NOTICE SUR M. JULIEN-MARIE LEHUËROU

PAR M. FIRMIN LAFERRIÈRE.

PARIS - 1844.

 

 

 

Une grande tristesse s’attache au nom de M. Lehuërou : la fin malheureuse qui a subitement arrêté tant de travaux et de si belles espérances, doit inspirer de vifs regrets à tous les amis de la science et de l’enseignement historique ; mais, de plus, elle a été déchirante pour les amis de l’auteur, comme pour sa famille ! — La présomption de suicide a obscurci la dernière heure d’une vie toute morale, et privé une âme chrétienne des prières de l’église. Aussi nous éprouvons le besoin, nous qui avons pu pénétrer dans les sentiments intimes de cet homme si cher à la Bretagne, de parler de sa vie et de sa mort, laissant à d’autres le soin d’apprécier plus spécialement tout le mérite de ses ouvrages.

Julien-Marie LEHUËROU naquit en Basse-Bretagne, à Kernigouel, commune de Prat (Côtes-du-Nord), le 23 février 1807. Il appartenait à une famille de propriétaires riches et considérés. Il avait perdu sa mère à six ans, son père à neuf ans ; mais il avait trouvé une seconde mère dans une sœur plus âgée, et un second père dans le mari de cette sœur, issue d’un premier mariage. Il racontait avec une vive reconnaissance les soins de cette tendresse éclairée qui entoura son enfance et l’empêcha de sentir qu’il était orphelin. Il portait dans son cœur une profonde affection pour sa famille. Il ne respirait à l’aise et n’était heureux encore, après l’âge de trente ans, que lorsqu’aux jours du repos laissé par le professorat, il se trouvait au milieu de ses frères, sur le domaine paternel.

Il avait une tendresse particulière pour une sœur à peu près de son âge, formée par lui au goût et à la connaissance des lettres, et qui, depuis, a embrassé la vie religieuse. Il y a quelques années à peine, il dédia ses deux thèses pour le doctorat, l’une à sa sœur Anne-Marie, religieuse à Tréguier ; l’autre à ses frères et sœurs bien-aimés, dilectissimis fratribus et sororibus.

Élève distingué de l’École normale, il avait contracté avec plusieurs de ses condisciples une amitié qu’il a toujours conservée, amitié qui avait pour principal lien l’élévation des sentiments et des qualités morales. L’un d’eux, qui a si bien révélé son âme par ses poésies intimes, M. A. De Latour, aimait à redire à d’autres amis, trois mois avant la mort de son ancien condisciple, que Lehuërou était un homme antique, qui partout s’était concilié l’estime et l’affection. Le souvenir de l’École Normale le suivait avec la douce image de la famille. Il prenait plaisir à les associer dans ses entretiens comme dans son cœur. — Son enfance et son vif entraînement vers les idées religieuses appartenaient à la famille. — Sa jeunesse et sa vocation irrésistible vers les lettres et les études historiques appartenaient à la forte initiation de l’École Normale.

Suivons-le quelques instants dans ces deux périodes de l’enfance et de la jeunesse.

Dès son âge le plus tendre, Julien-Marie Lehuërou montra son penchant pour la solitude et pour la vie studieuse. Il ne se mâtait pas aux jeux de son âge ; à dix ans, il lisait, il dévorait les livres. Le vénérable ecclésiastique, chargé de son instruction religieuse, M. Le Luyer (aujourd’hui curé de Trébeurden et chevalier de la Légion d’Honneur), rappelle encore avec étonnement que le catéchisme ordinaire ne pouvait suffire à l’activité d’esprit de son jeune néophyte, et qu’il fallut lui donner à apprendre par cœur les trois volumes du catéchisme de Montpellier. — A douze ans, il était en pension à Tréguier, et la nuit il trompait la surveillance de ses maîtres en allumant son flambeau quand tout sommeillait autour de lui. Le recteur de Trébeurden voulut sagement tempérer cette ardeur précoce, mais elle fut la passion de l’homme comme celle de l’enfant. — De Tréguier, le jeune et brillant élève passa au collège de Saint-Brieuc, puis au collège royal de Rennes. C’est là qu’il termina ses études classiques, et avec un succès qui ne s’est pas effacé de la mémoire : on se plaît encore à rappeler qu’à la fin de sa dernière année, l’élève de philosophie, tout chargé de livres et de couronnes, était conduit par ses condisciples, comme en triomphe, à sa modeste résidence. C’était en 1826 ; et bientôt une ordonnance du roi, contresignée par M. de Frayssinous, faisait entrer le lauréat de dix-neuf ans à l’École Normale, en le désignant pour la section des lettres[1].

Les deux années de l’École normale furent bien laborieuses. Les études historiques étaient en grande faveur ; la philosophie s’était éclipsée de l’École préparatoire, au temps où M. Cousin se voyait emprisonné à Berlin comme conspirateur ; mais l’histoire y était présente avec M. Michelet, et la philosophie de l’histoire se montrait, en 1827, comme une science nouvelle avec l’œuvre de Vico, produite au grand jour par son élégant traducteur. L’inspiration que reçut alors M. Lehuërou des conférences de l’École a décidé sa direction historique.

L’histoire s’est élevée devant lui à toute la hauteur d’une science morale : il n’y a pas vu des faits seulement et des institutions, il a recherché le lien entre les idées et les faits, entre les lois essentielles de l’humanité et les révolutions des peuples. — En tête de son dernier livre, de celui qu’il a remis à ses amis et destiné au public quelques jours avant de mourir, il est encore sous l’impression de cette grande pensée, et il dit : Nous croyons, nous, que rien n’est plus logique que l’histoire, malgré le désordre apparent qui la trouble à sa surface, sous le souffle des passions humaines, et que chacune des phases de son développement a sa raison d’être, c’est-à-dire sa loi, loi souveraine et génératrice qui traverse les faits en les façonnant sur elle-même, et qui ramène à l’unité des conséquences les accidents infinis qui se jouent librement dans les caprices et les fantaisies de la volonté humaine. C’est à la recherche de cette loi mathématique des faits et des institutions sociales que les plus fermes et les plus nobles intelligences ont consacré leurs méditations et leurs pensées ; et c’est de leurs recherches et de leurs découvertes que s’est formée la PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE, c’est-à-dire l’histoire rationnelle des phases que l’humanité a parcourues depuis son berceau ; et quelquefois, mais avec plus de chances d’erreur, la prévision des phases nouvelles qu’elle doit parcourir encore dans ce lointain et laborieux pèlerinage. Ainsi, en 1843, l’écrivain, parvenu à toute la maturité de son esprit, n’a pas désavoué le principe qui l’avait attaché au culte de l’histoire ; et il a toujours conservé pour l’éloquent professeur, qui lui avait ouvert les régions nouvelles, une reconnaissance pleine d’affection[2]. Sa poétique imagination, que les labeurs de l’érudition n’avaient pu amortir, mêlait encore, dans ces derniers temps, à sa vivacité naturelle le brillant reflet des conférences de l’École Normale.

J. M. Lehuërou sortit de l’École Normale à la fin de 1828 ; et depuis cette époque, il a suivi régulièrement les degrés de la hiérarchie universitaire. — Agrégé des classes supérieures des lettres, il fut d’abord attaché par M. de Vatismenil, ministre de l’instruction publique, au collège royal de Bourbon et à la division de la classe élémentaire ; mais après la Révolution de 4850 il fut appelé par M. Guizot au collège de Saint-Louis et chargé d’une partie de l’enseignement historique. C’était entrer, sous d’heureux auspices, dans la carrière de l’histoire : il se montra digne du choix qui l’honorait ; et le Recteur de l’académie de sa province[3], informé de son succès, ne tarda pas à revendiquer pour la Bretagne les services du jeune professeur breton. M. Lehuërou fut chargé, en 1832, du cours d’histoire au collège de Nantes ; et en 1833, après avoir subi une nouvelle épreuve pour l’agrégation aux classes d’histoire et de géographie, il fut appelé au collège royal de Rennes, dont il avait été, comme M. Dubois, comme M. Jules Simon, glorieux.

A Nantes, à Rennes, il a obtenu dans son enseignement les plus heureux résultats : jusqu’alors, l’histoire était restée comme absente de l’instruction universitaire ; M. Lehuërou a fondé dans la Bretagne l’enseignement historique, et l’a porté à une élévation d’idées et de vues qui annonçait le professeur de Faculté et le futur historien de nos origines. Ses élèves, chaque année, provoquaient les éloges des inspecteurs-généraux, par leur exactitude des faits, la justesse de leurs jugements et une remarquable fermeté de style. Leurs souvenirs n’avaient rien de confus, et, ce qui est rare, ces jeunes gens attestaient par la variété des formes de leur langage qu’il y avait en eux travail d’intelligence, et qu’ils s’appropriaient les idées de leur maître[4].

 

En 1838, une Faculté des lettres fut créée dans l’Académie de Rennes par M. de Salvandy, qui voulait donner, dans les provinces, une généreuse impulsion à l’enseignement supérieur. M. Lehuërou porta ses regards vers la chaire d’histoire, qui venait d’être créée. Il y voyait un moyen de continuer avec plus de fruit des études qui lui étaient si chères ; mais l’un de ses anciens concurrents à l’agrégation de 1835 était nommé, lequel jeta bientôt un vif éclat sur la Faculté des lettres ; et M. Lehuërou, auditeur assidu du cours entrepris par M. Varia sur les sources de l’histoire de France, applaudissait le premier à cette heureuse élocution, qui donnait tant de charme aux travaux, aux discussions de l’érudit, et qui ravivait l’histoire de France par l’étude des monuments primitifs.

Lehuërou était un homme incapable de jalousie ; mais le succès du nouveau professeur était pour lui un motif d’émulation ; et à la fin de 1858, il publia une thèse historique sur l’établissement des Francs dans la Gaule et le gouvernement des premiers Mérovingiens, qui déjà contenait en germe son Histoire des Institutions mérovingiennes. Ce travail est le premier qui fixa l’attention publique sur le professeur du Collège royal. Il fut bientôt suivi de Recherches sur les origines celtiques, production pleine de sagacité, dans laquelle l’écrivain nous conduit à des résultats précis ou probables, à travers les divinations de la philologie et les richesses quelquefois embarrassantes de l’érudition.

Le vœu public, à Rennes, appela dès lors le professeur du Collège à la Faculté des lettres. L’occasion se présenta bientôt. Le professeur de littérature étrangère, M. Marmier, qui avait, pendant quelques mois, intéressé son nombreux auditoire à l’âpre nature des poésies du Nord, abandonna la Bretagne et fit voile de nouveau vers le Spitzberg ; à la recherche des trésors d’inspiration que recèlent les poètes de ces rudes climats. Sa chaire allait rester vacante. Mais le Recteur de l’Académie[5], qui connaissait tout le mérite caché sous la modestie de M. Lebuërou, le désigna de suite, au choix du ministre ; la suppléance fut offerte, acceptée, et M. Lehuërou, soudainement appelé à une chaire de littérature étrangère, porta l’attention de l’auditoire sur l’Angleterre et fit immédiatement, avec le plus grand succès, une introduction historique à la littérature anglaise.

Ce début, dans l’enseignement supérieur, marquait la place de M. Lehuërou à la Faculté des lettres, et le désignait surtout à la chaire d’histoire ; mais celle-ci n’était pas vacante ; et lui, suppléant provisoire, il fut, un jour, obligé de reprendre, triste et chagrin, ses fonctions exclusives de professeur au Collège royal. Il avait vu quelques-uns de ses collègues, mieux favorisés par les circonstances, s’asseoir définitivement dans des chaires de Faculté ; il souffrait de cette comparaison, et doué d’une sensibilité forte, mais concentrée, il souffrait d’autant plus qu’il cachait sa blessure. En septembre 1839, il écrivait à un ami[6] : Me voilà brisé au milieu de ma carrière... il y a de quoi en perdre la raison, et la mienne a été plus d’une fois sur le point de fléchir.... Je me demande quelquefois si je ne ferais pas aussi bien de renoncer à ma carrière, et de me retirer.... Il y a des intérêts beaucoup plus chers encore que ceux de la fortune, ce sont ceux d’un amour-propre trop longtemps et trop profondément blessé, et c’est surtout cet intérêt là qui me fait souffrir.

Ces lignes annonçaient une exaltation de tristesse qui heureusement fut bientôt calmée. M. Lehuërou, dont les services étaient notoires dans l’Université, reçut la première application de l’ordonnance de 1840, qui créait des concours d’agrégation pour les Facultés, et permettait de conférer directement le titre d’agrégé, en récompense de services rendus. Il fut institué par M. Cousin, alors ministre, agrégé pour l’histoire près la Faculté de Rennes ; et le professeur d’histoire, désirant se tenir éloigné de sa chaire pour se consacrer à d’autres travaux, Lehuërou fut appelé à le remplacer provisoirement, sous le ministère de M. Villemain. — Il ouvre alors son âme à des sentiments bien différents de ceux exprimés en 1839 ; il se réjouit ; il adresse à plusieurs des remerciements ; et un membre du Conseil royal, qui l’avait entendu comme professeur, lui écrit, le 9 novembre 1840 :

La justice qui vous a été rendue, je l’appelais de tous mes vœux ; vous savez si j’estime profondément l’enseignement de l’histoire, ce premier instrument de vie ou de mort que la Providence a déposé entre les mains de l’autorité universitaire. Vous enseignez l’histoire et vous êtes chrétien ; je me félicite de votre belle mission, et je m’associe à vos succès par tous mes désirs et toutes mes espérances[7] : lettre admirable, bien faite pour élever l’âme du professeur d’histoire. — Lehuërou succédait à M. Varin ; c’était une épreuve difficile : il en sortit avec honneur, parce qu’il resta lui-même et qu’il sut toujours éviter l’imitation comme un écueil. — A partir de cette époque, son activité prend un développement extraordinaire ; dans le même temps, il fait son cours au Collège royal ; il attire, il captive un auditoire sympathique autour de la chaire d’histoire de la Faculté des lettres ; il écrit son livre sur l’Histoire des Institutions mérovingiennes, et il le publie en novembre 1841.

Une nouvelle péripétie se produit, en 1842, dans sa carrière de suppléant à la Faculté des lettres : M. Varia, après quelque repos, reprend son cours d’histoire. — Et voilà encore Lehuërou qui s’éloigne tristement de cette enceinte où il a recueilli tant de suffrages. — Mais la chaire de littérature étrangère redevient vacante. Elle avait été confiée, après la retraite définitive de M. Marmier, au savant et spirituel auteur de la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue ; et M. Ch. Labitte, qui n’avait pas laissé Paris sans esprit de retour, put faire un jour avec quelque bonheur ses adieux à la province. La chaire est donc vacante encore de fait. M. Villemain, qui avait apprécié l’Histoire des Institutions mérovingiennes, et saisi même l’occasion de féliciter l’auteur devant plusieurs de ses collègues, s’empressa de lui conférer, sur la demande du recteur et du doyen, la nouvelle suppléance. La perspective prochaine d’une nomination définitive se présentait tout naturellement ; mais Lehuërou, nous en avons la certitude, n’a jamais souhaité qu’on dépouillât de suite et sans compensation le titulaire, pour lui faire expier sa nature rebelle au climat et son peu d’amour de la Bretagne. — Lehuërou fut heureux et reconnaissant de sa nomination ; il en remercia vivement ceux dont le patronage et l’amitié avaient pu le seconder, et un membre du Conseil royal lui répondit le 16 novembre 1842 : J’eusse été pour tout, si la chose eût dépendu de moi, dans l’arrêté qui vous a confié la chaire de littérature étrangère ; mais je n’ai pas eu le plaisir d’y être pour la moindre part. Vous n’aviez pas besoin d’un autre PATRONAGE que celui de votre nom, de vos services passés et des espérances certaines qui s’attachent à votre talent.

Une correspondance nous a été communiquée, de laquelle il résulte que M. Varin, doyen de la Faculté, avait fait les démarches les plus actives pour écarter de son collègue toute concurrente : M. Lehuërou le savait, et cette circonstance resserra les liens d’estime et d’affection qui existaient entre eux : Nous lisons dans une lettre d’octobre 1842 (un an avant le décès) : Mon très cher doyen et ami.... Ces remerciements sont bien tardifs, je le sais ; ils n’en sont, après tout, ni moins affectueux, ni moins sincères, et je vous prie de les agréer comme l’expression des sentiments d’estime et d’attachement que je vous ai voués. — Dans une lettre de novembre 1842 : Je ne saurais vous dire combien votre lettre d’aujourd’hui m’a ému, moins par ce qu’elle m’annonce que par le sentiment qu’elle respire.... Je ne vous répéterai pas combien je suis reconnaissant de tout ceci ; je voudrais pouvoir vous le prouver. — Autre lettre de novembre 1842 : Je ne saurais vous dire combien je suis touché de l’affection que vous y mettez.... Adieu et mille remerciements[8].

Ainsi, en novembre 1842, M. Lehuërou, dont le nom avait grandi tout à coup par sa belle publication, et qui pouvait plus se souvenir des souffrances d’amour-propre exprimées en 1839, remontait, le cœur content, dans une chaire de Faculté qu’il pouvait, au défaut d’une chaire d’histoire, regarder comme désormais acquise à son talent.

 

Mais son talent, transporté de l’histoire dans la littérature étrangère, se sera peut-être trouvé dépaysé ?... Non ; l’épreuve a eu lieu pendant tout le cours de l’année scolaire 1843 ; et l’enseignement littéraire, favorisé par la science historique, a répandu un intérêt et un éclat qui ont fait le plus grand honneur au professeur breton, et étonné même ses amis. Nous ne savions pas alors, par les détails de famille, que l’érudit, que l’historien avait eu la noble passion de la poésie ; que, dans sa plus tendre jeunesse, on le voyait errer dans les bois de Plouaret ou dans les campagnes de Lannion, un Virgile, un Horace à la main, ouvrant son cœur avec joie aux inspirations de la solitude et du génie antique, ou s’abandonnant naïvement aux impressions de la terre natale. La Basse-Bretagne est la contrée de la France où l’imagination a conservé le plus de fraîcheur et de jeunesse, où l’amour du pays, des mœurs antiques,des longs récits, s’exhale encore de l’âme des populations, comme un parfum naturel de poésie. C’est Il que se sont conservés ces Rhapsodes, bardes ou chanteurs[9], que l’on fait asseoir au foyer de la famille, et qui paient l’hospitalité par les chants populaires des traditions bretonnes : il y a peut-être toute une épopée dispersée en lambeaux dans ces vieilles poésies qui traversent depuis si longtemps, sans y mourir, les villages, les villes, les landes de la Bretagne[10]. L’enfance et la jeunesse de Lehuërou avaient reçu ces fortes sensations de la nature et des mœurs de son pays. Nous nous rappelons avec quel plaisir il parlait, dernièrement encore, des poésies de son compatriote Brizeux : c’est la Bretagne elle-même, disait-il, qui respire dans le gracieux Recueil de Marie. Sa première ardeur d’esprit avait uni la poésie à la religion. Son style, appliqué plus tard aux matières historiques, conservait une vive couleur d’imagination qui ‘révélait à des yeux attentifs la disposition intime du jeune solitaire. A l’École Normale, Lehuërou, qui se destinait d’abord aux clisses supérieures des lettres, avait étudié avec enthousiasme les monuments de la littérature européenne. — Aussi, quand il parut pour la seconde fois, en 1843, dans la chaire de littérature étrangère, il se montra littérateur plein de connaissances variées, et capable d’établir un riche parallèle entre les grandes compositions de l’Italie et de l’Angleterre. On gardera longtemps, à la Faculté de Rennes, la mémoire de ses leçons sur Shakespeare, et de l’admirable talent avec lequel il se montra historien en évoquant Elisabeth et son époque, philosophe et littérateur en pénétrant dans les drames du profond poète. La funeste mort du professeur a réveillé dans les esprits le souvenir de l’émotion qui avait saisi tout son auditoire, quand il parla d’Hamlet, quand il fit descendre dans les cœurs les sombres terreurs du monologue, Mourir..., dormir !... Avec quelle force il s’éleva contre ces dispositions d’une âme maladive qui songe à éteindre en elle le rayon immortel que Dieu lui a départi ! Comme son âme planait au dessus de ces découragements de la misère humaine ! Comme il flétrissait le triste courage du suicide !... C’était l’homme alors qui perlait, qui s’inspirait de toute la foi de la jeunesse, de toute la religion de l’âge mûr : et c’est par ce souvenir éloquent de juin 1843 qu’il faut juger le professeur, l’homme, le chrétien[11].

 

Nous touchons au moment déplorable que nous voudrions taire..., s’il était possible, par le silence, d’en éteindre le souvenir ! Mais la publicité a été donnée au fatal événement ; et, dans la Bretagne, ce souvenir pèse sur le nom de celui qui n’est plus. Loin d’aggraver la douleur de la famille et de l’amitié, peut-être pouvons-nous lui apporter quelque allégement par la certitude des dernières pensées qui occupaient notre ami, trois jours avant sa mort.

M. Lehuërou, dans l’année 1843, avait continué une partie de l’enseignement historique au Collège royal. Il avait fait son cours de littérature avec un travail de préparation et un succès propres à lui communiquer un ébranlement nerveux ; enfin, lui qui, en novembre 1841, avait publié son Histoire des Institutions mérovingiennes, il écrivait, en 1843, avec un immense labeur sur les textes originaux, l’Histoire des Institutions carolingiennes ! — Après avoir suivi péniblement l’impression de son nouveau volume, il se rendit à Paris, en septembre, pour en surveiller la publication et l’offrir à des amis, à des protecteurs bienveillants, au ministre de l’instruction publique, qui avait accueilli le premier ouvrage avec une faveur si honorable pour l’écrivain. Il voulait aussi se faire relever des fonctions du collège, pour soulager ses fatigues et se consacrer entièrement à la Faculté des lettres. — Il resta plusieurs jours à Paris, attendant de Rennes les feuilles imprimées, les dernières épreuves, qui n’arrivaient pas. Il s’impatientait de ce contretemps ; il avait besoin de repos, de distractions, il désirait vivement visiter quelques amis de la province avant de rentrer dans sa famille, et il se trouvait enchaîné, et il voyait fuir ses vacances par une cause imprévue ! Il s’irritait ; sa tête travaillait et se créait des fantômes....  Enfin, il put présenter quelques exemplaires incomplets de son Histoire des Institutions carolingiennes. Il acquit la presque certitude de son exemption des fonctions du collège. Il s’occupa du concours pour le prix d’histoire (le prix GOBERT), auquel ses amis l’engageaient à prendre part devant l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres[12], et il reçut la promesse bienveillante d’un prochain rapport sur son livre à l’Académie des Sciences morales[13]. Rien ne pouvait donc plus le retenir à Paris ; il s’en éloigna en toute hâte ; et le 27 septembre, dans la matinée, il était à Angoulême, auprès de quelques amis.

Nous l’avions laissé en Bretagne, au mois d’août, fatigué par le travail excessif des deux années qui venaient de s’écouler. — Nous l’avons retrouvé à Angoulême, portant sur tous ses traits et dans ses entretiens l’empreinte plus profonde de sa fatigue intellectuelle. L’amitié l’a entouré de ses prévenances, de ses soins, de toutes les délicatesses du cœur. — Dans l’un de ses amis, il avait en condisciple de l’École Normale ; dans l’autre, un témoin de ses succès, un confident de ses travaux, de ses projets, de ses pensées intimes. Il était libre de s’épancher dans des conversations de chaque jour, de chaque instant, et il ne se répandait point, comme l’a supposé la douleur publique[14], en plaintes amères contre l’Université. Il n’avait demandé qu’une chose, dans ces derniers temps, l’exemption de ses fonctions au collège royal, et il avait emporté la conviction qu’elle lui serait incessamment accordée[15]. Quant à sa qualité de professeur titulaire à la Faculté, il savait très bien qu’elle ne pouvait se faire attendre longtemps encore. Il y comptait pour un avenir prochain. L’avenir était dans sa pensée, dans ses projets, dans ses espérances. Ses compatriotes lui avaient proposé une candidature politique ; il se promettait de l’accepter. D’autres idées encore souriaient à son imagination ; et heureux de notre accueil tout fraternel, il nous en remerciait, comme si cette âme trop renfermée en elle-même et dans des travaux malheureusement excessifs, éprouvait pour la première fois le charme de l’intimité !

Cependant il se reprochait, au milieu des distractions que lui offrait l’amitié, de rester trop longtemps éloigné de sa famille. Il était préoccupé d’un frère malade, et, malgré toutes nos instances, il voulut retourner en Basse-Bretagne, en passant par Nantes, par Rennes, car il nous traçait son itinéraire. — Le 6 octobre, dans la soirée, il me quitta ; nous nous embrassâmes fraternellement, nous promettant de nous écrire, de nous revoir bientôt.... Et le 9 octobre, à six heures du matin, on l’a trouvé suspendu à un saule, dans une prairie, sur le bord de la Le corps était froid. Sur des tablettes, on put lire ces mots tracés au crayon : Je demande pardon à Dieu et à ma famille de l’action que je vais commettre...

 

Que s’est-il passé dans cette âme religieuse, qui avait condamné avec tant d’énergie la pensée du suicide ? — Dieu seul peut savoir comment, dans le mystère de notre organisation, une altération fébrile peut porter subitement le trouble et le désordre au sein de l’union de l’âme et du corps ; comment l’homme peut cesser d’être l’homme libre et intelligent de la veille, sans cependant perdre toute conscience de lui-même.

L’infortuné Lehuërou, si les mots au crayon furent tracés par sa main égarée, n’avait pas perdu toute conscience de lui, puisqu’il demandait pardon à Dieu et à sa famille.... ; et cependant, qui oserait dire que c’est là le chrétien inspiré qui s’élevait contre le suicide, l’écrivain religieux qui a laissé de si belles pages sur le christianisme dans ses deux ouvrages[16] ; l’homme irréprochable qui écrivait dernièrement à sa sœur ces paroles admirables dans leur simplicité, Tu sais, ma sœur, que j’ai toujours conservé à Dieu un cœur d’enfant ; le croyant sincère qui, dans cette même année, selon le témoignage de son vieux guide dans les pratiques du culte, S’EST APPROCHÉ DEUX FOIS DES SACREMENTS[17] ! —L’aliénation mentale, avec son faux jour, avec ses demi-clartés, est un des plus profonds mystères de noire nature : ne cherchons pas à le sonder ; humilions-nous sous la main qui abaisse l’intelligence humaine ; mais reconnaissons que le meilleur chrétien catholique peut tomber et mourir en état de folie ou de fièvre cérébrale... Et ne serait-il pas pénible à des âmes chrétiennes de songer que l’Église catholique ne pourrait voir que l’homme du moment fatal, et non l’homme libre et religieux de la veille ? — Oh ! nous croyons, nous, qu’en certains cas, la miséricorde, c’est la justice ; et nous transcrivons ici, avec un sentiment consolateur, les mots touchants du curé de Trébeurden, qui connaissait si bien l’ami que nous pleurons : N’importe ce qui est arrivé, LA RELIGION NOUS DÉFEND DE DÉSESPÉRER DE LA FÉLICITÉ ÉTERNELLE[18].

 

Le Recteur et les Facultés se sont rendus les organes de la douleur et de l’estime publique, dans une séance solennelle qui touchait presque à la catastrophe, et qui était toute remplie d’éloges, d’émotions et de larmes. — Il restait à donner quelques détails biographiques sur l’homme excellent qui laisse un si grand vide dans l’Académie de Rennes, dans la science historique, dans le cœur de ses parents et de ses amis : c’était un second devoir à remplir envers une mémoire qui nous sera toujours chère, et ce devoir se confondait avec notre respect pour la vérité.

Nous avons indiqué dans quelles circonstances les divers ouvrages de M. Lehuërou ont été composés et publiés[19]. Ce n’est pas à nous d’en faire une complète appréciation. Notre impartialité pourrait être révoquée en doute. D’ailleurs d’autres plus habiles, et récemment encore MM. Laboulaye et Giraud, ont, par de savantes analyses, appelé l’attention de tous les amis de l’histoire sur les deux volumes des Institutions mérovingiennes et carolingiennes, où sont reprises et résolues avec tant de science, de précision et de vigueur de style, les grandes questions sur nos origines nationales et sur les bases de l’aristocratie carolingienne[20]. Toutes les idées qui peuvent apparaître comme fécondes dans ces livres n’appartiennent pas à M. Lehuërou. Son érudition l’a remis sur la voie d’opinions autrefois exprimées et puis abandonnées. — Il en a rappelé quelques-unes et leur a donné une force toute nouvelle. Ainsi, dans son premier volume, il a repris l’opinion de Leibnitz sur l’origine des Francs. Il a conduit les Francs des bords de la Baltique sur les bords du Rhin, marquant leurs stations successives, et les montrant poursuivis, exilés de contrées en contrées par la haine implacable des Saxons[21]. Il attachait une grande importance à ce point de vue historique, à l’aide duquel il expliquait la vieille haine des races barbares, qui rendit Charlemagne impitoyable envers les Saxons, et qui poussa Guillaume et ses Normands à la conquête de l’Angleterre.

L’une des idées fondamentales de son second volume, sur l’influence de la famille germanique, a paru nouvelle, mais e donné lieu, dans un Corps savant, à une grave critique. Après le rapport lu par M. Giraud, dans une séance de l’Académie des sciences morales, M. Mignet, avec cette fermeté de vues qui distingue l’École historique, dont il est le digne représentant, a repoussé le système qui tendrait à rapporter les origines de la féodalité à la famille germanique. Comme Montesquieu, il a placé cette origine dans la clientèle militaire, et non dans la famille. Le lien féodal, a-t-il dit, unit des personnes appartenant à des familles différentes, tandis que le lien domestique unit tous ceux qui appartiennent au même sang. Il a rappelé la distinction faite par M. Guizot, entre la bande et la tribu, l’une qui devient conquérante, l’autre qui reste avec ses mœurs sur le sol germanique[22]. — Placée dans cet ordre d’idées, la critique, émanée d’une si grave autorité, est d’une justesse propre à frapper tous les esprits : elle s’adresse à cette proposition que le gouvernement féodal ne serait pas autre chose que le gouvernement de la famille, et qu’il ne faudrait voir en réalité que des institutions de famille dans toutes les institutions de la féodalité[23]. — Mais cette proposition donnerait à la pensée de M. Lehuërou un caractère absolu qui ne nous paraît pas résulter de l’ensemble de son nouvel ouvrage ; et il nous sera permis de prouver ici, pour prévenir toute impression défavorable, que la juste critique adressée à cette proposition ne peut porter atteinte aux véritables idées sur lesquelles repose l’Histoire des institutions carolingiennes.

En s’occupant de la famille germanique, l’auteur considère les institutions civiles bien plus que les institutions politiques : c’est l’objet du premier livre. Il recherche, dans l’ensemble des lois barbares, les éléments de la famille, de la propriété germaniques, et il indique incidemment tes rapports de ces institutions avec plusieurs de celles qui ont existé dans notre droit coutumier ; par exemple, le retrait lignager, la dot, le douaire. — Mais, sous le nom de famille germanique, il ne comprend pas seulement la parenté, la famille selon le lien du sang ; il comprend aussi le vasselage, qui devient une seconde division de la famille, et il montre que les conditions essentielles de l’union du vassal et du seigneur, au Xe siècle, existaient déjà dans les tribus allemandes : les vassaux étaient dans le mundium du chef de la famille germanique, comme ils furent sous la protection du seigneur féodal. La famille germanique, pour M. Lehuërou, comprend la clientèle, la Gens..... Elle embrasse les trois divisions suivantes : 1° la famille proprement dite, c’est-à-dire le père, la mère, les enfants, avec les ascendants et les collatéraux de tous les degrés ; 2° les vassaux, les ministeriales ou domestiques de condition libre ; 3° les mansionarii, liti, coloni, servi, ou domestiques de condition servile[24]. — M. Lehuërou veut prouver que tous les individus compris dans cette triple division ne formaient dans l’origine qu’une seule famille, sous l’autorité et la protection d’un même maître. — Peut-être cette dénomination de famille, appliquée à des éléments de différente nature, n’est-elle pas assez conforme, au sens ordinaire, et il y a toujours de graves inconvénients à donner aux mots une acception inusitée. Mais la pensée de l’auteur s’est expliquée sur l’étendue qu’il voulait lui attribuer, et la critique porterait .alors plutôt sur la forme que sur le fond des choses.

Dans le deuxième livre, M. Lehuërou cherche plus spécialement les rapports des mœurs germaniques avec Le gouvernement Carolingien, et il est loin de méconnaître les différences qui ont existé dans l’état politique des nations barbares qui n’avaient point franchi le Rhin, et l’état politique des Francs, auxquels leur long séjour sur la terre romaine avait imposé nécessairement de grandes modifications[25]. — Mais l’auteur veut prouver que, malgré ces modifications, les institutions aristocratiques, Antérieures à la conquête, se montraient sous le nouveau Gouvernement :

Toutes les fois, dit-il, qu’un intérêt de quelque importance se produisait dans la nation ou dans la famille royale, la présence des leudes était indispensable pour en délibérer, et leur concours pour mettre à exécution les résolutions arrêtées d’un commun accord. C’est ainsi que les rois carolingiens ne se mariaient qu’avec l’agrément de leurs fidèles ; qu’ils ne faisaient ni la guerre ni la paix sans leur intervention ; qu’ils demandaient leur avis dans leurs affaires domestiques, comme dans celles de la nation ; qu’ils ne prenaient la couronne qu’en leur présence et de leur consentement, et qu’en la prenant, ils promettaient, en échange du serment de fidélité qu’ils exigeaient, de rester eux-mêmes fidèles aux engagements qu’ils contractaient, c’est-à-dire de conserver à chacun ses biens et ses honneurs, d’accorder à tous protection et justice, de respecter en toutes choses la loi et l’usage, et par conséquent de rester docilement dans la condition dépendante où la constitution les plaçait[26]. — Il en résulte que la royauté carolingienne, même sous Charlemagne, est moins une monarchie qu’un gouvernement aristocratique, où les seigneurs interviennent régulièrement, à des époques déterminées ; pour des questions spéciales, et en vertu d’un droit de même date et de même origine que le pouvoir qui les réunit autour de lui. Cette intervention n’est pas limitée aux grandes questions qui se rattachent aux intérêts de l’État et du Gouvernement ; elle s’étend aux règlements des intérêts privés et à l’administration domestique de le famille royale, parce que l’État, chez les nations germaniques, est sorti de la famille, et que l’État et la famille, MÊME SOUS CHARLEMAGNE, se mêlent et se confondent perpétuellement[27].

Nous avons transcrit ce long passage, parce qu’il indique, selon leur véritable étendue, les vues historiques de M. Lehuërou. — On remarquera, sans doute, qu’il n’est pas ici question du gouvernement féodal identifié avec le gouvernement de la famille, ni des institutions féodales confondues avec les institutions de la famille germanique, seule proposition qui ait été combattue dans le sein de l’Académie. L’auteur de l’Histoire des institutions carolingiennes ne fait pas l’histoire de la féodalité ; il fait l’histoire des institutions germaniques, et il détermine l’influence que ces institutions ont exercée dans le domaine du droit civil et dans la sphère du gouvernement de la deuxième Race. Mais il reconnaît expressément que ces rapports, entre les mœurs germaniques et les mœurs des nations transrhénanes, se sont modifiés, et par la situation nouvelle des conquérants sur le sol gallo-romain, et par la nécessité de concourir activement à la défense, à la conservation de la terre conquise. — La pensée de l’auteur se résume dans ce passage de l’AVANT-PROPOS : On ne peut comprendre l’histoire et le gouvernement DES DEUX PREMIÈRES RACES, et surtout de la seconde, qu’autant qu’on s’est fait des idées exactes sur l’histoire de la famille et de la propriété germanique[28]. Tel est le but qu’il se propose et qu’il atteint. Ce n’est pas seulement la famille, selon les liens du sang, qu’il a voulu étudier dans les lois barbares, c’est l’association germanique, dont il avait d’avance déterminé avec soin les divers éléments. Il recherche, il manifeste les relations progressives entre la, propriété et la famille ainsi comprise ; et il est le premier, du moins en Frange, qui ait présenté à ce sujet l’esprit général des lois barbares : c’est là, ça qui constitue le mérite principal et la puissante originalité de son dernier ouvrage.

 

Si l’avenir ne se fût pas fermé devant cette belle intelligence, elle nous eût donné, un jour, l’histoire des Institutions féodales et l’histoire de la Bretagne armoricaine[29]...... C’était une de ses pensées, mais hélas ! une de celles qui meurent avec l’homme.... Vanæ cogitationes !

 

 

 



[1] L’École Normale était alors appelée l’École préparatoire.

[2] M. Michelet.

[3] C’était M. Legrand, qui avait été proviseur du collège quand M. Lehuërou était élève.

[4] Résumé des rapports des inspecteurs généraux.

[5] M. Dufilhol, recteur actuel de l’Académie de Rennes.

[6] Lettre à M. V. F., avocat-général.

[7] Je prie l’auteur de cette lettre, M. le conseiller R., de me pardonner mon indiscrétion ; mais cette lettre appartient vraiment à l’histoire de l’Université, par le passage que nous avons mis en italiques.

[8] Il signe votre dévoué et affectionné.... Toute prévention, s’il pouvait en exister sur les relations entre les deux collègues, s’évanouit devant de tels témoignages.

[9] Bardus gallicè canior appellatur, disait, au Ve siècle, Festus Pompeius (de Verb. signit). Ils s’appellent encore barz, en bas-breton.

[10] Voir un Chant du VIe siècle, du barde Taliésin, dans le Barzas-Breiz (1839) de M. de la Villemarqué, qui a recueilli et traduit plusieurs des chants populaires de la Bretagne, et qui annonce avoir retrouvé un second chant du poème national de Morvan, surnommé Leiz-Breiz (le soutien de la Bretagne). (Contes populaires des anciens Bretons, 1842, t. 2, p. 316.)

[11] Dans la thèse latine de M. Lehuërou sur le stoïcisme, 1838, il se trouve un passage qui est en rapport avec l’idée éloquemment exprimée en 1843 : Falo occurrere, et muta lacenere, et utrumque animi fortitudine superare id virils, et honestum nec in gloriosum...., p. 11.

[12] Il avait communiqué sa pensée sur ce sujet à M. Edouard Laboulaye, dont le nom est si cher à la science historique.

[13] Le rapport a été lu par M. Giraud, à l’Académie des sciences morales, dans la séance du 28 octobre dernier.

[14] Spécialement dans le Français de l’Ouest, mois d’octobre.

[15] L’assurance qu’il en avait reçue s’est vérifiée par le fait ; car une lettre du 4 octobre 1843 était écrite du ministère à l’Académie de Rennes pour préparer la mesure.

[16] T. 1er, ch. 12, p. 239 et suiv. ; t. 2, ch. 9 et 10.

[17] Lettre communiquée de M. Le Luyer, recteur de Trébeurden, écrite à l’une des sœurs de M. Lehuërou. (Nov. 1843.)

[18] Nous avons invoqué plusieurs fois le témoignage de M. Le Luyer, recteur de Trébeurden, le vieil ami de M. Lehuërou. Qu’il nous soit permis de faire un peu connaître ici ce digne pasteur, dont le nom représente, dans le département des Côtes-du-Nord, toutes les vertus évangéliques, et le dévouement de la charité porté jusqu’à l’héroïsme.

En 1832, sur 1.400 habitants de la paroisse de Trébeurden, 700 furent atteints du choléra. Nous n’avons pas visité un seul malheureux — disent dans une lettre imprimée les trois médecins appelés à combattre le fléau — que ce digne prêtre ne fût à nos côtés. Rien n’a pu ralentir son courage. Il a rempli sa mission, et même au-delà, avec un dévouement au dessus de tous les éloges. Sa bourse, son linge, son vin, ses lits, son petit avoir, tout a été prodigué au soulagement des malades. Il a fait plus : à peine a-t-il eu connaissance que la commune de Pleumeur, voisine de la sienne, était infestée, qu’il y est accouru à toutes les heures pour administrer, soigner les malades et les encourager dans leurs souffrances. En un mot, il faudrait avoir suivi comme nous le recteur de Trébeurden, au lit des cholériques, pour apprécier tout ce dont lui est redevable l’humanité....

Les habitants de Trébeurden, imbus de l’ancienne opinion de la Bretagne que tout ce que la mer jette à la côte leur appartient, étaient un jour, au nombre de cinq à six cents, réunis sur la grève prêts à piller un navire jeté sur les rochers. Le recteur survient : il fait comprendre à ses compatriotes ce que leur conduite a de répréhensible, et il leur persuade de sauver plutôt les naufragés et leur chargement ; il donne l’exemple ; tous, comme lui, se mettent à l’eau, et trois jours après, l’équipage et la plus grande partie du chargement étaient hors de danger.

Le 14 février 1838, la pêche du goémon était en pleine activité, quand tout à coup s’éleva une effroyable tempête. Deux cents hommes, occupés à couper ce précieux engrais sur les rochers de l’île Molènes, se voient enveloppés de toutes parts. Ils sont presque sans vivres, sans vêtements ; ils n’ont pour abri que quelques anfractuosités de rochers. Ce qu’ils souffrirent pendant la nuit, nul ne saurait le dire. Le lendemain, la tempête durait encore et la situation de ces infortunés ne pouvait se prolonger sans que la mort devînt le terme de leurs souffrances. Mais le bon, le courageux pasteur dégarnit son presbytère ; et bois, vin, pain, couvertures, il met tout pêle-mêle dans un frêle esquif, et voguant avec une autre personne et deux forçats libérés qu’il enflamme de son dévouement, il parvient, au milieu des plus grands périls, à cette île située à près d’une lieue du rivage de Trébeurden. — Ces deux cents infortunés et leurs familles renaissent à la vie ; et la barque du pasteur les ramène tour à tour sur la grève.

Le 21 août 1838, aux acclamations de tous les habitants, le recteur de Trébeurden fut décoré de la croix d’honneur.

Combien ces faits (extraits de l’Annuaire des Côtes-du-Nord) ne donnent-ils pas d’autorité au témoignage du pasteur et de l’ami qui vient affirmer que M. Lehuërou avait été fidèle, même dans la dernière année de sa vie, aux inspirations du culte catholique !

[19] Il faut ajouter aux Origines celtiques et à l’Histoire des Institutions, sous les deux premières races, plusieurs articles ou comptes-rendus insérés dans le Journal de l’Instruction publique. Nous avons remarqué spécialement un article sur les Assises de Jérusalem (Cour des Bourgeois), publiées et commentées par M. V. Foucher, avocat-général, et un compte-rendu du savant travail de M. Henri Martin, sur le Timée de Platon (5 novembre 1842.)

[20] Il a paru, dans le Journal des Débats, un article de M. Alleury, qui renferme l’éloge le plus complet du premier volume. M. Laboulaye a publié dans le Droit deux articles sur l’ensemble de l’ouvrage. Le dernier est du 19 octobre 1848. M. Warnkœnig, célèbre professeur en droit à l’Université de Fribourg, a publié dans la Revue française et étrangère une appréciation très favorable des idées de l’auteur. M. Giraud a publié, dans la Revue de législation (octobre 1843, t. 1, p. 500), le rapport lu à l’Académie des sciences morales. Son analyse embrasse tout le nouveau livre, et commence Par l’expression de la douleur inspirée par la nouvelle récente de la fin déplorable de l’auteur.

[21] T. 1er, p. 92.

[22] Voir les observations de M. Mignet, secrétaire perpétuel, dans le Compte-rendu de l’Académie (t. 4, p. 344 et suiv., numéro de novembre 1843). Elles sont très importantes pour la question des origines et du caractère politique de la féodalité.

[23] Observations, p. 344.

[24] Chap. 1er, des Gentes germaniques, p. 10.

[25] Liv. 2, p. 307.

[26] Promissio Hludowici regis (Karoli II, imperator. filii), anno 877.

[27] P. 292-294.

[28] Recherches sur les origines celtiques, p. 28.

[29] Recherches sur les origines celtiques, p. 28.