caravansérails et quelques grandes mosquées où l'on récite la khouthbèh. Elle est arrosée par des cours d'eau qui prennent leur source dans les montagnes qui s'élèvent au sud de la ville. En été, les habitants abandonnent la ville pour aller s'établir sur des plateaux couverts de vergers. Le mur d'enceinte de Malathia menace ruine — La plaine dans laquelle se trouve la ville est entourée de montagnes et on y trouve des noyers et autres arbres fruitiers.... Le froid y est très rigoureux... Malathia est traversée par une rivière qui porte le nom de rivière de couvent du Messie. (Djihan Numa, page 600.)

[187] Kharpout qui porta les noms de Khartpert et de Hisn Zyad est située au sud du Murad Sou et au nord-ouest de Qara Amid. Elle est bâtie au sommet d'une colline à l'extrémité orientale d'une vallée appelée dans l'antiquité la vallée de Suphêne. La ville est défendue par un château fort bâti sur une montagne. Kharpout est le siège d'un archevêché duquel relèvent quatre évêchés; elle fut enlevée en 1123, par les Latins à Balak, fils de Behram, de la dynastie turkomane des Ortoqides, Les Arméniens désignent cette ville sous le nom de Kharperte ou Garper. (De Saint-Martin, Mémoires sur l'Arménie, tome I, pages 95-96.) « La ville de Carput est de moyenne grandeur, située sur la pente d'une plaine haute du costé de septentrion, ayant la plaine basse du costé de midy à deux milles de la ville. Elle est enceinte de bonne et haute muraille, hors d'escalade, principalement celle du chasteau qui est assis sur une butte avec une partie de la ville, qui commande à ceste plaine d'ea haut et à celle d'en bas encore mieux. Diray que tout cela n'est flanqué, ni fortifié, sinon pour coups de main. Les maisons sont de terre cuite, petites, basses et couvertes en terrasses. Les rues estroictes, tortues et confuses à la turque. Le marché ou bazard est assés beau, estant de longues et larges voultes soubtenues sur des pilliers de pierre. « (Voyage du Levant, f° 394 v.)

[188] Ourfah est le nom donné par les Turcs à l'ancienne Edesse, l'Etesia des Arméniens et la Roha des Arabes. Elle était la capitale de l'ancienne Osrhoène. En 1099, elle fut enlevée aux Seldjoucides par Baudouin, frère de Godefroy de Bouillon et elle resta aux mains des Latins jusqu'en 1144, époque à laquelle elle fut prise par Imad Eddin Zenguy. La description d'Ourfah, donnée par Gassot, concorde avec celle de Hadji Khalfa dans son Djihan Numa. « et cheminasmes six jours dans la plaine jusqu'à Orfa, autrement Roa, qui est ville fort ancienne. J'y parlay à plusieurs Armeniens et à leur patriarche et me suis enquis de ladite ville et m'ont dit que anciennement s'appeloit Etesia. Cette ville est fort grande, comme deux fois Caraemit, assise partie en plaine, partie sur une petite montagne où y a un chasteau. Les murailles sont de grosses pierres de taille fort vieilles et qui sont en partie tombées. Elle a esté autrefois bien bastie, comme il appert par les vestiges de plusieurs grandes maisons, murailles, églises, chasteau et autres bâtiments, et comme il se voit encores des fondements de vieilles murailles d'où l'on tire de grosses pierres, aussi il se voit de grosses coulonnes de pierres dures, entieres, qui demonstrent avoir soustenu quelque bastiment ou galleries fort haultes, eslevées sur vieux bastiments. Le chasteau est grand, assis sur la coste de la montagne et ha de beaux fossez profonds, taillez dans la roche vifve miraculeusement. Il y a dans la ville prez du chasteau, une belle fontaine qui sort de dessoubs terre et faicte comme une grande piscine où y a grand quantité de poissons gras et les Turqs font grand conscience d'en manger. Prez ladicte fontaine y a un lieu comme une chapelle, engravée dans la roche où ils disent que Abraham est né et les Turqs gardent ce lieu et le tiennent en grande révérence. Ils dient que le filz de Nembrot estoit seigneur de ceste ville. » (Lettre escrite de Alep, f° 29.)

[189] Harran (l’ancienne Carrae, Charan, Colonia Carrenorum) est le chef-lica d'un canton dans le district d'Ourfa. Selon les géographes orientaux, cette ville fut bâtie par les Chananéens en l'an 3320 du monde. On y voit des ruines considérables dont l'aspect frappe d'étonnement. Dans cette ville, se trouve une éminence qui porte le nom de colline d'Abraham et sur laquelle les Sabéens célébraient leur culte. Harran est à une journée de marche d'Edesse et à deux journées de Raqqah : elle se trouve sur la grande route qui, d'une part, conduit en Syrie, et de l'autre à Mossoul et en Anatolie. (Dictionnaire géographique de Yaqout, tome II, pages 231, 232. Massoudy, les Prairies d'or, tome IV, pages 61-68. Djihan Numa, page 597.)

[190] Bir est la ville qui porte en arabe le nom de Birèh, et en turc, celui de Birédjik. Elle s'élève dans le Wady Ezzeïtoum (la vallée des Oliviers), sur la rive orientale de l'Euphrate. Selon les historiens arméniens, Birèh dont les fortifications étaient très puissantes, aurait été fondée par un de leurs anciens rois. En 1109, elle était au pouvoir de deux princes arméniens Abelkarib et Ligos qui l'avaient enlevée aux Seldjoucides : ils furent chassés en 1117, après avoir soutenu, pendant un an, un siège contre Baudouin, comte de Seroudj ; vingt ans après, elle retomba au pouvoir des Seldjoucides. Elle fut annexée à l'empire ottoman et au gouvernement d'Alep par Sultan Sélim en 1516. (Djihan Numa, page 598.) Saint-Martin, Mémoires sur l'Arménie, tome I, page 15).

[191]Le consul de Venise était, en 1548, Francesco Loranzo.

[192] Ibn Chohna, dans son Histoire d'Alep, rapporte que Seleucus fit construire le château de cette ville sur une hauteur qui la domine ; il est entouré de solides murailles et au milieu de l'enceinte on a creusé un puits auquel on accède après avoir descendu cent vingt-cinq marches. Ce puits porte aujourd'hui le nom de Sathourah. L'emplacement du château était autrefois occupé par un couvent chrétien dont les fondations reposaient, dit-on, sur huit mille colonnes. Cosroès éleva sur cette éminence quelques constructions, lorsqu'il se lut rendu maître d'Alep. Quand Abou Obeïdah conquit cette ville sous le califat d'Omar ibn el Khattab, il fit raser l'enceinte du château et les murailles de la ville qui, avant la conquête, avaient été fort endommagées par un tremblement de terre. Nicéphore se rendit maître d'Alep en 331 (962); il fortifia puissamment le château qui n'avait alors que de faibles défenses. Depuis cette époque, les divers souverains mirent tous leurs soins à l'agrandir et à le rendre plus fort. Seïf Eddaulèh et son fils Sayd Eddaulèh ainsi que les Béni Merdas déployèrent, à cet eftet, le plus grand zèle et leur exemple fut suivi par Aq-Lonqor Zenguy et ses descendants Imad Eddin, Nour Eddin et Melik Essalih. Lorsque la principauté d'Alep devint le partage de Melik Eddahir Ghiath Eddin Ghazy, ce prince se plut à agrandir les fortifications et à augmenter le nombre des bâtiments; il fit creuser une citerne et des magasins pour conserver le blé. Il fit, en outre, couvrir l'esplanade de dalles, et flanquer de deux tours la porte d'entrée. Il fit percer dans l'enceinte trois portes qu'il munit de plaques de fer. Lorsque les Tatars se rendirent maîtres d'Alep, ils rasèrent le château et les murs d'enceinte : ils firent main basse sur les provisions, les armes et les machines de guerre et ruinèrent tous les bâtiments de façon à les rendre inhabitables. Le château demeura en cet état jusqu'au règne de Melik Elechref Khalil, fils de Qelaoun, qui le fit reconstruire. Lors de la prise de la ville par Tamerlan, celui-ci incendia le château et rasa les murs de la ville. Les ruines ne furent relevées que sous le règne de Melik Ennassir Faradj, fils de Barqouq. L'émir Seïf Eddin Djekem, gouverneur de la ville, contraignit la population à déblayer les fossés. Il donna lui-même l'exemple et força les habitants notables à travailler. On vit les émirs eux-mêmes porter des pierres sur leurs épaules. (Tarikh Haleb, Beyrout, pages 134-135.)

[193] Cet éléphant fut disséqué par Pierre Gilles. Il fit de ses observations le sujet d'une lettre ou mémoire adressé au cardinal Georges d'Armagnac, et imprimé à la suite de l'histoire des animaux d'Aelien, publiée à Lyon en 1565. Elephanti descriptio missa ad R. cardinalem Armaignacum ex urbe Berrhea Syriaca. Ce mémoire a été publié séparément à Hambourg en 1614.

[194]Lorsque l'armée ottomane était en campagne en Europe, les troupes du beylerbey de Grèce ou de Roumélie se trouvaient à la droite de l'armée, et celles du beylerbey de l'Anatolie à la gauche. Cet ordre était interverti lorsque le théâtre de la guerre était en Asie.

[195] Le journal des marches de l’armée ottomane commandée par Sultan Suleyman fournit de nombreux exemples de moute ferriqas, tchaouchs et jannissaires punis et mis à mort, pour avoir fait paître leurs chevaux dans des champs cultivés, (de Hammer, Histoire de l'empire ottoman, tome V, pages 407-413, 434-442, 495-512, et tome VI, pages 461-465.)

[196]Il faut lire Bourdjeïn ou Bourjeïn, les deux tours : ce nom me paraît désigner soit le khan Essebil, soit le Idian de l'émir Cheïkhoun sur la route d'Alep à Damas.

[197] Abou Bekr Aly Herewy qui a composé à Alep un « Guide aux tombeaux des prophètes et des saints » ne fait aucune mention d'un tombeau de Daniel, près de la route d'Alep à Hamah. Selon les auteurs orientaux le prophète Daniel serait mort dans la ville de Chouster et y aurait été enterré. Il existe près de Ludd, en Palestine, un petit village qui porte le nom de Neby Danial et où l'on prétend que se trouve le sépulcre de Daniel.

[198] Aman est la ville de Hamah, l'ancienne Epiphania. Elle est située sur les deux rives de l'Oronte : une partie est bâtie sur le versant d'une colline et l'autre dans la plaine. Au centre de la ville se trouve une éminence sur laquelle s'élevait le château; quatre ponts sont jetés sur l'Oronte. Ce fleuve fournit l'eau à la ville au moyen de roues hydrauliques dont la plus grande porte le nom de Mohammedièh. Hamah fut conquise par les musulmans en l'année 14 de l'hégire (635) : assiégée sans succès en 1177 par les croisés elle fut l'année suivante donnée en apanage par Saladin à son neveu Melik Elmouzaffer Omar. Timour incendia cette ville en 1402. Cf. Aboul Féda, Géographie, Paris, 1840, page 262, Burckhardt, Travels in Syria, Londres, 1822, page 143-148 et le Recueil de voyages et de Mémoires de la Société de géographie, tome II, pages 108 et 109.

[199] Emps est la ville de Hims, l’ancienne Emèse. « Ceste ville estoit anciennement bien murée de pierres de taille, et encore pour le présent l'on voit ses murailles debout : aussi il y a un tertre élevé moult haut dedans le circuit des murs, qu'on voit aisément de toute la plaine, dessus lequel est situé un chasteau qui fut anciennement édifié par les Romains. Encore y a un sepulchre à double estage, hors de la ville, haut elevé en forme de pyramide quarrée, fabriquée de fort ciment, qui est inscrit des lettres grecques d'une epitaphe de Caius Cesar. Il y a grand trafic de soye en Hamouz : aussi nourissent-ils les vernis moult diligemment, car ilz ont les jardins arrousez commodément des ruisseaux venans des montagnes et rendant la plaine fertile. Ilz cultivent les figuiers et meuriers dedans les champs arrousez et aussi plusieurs arbres fruictiers. Leur commun ouvrage est de faire des mouchouers et couvre-chefs bigarrez, mesez en partie de soye blanche, rouge et jaune, entremeslée de fil d'or, que l'on sçait nommer par toute Turquie, mouchoirs de Hamouz. La ville est située en une spacieuse et plaine campagne où passent des beaux ruisseaux par dedans. Le tour des murs est quasi entier, mais le dedans est ruiné et n'y a rien de beau à voir que le bazar, c'est-à-dire le marché et bascstan qui est faict à la façon de Turquie. Les murailles monsirent bien que la ville a esté autrefois quelque grande chose, aussi est elle assise en bon pays. » (Belon, Les observations de plusieurs singularitez et choses memorahles trouvées en Grèce, Asie etc., Paris, 1588, pages 345-346.)

[200] Elqa'a est un petit village au nord de Riblah à quelque distance du pied de l'Antiliban. On y remarque un grand khan. A cinq milles au nord-est d'Elqaa se trouvent les ruines de la ville et du château de Djouzièh Elqadimèh que l'on suppose avoir été les ruines de l'ancienne ville de Paradisus du district de Laodicène mentionnée par Pline, Strabon et Ptolémée.

[201] Baalbek, l'ancienne Héliopolis, a été l'objet de nombreuses descriptions. Lors de la conquête musulmane, les temples du Soleil et de Jupiter furent convertis en forteresses. Les tours et les murailles furent réparées par Saladin et par les sultans mamelouks d'Égypte. « Il y a un chasteau qui est quasi entier, où l'on voit neuf hautes colonnes plus grosses que celles de l'hippodrome de Constantinople. Et aussi une autre colonne droite en dessus de la ville quasi semblable à celle de Pompée près d'Alexandrie, sur laquelle y a un chapiteau quarré qui est la couverture de ladicte colonne. Il y a plusieurs plates-formes de pierres de tailles dedans la ville, faites en manière de sepulchres, inscrites des lettres arabiques. » (Les observations de plusieurs singularitez, etc., page 342.)

[202]Les sultans mamelouks Circassiens d'Egypte.

[203]Cette haute montagne est le mont Qassioun qui domine la ville de Damas et au pied duquel s'élève le faubourg de Salahièh. On y montre une caverne appelée Magharat Eddem (la grotte du sang) dans laquelle, selon la tradition, Caïn aurait tué son frère Abel. Cette caverne aurait ensuite servi d'asile au prophète Élie et à saint Jean-Baptiste. Tous les voyageurs qui, au moyen âge, ont visité Damas, font mention de cette tradition.

[204] « Il y a si grande commodité d'eau à Damas, du fleuve Chrysoroas que quasi chacun a une fontaine tant en son jardin qu'à son logis. Les rues de la ville sont estroictes et mal droictes. Le bazare, c'est-à-dire le marché est fort beau, et est couvert par le dessus. Les maisons y sont assez bien basties : mais ce qui est le plus beau, sont les porches à claires voyes pour s'y refreschir. Les murailles de la ville sont doubles comme à Constantinople. Ses fossez ne sont gueres profonds, èsquelz ils cultivent des meuriers blancs pour nourrir les verms qui font la soye. Les tours des deux murailles sont moult près à près, car il y a une grande tour quarrée entre deux autres petites, qui sont rondes et sont plus grandes l'une que l'autre. Il y a un petit chasteau quarré hors le circuit des murailles, et toutefois il semble estre enclos en la ville, car les faulxbourgs sont deux fois plus grands que la ville ; aussi les marchez sont tenus ès faulsbourgs, mais les bazares et bazestans sont dedans le circuit des murailles. Les portes de la ville sont couvertes de lames de fer au contraire de celles du Caire qui sont couvertes de cuir... Les boutiques des artisans sont comme au Caire... Il y a un bacha à Damas comme au Caire, qui a son logis hors la ville. Il ne se tient pas au chasteau de peur de rébellion. » (Les observations des singularitez, pages 332-335.)

[205] Ce pont est connu aujourd'hui sous le nom de pont des filles de Jacob (Djisr benat Yaqoub) : il se compose de trois arches et fut réparé à la fin du XIIIe siècle, par le sultan Beybars qui fit construire, en outre, près de là une mosquée et un khan.

[206]Le puits de Joseph (Djoubb Youssout) est à trois heures de marche du pont des filles de Jacob. Le khan dont parle Chesneau est bâti sur une éminence ; il a été, comme presque tous les édifices d'utilité publique, rebâti par le sultan Beybars, après ses victoires sur les Latins. La mosquée dont parle Chesneau est aujourd'hui en ruines. La tradition qui place dans cette plaine la fosse où Joseph aurait été jeté est très contestée par les auteurs musulmans.

[207] « Bethsaïda, domus frugum veldomus venatorum » dit saint Jérôme. Les ruines de cette ville se trouvent auprès d'un caravansérail ruiné qui porte le nom de khan Minièh. Cf. Robinson, Biblical researches, Boston, 1857, t. III, page 358.

[208] Ces bains sont situés en dehors de la ville de Tibériade. « In hac civitate, (extra muros loco qui dicitur Emmaus), sunt aquae salubres et medicinales, balnea optima quarum virtutem Romani in lapide, literis descriptam reliquerunt, quas tempus corrosit et consumpsit, nec possum de eis plenam intelligentiam habere. Haec de Thiberia. Sed addam ego aliquid. Dum indigne curam gererem, apostolica auctoritate, Terrae Sanctae, audivi quod quidam Zamnicas impius Judaeus volebat Thiberiam iterum expulsis serpentibus, geniminis viperarum eam replere et nostram Ecclesiam in sinagogam convertere : de hac enim re pluries et cum Arustam bassa et cum Ali bassa secreto locutus sum qui semper dixerunt mihi, hoc nondum factum esse, nec in vita Solimani regis fiet et hoc quod verbis promiserunt, opere compleverunt ; quid autem Selim rex facturus sit nescimus ». (Liber de perenni cultu Terrae sanctae auctor P. Bonifacio Stephano Raguisino. Venise, 1875, pages 268-269.)

Zamnicas est Jean Miquez au sujet duquel j'ai donné quelques détails dans la note n° 99. Arustam est Rustem Pacha le grand vizir de sultan Suleyman dont il est question dans la relation de Chesneau.

[209] Tibériade (Thabarièh) était en ruines au XVIe siècle; les serpents, dit F. Etienne de Raguse, la rendaient inhabitable. L'église construite par sainte Hélène avait conservé toute, sa splendeur et elle était possédée par les Franciscains qui y célébraient les offices une fois par an. (Liber de perenni cultu, page 268.)

[210]Kafr Naïm, Cf. Robinson, Biblical researches, tome III, pages 348-357.

[211] Sebaste (Sebastièh), n'est plus aujourd'hui qu'un village de soixante feux ayant une population de quatre cents habitants. L'église fondée par sainte Hélène, si l'on en croit la tradition, fut rebâtie par les chevaliers de Saint Jean de Jérusalem. Lors de la chute du royaume de Jérusalem, elle fut convertie en mosquée. Dans l'enceinte de la mosquée, on montre une chambre souterraine creusée dans le roc et dans laquelle on prétend que saint Jean-Baptiste fut emprisonné et décapité. Josèphe affirme que saint Jean eut la tête tranchée dans le château de Macharus, situé à l'est de la mer Morte. Saint Jérôme nous apprend que, de son temps, l’opinion générale était que le précurseur de JésusChrist était enterré à Sébaste.

[212] Naplouse (l'ancienne Sichem, Neapolis), appelée par les arabes Nabolous : elle est aujourd'hui le chef-lieu du district du même nom et celui de Djennin. Elle est le siège d'un archevêque grec relevant du patriarche de Jéruialem : sa population s'élève au chiffre d'environ huit mille âmes. Naplouse est la résidence des derniers Samaritains réduits à une quarantaine de familles; les églises élevées par les Latins à Naplouse ont été converties en mosquées après la chute du royaume de Jérusalem en 1187. (Cf. V. Guérir., Description géographique et archéologique de la Palestine, IIe partie, Samarie, tome I, pages 390-424.)

[213] Le gardien du couvent du mont de Sion, en 1549, était Frà Boniface Etienne Corsetto, ragusais, qui résida à Jérusalem de 1547 à 1553. Il est l’auteur de l'ouvrage cité plus haut: Liber de perenni cultu Terrae sanctae. Guarmani, Gli Italiani in Terra Santa, page 416.

[214] Le cénacle et le tombeau de David avaient été enlevés aux Pères franciscains de Terre Sainte en 1522, en vertu d'une décision du tribunal religieux de Jérusalem. La sentence du cadi et des imams des quatre rites orthodoxes avait été ratifiée par la Porte. François Ier fit faire à Constantinople une démarche qui ne fut point accueillie. Mr Charrière a publié la réponse de Sultan Suleyman à François Ier. (Négociation de la France dans le Levant. Paris, 1848, tome I, pages 129-133.) Les pièces relatives à l'expulsion des Latins du cénacle sont toutes données dans l'appendice. Lors du séjour de M. d'Aramon à Jérusalem, le couvent du mont de Sion était encore occupé par les religieux de Terre Sainte.

[215]Le firman obtenu par le bayle de Venise pour arrêter ces dévastations se trouve à l'appendice.

[216]Ce cazal est le village d'Amouas, l'ancienne Emmaus.

[217]Ramlèh.

[218]Gazza.

[219]Ce caravansérail est le khan Younis qui s'élève au milieu de vergers et de bouquets d'arbres. On suppose qu'il occupe l'emplacement de l'ancienne ville de Yenisus.

[220] Qathièh est un petit bourg au milieu des sables à peu de distance de Ferama. Les habitants logent dans des huttes faites de branches de palmiers; une citerne leur fournit une eau fétide et nauséabonde. Lorsque l’on mange le pain de Qathièh, on sent le sable craquer sous la dent. Il y a dans ce bourg un petit marché, où l'on trouve du poisson en abondance à cause du voisinage de la mer. (Yaqout, Dictionnaire géographique, tome IV, pages 144.)

« Catia est un chasteau avec peu de monstre, clos autour de murailles de briques, faute de pierres, sans flancs, garite, ny aultrc defence. » (Voyage du Levant, f° 644.)

[221] Salahyèh, (Salachie, Salachia ou Salqule des voyageurs européens) n'est qu'un petit village situé sur la route qui conduit de Gazza au Caire. « Le dimanche 3e juillet, arrivasmes à Salquiè, petite bicoque ou forteresse, faite partie de terre et troncs de palmiers qu'ils font servir de pieux pour la tenir faute d'autre bois meilleur, et en yccluy enclos y a une mosquée pour ceux de la misérable garnison qui n'est que pour se garder des courses des Arabes. » (Voyage du Levant, f° 645, v°.)

[222] Langan est le nom défiguré de la petite ville de Khanqah appelée par les voyageurs du XVIe siècle, Hanque, la Hanque ou la Canique, ou bien encore Chancha. « Chancha, dit Léon l'Africain, est une grande cité située au commencement du désert, qui va à Sinay, du Caire environ seize milles : laquelle est ornée de temples somptueux, superbes édifices et tres beaux coleges. Entre icelle et le Caire, y a plusieurs jardins de datiers par l'espace de six milles ; mais depuis les murailles jusques au port de Sinay, ne se trouve aucune habitation, combien qu'il y ait de chemin cent quarante milles. Les habitants sont mediocrement riches : pour ce que faisant départ de la caravanne pour suivre la route de Surie, là s'acheminent gens en grande assemblée pour acheter diverses choses qui viennent du grand Caire; car il ne croist autres choses que dates en terroir de ceste cité, de laquelle procedent deux grands chemins, l'un tirant droit en Arabie, l'autre en Surie. Il ne s'y trouve autre eau que de celle qui demeure en la decrue du Nil dans les canals, et en cas que ils se viennent à rompre (ce que avient quelquefoys), l'eau se repand par la plaine, là où elle demeure en forme de lacs : et de là reprend son cours à la cité par quelques conduits, puis demeure dans les citernes et conserves. » (Description de l'Afrique, tierce partie du monde, et escrite de noire temps par Jean Leon African, premièrement en langue arabesque, puis en toscane et à présent mise en français. Lyon. 1556, tome I, pages 363-364.)

[223] Le gouverneur général de l'Egypte en 1519, était Aly Pacha qui avait été beylerbey de Roumélie. Il prit possession de son gouvernement au mois de Chaaban 956 (août 1549), et il fut remplacé le 22 du mois de Djoumazy oulakhir 961 (23 avril 1555), par Douqakin Zadèh Mehemmed Pacha. Aly Pacha avait consacré tous ses soins à rendre à l'Egypte son ancienne prospérité, et il emporta à son départ les regrets de toutes les classes de la population. (Histoire des gouverneurs généraux de l'Egypte, composée en 1010 (1601), pour Hadji Mehemmed Tacha par Abdoulkerim Efendy, f° 15.)

[224] La magnificence des palais et des édifices du Caire, le soin avec lequel ils étaient bâtis et la richesse des ornements qui les décoraient ont frappé tous les voyageurs qui ont visité le Caire au moyen âge, et à une époque plus rapprochée de nous. Nassiri Khosrau qui résida pendant quelque temps en Egypte, au milieu du XIIe siècle, parle avec admiration des maisons du Caire, (Sefer Namèh, page 133.) Thenaud décrit l'hôtel mis à la disposition d'André Le Roy (Voyage d'Oultremer, page 36); Pagani et Marc'Antonio Trevisan s'étendent sur la splendeur du palais bâti pour la femme de Qait Bay et que le sultan Ghoury avait assigné pour demeure à Domenico Trevisan pendant son séjour au Caire. Maqrizy, dans sa Topographie de l’Égypte, donne l'histoire des principaux palais construits par les sultans et les émirs jusqu'au milieu du XVe siècle. (Topographie de l'Egypte et du Caire, Boulaq, 1270, tome II, p. 51-77 ) « Les bastimens du chasteau du Caire, les belles chambres et sales et les peintures qui y sont, rendent tesmoignage de la magnificence des Cercasses qui dominoient n'a pas longtemps à l'Egypte, devant que le Turc les eut vaincus en bataille. Les murailles y sont revestues de marbre à la hauteur d'un homme sçavoir tout à l'entour des portes et fenestres est une lisiere de plus d'un pied de large, faite de marqueterie à la damasquine, avec des naccres de perles, d'ebene, de cristal, de marbre, de coral et de verre coloré. On voit aussi de pareils ouvrages en quelques maisons du Caire. » (Les observations de plusieurs singularitez, etc., page 239.)

[225]Ce village est probablement celui de Teranèh, l'ancienne Terunitis. C'est de ce village que part la route conduisant aux lacs de Natron.

[226] « Et tant fismes, dit Belon, que nous vinsmes loger à une grande ville nommée Foua. C'était anciennement une ville grande comme le Caire, et encore pour le jourd'hui, il n'y a aucune ville en terre ferme d'Egypte après le Caire qui soit plus grande que Foua. Elle est beaucoup plus grande que Rosette, à l'opposite de laquelle y une grande isle cultivée de cannes de sucre, de sycomores, palmiers, colocasses et toutes sortes de legumes et bledz et de riz qui, entre autres choses, est de grand revenu à l'Egypte. » (Les observations de plusieurs singularitez, page 224.)

[227] Guillaume Postel naquit le 25 mars 1510 àDolerie, village proche de Barenton, en Normandie; il mourut à Paris le 6 septembre 1581. On trouve la liste des très nombreux ouvrages de Postel dans le premier volume des Mémoires de littérature de Sallengre, le huitieme volume des Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres, du P. Niceron, et à la suite des Nouveaux éclaircissements sur la vie et les ouvrages de Guillaume Postel, par le Père des Billons. Paris, 1773.

[228] Pierre Gilles, né à Alby en 1490, fut le protégé de George d'Armagnac, évêque de Rodez. Il fut envoyé dans le Levant par le roi François Ier pour y recueillir des manuscrits et il revint en France avec M. d'Aramon. Il alla rejoindre le cardinal d'Armagnac à Rome où il mourut en 1555. Son neveu, Antoine Gilles a fait paraître les traités ; De Bosporo Thracio et de Topographia Constantinopolitana. Lyon, 1561.

[229] Le gouverneur de Damas en 1549, était Piry Pacha, frère d'Ayas Pacha beylerbey d'Ezroum. Il était né à Delvino sur la côte d'Albanie, en face Corfou. Il fut ensuite gouverneur d'Egypte et il occupa, à trois reprises, le poste de grand vizir. Il mourut en 1596, plus qu'octogénaire. Le témoignage favorable de Chesneau ne s'accorde ni avec celui des historiens ottomans, ni avec celui du bayle Matteo Zane. (Relazioni. t. III, p. 420.)

[230]Meziddec me paraît être le nom très défiguré de Medjdel Andjar, village de la plaine de la Biqaa. On y voit les ruines d'un temple dont la construction est antérieure à celle des monuments de Baalbek et de Palmyre.

[231] Osam doit être khan Houssein, la première station dans le mont Liban lorsque l'on quitte la ville de Beyrout. Il faut lire Osain au lieu de Osam que donnent les manuscrits.

[232]Petrimo est sans aucun doute, la corruption du nom de la ville de Batroun, l'ancienne Botrys, Cette ville renferme une population de trois mille habitants, tous chrétiens. On distingue encore aujourd'hui les vestiges de l'ancien port.

[233] « La cité de Tripoly est d'assez grande estenduë et plus longue que large, située au pendant d'une colline que nature a divisée en deux pour laisser courir la rivière par le milieu de la cité, laquelle par après se divise en plusieurs canaux et arrouse les terres d'une autre planure qui continue jusques au bord de la mer qui n'en est distante que de demie lieuë. Et sur le haut de la coline est un chasteau qui commande à la cité, qui a esté autrefois edifié par les François, où les Turcs font bonne garde. Les maisons sont basties à la turquesque de deux au trois estages de haut avec des plates formes dessus, qui leur servent de couverture et ne les ferment qu'avec des clefs de bois comme en Hierusalem. Les rues y sont fort estroictes, excepté celle qui va au pont d'Alep, laquelle est couverte et voutée, comme pareillement sont les bazares ou marchez, où se vendent toutes sortes de marchandises necessaires à l'homme, excepté du vin. » (Les voyages du seigneur de Villamont. Rouen, 1608, page 596.)

[234] Tartous (l'Antaradus des Grecs, Tortose des historiens des croisades) : cette ville porta aussi le nom de Constantia parce qu'elle fut rebâtie par Constance, en 346. « Cette place, dit Maundrell, se nommoit anciennement Arthosie. C'étoit une ville episcopale dans la province de Tyr. Les auteurs, qui ont traité des guerres saintes en font mention fréquemment, comme d'une place forte ; ce qui paroit assez par ce qui en reste. Elle est située sur le bord de la mer et est environnée de l'autre côté d'une grande plaine. Il y reste encore un vieux château qui est très grand et habité. Il est mouillé d'un côté, des eaux de la mer, et de l'autre fortifié d'une double muraille de marbre grossier bâti d'une manière rustique. Il y a un fossé entre les deux murailles et un autre autour de la muraille du dehors. L'on entre dans cette forteresse du côté du nord sur un vieux pont-levis qui aboutit à une grande salle presqu'entierement découverte. Elle a été autrefois bien voutée et a servi d'église au château. Elle ressemble d'un côté à une église par les emblemes sacrez qui sont taillez dans la muraille où l'on voit une colombe descendant sur l'endroit où étoit l'autel, et dans un autre lieu, la ressemblance de l'agneau sacré, mais la muraille de dehors à l'air de celle d'une forteresse, étant remplie de canonieres pour de l'artillerie, au lieu de fonestres. La ville estoit autrefois située autour de ce château au midi et à l'orient. Elle étoit ceinte d'une bonne muraille et d'un bon fossé dont on voit encore des restes considérables. Mais il n'y a plus aucun bâtiment qu'une eglise, qui est à une stade de distance du château à l'orient. Elle a cent trente pieds de long, nonante trois de large et soixante un de hauteur. Les murailles, les voutes et les piliers sont d'un marble bâtard, en si bon état, que l'on en pourroit refaire une très belle eglise avec un peu de dépence. Cependant, elle ne sert aujourd'hui au grand regret des spectateurs chretiens, que d'etable au bétail ; de sorte que l'on n'y sauroit entrer sans avoir de la boue jusqu'aux genoux. » (Maundrell, Voyage d'Alep à Jertisalem, fait en 1697, Utrecht, 1705, page 30-31.)

[235] Djebèlèh (l’ancienne Gabala), est située entre Tell Sougat et Lataquièh. On remarque, dans cette petite ville qui ne compte aujourd'hui que trois cents pauvres habitants, les ruines d'un théâtre, les restes d'un ancien port et des tombeaux creusés dans les rochers qui l'avoisinent. L'imaret, dont parle Chesneau, où l'on distribuait la nourriture aux pauvres et aux voyageurs, était une des dépendances de la mosquée dans laquelle est enterré le célèbre saint musulman Ibrahim, fils d'Edhem prince de Balkh : il renonça au monde pour embrasser la vie religieuse et mourut à Djebèlèh en l'année 161 de l'hégire (778). Maundell donne quelques détails intéressants sur Djebèlèh et sur le tombeau d'Ibrahim, fils d'Edhem. « Jebellée est bâti sur le bord de la mer; cette ville est environnée des autres cotez d'une plaine très fertile. Elle ne fait pas grande figure à present. Cependant elle retient toujours le rang de ville et l'on y voit des restes qu'elle a été autrefois sur un meilleur pied… On n'y trouve rien de remarquable qu'une mosquée et un hôpital à côté, bâtis l'un et l'autre par Sultan Ibrahim. Son corps repose dans cette mosquée où l’on nous permit de voir son tombeau qui est en grande vénération parmi les Turcs. Ce n'est qu'un grand coffre de bois, posé sur son sepulchre, couvert d'un tapis de toile peinte, lequel traîne jusqu'en terre de tous cotez. Il étoit orné de plusieurs chapelets dont les grains sont de bois… Nous vîmes plusieurs grands encensoirs dans cette mosquée, des chandeliers d'autel et d'autres ornemens d'eglise. Ce sont les dépouilles des églises chrétiennes à la prise de Chipre. » Maundrell donne ensuite une description assez étendue des tombeaux creusés dans le roc et des ruines du théâtre. (Voyage d'Alep, etc. Utrecht, 1705, pages 21-26.

[236]Ladaquiè (Laodicea, Laodicea ad mare, Laodicea Syriae) porte en arabe le nom de Laziquièh. Elle fut bâtie par Séleucus Nicator qui lui donna le nom de sa mère. Elle est construite sur une langue de terre qui s'avance dans la mer, et est le siège d'un métropolitain grec relevant du patriarchat d'Antioche et portant le titre de chef et exarque de la Théodoriade.

[237] Antioche (Epidapliné, Antiochia ad Orontem) est le siège d'un des quatre patriarcats grecs. Elle fut fondée par Séleucus Nicator en l'année 301 avant Jésus Christ. En 83, elle fut enlevée aux Séleucides par Tigrane, roi d'Arménie et vendue par Lucullus à Antiochus Philapator. Chapour, roi de Perse, s'en empara en 268. Elle fut conquise parles musulmans en 635, sous le règne d'Héraclius et reprise au Xe siècle par Nicéphore Phocas. Elle tomba ensuite aux mains des Seldjoucides et elle fut possédée par les Latins depuis 1099 jusqu'en 1268, époque à laquelle ils furent chassés par Melik Eddahir Sultan Beybars. « La circonférence de cette ville, dit Edib Efendy, est de douze milles ; ses murailles qui s'aperçoivent à une grande distance, sont percées de sept portes, dont trois donnent sur l'Oronte qu'il faut passer pour y pénétrer. Ce lieu abonde en eaux douces les plus excellentes. Plusieurs ponts en pierre sont jetés sur le fleuve dont les rives sont garnies de moulins.... La forteresse embrassant un vaste espace boisé et couvert de broussailles s’élève à droite et à gauche de la montagne et en couronne la crête. » (Itinéraire de Constantinople à la Mecque, traduit par M. Blanchi. Paris 1824, pages 25-26.)

[238]Ce cazal est la petite ville d'Alexandrette (Iskenderoun) située sur le bord de la mer et qui se compose d'un château, de quelques maisons et de quelques boutiques. Le château a été bâti du temps du calife Waciq par Ibn Abi Daoud. (Itinéraire de Constantinople à la Mekke, page 24.)

[239]Merkez Qalassy, le château du centre : après l'avoir dépassé, on entre dans le Baghras Bely (la croupe de Baghras), les anciennes Pylae Ciliciae.

[240] Ce caravansérail est celui qui se trouve à l'extrémité du pont de Messis. « Sur les deux heures après midy, nous arrivasmes au pied du pont que les Turcs appellent Messis Cupry au bout duquel, du costé méridional, est un monastère de dervis et proche yceluy, la mosquée avec un han ou carbasary pour loger les passants avec quelques cachettes et boutiques de revendeurs de ris, nentilles, orge pour les chevaux et autres brouilleries qui furent bientôt enlevées. » (Voyage du Levant, f° 458.)

« Messis est sans aucun doute la ville dont le nom est défiguré en celui de Seilechuy, car on ne peut supposer qu'il s'agisse ici de Selefkèh, qui se trouve sur le bord de la mer, à une grande distance d'Adana. Messis ou Messissah est l'ancienne Mopsueste. Elle fut conquise par les musulmans en l'année 84 de l'hégire (703). » (Itinéraire de Constantinople a la Mekke, page 22.)

[241] « Adena est une grosse ville, c'est à dire grand bourg, et de grand passage. Il y a un beau pont de pierre fort large et spacieux. La rivière est nommée en Turc Schelikmark (Qizil Irmaq, rivière Rouge) qui vient d'Arménie mineure, passant par Lydie et Cilicie, et vient tomber en la mer Méditerranée au-dessous de Rhodes. Elle n'est pas navigable pour ce qu'elle meine moult grande quantité de gravois avec elle… La ville d'Adena n'est point close de murailles. Il y a un chasteau qui a quatre tours quarrées qui ne sont guieres fortes. Nous y trouvions de toutes sortes de vivres et du vin, car il y a des Grecs, des Juifs et Arméniens ; et aussi que les Turcs mesmes cultivent les vignes pour en avoir les raisins. » (Les singularitez observées, page 36).)

Le Qizil Irmaq dont parle Belon, est le Sihan, le Sarus des anciens.

« Adana renferme un medressèh et une grande mosquée bàiie par Piry Pacha, ainsi que d'autres mosquées, des bains publics et de beaux marchés. Elle est le chef-lieu du district de ce nom et fut conquise en 891 (1486), sous le règne de Sultan Bayezid. On y remarque une autre belle mosquée bâtie par Ramazan Oglou et décorée de plaques de faïence émaillée. Piry Pacha, qui était de la famille des Ramazan Oglou, a rebâti le château et construit un bain public. On a jeté sur le Sihan un grand pont aux deux extrémités duquel des receveurs perçoivent les droits sur les marchandises. » (Itinéraire de Constantinople à la Mecque, pages 20-21.)

Cf. Rapport sur l'exploration archéologique de la Cilicie et de la petite Arménie pendant les années 1852-1853, par M. V. Langlois, pages 40-41.

[242] Heraclée (Erekly Qaraman) que l'on croit être l'ancienne Cybistra, est une petite ville divisée en vingt-deux quartiers; elle possède plusieurs djamis et mosquées. Ibrahim bey Qaraman Oglou et Chihabeddin y ont fait construire chacun un djami. Ce dernier est enterré dans celui qui porte son nom. Cette ville renterme plusieurs khans, deux bains publics et elle est arrosée par plusieurs cours d'eau. Le sultan Mahomet s'empara de cette ville en 861 (1457). Le sultan Seldjoucide Qilidj Arslan y a fait construire une grande mosquée. (Itinéraire de Constantinople à la Mecque, pages 17-18.)

[243] Qoniah, l'ancienne Iconium est le siège d'un métropolitain relevant du patriarcat de Constantinople et qui a le titre de chef et exarque de toute la Lycaonie. Qoniah devint, en 1074, la capitale de l'empire des Seldjoucides de l'Asie Mineure. « C'est, dit Edib Efendy, une grande ville renfermant de beaux marchés, des bains publics et des djamis. Une haute muraille percée de douze portes fut élevée, pour la protéger, par Ala Eddin Key Qobad. Elle tombe aujourd'hui en ruines. Qoniah possède six bains publics, dont quatre dans l'intérieur de la ville et deux dans les faubourgs.

Qoniah fut conquise par les musulmans en l'année 85 de l'hégire (704), et enlevée par le sultan Bayezid à Qaraman Oglou en 764 (1392). On visite, à Qoniah, les tombeaux de plusieurs saints personnages et particulièrement celui de Mewlana Djelal Eddin Roumy. (Itinéraire de Constantinople à la Mecque, pages 14-15. Djihan Numa, page 615.)

Belon dit quelques mots de Qoniah : « Il est aisé à voir que les murailles de Cogne sont modernes, car l’on y voit les pierres de marbre des églises où l'on voit encore les epitaphes en lettres grecques qui monstrent qu'elle a autrefois esté possedée par les grecs chrestiens, car les croix et les vestiges qu'on y voit le demonstrent évidemment. Le circuit des murailles est en rondeur, mais les tours sont quarrées rares, et peu fréquentes…. Il y a un Hercule taillé en marbre à cette porte de la ville qui est entre l'orient et midy au dehors de la muraille joignant une tour, mais il n'a point maintenant de teste, car les Turcs la luy abbatirent n'a pas longtemps.... Les plus beaux bastiments de Cogne sont mosquées, les bains et carbascharas. (Les singularitez observées, etc. page 374.)

[244] Aq Cheher (la ville blanche), l'ancienne Antiochia ad Pisidiam. Belon appelle cette ville Achara. « Les villes de Turquie ne sont pas communément murées non plus qu'est Achara qui est ville en l'Arménie mineure. Nous y avons vu des pierres inscrites de lettres latines qui anciennement servoyent de sepulchres, mais maintenant, elles servent à tenir l'eau dessouz les fontaines pour abbreuver les chevaux des passants. Cette ville est prez d'un grand estang large et spacieux, lequel nous costoyasmes long temps. » (Les observations, page 376.) Aq Cheher est une petite ville possédant des marchés, des khans, de nombreuses rues et de grandes mosquées. Elle est entourée de vignobles et de jardins arrosés par des eaux courantes. Les grandes mosquées ont été bâties par Ala Eddin, Sultan Suleyman et Hassan Pacha. Le sultan Mahomet se rendit maître de cette ville en 811 (1414). (Itinéraire de Constantinople à la Mecque, page 12.)

[245] Le village dont parle Chesneau, est celui de Ilidja auprès duquel est une source assez considérable d'eau sulfureuse très chaude qui forme le Hammam Sou un des affluents supérieur du Sandyklou Sou. Il existe également une autre source thermale à côté du village de Qara Arslan, non loin du versant septentrional du Sultandagh. (De Tchihatchef, Asie Mineure, tome I, page 357.)

[246] Esky Cheher (la vieille ville) est l'ancienne ville de Dorylœum. Elle est située dans une vaste plaine à dix heures au sud de Sugut. Elle possède deux grandes mosquées, bâties l'une par Ala Eddin Key Qobad, l'autre par Moustafa Pacha. Eski Cheher renferme d'autres mosquées, des marchés, des khans et des bains d'eaux minérales. Elle fait partie du district de Sultan Euny. En 687 (1288), le sultan Ala Eddin, conféra par un diplôme la possession de cette ville à Erthogroul père de Sultan Osman, le fondateur de la dynastie ottomane. (Itinéraire de Constantinople à la Mecque, pages 9 et 10.)

[247] Sugut ou Sugud (les saules) est une petite ville à neuf heures de marche de Lefkèh. Elle portait dans l'origine le nom de Sisfaf ou Sugutdjik le petit saule. Sugut fut annexée à l'empire par sultan Murad I en 765 (1363). (Itinéraire, page 9.)

[248]Biligich est le bourg de Bilèdjik, l'ancienne Argilium, dans la province de Khoudavendguiar et le district de Sultan Euny.

[249]Nicée (l'ancienne Antigonea, Nicaea Bithynias), est appelée Iznik par les Turcs. Elle est située sur les bords du lac qui portait dans l'antiquité le nom de Lacus Ascanius. Elle est le siège d'un métropolitain qui a le titre de chef et exarque de toute la Bithynie. Fondée par Antigone, elle fut agrandie par Lysimaque qui lui donna le nom de sa femme Nicaea. Conquise par les Croisés en 1097, Nicée fut rendue à l'empire par Théodore Lascaris I. Les Ottomans s'en rendirent maîtres en 731 (1333), sous la conduite de Sultan Orkhan. Ce prince convertit une église en grande mosquée et il y annexa un imaret. L'air de Nicée est lourd et malsain.

[250] La Lingua est la traduction italienne du mot turc dil (la langue) qui est le nom de l'endroit où l'on s'embarque pour passer le bras de mer qui forme le golfe de Nicomedie. Dil, Lingua. « Nomen etiam opiduli asiatici est, trans Bosporum itinere bidui non magno dissiti a Constantinopoli, versus Niceam. » Cf. l’Onomasticon placé à la suite des Historia musulmana Turcorum de monumentis ipsorum exscripta, auct. J. Leunclavio. Francfort, 1591, page 879.

[251]Mehemmed Edib Efendy nous apprend que Guebizèh fut conquise par le sultan Orkhan, et que la grande mosquée fut construite par Tchoban Mustafa Pacha un des vizirs de Sultan Suleyman. On y voit des lampes en jaspe, suspendues comme des lustres, et on y conserve un coran écrit par le célèbre calligraphe Yaqout.

[252] Qartal est un bourg sur le bord de la mer, à trois heures de marche de Scutari. On y voit deux grandes mosquées, un khan et un bain public. L'air y est doux, les fruits s'y trouvent en abondance, mais l'eau potable y est rare. (Itinéraire, etc., page 5.)

[253] Michel de Seure, seigneur de Lumigny, avait été reçu chevalier de Malte en 1539. Il servit en Ecosse dans les troupes françaises que Henri II y avait envoyées. Il accompagna avec une galiote, en 1551, M. d'Aramon au siège de Tripoli de Barbarie, puis à Constantinople. Michel de Seure fut, en 1368, chargé d'une mission auprès des chefs protestants. Il était, en 1584, grand prieur de Champagne. Il encourut, sur la fin de sa vie, la disgrâce de Henri III.

[254]Le siège de Damvilliers dura six jours. La place fut reconnue le 4 juin 1552 et investie le 5. La tranchée fut ouverte le 6; une grande batterie qui commença à tirer le 10, amena la capitulation de la garnison qui se composait de dix-huit cents soldats et de deux cents chevau-légers.

[255] Antoine ou Jean Antoine Escalin des Aimars, baron de la Garde, marquis de Breganson, seigneur du Château-Dauphin et de Pierrelatte, général des galères de France, chambellan ordinaire et gentilhomme de la chambre du roy, conseiller en son conseil privé, capitaine de cent hommes d'armes de son ordonnance, ambassadeur à la Porte, lieutenant général pour S. M. en Provence et capitaine de Château-Dauphin, parvint par son mérite à toutes ces dignités. Il fut connu d'abord, sous le nom de capitaine Paulin, et fut envoyé en Piémont au mois de mars 1538 (1539), vers le seigneur de Monrejan, qui en était gouverneur; il était capitaine de gens de pied au mois d'août 1540, à laquelle époque il eut ordre de se rendre en Flandres auprès de l'Empereur, et au mois de décembre suivant, le roy l'envoya en Piémont vers le seigneur de Langey et de là à Mantoue et dans d'autres villes d'Italie. Il alla aussi à Venise remplacer les deux ambassadeurs qui avoient été assassinés par le marquis du Guast. Le 17 juillet 1541, il fut nommé ambassadeur en Turquie et négocia en 1543 avec tant d'adresse auprès du Grand Seigneur que, nonobstant les sujets de mécontentement que ce prince avoit à l'égard du roy, il rétablit entre eux la bonne intelligence et conclut un nouveau traité d'alliance, Le 19 mars 1542, il se qualifiait de gentilhomme de la chambre du duc d'Orléans, capitaine de mille hommes de pied au service du roy et capitaine de Château-Dauphin; étoit déjà pourvu l'année suivante de la dignité de chambellan du roy; fut fait général des galères le 23 avril 1544, nommé encore de nouveau ambassadeur à la Porte le premier may suivant, et député par le roy vers M. le Dauphin à Montreuil au mois d'octobre de la même année. Au mois de mars précédent, il reçut sur les fonds de l'épargne une somme de 1.800 livres pour son entretien dans l'armée navalle qui étoit en Provence ; dans le mois de novembre, il fut envoyé à Bruxelles vers l'empereur pour affaires très importantes. En 1545, il jouissoit d'une pension de la cour de 1.200 livres, et au mois de mars de l'année suivante, il eut ordre d'aller visiter les ports de mer de Picardie. Il étoit, déjà à cette époque, gentilhomme ordinaire de la chambre du roy, charge dont il exerça les fonctions jusqu'à sa mort. Au mois de septembre 1553, Henri II l'envoya en Corse pour donner ordre à toutes les affaires de ce royaume et de ses galères.

Au mois de décembre 1555, ce monarque lui accorda une gratification de 5.000 livr. par moitié avec le comte de Tende, à raison de leurs services dans les guerres et des dépenses qu'ils avoient faites à l'armement de plusieurs galliottes et frégattes qu'ils avoient envoyées hors les mers de Provence pour son service. Dans le même mois, il vint de Corse trouver le roy à Blois pour luy rendre compte de ces affaires et fit aussi deux voyages à Saint-Germainen-Laye, en 1557, pour pareil objet. Le 11 avril 1564, il assista au lit de justice tenu par Charles IX au parlement de Bordeaux, et au mois de décembre 1574, Henry III luy accorda des lettres d'érection de la terre de Breganson en marquisat, en considération de ses grands services pendant plus de quarante ans en guerre et au conseil, rendus tant à ce monarque qu'aux roys François I, Henri II, François II et Charles IX, ayant plusieurs fois commandé en chef leurs armées de terre et de mer, exécuté une infinité d'entreprises et de batailles et négocié leurs plus importantes affaires avec les plus grands potentats du monde. Dans ces lettres infiniment glorieuses pour luy, le roy lui donne le titre de cousin. Il mourut à son château de la Garde Adhemar, le 30 mai 1578. (Histoire des chevaliers de l'ordre de Saint-Michel, man. du cabinet des titres, n° 1039, pages 480-483.)

[256]Odet de Selve, cinquième fils de Jean de Selve, premier président au parlement de Paris, fut reçu conseiller au parlement de Paris le 31 décembre 1540, conseiller au grand conseil en 1542, puis maitre de requêtes, conseiller d'Etat et président au grand conseil en 1547 et 1548; il fut ambassadeur en Angleterre puis à Venise. Il quitta ce poste pour aller à Rome où il resta jusqu'en 1558. Odet de Selve mourut le 11 mars 1564 et fut enterré à côté de son père dans l'église de Saint-Nicolas du Chardonnet.

[257] La flotte turque, commandée par Khaïr Eddin Pacha, débarqua le 25 août 1537 dans l'île de Corfou un corps de 25.000 hommes et trente canons placés sous les ordres de Luthfy Pacha ; ces troupes furent renforcées par vingt cinq autres mille hommes qui ravagèrent l'île et investirent la ville le 1er septembre. Sultan Suleyman avait établi son camp à Bastia, sur le continent en face de Corfou. Après quatre attaques infructueuses contre les forts qui défendaient la ville, Suleyman donna, le 7 septembre, l’ordre de lever le siège, et retourna à Constantinople où il arriva le 1er novembre. (Marmora, Historia di Corfù, Venise, 1672, pages 236-240; Paruta, Historia Venetiana, Venise, 1605, page 613; Hadji Khalfa, Histoire des guerres maritimes des Ottomans, fol. 22.)

[258] Louis Pelet, baron de Combas, figure parmi les défenseurs de Sienne. Sur l'injonction de Montluc, il reprit, pendant la nuit de Noël 1554, le poste de la porte Camollia dont les soldats du marquis de Marignan s'étaient emparés. En 1557, il fut chargé par Antoine de Bourbon, roi de Navarre, de lever une compagnie de trois cents hommes. En 1573, il commandait dans le diocèse de Mende et dans le Gévaudan. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-six ans le 20 décembre 1616. (De Thou, Histoire, tome II, pages 534-536; le P. Anselme, Histoire chronologique et généalogique, etc., tome II, page 789.)

[259] Moustafa fut étranglé à Eregli de Caramanie au mois de septembre 1553, le lendemain de son arrivée au camp de son père; il fut mis à mort dans la tente du sultan qui assista à cette exécution, par les sept muets qui avaient étouffé le grand vizir Ibrahim Pacha pendant son sommeil. Le corps de ce malheureux prince fut transporté à Brousse et enterré à côté du tombeau de Murad II.

Nous possédons une relation de ce crime, écrite par Nicolas de Moffan de Dôle qui, fait prisonnier par les Turcs, fut conduit à Constantinople où il séjourna pendant quelques années. Cet opuscule porte le titre de Soltani Solymanni Turcarum imperatoris horrendum facinus scelerato in proprium filium natu maximum Soltanum Mustapham parricidio patratum. Paris, 1356, 51 pages.

Cette relation, dédiée à Christophe, duc de Wurtemberg, aurait été, au dire de Du Verdier, traduite en français. Je n'ai pu voir cette traduction ; il en a été publié une allemande à Wittenberg, en 1556, sous le titre de : Wieder Türkisch Tyrann Solyman sein eltester Son Mustapha hat lassen umbringen, der verklagt ist durch ein unehrlich Weib und durch den Wascha Rustan. Bericht durch ein gefang. Burgunder Nic. von Moffan, dein christl. Leser zu gut verdeutschet. (Cf. De Thou, histoire, etc., tome II, pages 395-396. Busbec, Ambassades, Paris, pages 36 et suivantes.)

[260] Djihanguir ne se poignarda pas sur le corps de son frère comme le prétendent quelques historiens. Il mourut à Alep, le 29 novembre 1353, d'une pleurésie, au bout de quatre jours de souffrances, deux mois après l'exécution de son frère Sultan Moustafa. Sultan Suleyman fut vivement affecté par la mort de Djihanguir : il le fit enterrer à côté de son frère Mohammed dans l'enceinte de la mosquée bâtie en l'honneur de ce dernier, et qui reçut alors le nom qu'elle conserve encore aujourd'hui de mosquée des Princes. Une autre mosquée, portant le nom de Djihanguir, fut élevée par le sultan Suleyman sur la colline qui domine le quartier de Tophanèh. (Relazione d'Aleppo, page 236 ; Busbec, Ambassades, etc., pages 72 à 86.)

[261] Busbec donne une autre version de la mort du fils de sultan Moustafa. Il dit que le fils de Moustafa fut étranglé par l'eunuque Ibrahim Pacha, lors de son entrée dans une maison de plaisance des environs de Brousse, où l'on avait persuadé à sa mère de le conduire. (Ambassades, etc., pages 80 et suivantes.)

[262]La discorde fut mise entre les deux frères par le vizir Lala Moustafa Pacha. Bayezid, qui avait pris les armes, fut battu près de Qoniah par Mehemmed Sokolly Pacha (30 mai 1559). Après sa défaite, il se réfugia à Amassia, puis gagna la frontière de Perse. Chah Thahmasp l'accueillit tout d'abord avec les plus grands honneurs ; il l'interna ensuite à Qazwin et le livra à Aly Aga et à Sinan Aga, envoyés par Suleyman et par Sélim, qui étranglèrent ce malheureux prince et ses quatre fils (25 septembre 1561). Leurs corps furent transportés à Siwas et enterrés dans cette ville. Un fils de Bayezid, âgé de trois ans, qui se trouvait à Brousse, fut étouffé par ordre de Suleyman.

[263]Bonifacio se rendit à Dragut au mois d'août 1553. Après la prise de la ville, il se rembarqua pour retourner à Constantinople, emmenant un grand nombre de prisonniers, et abandonnant les Français au moment où sa coopération leur était le plus nécessaire.

[264]Paul de la Barthe, seigneur de Termes, eut deux sœurs mariées. L'une épousa le seigneur d'Arbessan, l'autre le seigneur de Bazordan.

[265] Il faut lire, le capitaine Nas au lieu du capitaine Mus. « Nas, provençal, homme courageux et d'expédition, dit de Thou, avait été donné par Paul de Thermes à Dragut pour l'accompagner. » Ce fut lui qui ménagea la capitulation de Bonifazio. (De Thou, Histoire, tome II, page 378.) « Le sieur de Codignac a laissé en son absence à Constantinople le cappitaine Naz, et par un double du secrétaire du sieur d'Aramon nommé Chesneau, Vostre Majesté verra que sa depesche pour le Levant, dont elle m'avait bien expressément commandé la seureté et diligence, estoit arrivée. » (Lettre de M. de Selve au Roi dans les Négociations de la France dans le Levant, tome II, page 318.)

[266]Georges Madruzzo était le fils de Jean Gaudance, baron de Madruzzo, échanson héréditaire du comté de Tyrol et le neveu de Christophe Madruzzo, cardinal de Trente. Son frère Alisprand Madruzzo avait été fait prisonnier à la bataille de Cérizoles, où il fut laissé pour mort sur le champ de bataille. Georges avait été pris par Dragut dans le combat qu'il livra à Doria, dans les eaux des îles Ponza.

[267]François de Coligny, seigneur d'Andelot, couronnel général del’infanterie, était enfermé au château de Milan. Pendant sa captivité, sa charge fut exercée par Montluc. Brantôme nous a conservé de nombreuses anecdotes sur M. d'Andelot. Cf. le tome VI de l'édition donnée par M. L. Lalanne pour la Société de l'histoire de France.

Philibert de Marcilly, seigneur de Cipierre. Le seigneur de Cipierre devint gouverneur de Charles IX. Cf. Brantôme, tome V, page 240. Les seigneurs d'Andelot et de Cipierre furent faits prisonniers à la fin de juin 1551, par Ferdinand de Gonzague, dans un combat livré à Saragna dans le duché de Plaisance.

[268] Michel de Codignac, valet de chambre du roi, avait eu pour protecteur le baron de la Garde qui ne cessa de lui porter un vif intérêt. Il l'avait recommandé comme « personnage suffizant et digne de manier et negotier quelque chose de bon. » Codignac fut chargé par les rois François Ier et Henri II de plusieurs missions à Constantinople. Il épousa à Péra une fille de Marino Grimani qui lui apporta en dot l'île de Sifanto. Lorsqu'il fut rappelé par Henri II, il voulut se fixer dans cette île, mais les habitants le chassèrent et il retourna à Constantinople où il dut se cacher pour échapper aux recherches du grand vizir, qui voulait le faire arrêter et étrangler. Il réussit à s'enfuir et passa en Italie où, grâce à l'influence du cardinal de Trente dont il avait connu le neveu à Constantinople et à celle de don Juan de Vargas, il fut désigné par Philippe II pour être son agent à Constantinople. On ignore la date de sa mort. Ruscelli a donné la traduction d'une longue dépêche de Codignac à M. de Lodève, relative à la mort de Sultan Moustala. Lettere di principi, Venise, 1570, tome I, pages 169-175.

Codignac rejoignit Sultan Suleyman au delà de Qara Amid ou Diarbekir. « Quattro giorni dopo (13 avril) gionse in Aleppo il signore di Codignac ambasciatore del serenissimo re di Francia, il quale riposatosi tre giorni; si ripose in via per andare a trovar Solimano e per fornire la sua ambasceria ; il quale le gionse de qua dalla città di Carahamid e in strada gli anda a baciare la mano. » (Relation d'Alep dans les Relazioni, etc., tome I, page 247.)

[269]Sultan Suleyman avait campé à Scutari le 3 septembre 1553, avec l'armée destinée à agir contre la Perse. Il prit ses quartiers d'hiver à Alep et se remit en marche au mois d'avril 1554; il s'arrêta quelques jours à Diarbekir pour y tenir un divan général. Les troupes ottomanes franchirent les frontières de Perse au mois de juillet.

[270]Il y avait dans la maison du roi en 1554, deux personnes portant le nom de Villemontée. L'une était « Messire Anthoine de Villemontée, chevalier, seigneur dudict lieu, l'un des cent gentilhommes ordinaires de l'hostel du roy, soubz la charge et conduicte de Monsieur de Boissy grand escuier de France, » et l'autre Guillaume Anthier dit de Villemontée, originaire d'Auvergne, conseiller du roi, trésorier de sa vénerie et fauconnerie. Pii-ccs originales de la Bibliothèque nationale. Il s'agit ici d'Antoine de Villemontée.

[271]Dominique de Gabre. Le cardinal Guid' Ascanio Sforza s'était démis en sa faveur de l'évêché de Lodève. Il mourut en 1558 à Venise et eut pour successeur François de Noailles, évêque de Dax.

[272] Altoun, altounlar.

[273] Oda bachy.

[274] Tchoqadar.

[275]Silahdar, vulgairement Sililidar.

[276]Cherabdar.

[277]Il faut lire Bachmaqdar.

[278]Iskemlèdjy.

[279]Uloufèh.

[280]Qapydjy bachy.

[281]Qapy aga.

[282]Monouc est le mot grec μουνοῦχος qui signifie eunuque.

[283]Imams.

[284]Sipahoglan.

[285]Bostandji.

[286]Kiahya, lieutenant, suppléant.

[287]Achtchy bachy.

[288]Matbakh Eminy.

[289] Tchachneguir bachy.

[290]Ieny tcherylar. L'étymologie donnée par le frère Geuffroy est erronée, Ienytchery a la signification de nouvelle troupe.

[291]Aga a en turc la signification de frère aîné, maître, chef. Agadj a le sens de « arbre » et n'a aucun rapport avec le mot aga.

[292]Ienytchery yazidjissy.

[293]Buluk bachy, chef de compagnie.

[294]Il faut lire Outouraq.

[295]Solaqlar.

[296]Mouteferriqa.

[297] Seghan bachy ou Seymen bachy.

[298] Zagardjy bachy.

[299] Il faut lire Doghandjy bachy.

[300] Peïk.

[301] Oulaq.

[302] Terdjuman.

[303] Azeb Aga.

[304] Gharib Ogian ou Ghoureba.

[305]Uloufedjy, cavalier recevant une solde régulière.

[306]Emir akhor bachy, prononcé vulgairement Imrakhor.

[307]Tchaouch bachy.

[308] Mehter bachy.

[309] Emir ou Miralem.

[310] Arpa Eminy.

[311] Chari' Eminy.

[312] Khazinè.

[313] Kharadj.

[314] Khazinèdar bachy.

[315] Rouznamèdjy.

[316] Veznèdar.

[317] Serrat.

[318] Defter Eminy.

[319]L'étymologie du mot pacha donnée par Geuffroy esterronnée. Pacha est la forme adoucie du mot turc bachqaq ou pachqaq qui désigne un gouverneur militaire.

[320]Ayas Pacha, d'origine albanaise, devint aga des janissaires et prit part à l’expédition de Sultan Sélim en Egypte ; ce fut à lui que se rendit l'infortuné Toumanbay, le dernier des sultans mamelouks. Sous le règne de Sultan Suleyman, il commanda, au siège de Rhodes, l'aile droite de l'armée ottomane. Il avait été nommé beylerbey d'Anatolie et, après la défaite de Ghazaly gouverneur de Syrie révolté contre le sultan, il reçut le gouvernement d'Alep. Il accompagna Suleyman dans la campagne de Hongrie et après l'exécution d'Ibrahim, il fut appelé à lui succéder dans la charge de premier vizir. Il assista au siège de Corfou (1557) et mourut de la peste deux ans après. Piero Bragadin fait d'Ayas Pacha le portrait suivant : « Il terzo bassà, nome Aias di nazion albanese, nato appresso la Zimera, mostra esser uomo di guerra et aver animo di far guerra et gran cose : è di anni 44, ma non sa leger ni scriver e manco parlar; ha schiavi 600, entrata ducati 50.000 : ha un bel giardino in Constantinopoli appresso dove si tien le bombarde dove ei va spesso. Conclusive. si tien sia uomo di poco cervello ; sono tre fratelli. Ha la sua madre cristiana, monaca alla Vallona, alla qual manda ducati cento al mese. » Relazioni, tome III, page 104.) P. Bragadino lut sa relation aux Pregadi le 9 juin 1526, alors qu'Ayas Pacha était troisième vizir.

[321] Qassim Pacha, surnommé Guzeldjè Qassim (le joli Qassim), fut appelé le 20 août 1523 à remplacer dans le gouvernement de l'Egypte, Moustafa Pacha, beau-frère du sultan. Il fut nommé gouverneur de Constantinople en 1526, lors du départ de Suleyman pour la campagne de Hongrie. Nommé beylerbey de Roumélie, puis second vizir après la mort d'Ibrahim Pacha, il tenta inutilement, en 1538, de s'emparer de Napoli de Romanie. Ses concussions et son avarice provoquèrent sa destitution et sa place fut donnée au beylerbey de Roumélie,. Moustafa Pacha.

[322] Ibrahim Pacha, originaire de Parga, fut d'abord l'esclave d'une veuve turque de Magnésie qui le céda à Sultan Suleyman lorsque ce prince était gouverneur de cette province. Il fut Khass Odabachy ou chef de chambrée au sérail et il sortit du palais pour remplacer Piry Pacha dans la charge de grand vizir. Il commanda les armées ottomanes pendant les campagnes de Hongrie et de Perse et au siège de Vienne. Il épousa, au mois demai 1524, une sœur de Suleyman et pendant les treize années de son vizirat, il gouverna l'empire avec une autorité absolue. Il fut étranglé, le 5 mars 1536, dans une des chambres du palais où il s'était rendu, selon sa coutume, pour y dîner et y passer la nuit. Son corps fut inhumé dans le couvent des derviches mewlevys à Galata, et un arbre planté sur sa fosse indiqua seul le lieu de sa sépulture. L'année précédente, Ibrahim Pacha avait signé pour M. de la Forest, le premier traité de paix et d'alliance conclu avec la France. &&&Piero Bragadino donne sur Ibrahim Pacha des détails que je crois devoir reproduire : « Il primo vizir Embraim di anni trenta tre, quale è il cuor e il fiato del Signor ; quello che vole è fa, ne il signor faria cosa senza suo consiglio ; è nostro suddito, della Parga. Non ha figli ; uomo magro, viso minuto, smorto, statura di poco presenzia, aggraziato, uomo eloquente, si diletta da ogni causa, di farsi legger libri di romanzi, la vita di Alessandro Magno, di Annibal e guerre e istorie. Compone a gran piacere di musica con un Persiano che tien in casa. Ha placer sapere della condizion de signori del mondo, dei siti delle terre e d'ogni altra cosa. Compra ogni gentilezza che puo a ver ; è dotto, legge filosofia, e sà ben la sua legge. E molto amato dal Signor ne puo star senza di lui. Dorme spessissimo nel seraglio col signor, in un letto che si toccha capo con capo col Signor, e ogni giorno il Signor li scrive qualche polizza di sua man e la manda per il suo muto, ed Embraim li scrive tutto quello si fà, si che il Signor non puô viver senza di lui... La intrada ducati 150.000... Ha schiavi 1500 il forzo, giovani benissimo vestiti d'oro, di seta e scarlatto : portano al presente in testa quasi come i Mori, non come prima portevano Turchi, poca seta. Il Signor li ha facto una bella casa, la qual in parte fu ruinata da'gianizzeri, poi è stata racconciata.Eamuiogliato, ma non ha figli ; ha la madre con due fratelli in seraglio; e la madre fatta turca li sta in una casa appresso : fa gran ben a'cristiani, il padre ha un sangiaccato per mezzo la Parga, di entrata di ducati 2.000 all'anno. » (Relazioni, tome III, page 105.)

[323] Khaïreddin fut élevé à la dignité de pacha en 1517 ; il mourut le 4 juillet 1546.

[324] Mehemmed Soqolly Pacha fut nommé capitan pacha après la mort de Khaïreddin Barberousse. Il devint grand vizir à la fin du règne du sultan Suleyman; il conserva ses fonctions sous Sélim II et fut assassiné par un Bosniaque revêtu d'un costume de derviche au mois de ramazan 987 (novembre 1579).

[325] Mehemmed Piry Pacha était originaire de la Caramanie et descendait du cheikh Djemal Eddin Aqseraiy. Il fut d'abord employé dans les bureaux de la trésorerie et, lors de l'expédition contre Chah Ismayl, Sultan Sélim lui coniîa les fonctions de contrôleur général de l'armée; les avis qu'il donna dans le conseil tenu la veille de la bataille de Tchaldiran contribuèrent au gain de cette journée. Il fut, pendant la campagne d'Egypte, chargé du gouvernement de Constantinople, et nommé grand vizir le 22 septembre 1517 après l'exécution de Younis Pacha. Il alla rejoindre le sultan à Damas. Il mit le siège devant Belgrade pendant la première campagne de Sultan Suleyman en Hongrie, et prit part au siège de Rhodes. Au mois de juin 1523, il fut déposé et remplacé par Ibrahim Pacha. Le sultan lui accorda une pension de deux cent mille aspres. Il fut, dit-on, sur les suggestions d'Ibrahim Pacha, empoisonné par son fils Mehemmed Etendy qui était cadi d'Adana (1533). Il fut enterré dans la mosquée qu'il avait fait bâtir à Silivry. (Hadiqat oul Wuzera, Constantinople, 1271 (1854), page 23.)

[326]Ferhad Pacha était originaire de Sebenico en Dalmatie et il avait dû à ses talents militaires l'honneur d'épouser une fille de Suhan Sélim. Il devint beylerbey de Roumélie et fut chargé, en 1519, d'étouffer la révolte d'un novateur fanatique nommé Djelaly qui avait soulevé une partie de l'Asie-Mineure. En 1520, après la campagne contre Ghazaly, il reçut l'ordre d'établir un camp à Ardjich et de surveiller les frontières persanes. En 1522, il annexa à l'empire la province de Zoulqadrièh après avoir mis à mort Chehsiwaroglou Aly bey ; mais ses exactions et ses cruautés exaspérèrent la population de cette province et déterminèrent sa disgrâce. Peu de temps après, Sultan Suleyman consentit, sur les instances de sa mère et de sa sœur, à lui confier le gouvernement de Semendria avec un revenu de sept cent mille aspres, mais les abus de sa tyrannie devinrent tellement criants que le sultan le fit exécuter le 1er novembre 1524.

[327] Ahmed Pacha, beylerbey de Roumélie, prit part à la première campagne de Suleyman en Hongrie. Il dirigea l'attaque contre Rhodes, lorsqu'il eut remplacé, comme troisième vizir, Mustafa Pacha nommé gouverneur d'Egypte. Il sollicita ce gouvernement, lorsque Mustafa Pacha, rappelé à Constantinople sur les prières de sa femme, sœur du sultan, eut été remplacé par Qassim Pacha. Peu de temps après son arrivée au Caire, Ahmed Pacha prit le titre de sultan et fit trapper la monnaie et réciter la khoutbèh à son nom. Trahi par les siens, et obligé de s'enfuir, il fut livré par un cheikh arabe auprès duquel il s'était réfugié. Sa tête fut envoyée à Constantinople et Qassim Pacha fut une seconde fois investi du gouvernement de l'Egypte. (Histoire des gouverneurs d'Egypte, page 4.)

[328] Cazi Asker ou Cazi Lechker.

[329] Nichandjy bachy.

[330] Berat Eminy.

[331] Le mot angarièh signifie en turc : corvée, avanie.

[332] C'est le mot τέλος qui signifie impôt.

[333]Qouioun signifie en turc, mouton. Qouiounari est la forme grecque; pour dire gardeur de moutons, en turc, on dit Qouioundjy.

[334] Soubachy.

[335]Aqindjy

[336] La province gouvernée autrefois par Ala Eddauléh de la dynastie des Zoulqadrièh.

[337]Diarbekir.

[338]Les Curdes.

[339]Les Géorgiens appelés anciennement Ibères.